NOTE DE SYNTHESE
En
France, la loi du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de
lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de
l'usage illicite des substances vénéneuses continue à
constituer le texte principal en matière de lutte contre les
stupéfiants. Ses dispositions, actuellement codifiées, punissent
le trafic et l'usage des produits stupéfiants, en distinguant nettement
ces deux points, car la loi cherche avant tout à punir les trafiquants
et à soigner les toxicomanes. C'est pourquoi le trafic tombe sous le
coup du code pénal, tandis que l'usage est régi par le code de la
santé publique.
Aux termes de l'article L. 3421-1 de ce code, l'usage de produits
stupéfiants, quels qu'ils soient, est puni d'un emprisonnement d'un an
et d'une amende de 25 000 F.
Cependant l'action publique n'est
pas nécessairement exercée
. En effet, le magistrat du parquet
peut prononcer une « injonction thérapeutique ».
Dans cette hypothèse, si l'intéressé suit le traitement
jusqu'à son terme, il n'est pas poursuivi. Il en va de même
lorsque les toxicomanes se présentent librement et spontanément
dans un service de soins, où ils peuvent être traités en
bénéficiant de l'anonymat.
En outre, depuis 1978, les circulaires du ministère de la Justice
recommandant aux parquets d'éviter de poursuivre les simples usagers se
sont succédé.
Dans les faits, même si la pratique judiciaire n'est pas homogène
dans l'ensemble du pays, les simples consommateurs de produits
stupéfiants, notamment de cannabis, sont de moins en moins souvent
poursuivis. Cette dépénalisation de fait a récemment
suscité une polémique dans le monde judiciaire.
Par ailleurs, dans son avis du 21 juin 2001 intitulé
Les risques
liés aux usages de drogues comme enjeu de santé publique
, le
Conseil national du sida a recommandé au législateur la
levée de «
l'interdiction
pénale
de
l'usage de stupéfiants dans un cadre privé
».
La relance du débat sur la dépénalisation de la
consommation du cannabis dans notre pays fournit l'occasion d'examiner les
règles en vigueur dans quelques pays européens
représentatifs de traditions juridiques différentes,
l'Allemagne, l'Angleterre et le Pays de Galles, le Danemark, l'Espagne, les
Pays-Bas, le Portugal et la Suisse.
Comme la consommation de drogues suppose l'approvisionnement, on a
analysé, pour chacun des pays retenus, les mesures relatives non
seulement à la consommation
stricto
sensu
, mais aussi
à la détention, à la vente et à la culture du
cannabis. En revanche, les dispositions qui régissent l'utilisation du
cannabis à des fins thérapeutiques n'ont pas été
prises en compte.
L'analyse des dispositions, en vigueur ou en préparation, dans les sept
pays retenus fait ressortir que :
-
seule, la Suisse continue à considérer la consommation
du cannabis comme une infraction pénale ;
-
le Portugal est le seul pays qui ait explicitement
dépénalisé la détention d'une petite
quantité de cannabis, mais, dans les autres pays, divers
mécanismes juridiques permettent de ne pas sanctionner cette
infraction ;
- la vente et la culture du cannabis, qui constituent partout des
infractions pénales, sont cependant tolérées aux Pays-Bas
et, à un moindre degré, en Suisse.
1) Seule, la Suisse continue à considérer la consommation du
cannabis comme une infraction pénale
a) La consommation du cannabis demeure une infraction pénale en
Suisse
D'après la loi fédérale sur les stupéfiants, la
consommation de n'importe quel produit stupéfiant constitue une
infraction pénale, punissable d'une amende ou d'une peine de prison.
Cependant, la loi prévoit la possibilité de suspendre la
procédure pénale ou de dispenser le contrevenant de peine
«
dans les cas bénins
».
En pratique, dans la plupart des cas, la police ne transmet pas au parquet les
affaires de consommation de cannabis.
Un projet de révision de la
loi, actuellement soumis au Parlement, vise à dépénaliser
la consommation du cannabis
.
En revanche, la consommation de tous
les autres produits stupéfiants resterait interdite.
b) Tous les autres pays ont dépénalisé la consommation
du cannabis
Dans les six autres pays étudiés, la consommation du cannabis
ne constitue pas une infraction pénale. Elle forme une infraction
administrative au Portugal. C'est également une infraction
administrative en Espagne, mais seulement lorsqu'elle a lieu dans un lieu
public
, parce qu'elle cesse alors de relever de la seule vie privée.
En revanche, elle est admise en Allemagne, en Angleterre et au Pays de Galles,
au Danemark et aux Pays-Bas.
• Au Portugal, depuis le 1
er
juillet 2001, date de
l'entrée en vigueur de la loi du 30 novembre 2000 qui
définit le régime applicable à la consommation de produits
stupéfiants, la consommation du cannabis n'est plus une infraction
pénale, mais une infraction administrative. La procédure
instituée par la loi qui a dépénalisé certaines des
infractions liées aux produits stupéfiants vise principalement
à soigner les toxicomanes. C'est pourquoi les sanctions administratives
s'appliquent surtout aux autres consommateurs, dans la mesure où ils ne
sont pas appréhendés pour la première fois.
• En Espagne, la loi organique de 1992 sur la protection de la
sécurité civile a érigé la consommation des
produits stupéfiants dans les lieux publics en infraction administrative
grave. Cette infraction est punissable d'une amende dépourvue de
caractère pénal ou d'une autre sanction administrative, comme la
suspension du permis de conduire. En pratique, la simple consommation du
cannabis dans les lieux publics est rarement sanctionnée.
• En Allemagne, en Angleterre et au Pays de Galles, au Danemark et
aux Pays-Bas, la consommation du cannabis n'est pas interdite. Dans ces quatre
pays, toutes les opérations liées aux produits stupéfiants
sont interdites, mais la consommation est exclue de cette interdiction
générale. Seule la consommation de l'opium est interdite en
Angleterre et au Pays de Galles.
2) Le Portugal est le seul pays qui ait explicitement
dépénalisé la détention d'une petite
quantité de cannabis, mais, dans les autres pays, divers
mécanismes juridiques permettent de ne pas sanctionner cette
infraction
a) Le Portugal a dépénalisé la détention d'une
petite quantité de cannabis
Depuis le 1
er
juillet 2001, la détention des produits
stupéfiants n'est plus une infraction pénale, mais une infraction
administrative, à condition que la quantité détenue ne
dépasse pas ce qui peut être considéré comme la
consommation moyenne d'une personne pendant dix jours.
b) Dans les autres pays étudiés, divers mécanismes
permettent de ne pas sanctionner la détention d'une petite
quantité de cannabis
Dans tous les autres pays étudiés, la détention de
produits stupéfiants, quels qu'ils soient, demeure une infraction
pénale
. Celle-ci n'est pas nécessairement sanctionnée,
notamment lorsque le produit détenu est du cannabis.
• Au Danemark et aux Pays-Bas, le principe d'opportunité permet au
parquet de ne pas poursuivre toutes les infractions relatives aux
stupéfiants. Dans ces deux pays, des directives du parquet
général déterminent la conduite à tenir pour la
poursuite des infractions relatives aux stupéfiants.
Les directives néerlandaises, particulièrement
détaillées, précisent que, jusqu'à 5 grammes,
l'affaire doit être classée, car la quantité détenue
correspond à la consommation personnelle et que, de 5 à
30 grammes, il s'agit d'une contravention à laquelle la sanction
pénale prévue par la loi sur l'opium s'applique, sans que la
recherche de ce type d'infractions constitue une priorité.
Les directives danoises ne comportent pas d'indication de quantité, mais
insistent sur le fait que la loi sur les stupéfiants cherche à
empêcher la diffusion de ces produits, et non à sanctionner leur
consommation. Par conséquent, la détention d'une quantité
correspondant à la consommation personnelle ne doit pas être
punie. En règle générale, la détention de
10 grammes de cannabis est tolérée.
• En Allemagne, la loi sur les stupéfiants permet aux parquets de
ne pas poursuivre les contrevenants et aux tribunaux de ne pas les punir,
notamment lorsque les quantités détenues sont faibles.
Sur la base de ces dispositions législatives, le Tribunal
constitutionnel fédéral a, en 1994, invité les
ministères de la Justice des
Länder
à
déterminer les quantités de cannabis correspondant à la
consommation personnelle. Bien que cette quantité varie entre 5 et
30 grammes selon les
Länder,
la pratique est assez
homogène : plus de 90 % des procédures engagées
pour la détention d'une quantité de cannabis ne dépassant
pas 10 grammes sont abandonnées.
• En Espagne, l'interprétation des textes permet aux
détenteurs de petites quantités de cannabis de ne pas être
sanctionnés.
Le code pénal interdit la détention des produits
stupéfiants lorsqu'elle tend à favoriser leur consommation
illégale. Cette disposition est interprétée comme ne
visant pas les petites quantités liées à la consommation
personnelle. Cette quantité n'a pas été
déterminée précisément par la jurisprudence et les
plafonds retenus varient assez nettement d'une décision à
l'autre. En règle générale, toute sanction est exclue
lorsque la quantité détenue ne dépasse pas 50 grammes.
Par ailleurs, la loi organique de 1992 sur la protection de la
sécurité civile fait de la détention des produits
stupéfiants, et donc du cannabis, une infraction administrative.
Celle-ci est punie de la même façon que la consommation dans des
lieux publics. En pratique, la détention n'est sanctionnée que si
le contrevenant est appréhendé dans un lieu public.
• En Angleterre et aux Pays de Galles, ainsi qu'en Suisse, la police a
tendance à ne pas donner suite aux affaires relatives à la
détention de petites quantités de cannabis.
Ces deux pays font de la détention du cannabis destiné à
un usage personnel une infraction spécifique, punie plus
légèrement que la détention avec l'intention de fournir
des tiers. En outre, la police a tendance à ne pas donner suite aux
affaires qu'elle estime mineures, comme la détention de petites
quantités de cannabis. Les contrevenants ne sont donc
généralement pas punis.
Le projet de loi suisse confirme cette évolution : il
prévoit de dépénaliser certains actes préparatoires
à la consommation personnelle du cannabis, comme la détention,
dans la mesure où ceci ne fournit pas à un tiers l'occasion de
consommer ce produit.
3) La vente et la culture du cannabis, qui constituent partout des
infractions pénales, sont cependant tolérées aux Pays-Bas
et, à un moindre degré, en Suisse
La vente et la culture du cannabis sont partout des infractions pénales.
C'est le cas même au Portugal, où l'achat de produits
stupéfiants destinés à la consommation personnelle
constitue seulement une infraction administrative, au même titre que la
consommation ou la détention à des fins personnelles.
Dans tous les pays étudiés, ces deux infractions pénales
sont sanctionnées plus ou moins sévèrement selon les
quantités sur lesquelles elles portent. Ainsi, le Portugal et la Suisse
font de la culture du cannabis en vue de la consommation personnelle une
infraction spécifique, punie plus légèrement.
Bien qu'elles constituent des infractions pénales, la vente et la
culture du cannabis sont tolérées aux Pays-Bas. Le parquet
général a même publié des directives comportant les
critères auxquels les établissements qui vendent au détail
doivent se conformer pour fonctionner sans être inquiétés.
Ils doivent notamment respecter l'interdiction de vendre des drogues dures, car
la politique néerlandaise vise à empêcher les consommateurs
de cannabis d'entrer en contact avec d'éventuels pourvoyeurs de drogues
dures. Ces directives précisent aussi que la culture du cannabis,
même si elle constitue une infraction, ne doit pas être poursuivie
lorsqu'elle ne revêt pas un caractère professionnel, notamment
lorsque le nombre de pieds cultivés ne dépasse pas cinq.
En Suisse, il existe également un réseau de boutiques
spécialisées dans la vente de produits dérivés du
chanvre et qui, sous ce couvert, vendent également du cannabis. Elles
sont plus ou moins tolérées. Le projet de loi envisage de donner
une assise juridique à cette tolérance, puisqu'il prévoit
d'autoriser l'exécutif à fixer par voie réglementaire des
dispositions limitant l'obligation de poursuivre les infractions relatives
à la vente du cannabis, dans la mesure où les points de vente
respecteraient certains critères, également
déterminés par voie réglementaire.
*
* *
Si la Suisse adoptait le projet de révision de la loi fédérale sur les stupéfiants, la France deviendrait le seul des huit pays étudiés à ne pas avoir dépénalisé la consommation du cannabis.