LE STATUT JURIDIQUE DE LA
PERSONNE
AVANT LA NAISSANCE - PERSPECTIVES DE DROIT DANOIS ET ESPAGNOL
Cette étude s'intéresse aux catégories et aux conceptualisations juridiques de la personne avant la naissance en Espagne et au Danemark. Les enjeux d'ordre moral liés à cette question ainsi que les considérations scientifiques sous-jacentes rendent difficile l'émergence d'une conception unitaire et systématique.
Pour être pris en considération en tant que sujet de droit, encore faut-il avoir la personnalité juridique en ce qu'elle constitue la marque de reconnaissance par l'ordre juridique de l'existence de la personne, question traditionnellement abordée par le droit civil. Toutefois, des considérations de politique pénale ont abouti à des déterminations différentes de la considération en tant que personne que ce soit en droit danois ou en droit espagnol. Le statut du foetus est ainsi indirectement abordé en cas d'avortement tardif ou de perte de l'enfant d'une victime à la suite d'un accident. L'embryon est lui saisi à l'occasion de l'encadrement de la procréation médicalement assistée (PMA) et de la limitation des possibilités de recherche en la matière.
I. L'ATTRIBUTION DE LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE DU POINT DE VUE CIVIL AU DANEMARK ET EN ESPAGNE
Tant au Danemark comme en Espagne la personnalité juridique reste intrinsèquement liée à la naissance de la personne.
1. La conception de l'octroi de la personnalité juridique en droit civil danois
La doctrine danoise traditionnelle concernant la personnalité juridique est empreinte des considérations d'Alf Ross, important juriste et philosophe du droit danois qui fut l'un des représentants majeurs du réalisme juridique. Dans son ouvrage Du Droit et de la Justice 117 ( * ) , il considère, conformément à la prééminence accordée par les réalistes aux preuves empiriques, que le foetus n'obtient ses premiers droits que lorsque l'acte de naissance est établi, une fois l'enfant né vivant. Il relie cette conception à une vision homocentrique de la morale juridique. Dans cette conception, le foetus se trouve à la frontière entre deux catégories posées par la summa divisio juridique entre les personnes et les choses.
Il apparaît nécessaire d'évoquer le silence du code civil danois qui ne semble aucunement faire mention des conditions d'obtention de la personnalité juridique, renforçant le statut d'hybride juridique du foetus et du flou entourant le moment de la naissance. Ce n'est pas le choix du législateur espagnol qui se prononce expressément.
2. L'attribution de la personnalité juridique dans le droit civil espagnol
L'article 29 du code civil espagnol 118 ( * ) dispose que la naissance détermine la personnalité juridique mais que l'enfant conçu est considéré comme né au regard de tous les effets juridiques qui lui seront favorables 119 ( * ) . Cette disposition a trait particulièrement aux droits patrimoniaux du nasciturus , c'est-à-dire de l'enfant à naître.
Anciennement et jusqu'à la réforme du code civil espagnol opérée en 2011, l'article 30 du même code imposait deux conditions supplémentaires pour l'attribution de la personnalité juridique : la naissance d'un être vivant avec une forme humaine et ayant une vie indépendante hors du ventre de la mère pendant 24 heures. Ces conditions ont été supprimées et l'article 30 actuel n'exige qu'une naissance « vivante » et le détachement complet du ventre de la mère.
* 117 Alf Ross. Om ret og retfærdighed (1959).
* 118 Código Civil. Promulgué par décret royal du 24 juillet 1889. La version actuellement en vigueur est consultable sur https://www.boe.es/eli/es/rd/1889/07/24/(1)/con .
* 119 Cette règle est issue d'un vieil adage de droit romain : infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur.