CHAPITRE II -
RECHERCHE, INNOVATION ET CRÉATION
D'ENTREPRISE
Après le constat accablant du rapport Guillaume, de mars 1998, sur le mauvais rendement technologique de la recherche française et son incapacité à déboucher sur la création d'entreprises innovantes, et la tenue -à la suite de ce rapport- d'" Assises de l'innovation " en mai de la même année, la politique de promotion de l'innovation a franchi un pas décisif avec l'adoption de la loi n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la recherche.
I. LA LOI SUR L'INNOVATION ET LA RECHERCHE DU 12 JUILLET 1999
A. UNE AVANCÉE SIGNIFICATIVE DANS PRINCIPALEMENT DEUX DOMAINES
Reprenant en partie des dispositions d'un projet de
loi
7(
*
)
déposé par le
précédent Gouvernement et d'une proposition de loi
8(
*
)
adoptée par le Sénat le
22 octobre 1998 permettant aux fonctionnaires du service public de la
recherche de participer à la création d'entreprises innovantes,
le projet de loi sur l'innovation et la recherche
a été
examiné en première lecture par le Sénat le
11 février 1999, pour être adopté
définitivement par la Haute Assemblée en 2
ème
lecture, dans les mêmes termes que l'Assemblée nationale en
première lecture, ce qui a permis à la loi d'être
promulguée le 12 juillet 1999.
Partant du constat que l'objectif de valorisation fixé aux
établissements de recherche par la loi d'orientation et de programmation
pour la recherche de 1982, dont votre rapporteur pour avis avait l'honneur
d'être rapporteur, n'avait pas été atteint, le projet de
loi s'est fixé principalement trois objets :
- développer la
mobilité des chercheurs publics vers les
entreprises
;
- favoriser la
coopération
entre recherche publique et
entreprises ;
- favoriser
fiscalement
l'innovation.
On trouvera un excellent commentaire du détail de ces mesures dans les
rapports de nos collègues Pierre Laffitte et René
Trégouët sur le projet de loi
9(
*
)
.
1. Développer la mobilité des chercheurs vers les entreprises
La loi
n° 99-587 du 12 juillet 1999 sur l'innovation et la
recherche comprend un article 1
er
qui insère, dans la
loi n° 82-610 du 15 juillet 1982 d'orientation et de
programmation pour la recherche et le développement technologique de la
France, des articles 25-1 à 25-4 qui visent à
développer la mobilité vers les entreprises et la création
d'entreprises par les personnels de recherche.
Ces articles ont un champ d'application très large puisqu'ils
s'adressent à l'ensemble des agents publics, fonctionnaires ou non, des
services publics et des entreprises publiques dans lesquels est
organisée la recherche publique.
Ils permettent de supprimer les obstacles statutaires à l'essaimage que
constituaient deux textes législatifs :
- l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits
et obligations des fonctionnaires, qui leur impose une double obligation
d'exclusivité professionnelle
et de
désintéressement
;
- et les articles 432-12 et 432-13 du Code pénal, qui
sanctionnent les prises illégales d'intérêt
.
L'article 432-13 du Code pénal, notamment, interdit à tout
agent public d'avoir eu dans les cinq dernières années des
intérêts dans une entreprise avec laquelle il a passé des
contrats, ou même sur les activités de laquelle il a donné
un avis.
La combinaison de ces textes interdit donc à un fonctionnaire qui part
dans une entreprise d'avoir des relations avec son organisme d'origine, ce qui
se justifie dans de nombreux cas pour certains corps, mais pose des
problèmes insurmontables aux chercheurs quand ils veulent créer
leur entreprise.
Dans ce contexte, l'article 1
er
de la loi vise à
proposer un cadre juridique clair et cohérent aux personnels de
recherche, sans risquer de conflit d'intérêt ni compromettre leur
carrière scientifique
.
Ces mesures se situent dans le cadre d'un
système d'autorisation,
après avis de la commission de déontologie
. Les
fonctionnaires qui respectent les conditions de l'autorisation sont ainsi
protégés contre des poursuites ultérieures, qu'elles
soient disciplinaires ou pénales.
L'article 25-1 concerne le cas du fonctionnaire qui quitte son
laboratoire pour créer son entreprise.
Ces personnels pourront être autorisés à participer en tant
qu'associé ou dirigeant à la création d'une entreprise qui
valorise leurs travaux, en étant mis à la disposition de
l'entreprise, ou d'un organisme public ou privé compétent en
matière de valorisation de la recherche, ou en étant
détaché auprès de l'entreprise.
Cette autorisation est donnée pour une durée maximale de
6 ans. Corrélativement, les fonctionnaires concernés cessent
toute activité au titre de l'établissement de recherche dont ils
relèvent, à l'exception d'activités accessoires
d'enseignement.
A l'issue de cette période, le fonctionnaire pourra choisir entre
plusieurs situations :
- s'il souhaite conserver ses responsabilités dans l'entreprise, il
pourra être mis en disponibilité ;
- s'il souhaite reprendre son activité de fonctionnaire au sein de
son établissement d'origine, il pourra soit se placer dans le dispositif
prévu à l'article 25-2 et garder une partie de ses
participations, soit décider de céder l'ensemble de ses
participations et mettre fin à toute collaboration avec l'entreprise.
L'article 25-2 concerne le cas du fonctionnaire qui, tout en restant dans
son laboratoire, souhaite apporter son concours scientifique à
l'entreprise qui valorise ses travaux ou à participer à son
capital dans la limite de 15 %.
Dans ce dernier cas, il ne peut toutefois pas être administrateur de la
société. Ces possibilités sont ouvertes non seulement dans
le cas d'une entreprise nouvelle, mais aussi dans celui d'une entreprise
existante. Toutefois, dans le cas de l'actionnariat, le chercheur ne doit pas
avoir pris part dans les cinq dernières années, au titre de ses
fonctions publiques, à la négociation de contrats avec
l'entreprise concernée.
L'article 25-3 permet à ces personnels, tout en restant en
fonction dans les laboratoires, d'être membre du conseil d'administration
ou du conseil de surveillance d'une société anonyme.
L'esprit de cette mesure est différent de celui des articles 25-1
et 25-2. Il s'agit de contourner le
principe d'exclusivité
du
statut général de la fonction publique, qui interdit aux
fonctionnaires d'être administrateurs d'une entreprise, et de permettre
ainsi aux scientifiques de faire prendre en compte dans l'entreprise
l'intérêt d'une politique de recherche. Dans cet esprit, la
possibilité d'être administrateur est encadrée par une
double limitation :
- d'une part, la participation au capital de l'entreprise est
limitée au nombre minimum de parts du capital social exigé par
les statuts pour être membre du conseil d'administration, sans pouvoir
excéder 5 % du capital social ;
- d'autre part les jetons de présence sont plafonnés.
Dans les trois cas prévus par la loi, l'autorisation est donnée
après avis de la commission de déontologie, sur la base de
conditions précises qui prennent en compte le respect des
intérêts matériels et moraux de l'organisme de recherche et
l'absence d'implication du chercheur dans la négociation des contrats
passés entre son entreprise et l'organisme auquel il appartient.
Ces dispositions, immédiatement applicables, ont déjà fait
l'objet d'une
circulaire d'application du 7 octobre 1999
.
Elles sont complétées par une mesure portant sur les personnels
enseignants du premier et du second degré, afin de leur donner la
possibilité d'effectuer des périodes de mobilité au sein
d'une entreprise ou d'un organisme public.
2. Favoriser les coopérations entre la recherche publique et les entreprises
a) Accroître l'interpénétration entre recherche et entreprise par la création de structures adaptées
Favoriser une meilleure interpénétration des
activités de recherche publique et privée est une constante de la
politique menée par les ministres chargés de la recherche depuis
près de vingt ans.
De nombreuses initiatives prises au cours de cette période
témoignent de cette volonté et continuent de porter leurs fruits
aujourd'hui : les CIFRE (conventions industrielles de formation par la
recherche), les CORTECHS (conventions de formation par la recherche de
techniciens supérieurs), l'accueil de post-doctorants dans les PME...
Votre rapporteur pour avis en dressera, comme chaque année, un bref
bilan dans la deuxième partie du présent chapitre.
Durant la même période, les entreprises n'ont cessé de
recourir davantage au potentiel d'innovation et d'expertise des laboratoires
publics, notamment dans le cadre de conventions de recherche. Le crédit
d'impôt recherche, institué en 1983 et constamment
renouvelé depuis, a contribué à stimuler ce courant de
relations. En outre, les principaux EPST ont tous mis en oeuvre une politique
de partenariat avec les entreprises.
A titre d'exemple, on trouvera ci-dessous quelques informations quantitatives,
fournies par le ministère de la recherche, qui montrent que les
relations entre les établissements et les entreprises industrielles sont
déjà, fort heureusement, une
réalité :
CNRS |
2 650
contrats en cours en mai 1999
|
INRA |
2 215
titres de propriété industrielle en portefeuille dont 39 %
en copropriété avec un partenaire industriel
|
INSERM |
689
contrats en cours, dont 253 concessions de licences
|
Source
: MENRT
Toutefois, il est apparu indispensable de donner aux relations entre la
recherche publique et le secteur privé un nouveau développement
avec l'adoption de la loi précitée du 12 juillet 1999.
Le deuxième volet de la loi est en effet consacré aux relations
entre les universités, les organismes de recherche et les
entreprises.
Ce volet complète le cadre juridique des lois de 1982
précitée (recherche et technologie) et de 1984 (sur
l'enseignement supérieur) par la création de structures plus
adaptées au soutien de petites et moyennes entreprises de haute
technologie.
Aux termes de la loi, les universités et les organismes de recherche
pourront créer
des services d'activités industrielles et
commerciales
, afin de gérer les contrats de recherche dans un cadre
budgétaire plus souple et avec des règles contractuelle mieux
adaptées.
Ces établissements pourront par ailleurs contribuer à la
constitution
d'incubateurs,
afin d'accueillir et d'accompagner le
développement d'entreprises de haute technologie. L'incubateur, qui est
une personne morale, a pour mission d'aider à la réalisation de
projets de création d'entreprises.
b) Premier bilan d'étape du lancement des " incubateurs "
En
réponse aux questions posées par votre rapporteur pour avis sur
le premier bilan d'application de cette mesure, la direction de la technologie
du ministère de la recherche a précisé avoir lancé
le 24 mars 1999, avec le ministère de l'économie, des finances et
de l'industrie,
un appel à propositions
en vue d'inciter à
la création d'incubateurs -et de fonds d'amorçage-.
Une somme
de 200 millions de francs a été réservée au
budget de l'Etat pour cette action.
En ce qui concerne les incubateurs,
38 projets ont concouru à
l'octroi de ces crédits
. Après examen par un comité
d'engagement, compétent à la fois pour les incubateurs et pour
les fonds d'amorçage, les subventions du FRT, qui sont allouées
aux incubateurs sélectionnés,
bénéficient
entièrement aux incubés
, les frais de fonctionnement de
l'incubateur étant pris en charge par les partenaires ayant pris
l'initiative de le constituer (principalement des
établissements de
recherche, des universités et des écoles)
.
La subvention accordée doit couvrir au plus 50 % des
dépenses internes et externes qui peuvent être rattachées
au soutien d'entreprises en création accueillies au sein de
l'incubateur, dans les phases qui précèdent la commercialisation
de produits.
Elle fera l'objet d'une convention entre le ministère de
l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et
l'incubateur, pour une durée n'excédant pas trois ans,
régissant les modes d'utilisation de la subvention et indiquant les
objectifs communs des signataires en matière de création
d'activité économique.
La convention prévoira des versements échelonnés,
conditionnés à la justification régulière de
l'emploi des fonds précédemment versés et à la
réalisation d'objectifs de développement des entreprises
soutenues.
Les incubateurs d'entreprises sont sélectionnés sur leur
capacité à
conduire à la création d'entreprises
innovantes et viables
et à mobiliser, surtout en ce qui concerne les
fonds d'amorçage (voir ci-après), des
financements
privés
qui viendront progressivement se substituer aux financements
de l'Etat. Le comité d'engagement précité est
présidé par M. Henri Guillaume et comprend des
représentants de l'Etat et des personnalités qualifiées
choisies pour leur expérience dans la création d'entreprises
technologiques.
Réuni le
27 juillet 1999,
ce comité a
décidé :
de soutenir
sept premiers projets,
pour un montant total d'aide de
76 millions de francs ; outre un fonds d'amorçage, les six
incubateurs d'entreprises sont :
-
en Auvergne
, BUSI, qui réunit l'université
d'Auvergne, l'université de Clermont II et la société
régionale de capital-risque, SOFIMAC ;
-
en Midi-Pyrénées
, un incubateur qui réunit
des établissements d'enseignement et de recherche de la
région ;
-
en Nord-Pas-de-Calais
, deux incubateurs : l'un
dédié aux technologies de la santé, sur le site
d'Eurasanté, l'autre, généraliste, qui réunit tous
les établissements d'enseignement et de recherche de la
région ;
-
en Rhône-Alpes
, deux incubateurs partenaires d'un
dispositif régional d'aide aux entreprises technologiques : l'un
réunissant tous les établissements de Lyon, de Saint-Etienne et
de l'Ain, l'autre réunissant les établissements de Grenoble et de
la Savoie.
Ces
six incubateurs
recevront 43 millions de francs de subventions du
ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la
technologie, pour accueillir plus de 200 créateurs d'entreprises au
cours des trois années à venir.
d'attribuer
33 millions de francs
à l'INSERM, à l'INRA et
au CNRS pour es aider à constituer, avec la Caisse des
dépôts et consignations, la société AXA et d'autres
partenaires privés,
un fonds d'amorçage
,
" Bio-amorçage ", destiné à investir dans des
entreprises de
biotechnologies
en phase de création.
Ce comité a également décidé, lors de sa
deuxième réunion le 22 septembre 1999, d'aider six autres
projets d'incubateurs d'entreprises :
en Alsace
, l'incubateur de Strasbourg, porté par
l'université Louis Pasteur en partenariat avec les autres
établissements d'enseignement supérieur et des structures de
développement local ;
en Aquitaine
, l'incubateur régional aquitain qui
fédère tous les établissements de la région ;
en Bretagne
, l'incubateur de Rennes/Lannion/Lorient, porté par
les trois technopoles en association avec les établissements
d'enseignement supérieur et de recherche ;
en
Ile-de-France
, trois projets :
- " Idf Sud ", dont les fondateurs sont le CNRS, le CEA et
l'université de Paris Sud-Orsay ;
- " Science pratique incubateur ", porté par la filiale
de l'ENS de Cachan en association avec les universités de Paris VII,
Paris VIII et des organismes de recherche ;
- " Incubateur technologique parisien ", regroupant les
universités de Paris VI et de Paris IX, l'ENS d'Ulm et Paritech
(groupement des neuf écoles d'ingénieurs de Paris intra muros).
Ces six incubateurs recevront 38,25 millions de francs de subvention du
ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la
technologie.
D'autres projets sont actuellement en cours d'étude. Votre commission
pour avis s'en félicite et rappelle qu'elle soutient cette
démarche et souhaite même la voir étendue, au delà
du seul secteur de le recherche, afin de favoriser une nouvelle
fertilité économique des territoires.
3. Favoriser fiscalement l'innovation : des progrès nettement plus timides
Bien que
de portée limitée,
en raison de la frilosité du
Gouvernement et de l'Assemblée nationale à suivre les
propositions du Sénat en la matière
, la loi du
12 juillet 1999 comporte un volet consacré au financement de
l'innovation, qui a permis :
- d'assouplir les conditions d'attribution des
bons de souscription de
parts de créateurs d'entreprise
(BSPCE), en prorogeant ce dispositif
et en accordant aux entreprises innovantes cotées au nouveau
marché ou aux marchés européens de valeurs de croissance
de pouvoir distribuer des BSPCE ;
- d'étendre le champ des entreprises pouvant figurer à
l'actif des
fonds communs de placement dans l'innovation
(FCPI),
à l'exclusion toutefois des sociétés filiales d'un groupe.
On ne saurait dire que ces mesures sont à la hauteur des ambitions de
votre Haute assemblée en la matière !