VII. UNE OCCASION MANQUÉE POUR LES FORÊTS, AUXQUELLES LE SÉNAT A ENTENDU DONNER UNE SECONDE CHANCE

A. LES INTERACTIONS ENTRE ÉCOSYSTÈMES FORESTIERS ET DÉRÈGLEMENT CLIMATIQUE SONT MULTIPLES

1. La forêt joue un rôle essentiel dans l'atténuation du dérèglement climatique

La forêt est l'un des principaux « puits de carbone » naturels avec les océans et les prairies. Elle absorbe chaque année en France plus de 11 % de nos émissions de gaz à effet de serre .

La hausse des concentrations de CO 2 dans l'atmosphère explique d'ailleurs en partie la croissance du couvert forestier, de 0,7 % par an ces dernières années en France. Elle couvre aujourd'hui 31 % du territoire métropolitain avec 17 millions d'hectares, contre seulement 9 millions d'hectares au début du XIX e siècle, selon les données de l'inventaire forestier.

La forêt joue un rôle de filtration et donc d'amélioration de la qualité de l'eau, elle freine son évaporation des sols et préserve de la chaleur. Elle constitue un réservoir essentiel de biodiversité, dont on a pu mesurer l'importance vitale en temps de Covid-19, et fait profiter les citoyens de sa haute valeur récréative et paysagère. À ces divers titres, elle contribue à la résilience des territoires face aux effets du dérèglement climatique.

Au total, les services écosystémiques de la forêt sont estimés à 1 000 € par hectare 13 ( * ) . Si ces externalités positives ne sont pas aujourd'hui rémunérées à leur juste valeur, cela ne doit pas faire oublier que la forêt est une précieuse alliée, tant dans la lutte contre le dérèglement climatique que dans le renforcement de la résilience face à ses effets.

2. Le dérèglement climatique menace la forêt dans son existence même

En sens inverse, le dérèglement climatique menace la forêt dans son existence même. Car il ne faut pas s'y tromper : la forêt française est en croissance, mais elle est en crise . En croissance parce que l'accumulation de CO 2 dans l'atmosphère lui est favorable. En crise parce que le dérèglement climatique met en péril les écosystèmes forestiers et, en conséquence, leur rôle de puits de carbone.

Ces dernières années, en effet, la forêt a subi de plein fouet les premiers effets du dérèglement climatique : des sécheresses répétées ont ainsi brûlé les cimes des arbres et plus globalement affaibli leurs « défenses immunitaires ». En conséquence, de nombreux arbres n'ont pu résister aux attaques de parasites qu'ils surmontaient en temps normal, notamment ces trois dernières années dans le quart nord-est de la France, où les scolytes ont ravagé les épicéas et obligé à des coupes sanitaires.

De façon encore plus préoccupante, c'est la subsistance même de certaines essences en France qui est maintenant mise en doute . La chalarose du frêne menace ainsi cette essence emblématique de nos campagnes. Le département santé des forêts de l'Office national des forêts alerte sur l'évolution rapide des conditions propres à chaque station forestière : les doutes se font par exemple de plus en plus insistants sur l'avenir des épicéas en plaine, l'altitude favorable à leur croissance augmentant à mesure que les températures moyennes augmentent et que les pics de chaleurs se multiplient. À terme, même le chêne pourrait être menacé par l'évolution des conditions climatiques.

Or, quand les arbres sont en péril, c'est plus globalement tout un écosystème qui est en danger. Ainsi, le risque incendie menace maintenant des régions où il était encore hier inimaginable. La dégradation des sols forestiers accélère le déclin de la biodiversité, ce qui diminue la résilience des forêts.

3. Une absence difficilement compréhensible dans le projet de loi « Climat et résilience »

Sans doute parce que la temporalité de la forêt relève des décennies voire des siècles et que le Gouvernement se revendique de « l'écologie du quotidien », le projet de loi « Climat-résilience » n'a pas accordé à la forêt la place centrale qu'elle aurait méritée dans un texte sur « la lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets ». Le climat n'est pourtant pas une question de court terme.

La Convention citoyenne pour le climat (CCC) avait proposé de grandes orientations sur la forêt, comme la promotion de la diversification des essences et notamment des feuillus ou des restrictions s'appliquant aux pratiques sylvicoles non durables, comme certaines coupes rases qui dessouchent et retournent les sols. Seulement, elles ont fait partie des propositions « filtrées » par le Gouvernement , expliquant que ce projet de loi soit pour le moins lacunaire sur ce thème.

Hormis un article technique sur la déforestation importée (article 64) et une disposition pouvant s'y rattacher au titre de la compensation carbone des émissions du secteur aérien (article 38), seul le chapitre sur « la protection des écosystèmes et de la diversité biologique » comprenait dans le texte initial des mesures en lien avec la forêt :

• l'article 19 du projet de loi, d'abord, a trait aux zones humides. Ces zones humides sont parfois des espaces boisés (tourbières, mangroves...) et bénéficient toujours de la filtration de l'eau par les forêts. La biodiversité se concentre en particulier dans les interfaces entre ces écosystèmes aquatiques ou boisés, qui sont, en tout état de cause, imbriqués ;

• par ailleurs, les articles 20 et 21 sur l'exploitation minière ont trait à la protection des écosystèmes face aux activités économiques.

Le lien, au moins indirect, est donc établi et les débats en séance à l'Assemblée nationale ont permis d'ajouter trois nouveaux articles, un sur le rôle de puits de carbone des forêts (article 19 bis D) et deux sur leur adaptation au dérèglement climatique (article 19 bis E et F) . Une disposition sur la conformité du chauffage au bois aux plans de protection de l'atmosphère (PPA) a par ailleurs été ajoutée à l'article 40 du projet de loi.


* 13 Centre d'analyse stratégique, « Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes - Contribution à la décision publique » , 2009.

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