CHAPITRE IV
-
RECHERCHE SUR L'EMBRYON ET LES CELLULES EMBRYONNAIRES ET
FoeTALES
Sur proposition de M. Nicolas About, président, votre commission a adopté un amendement proposant qu'à l'actuel intitulé proposé pour le chapitre IV soit substitué un intitulé plus large :
« Recherche sur l'embryon et les cellules souches humaines ».
Article 19
Recherche sur l'embryon et les cellules
embryonnaires
Objet : Cet article détermine les conditions
dans
lesquelles pourraient être menées des recherches sur l'embryon
humain.
I - Le dispositif proposé
Le
I
du présent article procède, selon le syndrome dit
« du pont de la rivière Kwaï »
,
diagnostiqué par votre rapporteur
84(
*
)
, à un déplacement du
titre V (dispositions pénales) du livre premier de la
deuxième partie du code de la sécurité sociale, qui
devient un titre VI
(cf. article 21 du présent projet de loi)
avant que le II
(cf. ci-après)
ne le rétablisse avec un
contenu différent.
Le
II
consacre ce nouveau titre V à la
recherche sur l'embryon
et les cellules embryonnaires
.
Le chapitre unique proposé pour ce titre prévoit quatre
articles :
L'article L. 2151-1
reproduit le troisième alinéa de
l'article L. 16-4 du code civil résultant de l'article 15 du
présent projet de loi portant interdiction du clonage reproductif ;
L'article L. 2151-2
prévoit l'interdiction de créer
des embryons à des fins de recherche ;
L'article L. 2151-3
définit les conditions dans lesquelles
peuvent être menées des recherches sur l'embryon.
Le
premier alinéa
de l'article L. 2151-3 prévoit que ces
recherches doivent avoir une finalité médicale et ne pouvoir
être menées par une
« méthode alternative
d'efficacité comparable en l'état des connaissances
scientifiques »
.
Le
deuxième alinéa
prévoit que cette recherche ne
peut avoir lieu que sur des embryons
« surnuméraires », c'est-à-dire ne faisant
plus l'objet d'un projet parental, après que les membres du couple,
informés des alternatives pour cet embryon -accueil ou arrêt de
leur conservation-, aient consenti à cette recherche. Ce consentement
préalable est exprimé par écrit, après un
délai de réflexion. L'embryon sur lequel une recherche a
été conduite ne peut plus faire l'objet d'un transfert.
Le
troisième alinéa
impose la nécessité d'un
protocole agréé par l'APEGH pour toute recherche sur l'embryon.
L'Agence se prononce au regard de la pertinence scientifique, médicale
et éthique du projet de recherche.
Le
quatrième alinéa
prévoit la suspension ou le
retrait de l'agrément par les ministres compétents (santé
et recherche) en cas de non-respect des dispositions législatives en
vigueur.
L'article L. 2151-4
prévoit que les modalités
d'application du présent article seront prises par décret en
Conseil d'Etat, après avis de l'APEGH.
II - Les modifications adoptées par l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a modifié cet article à sept
reprises.
A l'initiative de sa commission spéciale, elle a adopté :
- un amendement de coordination de l'amendement adopté à
l'article 18 pour l'article L. 2141-1-1du code de la santé publique
qui prévoit une évaluation des nouvelles techniques d'AMP. Cette
dernière proposition suppose la création d'embryons à des
fins de recherche. Il fallait donc prévoir une exception à
l'interdiction de principe posée par l'article L. 2151-2 ;
- un amendement fixant à
« trois mois »
le délai de réflexion à l'issue duquel le couple peut
consentir à la recherche sur l'embryon ;
- un amendement prévoyant une double précision : la
première indique que le « transfert »
«
à des fins de gestation
» de
l'embryon est rendu impossible par la recherche dont il a été
l'objet, (la précision tient à l'ajout des termes
« à des fins de gestation ») ; la seconde
prévoit que le consentement à ces recherches par le couple est
révocable sans forme et à tout moment ;
- un amendement rédactionnel et un amendement de conséquence.
L'Assemblée nationale a, en outre, adopté, sur proposition de
Mme Marie-Thérèse Boisseau et de sa commission
spéciale, deux amendements visant à :
- supprimer dans la deuxième phrase du deuxième
alinéa du texte proposé pour l'article L. 2151-3 les mots
« des deux membres »,
les membres d'un couple
étant en effet rarement trois ;
- insérer dans la deuxième phrase du deuxième
alinéa de l'article L. 2151-3 les mots
« par ailleurs
dûment »
afin de préciser la portée de
l'information reçue par le couple avant qu'il puisse consentir à
une recherche sur l'embryon.
III - La position de votre commission
Le droit en vigueur
Votre rapporteur ne commentera pas longuement les motifs du législateur
de 1994 qui a choisi de ne pas autoriser la recherche sur l'embryon.
L'étude réalisée par le Conseil d'Etat en 1999,
présentée dans l'exposé général, commente
les tenants et les aboutissants dudit choix.
Aujourd'hui, la recherche en France sur l'embryon ou les cellules qui en sont
issues est interdite. Le pouvoir réglementaire a fait une stricte
interprétation de ces dispositions. Ainsi la tentative en 2002 de
M. Roger-Gérard Schwarzenberg, alors ministre de la recherche,
d'importer des cellules souches embryonnaires à des fins de recherche,
n'a pu aboutir.
L'échec d'une tentative d'importation de cellules
embryonnaires à des fins de recherche
1°
Les faits
Fin mars 2002, le ministre de la recherche, M. Roger-Gérard
Schwarzenberg annonce son intention d'autoriser l'importation de cellules
souches pluripotentes d'origine embryonnaire en provenance d'Australie à
des fins de recherche, en s'appuyant sur les dispositions du décret du
23 février 2000 relatif à l'importation ou l'exportation de
produits et éléments du corps humain.
Le 30 avril 2002,
à la veille de quitter ses fonctions, il autorisait le CNRS à
importer lesdites cellules pour effectuer des recherches scientifiques.
Fin juin, une association a saisi le Conseil d'Etat pour obtenir la suspension
de l'exécution de la décision ministérielle autorisant le
CNRS à pratiquer des recherches sur des cellules souches embryonnaires
importées.
2° L'arrêt du Conseil d'Etat
Le Conseil d'Etat
a formulé un
« doute
sérieux sur la légalité de la décision
attaquée »
, le ministre ne pouvant prendre à
l'époque une décision sans méconnaître les
dispositions de l'article L. 2141-8 du code de la santé publique
qui
interdisent la conception
in vitro
d'embryon à des fins de
recherche, ainsi que l'expérimentation sur ce dernier.
Le 13 novembre 2002, le Conseil d'Etat a ordonné la suspension de
l'exécution ministérielle attaquée jusqu'à
l'expiration d'un délai de quatre mois (13 mars 2003), délai
devant permettre au tribunal administratif de Paris d'instruire la
décision contestée.
Votre rapporteur formulera à ce stade deux remarques :
- il n'était sans aucun doute impossible d'arguer que le
présent projet de loi, adopté en première lecture par
l'Assemblée nationale, permettait, en effet, que soit remise en cause la
volonté du législateur de 1994. Jusqu'à la promulgation du
présent projet, la loi du 29 juillet 1994 demeure le droit en
vigueur ;
- la question de l'importation de cellules souches pour effectuer des
recherches scientifiques ou thérapeutiques pose en soit une
difficulté d'ordre éthique : peut-on s'autoriser à
« prélever à l'étranger », ce en quoi
consistait l'importation, au motif que, pour des raisons éthiques, le
prélèvement sur des embryons en France est interdit ? Votre
rapporteur ne le pense pas.
Les perspectives de la recherche
Des expériences menées sur des rongeurs ont mis en
évidence, voilà une dizaine d'années, la
possibilité de cultiver des
cellules souches embryonnaires
, dites
« cellules E.S
» qui, au contact d'un certain
milieu, ont le pouvoir de se transdifférencier en cellules
potentiellement donneuses de tissus nerveux, sanguin, osseux, musculaire, etc.
Une expérience plus récente, conduite sur le rat, a montré
que l'injection directe de cellules cultivées pouvait provoquer une
réparation de lésions dans la zone où elles étaient
inoculées.
La question de la transposition de ces cellules à l'homme s'est donc
naturellement posée, en ce qu'elle pourrait représenter un
prémisse de piste thérapeutique contre des pathologies diverses
telles que la maladie de Parkinson ou le diabète.
En outre, certaines des caractéristiques des cellules pluripotentes
s'apparentent aux caractéristiques des cellules
précancéreuses. Leur état instable offre un modèle
d'étude pour, éventuellement un jour, mieux comprendre les
mécanismes qui transforment une cellule vers un état
cancéreux.
Mais les perspectives suscitées par les recherches sur les cellules
embryonnaires ne sont pas uniques. Certaines
cellules souches chez
l'adulte
sont capables de se multiplier, de générer des
copies de ces cellules ainsi que de se
« transdifférencier », telles les cellules souches
hématopoïétiques (moelle osseuse) qui pourraient donner des
cellules spécialisées (chondrocytes cartilagineux, globules
rouges, blancs, plaquettes, etc.).
A Milan (Italie), les travaux de l'équipe du professeur Vescovi ont
démontré, sur des souris, l'étonnante capacité de
certaines cellules souches nerveuses adultes à se transformer
in
vivo
en précurseurs médullaires
hématopoïétiques et d'engendrer les lignées des
cellules sanguines. Cette découverte montre la vitesse à laquelle
les perspectives offertes par l'une ou l'autre voie évoluent et
interdisent véritablement de trancher.
Or, l'utilisation de telles cellules ne pose pas, à la différence
des cellules embryonnaires, de difficultés éthiques.
Doit-on et peut-on en limiter le champ de la recherche sur les seules cellules
souches adultes ?
Pour sa part, le Conseil d'Etat
85(
*
)
, estime que
« les
expérimentations viennent poser sous un jour nouveau la question de la
recherche sur l'embryon. En effet, bien que des expériences
récentes montrent que les cellules souches présentes dans tous
les tissus dont elles assurent le renouvellement sont capables de se comporter
plus ou moins efficacement comme des cellules souches d'autres tissus,
les
cellules embryonnaires issues du blastocyste ou les cellules germinales
primordiales par leur pluripotence sont les meilleurs modèles pour
comprendre le processus de différenciation cellulaire et servir de base
à l'élaboration de lignées cellulaires
différenciées.
Cela ne veut pas dire que les thérapies
cellulaires auront nécessairement comme base dans l'avenir, des cellules
souches embryonnaires mais que, sans l'étude de ces cellules,
il est
probablement illusoire d'espérer que ces thérapies cellulaires
puissent voir le jour à partir d'autres cellules souches existant dans
les organismes adultes
»
.
De même, la Commission nationale de bioéthique américaine,
en remettant son rapport au président Clinton, avait en 1999
déclaré qu'
«
en raison des
importantes différences biologiques qui séparent les cellules
souches adultes et embryonnaires, cette source de cellules souches ne devrait
pas être considérée comme une alternative à la
recherche sur les cellules ES et EG »
.
MM. Alain Claeys et Claude Huriet
86(
*
)
, qui commentent ces propos,
déclarent ne pas souscrire «
à ce point de vue et
(pensent)
que ces deux voies doivent être explorées avec la
même détermination. L'un des éminents scientifiques que
nous avons entendus, américain de surcroît, ne professe pas une
opinion opposée : « il n'existe pas tant une
compétition entre cellules qu'une compétition entre chercheurs
qui utilisent différentes sources de cellules. Elle permettra de
déterminer les cellules qui se prêtent le mieux aux applications
cliniques. Exclure l'une ou l'autre approche ne serait pas
bénéfique à long terme ».
Au stade actuel de la science, chacune des deux techniques doit être
développée. Mais cette question, votre rapporteur l'a
déjà dit, doit être traitée avec une grande
prudence, notamment vis-à-vis des malades et de leurs familles, car ces
techniques n'en sont qu'à des balbutiements et ne laissent pas entrevoir
de perspectives thérapeutiques concrètes à court terme.
Quel potentiel pour les cellules souches
adultes ?
Les
avancées récentes de la recherche fondées sur
l'expérimentation animale laissent entrevoir la possibilité de
progrès médicaux décisifs à partir de ces cellules
souches adultes.
Si les propriétés des cellules souches adultes mises
récemment en évidence chez l'animal et, principalement, leur
pouvoir élevé de transdifférenciation, sont transposables
à l'homme, on perçoit aisément les importantes ressources
qu'elles peuvent offrir à la thérapie cellulaire.
Deux avantages doivent être soulignés :
- prélevées sur l'organisme adulte,
elles ne soulèvent,
au plan éthique, aucune objection
dès lors que seront
respectées par ailleurs les règles générales
touchant le recueil du consentement et l'évaluation du
bénéfice-risque ;
- si l'on parvient à isoler les cellules d'un patient puis à
conduire
in vitro
leur division et leur spécialisation, on
pourra pratiquer des greffes autologues permettant de résoudre les
problèmes d'immunocompatibilité sans passer par le clonage
thérapeutique, méthode dont nous avons pu souligner le
caractère coûteux, complexe et controversé.
Pour autant, on ne doit pas sous-estimer les limites importantes auxquelles se
heurte pour l'instant l'utilisation des cellules souches adultes :
- s'il est bien établi que ces cellules peuvent se multiplier en
culture en conservant leur caractère propre, leur division n'est pas
infinie, contrairement à celle des cellules souches embryonnaires, de
sorte que leur développement en culture tissulaire est, lui-même,
nécessairement limité ;
- elles n'ont pas été isolées dans tous les tissus du
corps humain : ainsi n'a-t-on pas pu localiser des cellules souches
cardiaques ou pancréatiques ;
- l'utilisation de ces cellules en greffe autologue requiert au
préalable qu'elles soient isolées et mises en culture en nombre
suffisant pour obtenir les quantités nécessaires au traitement.
En cas de trouble aigu nécessitant une intervention rapide, le
délai risque d'être trop court pour parvenir à ce
résultat ;
- d'après les études menées sur les animaux, les
cellules souches dérivées du système nerveux central n'ont
pas le profil génétique des cellules souches
« normales » observées au cours de
l'embryogenèse. John Gearhart se déclare
« préoccupé »
par leur
évolution après la greffe, certains résultats tendant
à prouver qu'elles pourraient ne pas se différencier ;
- le recours à la greffe autologue pour le traitement des maladies
génétiques peut poser problème si l'anomalie affecte les
cellules souches destinées à la transplantation.
Rapport
de l'OPESCT sur le clonage, la thérapie cellulaire
et l'utilisation
thérapeutique des cellules embryonnaires, p.65
La
proposition de votre commission
Votre commission n'ignore rien des perspectives ouvertes par la science de
même que les difficultés éthiques qu'engendre l'utilisation
des embryons humains ou des cellules qui en sont issus à des fins de
recherche médicales ou thérapeutiques.
Il a souvent été affirmé que de telles recherches devaient
être autorisées pour des raisons de compétition
internationale. Cet argument est sans doute le moins pertinent. De nombreux
pays n'autorisent pas ces recherches. Cela ne présume en rien de la
qualité de leur recherche médicale.
Le Conseil d'Etat avait, pour sa part, formulé trois pistes d'ouverture
pour la recherche sur l'embryon :
- la possibilité de mener des recherches larges, sur l'embryon et
les cellules souches embryonnaires ;
- la possibilité de mener des recherches sur les seules cellules
embryonnaires ;
- l'opportunité de prévoir un caractère transitoire
pour cette recherche.
Votre commission ne souhaite pas remettre en cause les principes
affirmés par le législateur de 1994.
Aussi, propose-t-elle un
amendement
pour le premier alinéa de
l'article L. 2151-3 du code de la santé publique afin d'affirmer
que la recherche sur l'embryon humain est interdite
.
Le législateur de 1994 avait ouvert la faculté de procéder
à des
études
qui ne remettent pas en cause
l'intégrité de l'embryon. Cette faculté a donné
lieu à une dizaine de demandes de protocoles et cinq recherches seraient
conduites. Cette faculté, qui a été implicitement
supprimée par le 3° de l'article 18, ne doit pas être
abrogée. Il doit perdurer une distinction entre la recherche sur
l'embryon, qui,
in fine
, porte atteinte à son
intégrité et l'étude qui ne l'affecte pas. Votre
commission vous propose donc un
amendement
insérant un nouvel
alinéa qui prévoit le maintien de cette faculté de
conduire des études qui ne portent pas atteinte à l'embryon.
Votre commission ne souhaite pas fermer une porte à la recherche de
manière définitive mais constate qu'une telle recherche est une
transgression du principe de protection de la vie dès son commencement.
Elle souhaite aussi que l'autorisation soit strictement encadrée. Aussi,
propose-t-elle un
amendement
introduisant un nouvel alinéa afin
que la recherche sur l'embryon et les cellules embryonnaires soit assortie de
toutes les garanties possibles :
- cette transgression doit être transitoire. Un délai de cinq
ans permettra peut-être de vérifier que l'utilisation des cellules
souches adultes rend inutile le recours à l'embryon. Aussi, cette
dérogation est prévue pour une durée de cinq ans ;
- cette transgression ne saurait concerner que des embryons
surnuméraires, c'est-à-dire créés dans le cadre
d'une AMP mais ne faisant plus l'objet d'un projet parental, la création
d'embryons pour la recherche devant demeurer un tabou absolu ;
- le recours à une recherche sur l'embryon doit constituer un
dernier ressort, dans le cas où aucune autre technique n'a pu s'y
substituer. Il faudra donc apporter la preuve que des essais
réalisés notamment sur les primates ont justifié de
l'intérêt d'une telle recherche sur l'embryon. Il serait
insupportable que, pour des raisons de coûts, l'utilisation de l'embryon
humain soit préférée à toute autre technique
d'expérimentation sur les animaux ;
- la pertinence des recherches devra en outre être
démontrée en regard de ses perspectives thérapeutiques. Il
ne saurait être question de poursuivre des recherches à des fins
industrielles ou commerciales. L'APEGH ou la nouvelle agence de
biomédecine sera ici sollicitée pour viser le contenu des
protocoles et s'assurer, notamment via son conseil d'orientation médical
et scientifique, de la conformité éthique et scientifique de ces
derniers à la volonté exprimée par le
législateur ;
- votre rapporteur préconise enfin de faire figurer les termes
embryons et cellules souches embryonnaires mais pour des finalités
différentes. Il doit être entendu que des recherches sur l'embryon
doivent pouvoir être menées sur ce dernier afin de faire
progresser la médecine embryonnaire. La recherche thérapeutique
doit porter, pour sa part, sur les seules cellules souches embryonnaires. M.
Jean-François Mattei l'a rappelé devant votre
commission
87(
*
)
:
« La recherche sur l'embryon qui profite à l'embryon
lui-même ou d'ailleurs à d'autres embryons, me paraît une
ouverture indispensable, sauf à rester dans une espèce de statut
assez invraisemblable où l'on dirait : «On le respecte
tellement qu'on ne veut pas lui venir en aide le cas
échéant !». La recherche sur l'embryon, malgré
la difficulté et malgré le fait que, dans un certain nombre de
situations, cet embryon ne survivra probablement pas -mais d'autres
pourront bénéficier de ces recherches- me paraît donc
devoir être désormais ouverte, dans des conditions très
strictes, très fermement encadrées, car la médecine en est
arrivée à l'embryon, qu'elle considère comme accessible
à son diagnostic et à son éventuelle thérapeutique.
La recherche sur l'embryon dans des conditions précises doit donc
être à mon sens désormais autorisée. On passe
insensiblement de l'étude à la recherche, et je ne vois pas
comment nous pourrions l'éviter ».
Il appartiendra à l'APEGH de veiller au respect de la distinction entre
la recherche sur les cellules souches embryonnaires, à des fins
thérapeutiques et la recherche sur l'embryon dans un but
d'amélioration de la médecine de l'embryon.
Par
amendement
au troisième alinéa de l'article L. 2151-3,
votre commission prévoit, en outre, que chacun des ministres
chargés de la santé et de la recherche dispose d'un droit de veto
à l'encontre des décisions d'autorisation des protocoles de
recherche par l'APEGH. En clair, cela veut dire que le ministre de la
santé pourra s'opposer à une recherche quand bien même son
collègue chargé de la recherche serait favorable à
l'autorisation accordée par l'Agence.
En outre, votre commission précise que les avis du Conseil d'orientation
médical et scientifique sont communiqués « en temps
réel » aux ministres afin d'éclairer l'exercice de leur
droit de veto sur les décisions de l'Agence.
La question du clonage thérapeutique
Votre commission tient à affirmer deux interdits : la
création d'embryon à des fins de recherche et le clonage
thérapeutique.
Il a été précisé, dans l'exposé
général ainsi qu'au cours du commentaire de l'article
précédent, les raisons pour lesquelles ces recherches ne
sauraient, sous aucun motif, être autorisées.
Votre rapporteur détaillera en revanche les raisons qui l'amènent
à refuser le principe du clonage thérapeutique.
Le principe du clonage thérapeutique est le transfert au sein d'un
ovocyte énucléé d'une cellule souche adulte qui, du fait
de son milieu, développe la potentialité d'un embryon. Devant
votre commission, M. Axel Kahn, en mettant des
« guillemets », a défini
« le clonage
thérapeutique, comme la fabrication d'embryons humains par transfert de
noyau à partir d'une cellule somatique »
. Ces
dernières cellules, que l'on tenterait de transdifférencier pour
produire les cellules recherchées (sanguines, musculaires, organiques,
etc.) auraient l'avantage d'être immunocompatibles avec le receveur
puisqu'elles en dériveraient.
En l'état actuel des choses, trois risques décisifs incitent
votre commission à repousser cette pratique.
Le premier de ces risques est d'ordre éthique
. Les risques pris
sous cet aspect sont importants. Il s'agit de permettre le développement
d'une technique en tout point identique avec le clonage reproductif. Votre
rapporteur l'a dit dans son avant-propos. M. Axel Kahn l'a rappelé
devant votre commission
88(
*
)
:
« Le premier scientifique qui, soi-disant pour les besoins d'un
clonage thérapeutique dont l'utilité thérapeutique n'est
pas claire, publiera dans une grande revue scientifique la technique
« clés en main » pour fabriquer des embryons
humains, donnera rapidement et très simplement à M. Antinori
et aux raëliens la technique qui leur manque peut-être aujourd'hui
pour passer à l'acte. Finalement, l'utilité thérapeutique
paraît incertaine et celle pour la recherche possible. Les
éléments négatifs me semblent donc, aujourd'hui,
l'emporter de loin sur les éléments positifs »
.
Le second de ces risques est d'ordre technique
. Pour réaliser ce
clonage thérapeutique -certains disent cellulaire- il faut disposer d'un
grand nombre d'ovocytes. Le don d'ovules féminins ne va pas de soi. Il
en résulterait les risques des pires trafics conduisant à une
marchandisation du corps humain dont seraient victimes, comme souvent, les plus
faibles. Des scientifiques préconisent le recours à des ovocytes
d'origine animale. Une expérience a même pu être
menée à partir d'ovocytes bovins. MM. Claude Huriet et Alain
Claeys rappellent dans leur rapport
89(
*
)
:
« De nombreux scientifiques expriment leur scepticisme face
à cette annonce spectaculaire
. Pour le professeur Thibault,
l'expérience visant à fusionner un noyau humain et un ovocyte de
bovin est « hérétique du point de vue du fonctionnement
cellulaire : la température de l'ovocyte bovin est de 39°5,
celle de l'ovocyte humain de 37°, et tout donne à penser que cette
différence perturbe les mécanismes moléculaires,
biochimiques et enzymologiques ». John Gearhart rappelle que, chez
les espèces animales, les gènes situés dans le noyau et
les gènes situés dans le cytoplasme ont connu une
évolution qui n'est pas seulement génétique mais
cytoplasmique. « On sait, grâce à des études de
laboratoire, que le noyau et le cytoplasme ne peuvent pas être
échangés entre espèces. Lorsqu'ils le sont, le
métabolisme ne peut pas se mettre en place.
Il est donc difficile de
concevoir qu'une expérience consistant à implanter des noyaux
humains dans des ovocytes bovins puisse aboutir
».
Le dernier risque est d'ordre médical
. Les tentatives
menées sur les animaux font apparaître des risques d'effets
pathologiques durables, qui justifient que des expérimentations sur les
animaux soient menées sérieusement avant d'envisager tout recours
à l'homme. Ainsi le rapport de l'OPECST précité
90(
*
)
évoque les commentaires du
professeur Samarut :
« Certains chercheurs, tel Jacques Samarut, se déclarent
défavorables au clonage thérapeutique qui présente,
à leur point de vue, d'énormes risques : à partir du
moment où l'on prélève un noyau sur une cellule
déjà engagée dans une voie de différenciation, on
ne peut être certain de l'intégrité de son patrimoine
génétique. On sait que dans un tissu somatique, la proportion de
cellules qui renferment des anomalies génétiques est très
importante. On pourra détecter un réarrangement chromosomique
mais non des anomalies ponctuelles et ce risque paraît trop
élevé pour une utilisation thérapeutique »
.
Ainsi votre commission préconise-t-elle, pour ces trois raisons, de
prévoir l'interdiction de création d'embryons par FIV comme par
clonage à des fins de recherches.
Sous le bénéfice de ces observations, elle vous propose
d'adopter cet article ainsi amendé.