ESPAGNE
La
constitution énonce à l'article 28-2 : "
Le droit
à la grève est reconnu aux travailleurs pour la défense de
leurs intérêts. La loi réglementant l'exercice de ce droit
établira les garanties nécessaires pour assurer le maintien des
services essentiels de la communauté.
"
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Dans le texte qui suit, on a choisi d'analyser non seulement les dispositions du décret-loi de 1977, mais aussi celles du projet de loi de 1992, tel qu'il résultait des négociations avec les syndicats.
I. LES SERVICES CONCERNES
1) La législation en vigueur
En
l'absence de définition légale ou réglementaire, la notion
de " services essentiels de la communauté ", qui figure dans
la constitution, a été délimitée par le
Tribunal
constitutionnel
.
Dans sa décision d'avril 1981, il affirme que "
le droit de la
communauté à ces prestations vitales est prioritaire sur le droit
de grève
" et, renonçant à définir la
notion de services essentiels, estime "
plus approprié que le
Tribunal se prononce en fonction de chacune des données
particulières susceptibles de se présenter à
l'avenir
".
Quelques mois plus tard, dans une décision prise à propos des
transports ferroviaires, il retient une définition assez restrictive,
selon laquelle "
un service est essentiel non pas en raison de la
nature de son activité, mais par les résultats attendus de cette
activité
", compte tenu "
de la nature des
intérêts qu'elle vise à satisfaire
". Des services
sont essentiels, non du fait de l'organisme qui les assure, mais en
considération de l'usager qui en bénéficie.
La notion est donc relative :
a priori
, aucune activité ne
peut être considérée comme essentielle, mais la situation
doit être appréciée en fonction des circonstances, de la
durée de la grève, de la possibilité de services de
substitution...
Le libre exercice des droits de l'usager et la protection de
ses intérêts constitutionnellement garantis exigent donc le
maintien du fonctionnement du service à un niveau minimal,
même en cas de conflit avec le droit de grève.
En tout état de cause, les services qui tendent à satisfaire les
droits et biens constitutionnellement protégés que sont la
vie
, la
santé
, l'
intégrité physique
,
la
liberté de circulation et d'information
ainsi que
l'
éducation
, peuvent être considérés comme
essentiels.
De plus, le décret-loi de 1977 oblige le comité de grève
à garantir, pendant la grève, les services nécessaires
à la sécurité des personnes et des biens, et à
l'entretien des locaux, des machines, des installations et des matières
premières.
2) Le projet de loi de 1992
Le
projet de loi de 1992 définissait la notion de services essentiels
.
Il s'agissait, indépendamment du caractère public ou privé
du prestataire, des services dont le fonctionnement devait être maintenu
pour préserver les droits et libertés suivants, garantis par la
constitution : vie, intégrité physique et protection de la
santé, liberté et sécurité, libre circulation,
liberté de l'information, communication, éducation et protection
juridique.
Le projet de loi énumérait ensuite
dix-sept secteurs
d'activité
qui devaient garantir "
la totalité des
prestations indispensables
". Dans cette liste, figuraient
notamment :
- la régulation du trafic et les transports publics terrestres de
voyageurs ;
- les transports aériens et maritimes.
II. L'ORGANISATION DU SERVICE MINIMUM
1) La législation en vigueur
L'article 10 du décret-loi royal de 1977 confie à
l'"
autorité gouvernementale
" la responsabilité
de fixer les mesures indispensables au fonctionnement des services tenus pour
essentiels.
La décision du 8 avril 1991 du Tribunal constitutionnel justifie la
constitutionnalité de cette disposition. La question, estime le
Tribunal, ne peut être laissée à la discrétion des
grévistes, qui seraient ainsi juges et parties, et la décision
doit appartenir à une "
instance publique impartiale
",
une décision gouvernementale lui paraissant "
la manière
la plus logique de respecter la norme constitutionnelle
".
Il a cependant posé quelques exigences destinées à
éviter les usages abusifs de cette prérogative de
l'exécutif.
Le Tribunal entend l'expression " autorité gouvernementale "
de manière restrictive : il doit s'agir de l'organe qui
détient le pouvoir de gouvernement (conseil des ministres en cas de
compétence de l'Etat central), même si n'est pas exclue la
possibilité de déléguer la charge de préciser les
mesures arrêtées.
Il a en outre précisé qu'il ne saurait s'agir d'une
décision discrétionnaire, mais qu'elle devait être
adaptée aux circonstances et concilier le sacrifice imposé aux
grévistes et la gêne des usagers du service. Aussi, la
justification de la décision est-elle exigée d'un double point de
vue : d'abord sur le plan de la motivation expresse, ensuite sur le plan
de la charge de prouver, en cas de litige, la nécessité de la
limitation imposée à la grève pour le maintien de certains
services. En effet, en cas de recours contre la mesure prise par
l'autorité publique, c'est à celle-ci et non aux grévistes
qu'il incombe de prouver le bien-fondé de la limitation qu'elle a cru
devoir imposer à la grève en maintenant certains services.
Le Tribunal insiste par ailleurs sur le fait que cet acte de l'autorité
publique "
doit être entouré de garanties
formelles
" : notification aux parties touchées par la
mesure et publication de la décision dans le journal officiel
accueillant les décisions de l'autorité en question. Le
défaut de respect de ces garanties formelles est non seulement une cause
de nullité de la décision gouvernementale, mais aussi une
"
atteinte au droit fondamental consacré par l'article 28-2 de
la constitution
".
Enfin, le Tribunal constitutionnel favorise une plus grande intervention des
grévistes ou de leurs représentants dans la détermination
des services essentiels qu'il y a lieu de maintenir. Il a en effet
affirmé que la décision gouvernementale devait tenir compte de
"
l'offre de collaboration à la préservation des services
minimaux émanant des initiateurs de la grève et des organisations
syndicales
". Il a de la sorte tenté d'imposer une
négociation avec les grévistes, ou au moins une concertation avec
eux, leur "
maturité
" pouvant inspirer "
une
offre sérieuse de garanties suffisantes et efficaces
". Une
décision du 5 mai 1986 affirme d'ailleurs que "
rien
n'empêcherait que la mise en oeuvre des services minimaux
décidées par l'autorité publique compétente soit
confiée à l'autonomie collective, c'est-à-dire
assurée par la voie, soit de la négociation, soit de la
discipline syndicale
".
En application du décret-loi de 1977, de
nombreux
" décrets de service minimum
", dont la
constitutionnalité a été reconnue par le Tribunal
constitutionnel, fixent les conditions particulières de son exercice
dans les centres publics hospitaliers, les chemins de fer, la marine marchande,
la navigation aérienne, les entreprises de raffinage du pétrole,
l'administration de la justice, les établissements publics
d'enseignement... Ces décrets peuvent faire l'objet d'un recours
administratif ou contentieux selon une procédure d'extrême
urgence.
2) Le projet de loi de 1992
Tout en
laissant aux partenaires sociaux le soin de conclure dans les douze mois
suivant la date d'entrée en vigueur de la loi,
le projet de loi de
1992 déterminait le contenu minimum des accords collectifs
. Ces
derniers auraient nécessairement dû comporter les
éléments suivants :
- nature des prestations indispensables et niveau du service minimum ;
- procédure de désignation des travailleurs appelés
à assurer le service minimum ;
- processus de résolution des conflits nés de leur application.
Pour être valables, ces accords auraient dû être
approuvés par le ministre de tutelle du service concerné.
Celui-ci aurait été chargé de leur publication au bulletin
officiel dont relève le service.
A défaut d'accord, le ministre (ou l'autorité correspondante de
la communauté autonome) aurait proposé au gouvernement
l'approbation d'une norme de substitution.
Une
commission de médiation
composée de cinq personnes
nommées par le gouvernement aurait servi de médiateur entre les
parties chargées de négocier des accords et aurait
consulté l'autorité administrative chargée de
l'élaboration d'une éventuelle norme de substitution.
Huit jours avant le début prévu de la grève, les
responsables de son organisation auraient présenté une
proposition d'application concrète du service minimum. A défaut
d'accord réalisé dans les trois jours, les parties se seraient
soumises aux procédures de résolution des conflits
établies dans l'accord relatif au service minimum ou dans la norme de
substitution.
III. LES GARANTIES DE L'APPLICATION DU SERVICE MINIMUM
1) La législation en vigueur
Si les
circonstances sont particulièrement graves, l'" autorité
gouvernementale " peut prendre toutes les mesures qui lui paraissent
justifiées pour maintenir les services essentiels.
En revanche, l'employeur n'a pas le droit de remplacer les grévistes par
des personnes qui n'auraient pas été liées à
l'entreprise par un contrat de travail au moment de la déclaration de la
grève. Cette interdiction ne s'applique cependant pas dans le cas des
salariés chargés du maintien de la sécurité qui se
refuseraient à accomplir leur service.
2) Le projet de loi de 1992
Le projet de loi prévoyait que l'" autorité gouvernementale " pouvait adopter toute mesure nécessaire pour l'accomplissement du service minimum, y compris la substitution des grévistes par des travailleurs n'appartenant pas au personnel de l'entreprise.