II. EN ITALIE ET EN SUISSE, LE DÉVELOPPEMENT DE DÉBATS PUBLICS SUR LES INFRASTRUCTURES ET LE RECOURS AUX INSTRUMENTS DE DÉMOCRATIE DIRECTE
En Italie, se met en place progressivement la Commission nationale pour le débat public sur les grands projets d'infrastructures, dans la droite ligne d'initiatives régionales.
Le débat public et la participation citoyenne sont devenus des sujets politiques de premier plan avec l'émergence du Mouvement 5 étoiles ( Movimento 5 Stelle - M5S ), qui fait de la démocratie directe un des axes essentiels de sa doctrine. Le M5S présente la particularité d'être pour une grande partie un parti virtuel sans implantation physique. Il est structuré autour de la plateforme numérique d'échanges Rousseau , qui a été conçue par Casaleggio, le cofondateur du mouvement avec le comique Beppe Grillo. Depuis la mort de l'ingénieur, son fils est devenu propriétaire des droits sur la plateforme qui n'est donc pas en open source . Cette plateforme est utilisée notamment pour permettre des votes sur la définition des positions et les propositions du parti ou sur la sélection des candidats aux différentes élections. Ne peuvent participer que les adhérents. Une exclusion du mouvement (phénomène fréquent dans une organisation à la fois horizontale et étroitement soumise aux directives de ses chefs) revient à être débranché des modules d'accès à la plateforme Rousseau.
Il convient de noter que la Constitution italienne de 1947 prévoit déjà deux dispositifs participatifs distincts et soumis à un contrôle juridictionnel serré : l'initiative législative populaire (art. 71) et le référendum d'initiative populaire à visée abrogative (art. 75). Il faut également relever que le gouvernement Ligue-M5S a déposé un projet de loi , en cours d'examen au Parlement italien, pour renforcer le dispositif d'initiative législative populaire en le couplant avec un référendum obligatoire en cas de refus du Parlement d'adopter un projet de loi conforme à l'initiative populaire qui lui a été présentée.
Parmi les développements récents en matière de débat public, qui ont été poussés avant le M5S par le PD de Renzi lorsqu'il était aux affaires, on se concentrera sur la mise en place progressive de la Commission nationale pour le débat public , qui doit intervenir en amont des grands projets d'infrastructures. Elle a été anticipée par des lois régionales visant à promouvoir la participation des citoyens à la prise de décision et à la construction des politiques publiques. C'est le cas de la région Toscane qui a institué une Autorité régionale pour la garantie et la promotion de la participation.
Débat public régional et promotion de la participation citoyenne en Toscane Les régions italiennes participent à l'exercice du pouvoir législatif. Elles peuvent adopter des lois régionales dans leurs domaines de compétence. En matière de débat public et de participation citoyenne, elles ont été pionnières et ont devancé les dispositifs nationaux. C'est notamment le cas des régions de l'Italie centrale, bastion de la gauche désormais sous pression du M5S. Ainsi, la loi régionale toscane n.46 de 2013 a pour objet premier de contribuer à la rénovation de la démocratie et de ses institutions en intégrant à leur action des pratiques, des procédures et des instruments de démocratie participative (art. 1). Elle veut promouvoir la participation des citoyens comme forme ordinaire d'administration et de gouvernement. À cette fin, la Toscane institue une Autorité régionale pour la garantie et la promotion de la participation (art. 3). Organisme indépendant, elle est formée de 3 membres désignés pour 5 ans par le Conseil régional parmi des personnes à l'expérience prouvée en matière de procédures participatives. La citoyenneté italienne n'est pas requise. L'Autorité a ctive et supervise les procédures de débat public régional , qui constitue un processus d'information, de confrontation publique et de participation sur les ouvrages, les projets ou les interventions qui présentent une importance particulière pour la communauté régionale en matière environnementale, territoriale, paysagère, sociale, culturelle ou économique. Il doit se dérouler en principe pendant la phase préliminaire d'élaboration d'un projet lorsque toutes les diverses options sont encore ouvertes (art. 7). L'Autorité pour la participation décide de l'opportunité d'ouvrir un débat public pour les projets situés en-dessous des seuils de lancement obligatoire. Elle lance la procédure, définit les modalités et les instruments du débat en en garantissant l'impartialité, en veillant à l'expression de tous les points de vue, en facilitant l'accès de tous aux lieux et aux temps du débat. Elle définit les différentes phases du débat et sa durée globale qui ne peut dépasser 90 jours après la fin de l'instruction technique. Elle nomme le responsable opérationnel du débat public , et peut à cette occasion s'autodésigner comme responsable. C'est à celui-ci qu'incombe de piloter concrètement le débat et de rédiger le rapport final remis à l'Autorité qui le transmet au Conseil régional et au Gouvernement régional. Le promoteur du projet soumis à débat dispose de 90 jours pour répondre au rapport (art. 11 & 12). Par ailleurs, au-delà des débats sur les grands projets d'ouvrages ou d'infrastructures, l'Autorité pour la participation évalue et sélectionne des projets participatifs en vue de leur apporter un soutien financier, logistique ou méthodologique . Une partie des ressources financières disponibles de l'Autorité est réservée aux processus participatifs initiés dans des lycées (art. 18 bis et 19). |
Le nouveau code des marchés publics (DL n. 50/2016 modifié par DL n. 56/2017) prévoit pour la première fois en Italie le recours obligatoire à la procédure de débat public avant la réalisation de grands projets d'infrastructure (art. 22, al. 2). Les seuils de déclenchement de la procédure en fonction de la dimension, du montant d'investissements et du type d'ouvrages sont renvoyés à un décret du Président du Conseil des ministres, finalement adopté le 10 mai 2018 , qui définit également la procédure et les modalités de déroulement du débat public. Le débat public est obligatoire lorsque les seuils sont franchis mais peut être organisé sur requête lorsque le projet dépasse les 2/3 des seuils.
Le débat public est défini dans le texte comme le processus d'information, de participation et de discussion publique sur l'opportunité des projets et des solutions envisagées . Sont compris les ouvrages de transports (autoroutes, aéroports, ports commerciaux, tronçons ferroviaires de longue distance comme le Lyon-Turin confronté à la farouche opposition du M5S), les infrastructures et réseaux énergétiques, mais aussi tous les grands projets à usage social, culturel, sportif (grands stades), scientifique ou touristique.
Une Commission nationale pour le débat public est instituée auprès du ministre des infrastructures et des transports. Elle compte 15 membres dont 10 nommés pour 5 ans par l'exécutif (les différents ministres concernés : président du conseil, infrastructures, environnement, développement économique, tourisme, justice et santé) et 5 par la Conférence unifiée qui est l'organe institutionnelle de relations entre l'État et les collectivités locales italiennes (2 représentants des régions, 1 des provinces, 2 des communes). La Commission nationale a la charge de surveiller le bon déroulement de la procédure de débat public, le respect des droits d'information et de participation des citoyens . Elle propose à cette fin toute recommandation de caractère général ou méthodologique. Elle garantit la diffusion adéquate et rapide de toutes les données nécessaires : les modalités de déroulement du débat, les avis rendus, la documentation technique pertinente et les résultats des consultations conclues ou en cours. Elle organise son travail en collaboration étroite avec les collectivités territoriales intéressées par la construction des ouvrages. Elle présente un rapport annuel au Gouvernement et au Parlement.
La procédure de débat public s'ouvre par la communication à la Commission nationale et aux collectivités territoriales concernées d'une décision de lancement accompagnée de documents et informations essentiels : objectifs et caractéristiques du projet d'ouvrage ou d'infrastructure, désignation des représentants de l'administration qui suivront le débat public, présentation de documents de faisabilité incluant différentes alternatives. Le lancement du débat public proprement dit donne lieu à une publication dans les 7 jours sur les sites internet de la commission nationale et des collectivités concernées. Est communiqué à cette occasion au public un dossier de projet qui motive dans un langage clair et compréhensible les solutions préconisées en présentant leur impact social, environnemental et économique.
Un rôle essentiel sera tenu localement dans chaque procédure par le coordinateur du débat public sélectionné par le ministre compétent en fonction de son expérience de gestion de processus participatifs ou dans la planification et la conduite de projets. Il ne peut être résident ou avoir son domicile dans le territoire de la province ou de la métropole où sera implanté le nouvel ouvrage.
Le coordinateur a la charge d'élaborer un document-cadre définissant les thèmes soumis à la discussion, le calendrier des rencontres et les modalités concrètes de participation du public . Il peut demander à l'autorité administrative qui a rédigé le dossier du projet d'ouvrage ou d'infrastructure des ajouts ou des modifications. Il doit favoriser la confrontation des points de vue et faire émerger les positions en lice , notamment en mobilisant les contributions d'experts. Il définit et gère de façon objective et transparente le plan de communication et d'information du public. Il est responsable du site internet propre à la procédure de débat public en cours. Il fait part la Commission nationale du débat public de toutes les anomalies dans le déroulement du débat public.
Enfin, le coordinateur du débat public rédige le rapport de conclusion du débat public qui est remis à la Commission nationale et à l'autorité administrative adjudicatrice. Le rapport résume la procédure, les positions qui ont émergé au cours du débat et les questions ouvertes et les problématiques en suspens. Sur ces questions et problématiques, il est demandé à l'autorité administrative en charge du projet de prendre position dans un dossier conclusif motivé dont la remise, dans les deux mois suivant le rapport du coordinateur, clôt la phase de débat public. Les coûts relatifs au déroulement du débat public sont supportés par l'autorité administrative adjudicatrice.
En Suisse, la participation citoyenne prend la forme du référendum d'initiative populaire (RIP) et, au niveau local, d'assemblées communales ou de parlements. On renvoie sur le premier point à la note précédente sur le RIP.
Au niveau local , il existe dans de nombreuses petites communes suisses des assemblées communales ou des parlements permettant aux citoyens de décider au niveau local. Les assemblées sont formées de la réunion des citoyens électeurs de la commune tandis que le parlement est un organe législatif formé de représentants élus. L'Assemblée des Communes suisses (équivalent de l'AMF) indique que près de 80 % des communes mettent en place des assemblées communales même si la participation n'est que de 20 % des habitants dans les plus petites communes, 2 à 3 % dans les communes plus grandes . Les assemblées communales sont adaptées aux petites communes ayant « une population homogène et sans clivage politique. Dans l'idéal, elles y permettent des débats animés au cours desquels les meilleurs arguments l'emportent et les projets sont conçus de façon à être les plus utiles et à susciter la plus grande acceptation possible. Leurs compétences sont plus ou moins larges. Dans plus de 60 % des cas, elles décident de tous les objets ». 111 ( * )
Comment fonctionnent concrètement les assemblées communales ? Prenons l'exemple du Canton de Fribourg. Aux termes de l'article 131 de la Constitution de ce canton, « chaque commune a une assemblée communale ou un conseil général » et un conseil communal. Pour clarifier la terminologie, il faut relever que le conseil général est l'organe législatif et que le conseil municipal est l'organe exécutif de la commune dans ce canton. 112 ( * ) Le conseil général élu n'existe que dans les plus grosses communes, où il est d'ailleurs obligatoire comme à Fribourg même. L'article 50 du même texte précise que « dans les communes sans conseil général, les citoyennes et les citoyens actifs exercent leurs droits politiques au sein de l'assemblée communale » .
Ont le droit de voter et d'élire en matière communale « les Suissesses et les Suisses domiciliés dans la commune » ainsi que « les étrangères et les étrangers domiciliés dans la commune qui sont domiciliés dans le canton depuis au moins cinq ans et au bénéfice d'une autorisation d'établissement » majeurs (article 48). Ils sont membres de l'assemblée communale et élisent les membres du conseil général et du conseil municipal.
Les autorités de la commune de Misery-Courtion dans le canton de Fribourg 113 ( * ) précise que « l'assemblée communale est l'organe de décision de la commune. » Elle se tient deux fois l'an au printemps, pour la reddition des comptes, et fin décembre, pour le budget . En cas de besoin, une assemblée extraordinaire peut être convoquée, soit par l'exécutif communal, soit lorsque le dixième des citoyens actifs en font la demande écrite. Les électeurs de la commune participent aux débats du Conseil communal et peuvent avancer des propositions. Détenteurs du pouvoir législatif local, ils ont le pouvoir d'adopter ou de rejeter les propositions de l'exécutif communal. Les procès-verbaux des assemblées générales sont publics et disponibles sur les sites internet des communes.
L'assemblée communale est présidée par le syndic de la commune, soit l'équivalent du maire. Les services administratifs de la commune gèrent l'organisation des débats.
Là où il n'y a pas d'assemblée communale, on trouve en règle générale des parlements ou des conseils généraux selon la terminologie cantonale. Un nombre minimal d'habitants est requis pour pouvoir mettre en place un parlement, qui est donc une forme adaptée aux grandes communes connaissant des clivages politiques. En 2015, on recensait 476 parlements, comprenant pour la plupart entre 16 et 45 membres. Les parlements communaux totalisent 17 339 sièges, un élu représentant en moyenne 190 habitants. Ils permettent des débats structurés et une meilleure continuité et cohérence des votes. C'est le choix très majoritaire en Suisse romande (cantons francophones et Tessin).
* 111 E. Rutz, « Participation : Assemblée communale ou Parlement ? », Commune Suisse, 2/17, pp. 46-48.
* 112 Les dénominations varient de canton à canton. Dans le canton de Vaud, les dénominations sont inversées par exemple.
* 113 https://www.miserycourtion.ch/documents-officiels/assemblees-communales-comptes-et-budgets/