ITALIE
La
loi n° 146 du 12 juin 1990
portant dispositions relatives
à l'exercice du droit de grève dans les services publics
essentiels et à la sauvegarde des droits de la personne qui sont
constitutionnellement garantis
s'efforce de concilier ces derniers avec le
droit de grève, également protégé par la
constitution.
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I. LES SERVICES CONCERNES
A
l'alinéa premier de l'article 1, la loi de 1990 définit les
services publics essentiels comme ceux "
ayant pour objet de garantir
la jouissance des droits de la personne protégés par la
constitution : droits à la vie, à la santé, à
la liberté et à la sécurité, à la
liberté de circulation, à l'assistance et à la
prévoyance sociale, à l'éducation et à la
liberté de communication, quelle que soit la nature juridique de la
relation de travail, et que ces services soient fournis sous un régime
de concession ou sous contrat
".
A l'alinéa 2, elle énumère les services concernés
en les rattachant à chacun des droits susmentionnés. Elle
définit ainsi les services relatifs à la sauvegarde de la
liberté de circulation : "
les réseaux de transports
publics urbains et extra-urbains, les chemins de fer, le trafic aérien
et les aéroports ainsi que les réseaux de transports maritimes,
uniquement pour ce qui concerne la liaison avec les îles
".
La santé et l'hygiène publiques, la protection civile, le
ramassage des ordures ménagères, l'approvisionnement en
énergie et en biens de première nécessité,
l'enseignement public et l'enseignement universitaire, la protection de
l'environnement, la protection du patrimoine culturel, les postes et
télécommunications, ainsi que l'information
radiotélévisée constituent également des services
essentiels.
Cependant, la liste donnée à l'alinéa 2 de l'article
1 n'est pas limitative.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE PUBLIC
1) Les dispositions législatives
a) Le contenu du service minimum
La loi
laisse à la
négociation collective
le soin de
déterminer, après consultation des associations d'usagers, les
" prestations indispensables " qui permettent de concilier le droit
de grève avec les autres droits fondamentaux.
La loi indique que les accords peuvent par exemple "
consister à
fixer le nombre strictement nécessaire de travailleurs qui, pour assurer
la prestation des services, devront s'abstenir de participer à la
grève (...) ou à prévoir des formes de prestations
périodiques
".
En cas de difficulté pour parvenir à un accord, la
commission
de garantie
instituée par la loi peut procéder à une
tentative de conciliation
. En cas d'échec, elle formule une
proposition d'accord
, sur laquelle les parties doivent se prononcer dans
les quinze jours.
b) L'information des usagers
La loi
prévoit l'obligation de :
- respecter un préavis d'au moins dix jours ;
- déterminer par avance la durée de la grève, ce qui
constitue une interdiction des grèves à durée
illimitée ;
- communiquer aux usagers, au moins cinq jours avant le début de la
grève, les principales caractéristiques du service minimum
(modalités et horaires) ainsi que les mesures permettant la reprise
normale du service, laquelle doit être rapide dès la fin de
l'arrêt du travail.
Le service public de la radio et de la télévision est tenu de
donner des informations complètes sur "
le début de la
grève, sa durée, son déroulement et les mesures de
remplacement dans tous les journaux radiodiffusés et
télédiffusés
". Tous les journaux, toutes les
stations de radio et les chaînes de télévision qui
bénéficient d'aides financières de l'Etat doivent
également fournir ces renseignements.
S'agissant des transports, la loi précise que les prestataires de
services "
doivent communiquer aux usagers, en même temps que les
horaires de services ordinaires, la liste des services qui seront de toute
façon assurés en cas de grève ainsi que les horaires
correspondants, conformément aux stipulations des accords visés
au présent paragraphe
".
2) Les dispositions contractuelles
a) Les caractéristiques principales
De
nombreuses règles, de provenances diverses, complètent les
dispositions législatives. Il s'agit essentiellement :
- d'accords conclus à différents niveaux (accords nationaux,
régionaux ou d'entreprise ; accords de branche ou accords
décentralisés) ;
- de codes d'autodiscipline d'origine syndicale ;
- de propositions de la commission, dans les secteurs où des accords
n'ont pas pu être conclus.
Les accords nationaux sont très nombreux. Ils couvrent la majeure partie
des services concernés. En effet, lorsque les partenaires sociaux n'ont
pas réussi à se mettre d'accord, la commission a avancé
des propositions qui ont le plus souvent été suivies d'accords,
ensuite acceptés par la commission.
Ainsi, la gêne occasionnée aux usagers par les grèves dans
les réseaux de distribution (téléphone, eau, gaz,
électricité) est pratiquement inexistante, tandis que dans
d'autres secteurs publics (enseignement, postes, hygiène publique), elle
est très limitée.
En revanche,
le secteur des transports constitue le point faible du
dispositif malgré des garanties non négligeables données
aux usagers depuis le début des années 90 :
- pendant chaque journée de grève, les transports locaux
garantissent un service complet pendant six heures, qui sont subdivisées
en deux tranches horaires correspondant aux heures de pointe (le plus souvent
6 h - 9 h et 18 h - 21 h) ;
- les transports ferroviaires assurent les déplacements des
banlieusards ainsi que la plupart des liaisons sur longue distance ;
- dans les transports aériens, il est interdit de faire grève
entre 7 h et 10 h ainsi qu'entre 18 h et 21 h, les liaisons
avec les îles sont garanties, de même qu'un certain nombre de vols
internationaux en dehors des tranches horaires susmentionnées, si bien
qu'environ la moitié des vols est assurée ;
- dans les transports maritimes, les liaisons avec les îles les plus
petites sont garanties par un système de tranches horaires, tandis que,
pour les îles les plus grandes, la règle de l'interdiction de la
grève simultanée de plusieurs moyens de transport constitue une
protection.
Par ailleurs,
le système des " franchises "
,
initialement introduites par les codes d'autodiscipline syndicale permet
d'empêcher les grèves pendant les périodes où les
déplacements sont les plus importants
(vacances d'été,
Noël, Pâques et consultations électorales). Les
périodes suivantes sont généralement retenues :
- du 10 au 20 août ;
- du 23 décembre au 7 janvier ;
- les cinq jours qui précèdent Pâques et les trois qui
suivent ;
- les cinq jours qui précèdent les consultations
électorales, quelles qu'elles soient, et les cinq jours qui les suivent.
b) L'accord conclu dans le secteur des transports le 23 décembre 1998
En
décembre 1998, la multiplication des grèves provoquées par
de petites organisations syndicales a conduit le
ministre des Transports
à provoquer des négociations sur la prévention des
conflits et sur les règles relatives à l'exercice de la
grève et à la protection des usagers. Un
accord a
été conclu le 23 décembre 1998
. Signé par
les trois grandes confédérations syndicales (CGIL, CSIL et UIL),
par les représentants des employeurs et par le gouvernement, il n'a pas
été accepté par les syndicats autonomes.
Cet accord prévoit :
- la création d'un
organe de conciliation
, le Conseil national
des transports ;
- l'obligation de lancer une
procédure de conciliation puis
d'arbitrage
avant le déclenchement de toute grève ;
- la limitation du nombre des participants aux négociations en cas de
conflit, par l'institution du
seuil de représentativité
syndicale de 5 %
, déjà retenu pour les
négociations dans la fonction publique ;
- l'interdiction des grèves à répétition, par
l'obligation de respecter un délai de vingt jours
(1(
*
))
entre deux grèves dans le
même service de transport ou dans le même bassin d'usagers
,
quels que soient les raisons et les promoteurs de la grève, à
moins que les syndicats à l'origine de la grève ne
représentent plus de la moitié des employés du service
considéré ;
-
l'interdiction d'annuler les grèves moins de trois jours avant
leur date prévue
pour limiter les conséquences des
" effets d'annonce " ;
- la
vérification
par les partenaires, avant la fin du mois de
février 1999,
de tous les accords sur le service minimum
;
- l'obligation pour le gouvernement de convoquer aux mois de mai et de
novembre de chaque année une table ronde pour définir, le cas
échéant,
des périodes supplémentaires pendant
lesquelles la grève serait interdite
;
- l'
obligation
pour les administrations ou pour les entreprises
de
prononcer des sanctions
dans les trente jours suivant la constatation par
la commission d'une violation de la loi ou du refus de négocier ;
- l'engagement de
simplifier la structure des accords collectifs
,
l'objectif étant de faire coïncider les accords nationaux avec les
catégories de transports (air, fer...) et de les compléter par
des accords d'entreprise.
Avant la fin du mois de décembre 1999, les signataires de l'accord
devront vérifier qu'il a bien été appliqué.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
1) La commission de garantie de l'application de la loi
Instituée par la loi n° 146, elle est " chargée d'évaluer si les mesures adoptées concilient l'exercice du droit de grève et la jouissance des droits de la personne protégés par la constitution ".
a) La composition de la commission
La commission se compose de neuf membres nommés pour trois ans par le président de la République sur proposition conjointe des présidents des assemblées parlementaires parmi des experts en droit constitutionnel, en droit du travail et en relations professionnelles. Leur mandat est renouvelable une seule fois.
b) Le rôle de la commission
La
commission détermine si les prestations de service minimum sont
adéquates. A cette fin, les accords collectifs et les règlements
de service, ainsi que les codes d'autoréglementation syndicale lui sont
communiqués, sans délai, par les parties
intéressées.
En outre, la commission :
- donne son avis sur les questions d'interprétation ou d'application
des dispositions des accords visant à assurer le service minimum ;
- évalue le comportement des instigateurs de la grève ou des
participants et relève d'éventuelles violations ;
- peut ordonner que des clauses controversées d'un accord soient
soumises au vote des travailleurs ou formuler une proposition en cas de
désaccord après la tenue du scrutin ;
- fait rapport aux présidents des assemblées parlementaires sur
les questions de sa compétence.
Cependant, la commission ne dispose
d'aucun pouvoir de sanction
.
2) Les sanctions
Le
non-respect des normes sur la grève et sur le service minimum
entraînent des sanctions. Elles peuvent concerner les travailleurs, leurs
syndicats ou les prestataires de services.
Pour les premiers, les sanctions sont disciplinaires. Elles sont
proportionnelles à la gravité de l'infraction. Cependant, le
licenciement et la mutation définitive sont expressément exclus
par la loi.
Les organisations syndicales perdent pendant au moins un mois leur droit aux
subventions publiques. Elles peuvent également être exclues de la
négociation collective pendant au moins deux mois.
Les employeurs ou dirigeants en infraction sont astreints au paiement d'une
amende administrative comprise entre 200.000 et 1.000.000 lires
(c'est-à-dire 660 et 3.300 francs). En cas de violation
répétée, ils peuvent être suspendus de leurs
fonctions pour une durée d'au moins six mois.
3) La réquisition
La loi
précise les règles de la réquisition, dont elle confirme
la légitimité "
lorsqu'il existe un danger réel de
préjudice grave et imminent aux droits de la personne garantis par la
constitution, en raison de la paralysie de services d'intérêt
général essentiel provoquée par un arrêt collectif
du travail
" et que, toute tentative de conciliation ayant
échoué, cette situation perdure.
Dans une telle hypothèse, le Président du conseil, le ministre
désigné ou le préfet de région, en fonction de la
portée du conflit, "
impose, à l'administration ou
à l'entreprise prestataire, les mesures permettant d'assurer un
fonctionnement approprié des services, conciliant ainsi l'exercice du
droit de grève et la jouissance des droits de la personne
protégés par la constitution
".
La loi prévoit l'application de sanctions spécifiques en cas de
violation des dispositions portant sur la réquisition.
* *
*
Bien que
la loi de 1990 ait permis de réduire assez nettement la durée des
arrêts de travail, elle est actuellement très
critiquée :
- elle a été inefficace pour prévenir les conflits ;
- les sanctions qu'elle prévoit ne sont pas appliquées ;
- l'excessive dispersion syndicale s'est traduite par un trop grand nombre
d'accords (une soixantaine dans le seul secteur des transports) ;
- la loi n'a empêché ni la pratique des grèves sauvages, ni
celle des grèves annoncées mais non
réalisées ;
- le seul instrument efficace qu'elle comporte est la réquisition.
Certains plaident donc pour transférer à la commission le pouvoir
de sanction, remplacer la commission par plusieurs organes de contrôle
spécialisés par grand secteur (transports, enseignement,
santé), rendre la négociation préalable à la
grève obligatoire et autoriser les seuls syndicats représentatifs
à déclencher une grève.
L'accord conclu le 23 décembre 1998 dans le secteur des transports
tente de pallier les inconvénients de la loi de 1990,
particulièrement évidents dans cette branche. Cependant,
après sa signature, le gouvernement n'a pas exclu la possibilité
de demander au Parlement de la réviser.