M. Daniel Salmon. Vous les mettez dehors !
Mme Laurence Muller-Bronn. Enfin, les annonces du Gouvernement, qui demande de nouveaux efforts financiers à nos concitoyens, appellent un minimum de cohérence eu égard au système des prestations sociales accordées aux étrangers.
Comprenez-moi bien, mes chers collègues, je ne parle même pas d’économies à réaliser ici ou là sur ces prestations : je parle des difficultés qu’ont nos concitoyens pour simplement vivre, eux qui sont sans cesse appelés à faire des efforts, dans un pays qui détient le record de l’imposition et qui appauvrit toujours plus sa classe moyenne.
En conclusion, j’assume sans difficulté le mauvais rôle qui est assigné à ceux qui défendent cette proposition de loi. La générosité des idéaux promus par certains est malheureusement incompatible avec la réalité vécue par la majorité des autres.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains et moi-même voterons pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mmes Marie-Do Aeschlimann et Valérie Boyer. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre rapporteure l’a très justement rappelé en commission la semaine dernière, la question qui se pose aujourd’hui est avant tout celle de la définition de notre modèle de protection sociale.
« La sécurité sociale n’est pas une charge, c’est un investissement dans la dignité humaine », disait Pierre Laroque, l’un de ses fondateurs. C’est une promesse : celle d’une République solidaire qui protège chacun de ses résidents face aux aléas de la vie.
C’est cette promesse que risque de fragiliser la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui. Subordonner le bénéfice de certaines prestations sociales à une condition de durée de résidence reviendrait à remettre en cause le principe fondamental de solidarité nationale en créant une hiérarchie injustifiée entre les résidents.
Ce texte reprend l’esprit d’un amendement introduit au Sénat dans la loi Immigration. À l’époque, Marine Le Pen s’était félicitée de cette mesure : elle y voyait une « victoire idéologique du Rassemblement national » et la consécration de l’idée de « priorité nationale » que son parti défend depuis plus de quarante ans.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Absolument !
Mme Guylène Pantel. Est-ce vraiment cette direction que nous voulons suivre ?
On nous explique qu’il s’agit de limiter l’appel d’air migratoire produit par un régime social qui attirerait l’immigration illégale. Mais où sont les chiffres qui le prouvent ? Aucune étude ne démontre qu’une telle mesure aurait un quelconque effet sur les flux migratoires. Prétendre que la France est un eldorado social dont les aides attireraient les étrangers, c’est relayer une fausse idée. Les migrations sont avant tout motivées par l’emploi, et non par les prestations sociales.
De la même façon, nous savons que cette proposition de loi n’aura aucun effet budgétaire significatif. La logique économique de ce texte est même contestable.
Les prestations sociales doivent être vues non pas comme une charge pesant sur l’économie, mais plutôt comme un outil d’investissement social permettant la réduction des inégalités et favorisant la participation à la vie économique. À long terme, un système de protection sociale qui fonctionne renforce la cohésion sociale et améliore la situation économique d’un pays, en lui évitant les coûts liés à la grande pauvreté et à la marginalisation.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit ! Là encore, nous ne savons pas quelles pourraient être les économies engendrées par la mesure proposée, mais nous sommes en droit de penser qu’elles seront moindres qu’annoncé, étant donné les personnes concernées.
Ce que nous savons, en revanche, c’est que ce texte risque d’accroître la précarité de personnes qui sont en situation régulière sur notre territoire, et ce au mépris de nos principes républicains.
Refuser ces aides à des personnes qui en ont besoin, c’est les précipiter dans la pauvreté, les empêcher de s’insérer durablement dans notre société.
Refuser ces aides revient également à accroître le recours aux aides d’urgence, ce qui pèsera, in fine, sur d’autres dispositifs publics et sur les collectivités territoriales.
Au-delà des arguments que je viens d’évoquer se pose la question de la portée de cette proposition de loi, qui semble plus que limitée. Elle repose sur une illusion d’efficacité. Différents organismes de protection sociale, mais aussi la direction de la sécurité sociale, ont relevé que la condition de durée de résidence de deux ans ne serait applicable que dans la mesure où un accord international n’y déroge pas. Or il s’avère que plusieurs conventions internationales permettraient aux ressortissants d’un grand nombre de nationalités de ne pas se voir appliquer les dispositions de la présente proposition de loi.
Dans ces conditions, j’avoue ne pas comprendre cet acharnement de nos collègues à vouloir faire adopter un dispositif inapplicable…
Mes chers collègues, l’intégration ne se décrète pas, elle se construit. Mais comment peut-on s’intégrer dans un pays qui commence par vous dire « attendez deux ans avant d’être traité comme les autres » ?
Certes, nous devons être responsables dans notre approche des politiques sociales et migratoires. Mais la responsabilité, ce n’est pas stigmatiser une partie de la population, ce n’est pas priver certaines familles d’aides essentielles, ce n’est pas affaiblir le principe d’égalité devant la solidarité nationale.
J’y insiste, notre système de protection sociale est un pilier de notre pacte républicain. Il ne doit pas être instrumentalisé pour flatter des peurs et nourrir des divisions.
Parce que ce texte est profondément contraire à nos principes de justice sociale et de cohésion nationale, le groupe du RDSE votera contre dans sa très grande majorité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui soulève des enjeux en matière de politique sociale et migratoire puisqu’il s’agit d’instaurer une condition de durée de résidence pour l’accès à certaines prestations sociales.
Cette proposition, présentée par notre collègue Valérie Boyer, que je salue, vise à établir une durée minimale de résidence de deux ans pour les étrangers en situation régulière souhaitant bénéficier de plusieurs aides sociales, sauf s’ils exercent une activité professionnelle.
Cette question de la conditionnalité de nos prestations sociales, ou plutôt l’idée d’exiger un temps de présence minimale sur le sol français ou d’établir un lien avec la durée de cotisations et avec le travail, est assez nouvelle. Disons-le clairement, c’est une forme de remise en cause. C’est le choix assumé – certes symboliquement – d’une immigration choisie. C’est une manière de tourner définitivement le dos à une immigration trop longtemps subie.
Si cette remise en cause est largement souhaitée par l’opinion française, elle ne va naturellement pas de soi pour tout le monde. Ainsi, certains peuvent douter de l’efficacité des mesures proposées et de la réalité des effets de cette proposition de loi.
Reste que nous nous devons d’être pragmatiques, car nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, comme le disait Michel Rocard. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous tronquez la citation !
M. Olivier Henno. C’est un élu des Hauts-de-France qui parle et qui regarde ce qui se passe sur le littoral, plus précisément à Calais. La réalité démographique est implacable. Les taux de natalité extrêmement élevés en Afrique subsaharienne, conjugués à l’extrême pauvreté bien triste de ces pays, peuvent entraîner des mouvements de population massifs vers l’Europe et vers la France.
Il est donc responsable et indispensable d’envoyer un signal aux populations de ces pays : la France n’est pas un eldorado, la France n’est pas une terre d’immigration subie. Disons-le calmement, sereinement et sans démagogie : venir en France n’apporte pas la garantie ou l’assurance de pouvoir bénéficier de prestations sociales sans commune mesure avec ce qui existe dans les pays d’origine.
En clair, il convient d’envoyer ce message déterminé qu’une personne ne peut venir en France que pour travailler ou étudier, à l’exception du droit d’asile, avec l’accord des autorités françaises. Cela revient à affirmer qu’il n’y a plus ou pas de place pour une immigration illégale.
Certes, la portée de ce texte est surtout symbolique, mais le symbole en politique, mes chers collègues, cela compte : ce n’est pas un gros mot. On peut vouloir réguler l’immigration sans pour autant être d’extrême droite ni xénophobe ! (Mme la ministre opine.) Laisser le monopole de la régulation migratoire à l’extrême droite, c’est aussi lui faire un sacré cadeau politique.
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. Olivier Henno. Sur ce point, nous ne sommes pas d’accord entre nous, mais c’est un clivage républicain.
Mme Laurence Rossignol. Non !
M. Olivier Henno. Il y a donc des arguments de portée migratoire, mais il y a aussi des questions qui relèvent de notre réalité sociale et budgétaire.
L’un des arguments majeurs avancé par les auteurs du texte repose sur la nécessité d’assurer un accès équitable aux aides sociales. Aujourd’hui, plusieurs de ces prestations, comme les allocations familiales ou les aides au logement, ne requièrent qu’un titre de séjour en cours de validité et une résidence de quelques mois. Cette situation est parfois perçue comme une incitation à l’installation immédiate sur notre territoire, sans véritable lien avec l’effort contributif.
En introduisant une durée de résidence minimale, nous affirmons un principe : l’accès aux prestations sociales doit être lié à une certaine stabilité sur le territoire national. Il s’agit d’une mesure qui existe déjà dans d’autres pays européens.
Le Danemark, par exemple, exige six ans de résidence pour percevoir la totalité des allocations familiales et l’Allemagne impose six mois d’activité pour y accéder. Le Canada, qui est un pays d’immigration, encadre strictement les prestations sociales versées.
Il n’est pas illogique, au moment où il va falloir demander des efforts pour réguler nos dépenses sociales et diminuer nos déficits, que nous cherchions aussi à réguler l’accès à nos prestations sociales. Même si le périmètre exact des économies induites par ce texte reste difficile à chiffrer, il contribuera symboliquement à réguler notre dépense sociale.
M. Guillaume Gontard. Quel symbole de solidarité !
M. Olivier Henno. Il est d’ailleurs incroyable que nous manquions à ce point dans ce pays d’instruments de pilotage. C’est un vrai problème.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela ne vous empêche pourtant pas de légiférer…
M. Olivier Henno. Je le redis, cette mesure est conforme aux principes constitutionnels.
Certains opposants à cette réforme avancent qu’elle pourrait être discriminatoire ou contraire aux principes fondamentaux du droit. La question est certes pertinente, mais la réponse du Conseil constitutionnel sur ce point est claire : le principe d’une condition de durée de résidence n’est pas, en soi, contraire aux principes constitutionnels.
Il a néanmoins jugé que la proposition initiale de fixer cette durée à cinq ans était disproportionnée. En l’abaissant à deux ans, et en excluant les travailleurs, les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire, nous tenons compte de cette remarque.
À ce titre, je salue le travail réalisé par nos collègues Valérie Boyer et les deux rapporteurs Florence Lassarade et Olivier Bitz.
En commission, nous avons adopté des amendements visant à renforcer la sécurité juridique du texte. Ainsi, nous avons remplacé la condition de « résidence stable » par l’exigence d’être titulaire depuis deux ans d’un titre de séjour, ce qui permet une vérification plus fiable des critères d’éligibilité.
Nous avons également exclu le droit au logement opposable du champ d’application du texte afin de ne pas remettre en cause un principe à valeur constitutionnelle.
En réalité, ce texte est aligné avec nombre de pratiques européennes. La France ne fait que se conformer à ce qui existe ailleurs en Europe. La plupart de nos voisins conditionnent l’accès aux prestations sociales à une certaine durée de résidence ou d’activité : cela n’a rien de scandaleux.
Loin d’être une mesure isolée, cette réforme s’inscrit donc dans une tendance générale visant à concilier accueil et intégration responsable.
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. Olivier Henno. Comme je l’ai souligné précédemment, il s’agit d’une réponse adaptée aux défis migratoires.
Enfin, ce texte vise à répondre à une préoccupation croissante de nos concitoyens : celle de maîtriser les flux migratoires et de lutter contre l’effet d’attractivité que peut exercer notre système social.
Pour conclure, mes chers collègues, ce n’est pas la dernière fois que nous aurons à débattre de ces questions. Ce texte ne ferme pas la discussion, c’est une évidence. Notons néanmoins qu’il vise, dans la conformité de nos engagements européens et constitutionnels, à encadrer l’accès à nos prestations sociales.
C’est la raison pour laquelle mon groupe, dans sa majorité, votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. –Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, par deux fois déjà, la majorité sénatoriale a tenté de créer une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.
En 2023, lors de la discussion de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, la majorité sénatoriale avait proposé d’instaurer une durée de résidence de cinq ans. Le ministre Darmanin avait apporté tout son soutien à ce dispositif, finalement censuré par le Conseil constitutionnel.
En 2024, une proposition de loi référendaire, soutenue par les sénateurs et les députés Les Républicains, avait été déposée pour reprendre cette mesure et pour conditionner à cinq ans de résidence en France l’accession à certaines prestations sociales. Le Conseil constitutionnel confirmera que cette durée portait une atteinte disproportionnée aux exigences constitutionnelles.
Jamais deux sans trois, Les Républicains retentent leur chance en 2025 au travers de cette proposition de loi, espérant que cette fois sera la bonne. Dans cette version, la durée de résidence exigée pour le versement de certaines prestations sociales est portée à deux ans.
En commission des affaires sociales, nous vous avons interrogés pour connaître le nombre de potentiels bénéficiaires après cet allongement du délai de résidence : vous n’avez pas pu nous répondre. Vous ne disposez pas de chiffres, mais cela n’est pas l’essentiel, n’est-ce pas ? Il s’agit surtout d’un marqueur idéologique.
Nous l’avons souligné lors des explications de vote sur la motion tenant à opposer l’exception d’irrecevabilité : ce texte est anticonstitutionnel. Il ne respecte pas les engagements internationaux de la France et contrevient aux principes mêmes de notre modèle social. Là aussi, ce n’est pas ce qui vous importe.
Ce qui importe à la majorité sénatoriale, c’est d’occuper le terrain de l’immigration en tenant un discours radical à la place du Rassemblement national, quitte à perdre des électeurs humanistes, rationalistes et gaullistes sociaux.
Nous sommes étonnés que le groupe Les Républicains fasse unanimement campagne derrière le ministre Bruno Retailleau. Je renvoie ceux qui auraient des doutes à la dernière dépêche AFP relayant les propos de l’actuel président de groupe, aujourd’hui même à dix-huit heures trente-huit. Mais nous sommes encore plus étonnés que les centristes et autres parlementaires de la Macronie soutiennent ce texte à l’argumentation xénophobe, qui est avant tout antisocial. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Derrière l’instauration d’un délai de carence de deux années pour accéder aux prestations sociales, vous aggravez la précarité, le nombre de travailleurs pauvres et de mal-logés.
Selon l’Union sociale pour l’habitat (USH), cette mesure jette des ménages dans les bras des marchands de sommeil, favorise les locations non déclarées et contribue à la création de bidonvilles.
Selon la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), sans l’allocation de rentrée scolaire, les deux tiers des familles devront réduire leurs autres dépenses.
Selon le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), ces délais de résidence vont restreindre les droits et engendrer une hausse de la précarité.
Cette proposition de loi sonne donc comme une victoire idéologique pour le Rassemblement national auquel vous reprenez le mythe de l’appel d’air et le principe de préférence nationale. Jordan Bardella ne s’exprimait pas autrement lorsqu’il disait que « notre pays doit cesser d’être un guichet social pour l’immigration du monde entier ».
Après avoir imposé l’austérité budgétaire sur les peuples, la mise en concurrence des travailleurs, voilà la phase suprême du capitalisme, qui consiste à justifier l’instauration d’une sécurité sociale à deux vitesses.
Ce texte vise à remettre en cause l’universalité des prestations sociales, déjà affaiblie depuis 2016 avec le conditionnement des prestations familiales à six mois de résidence en France.
Finalement, entre ceux qui ont voulu réduire les dépenses sociales en limitant les droits des étrangers et ceux qui ont voulu réduire le nombre d’étrangers pour diminuer les dépenses sociales, il y a un point commun, à savoir la remise en cause de notre modèle social universel auquel, pour notre part, nous sommes profondément attachés.
En généralisant et en allongeant les délais à deux ans, vous remettez en cause le principe même de l’universalité des prestations non contributives. Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons bien évidemment contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, la proposition dont nous débattons est une troisième tentative d’inscrire dans la loi une mesure déjà censurée deux fois par le Conseil constitutionnel.
Le législateur prend sciemment un risque constitutionnel. S’il insiste, c’est d’abord et surtout pour faire entrer dans le débat, à force de répétition et à défaut de vérité empirique et scientifique, le concept d’appel d’air dont nous avons dénoncé l’ineptie en présentant la motion n° 2 visant à opposer la question préalable – je n’y reviendrai pas.
Instaurer une condition de durée de résidence de deux ans – et non plus de cinq – afin de tenter de contourner la censure témoigne d’une vision erronée et restrictive du principe de proportionnalité, qui n’est pas réductible à un quantum, mais qui doit répondre aussi du caractère nécessaire et adapté d’une mesure portant atteinte à des droits fondamentaux.
De surcroît, l’introduction d’une exception d’opposabilité au titulaire d’un titre de séjour autorisant à travailler dans le seul but de sécuriser cette proposition de loi en consentant aux exigences du droit européen reste sans aucun rapport avec l’objet des prestations concernées.
Il faut toujours respecter le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et le principe posé selon lequel « tout être humain […] a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Lorsqu’il était président du Conseil constitutionnel, Robert Badinter, qui a siégé dans cet hémicycle, avait déposé sur son bureau l’affichette suivante : « Toute loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise. Mais toute loi mauvaise n’est pas nécessairement anticonstitutionnelle. »
Vous faites fort, parce que cette proposition de loi nous semble répondre aux deux critiques : potentiellement inconstitutionnelle et assurément mauvaise ! Elle prend ancrage dans une récurrence de restrictions des droits des personnes étrangères, même en situation régulière, pour satisfaire un parti ouvertement xénophobe.
Cette proposition de loi est d’abord un outil de communication politique. Faute de pouvoir imposer la condition de nationalité dans l’ensemble du champ de la protection sociale et au fur et à mesure que l’immigration a été désignée en France comme un problème public, les droits ont été soumis à une condition de résidence, puis à une condition de résidence régulière et enfin à une condition d’antériorité de séjour régulier, qui s’apparente à une préférence nationale déguisée.
Ce mouvement s’accompagne de la multiplication d’obstacles administratifs, se traduisant par des renvois fréquents à des situations irrégulières après une période en situation régulière et donc à des ruptures de droits. Il s’agit d’exclure le plus de personnes étrangères possible de l’accès aux prestations sociales.
Le texte alimente une triple rupture d’égalité. La première, qui existe entre les nationaux et les étrangers, s’élargit. La deuxième s’introduit entre les étrangers présents depuis au moins deux ans et les autres. La troisième s’applique au regard des prestations sociales visées ou non par la proposition selon ce que les auteurs reconnaissent qu’il s’agit de vulnérabilités dignes d’exceptions, et ce de façon totalement arbitraire.
En définitive, sous prétexte de lutter contre les étrangers en situation irrégulière, les droits des étrangers en situation régulière sont attaqués. C’est bien la figure de l’étranger qui est visée. Or être hostile par principe aux étrangers, même en situation régulière en France, doit être qualifié, car refuser de nommer est aussi grave que mal nommer. Je vous invite donc à regarder dans un dictionnaire comment s’appelle une telle attaque obsessionnelle contre la figure de l’étranger…
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Il ne faut pas exagérer !
Mme Raymonde Poncet Monge. En ciblant les étrangers, c’est l’ensemble de la société qui s’abîme.
D’abord, parce que cette proposition de loi entraînera une dégradation des conditions d’existence et une paupérisation des étrangers régularisés depuis moins de deux ans ou qui ne seront pas en mesure de prouver les deux ans de résidence régulière.
Aucune étude d’impact n’a été réalisée, preuve que cette proposition est purement idéologique. Des chiffres existent néanmoins, basés sur la condition de résidence de cinq ans : ils sont sans appel. Dans un avis de janvier 2024, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale pointait « l’inéluctabilité de l’augmentation et de l’aggravation de la pauvreté des étrangers du fait des restrictions des conditions d’éligibilité aux prestations sociales ».
Ensuite, parce que la régression des droits des uns prépare toujours celle des autres, chaque mesure prépare une restriction à venir.
Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Raymonde Poncet Monge. Vous arguez que le dispositif permettrait la réduction des dépenses sociales. C’est un argument que vous opposez pour complaire aux nationaux. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. –M. Pascal Savoldelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, restreindre l’accès aux aides sociales des étrangers en situation régulière dans l’espoir de les dissuader de venir dans notre pays : voilà quel est l’objet de cette proposition de loi et de cet article, tiré de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.
Introduit en séance par voie d’amendement, ce dispositif a été censuré une première fois par le Conseil constitutionnel, qui a considéré qu’il n’avait pas de lien avec le texte initial.
Il a été une seconde fois censuré dans le cadre du projet de référendum d’initiative partagée, déposé par le groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, les sages considérant cette fois que la durée de présence minimale envisagée était « disproportionnée ».
Plusieurs propositions de loi se sont succédé depuis, dont le texte que nous examinons aujourd’hui. Sans suspense, mon groupe est en désaccord sur le fond comme sur la forme.
Ce texte tend à instaurer une durée minimale de résidence pour les étrangers extracommunautaires en situation régulière de deux années avant l’accès aux prestations sociales, à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et à l’aide personnalisée au logement (APL).
Le texte prévoyait initialement de restreindre le droit au logement opposable : cette mesure a été justement supprimée en commission, le droit à un logement décent étant reconnu comme objectif à valeur constitutionnelle.
Le conditionnement des prestations à une durée de séjour existe déjà. Vous avez cité le revenu de solidarité active, dont le bénéfice exige une présence sur notre sol de cinq ans. C’est également le cas de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
Dans les faits, il existe bel et bien une obligation de durée de résidence de neuf mois pour bénéficier des prestations familiales.
Instaurer une carence de deux ans pour les étrangers extracommunautaires en situation régulière ne travaillant pas est-il réaliste dans ce contexte ? Au regard de la Constitution et des conventions bilatérales de sécurité sociale que la France a signées avec de nombreux pays, il est permis d’en douter.
Au motif de décourager la venue des personnes étrangères au nom de la théorie de l’appel d’air, que réfutent tous les travaux sur le sujet, les mesures de ce texte tendent à remettre en cause le principe d’universalité. N’ayons pas peur de le dire : ce texte cultive l’idée d’une France méfiante, refermée sur elle-même, incapable de tendre la main. (Mme Valérie Boyer s’exclame.)
En adoptant ce texte, nous écornerions l’esprit du Conseil national de la Résistance (CNR) grâce auquel la sécurité sociale a vu le jour. Cela se ferait au détriment des milliers de personnes qui résident dans notre pays, qui sont en situation régulière et qui cotisent pour notre système social commun.
En réalité, la suppression de ces aides sociales pour certains ménages aura une conséquence directe : l’aggravation de la pauvreté et la détérioration des conditions de vie de ménages déjà précaires.
Au-delà d’une constitutionnalité incertaine, ce texte risque surtout d’être inapplicable, car contraire aux conventions bilatérales que notre pays a signées. Celles-ci contiennent des clauses dites de réciprocité. Cela signifie concrètement que la France s’engage à traiter les ressortissants des pays parties aux traités de la même manière que ses ressortissants concernant l’accès à la sécurité sociale.
Ces accords sont au nombre de trente-neuf, selon le ministère de la santé. Par ailleurs, l’Union européenne elle-même ratifie des accords d’association aux mêmes conséquences. Ces accords couvrent notamment les ressortissants de l’essentiel des pays du Maghreb, de la Turquie et de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. La majorité des étrangers en situation régulière originaires de ces pays ne seraient donc pas concernés par ces dispositions.
Quant à la « cohérence politique » avancée pour justifier le vote de cette proposition de loi, elle ne nous apparaît pas aussi clairement qu’à vous, mes chers collègues.
J’ajoute que nous ne disposons d’aucun chiffre sur les répercussions de ce texte puisque, comme vous le savez, il n’y a pas de relevé de la nationalité des allocataires.
Chers collègues, nous partageons tous largement ici la volonté de lutter contre l’immigration irrégulière. Lors du récent comité interministériel de contrôle de l’immigration, le Gouvernement a érigé la lutte contre l’immigration irrégulière au rang des priorités de notre action diplomatique.
Nous soutenons cette voie et nous nous réjouissons que la délivrance des visas puisse enfin tenir compte de la qualité de la coopération migratoire des pays d’origine, s’agissant en particulier de la réadmission de ceux de leurs ressortissants que nous expulsons.
Toutefois, le présent texte, discriminatoire et inapplicable, paraît être un pur produit de communication. Ce n’est pas à la hauteur du Parlement, raison pour laquelle le groupe RDPI, sans surprise, votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER, CRCE-K et GEST.)