PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Robert

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Intitulé de la proposition de loi (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'exercice des missions des architectes des Bâtiments de France
 

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Dossier législatif : proposition de résolution en application de l'article 34-1 de la Constitution, visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants
Discussion générale (fin)

Mettre fin au sans-abrisme des enfants

Adoption d’une proposition de résolution

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (proposition n° 157 rectifié).

Discussion générale

Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Ian Brossat, auteur de la proposition de résolution.

M. Ian Brossat, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre d’une proposition de résolution qui pose une question simple : comment la France, sixième puissance économique mondiale, peut-elle tolérer que des enfants dorment dehors ?

Cette réalité insoutenable est pourtant le quotidien de milliers de familles, de mères, d’enfants et de nourrissons, contraints de survivre dans la rue, enchaînant des solutions d’hébergement précaires, temporaires et inadaptées.

Dans le XVIIIe arrondissement de Paris, dont je suis l’élu, le centre d’hébergement Suzanne-Valadon accueille des familles en détresse. Je m’y suis rendu dimanche dernier pour rencontrer ces familles – mères et enfants – qui, après des mois d’errance, y ont trouvé un toit. Mais il s’agit d’un toit temporaire.

Derrière les chiffres, il y a des visages et des regards d’enfants. Il y a Pierre-Maël, âgé de 5 ans, qui se réveille chaque nuit en pleurant, car sa chambre est infestée de souris. Pour lui, la nuit est non pas un moment de repos, mais une source d’angoisse. Il y a encore la petite Anne-Laure, âgée de 3 ans, qui n’a jamais connu la stabilité, et ignore ce qu’est un foyer sûr et durable. Ces enfants, comme tant d’autres, ne vivent pas : ils survivent.

Certains ont trouvé refuge dans des gymnases, des urgences hospitalières, des églises. D’autres dorment dans la rue, dans des abris de fortune, dans des chambres d’hôtel parfois miteuses ou des squats. Nourrissons, enfants en bas âge, adolescents : tous sont exposés à l’insécurité et à une précarité extrême.

Cette situation – nous en sommes, je le pense, collectivement convaincus – n’est ni une fatalité ni une conséquence inévitable des crises économiques. Elle est le résultat d’un manque de décisions politiques et économiques, d’une absence de volonté réelle de faire du droit au logement une priorité nationale. Nous avons aujourd’hui l’occasion d’envoyer un message fort : nous ne tolérons plus que des enfants dorment dehors.

La France aime, à juste titre, se présenter comme le pays des droits de l’homme. Nous sommes d’ailleurs signataires de la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE) depuis 1989. Nous la citons dans les débats internationaux, nous nous en réclamons comme d’un acquis fondamental. Or que dit cette convention ?

Son article 27 est explicite : « Les États parties reconnaissent le droit de tout enfant à un niveau de vie suffisant pour permettre son développement physique, mental, spirituel, moral et social. » Cet engagement fait peser sur l’État, sur nous, une obligation claire, celle de garantir aux enfants un cadre de vie stable et sécurisé.

L’ONU a d’ailleurs rappelé cette exigence au travers de l’observation générale n° 21 du Comité des droits de l’enfant, qui souligne la vulnérabilité des enfants vivant dans la rue et l’impératif pour les États de mettre en place des politiques publiques adaptées et pérennes afin de faire cesser de telles situations.

Nous ne sommes clairement pas à la hauteur de ces engagements. Le dire n’est pas mettre en cause tel ou tel gouvernement, tel ou tel ministre, car force est de constater qu’il s’agit d’un échec global.

Nous ne pouvons pas nous contenter d’afficher de grands principes si, dans la réalité, nous ne garantissons pas ces droits fondamentaux aux enfants de notre pays. Car les chiffres que nous avons sous les yeux sont alarmants.

Le 19 août 2024, l’Unicef et la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS) ont recensé plus de 2 000 enfants sans solution d’hébergement. Ce chiffre a plus que doublé en trois ans. Parmi eux, 467 enfants avaient moins de trois ans.

À Paris, ce sont environ 400 enfants qui dorment dehors. Dans la métropole de Lyon, ils étaient plus de 300 à la fin de l’année 2023, soit une augmentation de 40 % en un an et de plus de 200 % en deux ans, selon le collectif Jamais sans toit. Derrière ces chiffres, il y a des visages, des vies qui, souvent très jeunes, sont exposées à une extrême précarité.

Concrètement, cela signifie que des centaines de nourrissons et d’enfants dorment chaque soir dans la rue, sans protection, exposés à tous les dangers. Ces chiffres ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Ils ne prennent pas en compte les familles qui ne sollicitent plus le 115, lassées d’attendre un hébergement qui ne vient pas.

Ces enfants sont sans repères et sans protection. Ils grandissent dans la peur, l’incertitude et l’indignité. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire de prendre en compte l’ensemble des conséquences du sans-abrisme des enfants.

Nous savons que le fait de vivre à la rue, même temporairement, laisse des séquelles profondes : troubles du sommeil, anxiété, stress post-traumatique – la liste est bien longue…

Le mal-logement, quant à lui, multiplie par 1,5 le risque de retard scolaire. Il a un coût pour l’État en raison des redoublements qu’il engendre. Il est de notre responsabilité d’agir sans attendre. C’est l’objectif de cette proposition de résolution que nous avons voulue transpartisane – elle a d’ailleurs été signée par des sénatrices et des sénateurs issus de l’ensemble des huit groupes qui constituent notre Haute Assemblée.

Dans cette affaire, il est surtout question d’humanité. Considérer que des enfants peuvent continuer à dormir dehors, c’est renoncer à notre propre humanité. Sur un tel sujet, nous avons besoin, à l’évidence, de dépasser les clivages politiques traditionnels, de nous rassembler, de nous unir autour d’un seul et même objectif : faire en sorte qu’il n’y ait plus d’enfant qui dorme à la rue.

Cela suppose d’abord, nous y reviendrons dans la discussion, de développer des places d’hébergement adaptées : pas de gymnases, mais des hébergements qui soient dignes ; pas de chambres d’hôtel, mais des hébergements convenant aux besoins des familles, qui doivent, par exemple, pouvoir cuisiner. Car tout cela a des conséquences sur la santé des enfants : il faut donc des hébergements dignes pour parer à l’urgence.

À plus long terme, nous avons aussi besoin de logements, qu’ils soient sociaux ou très sociaux, avec des loyers accessibles aux familles ayant des revenus extrêmement modestes.

Voilà l’ensemble des thématiques abordées par cette proposition de résolution. Notre objectif, je le redis, est clair : faire en sorte que plus aucun enfant ne dorme à la rue en France en 2025. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jean-Baptiste Blanc. Cher Ian Brossat, je vous remercie pour cette proposition de résolution qui fait honneur au Sénat et dont je confirme l’esprit transpartisan que vous avez évoqué.

Il y a un petit peu plus de soixante ans, Geneviève de Gaulle-Anthonioz, ancienne résistante, prenait la présidence de l’antenne française d’ATD Quart Monde.

Ce mouvement, créé par le père Joseph Wresinski, se donnait pour objectif, depuis 1957, de construire une société plus juste en rassemblant des hommes et des femmes désireux de s’engager en vue de mettre fin à l’extrême pauvreté.

En 1991, interrogée sur le sens de cet engagement qui se poursuivra pendant plus de trente ans, Geneviève de Gaulle-Anthonioz déclarait : « Quand j’ai découvert que les droits de l’homme, dans mon propre pays, après qu’on ait combattu pour ça, n’étaient pas respectés, parce que la misère ce n’est pas les droits de l’homme, ça m’a fait un drôle de choc. »

Ce choc est encore le nôtre aujourd’hui, et je suis heureux que cette proposition de résolution transpartisane visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants nous permette, d’une part, d’appeler le Gouvernement à l’action – nous savons que vous êtes, madame la ministre, pleinement mobilisée sur ce sujet – et, d’autre part, de nous exprimer sur un sujet dont, trop souvent, nous détournons les yeux.

Malheureusement, comme Ian Brossat l’a rappelé, notre pays ne se distingue pas par de bons résultats : sur le sujet du mal-logement, la France accuse un retard. Si la question du sans-abrisme des enfants est au cœur de nos préoccupations aujourd’hui, je voudrais commencer par rappeler que c’est l’état du mal-logement dans son ensemble en France qui est préoccupant.

Au moins 4,2 millions de nos compatriotes sont mal logés, dont 350 000 sont sans domicile. Les 3,85 millions de personnes restantes vivent, pour les unes, dans des abris de fortune, pour les autres, dans des taudis ou dans des logements surpeuplés. Les plus chanceux auront réussi à trouver une place en structure d’accueil ou en hébergement temporaire à l’hôtel, dans les conditions décrites par Ian Brossat.

Nous ne saurions nous habituer à cette situation indigne du grand pays qu’est la France, indigne pour tout homme quel qu’il soit et d’où qu’il vienne.

Cette réalité, ce choc auquel nous devons nous confronter, n’est pas une nouveauté. Au contraire, elle s’aggrave et appelle à un réveil collectif : entre 2012 et 2014, le nombre de personnes sans domicile a augmenté de 145 %. L’incapacité à trouver des places d’hébergement d’urgence pour ces femmes et ces hommes explique en partie cette croissance préoccupante.

Certes, nous ne sommes pas restés totalement inactifs, l’augmentation du nombre de places d’hébergement de 150 000 en 2017 à 200 000 en 2023 en témoigne. Mais sur cette question nous ne saurions nous réjouir d’un résultat partiel.

Concrètement, il nous faut financer nos ambitions. Sur ce plan, on constante une surexécution chronique du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » de nos lois de finances. Cette surexécution se chiffre à un montant annuel proche d’environ 200 millions d’euros. La sous-budgétisation d’un programme clé prive les opérateurs de la mission de la possibilité de mener sereinement leurs actions. Alors que le stock de places n’a cessé de croître, qu’attend-on pour pérenniser un financement cohérent avec les besoins ?

Certaines associations font ainsi part des difficultés liées à ces incohérences. Les surcoûts liés à la fermeture puis à la réouverture de places s’accompagnent d’un manque grave d’efficacité qu’il nous faut pallier. De même, des actions au profit des personnes hébergées ne donnent parfois lieu au décaissement des crédits que tardivement, voire après leur réalisation, ce qui peut mettre en péril les plus petites structures. Soyons au rendez-vous aux côtés de ceux qui s’engagent concrètement pour soutenir les plus démunis.

Au cœur de cette réalité tragique se situe la question qui nous réunit aujourd’hui : celle, peut-être plus tragique encore, du sans-abrisme des enfants.

Ici encore, le choc éprouvé par Geneviève de Gaulle-Anthonioz, que j’évoquais au début de ma prise de parole, nous étreint. Le chiffre donné par l’Unicef est clair et sans appel : à la fin août 2024, l’on recensait plus de 2 000 enfants à la rue selon le sixième baromètre sur le sujet. La lecture de ce baromètre de l’Unicef ne peut nous laisser indifférents quant à nos responsabilités : ce chiffre est en augmentation de 120 % par rapport à 2020 et, parmi ces 2 000 enfants, 467 ont moins de trois ans. Pourquoi ceux-ci ont-ils passé la nuit du 19 août 2024 dehors ? Parce qu’ils se sont vu opposer une impossibilité d’être pris en charge.

Là encore, l’on aurait aimé pouvoir se rassurer en se disant que la France, patrie des droits de l’homme, était à la pointe de la lutte contre la pauvreté touchant les enfants. Mais non, car en Europe, la France fait, une fois de plus, figure de mauvais élève. La lecture du neuvième Regard sur le mal-logement en Europe publié par la Fondation pour le logement des défavorisés est, à ce titre, édifiante. L’on y apprend que, dans notre pays, plus de 25 % des mineurs sont en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale. C’est le sixième taux le plus haut de l’Union européenne. Pire encore : en France, la part de ménages avec enfants vivant sous le seuil de pauvreté dans un logement insalubre a augmenté de plus de 40 %. Cela nous classe à l’avant-dernière place sur vingt-sept.

Nous ne pouvons tolérer que, dans notre pays, en 2025, des enfants puissent encore rencontrer ce genre de difficultés. Trop souvent invisibilisées, nous pensons que ces réalités appartiennent à un temps révolu, mais elles sont pourtant bien là et elles nous appellent à agir.

Certes, ici encore, des progrès ont été réalisés : la loi de finances pour 2025 retient l’ouverture de 1 000 places pour les enfants dans le parc d’hébergement d’urgence, ainsi que 1 000 places pour les femmes proches de la maternité.

Si ces efforts sont louables et nécessaires – il importe d’ailleurs d’être aux côtés de la ministre pour la soutenir –, il nous faut poursuivre encore collectivement dans ce sens. Deux axes me paraissent ici importants à étudier, en se fondant sur les travaux réalisés par nos collègues de la délégation aux droits des femmes.

En premier lieu, il importe de mieux considérer le cas des femmes avec enfants dans le cadre de l’hébergement d’urgence en assurant à ces dernières davantage de places adaptées à leur configuration familiale, notamment en vue de leur permettre de disposer de plus d’intimité.

En second lieu, n’oublions pas le travail remarquable réalisé par les travailleurs sociaux dans notre pays : leur profession et leur statut méritent d’être revalorisés.

Enfin, je tiens à rappeler que la gestion de l’urgence ne saurait être une fin en soi. Car, pour les enfants sans abri, ce qui manque est non pas seulement le toit, mais l’accès à l’ensemble de leurs droits : l’école, évidemment, mais aussi la santé, physique comme mentale. J’appelle le Gouvernement à agir pour permettre à ces enfants et à leurs familles d’être réintégrés au mieux et au plus vite. Cela passe, notamment, par un accès à des logements pérennes à bas prix.

Mes chers collègues, les défis que notre pays rencontre actuellement sont immenses, sur le plan tant national qu’international. Mais ne commettons pas l’erreur d’oublier à cette occasion les plus vulnérables d’entre nous. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et CRCE-K.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution transpartisane que nous examinons aujourd’hui est, sans aucun doute, révélatrice de la situation sociale que nous connaissons actuellement. C’est aussi le signe d’une insuffisance des politiques publiques pour répondre à une évolution inquiétante du sans-abrisme.

Je ne peux que remercier vivement notre collègue Cécile Cukierman pour cette initiative qui permettra de mettre des mots sur ces situations que nous croisons tous les jours sans vraiment y prêter attention, de mettre des mots sur ces souffrances que nous tendons à banaliser, de mettre des mots sur l’indicible.

La délégation aux droits des femmes, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, a publié un excellent rapport intitulé Femmes sans abri, la face cachée de la rue. Nous avons voulu mettre la lumière sur ces femmes, victimes d’une invisibilisation parfois volontaire pour ne pas s’exposer aux violences de la rue.

Elles seraient près de 120 000 dans nos rues. Certes, la majorité d’entre elles bénéficient d’un hébergement financé par l’État. Mais il reste celles qui n’ont comme seul toit que le ciel, parfois étoilé. Leurs enfants les accompagnent souvent. Près de 3 000 d’entre eux partagent la précarité de leurs parents chaque soir, dans nos rues.

Nous ne pouvons accepter que des enfants grandissent dans l’incertitude, la précarité et sans un foyer stable. Chaque jour passé dans la rue est un jour volé à leur enfance et à leur avenir. Nous ne pouvons nier les répercussions sur leur santé physique et mentale, leur développement ou encore leur scolarité. Aucun enfant ne mérite de vivre un tel traumatisme.

En tant que mère de famille, je resterai à jamais marquée par certaines rencontres lors des maraudes auxquelles je participe avec l’Ordre de Malte. Je revois régulièrement ces yeux d’enfants rougis par la faim, ces têtes abaissées par la honte. Mais je garde en moi, comme de précieux souvenirs, ces sourires innocents et ces gestes de reconnaissance. Ils nous rappellent l’importance d’agir.

Mes chers collègues, je vous invite à nous rejoindre au sein de la Maraude des parlementaires. Offrir trois heures de notre temps peut être plus bénéfique, avoir un impact plus fort, que de longs discours.

Les mots passent, le mal-logement et le sans-abrisme demeurent et gagnent même en ampleur. Par expérience, nous savons que personne ne peut détenir la solution. En 2022, le Gouvernement s’était engagé à ce qu’aucun enfant ne dorme à la rue. L’objectif n’a pas été atteint. Cependant, quel que soit votre positionnement politique sur ces travées, vous devez admettre que l’État a fourni des efforts considérables, mais mal récompensés, pour améliorer le parc d’hébergement.

En l’espace de dix ans, le Gouvernement a triplé les crédits consacrés à sa politique d’hébergement des sans-abri. La Cour des comptes a estimé que la stratégie retenue appréhendait surtout les besoins en matière d’hébergement d’urgence comme étant temporaires. Force est de le constater, ces besoins perdurent et s’amplifient avec le temps.

L’initiative de notre collègue Cécile Cukierman a le mérite de ramener cette question au centre du débat. Permettez-moi d’exprimer au moins un regret. Une grande partie du sans-abrisme chez les enfants est liée à des situations familiales précaires. Il est donc crucial de soutenir les familles, de leur offrir un accompagnement social adapté et d’améliorer l’accès aux services de santé, d’éducation et de protection de l’enfance.

Je rappellerai ici deux points qui figurent dans le rapport sur les femmes à la rue de notre délégation. Nous avons estimé essentiel de reconnaître les enfants sans domicile comme bénéficiaires directs de l’accompagnement psychosocial global destiné aux parents. De même, nous estimons crucial de renforcer les moyens alloués aux dispositifs de médiation scolaire, en particulier pour garantir l’inscription des enfants à l’école sans exiger un justificatif de domicile.

Nous partageons tous sur ces travées un même constat et une même ambition : mettre fin au sans-abrisme des enfants ne peut être un objectif ponctuel, cela doit être une priorité constante de tous, avec des moyens à la hauteur de l’enjeu.

Au sein du groupe RDPI, nous partageons pleinement l’objectif de cette proposition de résolution. Nous sommes convaincus qu’elle représente une étape décisive dans l’engagement que nous devons aux enfants les plus vulnérables, mais cette étape n’est pas une fin en soi.

Le vote de cette proposition de résolution confirmera notre volonté de lutter efficacement contre la tragédie du sans-abrisme, tragédie d’autant plus cruelle quand ce sont des enfants qui en sont victimes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – Mme Nadia Sollogoub applaudit également.)

Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie tout d’abord nos collègues du groupe CRCE-K, en particulier sa présidente Cécile Cukierman et le sénateur Ian Brossat, auteurs de cette proposition de résolution. Ce texte met en lumière une urgence sociale à laquelle nous devons répondre collectivement. Cosigné par des sénateurs issus des huit groupes, il témoigne d’une prise de conscience partagée au sein de notre assemblée.

Le RDSE est particulièrement sensible à la protection des enfants. C’est dans cet esprit que nous avions fait adopter la proposition de loi renforçant la protection judiciaire de l’enfant victime de violences intrafamiliales.

La situation que nous évoquons aujourd’hui est d’une gravité extrême. La question du sans-abrisme des enfants relève non pas d’un simple enjeu social ou budgétaire, mais bien de la dignité, des droits fondamentaux et du respect du contrat républicain.

Nelson Mandela disait : « Rien ne révèle mieux l’âme d’une société que la façon dont elle traite ses enfants. » Forts de cette conviction, nous devons agir avec détermination.

Selon un baromètre réalisé par Unicef France et la Fédération des acteurs de la solidarité, plus de 2 000 enfants se sont retrouvés sans solution d’hébergement à la fin du mois d’août dernier.

Au total, plus de 6 700 personnes n’ont pas trouvé de place en hébergement d’urgence. Cette saturation du dispositif témoigne d’un manque criant de solutions adaptées. Derrière ces chiffres, il y a bien sûr des vies, notamment celles des enfants dont le quotidien est marqué par l’incertitude et la peur.

Nous savons combien l’absence de logement stable peut être dévastatrice. D’après une étude menée par Unicef France et le Samu social de Paris, un enfant sans domicile a deux fois plus de risques de développer des troubles de la santé mentale. Comment grandir, apprendre et se construire un avenir quand on vit dans de telles conditions ?

Que dire également des 28 000 enfants qui vivent à l’hôtel, privés du cadre stable dont ils ont besoin pour grandir dignement ? Ce mode d’hébergement est non seulement coûteux, mais aussi totalement inadapté. Comment peut-on espérer qu’un enfant s’épanouisse dans un environnement aussi précaire ? Il est indispensable de privilégier des solutions de logement plus durables et mieux adaptées à la vie familiale et au développement de l’enfant.

Rappelons-le avec force : aucun enfant ne doit dormir dans la rue ! C’est une évidence.

Pourtant, malgré les engagements répétés des gouvernements successifs, la promesse n’a pas été tenue. Certes, des efforts ont été faits, portant la capacité d’hébergement à 203 000 places. Mais cela reste insuffisant face à l’ampleur des besoins.

Madame la ministre, nous connaissons votre engagement dans la lutte contre le sans-abrisme. Mais comment aller plus loin ? L’effort doit être amplifié, car les défis à relever sont immenses.

Les logiques de gestion de crise et d’urgence doivent être dépassées. La précarité n’est pas une fatalité. Des solutions existent. Le plan Logement d’abord et le pacte des solidarités constituent des avancées, certes, mais ce n’est pas suffisant.

Un des outils essentiels dans cette lutte est l’observatoire du sans-abrisme, qui doit nous permettre d’évaluer précisément les besoins et d’orienter efficacement les politiques publiques. Pourtant, cet observatoire peine à fonctionner pleinement, ce qui limite notre capacité à répondre aux besoins des plus vulnérables. Sa relance est une nécessité absolue.

Au-delà du logement, c’est tout un accompagnement global qui doit être repensé. Le Comité des droits de l’enfant des Nations unies l’a rappelé : l’accès à l’éducation, aux soins, à la stabilité sociale de ces enfants doit être une priorité. Il est ici question de leur avenir : c’est aussi un enjeu de société.

Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe du RDSE voteront unanimement ce texte. Nous refusons de détourner le regard. Nous refusons que, chaque soir en France, des enfants soient livrés à la rue, exposés aux violences, à la précarité sanitaire et à l’angoisse du lendemain. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – M. Ian Brossat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadia Sollogoub. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme Nadia Sollogoub. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, lors des débats budgétaires, j’ai été rapporteur pour avis, au nom de la commission des affaires sociales, du programme 177 « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables ». Dans le cadre de ces travaux, j’ai découvert les chiffres effrayants de la souffrance dans la rue, aujourd’hui, en France.

Ces chiffres, qui permettent de dresser un tableau relativement précis, sont produits par les opérateurs associatifs, puisque le dernier recensement des sans-abri par l’Insee remonte, il faut le souligner, à 2012.

Ils font clairement apparaître que, entre 2020 et 2024, le nombre de familles hébergées en urgence a augmenté. Le système est totalement saturé. Parmi les familles hébergées, on note une surreprésentation des familles monoparentales, ainsi qu’une forte proportion d’enfants en bas âge, puisque 29 % des enfants hébergés ont moins de trois ans. Au sein du parc d’hébergement d’urgence, en août 2024, 75 % des personnes accueillies appartenaient à des familles.

Pourtant, l’hôtel est un lieu inadapté au développement des enfants. Il ne permet pas à ces derniers d’acquérir une autonomie, d’avoir une vie affective ou de bénéficier d’un lieu calme pour poursuivre une scolarité. De plus, selon le Samu social de Paris, 40 % des personnes hébergées en hôtel ne mangent pas à leur faim.

Ces chiffres ne tiennent pas compte des familles sans solution d’hébergement après un appel au 115, alors que 59 % des demandes non pourvues concernaient des personnes avec enfants, et ce malgré le système visant à les prioriser qui s’est installé par la force des choses.

Les familles en situation de non-recours, n’ayant pas même tenté de joindre le 115, par découragement ou par peur de se voir retirer leurs enfants, ne sont pas comptabilisées, non plus que les mineurs non accompagnés (MNA) en situation de rue, qui sont pourtant des enfants.

Face à ce constat dramatique, plusieurs remarques s’imposent.

Premièrement, si l’on doit distinguer les enfants effectivement dans la rue de ceux qui bénéficient d’un toit temporaire, il faut cependant considérer que tous sont en danger.

Deuxièmement, le programme « Hébergement, parcours vers le logement et insertion des personnes vulnérables » manque d’efficience, et une prise en charge en hébergement d’urgence n’a rien d’un parcours d’insertion.

Troisièmement, les enfants ne sont pas des statistiques, et chacun d’eux devrait pouvoir écrire son histoire de vie dans des conditions sereines.

Sur les dangers que courent les enfants sans abri ou sans domicile, le bilan est sans appel. Le logement est un facteur environnemental central, et le fait d’en être privé le confronte à des conditions de vie dégradées. Pire, le collectif Les Morts de la rue a dénombré 17 décès dans la rue de victimes de moins de 15 ans, et 36 décès de personnes âgées de 15 à 25 ans en 2023. Ses représentants soulignent une perte d’espérance de vie de plusieurs années pour tous ceux qui vivent dans la rue.

D’autres bénéficient d’hébergement d’urgence, parfois dans le long terme, parfois avec des rotations et des retours à la rue. Beaucoup intériorisent leur trouble. L’un d’eux témoigne : « Je me sens étouffé, j’ai pas beaucoup d’espace pour dépenser mon énergie, donc je suis vite en colère. »

Alors que la Convention internationale des droits de l’enfant reconnaît à chacun d’eux, sans distinction aucune, le droit de jouir du meilleur état de santé possible, la santé mentale des enfants sans domicile est systématiquement compromise dès le plus jeune âge. Ces enfants connaissent des réalités très différentes, mais sont tous confrontés à une précarité multidimensionnelle, qui touche à leurs conditions de vie, à la fois économique, sociale et administrative.

Les études montrent que les enfants sans abri en âge d’être scolarisés sont deux fois plus susceptibles de souffrir de problèmes de santé mentale que les enfants logés de familles à faibles revenus.

Face à ce phénomène dramatique que l’on ne peut feindre d’ignorer, je dois souligner le maintien dans le projet de loi de finances pour 2025 à un niveau budgétaire constant du programme 177, garantissant ainsi 203 000 places d’hébergement d’urgence. On doit cependant dénoncer une sous-budgétisation chronique de ce programme, qui ne correspond non pas à une dérive des dépenses, mais au report d’un déficit ancien. Ainsi, chaque année, il manque 250 millions d’euros à la programmation initiale du budget 177.

C’est une forme d’insincérité, qui place les opérateurs du sans-abrisme dans une situation d’insécurité et de risque. Si, en décembre 2023 et en décembre 2024 – je sais que vous y avez travaillé, madame la ministre –, les 250 millions d’euros manquants ont pu finalement être affectés in extremis aux comptes de fin de gestion, il n’en reste pas moins que les associations ont annoncé ne plus pouvoir fonctionner avec un règlement incertain et a posteriori des prestations fournies. Leurs trésoreries sont mises à mal. Elles ne peuvent pas optimiser le nombre de nuitées achetées, en les mutualisant dès le début de l’année.

Un grand nombre d’entre elles risque de disparaître et, avec elles, le dernier filet de sécurité des politiques publiques, au plus près des plus fragiles. Si une politique volontariste doit être menée sur le volet du logement, le soutien des acteurs associatifs doit par ailleurs rester une priorité.

« Le mot progrès n’aura aucun sens tant qu’il y aura des enfants malheureux », disait Albert Einstein. Il est douloureux de penser aux enfants sous les bombes, tués ou brisés par les horreurs de guerres qu’ils ne comprennent pas, aux enfants qui meurent de faim ou de soif sur des terres arides et stériles, aux enfants chahutés par des adultes sans scrupules qui, d’une manière ou d’une autre, ne les respectent pas, aux enfants malheureux d’ici ou d’ailleurs, qui quittent trop vite le temps sacré de l’enfance. N’oublions pas ces petits invisibles dans la rue ou dans les hôtels sordides, nos voisins, qui, dans le froid, le bruit, la faim et l’indifférence, étouffent en silence.

Mes travaux sur le programme 177 sont terminés. Je suis désormais engagée au sein de la mission d’information sur les politiques de prévention en santé. La conclusion est la même : l’attention portée aujourd’hui évitera les drames de demain.

Le groupe Union Centriste soutiendra cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE. – MM. Laurent Burgoa, Jean-Baptiste Blanc et Ian Brossat applaudissent également.)