CHAPITRE II -
LE RECOURS À L'ERAP : UN
IMPÉRATIF TECHNIQUE SANS PORTÉE POLITIQUE
Comme un actionnaire privé, l'Etat actionnaire doit veiller à la santé financière, au développement des entreprises et à la juste rémunération des capitaux investis, et, comme lui, il agit sous contraintes, qu'elles soient internes (les sources de financement ne sont pas illimitées) ou externes (contraintes communautaires en matière de concurrence ou d'aides d'Etat).
I. POURQUOI RECOURIR À L'ERAP ?
Le choix d'un établissement public existant a été fait, non pas « de façon (...) à ne pas ouvrir le débat législatif », comme a pu l'écrire un quotidien du soir 11( * ) , mais pour des raisons de simplicité et pour satisfaire aux règles communautaires en matière d'aides d'Etat. Ce texte-même et le débat qu'il occasionne en apportent aujourd'hui la preuve.
A. LE RECOURS OBLIGÉ À UN ÉTABLISSEMENT PUBLIC
1. Contraintes internes : le carcan budgétaire
L'octroi
d'avances d'actionnaires ou la dotation en capital aux entreprises dans
lesquelles l'Etat est actionnaire passe normalement par le compte d'affectation
spéciale des produits de cessions de titres, droits et parts de
sociétés n° 902-24. Ce compte est insuffisamment
doté en 2002, comme en 2003, pour participer à un refinancement
de France Télécom dont le montant à la charge de l'Etat
s'élèvera à 9 milliards d'euros.
Dans ce cadre,
une solution extra-budgétaire a dû être
trouvée
qui passe par la mobilisation d'un établissement
public existant pour porter les titres détenus par l'Etat dans France
Télécom et souscrire à l'augmentation annoncée du
capital du groupe.
Cet établissement public s'endettera donc avec la garantie de l'Etat
puis souscrira à l'augmentation de capital avant de rembourser son
emprunt au gré des échéances, notamment, grâce au
produit de la vente d'actions France Télécom
12(
*
)
.
Le refinancement de France Télécom n'aura donc pas d'incidence
directement budgétaire. En revanche, l'opération
programmée par le biais de l'ERAP affectera les finances publiques
françaises.
D'une part, l'octroi de sa garantie à l'ERAP constitue bien sûr un
engagement hors bilan de l'Etat qui figure à ce titre dans le Compte
Général de l'Administration des Finances (CGAF).
D'autre part, l'emprunt de l'ERAP, qui devrait être classé en
Organisme divers d'administration centrale (ODAC), augmentera sensiblement
la dette des administrations publiques
. 9 milliards d'euros de
dette supplémentaire, qui sont la contrepartie d'un investissement
porteur d'avenir et représentent
0,6 point de PIB
. La dette des
administrations publiques ayant été estimée, dans le
rapport économique et social joint au projet de loi de finances pour
2003, à 58,8 % du PIB pour 2003, elle devrait donc être
portée à 59,4 % du PIB.
2. Contraintes externes : les obligations communautaires
Les
contraintes communautaires ne sont pas d'ordre budgétaire. En effet,
les dépenses d'investissement d'un Etat ne sont pas
comptabilisées dans le déficit au sens de Maastricht
. Un
réinvestissement dans France Télécom prélevé
sur le budget général n'aurait donc pas eu d'incidence sur le
déficit « maastrichtien » et donc sur le respect ou
non par la France du Pacte de stabilité.
Les contraintes communautaires qui ont contribué à la
décision gouvernementale de recourir à une recapitalisation par
le biais d'un établissement public tiennent aux règles
communautaires en matière de concurrence. Ce sont
précisément les
articles 87 et 88 du Traité
instituant la Communauté européenne qui encadrent les aides
d'Etat.
L'article 87 du Traité dispose ainsi que « sauf
dérogations prévues dans le présent traité, sont
incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles
affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées
par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit
qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines
entreprises ou certaines productions. » Cette règle ne souffre
d'exception que lorsque l'aide peut être considérée comme
résultant du comportement d'un « investisseur
avisé ».
L'article 88 prévoit la procédure d'examen par la Commission de
la conformité à cet article 87 des régimes d'aides
existant dans les Etats membres. Il pose notamment l'obligation pour tout Etat
membre d'informer la Commission de tout projet tendant à instituer une
aide.
Le gouvernement français a respecté cette obligation en
informant la Commission
de son projet dès le 3 décembre 2002.
Le choix de confier à un établissement public la participation de
l'Etat au capital de France Télécom et à l'augmentation
prévue de ce capital présente en outre toutes les
garanties de
transparence, ce transfert autorisant une séparation comptable
très claire de toutes les opérations entre France
Télécom et son actionnaire public et permettant un suivi dans le
temps de cette opération patrimoniale pour l'Etat.
La décision de la Commission d'ouvrir le 30 janvier 2003 une
procédure au titre de l'article 88 vise à vérifier la
conformité à l'article 87 du plan d'action
13(
*
)
élaboré par France
Télécom et reposant sur le soutien de son actionnaire
majoritaire. A cet égard, votre rapporteur souligne que
la
participation de l'Etat au renforcement de France Télécom
relève d'une attitude similaire à celle d'un investisseur
privé qui aurait été également amené
à apporter des capitaux d'un montant équivalent, eu égard
aux informations disponibles et aux évolutions prévisibles de
l'entreprise à la date de cet apport en capital.