Article 20
Cellules embryonnaires ou foetales issues
d'interruptions de grossesse

Objet : Cet article précise le régime des cellules embryonnaires ou foetales issues d'interruptions de grossesse, s'agissant de leur prélèvement, de leur conservation et de leur utilisation.

I - Le dispositif proposé


Le présent article propose d'insérer un nouvel article L. 1241-5 dans le code de la santé publique au sein du chapitre relatif au prélèvement et à la collecte des tissus, cellules et produits issus du corps humain.

Le texte proposé pour l'article L. 1241-5 précise le statut juridique des tissus et cellules embryonnaires ou foetaux prélevés à la suite d'une interruption de grossesse. Il est composé de cinq alinéas :

- le premier prévoit que ces tissus ou cellules ne peuvent être prélevés qu'à des fins scientifiques ou thérapeutiques, et que la personne ayant subi l'interruption de grossesse, après avoir reçu une information appropriée sur les finalités du prélèvement, dispose de la faculté de s'y opposer ;

- le deuxième alinéa prohibe tout prélèvement sur mineure ou majeure protégée sauf afin de rechercher les causes de l'interruption de grossesse ;

- le troisième alinéa dispose que lorsque ces produits sont conservés, ils sont soumis aux principes généraux du code de la santé publique relatifs aux don et utilisation des produits du corps humain, tels que modifiés par le présent projet de loi à son article 5 ;

- le quatrième alinéa prévoit l'obligation d'établir un protocole pour les prélèvements à des fins scientifiques, protocole soumis à l'APEGH qui en communique la liste à l'EFG et au ministre en charge de la recherche ;

- le cinquième alinéa prévoit, enfin, que ce ministre peut suspendre ou interdire ces protocoles lorsque leur nécessité ou leur pertinence scientifique n'est pas établie.

II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a modifié à quatre reprises la rédaction proposée pour l'article L. 1241-5 du code de la santé publique :

- à l'initiative de sa commission spéciale, elle a adopté un amendement ajoutant à la liste des finalités possibles de ces prélèvements, scientifiques ou thérapeutiques, la finalité diagnostique afin de permettre de déterminer les causes d'une interruption non volontaire de grossesse ;

- à l'initiative de sa commission spéciale et de M. Jean-François Mattei et plusieurs de ses collègues, elle a adopté un amendement disposant que l'information relative à la finalité du prélèvement doit être postérieure à la décision prise par la femme d'interrompre sa grossesse ;

- à l'initiative de sa commission spéciale, elle a adopté un amendement rédactionnel précisant que la pertinence des protocoles est appréciée d'un point de vue « scientifique ».

III - La position de votre commission

Une carence législative ancienne


Les interrogations relatives à l'utilisation des tissus et cellules foetaux issus d'une interruption de grossesse sont anciennes. Elles ont fait l'objet du premier avis rendu par le Comité consultatif national d'éthique, le 22 mai 1984. A cette occasion, ce Comité a formulé quatre principes :

- « l'embryon ou le foetus doit être reconnu comme une personne humaine potentielle qui est ou a été vivante et dont le respect s'impose à tous » . De ce principe, il déduit deux interdits : la recherche in utero ou le maintien artificiel de la vie du foetus à des fins de recherche, et l'utilisation commerciale ou industrielle de ces derniers ;

- « les principales objections d'ordre éthique élevées contre la légitimité des prélèvements de tissus d'embryons ou de foetus morts ont pour cause la provenance de ceux-ci lorsque leur mort est due à une interruption volontaire de grossesse » . Le comité prévoit à ce titre la nécessité d'une clause de conscience pour les praticiens ne souhaitant pas se livrer à de tels prélèvements et pour les autres, deux catégories de directives à suivre.

Les premières sont d'ordre éthique et visent à limiter les finalités de ces recherches. Ainsi le prélèvement à des fins thérapeutiques « doit avoir un caractère exceptionnel justifié, en l'état actuel des connaissances, à la fois par la rareté des maladies traitées, l'absence de toute autre thérapeutique également efficace, et l'avantage manifeste, tel que la survie, que retirera le bénéficiaire du traitement ». Les prélèvements à des fins de recherche, quant à eux, doivent « poursuivre un but spécialement important et spécialement utile au progrès des thérapeutiques ». Dans tous les cas, le comité prévoit le recours à un comité d'éthique qui apprécie la conformité des prélèvements aux principes susmentionnés.

Les directives déontologiques et médicales visent d'une part à préserver les intérêts de la femme, et pour cela, que « la décision et les conditions de l'interruption de grossesse ne doivent en aucun cas être influencées par l'utilisation ultérieure possible ou souhaitée de l'embryon ou du foetus ». Le Comité a en outre insisté pour qu'« une totale indépendance soit établie et garantie, sous le contrôle du Comité d'éthique, entre l'équipe médicale qui procède à l'IVG et l'équipe susceptible d'utiliser les embryons ou les foetus » ;

- il a précisé que « seuls peuvent être utilisés les embryons ou foetus n'ayant pas atteint le seuil de la viabilité et dont la mort a été préalablement constatée » ;

- enfin, « les prélèvements de tissus embryonnaires ou foetaux à des fins thérapeutiques ou scientifiques peuvent être interdits par la mère ou le père qui disposent de la faculté de s'y opposer. »

Pour autant, ces directives nombreuses et précises n'ont pas fait l'objet d'une traduction législative, la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 restant silencieuse sur la question du prélèvement de tissus et cellules foetaux et embryonnaires.

Dans leur rapport relatif à l'application de cette loi, MM. Claude Huriet et Alain Claeys 91( * ) ont rappelé les enjeux de cette question :

« Cette question, déjà posée sous l'empire de la loi Caillavet, n'a pas été davantage tranchée par le législateur de 1994 qui ne l'a même pas évoquée dans les travaux préparatoires.

« La finalité de ces prélèvements, en dehors des visées diagnostiques qui ne posent pas de problème, peut être thérapeutique ou scientifique.

« Sur le plan thérapeutique, la transplantation de cellules souches hépatiques embryonnaires a été réalisée pour traiter les déficits immunitaires héréditaires. Plus récemment, se sont développées des recherches sur l'intérêt des transplantations de cellules nerveuses embryonnaires pour le traitement de certaines maladies neurovégétatives : maladie de Parkinson, chorée de Huntington.

« Dans le silence de la loi, certains juristes ont cru pouvoir considérer que le régime des résidus opératoires s'appliquait
de plano aux prélèvements et à l'utilisation des tissus, cellules ou produits d'embryons ou de foetus humains morts des suites d'une intervention médicale et, notamment, d'une interruption volontaire de grossesse. Rien, dans les travaux préparatoires, ne permet de l'affirmer et ceux-ci autorisent même une argumentation inverse : en effet, si la notion de déchet opératoire a pu être jugée insuffisante pour inclure le placenta (celui-ci ayant été rajouté au cours de la navette), il est difficilement admissible qu'elle s'applique, sans disposition expresse, aux prélèvements sur foetus et embryons morts . »

Certes les auteurs de l'évaluation soulignent que « face à la carence de la loi, les professionnels se réfèrent, pour guider leur pratique, aux avis du Comité consultatif national d'éthique » .

Mais, c'est à juste titre qu'ils concluent que « la multiplication vraisemblable de ces types de greffes à partir de prélèvements embryonnaires et foetaux nécessitera sans doute une intervention du législateur , les lacunes des textes ne pouvant être comblées par les seuls avis d'une instance consultative, si éminente qu'elle soit ». C'est en partie chose faite par les dispositions du présent article 20.

Des difficultés en suspens ?

Le présent article résout sans nul doute la plupart des difficultés qu'entraînait l'absence de régime juridique pour les tissus et cellules prélevés au cours d'une interruption de grossesse. Il est aujourd'hui bien établi qu'en aucun cas ces tissus peuvent être assimilés à des résidus ou déchets opératoires.

Cela étant, un certain nombre de questions restent posées.

Il s'agit en premier lieu de la nature du consentement de la femme subissant l'interruption de grossesse. La règle du consentement présumé est-elle en elle-même satisfaisante ? A cet égard, M. Jean-François Mattei, député, a proposé à la commission spéciale de l'Assemblée nationale « que la personne consente expressément au prélèvement. [Estimant que] le choix visant à lui reconnaître qu'un droit de s'y opposer relève d'une conception contestable des modes d'expression du consentement » 92( * ) .

La séparation des activités de prélèvement des activités médicales d'interruption n'est pas consacrée alors même que le comité consultatif d'éthique la faisait figurer parmi les principes déontologiques essentiels.

La place du père est, là encore, une des difficultés suscitées par le présent texte. Doit-on, ainsi que l'envisage le comité d'éthique, prévoir la faculté d'opposition de ce dernier ? Votre rapporteur, qui n'ignore pas que la présence du père est hasardeuse dans le processus d'une interruption de grossesse dont la décision in fine appartient à la mère, ne voit pas en l'état comment assurer la conciliation de ces principes.

Votre commission vous propose néanmoins d'adopter un amendement précisant que le droit de veto du ministre de la recherche sur les protocoles prévus par cet article s'exerce également au regard du respect des « principes éthiques» , c'est-à-dire, selon une formule similaire à celle prévue par l'article L. 2151-3 du code de la santé publique (article 19 du présent projet de loi) pour autoriser la recherche sur l'embryon. Il sera bien évidemment compris que cette référence est constituée des principes éthiques susmentionnés, formulés par le Comité consultatif national d'éthique.

Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.

Page mise à jour le

Partager cette page