Article 11
(art.15 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945)
Allongement de la durée du mariage ouvrant droit
à l'obtention d'une carte de résident

Cet article tend à modifier le second alinéa (1°) de l'article 15 de l'ordonnance n°45-2658 du 2 novembre 1945 en vue d'allonger de un à deux ans la durée de mariage nécessaire à un étranger conjoint de Français pour obtenir une carte de résident.

1. Le droit en vigueur

Le second alinéa de l'article 15 de l'ordonnance précitée, issu de la loi n° 84-622 du 17 juillet 1984 , avait prévu la délivrance de plein droit de la carte de résident pour le conjoint étranger d'un ressortissant de nationalité française . Cette carte est valable dix ans et également renouvelable de plein droit.

Depuis la loi du 24 août 1993 88( * ) , afin de lutter contre les mariages de complaisance 89( * ) , l'obtention de la carte de résident par le ressortissant étranger conjoint de Français a été soumise au respect de plusieurs conditions.

En premier lieu, le mariage doit avoir été célébré au moins un an avant la délivrance de la carte de résident . En 1998 90( * ) , le projet initial du Gouvernement était déjà de porter cette durée de mariage à deux ans , conformément aux recommandations du rapport de M. Patrick Weil, afin de garantir la stabilité du mariage pour l'octroi d'un titre de séjour conférant des droits importants.

Finalement, le délai d'un an avait été rétabli lors des débats à l'Assemblée nationale et l'état du droit n'a pas changé.

En second lieu, la communauté de vie des époux ne doit pas avoir cessé . Il convient de rappeler que la condition de communauté de vie est déjà exigée pour le renouvellement de la carte de séjour temporaire 91( * ) et qu'elle le serait désormais également pour la première délivrance de cette carte 92( * ) .

Examinée à la date de la décision administrative 93( * ) , la communauté de vie est une obligation mutuelle des époux 94( * ) qui disparaît si l'un des époux a introduit une procédure judiciaire en annulation du mariage. Elle n'implique pas obligatoirement la cohabitation, l'intention matrimoniale permettant de prouver l'existence de la communauté de vie 95( * ) .

Il revient toujours au préfet d'apporter la preuve de l'absence de communauté de vie.

En troisième lieu, le conjoint du ressortissant étranger doit avoir conservé la nationalité française à la date de la décision administrative car c'est en qualité d'époux ou d'épouse d'un citoyen français que le conjoint étranger peut acquérir la carte de résident.

Enfin, depuis la loi du 24 août 1993, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, il doit avoir été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français . Les actes d'état civil dressés en pays étranger qui concernent des Français sont transcrits soit d'office, soit sur la demande des intéressés, sur les registres de l'état civil de l'année courante tenus par les agents diplomatiques ou les consuls territorialement compétents ; cette transcription est mentionnée sommairement dans les fichiers tenus au ministère des affaires étrangères et dans les postes diplomatiques et consulaires 96( * ) .

Ainsi, les actes relatifs aux mariages contractés en pays étranger entre Français ou entre un Français et un étranger doivent être transcrits par les agents diplomatiques ou consulaires. Ces derniers ont d'ailleurs la possibilité de surseoir à la transcription afin d'informer le procureur de la République, lorsqu'il existe des indices sérieux laissant présumer que ce mariage encourt la nullité au titre des articles 184 (nullité pour non-respect des qualités et conditions requises pour pouvoir se marier ; défaut de consentement de l'article 146 du code civil), 190-1 (mariage frauduleux) et 191 (mariage non contracté publiquement et non célébré par l'officier public compétent) du code civil 97( * ) .

Le procureur se prononce sur la transcription dans un délai de six mois.

La transcription est donc une formalité substantielle dont le refus entraîne l'absence de reconnaissance des effets juridiques du mariage en France. Il semble donc logique qu'elle s'oppose à l'obtention d'une carte de résident par le conjoint étranger.

Par ailleurs, certaines catégories de personnes sont explicitement exclues de ce mode de délivrance de la carte de résident . Il s'agit tout d'abord des étrangers dont la présence sur le territoire constitue une menace pour l'ordre public , menace qui, plus généralement, interdit l'accès des personnes visées à tout titre de séjour.

La carte de résident ne peut être délivrée qu'aux étrangers séjournant régulièrement sur le territoire national : pendant la première année de mariage, les conjoints étrangers de ressortissants français peuvent obtenir une carte de séjour temporaire.

Enfin, selon l'article 15 bis de l'ordonnance précitée, issu de l'article 9 de la loi n° 93-1027 du 24 août précitée, « la carte de résident ne peut être délivrée à un ressortissant étranger qui vit en état de polygamie ni aux conjoints d'un tel ressortissant. Une carte de résident délivrée en méconnaissance de ces dispositions doit être retirée ». Contraire aux lois de la République et à l'ordre public, entendu comme les valeurs essentielles de la société reflétée par l'ordre juridique interne, la polygamie constitue un délit 98( * ) et ne peut donc, par conséquent, permettre à l'étranger et à ses conjoints de bénéficier d'un titre de séjour.

Environ 45.000  étrangers conjoints de ressortissants français bénéficient chaque année de titres de séjour.

En 2002, 28.048 cartes de résident (dont 7.083 premiers titres) ont été délivrées aux ressortissants étrangers conjoints de Français contre 26.257 (dont 7.034 premiers titres) en 2001 , par les préfectures de métropole, soit une augmentation de 6,8 % en un an 99( * ) .

Or, l'augmentation des mariages mixtes célébrés en France, d'ailleurs moindre que celle des mariages mixtes célébrés à l'étranger, va de pair avec l'accroissement des mariages contractés ayant pour seul objet de faire accéder le conjoint étranger au séjour et à la nationalité française. La connaissance précise du phénomène est difficile, ces faits, relevant de l'activité civile des parquets, n'étant pas comptabilisés par le ministère de la justice.

Cependant, l'ampleur de telles pratiques peut être estimée à travers les témoignages quotidiens des maires, officiers de l'état civil, des parquets et des services préfectoraux.

Par ailleurs, comme le rappelait le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales lors des débats en première lecture à l'Assemblée nationale, « Il n'y a pas l'ombre d'une polémique en la matière (...). Tous les gouvernements ont considéré que le problème se posait... 100( * ) ».

2. Le texte soumis au Sénat

Ainsi, comme le préconisait le rapport de M. Patrick Weil en 1997 et la version initiale du projet de loi RESEDA de 1998, le présent article tend à allonger de un à deux ans la durée de mariage nécessaire à un ressortissant étranger conjoint de Français pour obtenir une carte de résident . Les autres conditions à remplir par la personne concernée ne seraient pas modifiées.

Cette mesure s'inscrit avec les articles 7, 19, 35 quater, 36 et 37 du projet de loi dans un dispositif d'ensemble cohérent tendant à respecter la liberté matrimoniale tout en renforçant la lutte contre les mariages de complaisance , souvent organisés par de véritables filières d'immigration clandestine.

L'évolution des conditions requises par le premier alinéa
de l'article 15 de l'ordonnance du 2 novembre 1945
pour l'obtention de la carte de résident

Conditions de délivrance
de la carte de résident

Texte de référence

Conjoint étranger d'un ressortissant de nationalité française

Loi n° 84-622 du 17 juillet 1984

Etranger marié depuis au moins un an dont le conjoint est de nationalité française, à la condition que la communauté de vie des deux époux soit effective, sauf menace pour l'ordre public

Loi n° 86-1025 du 6 septembre 1986

Conjoint étranger d'un ressortissant de nationalité française

Loi n° 89-548 du 2 août 1989

Etranger marié depuis au moins un an avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie entre les époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil français, sauf menace pour l'ordre public ou polygamie

Loi n° 93-1027 du 24 août 1993

Sans changement

Loi n° 98-349 du 11 mai 1998

Etranger marié depuis au moins deux ans avec un ressortissant de nationalité française, à condition que la communauté de vie entre les époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état civil, sauf menace à l'ordre public ou polygamie

Projet de loi

Composante de la liberté individuelle, la liberté du mariage est constitutionnellement protégée et garantie par l'article 12 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales 101( * ) . Elle doit être conciliée avec « la sauvegarde de l'ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle » 102( * ) .

Le système retenu par cet article et le projet de loi s'inscrit dans ce souci d'équilibre. Il s'inspire également des mesures prises par l'Union européenne en matière de lutte contre les mariages de complaisance .

La résolution du conseil de l'Union européenne du 4 décembre 1997 103( * ) précise ainsi que « lorsqu'il y a des facteurs qui étayent des présomptions qu'il s'agit d'un mariage de complaisance, les Etats membres ne délivrent au ressortissant de pays tiers un permis de séjour ou une autorisation de résidence au titre du mariage qu'après avoir fait vérifier par les autorités compétentes selon le droit national que le mariage n'est pas un mariage de complaisance et que les autres conditions liées à l'entrée et au séjour sont remplies... ».

L'allongement de un à deux ans de la durée de mariage nécessaire pour l'obtention de la carte de résident, sans poser de difficultés aux conjoints dont le consentement lors du mariage était réel, tend délibérément à décourager l'utilisation et l'organisation frauduleuse de l'institution matrimoniale en vue d'obtenir le droit d'entrer et de séjourner en France.

Ainsi, les services compétents pourraient constater la réalité de la communauté de vie entre les époux et le respect des autres critères (maintien de la nationalité française du conjoint ; transcription éventuelle) à plusieurs reprises (délivrance et renouvellement de la carte de séjour temporaire; délivrance de la carte de résident), rendant la procédure contraignante pour les fraudeurs.

Cette réforme est justifiée eu égard à l'importance de la carte de résident dans le parcours d'intégration des étrangers et les avantages durables qui y sont liés .

Par coordination, l'article 35 A du projet de loi, issu d'un amendement de M Thierry Mariani, rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, viendrait rétablir la cohérence de l'état du droit en rétablissant à deux ans la durée du mariage nécessaire à l'acquisition de la nationalité, comme c'était déjà le cas entre 1993 et 1998.

Votre commission vous propose d'adopter l'article 11 sans modification.

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