M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, un an après l’entrée du droit à l’IVG dans la Constitution et cinquante ans après sa légalisation par la loi Veil, nous reconnaissons aujourd’hui la souffrance physique et morale subie par les femmes ayant avorté en bravant l’interdit.
Avec ce texte, la Nation admet que l’interdiction de l’IVG constituait une atteinte à la santé des femmes et à leur autonomie sexuelle et reproductive. Ce texte reconnaît la répression patriarcale exercée par l’État sur le corps des femmes. Nous saluons la création d’une commission nationale indépendante chargée de rétablir la vérité. Nous regrettons néanmoins l’impossibilité d’aller jusqu’à la compensation financière.
Face à un État qui s’appropriait tous les droits sur le corps des femmes, celles-ci ont dû longtemps se débrouiller seules.
Avant 1975, l’avortement, c’étaient des pratiques dangereuses, parfois mortelles, causant des infections graves, des utérus transpercés, des hémorragies, des septicémies.
Avant 1975, l’avortement, c’était risquer d’être traîné devant un tribunal, c’était s’exposer à des sanctions pouvant aller jusqu’à cinq ans d’emprisonnement et à 100 000 francs d’amende. Sous le régime de Vichy, c’était même s’exposer à la peine de mort.
Avant 1975, l’avortement clandestin, c’était la double transgression, à la fois sociale et pénale. C’était l’isolement, la stigmatisation, l’échec social.
Dans son discours de 1975, Simone Veil estimait à 300 000 le nombre des femmes qui pratiquaient chaque année un avortement clandestin. Mais nous savons maintenant qu’elles étaient sans doute deux, voire trois fois plus nombreuses.
L’écrivaine Annie Ernaux soulignait que « le paradoxe d’une loi juste est presque toujours d’obliger les anciennes victimes à se taire, au nom du “c’est fini tout ça”, si bien que le même silence qu’avant recouvre ce qui a eu lieu. » Avec cette proposition de loi, nous mettons fin à ce silence et nous reconnaissons la violence qui s’est exercée contre ces femmes innocentes.
Les femmes ont payé de leur santé et de leur vie ce diktat sur leur propre corps. Avec ce texte, nous affirmons que les coupables, ce ne sont pas les femmes qui avortent ni celles et ceux qui les ont aidées. Le coupable, c’est l’État, qui, en voulant contrôler le corps des femmes, les a mises en danger et les a condamnées.
Rappelons que ce texte nécessaire arrive dans un contexte préoccupant de recul des droits sexuels et reproductifs : 47 000 femmes meurent chaque année des suites d’un avortement clandestin.
Nous, parlementaires, avons constaté l’an dernier à quel point les mouvements antichoix étaient offensifs, financés et organisés. C’est une vérité : la désinformation prolifère et l’influence des assertions mensongères sur l’impact de l’avortement progressent chez les jeunes.
En vérité, les femmes recourent à l’avortement à tout âge. Et à tout âge, recourir à un avortement, c’est risquer d’être confronté à un manque de compréhension de la part de certains professionnels de santé, à des jugements moraux et à des questions intrusives, stéréotypées ou culpabilisantes.
Protéger le droit à l’IVG, c’est renforcer notre service public de santé, financer les centres de santé et les rendre accessibles partout en France. Ce texte nous renvoie aussi à notre haute responsabilité de continuer à lutter pour que le droit à l’IVG soit effectif.
Le groupe CRCE-K remercie l’auteure de cette proposition de loi. Nous sommes d’accord, il faut bien un devoir de mémoire. Notre responsabilité est d’écrire la vérité de l’histoire des droits des femmes, en commençant par recueillir la mémoire des atteintes à ces droits. Avec ce texte, la France regarde en face son passé.
Nous voterons donc pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER, GEST et RDSE. – Mme Olivia Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Mélanie Vogel. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Mélanie Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de remercier notre collègue Laurence Rossignol d’avoir pris, avec son groupe, l’initiative d’inciter l’État à ce nécessaire devoir de mémoire et de repentance dû aux millions de victimes qu’a causées la criminalisation de l’avortement en France.
À toutes ces femmes, à toutes celles et à tous ceux qui les ont aidées, malgré les risques encourus, à maîtriser leur vie en ayant accès, clandestinement et donc dangereusement, à l’avortement, la France a envoyé un message puissant, il y a de cela un an.
Nous leur avons dit, le plus solennellement possible, dans notre Constitution : « Vous n’auriez jamais dû subir ce que vous avez subi. »
Nous leur avons dit : « Les tricoteuses, les faiseuses d’anges, les cintres, les souffrances physiques, psychiques, sociales, économiques qui vous ont été infligées, nous n’aurions jamais dû les permettre et nous nous engageons, comme société, à ne plus jamais les accepter. »
Le 4 mars 2024, nous avons implicitement dit : « La France a eu tort de criminaliser l’avortement. » Aujourd’hui, nous le disons explicitement.
L’établissement de ce tort n’est pas seulement symbolique. Lorsqu’une faute est établie, lorsqu’un préjudice est reconnu, cela entraîne des responsabilités.
Cette responsabilité face aux victimes du passé s’étend aussi, politiquement, aux femmes d’aujourd’hui, à qui nous avons promis que leur liberté serait toujours garantie et qui peinent encore à accéder à ce droit fondamental en France.
Dans la Drôme, il n’y a plus aucun centre de santé sexuelle. Tous ont fermé. En France, 20 % des femmes doivent changer de département pour accéder à l’avortement.
La cohérence avec le devoir de mémoire que nous faisons aujourd’hui, c’est d’assurer l’effectivité de ce droit partout sur le territoire de la République. Cette responsabilité s’étend aussi par-delà nos frontières, parce que le droit à disposer de son corps et de sa vie est, de notre point de vue, universel.
La France d’avant 1975, à bien des égards, nous rappelle les États-Unis d’aujourd’hui. Le droit à l’avortement est partout attaqué par l’internationale réactionnaire, y compris en France, où les antichoix sont toujours là.
Si nous reconnaissons notre responsabilité pour les victimes d’avant 1975, qu’avons-nous à dire à celles qui meurent toujours en 2025 ?
La responsabilité de la France, en votant cette loi, c’est bien de soutenir, face à cette internationale réactionnaire, la solidarité féministe par-delà les frontières, pour l’avancée des droits des femmes, et d’adresser un message puissant aux dizaines de millions de femmes toujours soumises aujourd’hui à la clandestinité.
Toutefois, notre responsabilité va aussi un peu plus loin. Nous avons souvent voté, et c’est tout à fait naturel, des lois mémorielles, que ce soit en souvenir des victimes de la déportation ou en reconnaissance de la traite, de l’esclavage ou encore du génocide arménien. L’année dernière, nous avons adopté la proposition de la loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1945 et 1982, qui sera bientôt de retour au Sénat en dernière lecture, ce dont je m’en félicite.
Dans quelques décennies, j’en prends ici le pari solennel, nous voterons fièrement ensemble d’autres lois mémorielles. Un jour, j’en suis convaincue, nous adopterons un texte pour reconnaître le préjudice subi en France par les personnes trans, entre autres.
Aussi, à celles et ceux, dans cet hémicycle et ailleurs, qui regretteront demain, individuellement ou collectivement, leur position actuelle sur tant de sujets, je pose cette question : est-il bien opportun de persister à défendre des opinions qui nous rendront honteux à l’avenir ?
En ce moment solennel, ne pourrions-nous pas gagner du temps et alléger le fardeau des futures fautes à reconnaître ? Ainsi, garantissons, dès aujourd’hui, la même dignité et l’égalité des droits à toutes et à tous en France ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et RDSE. – Mme Olivia Richard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, et c’est heureux pour eux.
Je vous parle d’un temps où la société patriarcale, l’ordre moral et le cadre légal envoyaient nos grands-mères, nos mères, les épouses de certains d’entre vous peut-être, devant les tribunaux, dans les cachots et même à l’échafaud.
Je vous parle d’un temps où, en France, on entravait le corps des femmes.
Je vous parle d’un temps où, en France, les femmes subissaient l’affront d’être jugées et condamnées, parce qu’elles avaient osé avorter.
Je vous parle d’un temps où des femmes étaient contraintes d’avorter parce que le fruit de leurs amours ne répondait pas aux convenances sociales et aux attentes familiales.
Je vous parle d’un temps où le troussage de domestiques, comme on le disait vulgairement, était monnaie courante, où le maître de maison engrossait la bonne avant de la mettre à la rue.
Je vous parle d’un temps où les femmes, dans la nuit et le brouillard, montaient à bord de cars pour traverser la France et trouver un médecin compréhensif ou une faiseuse d’anges.
Je vous parle d’un temps où des femmes subissaient des curetages qui se passaient mal. Nombre d’entre elles étaient anonymes, mais quelques-unes étaient célèbres. Une chanteuse en particulier en a témoigné : Dalida.
Je vous parle d’un temps où des militantes et des militants ont eu le courage de se lever et d’élever la voix. C’étaient les militantes du MLAC et du MLF, c’était les « 343 salopes », c’était Gisèle Halimi, c’étaient ces victimes qui osaient témoigner à visage découvert lors du procès de Bobigny. C’étaient aussi ces femmes qui faisaient la une de la presse parce qu’elles étaient mortes, soit, pour celles que l’on envoyait à l’échafaud, à cause d’une décision de justice, soit parce que l’avortement s’était mal passé.
Je vous parle de tout cela comme le fruit de l’Histoire. Et l’Histoire nous oblige.
Mes chers collègues, nous allons aujourd’hui voter cette proposition de loi. Le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain le fera en étant fidèle à son histoire et à ses combats fondateurs. Certes, le parti socialiste n’était pas le seul à mener cette lutte, mais il est celui que je connais le mieux, il s’est illustré en participant à tous les mouvements émancipateurs pour les femmes dans notre pays et il a toujours été au rendez-vous de l’Histoire.
Aujourd’hui, en votant cette proposition de loi, nous adressons plusieurs messages.
Nous disons tout d’abord aux femmes que la honte doit changer de camp. Aujourd’hui, en France, nous ne tolérerons plus qu’une femme soit obligée de baisser la tête, de mettre un genou à terre et de baisser les yeux tout simplement parce qu’elle a avorté.
En outre, nous lançons un signal aux Françaises, certes, mais aussi à toutes les femmes qui peuplent la surface de la Terre. À ces femmes qui souffrent et qui luttent, en Iran, en Afghanistan, au Nigeria, en Ukraine, en Hongrie, en Pologne, mais aussi aux États-Unis, nous rappelons qu’il existe un vieux pays, un grand pays, un beau pays, qui leur adresse aujourd’hui un message d’espoir au travers de ce vote : la France.
À toutes ces femmes, nous disons aujourd’hui que nos voix et nos cœurs sont à l’unisson des leurs. Nous leur disons que la France renouvelle la vocation qui a toujours été la sienne de porter urbi et orbi – à la ville et au monde – un message universel de liberté, d’égalité, de fraternité et de sororité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K, GEST, INDEP et RDSE. – Mme Sabine Drexler applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Louis Vogel.
M. Louis Vogel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 26 novembre 1974, à la tribune de l’Assemblée nationale, Simone Veil présentait son projet de loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse.
Elle s’exprimait en ces termes : « Personne n’a jamais contesté, et le ministre de la santé moins que quiconque, que l’avortement soit un échec, quand il n’est pas un drame. Mais nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours. »
Un demi-siècle après la dépénalisation de l’avortement, nul ne saurait contester les souffrances, qu’elles soient physiques ou morales, endurées par ces femmes amenées à subir des avortements clandestins et par certaines des personnes y ayant procédé.
Comment ne pas y être sensible ? Ce serait incompréhensible ! Réhabiliter la mémoire de toutes ces femmes condamnées pour avortement est un devoir.
Si Simone Veil, en 1974, avançait que 300 000 femmes interrompaient leur grossesse chaque année, le nombre d’avortements clandestins ayant été pratiqués fait toujours l’objet de travaux de recherche, car il apparaît difficile de disposer de données précises, mais il était sans doute bien plus important.
Ces chiffres sont importants, quantitativement, bien sûr, pour savoir quelle était la situation, mais aussi parce qu’ils cachent de véritables tragédies : celles de femmes qui, la plupart du temps, se sont trouvées seules à faire un choix impossible et qui ont finalement opté pour un avortement clandestin, à un prix souvent exorbitant et avec un risque très élevé de complications. Aussi l’initiative de notre collègue Laurence Rossignol est-elle la bienvenue.
La proposition de loi que nous examinons a un double objectif.
D’une part, elle reconnaît les souffrances endurées aussi bien par les femmes ayant eu recours à l’IVG que par les personnes condamnées pour l’avoir pratiquée.
D’autre part, elle institue une commission nationale indépendante auprès du Premier ministre, afin de collecter les témoignages des préjudices subis et transmettre la mémoire de ces derniers.
Il s’agit bien d’un texte mémoriel, qui n’ouvrira aucun droit à des indemnisations ou compensations financières. La commission des lois a tenu à apporter cette précision, et je m’en réjouis.
J’approuve également l’initiative de son rapporteur qui a modifié la composition de la commission nationale indépendante, en écartant les représentants de l’État et en y incluant des historiens et des chercheurs spécialistes du sujet.
Madame la ministre, mes chers collègues, cinquante ans après la dépénalisation de l’avortement, il est primordial de réhabiliter la mémoire de toutes ces personnes qui ont subi, souvent au péril de leur vie, des avortements clandestins, ou qui les ont pratiqués.
Alors que nous avons voté l’an passé, par la loi constitutionnelle du 8 mars 2024, l’inscription de l’interruption volontaire de grossesse dans notre Constitution, cette proposition de loi permettra de rendre hommage à toutes celles qui n’ont pu bénéficier de cette reconnaissance.
Le groupe Les Indépendants votera donc en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC, RDSE, GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Agnès Evren. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Evren. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il y a un an presque jour pour jour, le Parlement français inscrivait dans la Constitution la liberté de recourir à l’IVG. Désormais, l’interruption volontaire de grossesse est devenue un droit inaliénable, gravé dans notre texte suprême.
Pourtant, alors que nous célébrons le cinquantième anniversaire de la loi Veil, nous sommes aujourd’hui réunis pour rappeler que ce droit n’a pas toujours été une évidence. Pendant plus d’un siècle, en France, avorter n’était pas seulement interdit : c’était un crime puni par la loi, réprimé par les tribunaux et combattu par la société.
Des milliers de femmes ont été jugées, humiliées, privées de leur liberté, stigmatisées. Certaines ont tout perdu. D’autres y ont laissé leur vie. Aujourd’hui, nous avons un devoir : leur rendre justice. Tel est l’objet de cette proposition de loi, portée par ma collègue Laurence Rossignol, que je tiens à remercier. Elle vise à reconnaître officiellement l’injustice et les souffrances de ces femmes et à leur rendre leur dignité.
Les conséquences de la législation répressive d’avant 1975 ont été dramatiques : des centaines de milliers de femmes ont dû avorter clandestinement, dans des conditions souvent insoutenables, dans des arrière-boutiques, sur des tables de cuisine, avec des aiguilles à tricoter. Elles ont subi l’infection, l’hémorragie, la peur et, parfois, la mort. L’État, par ses lois, n’a pas seulement bafoué la liberté des femmes ; il a aussi gravement mis en danger leur santé, au nom d’un puritanisme législatif.
Les chiffres sont glaçants : entre 1870 et 1975, plus de 11 660 personnes ont été condamnées pour avortement. Simone Veil évoquait en 1974 le chiffre de 300 000 avortements clandestins par an.
Derrière ces chiffres, il faut imaginer les visages de ces femmes courageuses, à qui nous voulons rendre hommage. Je pense en particulier à celui de Marie-Claire, jugée à Bobigny en 1972 pour avoir avorté après un viol. Celle-ci a eu la chance d’être défendue par Gisèle Halimi et d’être soutenue par les militantes féministes. Mais combien d’autres sont restées seules, dans le silence absolu ?
Nous avons inscrit la liberté de recourir à l’IVG dans la Constitution, afin de garantir à ce droit une protection supérieure. Mais comment pourrions-nous prétendre défendre cette liberté sans reconnaître celles qui, avant nous, ont subi l’injustice ?
L’article 1er de cette proposition de loi vise à reconnaître solennellement que les lois pénalisant l’avortement ont constitué une atteinte aux droits fondamentaux des femmes, en particulier à leur santé, à leur autonomie et à leur égalité. Je salue d’ailleurs l’excellent travail de la commission des lois et de son rapporteur Christophe-André Frassa, qui a estimé incontestable la souffrance des femmes du fait de la législation antérieure à la loi Veil.
L’article 2 tend à créer une commission nationale indépendante chargée de recueillir leur parole, d’écrire leur histoire et de préserver leur mémoire, parce que cette dernière est un rempart contre l’oubli. Nous devons documenter ces récits, écouter ces femmes et leur redonner une voix.
Il ne s’agit pas d’entamer une démarche indemnitaire ni de rouvrir des procès. Il s’agit d’un acte de vérité et de justice sociale. Il s’agit de dire, officiellement, que ces condamnations étaient une erreur.
Cette proposition de loi, mes chers collègues, ne concerne pas seulement le passé. C’est un message pour l’avenir.
Nous savons que les droits des femmes ne sont jamais acquis. Aux États-Unis, en Pologne, en Hongrie, des gouvernements remettent en cause ce droit fondamental. Encore aujourd’hui, aux États-Unis, des adolescentes sont contraintes de parcourir des centaines de kilomètres pour trouver un État où elles pourront avorter.
Ne nous trompons pas : lorsque l’on cesse de défendre un droit, on prépare sa disparition. C’est pourquoi nous devons garantir un véritable accès à l’IVG sur tout le territoire français et assurer une vigilance constante.
Réhabiliter ces femmes, c’est leur rendre justice, mais c’est aussi envoyer un message clair à toutes celles qui, aujourd’hui encore, doutent, culpabilisent, hésitent : votre liberté, mesdames, est légitime. Votre corps vous appartient, et jamais plus l’État ne doit vous le contester.
Mes chers collègues, nous avons inscrit l’IVG dans la Constitution. Aujourd’hui, nous avons un autre devoir : faire acte de mémoire. Réparons l’injustice. Réhabilitons ces femmes !
Le groupe Les Républicains votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, INDEP, RDSE et SER.)
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli.
M. Xavier Iacovelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour un moment de vérité, de mémoire et de justice.
Il y a cinquante ans, la loi Veil reconnaissait aux femmes le droit de disposer de leur corps en dépénalisant l’interruption volontaire de grossesse. Mais avant cette date, avant cette victoire, la société et la République elles-mêmes ont abandonné, condamné et brisé des milliers de femmes.
Ces femmes n’étaient pas des criminelles. Elles étaient des mères, des sœurs, des filles, des amies. Elles étaient parfois trop jeunes, trop isolées, trop démunies. Elles étaient dans une détresse que nous ne pouvons qu’imaginer. Pourtant, elles ont été traquées, jugées, enfermées et, pour beaucoup d’entre elles, poussées à la clandestinité, au danger et parfois même à la mort.
La loi de l’époque ne se contentait pas d’interdire l’avortement. Elle les privait de choix. Elle les privait de liberté. Elle les privait d’un droit fondamental : celui de disposer de leur corps.
En 1943, sous le régime de Vichy, une femme, Marie-Louise Giraud, a été guillotinée pour avoir pratiqué des avortements. Autrement dit, elle a été exécutée pour avoir aidé d’autres femmes. Son nom restera à jamais comme le symbole d’une époque où la République a trahi ses propres valeurs et son humanisme.
Il y a cinquante ans, une femme courageuse, Simone Veil, a brisé le silence de milliers de femmes pour lesquelles la liberté était non pas seulement une idée, mais aussi un droit. Elle s’est levée, telle une Marianne, pour briser l’omerta d’une souffrance qui, année après année, frappait des milliers de femmes.
Selon Simone Veil, 300 000 femmes avaient été concernées par des IVG clandestines en 1974. Ces femmes ont été mutilées, emprisonnées, parfois même assassinées par l’indifférence d’un système qui préférait punir plutôt que protéger. Aujourd’hui, certaines estimations vont bien au-delà.
La commission nationale indépendante placée sous l’autorité du Premier ministre, dont cette proposition de loi assure la création, permettra de recueillir et de transmettre la mémoire de ces préjudices.
La reconnaissance officielle des souffrances subies par ces femmes n’est pas seulement un acte symbolique : c’est une obligation historique et morale. Voter le présent texte, c’est dire à ces femmes : « Vous étiez non pas coupables, mais victimes. » Avec cette proposition de loi, nous parlons d’ailleurs non pas d’indemnisation, mais de mémoire et de reconnaissance.
Nous avons, envers toutes ces femmes, un devoir de mémoire. Il faut reconnaître à la fois les souffrances qu’elles ont endurées et l’injustice des peines qui les ont frappées. Et n’oublions pas non plus les hommes, notamment les médecins, qui les ont accompagnées par solidarité ou par conviction. Ils ont payé très cher l’aide qu’ils leur ont apportée.
Voter le présent texte, c’est enfin reconnaître que, du fait de législation en vigueur de 1820 à 1975, des milliers de femmes ont dû subir des avortements clandestins, au péril de leur santé et de leur vie. Ces femmes en ont été marquées par des séquelles irréversibles et par des traumatismes indélébiles, quand elles n’en sont pas mortes…
Alors qu’un demi-siècle nous sépare de la loi Veil, des combats de Gisèle Halimi et des 343, nous sommes ici pour rappeler que l’histoire, si nul ne la cultive, peut s’effacer, voire être réécrite au détriment des droits fondamentaux et, tout simplement, de la liberté.
L’histoire des femmes en France, c’est l’histoire d’un combat qui dure ; l’histoire d’une lutte permanente pour l’égalité, pour le droit de disposer librement de son corps, pour la liberté des femmes et leur place dans la société.
Aujourd’hui encore, cette liberté est menacée. En Europe comme ailleurs dans le monde, des droits que l’on croyait acquis vacillent. Nous en parlions déjà il y a un an, lorsque nous votions, ensemble, l’inscription dans la Constitution du droit à l’interruption volontaire de grossesse (IVG).
Des législations régressent, des voix réactionnaires s’élèvent, et ce qui semblait hier une évidence se trouve désormais en péril.
Sitôt qu’elle arrive au pouvoir, que ce soit aux États-Unis, en Italie, en Pologne ou encore en Hongrie, l’extrême droite s’empresse systématiquement de remettre en cause des droits et libertés durement conquis. L’exemple de ces pays nous le rappelle : certains régimes n’hésitent pas à attaquer des avancées fondamentales, contredisant ainsi l’idée que certains acquis sont intangibles.
Mes chers collègues, refusons les antichoix. En adoptant cette proposition de loi, nous ne ferons pas qu’un acte de mémoire : nous accomplirons un acte politique.
Réaffirmons-le : la France ne tolérera jamais que l’on remette en cause la liberté des femmes. Et, aux intéressées, disons-le aujourd’hui : la République vous reconnaît, enfin. Et demain, nous continuerons à défendre le droit inaliénable des femmes à disposer de leur corps, sans peur, sans honte et sans jugement.
La mémoire d’une nation reflète les valeurs d’une société. Sans mémoire, il n’y a pas de progrès. Sans transmission, il n’y a pas de justice.
Changer le regard porté sur l’histoire des femmes, c’est refuser l’oubli. Changer le regard porté sur l’histoire des femmes, c’est défendre chaque jour la liberté de ces dernières. Changer le regard porté sur l’histoire des femmes, c’est bâtir collectivement l’avenir d’une société juste et égalitaire.
Aujourd’hui et pour toujours, faisons en sorte que la France se souvienne ; qu’elle se souvienne des luttes menées ; qu’elle se souvienne de ses victoires et de ses souffrances ; qu’elle se souvienne surtout de ces femmes.
Les élus du groupe RDPI voteront avec conviction cette proposition de loi et remercient de nouveau Laurence Rossignol de son initiative. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP, SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en vertu de l’article 317 du code pénal de 1810, figurant au chapitre des crimes et délits contre les personnes, « quiconque aura procuré ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte […] sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans ».
Si l’avortement thérapeutique est finalement reconnu en 1852, la politique nataliste engagée dans les années 1920 durcit l’arsenal législatif. En la matière, le pic répressif est atteint sous le régime de Vichy, qui déclare l’avortement « crime contre la sûreté de l’État » et le rend passible de la peine de mort.
Cette répression se poursuit après la guerre. En 1946, plus de 5 000 affaires d’avortements clandestins sont portées devant les tribunaux. Les condamnations pour interruption volontaire de grossesse (IVG) perdurent encore trente ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.
De plus, il serait faux de croire que le combat contre la pénalisation de l’avortement s’est arrêté le 17 janvier 1975, avec la promulgation de la loi Veil. Plus de trente millions d’avortements non sécurisés sont encore pratiqués chaque année dans le monde ; ces derniers représentent même la troisième cause de mortalité maternelle à l’échelle du globe.
On recense, en 2025, vingt et un pays interdisant totalement l’avortement. Certains États ne sont parvenus à une légalisation que très récemment. C’est le cas de l’Argentine et, dans ce pays, la victoire a été arrachée de haute lutte, il y a à peine quatre ans, après des années d’intense mobilisation.
Au total, 40 % des femmes vivent encore dans des pays où la législation limite le droit à l’avortement à certains cas précis, voire prohibe totalement l’interruption volontaire de grossesse.
Ces restrictions concernent aussi des pays dits développés. Aux États-Unis, où, en la matière, le récent recul est notoire, en Pologne, en Hongrie, à Malte ou encore en Andorre, l’accès à l’avortement demeure restreint, quand l’IVG n’est pas interdite.
Je rappelle d’ailleurs à mon tour que, malgré l’inscription dans notre Constitution de la liberté de pratiquer une IVG, l’égal accès à l’avortement se fait encore attendre pour les femmes françaises.
Je pense bien sûr à nos concitoyennes résidant à l’étranger, qu’elles vivent en Chine, en Arabie saoudite, au Maroc, au Sénégal ou encore aux Philippines. Pour elles comme pour les 750 millions de femmes qui, à travers le monde, vivent dans des États où le droit à l’avortement est restreint, voire bafoué, le combat pour les droits reproductifs et la liberté à disposer de son propre corps reste plein et entier, aujourd’hui, en 2025.
C’est dans ce contexte global que s’inscrit, à mon sens, le présent texte, lequel s’inspire en grande partie d’une proposition de loi visant à indemniser les personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982, déposée par notre collègue Hussein Bourgi.
Les dispositions proposées par Laurence Rossignol, que je tiens également à saluer, ont un grand mérite : elles ouvrent la voie à la reconnaissance officielle du préjudice subi par les personnes condamnées au titre d’une législation que nous réprouvons.
L’exercice auquel nous nous livrons relève donc avant tout du devoir de mémoire.
Bien qu’il soit dénué de portée normative, l’article 1er réhabilite les femmes ayant souffert des lois mentionnées, celles ayant dû pratiquer un avortement clandestin et toute personne ayant été condamnée pour avoir pratiqué de telles IVG.
Sans ouvrir la voie à l’indemnisation des préjudices, cette proposition de loi institue une commission indépendante de reconnaissance des souffrances et traumatismes subis par les femmes ayant avorté et les personnes ayant pratiqué des avortements avant la loi de 1975.
La création de cette commission et la reconnaissance officielle des préjudices subis permettront, je n’en doute pas, de libérer la parole et, dès lors, de mieux documenter les souffrances vécues. Nous recueillerons ainsi de précieux témoignages, où les historiens trouveront matière à leurs travaux futurs. En résultera également, nous l’espérons, une forme de réparation pour les victimes.
Bien entendu, les élus du RDSE voteront unanimement ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC, SER, CRCE-K et GEST.)