B. LE REJET DES SOLUTIONS PRÉCONISÉES PAR LE SÉNAT À L'ARTICLE 38

Nos collègues députés ont, en revanche, rétabli dans la rédaction qui était la leur en première lecture les dispositions financières transitoires prévues par l'article 38.

À l'origine, cet article prévoyait que, jusqu'à l'entrée en vigueur des conventions de transfert de la gestion des personnels et des biens, les crédits consacrés chaque année par les collectivités locales et les établissements publics de coopération intercommunale ne pourraient être inférieurs à la moyenne des crédits de fonctionnement et d'équipement constatés dans les cinq derniers comptes administratifs connus. L'Assemblée nationale avait cependant exclu de cette moyenne quinquennale les crédits exceptionnels affectés notamment à la création des centres opérationnels départementaux d'incendie et de secours (CODIS) et des centres de traitement de l'alerte (CTA).

Si la démarche de nos collègues députés paraissait fondée en vue d'écarter les "pics" constatés au cours des derniers exercices en matière d'investissement, la méthode retenue, tendant à exclure de la moyenne quinquennale les "crédits exceptionnels affectés notamment à la création des centres opérationnels départementaux d'incendie et de secours et des centres de traitement de l'alerte", était toutefois critiquable pour au moins deux motifs :

- En premier lieu, s'agissant du calcul d'un montant de dépenses obligatoires, le législateur nous semblait méconnaître sa compétence en ne précisant pas quelle est la portée qu'il confère à la notion de crédits exceptionnels. De ce point de vue, l'usage de l'adverbe "notamment" devait être à notre sens clairement prohibé.

Si toutefois le législateur supprimait effectivement cet adverbe, il lui restait encore à établir avec précision une liste des dépenses "exceptionnelles" dont nous ne comprenions d'ailleurs pas pour quels motifs elle n'aurait contenu que la création des CODIS et des CTA. Toutes sortes d'autres dépenses, à commencer par la construction de casernes, voire l'achat de véhicules, sont susceptibles de dessiner des "pics" dans la comptabilité des communes, des établissements publics de coopération intercommunale et des départements.

- En second lieu, il nous avait semblé que la notion même de "pic" de dépenses renvoyait plus à des modalités de gestion qu'à une catégorie particulière de dépenses d'équipement.

Nous notions ainsi à titre d'exemple, que les dépenses d'investissement consacrées à la construction d'un CODIS ou d'un CTA pouvaient fort bien être "noyées" au sein d'un plan d'équipement étalé sur plusieurs années. Elles ne formeront ainsi aucune "boursouflure" dans le profil des dépenses d'investissement des cinq ou six derniers exercices et ne seront donc pas considérées comme des dépenses à caractère "exceptionnel" au sens où nos collègues députés avaient sans doute voulu l'entendre.

Votre commission des finances avait donc estimé que la solution au problème soulevé, à juste titre, par l'Assemblée nationale pourrait sans doute être trouvée plus simplement, en s'inspirant des dispositions de l'article 17 de la loi n° 85-1098 du 11 octobre 1985 relative à la prise en charge par l'État, les départements et les régions des dépenses de personnel, de fonctionnement et d'équipement des services placés sous leur autorité.

Le Sénat avait ainsi remplacé le premier alinéa de l'article 38 par deux nouveaux alinéas :

- Le premier fixait le principe d'une entente librement établie entre le SDIS et les collectivités et groupements concernés.

L'application automatique de critères d'évaluation des dépenses obligatoires d'incendie et de secours n'interviendrait qu'en cas d'échec des négociations.

Jusqu'à l'entrée en vigueur des conventions prévues aux articles 12, 13 et 16, le montant minimal des dépenses relatives aux personnels et aux biens visés par ces articles, à l'exclusion des contributions mentionnées à l'article 37, effectuées chaque année par la commune, l'établissement public de coopération communale ou le département était ainsi fixé par une convention passée entre le président du conseil d'administration du service départemental d'incendie et de secours, d'une part, et le maire, le président de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou le président du conseil général, d'autre part.

- Le second alinéa disposait qu'à défaut d'accord entre les parties sur les masses devant être versées pendant la phase transitoire précédant la signature de conventions de transferts des personnels et des biens, le montant minimal des dépenses mentionnées au premier alinéa ne pourrait, jusqu'à l'entrée en vigueur des conventions prévues aux articles 12, 13 et 16, être inférieur, pour les dépenses de fonctionnement, à la moyenne des dépenses réalisées constatées dans les cinq derniers comptes administratifs connus et, pour les dépenses d'équipement, à la moyenne des dépenses réalisées constatées dans les dix derniers comptes administratifs connus.

Cette formule des dix ans pour l'investissement présentait à notre sens l'avantage de neutraliser les "pics" évoqués plus haut tout en évitant les travers du recours à la notion de crédits exceptionnels devant être écartés de la base de calcul des dépenses d'équipement.

Le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale, M. Pierre-Rémy Houssin a bien voulu souligner combien, à ses yeux, "le Sénat avait complété heureusement le mécanisme financier qui avait été retenu en première lecture ".

La commission des finances, qui avait décidé de se saisir pour avis du texte en deuxième lecture, n'avait elle-même pas adopté de modification de l'article 38 préalablement au passage du texte en séance publique. Son rapporteur, M. Yves Fréville, avait même concédé quelque mérite au mécanisme de conventionnement adopté par le Sénat notant qu'il permettait d'échapper, là où des accords seraient possibles, au régime de la participation automatique calculée sur les derniers comptes administratifs connus.

Ce n'est qu'au cours de la séance publique que M. Fréville a décidé de déposer un amendement à l'article 38 qui préservait le principe d'un accord préalable entre les parties suivi d'un calcul automatique des participations pendant la période transitoire mais qui "sortait" purement et simplement de celles-ci les dépenses d'équipement. En d'autres termes, à défaut d'entente, les collectivités locales et établissements publics de coopération intercommunale n'étaient tenus qu'au versement au service départemental d'incendie et de secours d'une quote-part calculée sur la seule moyenne des dépenses de fonctionnement réalisées, constatées dans les cinq derniers comptes administratifs connus.

Le véritable motif de cette "fronde" provenait du constat fait par M. Fréville et d'autres intervenants que certaines collectivités ont investi au cours des dernières années alors que d'autres ont vécu dans un attentisme prudent, comptant sur une départementalisation prochaine des services d'incendie et de secours. Il paraissait choquant de pénaliser les premières alors que les secondes "tiraient leur épingle du jeu".

L'argument ne laisse pas d'étonner, alors précisément que la règle des dix ans adoptée par le Sénat avait au moins le mérite d'intégrer des années, antérieures à l'annonce de la départementalisation, qui n'avaient pas été frappées par l'attitude attentiste dénoncée par M. Fréville...

Le gouvernement, ne pouvant toutefois accepter cette solution par trop radicale, a préféré transiger en proposant à l'Assemblée nationale de revenir à son texte d'origine, et ce alors qu'il avait donné un avis favorable à l'adoption de l'amendement de la commission des finances du Sénat.

Le problème de fond soulevé par notre Haute Assemblée en première lecture -le flou de la portée juridique de la notion de dépense exceptionnelle- reste donc entier.

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