Article 18 bis
Dispositions permettant d'assurer la filiation et les droits successoraux
de l'enfant né d'un transfert d'embryon réalisé après le décès du père

Objet : Cet article, introduit par l'Assemblée nationale, organise les conséquences sur le plan civil et successoral de la possibilité qu'elle a ouverte d'un transfert d'embryon post mortem.

I - Le dispositif proposé


Le présent article a été introduit par l'Assemblée nationale, afin de prévoir, par coordination, les conséquences sur le plan civil et successoral de la possibilité ouverte par l'article 18 ( cf. commentaire ci-dessus) de transfert d'embryon post mortem .

Votre rapporteur salue l'ingénierie juridique mise en place par la commission spéciale de l'Assemblée nationale et par, semble-t-il, les services de la Chancellerie.

La présentation de cet article nouveau, tel qu'il figure dans le rapport de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, en témoigne :

« Le I tend à modifier le titre VII du livre Ier du code civil relatif à la filiation.

« Le 1° du I a pour objet d'assurer la filiation de l'enfant ou des enfants nés d'un transfert d'embryon post mortem dans la section IV, relative à la procréation médicalement assistée, du chapitre Ier, regroupant les dispositions communes à la filiation légitime et à la filiation naturelle, du titre VII.

« S'agissant de la filiation légitime, le a) du 1° du I prévoit une dérogation à la règle de la nullité du consentement donné à une procréation médicalement assistée, recueilli par le juge, qui interdit toute action ou contestation de filiation pour les enfants issus de cette procréation, en cas de décès de l'époux ou du concubin. Il convient de rappeler qu'en matière de filiation, la notion de conception correspond au commencement de la grossesse. L'enfant est ainsi présumé conçu pendant la période qui s'étend du 300 ème au 180 ème jour précédant sa naissance. Dans le cas d'une fécondation in vitro, la conception ne débute qu'à compter du transfert de l'embryon.

« Il est ainsi prévu que, dans le cas d'un transfert post mortem réalisé dans les conditions posées par l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, le consentement donné par l'homme, lorsqu'il entre dans un processus d'AMP, qui vaut présomption de paternité, est toujours valable dans les dix-huit mois qui suivent son décès, à la condition qu'il ait expressément consenti, auprès du centre d'AMP dont il relève, à la poursuite par sa femme ou sa concubine, de leur projet parental après son décès.

« S'agissant de la filiation naturelle, le b) du 1° du I a pour objet de créer un nouvel article 311-21, prévoyant la filiation automatique de l'enfant né d'un transfert post mortem réalisé dans les conditions prévues à l'article L. 2141-2 précité, dès lors que le père a donné son consentement par écrit à la poursuite, par sa concubine, de leur projet parental après sa mort. Le deuxième alinéa de ce nouvel article prévoit l'interdiction de toute contestation de filiation, à moins qu'il ne soit prouvé que l'enfant n'est pas issu de l'AMP ou que le consentement a été révoqué par le père de son vivant. Il faut, en effet, rappeler que l'article L. 2141-2 donne à l'homme la faculté de retirer à tout moment le consentement qu'il a pu exprimer au centre d'AMP dont il relève.

« Le c) du 1° du I tend à modifier l'article 313-1 du code civil, qui écarte la présomption de paternité lorsqu'un enfant n'est pas déclaré par le mari de la femme qui l'a mis au monde, afin de créer une exception à cette règle lorsque l'enfant est issu d'un transfert post mortem dans les conditions prévues par le second alinéa de l'article 315 du même code, créé à l'alinéa suivant (2°), ce qui signifie que cette filiation sera reconnue en faveur de l'enfant dès lors que le père a donné son consentement de son vivant au transfert d'embryon après sa mort dans les conditions prévues à l'article L. 2141-2 précité.

« Le 2° du I tend à compléter l'article 315 du code précité afin de ne pas écarter la présomption de paternité, lorsqu'il est établi que le mari a donné son consentement à ce que le transfert d'embryon soit réalisé après son décès et lorsque ce transfert a été réalisé dans les conditions prévues par l'article L. 2141-2 précité, c'est-à-dire lorsque ce transfert a été réalisé entre le sixième et le dix-huitième mois suivant le décès.

« Le II a pour objet de modifier le titre I er consacré aux successions du livre III du code civil relatif aux « différentes manières dont on acquiert la propriété ».

« Le 1° du II tend à créer quatre articles nouveaux, 724-2 à 724-5, dans le titre précité.

« L'article 724-2 nouveau permet de déroger à l'article 715 du même code, d'après lequel les enfants qui ne sont pas encore conçus au décès de leur père sont écartés de sa succession, afin que l'enfant né d'un transfert d'embryon post mortem, dans les conditions posées par l'article L. 2141-2 précité, soit appelé à la succession du défunt au même titre que ses éventuels frères et soeurs vivants. Il convient de noter que l'usage du singulier pour l'enfant concerné n'a pas pour conséquence d'empêcher d'assurer la succession de plusieurs enfants qui seraient issus d'un tel transfert en cas de naissance multiple.

« L'article 724-3 nouveau donne au président du tribunal de grande instance (TGI), la faculté de désigner un administrateur pour assurer la gestion de la succession du défunt, dès lors que ce dernier a consenti au transfert d'embryon après sa mort et dès lors que subsistent des embryons conçus de son vivant. Il est cependant nécessaire que le président du TGI soit expressément saisi d'une requête en ce sens par « tout intéressé ». On peut donc penser qu'il s'agira, en premier lieu, de la femme qui souhaiterait poursuivre le projet parental, après le décès de son mari ou de son concubin. Il convient de noter que ce gel de la succession, par nomination d'un administrateur, est une possibilité reconnue au juge qui doit apprécier si la consistance du patrimoine et la nature des actes à accomplir pour en assurer la gestion, l'exigent.

« Le deuxième alinéa de l'article 724-3 précise la durée durant laquelle la mission de l'administrateur judiciaire s'exercera. Au maximum, cette mission pourra durer pendant les dix-huit mois suivant le décès de l'homme, c'est-à-dire pendant la durée au cours de laquelle le transfert post mortem pourra être réalisé. En effet, si la femme développe la grossesse à la fin du délai imparti pour le transfert, la règle d'après laquelle la mère est considérée comme assurant la sauvegarde des intérêts de l'enfant à naître, s'applique, ce qui permet de « débloquer » la succession.

« Trois cas sont prévus pour mettre fin à la mission de l'administrateur judiciaire avant le terme des dix-huit mois précités :

« - le premier, dans l'hypothèse où la femme renonce, à son initiative, à la réalisation du transfert, comme le prévoit d'ailleurs l'article L. 2141-2 du code de la santé publique ;

« - le deuxième, lorsqu'une naissance est constatée à la suite d'un transfert réussi d'embryon ou qu'une grossesse, correspondant à la dernière tentative possible de transfert, est constatée. Cette précision a plusieurs conséquences. En premier lieu, elle limite les transferts d'embryons qui peuvent être réalisés dans les dix-huit mois suivant le décès du père à une seule naissance. Ainsi, dans le cas où subsisteraient des embryons congelés après qu'une tentative de transfert ait réussi et abouti à la naissance d'un ou de plusieurs enfants, il serait mis fin au gel de la succession ;

« - le troisième, dès lors qu'est constaté l'échec de la dernière tentative possible de transfert d'embryon, c'est-à-dire lorsque tous les embryons ont été utilisés.

« L'article 724-4 nouveau donne compétence à l'administrateur désigné par le président du TGI pour faire l'inventaire de la succession.

« L'article 724-5 nouveau décrit les missions et les pouvoirs de l'administrateur. Il peut accomplir tout acte de conservation et d'administration nécessaire à la gestion de la succession et exercer également les pouvoirs de représentation prévus en cas d'indivision, tels que prévus par l'article 1873-6 du code civil. Il ne pourra cependant prendre aucun acte de disposition, sauf si celui-ci est nécessaire à l'exploitation normale des biens ou à leur conservation, sous réserve de l'autorisation du juge des tutelles.

« Le deuxième alinéa de cet article 724-5 nouveau prévoit la possibilité pour l'administrateur d'exercer ses pouvoirs en dépit de l'existence, parmi les autres héritiers, d'un mineur ou d'un majeur faisant l'objet d'une mesure de protection légale.

« Le 2° du II a pour objet de modifier en deux points l'article 815 du code civil relatif à l'indivision.

« Le a) du 2° du II complète le premier alinéa de l'article précité, afin que la règle d'après laquelle nul ne peut rester en indivision ne soit pas appliquée, non seulement lorsqu'un jugement le décide ou qu'une convention le prévoit, mais aussi si l'« effet de la loi » y conduit. Cette mention permet donc de laisser en indivision la succession d'un homme qui aurait consenti au transfert d'embryons après sa mort, afin que sa succession soit gelée dans les délais évoqués précédemment.

« Le b) du II précise les circonstances de l'indivision dans le cas d'un transfert post mortem, en indiquant que celle-ci est maintenue de plein droit dès lors que le défunt a consenti à la poursuite du processus d'AMP après sa mort et dès lors qu'existent des embryons. Il est spécifié que l'indivision prendra fin dans les mêmes conditions que celles prévues à l'article 724-3, c'est-à-dire si la femme renonce au transfert, si une naissance a été constatée ou lorsque la dernière tentative possible d'embryon a échoué. »


II - La position de votre commission

Les difficultés posées au droit civil et successoral avaient été soulignées par le Conseil d'Etat qui avait préconisé d'autoriser ce type de transfert.

La Haute juridiction avait, en conséquence, tenté d'établir les contours d'un régime civil dérogatoire afin de prévoir la filiation de l'embryon, s'il venait un jour au monde, et de lui permettre d'hériter, le cas échéant.

Sur le plan de la filiation, le Conseil d'Etat avait souligné « la nécessité de modifier le code civil afin de régler le sort de l'enfant quant à sa filiation paternelle, qu'elle soit légitime ou naturelle » et notamment dans le cas du couple marié car dans ce dernier cas « la présomption de paternité inscrite à l'article 312 alinéa 1 er du code civil ne s'applique plus. Certes, ce texte dispose que « l'enfant conçu pendant le mariage a pour père le mari » , mais la possibilité de faire jouer cet énoncé en cas de naissance issue d'un transfert d'embryon post mortem semble se heurter aux termes de l'article 315 du code civil, suivant lequel : « La présomption de paternité n'est pas applicable à l'enfant né plus de trois cents jours après la dissolution du mariage, ni, en cas d'absence déclarée du mari, à celui qui est né plus de trois cents jours après la disparition » . »

La construction d'un régime successoral s'avérait encore plus délicate.


La difficulté des « héritiers réservataires dans un congélateur 83( * ) »

Enfin, il est nécessaire de prévoir les dispositions répondant à l'autorisation du transfert d'embryon post mortem en termes de droit de la succession.

Un enfant issu d'un transfert d'embryon post mortem pourrait bénéficier de la maxime « Infans conceptus... « , à laquelle renvoie l'article 725 du Code civil, dès lors qu'il naît vivant et viable et qu'il est établi qu'il est issu d'une AMP ayant permis la congélation d'embryons antérieurement au décès de l'homme.

En revanche, l'incertitude concernant la dévolution successorale, quant à son calendrier comme quant aux qualités respectives dont peuvent se prévaloir les héritiers, paraît devoir être la source de difficultés pratiques. L'usage en cas de grossesse naturelle -la suspension des opérations successorales jusqu'à la naissance d'un enfant vivant et viable- peut-il être transposé au cas du transfert d'embryon post mortem ? Dans cette hypothèse, en effet, la durée de la suspension serait indéterminée, puisqu'elle résulterait du cumul du délai de réflexion laissé à l'intéressée, du temps nécessaire à l'implantation et de la durée de la grossesse.

On peut s'interroger sur le coût d'une telle suspension pour les héritiers ainsi que la difficulté probable pour obtenir du ministère de l'économie et des finances une suspension de la perception des droits de mutation à titre gratuit jusqu'à la naissance éventuelle d'un enfant, quand bien même leur taux pour chaque héritier, leur répartition et les éventuels abattements resteraient des hypothèses incertaines. Compte tenu de ces difficultés, on pourrait envisager une option consistant à procéder au partage et à le remettre en cause si l'éventualité de la naissance d'un enfant se concrétise, mais les risques de conflit et les difficultés de toute nature imposés aux copartageants par une telle remise en cause invitent à écarter cette solution.

Une dernière option consisterait à réserver la part de l'enfant dans le partage successoral, faire administrer celle-ci par un mandataire ou un administrateur ad hoc et réaliser le partage pour le surplus. Cette solution n'est cependant pas non plus exempte de difficultés : si l'enfant ne naît pas ou naît sans être viable, il ne s'agira pas seulement d'attribuer aux copartageants la part laissée vacante pour cet enfant, mais aussi de prendre en compte la qualité héréditaire réelle de chaque héritier compte tenu des modifications entraînées par rapport à la qualité virtuelle conférée à chacun d'eux à la première étape du partage. Si c'est une grossesse multiple qui est menée à terme, ces difficultés prennent plus d'ampleur encore : le partage serait à recommencer ab initio, comme si l'on se trouvait dans une situation d'intervention après coup d'un nouvel héritier. Enfin, cette troisième option ne résout pas les difficultés liées aux droits de mutation.

Au total, c'est un choix entre la première et la troisième option qui paraît s'imposer. Compte tenu des limitations dans le temps prévues pour la réalisation de la tentative d'implantation, la première solution paraît la plus satisfaisante ».

Conseil d'Etat, étude précitée page 37

Les interrogations que suscite cette construction juridique illustrent les difficultés de la dérogation qui la justifient. Votre rapporteur s'interroge à nouveau, comme il l'a fait à l'article précédent, sur les conditions dans lesquelles cet enfant viendrait au monde.

En effet, aux termes du présent article, l'embryon orphelin de père, encore incertain sur l'accueil d'un ventre maternel, bénéficie déjà, en revanche, des conseils avisés d'un notaire et d'un administrateur judiciaire !

Par coordination avec la suppression de la possibilité du transfert post mortem qu'elle vous a précédemment proposée, votre commission vous propose d'adopter un amendement de suppression de cet article.

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