Sommaire
Présidence de M. Didier Mandelli
Secrétaires :
M. Guy Benarroche, M. Fabien Genet.
Question n° 190 de M. François Bonneau. – Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme ; M. François Bonneau.
présence postale dans le calvados
Question n° 365 de Mme Corinne Féret. – Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme.
difficultés de recouvrement de la taxe d’aménagement
Question n° 325 de Mme Nicole Bonnefoy. – Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme ; Mme Nicole Bonnefoy.
Question n° 382 de Mme Martine Berthet. – Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme.
pistes d’amélioration des échanges automatiques d’informations en matière fiscale
Question n° 389 de M. Bernard Delcros. – Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme ; M. Bernard Delcros.
projet de décret photovoltaïque en instance
Question n° 369 de M. Gilbert Favreau. – Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme ; M. Gilbert Favreau.
évolutions du cadre réglementaire des installations photovoltaïques
Question n° 363 de M. Guillaume Chevrollier. – Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme ; M. Guillaume Chevrollier.
accompagner les petits commerces face à la concurrence des géants du e-commerce
Question n° 368 de Mme Béatrice Gosselin. – Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée chargée du tourisme ; Mme Béatrice Gosselin.
avenir des micro-crèches privées
Question n° 271 de Mme Laure Darcos. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap ; Mme Laure Darcos.
budget départemental, protection de l’enfance
Question n° 320 de M. Xavier Iacovelli. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap.
avenir du projet de regroupement hospitalo-universitaire saint-ouen grand paris nord
Question n° 314 de Mme Catherine Dumas. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap ; Mme Catherine Dumas.
situation des établissements d’hébergement pour personnes âgées et dépendantes
Question n° 333 de Mme Audrey Linkenheld. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap ; Mme Audrey Linkenheld.
soutien de l’état aux ehpad publics
Question n° 305 de Mme Anne Chain-Larché. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap ; Mme Anne Chain-Larché.
accessibilité des processus électoraux aux personnes en situation de handicap
Question n° 323 de Mme Anne Ventalon. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap.
facturation des indemnités kilométriques des infirmiers dans les communes au territoire étendu
Question n° 300 de Mme Patricia Demas. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap.
avenir du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital cochin à paris
Question n° 317 de M. Francis Szpiner. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap ; M. Francis Szpiner.
Question n° 328 de Mme Chantal Deseyne. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap ; Mme Chantal Deseyne.
recommandations 2025 de la haute autorité de santé sur la maladie de lyme
Question n° 376 de Mme Élisabeth Doineau. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap ; Mme Élisabeth Doineau.
reconnaissance officielle de la musicothérapie en tant que discipline médicale
Question n° 348 de M. Jean-Raymond Hugonet. – Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap ; M. Jean-Raymond Hugonet.
projet de suppression du délégué militaire départemental adjoint dans les alpes de haute-provence
Question n° 237 de M. Jean-Yves Roux. – Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.
délivrance de visas pour les militantes afghanes des droits humains réfugiées au pakistan
Question n° 378 de M. Thomas Dossus. – Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants.
décret d’application relatif à la bonification des trimestres des sapeurs-pompiers volontaires
Question n° 387 de M. Alain Marc. – Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants ; M. Alain Marc.
responsabilité concernant les dommages causés par l’amiante
Question n° 359 de M. Jean-Pierre Corbisez. – Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants ; M. Jean-Pierre Corbisez.
proximité des habitants du vaucluse avec la justice administrative
Question n° 381 de M. Jean-Baptiste Blanc. – Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée chargée de la mémoire et des anciens combattants ; M. Jean-Baptiste Blanc.
Question n° 103 de M. Jean-Marie Mizzon. – M. Laurent Marcangeli, ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification ; M. Jean-Marie Mizzon.
Question n° 324 de Mme Marie-Lise Housseau. – Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire ; Mme Marie-Lise Housseau.
prédation du loup dans les pyrénées-atlantiques
Question n° 357 de Mme Frédérique Espagnac. – Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
suppressions de postes dans l’enseignement public à la rentrée 2025
Question n° 279 de Mme Colombe Brossel. – M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche ; Mme Colombe Brossel.
Question n° 339 de M. Jacques Grosperrin. – M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche ; M. Jacques Grosperrin.
défis de l’école en guadeloupe
Question n° 379 de Mme Solanges Nadille. – M. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche.
transmission des données des collectivités à des fins d’intérêt général
Question n° 367 de M. Michel Canévet. – Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville ; M. Michel Canévet.
Question n° 335 de M. Cyril Pellevat. – Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville ; M. Cyril Pellevat.
Question n° 338 de Mme Christine Bonfanti-Dossat. – Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville ; Mme Christine Bonfanti-Dossat.
paiement du solde maprimerénov’ en cas de demandeur décédé
Question n° 272 de M. Jean-Claude Anglars. – Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville ; M. Jean-Claude Anglars.
difficultés rencontrées par les communes en matière d’assurances
Question n° 248 de Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville.
présence postale en territoires ruraux
Question n° 269 de Mme Jocelyne Guidez. – Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville.
obligation d’installation d’itinéraires cyclables
Question n° 337 de M. Pierre Jean Rochette. – Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville.
pérennité et aménagement de la ligne ter lyon-paray le monial-nevers
Question n° 061 de M. Fabien Genet. – Mme Juliette Méadel, ministre déléguée chargée de la ville ; M. Fabien Genet.
maintien des effectifs de terrain du maillage territorial de l’office national des forêts
Question n° 319 de Mme Sabine Drexler. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche ; Mme Sabine Drexler.
mise en œuvre du fonds territorial climat figurant dans la loi de finances pour 2025
Question n° 332 de M. Sebastien Pla. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche ; M. Sebastien Pla.
défense des chasses traditionnelles du sud-ouest face à la commission européenne
Question n° 352 de Mme Denise Saint-Pé. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
mise en œuvre des dispositifs de rénovation énergétique
Question n° 330 de M. Hervé Gillé. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche ; M. Hervé Gillé.
financement apporté par la france au budget de programme de l’unrwa
Question n° 360 de Mme Raymonde Poncet Monge. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche ; Mme Raymonde Poncet Monge.
Question n° 375 de M. Alexandre Basquin. – Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
3. Trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Adoption, par scrutin public solennel n° 231, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
4. Rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. Roger Karoutchi, auteur de la proposition de loi
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 6 de M. Christophe Chaillou. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié bis de M. André Reichardt. – Adoption.
Amendement n° 2 de M. Christopher Szczurek. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 11 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 3 de M. Christopher Szczurek. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 12 de M. Guy Benarroche. – Rejet.
Amendement n° 4 de M. Christopher Szczurek. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 8 de Mme Dominique Vérien. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 15 du Gouvernement. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 16 de la commission. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
Adoption, par scrutin public n° 232 de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
Suspension et reprise de la séance
5. Condition de durée de résidence pour le versement de prestations sociales. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de loi
Mme Florence Lassarade, rapporteure de la commission des affaires sociales
M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis de la commission des lois
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée chargée de l’autonomie et du handicap
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 9 de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.
Amendement n° 5 de Mme Laurence Rossignol. – Retrait.
Amendement n° 12 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 6 de Mme Laurence Rossignol. – Retrait.
Amendement n° 10 de M. Christopher Szczurek. – Non soutenu.
Amendement n° 7 de Mme Laurence Rossignol. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 13 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 8 de Mme Laurence Rossignol. – Rejet.
Adoption, par scrutin public n° 235, de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales
6. Mises au point au sujet de votes
compte rendu intégral
Présidence de M. Didier Mandelli
vice-président
Secrétaires :
M. Guy Benarroche,
M. Fabien Genet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
taxe sur les locaux vacants
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, auteur de la question n° 190, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. François Bonneau. Madame la ministre, ma question concerne l’application de la taxe sur les locaux commerciaux vacants.
Les textes prévoient en effet que les mairies peuvent, de leur propre initiative, instaurer chaque année une taxation sur les locaux commerciaux qui ne sont plus utilisés. Le but est d’inciter les propriétaires soit à relouer leur bien, soit à le vendre.
Cependant, cette mesure souffre de plusieurs limites. Tout d’abord, la mise en œuvre de la taxe, bien que décidée par la commune, dépend du service des impôts du département concerné, qui en fait l’examen en fonction des éléments adressés par le propriétaire, et non des éléments factuels relevés par la commune. En ce sens, certains locaux peuvent être vacants depuis plusieurs années ; le cas existe dans la préfecture de la Charente. Dès lors que les propriétaires peuvent démontrer par un quelconque moyen que le bien a vocation à changer de destination, ou bien que celui-ci a fait l’objet de travaux, alors ils ne sont pas assujettis à la taxe.
Par ailleurs, l’appréciation qui est faite à long terme de ces éléments soulève des interrogations. Certains biens sont vacants depuis plus de dix ans et la taxation n’a pas eu d’effet pour eux. En effet, les propriétaires apportent chaque année un justificatif de travaux minimes, ou une annonce de mise en vente à un prix bien supérieur à celui du marché. Ainsi, la véritable intention de rénover ou de vendre n’est pas contrôlée par les services fiscaux.
Quelles actions concrètes le Gouvernement compte-t-il mettre en œuvre pour exercer un meilleur contrôle, peut-être en limitant l’exonération dans le temps, et permettre aux communes concernées de lutter contre les locaux vacants, en vue de redynamiser leur centre-ville ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du tourisme. Monsieur le sénateur François Bonneau, la lutte contre la vacance commerciale est une priorité majeure pour le Gouvernement.
Nous constatons une augmentation inquiétante de cette vacance, tant en centre-ville qu’en périphérie, ce qui constitue une véritable préoccupation pour les élus locaux et les acteurs du commerce. Face à cette situation, il est essentiel de repenser l’offre commerciale dans sa globalité.
À cet égard, la vacance commerciale fait l’objet d’une « opération nationale 2025 » lancée par les chambres de commerce et d’industrie (CCI), et soutenue par les équipes de la direction générale des entreprises (DGE), à Bercy, afin de mieux mesurer et définir ce phénomène.
Parmi les outils à disposition des collectivités pour lutter contre ce fléau figure la taxe sur les friches commerciales (TFC). Néanmoins, plusieurs difficultés d’application ont été identifiées, notamment le caractère complexe et chronophage de la gestion de cet outil, souvent réalisée manuellement par les communes, ainsi que l’inefficacité de certaines exonérations qui limitent son impact incitatif. De plus, le manque de zonage et les conditions d’exonération trop légères freinent son efficacité.
Le Gouvernement est conscient de ces difficultés. Une réflexion-action est donc menée pour améliorer l’application de la TFC. L’optimisation de ses modalités de collecte et des évolutions pour rendre cet instrument plus contraignant sont ainsi à l’étude. L’analyse de faisabilité est en cours sur les aspects juridiques afin de répondre plus efficacement aux attentes des communes et des acteurs économiques.
Je vous assure, encore une fois, que cette question est une priorité pour le Gouvernement. Des mesures concrètes seront proposées dans les mois à venir pour renforcer la lutte contre la vacance commerciale et soutenir la redynamisation des centres-villes.
Je vous propose, monsieur le sénateur, d’organiser un rendez-vous avec la DGE, si vous le souhaitez.
M. le président. La parole est à M. François Bonneau, pour la réplique.
M. François Bonneau. Je vous remercie, madame la ministre, de ces éléments tout à fait concrets. Je serais en effet heureux de rencontrer des représentants de la DGE, car il existe une forte demande d’informations sur le sujet.
présence postale dans le calvados
M. le président. La parole est à Mme Corinne Féret, auteure de la question n° 365, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Corinne Féret. Madame la ministre, dans le Calvados comme ailleurs, les élus et les habitants déplorent une atteinte inacceptable aux quatre missions de service public de La Poste que sont le service universel postal, le transport et la distribution de la presse, la contribution à l’aménagement du territoire et l’accessibilité bancaire.
Sur le terrain, bien que la direction de La Poste affirme tout mettre en œuvre pour assurer ces missions, c’est à chaque fois le même scénario : diminution des horaires d’ouverture et suppression progressive de certains services et des effectifs, jusqu’à la fermeture définitive du bureau. Dans le même temps est imposé un modèle économique qui fait la part belle au tout-numérique et qui ne satisfait personne, d’autant plus qu’il met à l’écart les plus vulnérables.
Tout aussi grave, La Banque Postale, censée être le dernier rempart contre l’exclusion bancaire, déserte progressivement nos territoires. Sans parler des distributeurs automatiques de billets (DAB), qui coûteraient trop cher en maintenance et que l’on ferme brusquement…
Ainsi, année après année, les fermetures de bureaux de poste pour « absence de rentabilité » se multiplient. Ces bureaux sont remplacés, au mieux, par des agences postales communales (LPAC) ou des relais commerçants (LPRC), qui ne procurent pas le même niveau de services.
Dans ce contexte et en responsabilité, les élus – les maires au premier chef –, soucieux de garantir un égal accès aux services essentiels, n’ont pas d’autre choix que de prendre en charge les dépenses d’investissement comme de fonctionnement de ces « points de contact ». Ils ne sont que trop conscients que, avec la fermeture d’un bureau de poste, c’est tout un écosystème qui est menacé, et avant tout les commerces de proximité, en particulier dans le monde rural d’ores et déjà fragilisé.
Le prochain contrat de présence postale territoriale 2026-2028 devant être signé à la fin de 2025, je souhaiterais connaître les mesures que le Gouvernement envisage de mettre en œuvre pour stopper l’hémorragie et faire respecter strictement les obligations définies dans la loi du 9 février 2010 relative à l’entreprise publique La Poste et aux activités postales.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du tourisme. Madame la sénatrice Corinne Féret, dans un contexte général de baisse de fréquentation de ses bureaux, La Poste doit en permanence adapter les modalités de sa présence. Toutes les modifications horaires sont réalisées dans le respect du contrat de présence postale territoriale signé par La Poste, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et l’État.
Ce contrat stipule notamment que, pour remplir sa mission, La Poste adapte son réseau de points de contact en nouant des partenariats locaux publics ou privés, tout en recherchant la meilleure efficacité économique et sociale. Ces adaptations s’effectuent toujours dans le cadre d’un dialogue avec les élus concernés.
Concernant le Calvados, 94,9 % de la population vivait, au 1er janvier 2025, à moins de cinq kilomètres d’un point de contact postal. Ce taux d’accessibilité est en hausse de 0,3 % par rapport à l’année précédente.
Dans ce département, le réseau postal demeure significatif avec 189 points de contact, dont 71 bureaux de poste, 81 agences postales communales en partenariat avec les collectivités et 37 relais commerçants. Un seul retrait de DAB est envisagé par La Banque Postale en 2025, du fait de l’obsolescence de l’appareil.
Certaines communes sont équipées de DAB d’un réseau concurrent. De manière générale, pour les communes équipées d’un seul DAB porté par La Banque Postale, cet équipement est maintenu et, le cas échéant, renouvelé.
Depuis 2021, une dotation annuelle inscrite dans le projet de loi de finances a été mise en place. Les dotations pour 2024 et 2025, d’un montant de 174 millions d’euros chacune – historiquement les plus élevées –, visent à soutenir cette mission de service public.
La première séance de travail, au sein de l’Observatoire national de présence postale (ONPP), sur le prochain contrat de présence postale territoriale aura lieu le 27 mars prochain. Il est encore trop tôt pour annoncer ce qui sera mis en œuvre dans le cadre de ce contrat.
Soyez assurée que le Gouvernement est vigilant quant au bon accomplissement par La Poste de ses missions de service public, et que son soutien à l’exercice de cette mission n’a jamais été remis en question.
difficultés de recouvrement de la taxe d’aménagement
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, auteure de la question n° 325, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Nicole Bonnefoy. Madame la ministre, je souhaite alerter le Gouvernement sur les difficultés actuelles de recouvrement de la taxe d’aménagement (TA), laquelle est indispensable au financement de bon nombre de politiques publiques, notamment départementales et communales, mais également des structures d’expertise en aménagement du territoire telles que les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE).
J’avais déjà posé une question, l’année dernière, sur le risque d’effritement de cette ressource fiscale. C’est son recouvrement qui est aujourd’hui en défaut, ce qui remet en cause la viabilité financière de ces services et entités publics. La grande majorité des avis de paiement qui devaient être envoyés aux propriétaires devant s’acquitter de cette taxe ne l’ont pas été depuis plus d’un an, presque deux. Selon les estimations, le manque à gagner pour les finances publiques s’élèverait entre 750 millions et 1 milliard d’euros !
Dans un récent communiqué, les services de Bercy nous informent qu’« il y aura effectivement un décalage sur les reversements de taxe d’urbanisme ». Nous apprenons également que, pour les seuls projets d’envergure, c’est-à-dire ceux de plus de 5 000 mètres carrés, des dispositifs d’acompte de TA sont prévus. Or les collectivités, vous le savez, ont besoin dès maintenant de ces ressources ! L’émission des titres et le recouvrement sont deux choses différentes et n’ont pas les mêmes délais, ce qui entraîne des conséquences néfastes pour nos collectivités.
Une première rencontre devait avoir lieu le 13 mars dernier entre la direction générale des finances publiques (DGFiP) et les associations d’élus locaux. Quels ont été les tenants et les aboutissants de cet échange sur les perspectives de cette taxe ?
Au niveau des ressources humaines, le problème demeure entier, avec des formations qui peinent à se tenir et une plateforme « Gérer mes biens immobiliers » (GMBI) lancée de manière très prématurée.
Quelles mesures le Gouvernement compte-t-il prendre rapidement pour traiter cette problématique financière ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du tourisme. Madame la sénatrice Nicole Bonnefoy, afin de renforcer les synergies avec les impôts fonciers, la gestion de la taxe d’aménagement a été transférée de la direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) à la DGFiP, qui en assurait jusqu’alors le seul recouvrement.
Ce transfert s’est accompagné du report de la date d’exigibilité de la taxe d’aménagement, calée dorénavant sur la réalisation définitive des travaux, ce qui permet d’unifier les obligations déclaratives fiscales en matière foncière et d’urbanisme. L’alignement de la taxation en fonction de la réalité des constructions achevées évite ainsi l’émission de taxes pour des projets in fine abandonnés, qui induisait auparavant une annulation de taxation a posteriori, insatisfaisante pour les usagers concernés comme pour les collectivités qui devaient reverser les sommes indûment perçues.
Un système d’acomptes a également été créé afin de neutraliser les effets pour les ressources des collectivités du décalage de l’exigibilité de la taxe, qui peut apparaître dans le cas des très grands projets, ceux dont la surface créée est supérieure à 5 000 mètres carrés et dont la construction s’étale sur plusieurs années.
Afin d’optimiser les délais de traitement, la liquidation de la taxe d’aménagement s’appuie sur la dématérialisation du processus déclaratif via l’outil GMBI, la création d’un référentiel des délibérations des collectivités locales et l’automatisation du calcul des taxes d’urbanisme. Cependant, des dysfonctionnements opérationnels ont pu être observés à l’ouverture de ces nouveaux services. La mise en place du processus déclaratif dématérialisé a en effet pu susciter des interrogations de la part des usagers et aboutir à des erreurs déclaratives qui ont freiné la liquidation des taxes.
Les redevables sont toutefois bien identifiés par l’administration et les taxes dues seront, bien sûr, encaissées et reversées aux collectivités. À cette fin, la DGFiP a élaboré un plan d’action pour rendre plus lisible le processus déclaratif. Un parcours digital rénové et accessible est ainsi proposé depuis le 3 février 2025.
En parallèle, la DGFiP a sécurisé les éléments déclarés en 2024 pour permettre la taxation de ces dossiers et pour relancer les redevables susceptibles de payer cette taxe qui n’ont pas encore déposé la déclaration attendue.
Enfin, une diminution sensible des montants de TA collectés en 2024 a été constatée. Elle est liée à la baisse du nombre d’autorisations d’urbanisme de 21,5 % en 2023, après une baisse de 11 % en 2022. L’assiette taxable a donc, de fait, sensiblement diminué entre 2022 et 2024.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour la réplique.
Mme Nicole Bonnefoy. Ce sujet est majeur pour les collectivités. Il est urgent de rectifier cette situation alors même que les risques s’accumulent et que, sur le plan budgétaire, l’État comme les collectivités locales sont exsangues ! Nous n’avions pas besoin de ce désordre supplémentaire qui va, de surcroît, exaspérer la population.
fléchage des retombées fiscales pour les collectivités territoriales concernées par la réalisation du tunnel euralpin lyon-turin
M. le président. La parole est à Mme Martine Berthet, auteure de la question n° 382, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Mme Martine Berthet. Madame la ministre, je souhaitais attirer l’attention de M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique sur les difficultés rencontrées concernant la redistribution des retombées fiscales aux collectivités territoriales impactées par la réalisation du chantier du tunnel euralpin Lyon-Turin (Telt).
Ce projet d’envergure, symbole de coopération européenne et levier de développement pour la vallée de la Maurienne, permet la création d’emplois et favorise des investissements, notamment grâce au fonds d’accélération des startups d’État et de territoire (Fast), dans divers secteurs économiques. Cependant, au moment de l’accélération des travaux, les collectivités territoriales tirent la sonnette d’alarme, car elles ne perçoivent toujours pas les retombées fiscales légitimement attendues et annoncées de ce chantier.
En effet, dès décembre 2014, la mission d’expertise économique et financière de la direction régionale des finances publiques (DRFiP) avait annoncé aux collectivités locales qu’elles bénéficieraient de 103 millions d’euros de retombées fiscales. Aujourd’hui, elles ne perçoivent aucun revenu à ce titre : ni la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ou sa compensation ni la taxe sur le foncier bâti, malgré les nombreux hangars et installations présents sur ce chantier. S’agissant de la cotisation foncière des entreprises (CFE), dont elles sont privées, il serait légitime qu’elles en bénéficient aussi en partie.
Malgré une très légère amorce de versement en 2022, de l’ordre d’à peine 2 400 euros pour la seule commune d’Avrieux, aucune nouvelle rentrée fiscale n’a été constatée, et le besoin de ces recettes ne fera que s’accentuer afin d’anticiper le futur d’après-chantier du territoire situé autour de la commune de Modane.
En dépit de la volonté marquée des entreprises et de Telt de résoudre ce blocage, les collectivités concernées se voient désormais contraintes de refuser la signature de convention avec Telt, seul moyen de se faire entendre, ce qui compromet l’avancement du chantier. Par ailleurs, un réajustement du Fast à la hauteur du montant actuel du chantier sera nécessaire.
Madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement compte-t-il mettre en place pour garantir un versement rapide et équitable de ces taxes aux collectivités concernées par le chantier du tunnel euralpin Lyon-Turin, et plus particulièrement à celles qui sont directement impactées ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du tourisme. Madame la sénatrice Martine Berthet, depuis le 1er janvier 2023, les communes, établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et départements ne perçoivent plus de CVAE, laquelle est désormais affectée au budget de l’État.
Une compensation est attribuée au bloc communal par l’octroi de deux parts de recettes de TVA.
Il s’agit, tout d’abord, d’une part fixe de TVA, définie par la moyenne du produit de la CVAE et du montant des compensations d’exonérations de CVAE perçues entre 2020, 2021 et 2022, ainsi que de celles qui auraient été perçues en 2023. Son montant global, qui s’élève à 5,3 milliards d’euros, et sa répartition entre collectivités sont figés à compter de 2023.
Il s’agit, ensuite, d’une part variable de TVA affectée au fonds national de l’attractivité économique des territoires (Fnaet), égale à la différence entre le montant total de la fraction de TVA affectée au bloc communal et la part fixe. Le Fnaet est réparti de la même manière que la CVAE : au prorata, pour le tiers, des valeurs locatives des immobilisations imposables à la CFE, et, pour les deux tiers, des effectifs salariés employés l’année précédente.
La part fixe doit consolider les recettes des collectivités et la part variable, soit 208 millions d’euros en 2024, doit les inciter à accueillir de nouvelles activités.
Ces règles budgétaires ne permettent pas, dans le droit en vigueur, de reverser ces produits aux communes savoyardes sur le territoire desquelles se trouve le chantier du tunnel euralpin Lyon-Turin. Le Gouvernement ne prévoit pas de revenir sur la réforme de la CVAE, dont la compensation via une part de TVA garantit des recettes au bloc communal, en particulier aux collectivités hébergeant le chantier Lyon-Turin.
S’agissant de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), les installations destinées à abriter des personnes ou des biens y sont imposables de fait lorsqu’elles sont assimilables à de véritables constructions qui n’ont pas vocation à être déplacées.
Si une entreprise dispose d’un bien soumis à la TFPB pour son activité professionnelle, elle sera redevable d’une CFE établie dans la commune où est situé le bien. La commune – ou l’EPCI à fiscalité propre – sur le territoire de laquelle est situé ce bien percevra le produit de la CFE correspondant.
Je vous propose d’organiser un rendez-vous avec M. Éric Lombard, si vous le souhaitez, pour approfondir cet échange.
pistes d’amélioration des échanges automatiques d’informations en matière fiscale
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, auteur de la question n° 389, adressée à M. le ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
M. Bernard Delcros. Madame la ministre, dans un contexte de recherche d’économies pour faire face au dérapage des déficits publics, je souhaite vous alerter sur un cas de fraude fiscale qui prive la France de recettes importantes.
L’entrée en vigueur en 2016 du système d’échange automatique d’informations entre les pays membres de l’OCDE nous a permis de lutter efficacement contre l’évasion fiscale réalisée par l’intermédiaire de comptes bancaires non déclarés détenus à l’étranger. Le bilan positif de la campagne de 2023, publié en 2024 par le ministère d’économie et des finances, illustre d’ailleurs le renforcement de cette coopération.
Pour autant, l’Observatoire européen de la fiscalité a mis en avant, dans son rapport de 2024 sur l’évasion fiscale, d’importantes carences dans ce système. La principale réside sans doute dans le fait que l’échange automatique d’informations couvre uniquement les avoirs financiers, et non pas les biens immobiliers. La fortune immobilière détenue à l’étranger est donc très majoritairement opaque.
En conséquence, nous assistons ces toutes dernières années à une forte croissance des conversions d’avoirs financiers en biens immobiliers détenus à l’étranger, dont l’objectif est d’échapper à ces obligations fiscales. Une partie de ces biens immobiliers sont d’ailleurs détenus, selon le rapport, à Paris et sur la Côte d’Azur, ce qui permet à leurs propriétaires d’échapper à l’obligation fiscale des pays de résidence. Le cas de Dubaï est sans doute le plus emblématique et concerne directement la fiscalité française.
Madame la ministre, la voix de notre pays compte au sein de l’OCDE. Quelles sont les intentions du Gouvernement pour lutter contre cette technique spécifique d’évasion fiscale qui entraîne un important manque à gagner pour la France ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du tourisme. Monsieur le sénateur Bernard Delcros, vous attirez l’attention du Gouvernement sur l’échange automatique d’informations à des fins fiscales.
Je tiens à rappeler, tout d’abord, que, comme le prévoit la loi de finances pour 2025, des informations relatives aux cryptoactifs seront échangées de manière automatique entre la France et une cinquantaine de pays partenaires à partir du 1er janvier 2027. Les pratiques d’évasion par le recours aux cryptoactifs deviendront ainsi largement impossibles.
Comme vous l’avez souligné, ces actifs n’entrent pas dans le champ d’application de la norme commune de déclaration (NCD) développée par l’OCDE, qui autorise aujourd’hui l’échange automatique d’informations sur les comptes financiers entre plus de 120 juridictions.
Pour autant, les administrations ne sont pas dénuées de tout pouvoir en la matière. Il est possible d’obtenir des informations immobilières par l’échange de renseignements sur demande pour les États non-membres de l’Union européenne.
En Europe, la directive du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal permet un tel échange automatique sur des données immobilières entre États membres, à la condition que les administrations fiscales partenaires disposent de telles informations.
La situation n’est pas encore satisfaisante. C’est pourquoi le gouvernement français plaide au niveau international pour une extension du champ des normes d’échange automatique d’informations relatives, notamment, aux biens et revenus immobiliers.
Cette approche porte ses fruits puisque les ministres des finances du G20 ont donné un mandat clair à l’OCDE aux fins de lancer les travaux et de permettre aux juridictions intéressées d’échanger des informations relatives aux biens immobiliers, en incluant une mention spécifique sur les informations relatives aux bénéficiaires effectifs des entités détenant de tels biens.
La France participe aux travaux de l’OCDE en défendant une approche ambitieuse, dont l’objectif est double : permettre la plus large participation à ces échanges et améliorer progressivement la qualité des informations échangées. Ces éléments permettront, je l’espère, de vous rassurer sur l’importance que le Gouvernement accorde à ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Bernard Delcros, pour la réplique.
M. Bernard Delcros. Je vous remercie, madame la ministre, de cette réponse qui éclaire les intentions du Gouvernement en matière d’échange d’informations sur les biens immobiliers.
De façon plus générale, au moment où le Gouvernement explore toutes les pistes d’économies et où les contribuables ainsi que les collectivités locales sont mis à contribution, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale doit être une priorité de la France. Considérant que nous pouvons progresser dans ce domaine, j’ai souhaité attirer votre attention sur ce cas précis des biens immobiliers. J’espère que nous pourrons progresser à cet égard.
projet de décret photovoltaïque en instance
M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau, auteur de la question n° 369, adressée à M. le ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Gilbert Favreau. Madame la ministre, le Gouvernement a récemment annoncé une modification du cadre de soutien au développement du photovoltaïque en toiture, avec une baisse brutale des tarifs et un recul des objectifs fixés dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). Ces décisions suscitent une vive inquiétude au sein de la filière solaire, qu’il s’agisse des entreprises du bâtiment, des exploitants agricoles ou des industriels, qui comptaient sur cette source d’énergie pour réduire leurs coûts et diversifier leurs revenus.
En effet, la baisse rétroactive des tarifs risque d’entraîner l’annulation de nombreux projets en cours, alors même que notre pays cherche à renforcer son indépendance énergétique et à répondre à une demande croissante en électricité. De plus, la mise en place d’un mécanisme de dégressivité inadapté pourrait conduire à un moratoire de fait sur les installations photovoltaïques de taille intermédiaire.
Nous avons en mémoire le moratoire de 2010, qui avait provoqué la destruction de près de 20 000 emplois dans la filière. Aujourd’hui, les organisations professionnelles alertent sur le risque d’une nouvelle crise et demandent le maintien du cadre tarifaire actuel pour le segment S21, dans l’attente d’un dispositif de soutien mieux adapté aux réalités économiques et industrielles.
Dès lors, madame la ministre, quelles garanties le Gouvernement peut-il apporter aux acteurs de la filière photovoltaïque pour assurer la pérennité des investissements et des emplois ? Un dialogue avec les professionnels du secteur est-il prévu afin de trouver un compromis garantissant la stabilité de cette filière stratégique pour la transition énergétique de notre pays ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du tourisme. Monsieur le sénateur Gilbert Favreau, vous interrogez le ministre Marc Ferracci au sujet de la modification de l’arrêté S21 relatif au photovoltaïque sur bâtiment. L’État soutient depuis de nombreuses années ce secteur.
L’arrêté tarifaire dont il est question ici offre un soutien aux installations depuis octobre 2021 et il a été fortement souscrit sur les dernières années, dépassant largement les objectifs qui lui étaient fixés.
Par exemple, en janvier, près de 1 gigawatt de demandes de contrat sur le segment 100-500 kilowatt-crête ont été déposées, soit la moitié de la puissance prévue pour l’année entière. Cet emballement nous conduit à ajuster le soutien à ce segment de puissance. De la même manière, pour les petites installations chez les particuliers, l’intérêt est avant tout d’autoconsommer. Lors des dernières années, malgré une baisse de la prime à l’investissement, les demandes de photovoltaïque ont continué à augmenter.
La concertation que vous avez évoquée a été menée avec la filière, et les échanges se sont poursuivis jusqu’au Conseil supérieur de l’énergie (CSE) du 6 mars dernier. Ces échanges ont permis d’étudier des solutions. Par exemple, le tarif proposé au prochain trimestre – 95 euros par mégawattheure – est compatible avec le développement de la filière.
Enfin, cette concertation a conduit à faire évoluer le projet d’arrêté tarifaire qui sera publié dans les prochains jours.
Dans la continuité de l’arrêté tarifaire, un appel d’offres simplifié permettra d’allouer un volume donné sur le segment 100-500 kilowatt-crête, avec un tarif économiquement viable pour les projets. Il sera mis en place dans les prochains mois après des échanges avec la filière.
Les collectivités et leur situation particulière feront l’objet d’échanges spécifiques. En parallèle, un arrêté permettant de soutenir les petits projets photovoltaïques au sol, très attendu par le monde agricole, sera prochainement publié.
Nous poursuivons le dialogue avec la filière pour que le développement du photovoltaïque soit compatible avec les besoins énergétiques du pays.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Favreau, pour la réplique.
M. Gilbert Favreau. Je vous remercie, madame la ministre, de ces précisions. Cependant, il est clair qu’un certain nombre de dossiers pâtiront de la solution mise en avant par le Gouvernement. Il faut espérer que les dossiers déjà engagés ne subiront pas les conséquences négatives de la décision qui vient d’être prise…
évolutions du cadre réglementaire des installations photovoltaïques
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, auteur de la question n° 363, transmise à M. le ministre auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l’industrie et de l’énergie.
M. Guillaume Chevrollier. Je souhaite, à mon tour, attirer l’attention du Gouvernement sur les récentes annonces concernant l’évolution du cadre réglementaire des installations photovoltaïques de 100 à 500 kilowatts, qui ont suscité, notamment dans le département de la Mayenne, de vives inquiétudes parmi les élus locaux, les syndicats d’énergie, les acteurs économiques du secteur et les agriculteurs, portant sur l’impact des mesures rétroactives prévues à partir du 1er février 2025.
Ces projets, bien souvent portés par les collectivités locales, jouent un rôle important dans la transition énergétique, ont des répercussions positives sur la souveraineté énergétique et créent des dynamiques locales.
Dans ce contexte, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour garantir un cadre réglementaire stable et prévisible, afin de préserver la viabilité des projets photovoltaïques, en particulier ceux qui sont portés par les collectivités locales, sans compromettre l’équilibre économique des acteurs impliqués ?
Je vous remercie également, madame la ministre, de bien vouloir préciser quelles actions concrètes sont envisagées pour renforcer la concertation avec les collectivités et les acteurs de la filière, afin d’adapter ces évolutions de manière concertée en prenant en compte la diversité des projets en cours et à venir.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du tourisme. Monsieur le sénateur Guillaume Chevrollier, vous interrogez le ministre Marc Ferracci au sujet de la modification de l’arrêté S21 relatif au photovoltaïque sur bâtiment.
Ce projet de modification a été soumis pour consultation au Conseil supérieur de l’énergie (CSE) le 12 février. Ces discussions, qui ont duré jusqu’à la semaine dernière, ont permis de prendre acte de la nécessité, dans un contexte budgétaire contraint, de différencier le soutien aux grandes et aux petites installations photovoltaïques.
En effet, il est plus efficace économiquement de soutenir les grandes installations, car si l’on tient compte du coût de raccordement, les petites installations photovoltaïques présentent un coût de production plus important.
Par ailleurs, sur le segment 100-500 kilowatts-crête, les objectifs relatifs aux petites installations ont été largement dépassés en janvier, avec le dépôt de demandes de contrat pour près de 1 gigawatt, soit la moitié de la puissance prévue pour l’année entière.
Il était donc nécessaire d’ajuster notre soutien afin d’optimiser tant la production d’électricité que les coûts de raccordement au réseau.
Les échanges pour ajuster le décret ont permis d’étudier des solutions. Le tarif de 95 euros par mégawattheure proposé au prochain trimestre est compatible avec le développement de la filière, les acteurs l’ont confirmé.
Dans la continuité de l’arrêté tarifaire, un appel d’offres simplifié permettra d’allouer un volume donné au segment 100-500 kilowatts-crête, en garantissant un tarif viable économiquement pour les projets. Il sera mis en place dans les prochains mois, après des échanges avec la filière.
Les collectivités feront l’objet d’échanges dédiés. Un arrêté permettant le soutien des petits projets photovoltaïques au sol sera également prochainement publié.
Vous l’avez compris, le dialogue ne sera jamais rompu avec la filière, pour que le développement du photovoltaïque soit compatible avec les besoins énergétiques du pays.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier, pour la réplique.
M. Guillaume Chevrollier. Madame la ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse.
J’insiste sur l’inquiétude des collectivités locales par rapport à ces changements. Elles ont besoin d’un cadre stable pour engager des projets structurants, planifier les travaux et mobiliser les acteurs locaux, et le secteur a déjà subi de nombreuses évolutions.
Les petites installations photovoltaïques dans les territoires créent des dynamiques intéressantes. Dans les petites collectivités notamment, des agriculteurs sont à l’œuvre en la matière.
Tout cela confirme la nécessité de débattre de la programmation pluriannuelle de l’énergie au Parlement, et de ne pas traiter ce sujet uniquement par des textes réglementaires.
accompagner les petits commerces face à la concurrence des géants du e-commerce
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, auteure de la question n° 368, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du commerce, de l’artisanat, des petites et moyennes entreprises et de l’économie sociale et solidaire.
Mme Béatrice Gosselin. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur la situation des petits commerces, qui font face à une concurrence de plus en plus rude de la part des géants du e-commerce, lesquels accentuent leur domination et fragilisent nos commerces de proximité.
Pourtant, les commerces de détail sont essentiels à l’attractivité de nos territoires, notamment en zone rurale.
Depuis plusieurs années, des propositions ont été formulées pour instaurer une fiscalité plus équitable. Nous avons notamment envisagé la création de taxes sur les livraisons du e-commerce ou sur l’artificialisation des sols liée à la construction de grands entrepôts, mais ces propositions sont restées sans suite.
Pendant ce temps, la concentration des géants du e-commerce s’accélère, avec des conséquences préoccupantes pour nos commerçants, notamment dans les territoires ruraux comme le département de la Manche.
Les commerces doivent pouvoir s’adapter aux nouvelles attentes des consommateurs et anticiper les évolutions du marché plutôt que de les subir. Or, à la différence de l’artisanat ou du tertiaire, le commerce dispose de peu de dispositifs de soutien à l’innovation.
La formation aux compétences numériques doit être renforcée. Nous devons accompagner les commerçants dans la transition vers un modèle hybride, alliant numérique et commerce physique.
Certains ont su innover en déployant des systèmes de commande en ligne avec retrait en magasin ou en box sécurisé, mais ces initiatives doivent être encouragées et généralisées.
Madame la ministre, les géants du e-commerce sont des spécialistes de la logistique avant d’être des commerçants. Il est donc crucial de développer des solutions permettant de les concurrencer sur ce terrain tout en préservant l’interaction humaine qui fait la richesse de nos commerces de proximité.
Revoir la fiscalité des grandes plateformes est une piste, mais cela ne peut être la seule réponse. Quelles mesures concrètes le Gouvernement entend-il déployer pour accompagner nos commerçants vers le commerce de demain et relever les défis posés au commerce en ruralité ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nathalie Delattre, ministre déléguée auprès du ministre de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargée du tourisme. Madame la sénatrice Béatrice Gosselin, le Gouvernement partage votre analyse sur les défis que doivent relever les petits commerces face à la concurrence du e-commerce.
Aujourd’hui, les deux modèles sont considérés comme complémentaires par les consommateurs. Le commerce en ligne représente une option intéressante pour les commerçants de centre-ville, en particulier pour des services comme la livraison ou la collecte en magasin. Ce phénomène touche également les zones rurales, où le taux de pénétration du e-commerce dépasse 90 %.
L’enjeu majeur est d’accompagner tous les commerçants, notamment les plus petits, dans leur transition numérique. Nous avons par exemple mis en place des dispositifs d’intégration de l’intelligence artificielle.
La réunion plénière du Conseil national du commerce prévue en avril prochain favorisera des synergies entre commerçants et start-up pour l’innovation.
Le Gouvernement soutient également les nouveaux modèles de commerce en zone rurale. Grâce au dispositif national de soutien au commerce rural, il a déjà financé plus de 600 projets pour un total de 14 millions d’euros.
En parallèle, le plan de transformation des zones commerciales a été conçu pour porter des projets d’adaptation des zones périphériques.
Pour ce qui concerne l’équilibre fiscal, les études montrent que la fiscalité des e-commerçants et celle des commerces traditionnels sont comparables, les impôts de production représentant 5,5 % de la valeur ajoutée pour les commerces physiques et 5,4 % pour les e-commerçants. Il n’y a donc pas de déséquilibre fiscal majeur.
Enfin, l’idée d’étendre la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom) aux entrepôts logistiques présente des difficultés, notamment en raison de la convergence des modèles physiques et numériques. En outre, une telle mesure risquerait de pénaliser principalement les e-commerçants français.
Le Gouvernement reste engagé à soutenir l’innovation et à répondre aux défis du commerce de demain à vos côtés, mesdames, messieurs les sénateurs.
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin, pour la réplique.
Mme Béatrice Gosselin. Madame la ministre, si nos commerces disparaissent, c’est la vie qui disparaît de nos territoires. Il faut veiller à ce que cela ne se produise pas.
avenir des micro-crèches privées
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, auteure de la question n° 271, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Mme Laure Darcos. Madame la ministre, depuis plusieurs semaines, l’inquiétude grandit au sujet de la réforme de la procédure d’autorisation des établissements d’accueil de jeunes enfants.
Dans le département dont je suis élue, l’Essonne, de nombreux gestionnaires de micro-crèches se mobilisent pour sauver leurs structures. Le déploiement du service public de la petite enfance ne saurait se faire au détriment de ces acteurs majeurs qui offrent des solutions de garde pertinentes pour les parents.
Or c’est bien vers une régulation excessive du secteur que l’on se dirige, alors qu’il faut créer 200 000 nouvelles places d’accueil pour répondre aux besoins des familles et que nous manquons dramatiquement de professionnels de la petite enfance.
Je ne méconnais pas la nécessité que chaque structure dispose de salariés compétents, possédant une formation avérée en matière de prise en charge du jeune enfant. Nul ne songerait d’ailleurs à confier son enfant à une personne n’ayant aucune expérience en la matière. Mais, de grâce, ne prenez pas des mesures aussi brutales !
Il est impensable de renforcer la formation des professionnels en poste dans les délais aussi brefs. Je ne suis pas certaine que la date du 1er septembre 2026 fixée pour le recrutement des futurs professionnels qualifiés soit parfaitement adaptée.
De même, il me semble incompréhensible que les salariés de nos micro-crèches ne puissent évoluer professionnellement au moyen de la validation des acquis de l’expérience si leurs compétences et leurs expériences sont indéniables.
Madame la ministre, toute réforme doit faire l’objet d’une concertation approfondie pour être acceptée. Au regard des difficultés du secteur, il est indispensable de parvenir à un consensus sur les mesures à prendre afin de renforcer la qualité de l’accueil des jeunes enfants et d’améliorer les conditions de travail et de formation des professionnels.
Aussi ma question est-elle la suivante : le Gouvernement est-il prêt à retarder quelque peu cette réforme afin de prendre le temps d’élaborer des solutions pertinentes pour les familles et les salariés et économiquement viables pour les micro-crèches ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Madame la sénatrice, permettez-moi de vous répondre au nom de Mme la ministre Catherine Vautrin.
Le projet de décret que vous mentionnez est fondamental pour assurer la qualité de l’accueil des jeunes enfants. De nombreuses informations erronées le concernant ont circulé et il faut être très clair à son propos.
Ce projet de décret, qui vient d’être examiné par le Conseil d’État, a pour objet d’aligner les normes d’encadrement des micro-crèches sur celles des crèches classiques de taille similaire, les petites crèches.
Les micro-crèches devront compter au moins un professionnel de catégorie 1, et prévoir l’accueil de trois enfants ou moins par professionnel. Par ailleurs, un directeur ne pourra exercer des fonctions de direction que pour deux établissements au maximum.
Toutefois, ce décret n’entrera en vigueur qu’à compter du 1er septembre 2026. Les auxiliaires de puériculture ou tout autre professionnel occupant le poste de référent technique avant cette date pourront être maintenus sur leurs postes.
Tous les titulaires d’un CAP présents dans les crèches n’auront pas à acquérir le diplôme d’État d’auxiliaire de puériculture et pourront continuer d’exercer. En effet, de nombreuses crèches disposent déjà d’un directeur pour deux structures et comptent 40 % de personnel de catégorie 1.
Ces mesures sont essentielles pour respecter les besoins des enfants, qui sont les mêmes dans les micro-crèches que dans les petites crèches classiques. Il n’y a aucune raison que les conditions d’encadrement diffèrent.
L’État n’abandonne pas les micro-crèches. Il finance ces établissements, notamment par le versement aux parents du complément mode de garde.
En ce qui concerne les micro-crèches subventionnées par la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje), j’appelle votre attention sur le fait que le prix de revient moyen reste à ce jour inférieur au plafond de 10 euros par heure.
Enfin, pour reconnaître l’engagement des professionnels et renforcer l’attractivité des métiers, le Gouvernement entend faciliter l’accès au diplôme d’État d’auxiliaire de puériculture ou tout autre diplôme appartenant à la catégorie 1, par voie de validation des acquis de l’expérience (VAE).
Le Gouvernement est donc pleinement mobilisé pour accompagner ce changement conduit en faveur de nos enfants.
M. le président. La parole est à Mme Laure Darcos, pour la réplique.
Mme Laure Darcos. Madame la ministre, au-delà des micro-crèches, c’est l’ensemble du secteur de la petite enfance – crèches privées, crèches d’entreprises, crèches publiques, crèches associatives – qui est en crise. La création de berceaux ne suffira pas à compenser la baisse du nombre d’assistantes maternelles.
J’espère que Mme El Haïry, nouvellement nommée, se saisira très rapidement de cette question.
budget départemental, protection de l’enfance
M. le président. La parole est à M. Xavier Iacovelli, auteur de la question n° 320, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
M. Xavier Iacovelli. Madame la ministre, je me réjouis qu’une haute-commissaire à l’enfance ait enfin été nommée, en la personne de Sarah El Haïry. Nous pourrons compter sur son engagement et sa détermination pour mener à bien ses missions.
Depuis plusieurs semaines, de nombreux départements annoncent une réduction significative des budgets alloués à la prévention spécialisée. Que doit-on comprendre des choix purement politiques faits dans certains départements, qui sacrifient l’avenir des enfants placés sous la protection de l’institution ?
Élus locaux, nous savons bien que le sujet de la protection de l’enfance ne permet pas de remporter des élections. Mais il est impardonnable d’abandonner cette politique sociale réalisée pour l’avenir de nos enfants.
Madame la ministre, lorsque l’on entend certains représentants départementaux tenir lors de leurs vœux de nouvelle année des propos méprisants à l’égard des acteurs sociaux – en particulier dans le département dont vous avez été l’élue –, on peut s’interroger sur la logique des arbitrages budgétaires.
Mme Audrey Linkenheld. C’est vrai !
M. Xavier Iacovelli. Je tiens à le rappeler, à la suite des attentats de 2015, c’est grâce à la forte mobilisation de la prévention juvénile que de nombreux jeunes issus de quartiers défavorisés ont pu éviter la délinquance.
Par ailleurs, la prévention spécialisée permet aux départements de réaliser d’importantes économies. En effet, un placement leur coûte en moyenne 60 000 euros par an et par enfant.
Face aux coupes budgétaires qui entraînent la suppression de dizaines de postes dans plusieurs départements, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour corriger la réduction de ces budgets et garantir la protection de nos enfants ?
Madame la ministre, le moment ne serait-il pas venu de poser de nouveau la question de la recentralisation de la protection de l’enfance, pour garantir l’égal accès aux droits des enfants placés sous notre protection ? Il est temps aujourd’hui d’envisager un nouveau partenariat avec les départements.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Monsieur le sénateur Xavier Iacovelli, Mme Vautrin salue votre engagement sur le sujet de la protection de l’enfance.
Le Gouvernement partage votre position et vos préoccupations : la prévention spécialisée est une mission essentielle pour protéger les enfants. Elle favorise l’insertion des jeunes risquant la marginalisation et contribue à la cohésion sociale.
Pour ce faire, des actions éducatives et sociales de proximité sont menées directement auprès des jeunes et de leurs familles.
Depuis la loi de décentralisation du 22 juillet 1983, il appartient aux départements d’organiser et de financer des actions de prévention spécialisée dans le cadre de l’aide sociale à l’enfance.
La jurisprudence a reconnu le caractère obligatoire de ces dépenses lorsqu’il existe sur le territoire du département des lieux où se manifestent des risques d’inadaptation sociale. Toutefois, les départements peuvent définir les conditions d’exercice de cette compétence selon les circonstances locales.
Pour mettre fin à la réduction des moyens accordée à la prévention spécialisée, la contractualisation que l’État passera avec les départements en 2025 visera à inciter ces derniers à s’engager pleinement dans ce dispositif.
À ce titre, la contractualisation doit s’adapter à de nouveaux enjeux, comme celui de l’utilisation croissante d’internet par les jeunes ou le repérage précoce des souffrances et de la radicalisation. Il existe également un enjeu de formation pour étayer la spécialisation des éducateurs de rue.
De son côté, l’État est directement intervenu pour soutenir la prévention spécialisée au travers de différentes politiques publiques.
Dans le cadre de la lutte contre l’exploitation sexuelle des mineurs, de nombreux clubs de prévention spécialisée ont été lauréats d’appels à projets.
Entre 2018 et 2022, dans le cadre de la politique de lutte contre la pauvreté, 5 millions d’euros par an ont permis de développer des actions de prévention spécialisée afin d’aller vers les publics qui rencontrent le plus de difficultés.
Dans le cadre des politiques de prévention de la délinquance, le fonds interministériel de prévention de la délinquance finance des actions de prévention spécialisée…
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée, car nous devons tenir les délais.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Dans le cadre de la politique de la ville, des moyens ont également été accordés.
Mme la ministre Vautrin a également annoncé un plan de refondation à l’occasion de son audition par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance.
avenir du projet de regroupement hospitalo-universitaire saint-ouen grand paris nord
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, auteure de la question n° 314, adressée à Mme la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, en 2013, le Président de la République, M. François Hollande, avait annoncé la création de l’hôpital Grand Paris Nord, portée par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et l’université Paris Cité.
Ce projet de grande envergure, qui vise à réunir à Saint-Ouen-sur-Seine les hôpitaux Bichat et Beaujon à l’horizon de 2028, s’inscrit dans un besoin de renforcer l’offre de soins à Paris, notamment au nord de la capitale qui souffre d’un déficit en infrastructures hospitalières.
Toutefois, la fermeture prévue des deux hôpitaux précités inquiète les soignants, les habitants et les collectivités territoriales. Ces deux sites accueillent en effet plus de 80 000 passages annuels aux urgences et offrent une capacité combinée de plus de 1 000 lits.
Depuis plusieurs années, Geoffroy Boulard, maire du XVIIe arrondissement, et les maires du XVIIIe arrondissement et de Clichy alertent sur les conséquences non négligeables de ce projet sur l’offre de soins au nord de la capitale.
Par ailleurs, le directeur général de l’AP-HP a récemment déclaré rencontrer de sérieuses difficultés pour assurer le financement de ce projet.
Aussi, madame la ministre, face à la multiplication des inquiétudes, pouvez-vous préciser le plan de financement et le calendrier prévu pour l’ensemble du projet d’hôpital Grand Paris Nord ? De plus, pouvez-vous nous assurer que les maires des arrondissements et des villes concernées par ce projet seront consultés pour toutes les phases des travaux ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Madame la sénatrice, le projet hospitalo-universitaire Saint-Ouen Grand Paris Nord constitue une réelle chance d’améliorer l’accès à des soins de qualité, ainsi que de promouvoir l’excellence de l’enseignement supérieur dans le nord de la métropole francilienne.
Le recentrage de l’offre de soins vers la Seine-Saint-Denis ne déstabilise pas l’offre du nord de la capitale. Le campus nord de Saint-Ouen est situé dans la même zone de recrutement que les hôpitaux Bichat et Beaujon, à quelques centaines de mètres du site actuel du premier.
L’hôpital de Saint-Ouen comportera 986 lits, avec 105 places d’hôpital de jour de plus qu’aujourd’hui, permettant 35 000 hospitalisations de jour supplémentaires par an.
Le regroupement des deux établissements, la densification du plateau technique et le renforcement massif des lits de soins critiques permettront quant à eux d’améliorer la fluidité de la prise en charge.
Enfin, un site complémentaire sera adossé à l’hôpital de Saint-Ouen pour reprendre les activités de soins médicaux et de réadaptation (SMR) et de psychiatrie actuellement proposées sur la parcelle Claude-Bernard de l’hôpital Bichat.
Une offre de proximité de ville sera aussi maintenue dans le XVIIIe arrondissement, avec la maison de santé pluriprofessionnelle Épinettes-Grandes Carrières, contiguë à l’hôpital Bichat.
Pour ce qui concerne le calendrier des opérations, les travaux de démolition et de dépollution ont été finalisés en avril 2024. L’instruction de la demande d’autorisation environnementale commune du campus est en cours.
Pour le site principal, le dépôt des dossiers de demande de permis de construire a été effectué à la mi-février 2025. Les consultations et attributions du marché de travaux auront lieu en 2025 et en 2026. Les travaux de construction débuteront quant à eux en janvier 2026 pour s’achever en 2032.
La sécurisation de la parcelle Victor-Hugo est en cours. Le projet devra également être sécurisé lors de la révision du plan local d’urbanisme intercommunal.
En matière de financement, le montant du projet actuel est estimé à 1,35 milliard d’euros. La subvention de l’État s’élève à 285 millions d’euros, dont 117 millions d’euros d’aides au titre du Ségur et 168 millions d’euros d’aides du Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l’offre de soins hospitaliers (Copermo).
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas, pour la réplique.
Mme Catherine Dumas. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse détaillée.
La consultation des maires des arrondissements concernés, très importante, permettra à ce projet d’aboutir dans les meilleures conditions. Il s’agit d’enjeux de santé publique, mais aussi d’égalité sociale.
Madame la ministre, je compte sur vous pour en référer à Mme Vautrin.
situation des établissements d’hébergement pour personnes âgées et dépendantes
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, auteure de la question n° 333, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap.
Mme Audrey Linkenheld. Madame la ministre, ma question porte sur la situation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad).
À vrai dire, j’avais adressé cette question il y a maintenant près d’un an à l’un de vos prédécesseurs pour m’enquérir de l’avancement de la situation dans nos Ehpad, alors qu’un vaste plan de contrôle était lancé dans toutes les régions pour s’assurer de la qualité et de la sécurité des accompagnements proposés aux personnes âgées dépendantes.
Le temps a passé depuis, mais tous les professionnels restent inquiets au regard de l’état des finances des établissements – selon la Fédération hospitalière de France, 75 % de nos Ehpad publics sont en déficit – et de la forte augmentation attendue du nombre de seniors.
Les crédits débloqués par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 n’ont pas suffi à résorber les déséquilibres, et il n’est pas certain que le rehaussement du fonds d’urgence de 300 millions d’euros dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025 permette de mieux faire.
Il y a deux semaines, la Fédération hospitalière des Hauts-de-France signalait ainsi que, en raison d’un déficit trop important, une dizaine d’Ehpad publics pourraient être amenés à fermer en 2025, alors même que six Ehpad publics ont déjà fermé dans la région en 2024.
À cette situation financière précaire s’ajoute le manque de personnel dédié à la dépendance. Les aides-soignants des Ehpad étant financés à 70 % par les agences régionales de santé et à 30 % par les départements, il est évident que dans un département peu riche comme le Nord les embauches sont moins faciles.
Les premières victimes de ce manque de personnel sont évidemment les personnes âgées elles-mêmes, qui sont moins bien accompagnées, voire parfois maltraitées, mais les professionnels souffrent aussi de la dégradation de leurs conditions de travail.
Pour toutes ces raisons, au-delà des crédits votés pour 2025, pouvez-vous nous dire, madame la ministre, quelles mesures concrètes le Gouvernement entend prendre afin d’améliorer la situation des Ehpad publics dans notre pays ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Madame la sénatrice, je suis évidemment pleinement consciente des difficultés financières rencontrées par nos Ehpad. Depuis plusieurs années, le Gouvernement travaille à améliorer la situation, au vu de la perspective du vieillissement de la population que vous avez rappelée.
Effectivement, il a été prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2025, avec l’appui des parlementaires, 300 millions d’euros d’aides pour les Ehpad en difficulté. Ces aides, qui ont vocation à être une bouffée d’oxygène dans un moment de tension particulièrement important, ne permettront toutefois pas de répondre aux problématiques structurelles rencontrées par les Ehpad.
Plusieurs mesures sont à l’œuvre pour rééquilibrer les budgets de ces établissements et réadapter leur fonctionnement. Il y a notamment des questions d’organisation interne, puisque leurs charges structurelles, de personnel et de fonctionnement, ont fortement progressé, malgré des taux d’occupation parfois très bas. Des fonds d’investissement accompagnent ainsi la transformation des Ehpad, de manière à leur permettre de mieux amortir l’ensemble des charges.
De façon plus large, l’État reprend l’engagement de soutenir les départements en proposant la fusion des sections « soins » et « dépendance », et aide les départements engagés dans cette démarche. Cette année, 23 départements sont concernés, mais nous souhaitons généraliser cette démarche afin que tous les frais de soins et de dépendance puissent être assurés par l’État, rendant plus solide la structure des Ehpad.
En parallèle, les Ehpad publics peuvent distinguer leur tarif d’hébergement de celui de l’aide sociale, ce qui permet à certains de rehausser leurs tarifs pour mieux les mettre en rapport avec la réalité.
En ce qui concerne les conditions d’accueil de nos aînés, la loi de financement de la sécurité sociale prévoit le recrutement de 6 500 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires dans nos Ehpad.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Cette trajectoire s’inscrit dans l’objectif de recruter 50 000 soignants supplémentaires, qui viendront là encore améliorer la condition d’accompagnement des personnes.
M. le président. La parole est à Mme Audrey Linkenheld, pour la réplique.
Mme Audrey Linkenheld. J’entends les mesures que vous avez annoncées, madame la ministre. Nos Ehpad publics ont véritablement besoin d’un soutien fort, faute de quoi non seulement nous mettrions en danger nos personnes âgées, mais nous renforcerions les inégalités en fin de vie, avec les risques de dérives liés à la financiarisation du secteur privé que nous connaissons.
soutien de l’état aux ehpad publics
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, auteure de la question n° 305, transmise à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap.
Mme Anne Chain-Larché. Madame la ministre, je souhaite appeler votre attention sur la situation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes publics, et en particulier sur celle de l’Ehpad Saint-Aile, situé sur le territoire de la commune de Rebais, en Seine-et-Marne, département très durement touché par les inondations.
J’ai été récemment sollicitée par plusieurs élus et habitants du territoire qui ont des parents résidant dans cet établissement. Ils constatent une forte dégradation de la situation matérielle, qui a été aggravée par les épisodes orageux et pluvieux de ces derniers mois.
Aujourd’hui, comme pour un grand nombre d’établissements de ce type, un investissement important est devenu incontournable pour assurer la pérennité du bâtiment, réparer les dégâts récents et opérer les différents travaux utiles à l’amélioration de l’édifice.
Les départements font le maximum pour soutenir ces établissements, mais leurs moyens financiers sont extrêmement contraints. Le conseil départemental de Seine-et-Marne a déjà accordé à l’Ehpad Saint-Aile une subvention exceptionnelle de 300 000 euros en novembre dernier, mais il ne peut aller au-delà.
Les collectivités locales ne peuvent malheureusement plus porter seules les investissements importants pour la réhabilitation, la rénovation et la reconstruction de ces bâtiments. Un soutien de l’État est indispensable pour les appuyer. Madame la ministre, quelles formes de soutien direct ou indirect envisagez-vous en faveur de ces structures ou des collectivités locales qui en ont la responsabilité ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Madame la sénatrice, l’investissement au profit des établissements accueillant des personnes âgées en situation de dépendance constitue une priorité du Gouvernement au regard du vieillissement démographique, ainsi que je viens de le rappeler.
Je suis consciente de ces enjeux, qui sont particulièrement prégnants en matière d’investissement. Les moyens alloués à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) ont permis de soutenir l’investissement dans le secteur médico-social pour des opérations de restructuration, de création, d’extension et de mise aux normes des Ehpad.
Les financements accordés dans ce cadre se sont élevés sur l’ensemble de la période 2006-2022 à 3,7 milliards d’euros, pour des plans d’investissement d’un montant total de 23,4 milliards d’euros.
Dans le cadre du Ségur de la santé, les plans d’aide à l’investissement ont connu un essor important de 2,1 milliards d’euros durant la période 2021-2024, 1,5 milliard d’euros étant consacrés à des opérations immobilières au profit du secteur des personnes âgées, et 600 millions d’euros étant réservés pour le numérique dans tous les établissements sociaux et médico-sociaux.
Dans ce cadre, sur le volet immobilier, près de 4 000 Ehpad ont bénéficié d’une aide pour les investissements du quotidien, ce qui a permis d’améliorer concrètement la qualité de vie des résidents et des professionnels.
À terme, en 2026, plus de 45 000 places auront été rénovées ou créées dans le cadre de l’investissement immobilier en faveur de l’hébergement des personnes âgées dépendantes, que ce soit dans les Ehpad, les résidences autonomie ou les habitats inclusifs qui auront bénéficié de ces investissements, dont plus de 32 000 places concernent les Ehpad publics.
Ces aides contribuent ainsi à la réalisation d’établissements où la qualité architecturale des espaces de vie procure un confort d’usage pour les résidents, et des équipements répondant à l’objectif de maintien de l’autonomie.
Parallèlement, le Gouvernement continue de travailler à la réforme du modèle économique des Ehpad, en proposant notamment la fusion des sections dépendance et soin, qui permettrait aux Ehpad d’avoir de nouvelles marges de manœuvre pour financer l’hébergement, de dégager de nouvelles ressources et de mieux rééquilibrer leurs finances.
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour la réplique.
Mme Anne Chain-Larché. Madame la ministre, j’appelle votre attention sur le département de Seine-et-Marne, qui a dû venir en aide aux communes sinistrées. Lors du vote du budget, il a néanmoins fallu faire des choix sur les frais d’investissement alloués aux communes.
L’Ehpad dont je vous parle est un bâtiment ancien. Sa fermeture, en raison des dégâts qu’il a connus, provoquerait une véritable déflagration dans tout le territoire.
Je transmettrai votre réponse au président du conseil départemental de Seine-et-Marne, en espérant que les choses s’améliorent rapidement et que l’État soit vraiment en soutien du département.
accessibilité des processus électoraux aux personnes en situation de handicap
M. le président. La parole est à Mme Anne Ventalon, auteure de la question n° 323, adressée à Mme la ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap.
Mme Anne Ventalon. Madame la ministre, vingt ans après la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, force est de constater que le handicap est toujours indétrônable sur le podium des discriminations.
En démocratie, voter n’est pas seulement un droit, c’est un acte citoyen fondamental.
Or, bien que garantie par l’article 29 de la convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies, ratifiée par la France en 2010, la participation des personnes en situation de handicap à la vie politique et publique fait face encore aujourd’hui à de nombreux obstacles. Ce constat est partagé par l’Association pour la prise en compte du handicap dans les politiques publiques et privées (APHPP), entendue en audition au Sénat par le groupe d’études sur le handicap, présidé par ma collègue Marie-Pierre Richer, que j’associe à ma question.
Certes, des recommandations permettant d’améliorer l’accessibilité des campagnes électorales ont été émises par le Gouvernement, telles que la mise à disposition des documents de campagne en français facile à lire et à comprendre (Falc), mais cela ne suffit pas. Ces bonnes pratiques doivent désormais être rendues obligatoires, avec, par exemple, une phase d’incitation dès les élections municipales de 2026, suivie d’une obligation pour les scrutins ultérieurs.
Une étude sur le coût réel de l’accessibilité pourrait également être envisagée pour permettre le déplafonnement des comptes de campagne, afin d’éviter que les candidats ne limitent leurs efforts d’inclusion. L’égalité d’accès au vote ne peut plus être une simple intention ; et que dire des candidats en situation de handicap, dont l’exercice démocratique est rendu encore plus difficile par ces barrières ?
Ainsi, afin que ces personnes ne subissent pas, en plus d’une peine sociale, professionnelle et familiale, une exclusion de la vie citoyenne, pouvez-vous nous préciser, madame la ministre, les mesures que vous envisagez de prendre pour garantir, dès les prochaines échéances électorales, l’accessibilité effective aux processus électoraux pour les personnes en situation de handicap ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Madame la sénatrice, depuis l’adoption de la loi du 11 février 2005, plusieurs mesures ont été adoptées visant à permettre l’accessibilité physique du processus électoral. En amont de l’élection, des consignes précises sont passées aux organisateurs de scrutin en matière d’accessibilité physique des bureaux de vote. Pendant l’élection, le président du bureau de vote doit prendre toute mesure utile pour faciliter le vote autonome des personnes en situation de handicap. Enfin, en aval de l’élection, le ministère de l’intérieur organise des retours d’expérience qui permettent de recueillir tout signalement relatif à un manquement dans l’accessibilité des bureaux de vote.
Depuis 2005, trois autres axes majeurs de progression sont intervenus. Premièrement, les obligations en matière d’accessibilité de la propagande et de la campagne électorales ont été renforcées. Deuxièmement, les démarches électorales en ligne « Interroger sa situation électorale » et « Demander son inscription sur les listes électorales » ont été rendues accessibles à 100 %. Troisièmement, enfin, la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice a reconnu inconditionnellement le vote pour tous les majeurs protégés.
Néanmoins, vous avez raison, madame la sénatrice, nous devons toujours nous engager pour améliorer l’accessibilité des processus électoraux et, plus largement, l’engagement dans la vie publique des personnes en situation de handicap.
C’est pourquoi le ministre de l’intérieur travaille, par exemple, à la rédaction d’un guide de bonnes pratiques à destination des partis et des candidats sur la rédaction de la propagande électorale en Falc.
Surtout, lors de la dernière réunion du comité interministériel du handicap, le 6 mars dernier, le Premier ministre a constitué un groupe de travail sur l’accessibilité du processus électoral et l’exercice du mandat d’élu par les personnes en situation de handicap. Cela permettra d’associer les partis politiques, les associations de représentants et l’administration. Ce sera le lieu adéquat pour échanger sur les différentes mesures que vous évoquez aujourd’hui, afin de progresser. Je vise le même objectif que vous : être, lors des prochaines municipales – la prochaine échéance électorale de notre pays –, au rendez-vous de l’accessibilité.
facturation des indemnités kilométriques des infirmiers dans les communes au territoire étendu
M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas, auteure de la question n° 300, adressée à M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Patricia Demas. Madame la ministre, ma question porte sur le sujet récurrent de la facturation des indemnités kilométriques des infirmiers. Celle-ci repose sur deux conditions figurant à l’article 13 de la nomenclature générale des actes professionnels : la distance séparant le cabinet de l’infirmier du domicile du patient – deux kilomètres en plaine, un kilomètre en montagne – et le fait que le cabinet du professionnel et le domicile du patient ne soient pas situés dans la même « agglomération ».
Le problème porte sur la définition de l’agglomération. Les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) adoptent une interprétation fondée sur les critères de l’Insee, incluant toute unité urbaine de 2 000 habitants avec bâti continu. Une telle définition rend impossible la facturation d’indemnités kilométriques si l’infirmier et le patient se trouvent dans la même commune, indépendamment des panneaux routiers.
Or, par un arrêt du 8 avril 2022, la cour d’appel d’Aix-en-Provence a confirmé deux de ses décisions précédentes – l’une rendue en 2018 et l’autre en 2019 – qui contredisent cette interprétation, sur le fondement d’une définition tirée de l’article R. 110-2 du code de la route, selon lequel une agglomération est l’« espace sur lequel sont groupés des immeubles bâtis rapprochés et dont l’entrée et la sortie sont signalées par des panneaux » spécifiques.
Par conséquent, un infirmier doit pouvoir facturer les indemnités kilométriques si le domicile du patient se trouve au-delà des panneaux d’entrée et de sortie de la ville, même si les adresses se situent dans la même commune. Il en résulte que les indus pouvant découler d’un contrôle de la CPAM ne seraient justifiés qu’à la condition que cette dernière puisse prouver que les conditions de remboursement ne sont pas remplies, ce qui est rarement possible.
Dans la mesure où de nouveaux litiges sont encore intervenus depuis l’arrêt précité, je souhaite savoir si le Gouvernement ne pourrait pas procéder à une clarification, afin d’anticiper les contentieux de façon simple et définitive. Il s’agit de simplifier le quotidien des infirmiers, de soutenir cette profession située en première ligne dans le suivi des patients, surtout en milieu rural, et de prendre en compte de manière juste la réalité des trajets à l’intérieur de communes rurales, parfois très étendues.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Madame la sénatrice, vous avez tout à fait raison, les infirmiers jouent un rôle essentiel dans notre système de soins, en particulier auprès des patients les plus fragiles. Ces professionnels de santé sont au cœur de la prise en charge à domicile et nous souhaitons qu’ils le demeurent.
M. le ministre chargé de la santé, Yannick Neuder, m’a chargée de vous répondre, en indiquant d’abord que les infirmiers sont les piliers de l’« aller vers » et de l’accès aux soins dans nos territoires les plus reculés. En outre, il n’ignore pas que ces professionnels sont confrontés à des frais de déplacement qui ont augmenté au cours des dernières années.
C’est pourquoi des négociations flash avaient été lancées à l’été 2023, à la demande de ses services, afin d’accompagner les professionnels de santé paramédicaux face à l’inflation. L’avenant n° 10 à la convention avec les infirmiers signé dans ce contexte a d’ailleurs permis une augmentation, à compter du 28 janvier 2024, de 10 % de l’indemnité forfaitaire de déplacement, passée de 2,50 euros à 2,75 euros.
Pour ce qui concerne plus particulièrement la facturation des indemnités kilométriques, elle peut en effet donner matière à divergences et faire l’objet de litiges. Aussi, pour tenir compte des réalités locales, la démarche de l’assurance maladie depuis 2021 consiste à négocier des accords locaux, qui permettent aux différents acteurs de s’entendre sur la définition de l’agglomération dans leur territoire.
Cette méthode permet aux acteurs de s’accorder en amont sur la notion d’agglomération, afin de mieux répondre à leurs spécificités territoriales. Elle doit permettre d’éviter les contentieux ; l’arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence que vous mentionniez incite d’ailleurs à cette déclinaison locale de la notion d’agglomération.
Enfin, de manière plus générale, comme le ministre Yannick Neuder l’a indiqué à l’Assemblée nationale à l’occasion de l’adoption de la proposition de loi sur la profession d’infirmier et la semaine dernière en audition au Sénat, si cette proposition de loi était définitivement adoptée, elle donnerait lieu à l’ouverture de négociations conventionnelles ; c’est un engagement auquel le ministre est particulièrement attaché.
avenir du service de psychiatrie et d’addictologie de l’hôpital cochin à paris
M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, auteur de la question n° 317, adressée à M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Francis Szpiner. Madame la ministre, alors que la santé mentale a été érigée en grande cause nationale pour garantir une prise en charge renforcée des troubles psychiques, comment pouvez-vous justifier le démantèlement du service de psychiatrie de l’hôpital Cochin-Tarnier ? Cette décision est contraire à l’engagement affiché par le Gouvernement en faveur de la santé mentale, dans un contexte où les besoins en soins psychiatriques ne cessent de croître.
Je le rappelle, cette unité hospitalo-universitaire réputée dispense des soins qui, pour certains, n’existent pas ailleurs, accueille en consultation et en hôpital de jour plus de 2 000 patients et assure plus de 8 000 consultations par an. Une solution, validée par une large majorité des acteurs médicaux, consistait à déménager et à regrouper cette unité au sein de l’ancien bâtiment de la crèche de l’hôpital Cochin.
Pourtant, sous couvert de rationalisation économique, il a été décidé de déménager ce service dans un hôpital gériatrique désaffecté, à distance de Cochin, en attendant une hypothétique intégration à l’Hôtel-Dieu, en dépit de l’intérêt des malades. Cette décision va nécessairement entraîner une diminution de l’offre de soins, contrairement aux engagements du Gouvernement.
Il n’est pas trop tard pour reconsidérer cette décision et ramener cette unité au cœur de ce groupement ; un service hospitalo-universitaire doit rester au sein de l’hôpital !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Monsieur le sénateur, permettez-moi de vous répondre au nom de Yannick Neuder, ministre chargé de la santé.
L’université Paris Cité et la Ville de Paris portent un projet ambitieux d’institut pour la santé des femmes, qui sera implanté à Tarnier. Pour engager la transformation de ce site, il a été demandé à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) de libérer avant l’été prochain les espaces dont elle était occupante.
Des solutions d’implantation ont été identifiées pour l’ensemble des activités qui s’y tiennent encore. Parmi ces activités figure une unité de psychiatrie assurant une activité ambulatoire, qui a vocation à rejoindre définitivement le site du nouvel Hôtel-Dieu après réhabilitation.
Entre la libération de Tarnier et l’ouverture de l’Hôtel-Dieu, il est donc nécessaire de trouver une implantation provisoire de cette unité, pour environ trois ans.
Plusieurs solutions transitoires d’implantation ont été étudiées. La solution retenue est celle d’une implantation temporaire dans les locaux vacants de l’hôpital de la Collégiale, situés à environ un kilomètre de Cochin. La solution d’une implantation dans la crèche de Cochin a été écartée pour deux raisons : un coût de réhabilitation disproportionné par rapport à la durée de l’opération et une durée de travaux incompatible avec le calendrier de la libération de Tarnier, attendue pour l’été prochain.
Pour faire en sorte que les meilleures conditions soient réunies, une mission a été confiée à Édouard Couty, président du conseil hospitalier de territoire du groupe hospitalo-universitaire de Paris Centre. Cette mission a permis de confirmer que les conditions d’implantation du service concerné dans le futur Hôtel-Dieu étaient conformes aux intérêts tant des professionnels que des patients. Elle a également confirmé que les locaux de la Collégiale étaient adaptés pour accueillir l’unité de Tarnier pendant la durée nécessaire à la finalisation des travaux de l’Hôtel-Dieu.
Par ailleurs, un plan d’action est en cours de mise en œuvre pour renforcer à court terme la psychiatrie de liaison assurée à Cochin.
Affaiblir l’offre en psychiatrie au moment où les besoins n’ont jamais été aussi importants serait bien sûr inconcevable. Le renforcement de l’offre de prise en charge en psychiatrie est au cœur de nombreux projets d’envergure de l’AP-HP.
M. le président. La parole est à M. Francis Szpiner, pour la réplique.
M. Francis Szpiner. Comme vous venez de l’indiquer, madame la ministre, c’est inconcevable et pourtant, vous allez le faire…
La poursuite de ce déménagement va entraîner la diminution de 75 % des consultations de neuropsychiatrie ; elle porte atteinte aux activités de l’hôpital de jour ; le personnel n’en veut pas, vous le constaterez si vous le consultez ; une partie du suivi ne sera pas assurée ; et des départs sont déjà annoncés.
Par ailleurs, en raison de cet éloignement, les malades des autres services de Cochin, l’un des plus grands hôpitaux de Paris, n’auront pas les soins psychiatriques dont ils ont besoin.
Je prends donc acte de votre réponse : avec ces périodes transitoires, vous allez en réalité affaiblir l’offre psychiatrique. Ce n’est pas acceptable.
conséquences d’un potentiel ajournement de la généralisation du dépistage néonatal national de l’amyotrophie spinale
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, auteur de la question n° 328, adressée à M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Chantal Deseyne. Ma question porte sur la généralisation du dépistage néonatal national de l’amyotrophie spinale (ou Spinal Muscular Atrophy, SMA).
L’amyotrophie spinale est une maladie génétique rare et grave, qui entraîne une dégénérescence neuromusculaire irréversible. Elle se caractérise, dans sa forme la plus sévère, par une paralysie et un décès prématuré, souvent avant l’âge de deux ans.
En France, quelque 100 à 200 nourrissons sont diagnostiqués chaque année, ce qui fait de la SMA la maladie génétique la plus fréquente responsable de la mortalité infantile.
Des avancées thérapeutiques récentes offrent de nouvelles options pour traiter l’amyotrophie spinale, à condition que le traitement soit administré précocement.
En juillet 2024, la Haute Autorité de santé (HAS) a émis un avis favorable sur l’intégration de la SMA dans le programme national de dépistage néonatal. Or, huit mois plus tard, cette recommandation n’a toujours pas été appliquée, mettant en danger la vie de nombreux nourrissons. Un dépistage précoce et une prise en charge rapide offriraient pourtant une chance réelle à ces jeunes enfants.
Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer quand le Gouvernement prévoit de mettre en œuvre le dépistage néonatal national et quelles contraintes pourraient compromettre une application rapide de ce dépistage ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Madame la sénatrice, je vous remercie de votre question sur un sujet majeur, sur lequel le Gouvernement concentre son attention.
Vous avez raison, le dépistage néonatal constitue un levier essentiel de prévention et de prise en charge précoce des maladies rares. C’est pourquoi le Gouvernement s’est engagé dans une dynamique d’élargissement progressif du programme national de dépistage néonatal, conformément aux recommandations de la HAS.
En 2025, trois nouvelles pathologies seront intégrées à ce programme, dont l’amyotrophie spinale, une maladie neuromusculaire grave dont la prise en charge précoce change radicalement l’évolution, comme vous l’avez souligné.
Les travaux de mise en œuvre pour ces trois extensions sont bien avancés ; les appels d’offres pour les équipements nécessaires ont été lancés ; les procédures d’agrément en génétique ont été clarifiées, sans obstacle réglementaire ou organisationnel pour les laboratoires des centres régionaux de dépistage néonatal. Par ailleurs, une formation en agrément limité en génétique, pour les quelques professionnels de santé concernés, est en cours de finalisation au sein de l’Agence de la biomédecine.
Ces travaux préparatoires sont indispensables, mais ils nécessitent un temps incompressible. Nous essayons néanmoins d’anticiper ce qui peut l’être : nous avons d’ores et déjà demandé aux agences régionales de santé (ARS) de poursuivre très activement les travaux préparatoires. Ainsi, une note d’information demande aux acteurs d’engager dès à présent les préparatifs nécessaires à l’acquisition des équipements et au recrutement du personnel requis.
En outre, un arrêté encadrant ces trois extensions fait actuellement l’objet des consultations obligatoires, en vue de sa publication d’ici à la fin du mois mars ou au tout début du mois d’avril. Cet arrêté fixera l’extension du dépistage néonatal à ces trois maladies, selon un calendrier permettant de tenir compte des dernières étapes nécessaires, telles que l’aménagement des nouveaux équipements et la formation des professionnels, pour garantir la réussite de cette extension.
Comme vous pouvez le constater, madame la sénatrice, le Gouvernement est pleinement mobilisé et continue de travailler en étroite concertation avec les acteurs du dépistage et les associations.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne, pour la réplique.
Mme Chantal Deseyne. Je vous remercie de vos réponses, madame la ministre, qui ont également été fournies par le ministre de la santé lors de son audition de la semaine dernière par la commission des affaires sociales. Je comprends donc les freins qui retardent le déploiement de ce dépistage précoce systématique, mais je veux insister sur l’urgence de sa mise en place. Il ne faudrait pas décevoir l’espoir que tous les parents placent en ce dernier.
recommandations 2025 de la haute autorité de santé sur la maladie de lyme
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, auteure de la question n° 376, adressée à M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins.
Mme Élisabeth Doineau. Madame la ministre, les recommandations de la Haute Autorité de santé pour 2025 sur la maladie de Lyme représentent une avancée notable, mais elles ne suffisent pas ; nous n’avançons pas à pas de géants, dans cette affaire.
En effet, malgré la reconnaissance officielle du « Lyme long » – il existe un Lyme long, comme il existe un covid long –, il n’y a pas de recommandation d’approche thérapeutique. Or c’est à ce sujet qu’il faut agir, car encore trop de malades font de l’automédication. D’autres se rendent à l’étranger pour se soigner, ce qui révèle qu’il y a bien une inégalité de traitement.
Il convient donc d’aller plus loin, avec les patients et avec les praticiens. Le Gouvernement est-il conscient de la nécessité d’aller plus vite pour favoriser la prise en charge systématique du Lyme long ?
Par ailleurs, la recherche est centrale dans la lutte contre toutes les maladies, en particulier sur la maladie de Lyme. Ainsi, une enveloppe de 10 millions d’euros avait été allouée à la recherche sur cette maladie par la loi du 28 février 2025 de financement de la sécurité sociale pour 2025. Pourtant, dans le cadre des économies demandées à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), il semble que 8 millions d’euros de cette enveloppe aient été mis de côté pour réduire le déficit. Il ne reste donc plus que 2 millions d’euros fléchés vers la recherche sur la maladie de Lyme. C’est Robin des Bois à l’envers !
Le ministère devrait mettre son nez dans la répartition des financements de l’Inserm, parce que je trouve anormal que 8 millions d’euros affectés à la recherche sur la maladie de Lyme se retrouvent consacrés à la réduction du déficit.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Madame la sénatrice, permettez-moi de vous répondre au nom de mon collègue Yannick Neuder, ministre chargé de la santé, qui réaffirme l’attention particulière qu’il porte aux maladies vectorielles, notamment à la maladie de Lyme.
La Haute Autorité de santé a été saisie pour harmoniser les pratiques sur l’ensemble du territoire. En février dernier, elle a publié des recommandations fondées sur une analyse scientifique et rigoureuse, issue d’une concertation incluant experts et associations de patients. Ces recommandations aideront les médecins généralistes à traiter les formes simples et prévoient l’orientation des cas complexes vers les centres spécialisés.
En ce qui concerne le syndrome post-traitement de la borréliose de Lyme, la HAS décrit les démarches diagnostiques et thérapeutiques adaptées. Elle rappelle qu’aucune preuve d’infection active ne justifie une antibiothérapie prolongée, laquelle reste donc non recommandée. La prise en charge doit être personnalisée, globale et pluridisciplinaire, incluant un soutien psychologique et une réadaptation physique.
La HAS préconise également une recherche plus importante, vous l’avez dit, sur les mécanismes et sur les traitements efficaces. Les centres de référence, financés par le ministère, ont commencé ces travaux et les poursuivront dans un cadre strict. Le Gouvernement suivra attentivement l’application des recommandations et leur évolution en fonction des avancées scientifiques.
Vous l’avez indiqué, le budget de la sécurité sociale pour 2025 prévoit l’allocation de 10 millions d’euros à l’Inserm pour structurer la recherche sur les maladies vectorielles à tique, dont la maladie de Lyme. Un groupe de travail réunissant experts, chercheurs et représentants de patients a élaboré un programme, avec pour objectif d’améliorer la prise en charge, la prévention et le traitement de ces maladies. La création de deux cohortes de patients permettra d’enrichir nos connaissances.
Au sujet de cette enveloppe, comme pour toute recherche, il est prévu que le programme sur les maladies vectorielles s’étende sur plusieurs années. L’Inserm a donc décidé d’étaler les dépenses liées à ce programme ambitieux en allouant immédiatement, à l’exercice 2025, 2 millions d’euros, budget nécessaire pour continuer les projets et obtenir de premiers résultats.
M. le président. Il faut conclure.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Le reste du budget sera réparti sur les années suivantes, en fonction des évaluations et de l’état d’avancement des recherches.
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour la réplique.
Mme Élisabeth Doineau. Je compte sur vous, madame la ministre, pour garantir que tous les millions fléchés vers la recherche sur la maladie de Lyme y soient bien consacrés.
reconnaissance officielle de la musicothérapie en tant que discipline médicale
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, auteur de la question n° 348, adressée à M. le ministre auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargé de la santé et de l’accès aux soins.
M. Jean-Raymond Hugonet. La musique adoucit les mœurs, dit-on, mais on pourrait aisément convenir qu’elle apaise également les corps et les âmes.
Au travers de la musicothérapie, de nombreux patients présentant des troubles psychiques ou neurologiques sont régulièrement soignés, grâce à la pratique ou à l’écoute de la musique. Dans un cadre approprié, cette thérapie, qui s’appuie sur les effets psychoaffectifs et psychophysiologiques de la musique, permet d’atténuer les conséquences de certaines pathologies, telles que la maladie d’Alzheimer ou la maladie de Parkinson.
À ce jour, l’Europe compte onze pays où la musicothérapie est reconnue et réglementée, dont le Royaume-Uni et l’Allemagne. La France n’a malheureusement pas encore passé ce cap, alors même que cette pratique est déjà intégrée à de nombreuses structures médicales ou médico-sociales de notre pays.
L’absence d’une réglementation et d’une organisation claire empêche la rationalisation de la profession. En reconnaissant cette pratique médicale, l’État favoriserait une meilleure formation des professionnels ainsi qu’un accès plus équitable des patients à ce type de soin.
Alors que le nombre des maladies psychiques croît en France, qu’entendez-vous mettre en œuvre, madame la ministre, pour que la musicothérapie soit reconnue comme discipline médicale, permettant ainsi de structurer une profession qui ne demande qu’à l’être ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Monsieur le sénateur, les bénéfices de la musique sur le bien-être du patient et du résident sont certains, notamment en cas de maladie neurodégénérative.
Le recours à la musique est une pratique déjà utilisée dans de nombreux hôpitaux et Ehpad. La réglementation actuelle n’empêche en rien son utilisation pour apporter un meilleur confort au patient. Il n’y a pas non plus de réel obstacle financier à l’écoute de musique.
Vous souhaitez savoir s’il est possible de reconnaître cette pratique comme discipline médicale. À ce jour, cela n’est pas envisagé. D’abord, il n’est pas démontré que cela nécessiterait des compétences uniquement médicales ; des professions paramédicales ont ainsi déjà recours à l’emploi de musique et se forment en conséquence pour accompagner la prise en charge de patients. Ensuite, la France est confrontée à une situation de faible démographie médicale. La fin du numerus clausus, que le ministre de la santé appelle de ses vœux, le renforcement des capacités de formation des médecins, le retour des étudiants français en médecine partis vers d’autres pays de l’Union européenne et la simplification des voies d’accès pour les praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) nous permettront de retrouver une plus forte densité médicale au cours des prochaines années.
En attendant, il est nécessaire de consacrer le temps médical disponible aux expertises dans lesquelles la plus-value médicale est incontournable, afin de garantir la continuité de l’accès aux soins des patients et des résidents, en priorité pour ceux qui résident dans un désert médical.
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet, pour la réplique.
M. Jean-Raymond Hugonet. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais elle me désole quelque peu. Dès que l’on parle de thérapies un peu spéciales – j’avais également abordé la question du sport à ce sujet –, on nous répète les mêmes arguments, qui ne sont absolument pas convaincants. D’ailleurs, nous sommes à la remorque de l’Europe ; même si nous sommes un pays ancien, aux traditions fortes, il conviendrait d’ouvrir nos yeux et nos oreilles à ce qui se fait ailleurs en Europe, notamment au Royaume-Uni et en Allemagne.
Pour ma part, je préconiserais la musicothérapie aux membres du Gouvernement, voire aux sénateurs ; cela ferait beaucoup de bien… (Sourires.)
projet de suppression du délégué militaire départemental adjoint dans les alpes de haute-provence
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Roux, auteur de la question n° 237, adressée à M. le ministre des armées.
M. Jean-Yves Roux. Madame la ministre, nous vivons assurément un tournant de l’histoire française et européenne et notre pays devra, face aux incertitudes géopolitiques, accroître son engagement dans la défense commune.
Cet engagement était déjà présent lorsque nous avons examiné la loi du 1er août 2023 relative à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030 et portant diverses dispositions intéressant la défense, qui prévoit notamment de doubler les effectifs des réservistes militaires.
Or, dans les déserts militaires, ce projet repose essentiellement sur les délégués militaires, représentants du ministère des armées dans nos territoires.
Dans le département des Alpes de Haute-Provence, une équipe, formée d’un délégué militaire, d’un délégué militaire adjoint, d’un officier supérieur, d’un sous-officier adjoint et d’un secrétaire civil de la défense, s’engage sans relâche pour maintenir le lien entre État et Nation de manière concrète et visible. Au-delà du travail auprès des élus et avec nos anciens combattants, ainsi que de l’entraînement d’une réserve opérationnelle, notre département compte ainsi sept classes « défense et citoyenneté ». Cette activité au service du recrutement, de l’encadrement et de la coordination de futurs réservistes est sans nul doute appelée à se développer prochainement.
Pourtant, la suppression, d’ici à quelques années, du poste de délégué militaire adjoint est prévue, ce qui semble contre-productif au regard des enjeux actuels.
Madame la ministre, entendez-vous revenir sur la suppression de ce poste ? Plus largement, comment comptez-vous atteindre l’objectif d’accroissement du nombre de réservistes et de la présence militaire dans les déserts militaires tels que les Alpes de Haute-Provence ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le sénateur Jean-Yves Roux, le poste de délégué militaire départemental adjoint des Alpes de Haute-Provence sera en effet transféré en 2025. Il est en réalité, comme d’autres postes, redéployé.
Cette décision a été prise en concertation avec les directions des ressources humaines des différentes armées et les employeurs interarmées, notamment la zone de défense et de sécurité sud.
Dans le cadre d’effectifs contraints, l’objectif est de renforcer les capacités de résilience de l’état-major de zone de défense, afin de mieux faire face aux crises potentielles, mais aussi en prévision de la planification des jeux Olympiques d’hiver de 2030, qui impliquent directement les armées.
La suppression évoquée s’inscrit aussi dans des redéploiements qui visent à soulager d’autres départements, dans lesquels le délégué militaire départemental cumule déjà trop de responsabilités.
L’activité militaire dans le département des Alpes de Haute-Provence est moins importante que dans d’autres départements de la zone de défense et de sécurité et les catastrophes naturelles y sont relativement moins fréquentes – tant mieux, d’ailleurs.
L’effort exigé de la part du département est ainsi raisonnable, d’autant que le délégué militaire départemental dispose de renforts de réservistes – plus d’une dizaine –, qui lui permettent de déléguer certaines de ses missions, y compris en direction de la réserve.
J’appelle d’ailleurs votre attention sur le fait que d’autres départements, dans lesquels les armées sont très implantées, n’ont pas d’adjoint actuellement. C’est le cas du Var, où les fonctions d’adjoint du délégué militaire départemental sont assumées par un réserviste. En outre, d’autres départements seront touchés par un redéploiement des postes de délégué adjoint en 2026 et 2027. C’est notamment le cas du Lot et de la Lozère.
La suppression du poste de délégué militaire départemental adjoint dans les Alpes-de-Haute-Provence est donc cohérente avec la situation opérationnelle du département dont vous êtes élu et avec les ajustements similaires prévus dans d’autres départements.
La délégation militaire des Alpes de Haute-Provence pourra continuer de s’appuyer sur le délégué militaire départemental en titre, sur un sous-officier d’active et sur une dizaine de réservistes. Cette suppression permet une réallocation utile aux missions opérationnelles conduites par les armées.
délivrance de visas pour les militantes afghanes des droits humains réfugiées au pakistan
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, auteur de la question n° 378, adressée à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Thomas Dossus. Madame la ministre, il y a urgence. Le 27 novembre 2024, le ministre de l’intérieur, M. Retailleau, déclarait devant le Sénat : « On [doit] faciliter l’accès à l’asile des femmes afghanes. » Il a raison : depuis 2021 et la mise en place d’un véritable apartheid de genre en Afghanistan par les talibans, de nombreuses Afghanes ont fui leur pays. Parmi elles, des dizaines de militantes des droits humains, engagées pour la paix et l’émancipation de leur peuple, ont été contraintes de prendre la route de l’exil face à la terrible répression du pouvoir en place à Kaboul. Leurs récits sont glaçants.
Beaucoup de ces militantes qui ont vécu l’enfer se sont réfugiées temporairement au Pakistan tout en formulant des demandes de visas pour rejoindre notre pays. Elles ont choisi la France, patrie des droits de l’homme, pour être en accord avec leurs engagements, mais aussi parce que notre pays, universaliste, considère toutes les femmes afghanes comme éligibles à l’asile.
Désormais, leur situation au Pakistan est intenable. Depuis le début de l’année 2025, les autorités y mènent une opération « zéro Afghan », qui consiste en des arrestations arbitraires et en des détentions. Un ultimatum a été donné : ces femmes ont jusqu’au 31 mars prochain, dans moins de deux semaines, pour quitter le pays. J’insiste : il y a urgence ! Pour les militantes afghanes, un renvoi dans leur pays serait synonyme de mise à mort. Nous ne pouvons tolérer cela.
Pourtant, leurs demandes de visas sont pour l’instant bloquées, n’aboutissant pas. Elles doivent être traitées en urgence. Madame la ministre, ce gouvernement a le pouvoir de sauver ces femmes : vous pouvez accélérer les processus de demande de visa, en accord avec les déclarations du ministre de l’intérieur. Leur accueil ne poserait aucun problème : ces femmes sont déjà accompagnées par des associations sur notre territoire. Je le répète : ces associations se chargeront de l’accueil et du logement de ces femmes et je tiens, par ailleurs, à saluer leur engagement.
Il y a, une fois encore, urgence absolue à agir. C’est une question de jours ! La France préfère-t-elle laisser mourir ces femmes là-bas après leur avoir promis l’asile ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le sénateur Thomas Dossus, ni le droit international ni la législation française ne consacrent de droit à demander l’asile depuis un pays tiers. Toutefois, la France a mis en œuvre spontanément et volontairement, dès 2021, plusieurs dispositifs qui permettent, aujourd’hui encore, à des ressortissantes afghanes de rejoindre notre pays en toute sécurité pour y demander l’asile.
Ainsi, dès mai 2021, avant même la chute de Kaboul, la France a évacué 623 ressortissants afghans, agents de droit local et leurs familles. Dans le cadre de l’opération Apagan, lancée le 17 août 2021, notre pays a procédé à des évacuations de grande ampleur, en plus des demandes de réunification familiale qui ont fait l’objet d’une instruction accélérée, permettant l’accueil de près de 14 000 personnes à ce jour. Après la fermeture de notre ambassade en Afghanistan, les ressortissants afghans ont eu la possibilité de s’adresser aux représentations consulaires françaises dans tous les pays tiers, dont le Pakistan, pour solliciter un visa leur permettant de rejoindre la France afin d’y demander l’asile.
Quelque 2,8 millions de ressortissants afghans se trouvent actuellement au Pakistan selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. Les autorités pakistanaises ont lancé un premier plan de rapatriement en novembre 2023 visant les ressortissants afghans en situation irrégulière. Notre ambassade sur place et le ministère de l’intérieur se sont immédiatement mobilisés et ont depuis fourni plus de 750 visas au titre de l’asile à des ressortissants afghans, dont 260 à des femmes. Depuis la chute de Kaboul, près d’un millier de ces visas ont été accordés à des femmes afghanes. Les services français continuent d’instruire au maximum de leurs capacités les demandes, très nombreuses.
Par ailleurs, la France a pris un engagement fort en décembre 2023 en lançant l’initiative « Avec elles ». Dans ce cadre, notre pays fait preuve d’une attention renforcée à l’égard des femmes afghanes. Ainsi, en partenariat avec le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, 300 femmes afghanes réfugiées et leurs enfants ont été réinstallés sur notre territoire en 2024 depuis la Turquie, et cet objectif est porté à 500 pour l’année 2025. En revanche, les conditions, notamment sécuritaires, au Pakistan ne permettent pas d’y déployer des agents pour réaliser des missions de réinstallation.
Vous pouvez donc constater, monsieur le sénateur, que le Gouvernement met tout en œuvre pour répondre aux besoins de protection des femmes afghanes, dans le respect de ses engagements internationaux.
décret d’application relatif à la bonification des trimestres des sapeurs-pompiers volontaires
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, auteur de la question n° 387, adressée à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur.
M. Alain Marc. Madame la ministre, je souhaite attirer votre attention sur le décret d’application relatif à la bonification des trimestres des sapeurs-pompiers volontaires. Cette disposition, introduite au Sénat lors de l’examen de la loi du 14 avril 2023 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023, vise à apporter une juste reconnaissance à l’engagement citoyen des sapeurs-pompiers volontaires.
En effet, l’article 24 de cette loi a créé un dispositif permettant aux sapeurs-pompiers volontaires, justifiant d’une durée minimale d’engagement, de valider des trimestres de retraite. Ils peuvent ainsi compléter leur carrière professionnelle, au titre de la reconnaissance de leur engagement au service des populations. Ainsi, les assurés ayant accompli au moins dix années de service, continues ou non, en qualité de sapeur-pompier volontaire ont droit à des trimestres supplémentaires pris en compte pour la détermination du taux de calcul de la pension, dans des conditions et des limites prévues par décret en Conseil d’État.
Or, à ce jour, les sapeurs-pompiers volontaires sont toujours dans l’attente de la publication du décret. Nous avons sans doute participé, les uns et les autres dans cet hémicycle, à de nombreuses Sainte-Barbe dans les centres de secours, au cours desquelles la question du décret est à chaque fois posée, à moi compris !
Aussi, madame la ministre, pouvez-vous nous indiquer la date de parution de ce décret, très attendu par ceux qui risquent leur vie chaque jour au service de nos concitoyens ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le sénateur Alain Marc, je vous prie d’excuser l’absence du ministre de l’intérieur, qui m’a chargée de vous répondre.
Tout d’abord, je tiens à rappeler l’attachement du Gouvernement au modèle français de sécurité civile, fondé, entre autres, sur la complémentarité des statuts qui le composent, à savoir les sapeurs-pompiers professionnels, les sapeurs-pompiers volontaires, les militaires et les bénévoles. Environ 200 000 sapeurs-pompiers volontaires s’engagent au quotidien pour porter secours à nos concitoyens.
Cet engagement est remis en question par la possible qualification en travailleur du sapeur-pompier volontaire. Or celui-ci ne fait pas de cette activité son métier : il est un citoyen engagé, ce qu’il faut reconnaître et valoriser. Au nom du Gouvernement, je veux rendre à ces volontaires un hommage appuyé, que je sais partagé par le Parlement, lequel a adopté cette mesure de reconnaissance.
Comme vous le précisez, la loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 tend à ce que les sapeurs-pompiers volontaires ayant accompli plus de dix ans de service bénéficient de trimestres de retraite supplémentaires, selon des modalités arrêtées par décret en Conseil d’État. Ce décret d’application n’a, pour l’heure, pas été pris. Ses premières rédactions ne s’inscrivaient pas de manière satisfaisante, en l’état, dans l’esprit de la loi.
Le ministère de l’intérieur a repris le dossier. Il est favorable à ce que l’attribution de trimestres soit progressive et que ceux-ci viennent s’ajouter à des années complètes de cotisations. La concertation sur ce sujet nécessite du temps : il ne faut pas aboutir de nouveau à une situation insatisfaisante pour nos sapeurs-pompiers. C’est notamment du fait de l’insatisfaction de ces derniers que nous sommes amenés à retravailler ce dossier.
Les travaux interministériels ont repris pour aboutir à une solution sérieuse, qui permettra de mettre en œuvre cette disposition en suivant l’esprit de la loi : elle visera à renforcer la fidélisation de nos sapeurs-pompiers volontaires et à reconnaître leur engagement.
Comme vous, le ministre de l’intérieur souhaite que ces travaux aboutissent le plus rapidement possible afin de reconnaître l’engagement de nos sapeurs-pompiers volontaires, indispensables à la Nation. Vous pouvez être assuré, monsieur le sénateur, de l’implication sur ce dossier du ministre et de ses services pour y parvenir dans les prochaines semaines.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour la réplique.
M. Alain Marc. Madame la ministre, notre modèle de sécurité ne serait pas ce qu’il est si nous n’avions pas de volontaires. Par exemple, l’Aveyron en compte 1 400 pour 120 professionnels. Avec des finances nationales cumulant 3 300 milliards d’euros de dette, nous ne pourrions jamais tenir avec des sapeurs-pompiers seulement professionnels. J’espère simplement que, lors des prochaines Sainte-Barbe, à la fin de l’année civile, nous pourrons apporter une bonne nouvelle à nos volontaires. Ces derniers s’engagent chaque jour, au prix de nombreux sacrifices, se forment, prennent sur le temps de leur vie de famille et sauvent beaucoup de gens.
responsabilité concernant les dommages causés par l’amiante
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, auteur de la question n° 359, adressée à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Pierre Corbisez. Madame la ministre, ma question porte sur les responsabilités concernant la production et la distribution d’amiante, mais aussi, et surtout, sur le délai d’interdiction de cette fibre tueuse comme matériau de construction ou dans les équipements de protection.
En effet, si c’est en 1977 que l’amiante a été reconnu cancérigène par l’Organisation mondiale de la santé, il aura fallu attendre vingt ans, soit 1997, pour que la France l’interdise effectivement. Pourtant, l’amiante représente plus de 120 000 victimes connues et des dizaines de milliers à venir. Ce sont autant d’agonies pour les malades atteints de cancer et une anxiété pour ceux qui n’ont pas encore développé de séquelles à cette exposition.
Dans mon département, le Pas-de-Calais, l’association Chœurs de Fondeurs se bat depuis plus de vingt ans pour que les salariés de l’usine Metaleurop exposés à l’amiante obtiennent réparation et reconnaissance du préjudice d’anxiété alors qu’ils ont déjà eu à subir un licenciement indigne, pour lequel certains sont encore en procès. De fait, 326 anciens salariés exposés à l’amiante et au plomb sont encore concernés. Nous nous acheminons vers une transaction là où les victimes attendaient une reconnaissance de responsabilité.
Pouvait-il en être autrement alors que la justice a prononcé un non-lieu dans l’affaire Eternit, considérant que les responsabilités individuelles ne pouvaient pas être établies ? De même, alors qu’il a été conclu par un rapport d’information sénatorial de 2005, Le drame de l’amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l’avenir, que le Comité permanent amiante (CPA) avait agi comme un lobby pro-amiante retardant l’interdiction de cette matière, il n’y a pas eu de condamnations pour les acteurs de ce dernier.
Le Gouvernement entend-il constituer un pôle d’instruction aux moyens étendus pour faire toute la lumière sur le drame de l’amiante et refermer ainsi cette plaie béante dans l’histoire sanitaire et sociale de notre pays ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le sénateur Jean-Pierre Corbisez, je vous prie d’excuser l’absence de M. le garde des sceaux. Avant toute chose, je tiens à vous affirmer que le ministre de la justice prend toute la mesure des souffrances des victimes de l’exposition à l’amiante. Il partage la légitime préoccupation de voir les procédures judiciaires engagées traitées avec toute l’attention et l’efficacité requises.
Depuis 1996, comme vous l’avez indiqué, d’importants moyens ont été mis en œuvre afin de faire aboutir le traitement des plaintes déposées par les victimes de l’amiante. Désormais, les dossiers d’exposition à cette fibre sont traités par les pôles spécialisés en matière de santé publique des tribunaux de grande instance de Paris et de Marseille, qui en ont fait une priorité, tant du côté du siège que du parquet. Ces pôles ont vu leurs moyens augmenter de manière constante depuis leur installation en 2003. À la fin du mois de septembre 2024, ils ont eu à connaître de 76 procédures relatives à l’exposition à l’amiante depuis leur création, dont 33 étaient toujours en cours.
Parallèlement, les moyens d’enquête ont été durablement renforcés. L’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et la santé publique, principal service d’enquête saisi sur ce contentieux, dispose désormais de dix détachements sur l’ensemble du territoire, qui sont tous en mesure de traiter des procédures relatives à l’exposition à l’amiante.
En complément, la gendarmerie nationale a spécialement formé de multiples enquêteurs, titulaires de qualifications spécifiques, au sein de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et la santé publique, mais également au sein d’autres unités ou services qui peuvent être saisis par les magistrats afin d’apporter leur expertise aux enquêtes pénales.
Comme vous le voyez, monsieur le sénateur, la mobilisation de l’autorité judiciaire sur ce sujet est entière. Nous ne lâchons rien.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Corbisez. L’association Chœurs de Fondeurs tiendra son assemblée générale dans quelques jours. Je ne manquerai pas de transmettre votre réponse à ses responsables, madame la ministre.
proximité des habitants du vaucluse avec la justice administrative
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, auteur de la question n° 381, adressée à M. le ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice.
M. Jean-Baptiste Blanc. Depuis 2006, en vertu du décret portant création d’un tribunal administratif à Nîmes, les recours contentieux relevant du département de Vaucluse sont jugés, en premier ressort, par le tribunal administratif (TA) de cette ville. Par ailleurs, depuis 2022, les appels soulevés contre les décisions de ce même tribunal sont du ressort de la cour administrative d’appel de Toulouse, nouvellement créée, alors qu’ils étaient auparavant du ressort de celle de Marseille.
Il en résulte, pour les justiciables comme pour les professionnels du droit vauclusiens, un éloignement regrettable des tribunaux administratifs. Cela était déjà le cas en premier ressort, cela l’est d’autant plus en appel désormais. L’obligation pour les justiciables vauclusiens de se rendre à une telle distance de leur département d’origine dans le cadre des procédures de justice administrative constitue une gêne importante. Le droit pour chacun de nos concitoyens d’accéder de manière égale à la justice est fondamental. Une plus grande proximité des habitants de Vaucluse avec les tribunaux administratifs est donc souhaitable.
Dès lors, madame la ministre, quelle est la position du Gouvernement sur la possibilité d’un redécoupage plus juste de la carte de la justice administrative, notamment en vue de faire dépendre le Vaucluse de la cour administrative d’appel de Marseille, rattachement qui n’aurait jamais dû changer ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Patricia Mirallès, ministre déléguée auprès du ministre des armées, chargée de la mémoire et des anciens combattants. Monsieur le sénateur Jean-Baptiste Blanc, je vous prie d’excuser l’absence de M. le garde des sceaux.
Le 1er janvier 2022, la cour administrative de Toulouse est devenue la neuvième cour administrative d’appel de notre pays. Cette création a remédié à l’absence d’une juridiction d’appel spécifique au territoire de l’Occitanie, le contentieux de cette région étant auparavant éclaté entre les cours administratives d’appel de Bordeaux et de Marseille, deux juridictions dont le niveau d’activité était parmi les plus élevés.
À ce titre, la future cour était amenée à devenir le juge d’appel des trois tribunaux administratifs de la région Occitanie, à savoir Toulouse, Nîmes et Montpellier, tant pour des raisons de cohérence d’organisation territoriale que de viabilité de la nouvelle juridiction, dont le volume d’activité devait atteindre une masse critique suffisante.
Restait à choisir pour le siège de cette juridiction entre deux options solides : Toulouse ou Montpellier. Sur ce point, ce sont des considérations pratiques et budgétaires qui ont permis de retenir l’Hôtel de Lestang, à Toulouse. Ce site était, en effet, à la fois l’option de loin la moins coûteuse et la seule dont l’état du bâti permettait une ouverture rapide.
Le ministre de la justice est conscient que les questions de découpage territorial sont toujours redoutables et les réponses qui peuvent y être apportées ne sont jamais exemptes de reproches. Nous avons tous à l’esprit les critiques et les débats, parfois vifs, qui ont accompagné la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions.
Toutefois, le rapport de nos concitoyens à la justice administrative ne doit pas se limiter à une vision relevant de la proximité géographique. Comme vous le savez, monsieur le sénateur, bénéficier d’une juridiction de taille pertinente, à même de traiter les contentieux dans un délai raisonnable et avec une connaissance fine du territoire est un enjeu de première importance. C’est une Montpelliéraine qui vous répond !
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Blanc, pour la réplique.
M. Jean-Baptiste Blanc. Madame la ministre, cette réponse ne me convient pas du tout. Franchement, étant originaire d’Occitanie, vous pouvez prendre la mesure de mes propos ! Quand on est dans le Vaucluse, aller à Toulouse est un non-sens absolu.
Même si j’entends qu’il existe une question de gestion du volume des dossiers qui justifierait cette carte de la justice administrative, je ne comprends pas. Cette situation est d’autant plus grave qu’elle ne donne pas envie de faire des recours. Il faut aussi penser au droit au recours ! J’entends des justiciables et même des professionnels qui n’ont même plus le désir de faire valoir leurs droits du fait de la perspective de devoir aller à Toulouse, ce qui leur ferait perdre une journée.
Vous connaissez ce sujet ; aussi, je ne comprends pas pourquoi nous ne le remettons pas sur la table. Nous devons pouvoir rationaliser la gestion de la justice administrative et nous poser de vraies questions de géographie.
qualité des services publics
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, auteur de la question n° 103, adressée à M. le ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification.
M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le ministre, la qualité des services publics ne cesse, d’année en année, de se dégrader dans notre pays, pour le plus grand préjudice de nombre de nos concitoyens. Tous les territoires sont concernés : urbains comme ruraux rencontrent les mêmes difficultés dans leurs différentes démarches avec l’administration.
La situation est telle que la Défenseure des droits a choisi d’intervenir en dénonçant « la déshumanisation et l’éloignement des services publics » : « Il n’est pas possible d’imposer à tout le monde d’avoir un smartphone et une connexion internet. » Elle poursuit avec justesse : « Ce qu’on est en train de demander aux usagers, c’est de s’adapter aux services publics alors que la règle est l’inverse : le service public doit s’adapter aux usagers. » Par ailleurs, elle pointe en particulier les populations en difficulté face à la dématérialisation : « Les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, les personnes précaires, les personnes étrangères, les détenus et même les jeunes. » Enfin, elle plaide pour des accueils physiques : « On a besoin de voir des personnes quand on est en difficulté. »
Aussi, n’est-il pas urgent, monsieur le ministre, de mettre un terme à cette dématérialisation à outrance, qui dégrade la qualité de nos services publics et qui méprise royalement l’égalité républicaine à laquelle tout citoyen a droit et qu’il convient de restaurer ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Marcangeli, ministre de l’action publique, de la fonction publique et de la simplification. Monsieur le sénateur Mizzon, je vous remercie de cette question. Elle est l’occasion pour moi de rappeler que l’accès aux services publics est une priorité du Gouvernement. Pour être en phase avec les attentes des Français, l’action que nous menons s’articule autour de deux points : des démarches numériques de qualité et un accueil humain de proximité.
Parce que le numérique ne répond pas à tous les besoins, comme vous l’avez indiqué dans votre question, pouvoir accéder à un agent public est essentiel. C’est pourquoi le Gouvernement a choisi d’investir dans des substituts au numérique dans le cadre du programme France Services, afin de garantir un accueil de proximité polyvalent. Ainsi, plus de 19 millions de Français ont été accompagnés au cours des années 2021 à 2024, soit 800 000 visiteurs par mois, à peu près. Quelque 99 % de nos compatriotes vivent à moins de vingt minutes d’un établissement France Services. Le taux de satisfaction de ce nouveau service public s’établit à 97 %.
De plus, le plan Téléphone, engagé en 2023, a plusieurs objectifs : un taux de décroché supérieur à 85 % et la possibilité de prendre rendez-vous ou d’être appelé pour éviter le temps d’attente.
À titre d’exemple, hier, j’étais dans le Cher, à Bourges. J’y ai validé, à titre expérimental, le fait que les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) soient désormais présentes dans les vingt établissements France Services de ce département. Si cette expérimentation fonctionne, elle sera étendue à l’ensemble du territoire. Autrement dit, nous continuons d’élargir le panel des services.
Comme vous l’avez rappelé, on a besoin de voir des personnes quand on est en difficulté. Je suis totalement d’accord avec vous. Pour cette raison, j’ai demandé à mes services de relancer des travaux d’ampleur sur la question de la posture des agents.
Pour conclure, je vous rejoins sur la nécessité pour nos services publics de s’adapter aux besoins différenciés des usagers. Tout le monde n’est pas égal. Pour cela, j’ai souhaité un nouveau baromètre consacré aux services publics, dont l’objectif serait de mesurer la satisfaction des usagers. Il nous permettra de nous améliorer là où nous devons le faire.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse. Les chiffres que vous donnez sont éloquents, mais force est de reconnaître que, sur le terrain, le ressenti est différent.
Quelle est la première mission de la loi ? Protéger les plus faibles. Lorsque j’en ai été, il y a quelques années, président, la mission d’information « Lutte contre l’illectronisme et inclusion numérique » a fait des préconisations, qui ont été suivies en partie, quoique insuffisamment. Il faut se mettre à la place des gens qui ne maîtrisent rien !
Les maisons France Services sont utiles, mais elles ne se trouvent pas toutes à vingt minutes : pour certains, qui n’ont pas de moyen de déplacement, elles sont inaccessibles.
service de remplacement des agriculteurs et concours financier de l’état lorsque le remplacement intervient pour cause d’exercice d’un mandat d’élu local
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lise Housseau, auteure de la question n° 324, adressée à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Marie-Lise Housseau. Madame la ministre, dans tous les départements, les services de remplacement sont des groupements d’employeurs qui ont pour mission de mettre à disposition de tout agriculteur qui souhaite s’absenter de son exploitation ou qui y est contraint un salarié de remplacement.
Lorsque cette absence est la conséquence de l’exercice d’un mandat syndical agricole, les agriculteurs bénéficient de cette prestation à un coût réduit, grâce au concours de l’État. Il s’agit d’une aide financière appréciable et qui se justifie par leur engagement syndical et sociétal.
En revanche, les nombreux agriculteurs qui s’investissent comme élus locaux, en particulier comme maire, pour faire vivre la démocratie ne peuvent prétendre à aucune aide financière lorsque l’exercice de leur mandat les contraint pourtant à se faire remplacer sur leur exploitation.
L’engagement des élus locaux, notamment dans les territoires ruraux et les plus petites communes, est plus que jamais indispensable à notre société. Les difficultés auxquelles ils sont confrontés n’ont jamais été aussi grandes et la crise des vocations des maires est, hélas ! bien réelle. Aussi, ne pensez-vous pas, madame la ministre, que le concours financier de l’État prévu pour les remplacements dans le cadre de l’exercice d’un mandat syndical pourrait être dupliqué ou étendu aux remplacements nécessaires à l’exercice d’un mandat de maire ou d’élu local ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Housseau, je vous remercie de votre question. Vous soulevez un point important concernant le soutien aux agriculteurs engagés dans la vie locale.
Comme vous, je suis consciente de l’engagement essentiel des agriculteurs, notamment des maires, qui contribuent activement à la vitalité de nos territoires ruraux. D’ailleurs – je tiens à le dire ! –, mon suppléant à l’Assemblée nationale est maire et agriculteur. Lui qui me suit depuis 2012 est désormais député, ce dont je suis très heureuse.
Je comprends parfaitement les enjeux que vous soulevez concernant l’engagement des agriculteurs dans la vie démocratique locale. Comme vous l’avez bien noté, puisque vous souhaitez étendre ce dispositif aux agriculteurs élus locaux, mon ministère gère un soutien financier au remplacement des agriculteurs engagés dans l’exercice d’un mandat syndical agricole. Par ailleurs, pour les exploitations agricoles où la présence est requise de façon plus continue, comme dans l’élevage laitier, vous savez que je soutiens depuis longtemps les formes d’organisation collective, comme les groupements agricoles d’exploitation en commun (Gaec), qui permettent justement de libérer du temps pour d’autres activités.
J’en reviens aux mandats municipaux qui font l’objet de votre question. Les indemnités relatives à l’exercice d’un mandat local, même si je sais que leur niveau est très hétérogène et souvent trop faible – il faut le reconnaître –, doivent permettre de compenser en partie les coûts induits par le recours à un service de remplacement quand aucune autre solution n’a été trouvée.
Au demeurant, les questions relatives aux mandats d’élus locaux – vous le savez – ne relèvent pas uniquement de mon champ de compétence. Toutefois, je note votre proposition avec attention tant je souhaite évidemment valoriser le rôle des agriculteurs dans la vie démocratique locale. Il faudrait à tout le moins en étudier la faisabilité budgétaire, évaluation qui se ferait au travers d’une sorte d’étude d’impact.
J’étais d’ailleurs jeudi dernier dans un lycée agricole de la Loire où j’ai encouragé les jeunes à s’engager à l’occasion des prochaines élections municipales de sorte à faire entendre leur voix, celle de l’agriculture de demain.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Lise Housseau, pour la réplique.
Mme Marie-Lise Housseau. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre. Je conçois bien que ma demande a des conséquences budgétaires. Je tiens à souligner que, dans les toutes petites communes, les seuls actifs qui restent sont souvent des agriculteurs. Si nous ne les encourageons pas, nous n’aurons que des conseils municipaux tenus par des retraités. Ce n’est pas bien préparer l’avenir que d’en rester là !
Je lance donc un appel. Peut-être faudra-t-il, comme vous l’indiquez, étudier de manière plus approfondie les moyens d’aider les agriculteurs afin qu’ils s’impliquent mieux dans la vie locale.
prédation du loup dans les pyrénées-atlantiques
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Espagnac, auteure de la question n° 357, adressée à Mme la ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire.
Mme Frédérique Espagnac. Madame la ministre, je vous interpelle aujourd’hui, car il y a urgence. Comme vous le savez, la progression géographique du loup s’accompagne d’une augmentation des attaques sur les troupeaux. C’est le cas ces dernières semaines dans les Pyrénées-Atlantiques.
D’année en année, la prédation exercée par le loup s’intensifie, tant sur le plan géographique que numérique, à tel point qu’il n’existe plus véritablement de territoire préservé. Dans les Pyrénées – je le rappelle –, nous avons déjà d’autres prédateurs, notamment l’ours.
Ainsi, dans mon département, en Béarn et en Soule, le loup est déjà la cause de lourdes difficultés pour les éleveurs. Sa présence vient d’être signalée en Pays basque. Pour cette raison, la commission syndicale du Pays de Soule a demandé la reconnaissance de son territoire en zone de protection renforcée face aux menaces que ce prédateur fait peser. Les syndicats agricoles basques, que ce soit la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) ou Euskal Herriko Laborantza Ganbara ont exprimé, à l’unisson, leurs vives inquiétudes quant à la présence de ces loups pour les éleveurs du territoire.
Je le répète : la cohabitation avec ce prédateur est impossible. Si l’agropastoralisme venait à disparaître, l’accessibilité des espaces d’altitude, leur biodiversité et leur sécurisation contre les risques naturels seraient gravement compromises. Les élus de montagne, réunis au sein de l’Association nationale des élus de la montagne (Anem) – vous la connaissez bien ! –, n’ont cessé d’alerter les pouvoirs publics sur l’impossible cohabitation entre ce prédateur et un mode d’élevage pastoral qui est essentiel dans nos montagnes.
Madame la ministre, entre le loup et la brebis, le loup est l’agresseur et la brebis la victime. Il faut reconnaître la violence que représente la prédation pour les éleveurs, passionnés par leur métier, une violence que toutes les indemnisations du monde ne suffiront jamais à compenser. À ce titre, la convention de Berne a approuvé, le 3 décembre dernier, un déclassement du statut de protection du loup, qui passera d’espèce « strictement protégée » à seulement « protégée ».
Les éleveurs et les bergers sont contraints à une vigilance constante. Madame la ministre, avez-vous veillé, ainsi que vos collègues européens, depuis janvier dernier, à faire modifier la directive Habitats ? Qu’en est-il de vos démarches ? La question du loup est-elle prévue à l’ordre du jour du prochain sommet européen ? Pourriez-vous préciser le calendrier des prochaines étapes sur ce sujet, en ce qui concerne la France ? Nos éleveurs attendent avec impatience vos réponses.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire. Madame la sénatrice Frédérique Espagnac, en tant qu’élue d’un territoire d’élevage, je sais combien la présence du loup et son comportement de prédation sur les troupeaux ont des répercussions sur l’activité pastorale en France. Je travaille sur ce dossier depuis au moins quinze ans !
Mme Frédérique Espagnac. Bien sûr.
Mme Annie Genevard, ministre. Dans ce contexte, mon ministère accompagne financièrement les éleveurs pour protéger leurs troupeaux contre les attaques, grâce à un dispositif arrêté avec les préfets. Celui-ci permet de financer le salaire des bergers, les clôtures, les chiens de protection et un accompagnement technique. Ce dispositif permet d’aider plus de 4 000 éleveurs par an, pour un montant de 38,7 millions d’euros en 2024.
En complément, face à la détresse exprimée par les éleveurs, le projet de loi d’orientation agricole a pour objet d’apporter quelques dispositions utiles.
D’abord, il tend à alléger la charge réglementaire pesant sur les détenteurs de chien de protection en matière d’installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE).
Ensuite, il vise à assurer une plus grande sécurité juridique aux éleveurs, aux détenteurs de chien de protection et aux maires des communes pastorales. Ainsi, en cas d’incident avec un usager, la responsabilité pénale de ces derniers ne sera pas engagée dès lors que leurs obligations préalables auront été remplies.
La loi d’orientation agricole va de surcroît permettre de protéger les troupeaux de bovins par des tirs de destruction dès lors que les élevages ont fait l’objet de mesures de réduction de vulnérabilité.
Enfin, vous le savez, nous défendons l’adaptation du statut du loup, qui doit se faire à trois niveaux.
Au niveau international, c’est fait : la modification de la convention de Berne est entrée en vigueur le 7 mars.
Au niveau européen, c’est en cours : nous travaillons à une modification de la directive Habitats. Cette modification doit être adoptée par le Conseil – c’est fait – et par le Parlement européen, qui doit encore la valider. Dès que j’aurai connaissance du calendrier exact relatif à cette validation, je vous en informerai : soyez certaine, madame la sénatrice, que je suis cette affaire pas à pas.
Au niveau national, nous nous y préparons, s’agissant de définir les modalités qui permettront d’assurer une régulation tout en garantissant – c’est la condition posée – un état favorable de l’espèce.
En tout état de cause, je veillerai à ce que cette régulation se fasse en premier lieu en tenant compte de l’impact du prédateur sur les activités d’élevage, qu’il faut impérativement préserver. Il y va de la richesse de notre pastoralisme !
M. le président. Merci de conclure, madame la ministre.
Mme Annie Genevard, ministre. Croyez bien que j’y consacre une attention et une énergie sans failles.
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
suppressions de postes dans l’enseignement public à la rentrée 2025
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, auteure de la question n° 279, adressée à Mme la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Colombe Brossel. Ma question s’adresse à la ministre de l’éducation nationale.
Jeudi 20 mars, soit dans deux jours, se tiendra la réunion de repli du CDEN (conseil départemental de l’éducation nationale) de l’académie de Paris, la réunion initiale ayant été boycottée par l’ensemble des organisations syndicales, des fédérations de parents d’élèves et des élus, ce qui n’est pas si courant.
Ce boycott est le fruit d’une méthode contestée et de renoncements politiques : ceux du Gouvernement.
En effet, seront proposées 180 fermetures de classes dans le premier et le second degrés, avec pour seule justification la baisse démographique, alors que ladite baisse pourrait être – devrait être ! – un levier formidable pour diminuer enfin le nombre d’enfants par classe, comme cela a d’ailleurs été fait par le Gouvernement dans l’éducation prioritaire.
Vous allez me répondre, monsieur le ministre, par le chiffre magique du nombre moyen d’élèves par classe. Je vous réponds par avance, quant à moi, que nos enfants ne sont pas des moyennes, et vous rappelle que vous avez fait un choix politique, celui de faire peser exclusivement, ou quasi exclusivement, la baisse démographique sur l’enseignement public.
Est également annoncée la fin du régime, certes dérogatoire – mais il l’est depuis quarante-deux ans –, des directeurs d’école parisiens. Ce régime permet, à Paris, une présence des directeurs à temps plein dès lors que l’établissement compte cinq classes. Cette décision a provoqué une colère immense.
Mme la ministre de l’éducation nationale a proposé la mise en place d’un groupe de travail et de concertation sur le sujet ; c’est une bonne nouvelle.
Ma question est simple : le recteur de Paris renoncera-t-il, jeudi, à inscrire au mouvement les 52 premiers postes de directeurs d’école qui pourraient être concernés, actant ainsi le fait que la concertation est engagée et aura lieu, pour le bien de l’ensemble des communautés éducatives parisiennes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice Brossel, je vous demande tout d’abord d’excuser l’absence de Mme la ministre d’État Élisabeth Borne, qui m’a chargé de vous répondre.
Nous observons une année de plus, en France, donc dans nos classes, la poursuite d’une baisse démographique significative et durable.
À la rentrée 2024, cette baisse était de près de 75 000 élèves dans le premier degré, dont 3 200 à Paris.
Malgré cette baisse, nous avons fait le choix de conserver les 4 000 postes qui devaient être supprimés – vous le savez.
Vous mentionnez le consensus scientifique selon lequel la taille des classes influe significativement sur la réussite des élèves, notamment les plus fragiles. Non seulement nous partageons ce constat, mais nous agissons en conséquence.
En 2017, le taux d’encadrement moyen – vous me pardonnerez d’évoquer des moyennes – était de 5 professeurs pour 100 élèves. À la rentrée 2024, il était de 6 professeurs pour 100 élèves : l’augmentation est tout de même très significative.
Cette hausse du taux d’encadrement se poursuivra à la rentrée prochaine, puisque le nombre moyen d’élèves par classe atteindra un niveau historiquement bas : 21 élèves par classe.
À Paris particulièrement, le taux d’encadrement est favorable : 20 élèves par classe en moyenne, soit le deuxième meilleur taux de France métropolitaine, après la Corse.
Au regard de la baisse prévue, 160 classes peuvent être fermées sans impact sur le taux d’encadrement.
Les retraits d’emplois des rentrées 2023 et 2024 n’ont d’ailleurs pas dégradé le taux d’encadrement, compte tenu de la baisse démographique constatée.
Cette évolution nous permet de répondre aux priorités d’une école qui agit pour la réduction de toutes les inégalités, sociales comme territoriales.
J’ajoute qu’à la rentrée prochaine nous ouvrirons de nouvelles Ulis (unités localisées pour l’inclusion scolaire) et densifierons le réseau des pôles d’appui à la scolarité, sans oublier – c’est en ce domaine que le renforcement sera le plus significatif – les moyens particuliers alloués aux quartiers prioritaires de la politique de la ville.
M. le président. La parole est à Mme Colombe Brossel, pour la réplique.
Mme Colombe Brossel. Je vous remercie de cette réponse, monsieur le ministre, mais, dans les faits, ce que vous dites est démenti : il y aura bien des fermetures de classes, et en nombre, dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, et il y aura bien des hausses du nombre d’élèves dans les classes, y compris dans des établissements de ces mêmes quartiers.
Ne restez pas sourd à la colère unanime de la communauté éducative parisienne !
déploiement des observatoires des dynamiques rurales et effets de la baisse de la démographie scolaire
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, auteur de la question n° 339, adressée à Mme la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
M. Jacques Grosperrin. Ma question s’adressait à Mme la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, mais je suis ravi de vous avoir ce matin pour interlocuteur, monsieur le ministre.
L’installation effective des observatoires des dynamiques rurales a été très bien accueillie par les élus. Elle a eu lieu, dans mon département, sous l’autorité du préfet et de l’inspecteur d’académie.
Cette instance répond à un triple objectif : favoriser la cohérence des politiques publiques en matière d’aménagement du territoire éducatif ; faciliter les échanges entre l’éducation nationale, les préfectures et les collectivités ; offrir des perspectives partagées quant à l’évolution démographique, au déploiement de l’offre de formation et aux dispositifs propres à accompagner le parcours de formation des élèves.
Nous, parlementaires, sommes conscients des réalités démographiques et des effets de l’importante baisse observée en la matière sur les politiques éducatives. À titre d’exemple, le département du Doubs devrait perdre, entre 2024 et 2027, plus de 3 000 élèves dans le premier degré.
Toutefois, de nombreux maires ruraux se trouvent souvent démunis face aux décisions prises par les directeurs académiques des services de l’éducation nationale (Dasen) quant à la fermeture de classes et d’écoles. Monsieur le ministre, vous avez dit que le Gouvernement avait préservé 4 000 postes ; le problème, c’est que l’on n’en voit pas les effets sur le terrain.
Précisément, il est essentiel que les services académiques soient à l’écoute des acteurs de terrain. Le manque de dialogue fragilise les relations de confiance et nuit à l’attractivité des communes rurales, même si le département du Doubs a la chance d’avoir un Dasen de très grande qualité.
L’intérêt supérieur de l’élève doit être la boussole du Gouvernement en matière éducative. L’efficacité des observatoires des dynamiques rurales n’étant plus à démontrer, l’exécutif souhaite-t-il généraliser ce dispositif ? Monsieur le ministre, comment pouvez-vous assurer aux maires que cette instance sera un véritable lieu de dialogue et de coconstruction ? Plus largement, la solution ne serait-elle pas de sortir de la logique purement arithmétique de la carte scolaire, traduction systématique de la baisse du nombre d’élèves en fermetures de classes ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur Grosperrin, comme je l’ai précisé à l’attention de Mme Brossel, nous observons une année de plus une baisse démographique importante.
Je le redis, nous mettons cette baisse démographique à profit pour améliorer le taux d’encadrement des élèves.
Dans votre département du Doubs, le nombre moyen d’élèves par classe est de 20,5 : il est significativement inférieur à la moyenne nationale.
Les observatoires des dynamiques rurales, que vous mentionnez, ont justement pour vocation de partager avec les élus locaux une vision anticipée, généralement à trois ans, du réseau éducatif en zone rurale.
À cet égard, un dialogue étroit existe entre l’éducation nationale, représentée par les Dasen – et je me félicite de ce que vous avez dit sur le Dasen du Doubs – et les élus locaux, notamment les maires.
Ces échanges débutent dès le mois de novembre, afin que les élus puissent disposer le plus tôt possible des informations qui concernent leur territoire. Grâce à ces échanges, aucune décision de fermeture de classe ne peut intervenir sans que le maire en soit informé avant la présentation d’une telle mesure devant le conseil départemental de l’éducation nationale.
Vous le savez, cette forme de dialogue social est absolument cruciale.
C’est pourquoi, en 2024-2025, la totalité des départements ruraux a mis en place cette instance qu’est l’observatoire des dynamiques rurales.
Je réponds donc clairement à votre question : les services académiques sont et seront à l’écoute des acteurs de terrain.
Reste que la carte scolaire n’est par définition pas figée ; et cette année n’y échappe pas.
Lorsque Élisabeth Borne était Première ministre, elle avait demandé que les cartes scolaires soient travaillées de façon pluriannuelle. Nous allons signer dans les prochaines semaines, en ce sens, une convention avec l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF). Cette convention rappellera les bonnes pratiques d’échange continu entre l’État et les élus locaux. Elle renforcera ce travail de dialogue et d’anticipation qui a été engagé dès 2023.
L’objectif est clair : travailler de manière concertée, anticipée et pluriannuelle pour garantir un maillage territorial cohérent et adapté aux besoins.
Le Gouvernement poursuit donc cette dynamique de renforcement du dialogue entre toutes les parties prenantes, et ce pour le bien-être de tous les élèves, qui demeure notre seule et unique boussole.
M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin, pour la réplique.
M. Jacques Grosperrin. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.
Vous parlez de « maillage territorial ». Cela tombe bien : Colombe Brossel, Annick Billon et moi-même engageons une réflexion sur la façon dont nous pourrions réagir à la baisse du nombre d’élèves autrement qu’en fermant des classes – cette mission de contrôle sur le maillage territorial des établissements scolaires va bientôt donner lieu à une première audition. En la matière, en effet, il y a bien d’autres choses à faire et bien d’autres perspectives à tracer, ne serait-ce que pour rassurer nos maires.
défis de l’école en guadeloupe
M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille, auteure de la question n° 379, adressée à Mme la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.
Mme Solanges Nadille. Monsieur le ministre chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche, je souhaite attirer l’attention du Gouvernement sur les multiples défis de l’école en Guadeloupe.
De multiples facteurs pèsent fortement sur la scolarité et l’insertion professionnelle des jeunes : pertes de jours ou d’heures de classe, tensions sociales, problèmes de transport, sensibilité du territoire aux catastrophes majeures, manque d’accès à l’eau dans certains établissements, manque d’enseignants remplaçants et d’assistants d’éducation.
De fait, le système éducatif en Guadeloupe se caractérise aujourd’hui par des retards observables dès la maternelle, qui s’amplifient tout au long de la scolarité, dans le primaire et dans le secondaire. Plus de 1 200 élèves y sortent chaque année du système scolaire sans aucun diplôme ou avec des niveaux de formation trop faibles pour leur permettre une insertion sociale.
En plus de ces difficultés, l’école en Guadeloupe fait face au défi de l’autorité, avec une recrudescence de débordements et d’actes de violence contre les professeurs.
Pourtant, alors que ces défis appellent des moyens humains qui soient à la hauteur de l’enjeu, une nouvelle baisse du nombre d’enseignants est annoncée pour la rentrée 2025 : 22 postes en moins dans le premier degré et 67 postes en moins dans le second degré. La baisse démographique ne saurait être l’unique variable d’ajustement dans des territoires qui souffrent déjà tant.
La rectrice de l’académie de Guadeloupe a reçu les représentants des parents d’élèves et les syndicats de personnels pour échanger sur le sujet. Je salue ce dialogue, mais il faudra faire plus qu’écouter : il faudra agir.
Les îles du sud de la Guadeloupe méritent à cet égard une attention toute particulière. Les enseignants y connaissent en effet des difficultés de mobilité, car ils sont dépendants des horaires des bateaux depuis la Guadeloupe dite continentale.
Monsieur le ministre, quelles réponses le Gouvernement entend-il apporter aux défis de l’école en Guadeloupe ? Allez-vous revenir sur la décision de suppression de postes d’enseignants à la rentrée 2025 ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Baptiste, ministre auprès de la ministre d’État, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l’enseignement supérieur et de la recherche. Madame la sénatrice Nadille, l’école a le devoir d’offrir les mêmes chances de réussite à tous les élèves, et ce quel que soit le lieu de leur scolarisation, dans l’Hexagone comme dans les territoires ultramarins.
L’éducation nationale est pleinement engagée dans la mise en œuvre de politiques éducatives adaptées aux spécificités de l’académie de Guadeloupe, que vous avez rappelées.
Pour ce qui est des taux d’encadrement, l’académie enregistre une diminution significative des effectifs dans le premier degré public.
À la rentrée 2025, cette baisse se poursuivra, avec une nouvelle diminution de 430 élèves, sans que cela entraîne un moindre encadrement, au contraire, sachant que le nombre d’élèves par classe est déjà passé de 22 en 2017 à 19 à la rentrée 2024.
En plus de ce taux d’encadrement exceptionnellement bas, la Guadeloupe bénéficie de dispositifs spécifiques.
À cet égard, je rappelle notamment que, depuis 2019, la Guadeloupe est dotée d’un dispositif de soutien scolaire auquel sont éligibles tous les élèves volontaires. Ce dispositif, qui mobilise 420 intervenants, touche 4 000 élèves et a contribué à une nette amélioration de leurs performances.
En outre, l’académie de Guadeloupe a été pionnière, dès 2021, dans le déploiement des contrats locaux d’accompagnement, qui sont aujourd’hui au nombre de 46 et couvrent 40 écoles, 4 collèges et 2 lycées.
En ce qui concerne la sécurité des professeurs, je rappelle que, depuis deux ans, chaque académie dispose d’un pôle citoyenneté. Il se réunit de manière hebdomadaire et assure le suivi de l’ensemble des situations afin de prendre les mesures adaptées. Je précise aussi que la protection fonctionnelle est systématiquement proposée et un accompagnement médico-social mis en place.
Concernant la mobilité des enseignants dans les îles du sud de la Guadeloupe, des solutions d’hébergement sont mises en place avec les mairies. Par ailleurs, l’académie, en lien avec les collectivités territoriales, sensibilise les autorités organisatrices des transports concernant les effets des horaires des bateaux sur la scolarité des élèves.
Je puis donc vous assurer, madame la sénatrice, que le ministère est pleinement engagé pour l’école dans l’académie de Guadeloupe, et qu’il le restera.
transmission des données des collectivités à des fins d’intérêt général
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, auteur de la question n° 367, transmise à M. le ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation.
M. Michel Canévet. Je souhaite interroger le Gouvernement sur les conditions d’utilisation des données dont disposent les collectivités territoriales, et notamment des fichiers de population.
À l’époque de la pandémie de covid-19, il avait été demandé aux collectivités de mettre en œuvre des actions au plus près de la population, afin d’identifier les personnes les plus fragiles. La situation de ces personnes mérite une attention permanente, car des événements divers surviennent assez régulièrement depuis lors.
La question se pose donc, s’agissant de la mise en œuvre de politiques publiques, de la capacité des collectivités à y contribuer en sollicitant, le cas échéant, des opérateurs extérieurs. Dans quelles conditions de tels opérateurs pourraient-ils avoir accès à un certain nombre de fichiers dont disposent les communes ?
Je pense en particulier aux listes électorales, qui permettent d’identifier l’essentiel de la population résidant sur un territoire donné : la transmission de telles données pourrait faciliter, à l’avenir, la conduite d’actions de prévention efficaces.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Canévet, vous posez la question de la transmission des données des collectivités à des fins d’intérêt général. Vous demandez quelle garantie nous pouvons avoir que l’usage qui serait fait de telles données serait conforme à cette notion d’intérêt général.
C’est l’un des enjeux, vous le savez, du règlement européen sur la gouvernance des données, applicable depuis septembre 2023. Ce texte vise à créer un cadre juridique facilitant la disponibilité et le partage des données au sein de l’Union européenne.
Le principe de l’altruisme en matière des données est un des piliers du texte : il s’agit de créer des outils fiables et robustes pour faciliter le partage des données, via des organisations de confiance, dans l’intérêt de la société.
La mise en œuvre de ce principe permettra la création d’espaces de données d’une taille suffisamment importante pour des travaux de recherche scientifique ou d’apprentissage automatique dans des domaines essentiels comme la santé ou la lutte contre le changement climatique.
La communication de listes électorales à des tiers aux fins d’assurer la prévention et la protection des citoyens, sur laquelle vous m’interrogez, relève bien de l’intérêt général, donc de la notion d’altruisme des données.
Nous partageons le principe suivant : les listes électorales n’ont pas vocation à être communiquées pour être valorisées et utilisées à d’autres fins que leur vocation première.
C’est pourquoi l’article L. 37 du code électoral prévoit que les listes soient communiquées seulement si le demandeur s’engage « à ne pas en faire un usage commercial ».
La jurisprudence est très claire à cet égard ; elle a été précisée tant par le juge administratif que par la Commission d’accès aux documents administratifs. Ainsi doivent être considérées comme activités commerciales non seulement la commercialisation des données elles-mêmes, mais aussi leur utilisation dans le cadre d’une activité à but lucratif.
Par conséquent, les collectivités territoriales, saisies d’une demande de communication, disposent de moyens de droit pour s’opposer à une demande qui leur paraît illégitime. Bien plus, en cas de doute, elles peuvent s’appuyer sur les préfectures, qui pourront les éclairer sur le sens de la réponse à apporter à la demande reçue.
Concernant le règlement sur la gouvernance des données, il est d’application directe et donc aujourd’hui en vigueur. La loi du 21 mai 2024 visant à sécuriser et à réguler l’espace numérique a précisé quelle était l’autorité compétente en matière d’altruisme des données, désignant la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) à cet effet. Cette institution, garante du règlement général sur la protection des données, dispose d’une expérience précieuse en la matière.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. Dans les prochains mois, le Gouvernement présentera un projet de loi visant à adapter en droit national les dispositions du règlement européen. Soyez assuré, monsieur le sénateur, de notre engagement à poursuivre la construction d’un écosystème national et européen de la donnée.
M. le président. La parole est à M. Michel Canévet, pour la réplique.
M. Michel Canévet. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre.
En ce domaine, il faut que nous avancions, et je suis heureux d’apprendre qu’un projet de loi est en préparation. Il faudra bien intégrer, parmi les dispositions de ce texte, la possibilité pour les acteurs locaux de mener des politiques de prévention dans les territoires.
Il est bien évident qu’une telle faculté de transmission des données doit être encadrée. Le conseil municipal, par exemple, pourrait tout à fait y pourvoir, par le biais d’une délibération portant sur la fourniture à un tiers, en lien avec la conduite d’une politique publique bien identifiée à l’échelle du territoire, de données permettant audit tiers de mener les investigations nécessaires.
Ainsi doterions-nous les collectivités d’un outil permettant d’agir au plus près de nos concitoyens et de leur apporter, à l’échelle locale, des réponses adaptées et cohérentes.
application de la loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme dans les territoires de montagne
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, auteur de la question n° 335, adressée à Mme la ministre auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée du logement.
M. Cyril Pellevat. Ma question porte sur l’application de la loi du 19 novembre 2024 visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale, en particulier dans les territoires de montagne.
Cette loi introduit l’obligation d’un diagnostic de performance énergétique (DPE) pour les meublés de tourisme. Dès 2025, un DPE compris entre les classes A et E est exigé pour toute nouvelle mise en location d’un logement faisant l’objet d’un changement d’usage, et les logements déjà sur le marché devront atteindre au minimum la classe D d’ici à 2034.
Or cette réglementation ne prend pas en compte les spécificités des territoires de montagne, où près d’un logement sur deux n’atteint pas un DPE classé D. Cette situation est principalement due aux failles du mode de calcul du DPE.
D’une part, il pénalise les petites surfaces, très nombreuses en montagne, en raison de la méthode de calcul retenue, fondée sur la consommation d’énergie au mètre carré.
D’autre part, il défavorise les logements chauffés à l’électricité par rapport à ceux qui le sont au fioul, au gaz ou au bois, alors même que l’électricité, en France, est décarbonée à 92 %.
Enfin, il ne tient pas compte de l’altitude et des conditions climatiques spécifiques, qui nécessitent un chauffage plus soutenu.
Ces éléments risquent d’avoir des conséquences dramatiques sur le parc locatif en montagne : des logements pourraient massivement sortir du marché dès 2025, ce qui aggraverait le phénomène des « lits froids », alors que la préparation des jeux Olympiques et Paralympiques d’hiver de 2030 exige au contraire une capacité d’accueil renforcée.
Aussi, au regard de l’article 1er de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, dite loi Montagne, qui impose de prendre en compte les spécificités des territoires de montagne dans l’élaboration des politiques publiques, envisagez-vous, madame la ministre, des ajustements spécifiques ? Je citerai, pêle-mêle, quelques propositions : révision du mode de calcul du DPE pour les petites surfaces ; prise en compte de l’altitude et du climat montagnard dans les critères d’évaluation ; aménagement du coefficient de conversion de l’électricité visant à mieux refléter son impact environnemental réel.
Je précise que, avec ma collègue Sylviane Noël, j’ai déposé une proposition de loi visant à rationaliser en ce sens la méthode de calcul du DPE.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Pellevat, le calcul du diagnostic de performance énergétique prend déjà en compte plusieurs spécificités des territoires que vous évoquez, ce dont bénéficient directement les petits logements en zone de montagne.
En effet, afin d’adapter les calculs aux réalités locales, les consommations énergétiques sont évaluées à partir de fichiers météorologiques différenciés selon huit zones climatiques. De surcroît, pour les logements situés au-dessus de 800 mètres d’altitude, les seuils des étiquettes E, F et G sont adaptés. Enfin, une réforme du DPE applicable aux petites surfaces est entrée en vigueur le 1er juillet 2024.
Quant au coefficient de conversion de l’électricité entre énergie primaire et énergie finale, il a été revu en 2021, passant de 2,58 à 2,3. Cette valeur a été établie à partir d’une modélisation du mix électrique français sur les cinquante prochaines années. Elle reflète donc à la fois le mix actuel et le mix projeté à long terme et s’applique de manière homogène sur tout le territoire.
Par ailleurs, plusieurs types de travaux peuvent améliorer significativement la performance énergétique globale d’un logement, même en zone de montagne. Au-delà des travaux d’isolation du bâtiment, l’installation d’une pompe à chaleur conduit ainsi à un meilleur DPE que les systèmes gaz, fioul et bois ou que les radiateurs électriques à effet Joule.
Enfin, si la loi du 19 novembre 2024 étend aux meublés de tourisme les obligations de décence énergétique applicables aux locations de longue durée, elle le fait de manière progressive. Elle prévoit une période de neuf ans pour la rénovation des meublés de tourisme actuellement en location. Ce délai laisse aux propriétaires le temps d’engager les rénovations nécessaires : celles-ci sont indispensables pour que la France respecte ses engagements en matière de réduction des consommations d’énergie et d’adaptation au changement climatique.
M. le président. La parole est à M. Cyril Pellevat, pour la réplique.
M. Cyril Pellevat. Madame la ministre, vous avez donné certaines précisions utiles, mais il faudra que nous allions un petit peu plus loin. À Avoriaz, par exemple, compte tenu des contraintes que connaissent les stations de ce type, le parc de logements risque de se retrouver à 70 % non louable !
En 2030, j’y insiste, nous accueillerons les jeux Olympiques et Paralympiques : nous avons besoin d’une flexibilité particulière sur ces sujets.
difficultés financières rencontrées par les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, auteur de la question n° 338, adressée à Mme la ministre auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée du logement.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. Madame la ministre, ma question porte sur les conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), qui rencontrent dans de très nombreux départements de graves difficultés financières.
Ces structures, qui ont été créées par la loi du 3 janvier 1977 sur l’architecture, exercent depuis plus de quarante ans des missions essentielles de conseil et de sensibilisation, apportant un service neutre et indépendant aux particuliers, aux collectivités et aux professionnels, grâce à des experts en urbanisme, architecture et paysage.
En tant qu’ancien maire, j’ai bénéficié de leurs conseils, dont, je l’avoue sans peine, les édiles des petites communes sont très friands.
Le financement des CAUE repose sur la part départementale de la taxe d’aménagement. Or la réforme introduite par la loi de finances pour 2021, modifiant le fait générateur de cette taxe, a entraîné des retards significatifs de perception et des risques accrus de non-recouvrement, notamment en cas de travaux inachevés ou de non-déclaration d’achèvement. Cette situation pénalise fortement les CAUE et affaiblit leur capacité à remplir leurs missions dans nos territoires.
Ces difficultés s’inscrivent en outre dans un contexte de faible dynamique de construction et de tensions budgétaires pour les collectivités territoriales, lesquelles ont déjà été durement éprouvées par d’autres réformes fiscales.
Quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre pour soutenir financièrement les CAUE, en particulier dans cette période transitoire ?
Envisagez-vous, madame la ministre, de rétablir la délivrance de l’autorisation d’urbanisme comme fait générateur de la taxe d’aménagement, afin de garantir des recettes plus stables et d’éviter les risques de non-recouvrement ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. Madame la sénatrice Bonfanti-Dossat, la réforme de 2021 n’a pas remis en cause l’économie générale de la taxe d’aménagement et n’a donc pas modifié son fait générateur, qui reste fixé à la date de délivrance de l’autorisation d’urbanisme.
Les modalités de transfert retenues ont consisté à rapprocher le processus de liquidation de la taxe d’aménagement de celui des impôts fonciers gérés par la direction générale des finances publiques (DGFiP).
La date d’exigibilité de la taxe a été décalée à la date d’achèvement des travaux pour faciliter sa liquidation et développer des synergies avec la gestion des impôts fonciers. Ainsi la déclaration de la taxe s’effectue-t-elle dans les quatre-vingt-dix jours suivant l’achèvement des travaux, ce qui signifie que la taxe est liquidée sur la base des constructions effectivement réalisées. Voilà qui évite l’émission de titres de la taxe sur des projets in fine abandonnés.
Pour ce qui est des projets classiques, le report de l’exigibilité de la taxe n’emporte aucun décalage de trésorerie, car l’achèvement des travaux intervient majoritairement en moins de vingt-quatre mois.
Néanmoins, une modification du cycle de trésorerie peut apparaître pour ce qui est des projets d’ampleur, dont la construction s’étale sur plusieurs années. Dans ce cas, le dispositif d’acomptes mis en place permet de neutraliser les impacts en trésorerie et d’assurer aux collectivités locales, sans attendre la fin des travaux, une ressource intermédiaire correspondant à 85 % du produit de la taxe.
Par ces diverses mesures, les recettes locales se trouvent sauvegardées selon des modalités et un circuit de recouvrement inchangés, les reversements de taxe continuant d’être assurés au fil de l’eau.
M. le président. La parole est à Mme Christine Bonfanti-Dossat, pour la réplique.
Mme Christine Bonfanti-Dossat. J’entends bien ce que vous dites, madame le ministre, mais l’inquiétude est bien présente au sein des CAUE, dont la fragilité est grandissante. Laisser prospérer cette situation, dont les conséquences sont funestes, serait vraiment un mauvais signal envoyé aux petites communes. Nos territoires ont du talent ; ne les décourageons pas !
paiement du solde maprimerénov’ en cas de demandeur décédé
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, auteur de la question n° 272, adressée à Mme la ministre auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée du logement.
M. Jean-Claude Anglars. Depuis sa création par la loi de finances pour 2020, le dispositif MaPrimeRénov’ se heurte à différentes difficultés. Le traitement des dossiers donne lieu notamment à des délais de traitement qui peuvent être longs – trop longs.
Un autre type de problème s’avère plus délicat : il s’agit du refus de versement du solde en cas de décès du titulaire du compte auquel s’attache le RIB (relevé d’identité bancaire) fourni dans le dossier associé à la demande.
Dans cette situation, il est prévu que la prime soit versée à l’héritier ou aux héritiers via le notaire gérant la succession. Les documents de dévolution successorale, le RIB du notaire et l’attestation de porte-fort doivent être fournis et, le cas échéant, la prime doit être versée.
Cependant, je l’ai dit, il arrive que le versement du solde soit refusé à la suite du décès du titulaire du RIB attaché au dossier. Et il arrive que le versement ne soit toujours pas effectué malgré l’envoi des documents demandés et que l’instruction du dossier soit bloquée, parfois pendant de très nombreux mois – plus de dix mois, dans certains cas –, après transmission des justificatifs sollicités et sans qu’aucune information soit donnée aux ayants droit lorsqu’ils interrogent les services de l’Agence nationale de l’habitat (Anah).
L’instruction du dossier et la prise en compte des documents demandés pour le versement de la prime à l’héritier ou aux héritiers via le notaire gérant la succession semblent donc poser des problèmes.
Autre conséquence dommageable, cette situation rend impossible la finalisation des successions concernées chez le notaire.
Madame la ministre, je vous demande donc de clarifier cette question du versement du solde en cas de décès du bénéficiaire.
Quelles mesures allez-vous prendre pour accélérer le traitement de ces dossiers, s’agissant de situations déjà douloureuses pour les héritiers, et pour rendre obligatoire le versement du solde dans un délai raisonnable, afin que les successions puissent être finalisées ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Anglars, pour permettre aux ménages d’améliorer le confort de leur logement et de réduire leur consommation d’énergie, le Gouvernement a fait de la rénovation énergétique une priorité.
MaPrimeRénov’ a été lancée en 2020. Depuis cette date, plus de 2,4 millions de personnes en ont bénéficié afin de réaliser des travaux dans leur logement, pour 11,7 milliards d’euros d’aides publiques ayant engendré 34 milliards d’euros de travaux.
Ces chiffres traduisent une montée en puissance rapide du dispositif porté par les ambitions importantes en matière d’économies d’énergie et de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre.
Dans ce contexte, certaines demandes, il est vrai, ont pu rencontrer des difficultés pour aboutir dans les délais habituels, mais ces cas restent très limités en comparaison des 540 000 dossiers instruits en moyenne chaque année par l’Anah.
Concernant la situation particulière que vous évoquez des demandeurs décédés ayant bénéficié de l’octroi d’une subvention, elle nécessite un traitement spécifique par les services d’instruction. La subvention étant due à l’héritier, le solde peut lui être reversé par le biais du notaire et sur présentation des justificatifs de qualité d’héritier ainsi que de filiation.
Après le paiement de la subvention, la plupart des cas de demandeurs décédés sont signalés à l’Anah quand le paiement n’aboutit pas et est rejeté à la suite de la clôture du compte bancaire associé. Lorsque cette situation se présente, l’Anah met tout en œuvre pour prendre attache avec les héritiers concernés, avec les informations du contact indiqué, pour résoudre la situation et verser l’aide due dans les meilleurs délais, en effectuant l’ensemble des contrôles nécessaires.
Au cours de l’année 2024, l’application de cette doctrine a permis de régulariser le versement du solde de la subvention à la suite du décès de l’usager pour 73 dossiers, soit 262 580 euros. Il reste aujourd’hui 76 dossiers en cours de traitement dans le cadre de cette procédure.
Je vous prie de croire que l’Anah est pleinement mobilisée pour répondre le plus vite possible aux flux des demandes et pour assurer la qualité et la rapidité du traitement des dossiers nécessitant la prise en compte de ces situations individuelles spécifiques.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Anglars, pour la réplique.
M. Jean-Claude Anglars. Je vous remercie, madame la ministre, de cette réponse très précise concernant l’historique de MaPrimeRénov’ et sa gestion par l’Anah. Les 67 dossiers à l’origine de ma question ne sont pas encore traités, mais j’ai pris bonne note que l’Anah s’engageait à répondre à l’ensemble des demandes dans l’année.
difficultés rencontrées par les communes en matière d’assurances
M. le président. La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp, auteure de la question n° 248, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Tous les sinistres sont interdits sur les bâtiments communaux : tel est l’objet de l’arrêté pris par le maire de Breil-sur-Roya, une commune des Alpes-Maritimes qui a failli être rayée de la carte après la tempête Alex. Confronté à l’impossibilité de trouver une assurance au 1er janvier, il a été contraint d’adopter cet arrêté, aussi absurde que réaliste !
Certes, entre-temps, le Bureau central de tarification (BCT) a finalement obligé cinq assureurs à se partager les risques de la commune, mais le compte n’y est pas, puisque le montant de la cotisation a été multiplié par huit et que la franchise est démesurée.
Par ailleurs, cerise sur le gâteau, les dégradations, les vols, les dégâts des eaux et les dommages électriques ne sont plus pris en charge, soit 99 % des sinistres habituels. C’est clairement de l’indécence financière !
Combien de temps allons-nous encore tolérer qu’une municipalité se retrouve dans une telle situation ubuesque ?
Le Sénat et l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) ont produit d’excellents rapports qui révèlent la dégradation des relations entre les collectivités et les assurances, mais surtout proposent des recommandations pertinentes et lucides : l’État doit désormais s’en saisir !
Il est urgent de faire évoluer la dotation de solidarité aux collectivités victimes d’événements climatiques (DSEC) en élargissant la liste des biens éligibles, d’écarter le principe de reconstruction « à l’identique » ou encore d’étendre les prérogatives du médiateur de l’assurance.
Bien sûr, le marché de l’assurance des collectivités est moins rentable que celui des entreprises, mais les collectivités ne sont pas des clientes comme les autres. Elles ont en charge des missions de service public de proximité indispensables.
Lors de l’examen de la proposition de loi de Jean-François Rapin visant à soutenir les collectivités territoriales dans la prévention et la gestion des inondations, j’ai fait adopter une mesure de bon sens consistant à aider les communes à mieux évaluer leurs dégâts afin de les accompagner plus efficacement.
Dans le département des Alpes-Maritimes, comme partout en France, de plus en plus de collectivités rencontrent des difficultés pour accéder à une couverture assurantielle adéquate. Il faut aider les maires, madame la ministre ! Leur mandat est déjà marqué par de nombreuses crises.
En janvier dernier, dans cet hémicycle, le Gouvernement s’était engagé à proposer des solutions concrètes. Une réforme urgente du système d’assurance des collectivités doit être engagée !
J’interroge donc le Gouvernement sur les nouvelles mesures que vous proposez, car Breil-sur-Roya – comme vous le savez – n’est pas un cas isolé !
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. Madame la sénatrice Alexandra Borchio Fontimp, le Gouvernement est très attentif à ce que les collectivités puissent trouver une solution d’assurance pour les dommages matériels dont elles sont victimes, notamment en cas de catastrophe naturelle.
Tout d’abord, l’État est aux côtés des collectivités pour prévenir et indemniser le risque à travers des dispositifs qui ont fait leurs preuves, tels que le fonds de prévention des risques naturels majeurs, dit « fonds Barnier », qui peut être mobilisé par les collectivités pour financer études, travaux ou équipements de prévention ou de protection contre les risques naturels, ou encore la dotation de solidarité aux collectivités victimes d’événements climatiques.
Pour instaurer un climat de confiance entre collectivités territoriales et assureurs, plusieurs actions ont été déjà engagées.
En septembre 2023, la conclusion d’un accord avec les assureurs a été annoncée afin que ces derniers mettent en place le recours au médiateur de l’assurance, ce dernier intervenant comme un médiateur conventionnel, pour les litiges portant sur un contrat d’assurance de collectivités territoriales.
Le BCT a, par ailleurs, pu intervenir, comme c’est le cas pour la commune de Breil-sur-Roya que vous évoquez à juste titre, madame la sénatrice.
La situation n’est cependant pas satisfaisante. S’agissant de l’impossibilité de trouver un contrat, plusieurs propositions ont été émises par la mission d’expertise menée par Alain Chrétien, maire de Vesoul, et Jean-Yves Dagès, ancien président de Groupama. Elles rejoignent les conclusions du rapport du sénateur Jean-François Husson.
Pour répondre à cette situation de déséquilibre, il convient de dynamiser le marché assurantiel, de veiller à la diffusion des bonnes pratiques en matière de commande publique, tout en engageant des mesures visant à mieux maîtriser la sinistralité.
Le Gouvernement travaille actuellement avec les assureurs pour trouver des solutions pertinentes et innovantes. Il faut davantage accompagner les communes afin qu’elles renforcent la connaissance de leur patrimoine et ciblent leurs efforts de prévention, comme l’a fait le maire de Breil-sur-Roya.
L’état des lieux étant posé, le Gouvernement proposera des solutions aux difficultés assurantielles rencontrées par les collectivités territoriales. François Rebsamen les réunira très prochainement, avec Éric Lombard, afin de présenter un plan d’action. Il comportera une série d’actions concrètes pour que chaque collectivité, quelles que soient sa taille et son exposition au risque, puisse trouver une solution d’assurance adaptée.
présence postale en territoires ruraux
M. le président. La parole est à Mme Jocelyne Guidez, auteure de la question n° 269, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ruralité.
Mme Jocelyne Guidez. Madame la ministre, ce n’est pas nouveau, nos territoires, en particulier ruraux, continuent de subir une dégradation de la qualité de leurs services postaux.
En Essonne, dans le Calvados et partout dans le pays, nos bureaux de poste ne cessent de connaître un désengagement progressif, quand ils ne ferment pas tout simplement leurs portes.
Ce désengagement se traduit très concrètement par des diminutions du nombre d’heures d’ouverture, par la suppression de certains services, par la baisse des effectifs ou par le passage en agence postale communale.
Pourtant, conformément à la loi du 2 juillet 1990, La Poste a une obligation légale de maintenir 17 000 points de contact, répartis de façon que 90 % de la population se trouve à moins de 5 kilomètres ou de 20 minutes d’un bureau de poste.
Au-delà des chiffres, quand des services humains de proximité disparaissent, c’est l’âme du service public qui est en jeu.
Les postiers, qu’ils soient facteurs ou guichetiers, incarnent bien souvent ce lien social essentiel que le tout-numérique ne saurait remplacer, notamment pour nos aînés, ainsi que pour les personnes isolées ou en situation de dépendance. Or, dans nombre de communes rurales, La Poste reste l’un des derniers symboles tangibles de la République.
Madame la ministre, le précédent gouvernement avait un temps envisagé une coupe budgétaire de 50 millions d’euros dans le budget alloué à la présence postale pour 2025, heureusement abandonnée depuis.
Quelques semaines plus tard, la Cour des comptes a publié un rapport sur la trajectoire financière de La Poste. Celui-ci pointe du doigt, non seulement la distribution du courrier six jours sur sept, mais aussi le maintien des 17 000 points de contact sur le territoire.
À ce sujet, la Cour des comptes suggère, notamment, des synergies plus fortes avec le programme France Services. Nous craignons légitimement que ces dernières ne soient probablement pas compensées financièrement pour les collectivités.
Alors que la désignation du prestataire du service universel postal est attendue d’ici à la fin de 2025, quelle suite le Gouvernement entend-il donner aux préconisations de la Cour des comptes, tout en préservant une présence postale réelle, humaine et pérenne ? Pouvez-vous nous garantir que le désengagement de La Poste ne se fera pas une nouvelle fois à la charge de nos collectivités ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. Madame la sénatrice Jocelyne Guidez, le Gouvernement en est pleinement convaincu, la présence postale en milieu rural est un enjeu fondamental pour l’égalité d’accès aux services publics, pour la vitalité des territoires et pour le maintien du lien social.
La transformation du réseau de La Poste, notamment la diminution des heures d’ouverture et la conversion de bureaux de poste en agences postales communales, suscite des inquiétudes légitimes.
Toutefois, je tiens à rappeler que La Poste reste pleinement engagée dans sa mission de service public, avec notamment le service postal universel et l’obligation légale de maintenir 17 000 points de contact, garantissant que 90 % des Français se trouvent à moins de 5 kilomètres ou de 20 minutes d’un bureau de poste.
La Poste fait face à des évolutions structurelles majeures, notamment à la chute de 60 % du volume de courrier en quinze ans. Face à ces défis, La Poste adapte son modèle comme elle le peut ; l’État reste attentif à ce que cette adaptation ne se fasse pas au détriment des territoires ruraux.
Le contrat de présence postale territoriale 2023-2026, signé entre l’État, l’Association des maires de France et des présidents d’intercommunalité (AMF) et La Poste, prévoit un budget annuel de 177 millions d’euros pour garantir cette présence et accompagner les transformations nécessaires, tout en maintenant une qualité de service.
Afin de préserver la présence postale, plusieurs actions sont mises en place.
Le développement des agences postales communales et des relais-poste en partenariat avec les collectivités permet de maintenir une offre de services de base tout en adaptant les coûts de fonctionnement.
L’essor du réseau des 2 800 maisons France Services : 97 % de la population est à moins de 20 minutes d’une maison France Services, où La Poste est un acteur central. Les expérimentations de solutions innovantes, comme les maisons France Services itinérantes, amènent d’ailleurs les services publics au plus près des citoyens les plus isolés.
Enfin, La Poste renforce le rôle des facteurs, qui ne se limitent plus à la distribution du courrier, mais assurent des services de proximité, notamment pour les personnes âgées ou isolées – « Veiller sur mes parents », visites à domicile, etc.
Ainsi, le Gouvernement s’assure que les territoires les plus fragiles ne soient pas oubliés. L’État a maintenu l’intégralité du financement du contrat de présence postale territoriale en 2025…
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre déléguée.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée. Il restera donc un garant vigilant de la présence postale en milieu rural, auprès des élus locaux.
obligation d’installation d’itinéraires cyclables
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, auteur de la question n° 337, adressée à M. le ministre auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports.
M. Pierre Jean Rochette. Madame la ministre, permettez-moi de citer un exemple assez savoureux, qui concerne la loi d’orientation des mobilités (LOM).
Ce texte faisait obligation aux communes, lors des rénovations de voiries urbaines, de prévoir un marquage au sol pour la création de pistes cyclables. L’idée semblait assez facile à mettre en œuvre, sauf que l’on est en Absurdistan.
En mai 2023, le tribunal administratif de Lyon a pris la décision d’imposer les mêmes conditions de circulation aux vélos qu’aux voitures, en exigeant lorsque la voie est à double sens la création d’une voie cyclable aussi à double sens.
Dans la commune de Boën-sur-Lignon, dans la Loire, plus précisément sur Loire Forez agglomération, nous avons rénové des chaussées dont certaines mesuraient moins de 5 mètres de large. Il n’est déjà pas évident à deux voitures de s’y croiser, comment fait-on s’il faut aussi prévoir la création de pistes cyclables ? La situation est complètement bloquée.
Nous avons mis en place la voie centrale banalisée, préconisée par le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (Cerema), mais cette solution n’est pas réglementaire. Nous subissons donc à juste titre les attaques des associations de cyclistes.
C’est assez cocasse : l’idée d’origine défendue dans la loi est bonne, mais elle a été complètement dévoyée par cette décision du tribunal administratif, qui rend la situation complexe.
Madame la ministre, il faudrait, soit intégrer les voies centrales banalisées dans le schéma afin de pouvoir les implanter de manière réglementaire, soit prévoir – comme pour la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées de 2005 – des dérogations pour impossibilité technique lorsque la largeur de la voirie ne permet pas la mise en place de voies cyclables.
C’est un sujet qui peut paraître banal ou léger, mais il s’agit d’un vrai problème sur le terrain qui s’accompagne de réelles complications techniques pour les élus.
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Pierre Jean Rochette, l’article L. 228-2 du code de l’environnement, que vous mentionnez, a été créé en 1996 par la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, dite loi Laure.
Cet article prévoit effectivement la réalisation d’aménagements pour rendre la voirie cyclable lors de travaux de réfection d’une voirie en milieu urbain. Le dispositif a été complété par la loi d’orientation des mobilités qui décline une liste d’aménagements possibles.
L’objectif de cet article L. 228-2 du code de l’environnement est de profiter des travaux programmés pour réaliser – à moindre coût – la transformation nécessaire de nos villes en vue de l’accueil des cyclistes et de leur circulation de manière sécurisée.
Sans méconnaître les difficultés locales qui peuvent se poser, il est nécessaire de conserver cette disposition avec l’ambition qu’elle porte.
Pour autant, je ne suis pas opposée à ce que d’autres types d’aménagements, comme les chaussées à voies centrales bidirectionnelles, soient introduits dans le texte dès lors que les conditions de sécurité pour les cyclistes et automobilistes sont remplies.
La sécurité de l’ensemble des usagers de la route est une priorité du Gouvernement, soyez-en ici assuré.
pérennité et aménagement de la ligne ter lyon-paray le monial-nevers
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, auteur de la question n° 061, adressée à M. le ministre auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargé des transports.
M. Fabien Genet. Je souhaite attirer l’attention du ministre chargé des transports sur la survie de la ligne TER qui relie Lyon et le sud-ouest de la Saône-et-Loire, mais aussi l’ouest de la France.
Il y a quelques mois, Le Parisien a publié un classement des « pires lignes régionales de France ». En deuxième position sur ce triste podium, on retrouve cette ligne Lyon-Paray-le-Monial-Moulins-sur-Allier, dont la pérennité suscite depuis près de dix ans l’inquiétude des usagers et des élus des territoires desservis.
Les usagers sont habitués à des retards à répétition, voire à des annulations de trajets. La fréquence des allers-retours ne fait que diminuer, réduisant par là même l’attractivité de cette ligne.
Le retrait d’un poste d’aiguillage en gare de Lamure-sur-Azergues condamne à un cadencement ralenti et à des trajets non croisés qui ne peuvent correspondre aux horaires de travail des usagers se rendant dans la métropole lyonnaise.
Pourtant, cette ligne participe au développement de tout un territoire correspondant au desserrement de la grande couronne lyonnaise. Cette ligne historique est aujourd’hui empruntée par de nombreux travailleurs qui alternent télétravail en région bourguignonne et présentiel dans la métropole lyonnaise, ou vice-versa.
Elle a donc besoin d’une vraie mobilisation de l’ensemble des acteurs concernés, à savoir le conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, le conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, la SNCF dans ses différentes composantes, l’État, sans oublier les collectivités locales du territoire, qui s’impliquent déjà totalement.
Dans un contexte de décarbonation des transports, notamment en milieu rural, pourriez-vous nous indiquer clairement les ambitions du Gouvernement pour cette ligne si utile au sud de la Bourgogne, mais aussi à la métropole lyonnaise ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Juliette Méadel, ministre déléguée auprès du ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, chargée de la ville. Monsieur le sénateur Fabien Genet, vous m’alertez sur la situation difficile de la ligne TER entre Lyon et Paray-le-Monial, plus largement sur la question de la desserte ferroviaire des territoires ruraux.
L’État s’est engagé aux côtés des régions dans la remise à niveau des petites lignes dans le cadre des volets mobilité 2023-2027 des contrats de plan État-région (CPER) : 2,6 milliards d’euros d’investissements sont prévus, dont 780 millions apportés par l’État via l’Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afit France).
La ligne qui relie Lyon à Paray-le-Monial nécessite une coordination étroite entre les régions Bourgogne-Franche-Comté et Auvergne-Rhône-Alpes concernant l’organisation de l’offre ferroviaire sur l’axe, pour laquelle elles sont pleinement responsables en tant qu’autorités organisatrices.
Les travaux à réaliser pour assurer le bon état de la ligne sont, eux, cofinancés par l’État, les régions et SNCF Réseau dans le cadre des CPER : la ligne a déjà fait l’objet d’un investissement significatif de 44 millions d’euros dans le cadre des CPER 2015-2022.
Le Gouvernement est particulièrement conscient de l’importance de la desserte des territoires ruraux par les différents modes de transports. Aussi, le volet ferroviaire 2023-2027 du CPER Auvergne-Rhône-Alpes, en cours de finalisation, prévoit un financement de 10 millions d’euros assuré à 90 % par l’État et SNCF Réseau afin de garantir la continuité des circulations sur la ligne pour les prochaines années.
Parallèlement, les études de régénération des ouvrages d’art de la section entre Paray-le-Monial et Chauffailles démarrent cette année dans le cadre du CPER Bourgogne-Franche-Comté, pour des travaux de l’ordre de 5 millions à 6 millions d’euros prévus en 2027, de façon à éviter un allongement du temps de parcours.
Ces efforts, monsieur le sénateur, confirment l’attention particulière qu’accorde l’État aux lignes de desserte fine des territoires.
M. le président. La parole est à M. Fabien Genet, pour la réplique.
M. Fabien Genet. Je suis satisfait, madame la ministre, des bonnes nouvelles que vous nous annoncez. L’ensemble des élus du Charolais-Brionnais, plus largement de la Saône-et-Loire et de la Bourgogne, mais également du Rhône, seront attentifs au déroulement de ces travaux puisqu’il s’agit d’un enjeu entre les deux régions.
maintien des effectifs de terrain du maillage territorial de l’office national des forêts
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler, auteur de la question n° 319, adressée à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Sabine Drexler. Madame la ministre, en Alsace, les communes forestières travaillent en étroite collaboration avec les services de l’Office national des forêts (ONF) et y sont particulièrement attachées.
Alors que nos forêts vont mal et que les maires ont plus que jamais besoin de conseils techniques, de solutions de gestion et d’un accompagnement réglementaire et financier garantissant une gestion plus résiliente et durable, on y détricote le maillage territorial. C’est notamment le cas dans le département du Haut-Rhin, qui subit pourtant depuis 2018 des dépérissements sans précédent de sapins, d’épicéas et de hêtres, ce qui exige une forte mobilisation de toute la filière pour renouveler et commercialiser ces bois.
Après la suppression de 14 postes en 2021, l’ONF s’est lancé en 2023 dans une nouvelle réorganisation avec des suppressions de postes de terrain supplémentaires. Ces réorganisations incessantes mettent à mal toute la filière, les communes forestières, mais aussi les personnels de cet établissement, qui connaît depuis une vague de départs sans précédent.
Dans un contexte de crise sanitaire et de changement climatique, et afin de répondre à la demande de proximité des maires, le ministère de l’agriculture, de la souveraineté alimentaire et de la forêt s’était engagé en novembre 2024 à ce qu’il n’y ait pas de suppressions de postes en 2025.
Que comptez-vous faire pour garantir le maintien des effectifs de terrain, notamment dans la vallée de la Doller, qui doit faire face à un dépérissement inédit par son ampleur ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice Drexler, je vous remercie de me permettre de rappeler l’importance de l’Office national des forêts dans la gestion de nos forêts publiques, ainsi que l’attachement des élus locaux aux missions et moyens du gestionnaire unique des forêts publiques – vous en avez été la porte-parole à l’instant.
Comme vous l’avez rappelé, le contrat d’objectifs État-ONF pour la période 2021-2025 prévoyait initialement des suppressions de postes. Le Gouvernement a fait le choix de maintenir les effectifs de l’ONF en 2025, comme Annie Genevard et moi-même nous y étions engagées, malgré un contexte budgétaire tendu.
En revanche, face à des besoins grandissants dans certains secteurs ou sur certaines thématiques, l’établissement peut avoir besoin de redéployer ses effectifs d’une mission à une autre. Ces redéploiements permettent, par exemple, de mieux faire face à l’extension du risque incendie en répondant aux demandes croissantes des élus locaux pour la mission d’intérêt général « défense contre les incendies de forêt » ou encore de développer la contractualisation au bénéfice des communes forestières.
Dans ce contexte, l’agence ONF du Haut-Rhin, dont fait partie l’unité territoriale de la Doller, mène, depuis dix-huit mois, un travail associant les personnels afin de répartir les moyens humains au mieux, en tenant compte des enjeux de gestion forestière, dans un département où 80 % des forêts sont communales. Les ajustements de l’organisation projetés se feront à effectif constant pour l’agence ; la réflexion s’appuie sur une analyse de la charge de travail des différentes unités territoriales.
Les données des triages de l’unité territoriale de la Doller-Basse Largue, montrent notamment une charge de travail globalement supérieure dans les secteurs de montagne de Saint-Amarin, Guebwiller, Munster, Kaysersberg ou encore Ribeauvillé par rapport à celle du secteur d’Oberbruck.
Les ajustements envisagés pour mieux répartir les personnels sur les différents triages et sur des fonctions transversales stratégiques visent à garantir une présence opérationnelle de qualité, et à renforcer une capacité d’intervention adaptée aux enjeux spécifiques de ce territoire.
Dans le Haut-Rhin, comme sur l’ensemble du territoire, l’ONF joue un rôle primordial dans la gestion durable des forêts publiques.
M. le président. Veuillez conclure !
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre. Je suis donc déterminée à soutenir cet organisme dans ses missions essentielles.
M. le président. La parole est à Mme Sabine Drexler, pour la réplique.
Mme Sabine Drexler. Je vous remercie de l’attention que vous portez à ces territoires, madame la ministre. Le Haut-Rhin, notamment les forêts vosgiennes, rencontre d’importants problèmes de dépérissement. Les maires doivent être accompagnés dans la proximité.
mise en œuvre du fonds territorial climat figurant dans la loi de finances pour 2025
M. le président. La parole est à M. Sebastien Pla, auteur de la question n° 332, adressée à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
M. Sebastien Pla. Madame la ministre, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances (PLF) pour 2025, le Sénat a voté la création d’un fonds territorial climat doté de 200 millions d’euros.
Je suis intimement convaincu que les collectivités territoriales sont les plus à même de faire face aux défis de l’adaptation au changement climatique, car les élus locaux sont confrontés tous les jours à ces problématiques sur le terrain. Ils font d’ailleurs preuve de réactivité, voire d’agilité, pour mettre en œuvre des solutions concrètes, mais ils sont souvent démunis devant la complexité des démarches administratives ouvrant droit aux financements.
J’avais moi-même présenté un amendement visant à financer directement les intercommunalités afin qu’elles mettent en œuvre les plans climat-énergie. Au passage, je proposais de prévoir une dotation de 400 millions d’euros, car les 250 millions d’euros votés en 2024 n’étaient visiblement pas suffisants. Or on se retrouve dans le PLF pour 2025 avec seulement 200 millions d’euros.
Ce que je souhaite par-dessus tout, c’est que vous facilitiez la vie aux collectivités locales pour accéder à ce fonds ! Il faut en finir avec les usines à gaz d’appel à projets ou à manifestation d’intérêt divers et variés, auxquels personne ne comprend plus rien, et simplifier la vie des élus et de leurs collaborateurs, désespérés devant la lourdeur des procédures.
Je suis élu dans l’Aude, département méditerranéen en première ligne face aux conséquences du changement climatique. Nous sommes confrontés à la fois à des inondations destructrices et à des sécheresses terribles, qui mettent à mal les productions agricoles. Nous n’avons pas de temps à perdre dans des procédures longues et complexes pour accéder à ces fonds pour nous vitaux !
Lors des questions d’actualité au Gouvernement du 19 février dernier, vos explications ne m’ont pas du tout rassuré. Ce fonds, qui était un nouveau programme voté lors du PLF, est à présent devenu une action. Pourquoi contournez-vous, comme en 2024, l’esprit de la mesure que le Parlement a votée ? Pouvez-vous m’expliquer clairement les modalités de mise en œuvre de ce fonds pour 2025 ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur Pla, vous l’avez souligné, en raison de leur rôle clé dans la transition écologique, les collectivités territoriales sont les principales bénéficiaires du fonds vert.
En 2024, le programme a bénéficié à plus de 6 245 demandeurs distincts, dont 5 316 sont des communes – 160 d’entre elles se situent dans votre département de l’Aude.
En 2025, pour simplifier l’articulation entre les aides, j’ai souhaité, avec le ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, François Rebsamen, que les règles d’emploi soient décrites dans une circulaire conjointe pour le fonds vert et d’autres dotations de soutien à l’investissement des collectivités territoriales – dotation de soutien à l’investissement local (DSIL), dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR), dotation de soutien à l’investissement des départements (DSID), dotation politique de la ville (DPV), fonds national d’aménagement et de développement du territoire (FNADT).
Celle-ci a été publiée le 28 février 2025, soit quelques jours après l’adoption définitive du budget et sa promulgation. Elle priorise le soutien à l’investissement local en faveur de la transition écologique, en particulier en matière d’adaptation au changement climatique suivant les objectifs du plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), que j’ai présenté la semaine dernière.
En 2025, malgré une baisse de l’enveloppe du fonds vert par rapport à 2024, un financement de 100 millions d’euros est déployé spécifiquement pour l’accompagnement des plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), comme je m’y étais engagée devant vous.
Pourquoi cette enveloppe ne figure-t-elle pas dans le PLF pour 2025 ? Pour le savoir, il faudrait interroger les participants à la commission mixte paritaire.
Cette enveloppe de 100 millions d’euros sera déployée hors appel à projets, comme je m’y étais également engagée, et donc sans contrôle a priori des projets des PCAET dès lors que ces derniers sont votés. Les modalités d’accès à cette ressource sont déjà spécifiées par la circulaire du 28 février et les crédits seront bientôt délégués aux préfets de région.
Les collectivités ayant adopté un PCAET au 1er mars 2025 bénéficieront de ces crédits, en concertation avec les préfets. Cette nouvelle mesure témoigne de ma volonté de construire un pacte de confiance avec les collectivités territoriales. Mon objectif est qu’elles puissent mettre en œuvre rapidement et facilement leur PCAET afin d’accompagner leur transition écologique, en cohérence avec la planification écologique que je défends au niveau national.
M. le président. La parole est à M. Sebastien Pla, pour la réplique.
M. Sebastien Pla. Madame la ministre, cela va dans le bon sens, mais ces 100 millions ne compensent pas les 400 millions d’euros de moins du fonds vert sur les 1,1 milliard d’euros inscrits au budget cette année. Il faut aller plus loin dans la mise en œuvre de l’accessibilité à ces financements : 10 % seulement seront directement à la main des intercommunalités pour les PCAET. Il conviendrait donc d’ouvrir un peu plus largement ces enveloppes, de manière qu’elles soient gérées en direct.
défense des chasses traditionnelles du sud-ouest face à la commission européenne
M. le président. La parole est à Mme Denise Saint-Pé, auteur de la question n° 352, adressée à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
Mme Denise Saint-Pé. Madame la ministre, la Commission européenne a annoncé le 12 février 2025 sa décision de poursuivre la France devant la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour non-respect, selon elle, de la directive Oiseaux, du fait de la pratique dans cinq départements du Sud-Ouest de la chasse traditionnelle de la palombe au filet.
La procédure ayant commencé en 2019, ses arguments sont connus depuis longtemps. Ils sont cependant entachés d’inexactitudes, que ce soit, par exemple, dans la dimension évoquée des pantières ou dans l’affirmation que ces pantières contribueraient au déclin de la tourterelle des bois, qui a déjà intégré le Maroc au mois d’octobre.
Par ailleurs, cette chasse est bien sélective en raison de la maille des filets, le déclenchement manuel des pantes et pantières intervenant après une phase d’observation.
En outre, loin d’être menacée, la palombe est en pleine expansion, et désormais classée comme espèce nuisible dans plusieurs pays européens et départements français.
Vous comprendrez ainsi la colère que l’annonce du 12 février provoque chez les chasseurs du Sud-Ouest, qui s’estiment inécoutés et insuffisamment défendus.
Il serait malheureux que, dans un tel contexte de défiance, les chasseurs se démobilisent alors que leurs actions pour réguler le grand gibier ou pour le suivi sanitaire des zoonoses dans la faune sauvage sont essentielles.
Madame la ministre, êtes-vous prête à transmettre aux parlementaires les éléments du dossier de défense présentés à la Commission européenne dans le cadre des échanges engagés depuis 2019 ?
De plus, êtes-vous prête à rencontrer en personne les fédérations de chasse du Sud-Ouest puis à les intégrer dans la démarche de défense par l’État français de nos chasses traditionnelles, si le recours était maintenu ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice Saint-Pé, je l’ai affirmé très clairement, dès l’annonce de la Commission européenne : je défendrai la chasse à la palombe, dont je connais l’importance pour nos chasseurs et pour nos territoires du Sud-Ouest.
Comme vous l’avez rappelé avec beaucoup de justesse, la Commission a décidé de saisir la Cour de justice de l’Union européenne, estimant que la France ne respecte pas la directive Oiseaux en autorisant la chasse à la palombe au filet dans cinq départements du Sud-Ouest.
Eh bien, face à cela, je vais avancer les arguments pour prouver, comme vous le dites, que cette chasse traditionnelle très pratiquée dans le Sud-Ouest, et jamais remise en cause sur le plan national, doit perdurer.
Car vous avez raison, madame la sénatrice : cette décision concerne non pas une espèce menacée, mais le pigeon ramier, une espèce qui est abondante et parfois nuisible, notamment du fait des dégâts agricoles qu’elle occasionne. Ce n’est d’ailleurs pas un sujet de préoccupation pour les associations environnementales, qui préfèrent concentrer leurs travaux sur les espèces menacées de disparition.
Je vous rejoins également sur le fait que cette méthode présente des avantages environnementaux au-delà de tous les aspects patrimoniaux que vous avez rappelés. Elle est en effet sélective, comme l’ont montré les expérimentations de cet automne, et les captures accidentelles peuvent être relâchées vivantes, ce qui, évidemment, n’arrive pas avec la chasse au fusil.
De plus, cette technique n’occasionne pas de résidus et ne perturbe pas les autres espèces.
Je vais évidemment associer les chasseurs à cette démarche. C’est ainsi que j’ai pris contact avec la Fédération nationale des chasseurs (FNC) pour nous mettre en ordre de bataille. Je souhaite travailler main dans la main avec les chasseurs, les agences de l’État et les associations pour démontrer que cette chasse est sélective, contrairement à ce que lui reproche la Commission.
J’ajoute que ma porte est grande ouverte à tous les parlementaires qui travaillent sur ce sujet pour consolider notre dossier en défense.
Je défendrai avec force cette pratique en cohérence avec les différentes notes transmises à la Commission depuis 2019, date de la première mise en demeure de la France sur le sujet.
Vous pouvez donc compter sur moi, madame la sénatrice, pour défendre cette tradition qui, je le sais, rassemble les générations. Ancrée dans l’histoire de votre région, elle fait partie de son identité locale et elle célèbre le lien entre l’homme et la nature. C’est aussi cela que je veux mettre en avant.
mise en œuvre des dispositifs de rénovation énergétique
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, auteur de la question n° 330, adressée à Mme la ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.
M. Hervé Gillé. Madame la ministre, le budget pour 2025 consacre une baisse de 32 % par rapport à 2024 des crédits affectés à MaPrimeRénov’, dispositif phare d’aide à la rénovation énergétique des logements, lesquels passent de 3,1 milliards à 2,1 milliards d’euros.
Ma question portera non pas sur le financement à proprement parler des dispositifs de rénovation énergétique, mais sur les difficultés rencontrées par les collectivités territoriales, en particulier par les syndicats intercommunaux, dans la mise en œuvre desdits dispositifs.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que la rénovation énergétique ne s’est pas accompagnée d’une simplification. Bien au contraire, les outils se sont multipliés – Mon Accompagnateur Rénov’, MaPrimeRénov’, MaPrimeAdapt’ –, créant parfois un sentiment de désordre dans l’organisation des politiques de l’habitat, au détriment, finalement, de l’efficacité et de la qualité de l’accompagnement de l’usager.
Plus problématique encore, la création de ces différents dispositifs a mis sur un pied d’égalité des opérateurs publics tels que, en Gironde, le syndicat interterritorial pour la maîtrise de l’énergie et de l’habitat (Siphem) et des opérateurs privés aux pratiques parfois peu scrupuleuses.
Ce mélange des genres peut nuire à la réussite des projets de rénovation énergétique. L’accompagnement est devenu un véritable parcours du combattant, provoquant même des renoncements. Ce n’est pas acceptable.
Ainsi, face à une demande croissante de la part des ménages, il semble nécessaire de renforcer le rôle des opérateurs publics locaux et de rétablir une concurrence équitable.
Ma question est donc la suivante : madame la ministre, face aux demandes croissantes ou insatisfaites, quelles solutions envisagez-vous pour éviter toute insuffisance des enveloppes financières consacrées aux syndicats intercommunaux et, ainsi, garantir la continuité de l’accompagnement des ménages tout au long de l’année ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur Gillé, je vous réponds en mon nom et en celui de Mme Valérie Létard, ministre chargée du logement.
Je vous remercie de votre question, qui permet de mettre en évidence l’importance du service public de rénovation de l’habitat, France Rénov’, et des guichets qui le portent, tel le syndicat interterritorial pour la maîtrise de l’énergie et de l’habitat, en Gironde.
Grâce au service public France Rénov’, les Français bénéficient d’un tiers de confiance auprès de qui recueillir une information et des conseils indépendants et faire remonter toute difficulté rencontrée dans un projet de rénovation.
L’État est au rendez-vous pour poursuivre la consolidation de France Rénov’ à travers les pactes territoriaux qu’il cofinance avec les collectivités.
Comme vous le savez, Mon Accompagnateur Rénov’ est l’acteur clé dans le parcours du ménage lorsque celui-ci se lance dans une rénovation d’ampleur et souhaite bénéficier de l’aide financière importante de MaPrimeRénov’. Il appuie le ménage du début à la fin de son projet, dans ses aspects tant techniques qu’administratifs.
Nous bénéficions d’une année de recul sur le fonctionnement de ce nouvel acteur. Ce dispositif fonctionne bien et s’ancre de plus en plus dans les territoires. Des partenariats vertueux sont noués avec les collectivités, dont nous souhaitons qu’ils se poursuivent et soient renforcés.
Plus largement, je salue l’engagement de l’Agence nationale de l’habitat (Anah), de ses partenaires historiques et des professionnels de la rénovation, qui ont su s’adapter pour garantir des travaux de qualité dans un parcours sécurisant pour le ménage.
Grâce aux signalements qui lui sont remontés par le réseau France Rénov’, à une politique de vigilance lui permettant de détecter les suspicions de fraude et à la politique antifraude menée dans ce domaine par l’État, cela a été indiqué par mes collègues Catherine Vautrin et Amélie de Montchalin, nous avons réussi à éviter l’année dernière 500 millions d’euros de fraude.
En outre, grâce à ce retour d’expérience d’une année, nous avons identifié avec l’Anah de nouvelles mesures à mettre en œuvre pour sécuriser les ménages dans leur parcours de rénovation et pour exclure plus rapidement des acteurs malveillants. Elles seront traduites prochainement par voie réglementaire.
La proposition de loi de Thomas Cazenave contre toutes les fraudes aux aides publiques, que le Sénat examinera bientôt, contient de nouveaux leviers d’action, par exemple l’encadrement des mandataires financiers ou l’augmentation des sanctions contre les fraudeurs.
M. le président. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.
M. Hervé Gillé. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. Ce qui apparaît bien, c’est que, quand on a affaire au secteur public, la qualité est au rendez-vous. En revanche, quand on a affaire au secteur privé, il se produit des phénomènes de distorsion. Ne l’oubliez pas, les renoncements qu’on a pu observer dans l’accompagnement des ménages ont parfois conduit à une sous-consommation des enveloppes.
financement apporté par la france au budget de programme de l’unrwa
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, auteure de la question n° 360, adressée à M. le ministre de l’Europe et des affaires étrangères.
Mme Raymonde Poncet Monge. Au préalable, je veux dire que mes pensées et ma compassion vont aux habitants de Gaza, où plus de 400 personnes ont été tuées cette nuit par des bombardements israéliens, lesquels ont marqué la rupture du cessez-le-feu.
C’est dans ce contexte dramatique que je pose une question sur l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East), qui permet de mener des actions vitales auprès de cette population palestinienne.
La France a récemment annoncé attribuer 20 millions d’euros au budget de programme de l’UNRWA. Il s’agit d’une contribution bienvenue et appréciée qui mérite d’être poursuivie.
Malgré l’entrée en vigueur des lois votées par la Knesset et les graves décisions israéliennes, l’UNRWA demeure un acteur humanitaire de premier ordre dans un contexte où la suspension de l’aide américaine nuit gravement au financement de ses actions.
Devant le Conseil de sécurité de l’ONU, ce 28 janvier, son commissaire général a appelé les États membres à veiller à ce qu’une crise financière ne mette pas brutalement fin aux activités vitales de l’UNRWA.
Le budget de programme, soit un des deux fonds de l’UNRWA, le second étant dévolu aux opérations d’urgence, est alloué au fonctionnement général des services dont dépend sa pérennité. Il finance les actions de développement telles que la santé, les services sociaux et l’éducation pour un demi-million de filles et de garçons au Proche-Orient, ainsi que les salaires des employés de l’UNRWA.
La France a rappelé que l’Office joue un rôle humanitaire essentiel et lui a affirmé son soutien.
Madame la ministre, j’ai deux questions. Premièrement, eu égard à la diminution du budget de l’UNRWA, alors que le montant des besoins explose, la France compte-t-elle maintenir comme une priorité les financements à l’Office ? Deuxièmement, la France prévoit-elle de sanctuariser les fonds qu’elle a alloués au budget de programme de l’UNRWA, celui dont dépend la pérennité de ses missions ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Madame la sénatrice Poncet Monge, mon collègue Jean-Noël Barrot partage totalement votre préoccupation. Depuis plus de soixante-dix ans, l’UNRWA joue un rôle incontournable dans la fourniture des biens et services essentiels aux réfugiés palestiniens en Cisjordanie, à Jérusalem-Est et à Gaza, et dans les pays qui les accueillent – Liban, Jordanie et Syrie.
L’UNRWA est en première ligne pour porter secours à la population civile de Gaza. Elle l’est toujours depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, que nous avons appelé de nos vœux et soutenu. Nous rendons hommage aux travailleurs humanitaires et aux personnels de l’UNRWA décédés dans l’exercice de leurs fonctions.
Le soutien de la France est notamment financier. Ces deux dernières années, nous avons ainsi soutenu l’UNRWA à hauteur de 96 millions d’euros. Lors de la conférence humanitaire internationale pour la population civile de Gaza, organisée au Caire le 2 décembre dernier, le ministre de l’Europe et des affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, a annoncé une nouvelle contribution de 50 millions d’euros pour la population de Gaza en 2025, dont 20 millions d’euros pour l’UNRWA.
Face à l’urgence, le ministre a annoncé vouloir que cette contribution puisse être décaissée dans les meilleurs délais. Ces 20 millions d’euros permettront à l’UNRWA de continuer à fonctionner.
La France continue de suivre les efforts de réforme de l’UNRWA. Ils doivent se poursuivre par la mise en œuvre complète et effective des recommandations du rapport indépendant coordonné par Catherine Colonna. Cette réforme doit garantir le respect de la neutralité du personnel, des manuels scolaires et des installations de l’UNRWA, laquelle est indispensable et exigible de tout acteur humanitaire.
Nous resterons naturellement vigilants sur ce point.
La législation israélienne visant l’UNRWA est entrée en vigueur le 30 janvier dernier. En lien avec nos partenaires, nous avons demandé à Israël de préserver l’action indispensable de l’Office et de respecter ses obligations internationales. Nous l’avons appelé à coopérer avec ses partenaires internationaux, en premier lieu les Nations unies, afin d’assurer la continuité des opérations humanitaires et de garantir l’acheminement massif, rapide, sûr et sans entrave de l’aide humanitaire, ainsi que la fourniture des biens et services essentiels à la population civile.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la réplique.
Mme Raymonde Poncet Monge. Il faut tout simplement appliquer le droit international à Gaza. Je le rappelle, l’acheminement des denrées alimentaires a été stoppé voilà quelques jours, avant même le bombardement de cette nuit, de même que l’électricité a été coupée, empêchant ainsi l’accès à l’eau. Il est donc temps que la France réagisse fermement contre ces trois derniers événements.
inégalités salariales
M. le président. La parole est à M. Alexandre Basquin, auteur de la question n° 375, adressée à Mme la ministre déléguée auprès du Premier ministre, chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les discriminations.
M. Alexandre Basquin. Madame la ministre, cette année, la Journée internationale des droits des femmes du 8 mars a connu une mobilisation particulièrement importante, malgré, d’ailleurs, l’invisibilisation scandaleuse qu’en ont faite Apple et Google.
Des dizaines de milliers de femmes ont manifesté partout en France pour leurs droits. En tête des revendications, on retrouvait la lutte contre les inégalités salariales persistantes entre les hommes et les femmes.
Selon l’Insee, le revenu salarial moyen des femmes était inférieur de 23,5 % à celui des hommes dans le secteur privé en 2022 et de 22,2 % en 2023. Certes, l’usage du temps partiel a un impact sur ces résultats, mais, si l’on compare les situations à temps de travail égal, l’écart est tout de même de 14,2 %.
Ainsi, sur toute une vie, une femme gagnerait 300 000 euros de moins qu’un homme et même jusqu’à 450 000 euros pour les profils les plus diplômés.
Cette inégalité se retrouve également dans les pensions de retraite, qui sont souvent bien inférieures pour les femmes. Si l’on continue à ce rythme, selon une experte citée dans le journal La Voix du Nord du 3 mars dernier, l’égalité salariale ne sera pas atteinte avant au moins l’an 2100.
Vous en conviendrez, madame la ministre, ce n’est absolument pas supportable.
Ainsi, sur cette question majeure, il faut une politique volontariste et ambitieuse. D’ailleurs, la Cour des comptes elle-même a estimé dans un rapport publié en janvier 2025 que « le ministère chargé du travail [devait] s’impliquer davantage pour revaloriser les métiers majoritairement exercés par des femmes ».
Le principe d’égalité entre les hommes et les femmes doit être défendu, aujourd’hui plus que jamais d’ailleurs au regard du développement des courants masculinistes au niveau international, lesquels rencontrent un écho sans précédent sur les réseaux sociaux et médiatiques, tandis que le sexisme ne cesse de progresser en France selon le dernier rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes.
Ma question est donc simple : quelles mesures concrètes et rapides le Gouvernement compte-t-il prendre pour corriger enfin les inégalités de salaire et, surtout, cette injustice criante ?
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur Basquin, je vous remercie de votre question adressée à ma collègue Aurore Bergé, question à laquelle je m’associe totalement.
L’égalité professionnelle et l’autonomie économique des femmes, vous le savez, sont les conditions premières de leur émancipation. En 2025, dans notre pays, il n’est pas acceptable que des différences de salaire existent encore au détriment des femmes et qu’une part demeure toujours inexpliquée : 14 % de différences de rémunération à temps de travail identique, c’est 14 % de trop. Pareillement, 4 % d’écart à poste comparable ou équivalent, c’est 4 % de trop.
L’égalité salariale n’est pas un objectif ; elle figure d’ailleurs dans la loi depuis 1972.
En 2019, la France a été le premier pays européen à créer un index d’égalité salariale, car on ne peut corriger ce qu’on ne mesure pas. Depuis lors, 857 entreprises ont été mises en demeure et plusieurs dizaines ont été sanctionnées, jusqu’à 1 % de leur chiffre d’affaires, pour non-respect de leur obligation de transparence.
Nous voulons aller plus loin. Un travail est en cours sous l’autorité d’Astrid Panosyan-Bouvet, ministre chargée du travail et de l’emploi, pour transposer la directive européenne de transparence salariale du 10 mai 2023. Elle devra l’être en droit interne d’ici au 7 juin 2026. Cette directive renforcera les exigences qui pèsent sur les entreprises en prévoyant un droit à la transparence des rémunérations avant l’embauche, une obligation de transparence à l’égard des employeurs relative à la mise à disposition des critères utilisés pour déterminer les rémunérations, les niveaux de rémunération et la progression des rémunérations, une obligation pour les employeurs de fournir, entre autres, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes.
Mais se battre pour l’égalité salariale, c’est aussi, dès le plus jeune âge, permettre à de petites filles et de petits garçons d’embrasser pleinement les carrières qu’ils souhaitent.
Cela passe par une action renforcée en faveur de la mixité dans les filières, en particulier celles qui forment à des métiers stratégiques pour notre souveraineté. Cela passe par l’école dès le plus jeune âge, afin de lutter contre les inégalités, d’empêcher que l’on enferme encore trop rapidement les petites filles et petits garçons dans des destins préconçus nourris par la reproduction des stéréotypes.
Il est primordial que la lutte contre ces stéréotypes devienne notre priorité absolue.
M. le président. Nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
3
Trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public solennel sur la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux (proposition n° 124, texte de la commission n° 373, rapport n° 372).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ce scrutin s’effectuera depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l’insérant dans votre terminal de vote. En cas de difficulté, les huissiers sont à votre disposition.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
J’indique au Sénat que, compte tenu de l’organisation du débat décidée par la conférence des présidents, chacun des groupes dispose de sept minutes pour ces explications de vote, à raison d’un orateur par groupe, l’orateur de la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de trois minutes.
Vote sur l’ensemble
M. le président. La parole à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite de la publication du rapport rendu par le groupe de suivi sénatorial des dispositions législatives et réglementaires relatives à la stratégie de réduction de l’artificialisation des sols, cette proposition de loi, déposée sur l’initiative de nos collègues Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier et cosignée par des sénateurs de différents groupes, nous a permis, la semaine dernière, après divers ajouts et ajustements, de faciliter davantage encore la mise en œuvre des objectifs de réduction de l’artificialisation des sols.
Le débat que nous avons eu nous a permis d’avancer, de donner davantage de lisibilité aux élus locaux et de nous projeter ensemble dans des aspects plus pratiques de l’aménagement du territoire d’aujourd’hui et de demain.
Une chose est sûre, et les nombreux amendements déposés sur le texte ainsi que la richesse de nos échanges en sont l’illustration : l’artificialisation des sols est un enjeu important dont nous aurons certainement à rediscuter dans les prochaines années, voire dans les prochains mois.
D’une part, parce que nous aurons un retour d’expérience de celles et de ceux qui doivent concrètement mettre en œuvre ces objectifs : les élus locaux et les techniciens des collectivités territoriales.
D’autre part, parce qu’il reste des éléments que nous n’avons pas évoqués, lesquels sont pourtant centraux : je pense particulièrement au financement des collectivités et à l’appui technique dont elles auront besoin pour intégrer la raréfaction du foncier à leurs politiques d’aménagement et à leurs orientations budgétaires.
Au cours du débat, nous avons souligné l’enjeu que constituent les friches. Monsieur le ministre, je le dis de nouveau au Gouvernement : nous avons besoin d’une analyse et de propositions sur les possibilités de réemploi de ces friches ; nous avons besoin du rapport que nous avons demandé ici même, par un vote, pour nous aider à soutenir les territoires ruraux et les communes périurbaines, pour que les bâtiments délaissés d’hier soient les opportunités économiques de demain.
Tel est le sens de l’amendement que j’ai défendu sur la présente proposition de loi, et que le Sénat a adopté, visant à augmenter l’enveloppe d’artificialisation disponible lorsqu’une friche industrielle ou agricole est requalifiée.
Se posera également la question de la concurrence entre les usages, parmi lesquels il faudra fixer des priorités. C’est la position que nous avons défendue ici, et, là encore, le Sénat nous a suivis : ainsi, les plateformes de recyclage, indispensables pour lutter contre le gaspillage des ressources et pour la transition écologique, pourront être accueillies sans que soient pénalisées les communes qui en prennent la responsabilité.
Nous aurons besoin de mutualiser ce type de plateformes, mais aussi de nombreux équipements, notamment publics, qui devront être accessibles à toutes et tous, dans un souci de proximité, afin de n’exclure personne de services publics essentiels, par exemple l’éducation, la santé, la culture et le sport.
Cette proposition de loi rassure nos élus locaux, sans les exonérer de leurs responsabilités, et nous savons que nous pourrons compter sur eux. La réduction de l’artificialisation n’est pas une affaire à prendre à la légère, ce sujet justifie bien le temps que nous lui consacrons.
Oui, nous devons conserver des espaces agricoles, et même les étendre, pour faire face à la concurrence étrangère et pour être en mesure de nourrir tous nos concitoyens et ainsi soutenir le droit à l’alimentation.
Oui, nous devons soutenir la filière bois, certes, mais aussi conserver les espaces forestiers, les espaces naturels pour ce qu’ils sont : des réserves de biodiversité dont notre terre a besoin, indispensables pour lutter contre le dérèglement climatique.
Notre rôle est de veiller à un équilibre sur le territoire. Si nous pouvons rapprocher les consommateurs des producteurs agricoles en permettant à des territoires ruraux de construire des logements et de se développer afin d’encourager des familles à y vivre, nous devons également désimperméabiliser les villes, densifier pour libérer de l’espace au sol, rafraîchir l’espace public pour, finalement, améliorer la qualité de l’air et la qualité de vie des habitantes et habitants des agglomérations.
Et c’est bien ce défi commun, ce défi collectif, qu’il nous faudra relever sans systématiquement saucissonner ces différents enjeux.
En maintenant les objectifs de réduction de l’artificialisation des sols et en confiant aux collectivités la responsabilité de fixer des objectifs intermédiaires, nous avons contribué à lever une partie des freins de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience, et, je l’espère, donné confiance aux élus locaux, qui pourront demain mieux intégrer cet impératif écologique dans leur politique d’aménagement.
Certes, nous dénonçons aujourd’hui facilement l’urbanisation des années 1980 et 1990 et les décisions qui ont été prises alors. Or les maires de l’époque ont agi en conformité avec les lois de l’époque. Aussi, il nous faut parfois nous garder de porter des jugements hâtifs sur le passé et veiller plutôt à nous projeter vers demain, dans l’accompagnement de ces nouveaux élus.
Les maires ont toujours respecté la loi et ils continueront de la respecter demain. À nous de la rendre accessible, utilisable et efficace.
Notre groupe, vous l’aurez compris, votera ce texte. Au-delà, loin de toute caricature, de tout populisme, des questions subsistent sur le partage demain de nos ressources naturelles en tension et sur l’aménagement d’un territoire devant concilier différentes activités humaines : autant de beaux défis à relever, qui font la noblesse de la politique et de l’engagement local et constitueront très certainement les enjeux des renouvellements de 2026. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a des moments, dans notre vie commune de législateur, où nous avons le sentiment collectif d’avoir fait œuvre utile. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) Tel était par exemple le cas lors du vote à l’unanimité de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Certes, si nous n’étions pas d’accord sur tout, nous avions néanmoins la conviction de relever ensemble un défi véritable pour notre société, défi nécessitant l’intervention du législateur.
Tel fut également le cas – autre exemple – lors du vote de la loi du 20 juillet 2023 visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux, dite loi ZAN 2. Après le vote de la loi Climat et résilience, dite loi ZAN 1, il apparaissait en effet clairement que les dispositions prévues par cette dernière nécessitaient des correctifs. Ainsi, comptabiliser dans un forfait national les projets d’envergure nationale et européenne d’intérêt général majeur (Pene), afin qu’ils ne pèsent pas sur les enveloppes des communes, apparaissait presque comme une évidence.
Proposer une enveloppe communale était un moyen de rassurer les territoires qui se retrouvaient avec de trop faibles droits, car ils avaient parfois peu artificialisé au cours de la décennie précédente.
Il fallait corriger cette injustice.
Arrive ZAN 3 ! J’aurais bien aimé pouvoir vous dire que nous partageons toujours le même état d’esprit, d’autant plus que, en amont, nous avions beaucoup travaillé en commission. Malheureusement, cela ne m’est pas possible. Disons-le : ZAN 3 est une loi de posture, de surenchère de la droite sénatoriale (Exclamations indignées sur les travées du groupe Les Républicains.), qui remet même en cause ZAN 2, alors que ce sont les mêmes qui en sont les animateurs et les auteurs !
Mais que s’est-il donc passé ?
M. Olivier Paccaud. On a réfléchi et on a écouté !
M. Ronan Dantec. Sont-ce la dissolution et les changements de gouvernement qui ont changé la donne politique ? Est-ce un effet secondaire de la course poursuite engagée entre candidats républicains pour la prochaine présidentielle ? (Mêmes mouvements.)
J’en resterai, à ce stade, à des questions ouvertes.
C’est une loi à contretemps, à contretemps d’abord des élus territoriaux. La plupart des régions ont aujourd’hui adopté – ou sont sur le point de le faire – leur schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) et y ont intégré l’objectif de réduction de 50 % de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf). Citons, par exemple, deux régions de droite, à savoir les Hauts-de-France et la Normandie.
Deux régions– deux seulement ! – refusent d’appliquer la réduction de 50 % : les Pays de la Loire, dont la présidente est désormais connue dans toute la France pour la brutalité de ses coupes dans les budgets de la culture et de la solidarité, et, surtout, Auvergne-Rhône-Alpes (Aura), dont l’ancien président, Laurent Wauquiez, était tout fier d’affirmer il y a quelques mois encore qu’il ne respecterait pas la loi. (M. Fabien Genet s’exclame.)
Vous nous proposez donc aujourd’hui une loi ZAN 3 qui est une prime pour les mauvais élèves, pour ne pas dire les sauvageons. (Sourires sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Eh ben !
M. Ronan Dantec. Pourtant, les représentants de Régions de France, d’Intercommunalités de France et de France urbaine nous ont demandé, lorsque nous les avons auditionnés, non seulement de soutenir certains amendements, mais également de ne pas revenir sur l’objectif de réduction de 50 % à dix ans, cet objectif étant intégré par la majeure partie des territoires.
La Fédération nationale des schémas de cohérence territoriale (Scot), la FédéSCoT, pourtant présidée par un ancien séguiniste, a fait part, lorsqu’elle a été reçue en audition, de son opposition très ferme à ce détricotage, relayant l’incompréhension que suscitait ce retour en arrière chez des élus locaux.
Nous avons – entendez-le – beaucoup, beaucoup de témoignages en ce sens, y compris d’élus de droite. (M. Olivier Paccaud s’exclame.)
Et que dire du monde paysan ? Le patron de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) a pris sa plus belle plume pour nous demander de ne pas affaiblir cette loi de préservation des terres agricoles.
Les Jeunes Agriculteurs (JA) ou la FNSafer, la Fédération nationale des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer), ont aussi plaidé en ce sens. Peine perdue !
Au risque donc de décevoir les élus locaux, de rester sourds à la demande du monde agricole pour qui la préservation des terres agricoles est l’une des principales priorités, vous n’avez pas changé de position.
Même le Gouvernement s’y est cassé les dents ! Ainsi, l’offre de compromis qu’a présentée François Rebsamen, consistant à décaler de trois ans, à 2034, l’objectif intermédiaire de réduction de moitié de la consommation d’Enaf – nous avons voté son amendement –, ne vous a pas suffi : il fallait en finir avec le ZAN, point à la ligne !
M. Olivier Paccaud. Oui !
M. Ronan Dantec. Je me permets juste de vous rappeler que, même si c’est conjoncturel, vous êtes membre du même gouvernement…
En fait, il y a quelque chose d’incompréhensible : pourquoi s’embêter à voter une loi ZAN 3 ? L’abrogation du dispositif aurait été plus simple, étant entendu que plus personne ne croit aujourd’hui que cette loi ZAN 3, dans sa mouture actuelle, permettra de limiter l’artificialisation des terres, et ce alors même que, je le rappelle, la France consomme beaucoup plus d’espaces que les autres pays européens.
Deux exemples illustrent ces contradictions.
Ainsi, vous aviez proposé que l’État s’engage, lui aussi, dans une trajectoire de réduction de ses consommations d’espaces. Très bien ! Rien ne justifie en effet que l’État soit exonéré de l’effort collectif. Pourtant, dans le même temps, vous avez ajouté à la liste des Pene tant de trucs et de machins qu’on ne voit pas comment l’État pourrait y arriver. Au détour d’un amendement voté vendredi dernier, les lycées ont même été ajoutés à la liste de ces projets. Va-t-il falloir les construire en hauteur ?
Autre bizarrerie de ZAN 3 : la garantie rurale est étendue à une deuxième décennie, ce qui nous amène tout de même à 2044 !
M. Olivier Paccaud. Tant mieux !
M. Ronan Dantec. Ainsi, je résume : malgré l’absence d’objectif coercitif à dix ans, malgré la reconduction des droits à artificialiser pour vingt ans, les auteurs de la proposition de loi nous assurent que l’objectif final de zéro artificialisation nette en 2050 sera défendu mordicus. Non, mais vous êtes sérieux ? (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Alors que la loi ZAN 3 autoriserait la consommation de 20 000 hectares par an jusqu’au milieu des années 2040, il faudrait ensuite, quasiment du jour au lendemain, passer à zéro au cours des cinq années suivantes ? Strictement personne n’y croit !
Ce texte ne prévoit d’ailleurs aucune disposition pour accompagner financièrement les territoires, ce qui est pourtant fondamental. Un groupe de travail a bien été constitué sur ce sujet, mais il n’a pas rendu sa copie, c’est embêtant.
C’est à se demander s’il n’était pas plus facile, finalement, de détricoter le ZAN que de défendre des réformes fiscales territoriales ambitieuses modulant enfin pour les collectivités des ressources trop liées à leur propre artificialisation, sans prime à la sobriété.
Nous espérons néanmoins que la proposition de loi ZAN 3 sera très largement revue par l’Assemblée nationale, voire qu’elle n’y sera pas reprise, et que l’objectif à dix ans que le ministre a défendu – c’est la véritable priorité – sera préservé.
Nous étions disposés à accepter un compromis et une loi simplifiée. J’avais même proposé, lors de l’examen de la proposition de loi ZAN 2, qu’on en reste à un décompte des Enaf plus simple a priori pour les élus locaux.
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. C’est ce que nous avons fait !
M. Ronan Dantec. C’est ce qui est proposé ici, mais de manière tellement embrouillée, avec des enveloppes urbaines au pluriel, qu’on n’y comprend finalement plus grand-chose.
En tout état de cause, le compromis n’était pas votre mandat : il fallait en finir avec le ZAN.
Il y a pourtant urgence. Le coût des inondations en France s’élève aujourd’hui à 5 milliards d’euros et nous savons tous quel est l’impact de l’artificialisation sur le grand cycle de l’eau.
Vous avez fait de la souveraineté alimentaire un cheval de bataille, mais vous l’avez laissé ici à l’écurie. (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Pour nous, en revanche, ces objectifs restent prioritaires. Nous faisons aussi confiance aux élus locaux pour mettre en œuvre des lois ambitieuses.
M. le président. Il faut conclure !
M. Ronan Dantec. Nous voterons donc, monsieur le président, contre cette proposition de loi ZAN 3. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Christian Redon-Sarrazy, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christian Redon-Sarrazy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est difficile de se dire satisfait du texte qui sera soumis à notre vote dans quelques instants : en lieu et place d’une simplification, ce projet de loi prévoit un détricotage porteur d’insécurité juridique.
Les sénateurs du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont particulièrement conscients des difficultés de mise en œuvre de l’objectif de zéro artificialisation nette.
Je rappelle que dès l’examen du projet de loi Climat et résilience, nous avions émis de fortes réserves sur la méthode qui avait été proposée. De ce fait, nous avons suivi les assouplissements du ZAN et travaillé sur chaque étape pour améliorer sa mise en œuvre et faciliter la tâche des élus.
Pour autant, l’assouplissement n’est pas la révision, encore moins l’abandon, j’insiste sur ce point, de tout objectif intermédiaire chiffré. Or le texte issu des travaux du Sénat emprunte clairement cette voie et nous ne pouvons pas l’accepter.
Dans leur immense majorité, les élus locaux se sont déjà engagés dans une démarche de sobriété foncière. Les trois quarts des régions ont ainsi déjà modifié leur Sraddet, ce qui représente deux ans de travail, en concertation directe avec les communes et leurs élus, et nécessite la mobilisation de moyens financiers considérables.
Pour notre part, nous souhaitions assouplir sans dénaturer. C’est la raison pour laquelle nous proposions de réintroduire un objectif intermédiaire de réduction de 50 % de la consommation pour tous et de reporter l’objectif de 50 % de réduction d’Enaf au 31 décembre 2034.
Le texte issu des travaux du Sénat décale la période intermédiaire à 2024-2034, mais conserve la période de référence 2011-2021, afin de ne pas pénaliser les collectivités déjà engagées dans la trajectoire. Les élus attendent, il est vrai, de la stabilité juridique.
Toutefois, en revenant sur l’objectif intermédiaire et national de réduction de 50 % de la consommation d’espaces ou en donnant la possibilité aux communes de s’écarter des enveloppes foncières fixées, la proposition de loi prévoit exactement le contraire : elle laissera une plus grande marge de manœuvre aux services de l’État, ouvrira la voie à des ruptures d’équité territoriale et risque de placer de nombreuses communes dans une situation d’insécurité juridique. En un mot, elle compromet l’atteinte de l’objectif ZAN en 2050.
Les élus attendent un accompagnement spécifique et une adaptation de la fiscalité, chantiers que le Gouvernement a laissés en friche depuis l’adoption de la loi Climat et résilience, en dépit de ses promesses récurrentes.
Preuve de sa mauvaise volonté, il a systématiquement rejeté, lors des examens budgétaires successifs, les propositions constructives que nous n’avons eu de cesse de formuler, qu’il s’agisse de la réforme de la taxation des plus-values de terrains nus rendus constructibles, de la hausse de la taxe d’aménagement pour renforcer la mission d’ingénierie des conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE), de la création d’un fonds pour la réhabilitation du bâti rural ancien ou encore de l’accompagnement des communes pour identifier leurs friches.
Ces manques ne seront pas compensés, malheureusement, par les quelques apports positifs que nous avons pu arracher à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi en séance publique.
Certes, la notion d’Enaf désormais retenue, sur laquelle nous avons finalement pu nous accorder, même si elle est discutable, est mieux maîtrisée par les élus locaux, mais elle ne permet pas de prendre en compte la fonctionnalité des sols.
Le groupe socialiste a donc proposé et fait adopter l’expérimentation d’un diagnostic de la qualité et de la santé des sols avant toute modification ou révision des documents d’urbanisme et de planification.
Cet outil de diagnostic sera mis à disposition des élus locaux, qui pourront ainsi mieux évaluer la portée de leurs choix urbanistiques et les faire évoluer en conséquence.
Grâce à nos amendements, les projets vertueux ou favorisant la transition énergétique seront valorisés dans la territorialisation des enveloppes foncières, et les collectivités seront mieux informées sur les outils d’ingénierie existants en matière de sobriété foncière et de préservation des sols.
Reste en suspens l’article 4 sur le « compté à part », qui ne nous satisfait pas. Il liste en effet de nombreuses opérations de construction qui ne seront pas comptabilisées, exceptionnellement, comme de l’artificialisation pendant quinze ans. Notre proposition visant à réduire ce délai à dix ans a été rejetée en séance publique.
Nous avions également demandé la suppression de l’article 5, qui remet en cause le mode de gouvernance du ZAN, ainsi que la prescriptibilité du Sraddet. Il introduira de la confusion alors que la rédaction actuelle permet déjà aux territoires d’adopter l’organisation de leur choix et de territorialiser les enveloppes foncières.
Enfin, l’actuel article 6 sur la mutualisation de la garantie de développement communal gagnerait à être amélioré afin d’éviter un « surgel » foncier.
Quelques pistes ont été ouvertes au cours de nos débats.
D’une part, l’impérieuse nécessité d’un meilleur dialogue entre les collectivités et les services déconcentrés de l’État a été abordée, afin d’éviter les divergences d’interprétation. Les décisions mal comprises et apparaissant déconnectées du terrain contribuent en effet à la crispation dans les territoires.
D’autre part, la mise en œuvre de politiques incitatives de renaturation ou de réutilisation des friches, notamment des friches agricoles amiantées, est une autre piste intéressante.
Mes chers collègues, loin d’être une contrainte supplémentaire et inutile, le ZAN constitue un enjeu de structuration majeure pour l’avenir de nos territoires. Il est le fondement d’une nouvelle façon de penser l’aménagement – et même le « ménagement », pourrait-on dire – du territoire, ainsi que le développement local.
Vider les indispensables politiques publiques de leur substance, nier la réalité du changement climatique, nier notre retard pour y faire face, sont des attitudes irresponsables compte tenu de l’impératif de préservation de nos territoires, mais aussi à l’égard des futures générations qui y vivront.
Aussi, le choix hautement révélateur qui a été fait de ne pas conserver l’objectif intermédiaire chiffré, et donc de refuser la moindre contrainte, nous conduit à ne pas voter ce texte, comme il ne nous avait pas permis, déjà, de le cosigner.
Cette proposition de loi ne donnant pas aux élus les réponses et les moyens nécessaires pour mettre en œuvre de manière efficace et cohérente le ZAN, nous choisissons de nous abstenir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Aymeric Durox, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Aymeric Durox. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi Climat et résilience du 22 août 2021 est le parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire en matière législative, c’est-à-dire se soumettre à une idéologie, imposer sans dialoguer avec les parties prenantes et uniformiser les règles au détriment d’une approche contextuelle par territoire.
En effet, même si la France est en réalité un pays peu densément peuplé, même si son étalement urbain est bien moindre comparé à celui de nos voisins, même si notre pays fait partie des plus vertueux en matière d’émission de CO2, notamment grâce au nucléaire – je me réjouis de rappeler ces éléments factuels –, il n’en demeure pas moins que l’objectif de sobriété foncière fait l’objet d’un consensus.
Toutefois, sobriété foncière ne veut pas dire interdiction de consommer du foncier.
Dans notre pays aujourd’hui, il nous faut construire davantage de logements, comme la crise immobilière, qui n’en est qu’à ses prémices, nous le rappelle. Pour autant, nous ne voulons plus faire vivre nos concitoyens les uns sur les autres.
Il nous faut en finir définitivement avec ces grands ensembles datés des années 1960 : les tours de quinze étages ne sont évidemment pas l’avenir. Remplacer, dans un centre bourg, une maison briarde par un collectif de dix logements sur deux étages, ce n’est ni l’avenir ni respectueux du patrimoine.
Au Rassemblement national, nous pensons que la politique du logement doit répondre aux aspirations des Français, confirmées sondage après sondage depuis de nombreuses années : devenir propriétaire d’un pavillon, disposer d’un bout de jardin et être relié à des infrastructures de transport performantes. Les Français attendent aussi une relocalisation des bassins d’emplois permettant de lutter contre la métropolisation à outrance.
La loi communément appelée ZAN a plusieurs défauts. Elle n’a été préparée ni avec les élus locaux ni avec nos concitoyens. Elle est donc vécue comme une démarche descendante s’imposant aux territoires, d’application immédiate, sans prise en compte des problématiques locales, sans mécanisme juridique ou fiscal compensatoire, alors que la fiscalité locale est justement affectée d’un biais artificialisant.
Pourquoi ne pas faire confiance à nos maires, à nos établissements publics et à nos foncières qui, chaque jour, aménagent des quartiers à taille humaine, où il fait bon vivre ?
J’invite tous les élus ici présents, adeptes de l’interdiction et de l’écologie punitive, à venir dans mon département de Seine-et-Marne pour visiter, par exemple, la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, où les élus de tous bords politiques travaillent avec l’aménageur d’État et les constructeurs.
Ils y verront que l’aménagement urbain rime avec qualité de vie et préservation de nos espaces naturels. Ils y verront aussi l’absurdité du modèle promu par la loi ZAN : tandis que l’on détruit à Meaux, à juste titre, les tours du quartier de Beauval, on densifie et on construit toujours plus haut à quelques kilomètres de là.
Dans la vraie vie, les documents d’urbanisme de nos collectivités prévoient déjà des compensations écologiques, des surfaces minimales d’espaces ou d’îlots verts par programme immobilier. On déploie de plus en plus la géothermie et d’autres sources d’énergies renouvelables locales.
En un mot, nous préférons les encouragements de ce texte plutôt que les interdits dignes de l’âge de pierre de la loi de 2021.
C’est pourquoi, mes chers collègues, les sénateurs du Rassemblement national voteront cette proposition de loi. Ce texte a le mérite d’être davantage pragmatique et de tenir compte de l’avis de nos élus, qui sont ancrés dans leur époque et veillent par conséquent à aménager leurs territoires en préservant l’environnement. (M. Stéphane Ravier applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Jean Rochette, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Jean Rochette. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où l’on s’interroge sur le nombre important de maires ne souhaitant pas se représenter aux élections municipales, ce texte est une bouffée d’air frais. Que ses auteurs et ses rapporteurs en soient remerciés !
De toute évidence, le ZAN était rédhibitoire pour les élus locaux. Nous nous réjouissons donc que le Sénat ait pu faire entendre sa voix et porter celle des élus.
À titre personnel, j’ai malgré tout un regret : que nous n’ayons pas réussi à prendre en considération la spécificité des communes de moins de 1 000 habitants en déprise démographique. En effet, cette typologie de communes mériterait un traitement différencié.
Nos textes successifs s’imposent à nos maires ruraux bien souvent comme une contrainte. Comment peut-on dire à un maire rural qu’il ne doit pas consommer de foncier, alors qu’il perd sa jeune population, ses artisans, ses écoles et ses commerces, en un mot tout ce qui fait la vie d’une commune, uniquement parce qu’il ne dispose plus de surface constructible pour répondre à la demande ?
De mon point de vue, les élus des communes de moins de 1 000 habitants en déprise devraient avoir, je le répète, une plus grande liberté d’action à cet égard.
Plus généralement, ce texte est bon, mais attention, il me semble indispensable de bien expliquer aux élus des territoires que les objectifs de réduction de consommation foncière à l’horizon de 2050 sont maintenus, le risque étant qu’ils perçoivent un message tronqué. Oui, cette proposition de loi constitue une réelle avancée ; non, elle n’est pas la porte ouverte à un retour à une consommation effrénée de foncier.
Si l’objectif de 2050 inscrit dans la loi Climat et résilience est indispensable, il faut pour l’atteindre pouvoir s’adapter aux réalités de terrain. Soyons pragmatiques ! Nous ne pouvons pas en rester à une logique généraliste, théorique et purement descendante. Il est impératif de partir des territoires et de leurs spécificités dans une logique ascendante, qui place les élus locaux et le bloc communal en tête.
Ces derniers, toujours en première ligne, se heurtent constamment à des injonctions contradictoires : on leur demande de mettre fin à l’artificialisation des sols, mais de relancer l’industrialisation du pays ; de renforcer la souveraineté alimentaire, mais de considérer les bâtiments agricoles comme de l’artificialisation ; de limiter la construction, mais d’augmenter l’offre de logements sociaux ; de protéger l’environnement, mais de freiner le développement des infrastructures liées à la production d’énergies renouvelables.
Nous refusons les règles qui créent des territoires à deux vitesses, accélérant le développement de certains et freinant celui des autres. Qu’il s’agisse de pôles urbanisés ou de territoires ruraux, tous doivent pouvoir mener une politique de développement adaptée.
Pour cela, il est crucial de renforcer le bloc communal au sein de la gouvernance des politiques de sobriété foncière. Les élus doivent être replacés au cœur des décisions pour garantir un aménagement équilibré et pertinent de leurs territoires.
Nous avons une responsabilité collective, celle d’assurer un avenir durable à nos territoires sans sacrifier leur dynamisme et leur attractivité. Ensemble, trouvons un équilibre juste et efficace pour que chaque territoire puisse bâtir son avenir sereinement et durablement.
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera ce texte, auquel il est très favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Emmanuel Capus. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme la rapporteure applaudit également.)
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, il me paraît essentiel de rappeler quelques chiffres sur lesquels s’appuie le travail que nous avons entrepris depuis quelques mois, ma collègue Amel Gacquerre et moi-même en tant que corapporteurs, sur cette proposition de loi essentielle pour nos collectivités territoriales.
Plus des deux tiers des élus locaux sont engagés en faveur de la sobriété foncière sur leur territoire. Trois quarts des élus estiment que leurs préoccupations sont insuffisamment prises en compte dans l’élaboration des objectifs régionaux de réduction de l’artificialisation.
Quatre ans après la loi Climat et résilience, le constat est clair : les objectifs fixés en matière d’artificialisation des sols sont impossibles à atteindre.
Ces chiffres et ces faits ont guidé notre travail, mais aussi celui qu’ont mené depuis quelques années les auteurs de la proposition de loi, Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier, qu’il convient ici de remercier. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP.)
Grâce au travail de la mission qu’ils ont coprésidée, nous avons la possibilité de faire évoluer un texte assurément trop contraignant pour nos élus locaux.
Je tiens à remercier mes collègues qui ont été à l’écoute de nos territoires, pour qui l’acronyme ZAN fait l’effet d’un véritable repoussoir.
Nous passons aujourd’hui du ZAN, le zéro artificialisation nette, à la Trace, la trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux, de l’impossibilité à mettre en œuvre des objectifs imposés d’en haut par l’État à la mise en place concertée et possible d’une sobriété foncière soutenable pour nos collectivités.
En passant du ZAN à la Trace, nous redonnons des moyens d’action à nos territoires, car le Sénat est la voix des territoires.
En effet, les dispositions de la loi Climat et résilience, qui fixaient un double objectif de réduction de moitié de l’artificialisation des sols au cours de la période 2021-2031 et de zéro artificialisation nette à l’échelon national en 2050, n’ont fait l’objet d’aucune véritable étude d’impact et leur déclinaison territoriale n’a pas été suffisamment anticipée.
Aussi, nos élus locaux vivent cette loi comme une marche forcée vers une sobriété foncière, même si deux tiers d’entre eux déclarent reconnaître sa nécessité.
Il n’y a que vous, monsieur Dantec, pour tenir un tel discours politicien et être sourd et aveugle aux inquiétudes des élus des territoires ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP – M. Ronan Dantec s’exclame.)
En 2023, une première initiative sénatoriale avait permis de lever certains blocages, notamment en décalant les dates de modification des documents de planification et d’urbanisme ou encore en introduisant une garantie de développement rural.
Les discussions en commission et en séance publique nous ont conduits à adopter des mesures essentielles.
Ainsi, les opérations artificialisantes au sein de l’enveloppe urbaine et dans les « dents creuses » ne doivent pas être comptabilisées comme des consommations d’Enaf. Par ailleurs, il est possible de déduire les opérations de renaturation de la consommation d’Enaf.
Ensuite, et c’est une autre mesure essentielle de cette proposition de loi, l’objectif d’une réduction de 50 % de la consommation d’Enaf en 2031 a été supprimé. À la place, le Sénat a décidé que des objectifs intermédiaires, compatibles avec l’objectif de zéro consommation nette d’Enaf en 2050, seront fixés dans les Sraddet, ainsi qu’un objectif chiffré en 2034, lequel sera librement défini en fonction des réalités locales et après concertation au sein des conférences de sobriété foncière.
Pour autant, les régions qui ont déjà élaboré leur Sraddet en se fondant sur les dispositions législatives actuelles n’ont aucune obligation de le modifier, sachant que l’objectif de réduction de l’artificialisation sera atteint.
Nous saluons le report des dates limites de modification des documents d’urbanisme pour y intégrer les objectifs de sobriété foncière, ainsi que la possibilité d’obtenir du préfet un délai supplémentaire de deux ans, sur demande motivée.
Les implantations industrielles, y compris leurs raccordements électriques, les logements sociaux des communes carencées au titre de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU), les implantations d’énergies renouvelables, les postes électriques d’une tension supérieure à 63 kilowatts ou encore les constructions nécessaires aux services publics d’eau et d’assainissement seront exclus du décompte de l’artificialisation et ne seront pas comptabilisés comme de la consommation d’Enaf jusqu’en 2036.
Le texte prévoit également un droit supplémentaire à construire de 0,5 hectare par hectare de friche requalifiée, y compris lorsqu’il s’agit de bâtiments agricoles amiantés, ainsi que la sortie des Pene des consommations d’Enaf des collectivités et l’obligation pour l’État d’élaborer une stratégie de sobriété foncière pour ces projets. Il sécurise les « coups partis », soit la consommation d’Enaf résultant de constructions réalisées dans le cadre des zones d’aménagement concerté (ZAC) autorisées avant 2021 : ces constructions seront imputées non pas sur la période 2021-2031, mais sur la période 2011-2021.
Par ailleurs, la mise en œuvre de la mutualisation de la garantie de développement communal d’un hectare au sein de l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) sera facilitée, afin d’éviter les phénomènes de gel de foncier. Cette mesure, déjà très importante dans la loi ZAN 2, est significativement améliorée. La garantie de développement communal a constitué une réelle bouffée d’oxygène pour les communautés rurales menacées d’être privées de toute capacité d’artificialisation. Or la rigidité de sa mise en œuvre et son application homogène sur tout le territoire ont abouti à des situations de gel foncier.
Enfin, il est fondamental de mieux associer les collectivités locales à la fixation des objectifs régionaux et de leur redonner de la latitude pour les atteindre. À cet effet, nous avons modifié la composition des conférences régionales de gouvernance, afin d’y assurer la prééminence des représentants des collectivités locales. Nous leur donnons également le pouvoir de contraindre la région à reconsidérer ses objectifs de réduction de l’artificialisation. Redonner du pouvoir et de la libre administration à nos élus est un impératif. Le Sénat l’a entendu !
En conclusion, je rappelle qu’il est urgent de modifier une législation et une réglementation qui empêchent nos communes rurales de se développer et entravent par des contraintes inadmissibles leur liberté d’action.
Je remercie encore les auteurs de cette proposition de loi, Jean-Baptiste Blanc et Guislain Cambier, de leur travail remarquable, ainsi qu’Amel Gacquerre, corapporteure, et Daniel Gueret, rapporteur pour avis. Nous avons travaillé dans un excellent esprit de collaboration, sous l’œil vigilant et bienveillant de la présidente de la commission des affaires économiques, Dominique Estrosi Sassone. Enfin, je vous remercie, monsieur le ministre, de votre écoute et de votre esprit de conciliation constructif.
Faisons à présent confiance à nos élus de terrain et à leur sens des responsabilités pour mettre en œuvre cette Trace de bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette fois encore, nous avons l’occasion de démontrer l’utilité du Sénat, celle d’une institution de proximité, attentive au quotidien des élus et en prise avec les réalités locales.
Depuis bientôt quatre ans, qui dans cet hémicycle n’a jamais été interpellé par un élu local sur le ZAN ?
Comme je le soulignais en discussion générale, l’intention était louable sur le papier, mais force est de constater que la mise en place du ZAN a été chaotique pour les élus.
Il devenait donc nécessaire de retravailler ce dispositif et je remercie les auteurs de la présente proposition de loi : ils nous ont permis de débattre du ZAN et de son évolution pendant de longues heures, en commission comme en séance publique.
Disons-le d’emblée, le groupe RDPI votera ce texte. Nous considérons en effet que la version du texte résultant de nos débats permet d’ajuster le ZAN et de le rendre conforme à ce que nous souhaitons qu’il soit : un outil intelligent et adapté aux réalités locales.
Les régions pourront ainsi désormais définir leur propre trajectoire de sobriété foncière et fixer le palier sur lequel elles souhaitent s’engager d’ici à 2034.
Grâce à l’adoption d’un amendement de compromis présenté par notre collègue rapporteure Amel Gacquerre, le premier des objectifs intermédiaires de réduction de la consommation d’Enaf, qui sera fixé dans les documents régionaux de planification, devra porter sur la période 2024-2034.
En d’autres termes, l’objectif de réduction intermédiaire sera fixé à l’échelle de chaque région, de manière différenciée, et non plus de manière uniforme pour l’ensemble des régions couvertes par un Sraddet, en concertation avec les régions et les représentants des élus locaux, dans le cadre de la conférence régionale de sobriété foncière.
Selon moi, ce compromis permet d’aboutir à un équilibre : les élus bénéficieront ainsi d’une plus grande souplesse et l’objectif de zéro artificialisation nette en 2050 sera préservé, ce qui constitue un signal important. Cette logique de territorialisation est bienvenue : elle privilégie les besoins et les projets des collectivités territoriales au lieu d’imposer un seul et unique seuil. Il a été suffisamment question, me semble-t-il, de différenciation ces dernières années dans cet hémicycle pour que nous puissions la saluer.
Si nous avons décidé de voter ce texte, c’est aussi parce que le dispositif qu’il prévoit a été repensé, à raison, à l’aune des enjeux de la transition énergétique.
Cette mise à jour était selon moi nécessaire : à quoi bon lutter contre le dérèglement climatique en limitant l’artificialisation des sols si cela se fait au détriment de l’installation d’outils qui nous aideront également à relever le défi climatique ?
En ce sens, je considère que la nouvelle méthode de comptabilisation pour mesurer le ZAN au moyen du décompte Enaf sera plus compréhensible et mieux adaptée aux enjeux de notre siècle.
Je pense ainsi à l’amendement que j’ai défendu et qui a été adopté en commission visant à exclure du décompte de la consommation d’Enaf les infrastructures de production d’énergies renouvelables, et ce jusqu’en 2036.
Je pense aussi, bien évidemment, à la mesure défendue par ma collègue Nadège Havet visant à exclure durant quinze ans la production d’hydrogène vert du décompte de la consommation d’Enaf.
La décarbonation du mix énergétique et la sobriété foncière ont les mêmes objectifs : lutter contre le dérèglement climatique et renforcer notre souveraineté énergétique.
De plus, le texte permet d’exclure des décomptes locaux et régionaux d’Enaf les surfaces nécessaires aux aménagements, équipements et logements connexes aux projets d’envergure nationale et européenne portés par des collectivités. Cela peut être le cas, par exemple, des logements temporaires et des parkings utilisés par les personnes travaillant sur le chantier de construction d’un réacteur nucléaire.
L’article 4 quater ajouté en séance publique permettra aux plateformes de recyclage des déchets d’être considérées comme des projets d’envergure régionale ou des projets d’intérêt intercommunal. Nous devons porter une attention particulière à ce type d’installations pour mieux préparer l’avenir.
Toujours est-il que ce mode de comptabilisation, connu et compris des élus locaux, leur permettra demain de mieux piloter leur artificialisation au travers des documents d’urbanisme et d’assurer un suivi en temps quasi réel des consommations foncières.
Enfin, notre groupe votera ce texte parce qu’il permet d’assouplir le ZAN grâce au report des dates butoirs des documents d’urbanisme tels que les schémas de cohérence territoriale (Scot), les plans locaux d’urbanisme intercommunal (PLUi) et les cartes communales.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, notre groupe votera cette proposition de loi.
Pour conclure, je dirai un mot sur les nombreuses approximations que j’ai lues et entendues sur nos débats sur ce texte, dont on a dit à tort qu’il était un retour en arrière. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe GEST.)
M. Yannick Jadot. Oh ! Qui a bien pu dire cela ? (Rires sur les travées du groupe GEST.)
M. Bernard Buis. Non, nous ne revenons pas en arrière ! Ce texte vise non pas à remettre en cause le ZAN, mais à le rendre applicable et à l’adapter aux réalités locales. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques. Très bien !
M. Bernard Buis. Tel est l’état d’esprit qui anime le Sénat, dans l’intérêt des élus locaux et de nos concitoyens. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’il soit positif ou négatif, rien n’est plus délicat qu’un vote qui s’effectue avec quelques regrets.
Je le dis avec sincérité : cette proposition de loi méritait d’être abordée avec sérénité, ce qui est loin d’avoir été le cas des échanges qui ont ponctué l’examen de l’article 2…
Le ZAN, ce tristement fameux objectif de zéro artificialisation nette des terres naturelles, agricoles et forestières à l’horizon 2050, qui a été imposé par la loi Climat et résilience d’août 2021, tourmente les élus locaux chargés de sa mise en œuvre.
Que n’a-t-on pas entendu à son propos ? On l’a qualifié d’aberration, de casse-tête, de machine à mettre les collectivités en porte-à-faux, alors qu’elles sont déjà soumises à des injonctions contradictoires.
En effet, s’il faut beaucoup moins bétonner, il faut aussi réindustrialiser, aménager les territoires et surtout construire des logements. En Provence-Alpes-Côte d’Azur, pour ne parler que de ma région, il faudrait construire chaque année 30 000 logements, mais 20 000 à peine sortent de terre. Je pourrais ainsi multiplier les exemples à l’infini.
Cette levée de boucliers de la quasi-totalité des maires est compréhensible, car la version initiale du ZAN est trop radicale, insuffisamment attentive et adaptée aux réalités de chaque territoire. Elle est technocratique, bureaucratique, alors que les choix auxquels sont confrontés les élus et les décideurs appellent du pragmatisme.
Évidemment, changer les habitudes en matière d’aménagement et d’urbanisme représente une mutation aux allures de révolution culturelle. Mais celle-ci est nécessaire, et pour qu’elle s’effectue sans fracture, il est vital de prendre en compte les contraintes de chaque territoire.
D’ailleurs, la loi visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols et à renforcer l’accompagnement des élus locaux, dite loi ZAN 2, qui a été adoptée en 2023 sur l’initiative du Sénat, a ouvert le chemin en prévoyant quelques avancées notoires.
Les adaptations à mettre en œuvre doivent permettre aux élus de ne plus être soumis à un casse-tête administratif. Dans ce domaine, la pédagogie et la mesure sont des éléments essentiels.
Lors de la discussion générale et au cours des débats sur les articles de ce texte, le groupe du RDSE a rappelé la nécessité de trouver un point d’équilibre : il convient d’assouplir la trajectoire tout en conservant des repères crédibles.
Sur ces deux points, le résultat n’est pas totalement satisfaisant, même si nous pouvons nous féliciter de l’adoption de certains assouplissements bienvenus. Nous comptons sur la navette parlementaire pour que ce texte soit encore amélioré et pour parvenir, idéalement, je le répète, au bon point d’équilibre.
C’est avec l’esprit constructif qui les caractérise que les membres du groupe du RDSE ont voté les mesures qui visent à libérer la capacité d’action des élus locaux, telles qu’elles sont prévues aux articles 1er, 3, 4, 5 et 6.
Nous jugeons que les innombrables critiques que j’ai sommairement résumées traduisent les incompréhensions qui apparaissent quand les élus, les décideurs et les habitants sont confrontés à la difficile mutation qu’impose le passage de l’ivresse du mètre carré artificialisé à l’indispensable sobriété foncière.
Certains, cédant à un excessif désir de déréglementation, imaginaient supprimer la trajectoire de sobriété foncière.
Les sénateurs du groupe du RDSE ont pris garde de ne pas se laisser séduire par ces sirènes et ont privilégié une approche territorialisée.
L’article 2 fixe finalement un jalon intermédiaire dans cette trajectoire en 2034. C’est un compromis raisonnable. Il a été obtenu de haute lutte, au terme de débats crispés. Cela montre que la prise de conscience des efforts à accomplir pour s’engager sur le chemin de la transition environnementale reste fragile.
Ce report est une bonne manière de laisser du temps au temps pour procéder aux adaptations nécessaires, mais il ne doit pas devenir le prétexte pour différer indéfiniment des modifications indispensables dans notre consommation d’espaces naturels.
Il me paraît raisonnable, même si cela l’est moins pour d’autres sénateurs, je le reconnais, de permettre aux régions de définir des objectifs différenciés de réduction de la consommation d’espaces agricoles, naturels et forestiers, pour la période 2024-2034, par la voie des schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires.
De même, le rôle de la conférence régionale de gouvernance de la sobriété foncière sera renforcé.
Je relève, par ailleurs, que la pérennisation de la méthode aujourd’hui utilisée pour mesurer l’artificialisation permettra aux élus de conserver une certaine forme de souplesse.
Espérons, néanmoins, que toutes ces dispositions ne se dilueront pas dans une nouvelle mécanique, nous faisant perdre de vue les objectifs initiaux de la loi Climat et résilience.
Avant de conclure, je note qu’en commission et lors du débat en séance publique, seuls deux amendements du groupe du RDSE ont été adoptés.
Ils visent, d’une part, à exclure, pendant une période de quinze ans, les raccordements électriques des implantations industrielles du décompte de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers, et, d’autre part, à mutualiser, à l’échelle régionale, le décompte des aires d’accueil de gens du voyage. Je me réjouis de leur adoption.
Toutefois, les autres amendements que nous avons déposés ont été rejetés : loin pourtant de répondre à des préoccupations idéologiques, ils relevaient d’un pragmatisme évident. Ils étaient portés par une volonté de ne pas pénaliser les collectivités souhaitant mettre en place des projets d’aménagement d’intérêt général. Il ne s’agissait nullement de remettre en cause les légitimes ambitions de la loi quant à la nécessaire trajectoire de sobriété foncière.
Que des querelles politiques brouillent la réécriture d’un texte, c’est, somme toute, vieux comme le monde, et c’est bien là mon principal regret.
Si nous n’avons pas été suffisamment écoutés, je me félicite que ce texte réécrit introduise un certain nombre de dispositions visant à prendre davantage en compte les réalités locales, sans toucher à l’objectif de zéro artificialisation nette en 2050.
Aussi, en dépit des réserves que je viens d’exprimer, les membres du groupe du RDSE, faisant preuve de leur bienveillance légendaire (Sourires.), voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Guislain Cambier, pour le groupe Union Centriste. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées des groupes INDEP et Les Républicains.)
M. Guislain Cambier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer nos rapporteurs et à souligner la qualité de leur travail.
Je vous remercie ensuite, mes chers collègues, au nom de tous les maires, ruraux comme urbains, des élus des territoires et des acteurs économiques et sociaux : merci de leur avoir redonné la main et de leur avoir rendu leur liberté. Merci d’avoir ébréché l’étouffoir de la norme qui asphyxie le pays.
Là où les idéologues capitalisent sur la peur, vous avez choisi la confiance. Là où les planificateurs veulent corseter le pays en lui infligeant des mécanismes de contrôle, vous avez opté pour le contrat.
Les débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle ont montré la césure entre, d’un côté, les réactionnaires, qui n’ont comme seul objectif que de préserver leur matrice intellectuelle, leur chasse gardée technocratique, leurs méthodes coercitives, et, d’un autre côté, les partisans du camp du progrès, qui croient à la capacité de l’homme à se renouveler, à innover, à construire son avenir. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
Non, ce n’était pas mieux avant !
En adoptant cette trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus, vous ne faites pas que corriger les errements des tenants d’une vision, vous ouvrez la voie à la réconciliation et à l’apaisement dans notre pays.
Vous avez défini un discours de la méthode, dont la colonne vertébrale est le dialogue. Cette faculté de parole retrouvée, nous voulons l’accorder à toutes nos collectivités territoriales, de la commune de montagne à la métropole littorale.
Leurs élus portent des projets qui s’appuient sur la vision et la connaissance fine qu’ils ont de leur territoire. Ils ne méconnaissent pas les errements du passé. Ils savent ce qui est nécessaire dans leur circonscription. C’est tout le sens de ce contrat avec l’État, défini à une échelle où l’on se connaît et où l’on se respecte.
Le travail collectif et le partage d’informations ont permis de poser un diagnostic honnête. Je tenais à remercier les membres du groupe de suivi des politiques de réduction de l’artificialisation des sols du Sénat, qui sont issus de tous les horizons politiques, ainsi que les différentes commissions du Sénat, qui ont permis la réalisation de ce travail de synthèse et de proposition.
Avec Jean-Baptiste Blanc, mon cher binôme (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC.), nous continuons nos pérégrinations sur tout le territoire, afin de construire avec tous le meilleur chemin vers cette nécessaire sobriété foncière.
Depuis l’Aveyron jusqu’à la Meuse, du Morbihan jusqu’au Gers,…
Mme Nathalie Goulet. Jusqu’à l’Orne !
M. Guislain Cambier. … du Nord jusqu’au Jura,…
M. Jacques Grosperrin. Jusqu’au Doubs !
M. Guislain Cambier. … en passant par la Corse,…
M. Loïc Hervé. Et la Haute-Savoie !
M. Guislain Cambier. … de tous les départements monte une aspiration. Nous sommes prêts.
Les élus locaux ont intégré – c’est leur rôle – les contraintes et les aspirations de leurs concitoyens. En partant de leurs projets, dès lors que l’État est à leurs côtés et non pas en face, nous pouvons dessiner un véritable aménagement du territoire.
Trente-cinq amendements émanant des différentes travées de l’hémicycle ont été adoptés et ont nourri le texte originel. C’est la preuve que, au Sénat, nous savons écouter, construire et progresser ensemble. Nous poursuivrons dans cette voie. Je ne peux qu’être confiant concernant la suite du parcours parlementaire de ce texte.
Nous avons clarifié et pérennisé l’outil de calcul de l’artificialisation, afin de créer la confiance : au moins, nous partageons tous les mêmes données.
Aux termes du code civil, une loi ne peut être rétroactive. Le simple respect du droit et de la réalité nous conduit donc à faire démarrer le compteur de la trajectoire en 2024. Afin de fixer une perspective, nous proposons d’instaurer une clause de revoyure en 2034.
Il serait donc malhonnête et mensonger de prétendre que nous détricotons le texte initial pour renoncer à l’objectif final. Nous faisons en sorte que chacun puisse exercer ses responsabilités, à commencer par l’État. Il est de son ressort d’assurer l’équilibre du territoire en proposant des projets d’aménagement. Il est donc logique qu’il s’applique la même règle que celle qui vaudra pour les collectivités et qu’il cherche à faire en sorte que la consommation nette d’espaces naturels, agricoles et forestiers soit nulle pour les projets d’envergure nationaux et européens.
Nous devons, par ailleurs, mettre en œuvre la transition énergétique, construire des logements sociaux et réindustrialiser le pays. Il s’agit là de priorités. Ces projets seront donc exclus jusqu’en 2036 du décompte de la consommation d’espaces.
De même, parce que nous veillons à la situation des territoires les plus fragiles, des espaces ruraux qui ont du mal à redonner de la valeur aux friches agricoles, comme en Bretagne, nous leur offrons une solution afin de requalifier leurs friches, en instituant un système incitatif de compensation.
Cette proposition de loi est un texte de solutions !
Mme Dominique Estrosi Sassone, président de la commission des affaires économiques. Eh oui !
M. Guislain Cambier. Les choix en matière d’aménagement du territoire feront l’objet de plus de concertation au sein d’une conférence régionale de gouvernance revisitée, où chacun retrouvera sa place et surtout une voix, afin que le débat soit démocratique, conformément à ce que nous prônons au Sénat.
Cette proposition de loi est aussi un texte de dialogue.
Si chacun s’en saisit, elle offrira des libertés et pourra rendre possibles de nouveaux projets. Le président Pompidou dénonçait déjà le poids de la réglementation. (Marques d’ironie sur les travées du groupe GEST.) Le président Mitterrand a créé le ministère de la simplification. Le Premier ministre Bayrou a annoncé, le 14 janvier dernier, qu’il comptait remettre en cause la pyramide de normes. Passons des paroles aux actes !
Avons-nous réglé tous les problèmes dans le domaine de l’urbanisme ? Non. Nous n’en avions d’ailleurs pas la prétention. Comment simplifier le droit de l’urbanisme pour éviter les contentieux oiseux ? Comment éviter la concurrence fiscale et financière entre les territoires ? Quelles définitions stables devons-nous utiliser ? Quels moyens l’État déploie-t-il pour assurer l’accès de tous à l’ingénierie nécessaire ?
N’oublions pas notre pacte républicain : la loi doit être « la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Mais c’est parce que la loi est comprise qu’elle est acceptée par chacun et que la République s’en trouve fortifiée. Nous voterons donc bien sûr cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains. – M. Henri Cabanel applaudit également.)
M. le président. Il va être procédé dans les conditions prévues par l’article 56 du règlement au scrutin public solennel sur l’ensemble de la proposition de loi visant à instaurer une trajectoire de réduction de l’artificialisation concertée avec les élus locaux dans le texte de la commission, modifié.
Le scrutin sera ouvert dans quelques instants.
Je vous invite à insérer votre carte de vote dans le terminal et à l’y laisser jusqu’au vote.
Si vous disposez d’une délégation de vote, le nom du sénateur pour lequel vous devez voter s’affiche automatiquement sur le terminal en dessous de votre nom. Vous pouvez alors voter pour vous et pour le délégant en sélectionnant le nom correspondant puis en choisissant une position de vote.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 231 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 277 |
Pour l’adoption | 260 |
Contre | 17 |
Le Sénat a adopté.
(Applaudissements nourris sur les travées des groupes Les Républicains, UC et INDEP. – Mme Cécile Cukierman applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires économiques, mesdames, messieurs les rapporteurs, je tiens d’abord à vous remercier de la qualité de nos échanges. Ces derniers nous ont permis tout à la fois d’assouplir le dispositif et d’enrichir le texte initial.
Il est toujours essentiel de rechercher le consensus et le compromis entre les différentes parties si l’on veut faire en sorte qu’une loi soit acceptée, puis une réussite, car, comme le disait Winston Churchill, « si deux hommes ont toujours la même opinion, l’un d’eux est de trop ». Tel n’était pas le cas sur ce sujet, et le Sénat peut s’honorer de la qualité du débat que nous avons eu.
J’ai eu pour ma part grand plaisir, en tant que ministre de l’aménagement du territoire et de la décentralisation, à porter la parole du Gouvernement au cours de l’examen de ce texte par votre assemblée.
Je tiens à saluer et à remercier une nouvelle fois les deux auteurs de cette proposition de loi, les sénateurs Guislain Cambier et Jean-Baptiste Blanc, du bon travail qu’ils ont accompli. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC, RDPI et INDEP.)
Le Gouvernement est attaché, comme le Sénat d’ailleurs, à atteindre l’objectif de zéro artificialisation nette des sols en 2050. (Marques d’ironie sur les travées du groupe GEST.) C’est essentiel pour préserver notre foncier agricole, notre biodiversité, mais aussi pour renforcer notre capacité d’adaptation collective face aux effets du changement climatique.
C’est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs, si le Gouvernement ne partage pas toujours certaines orientations que vous avez défendues lors de l’examen du texte et des amendements, il les a finalement soutenues, dès lors qu’il s’agissait de simplifier davantage.
À titre personnel, je suis, comme vous le savez, très attaché, comme vous l’êtes aussi, à la simplification. Celle-ci est nécessaire afin de faciliter la mise en œuvre des projets destinés à répondre aux enjeux locaux, dont les élus sont toujours les meilleurs connaisseurs.
En effet, le ZAN doit être perçu non pas comme un frein au développement harmonieux de nos territoires, mais plutôt comme un levier permettant de bâtir des politiques d’aménagement plus durables.
Cette proposition de loi, que le Sénat a d’ores et déjà marquée de sa trace, sera examinée par l’Assemblée nationale. Elle y sera enrichie, j’en ai la conviction, dans l’intérêt du développement de nos territoires et de l’amélioration du cadre de vie de nos concitoyens.
L’exercice du débat honore notre démocratie, notamment lorsque les discussions se déroulent dans les conditions qui ont prévalu au Sénat. Je ne doute donc pas que cette proposition de loi sera encore enrichie au cours de son examen à l’Assemblée nationale puis en commission mixte paritaire, afin de mieux servir nos intérêts communs, de préserver les espaces naturels et agricoles et de permettre un aménagement urbain en adéquation avec les grands défis actuels. (Applaudissements sur des travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures trente-cinq, est reprise à quinze heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Sylvie Vermeillet.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sylvie Vermeillet
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive, présentée par Mme Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de ses collègues (proposition n° 298, texte de la commission n° 430, rapport n° 429).
Discussion générale
Mme la présidente. Dans la discussion générale, la parole est à M. Roger Karoutchi, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi, auteur de la proposition de loi. Auteur, c’est beaucoup dire : je ne suis que l’un des cosignataires de cette proposition de loi, Jacqueline Eustache-Brinio en étant à l’origine. Elle vous prie de bien vouloir excuser son absence aujourd’hui – elle sera là la semaine prochaine – en raison d’un problème de santé. Je vais donc me faire son porte-voix au cours de notre débat aujourd’hui et vous lire l’intervention qu’elle a préparée.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la mort, dans des circonstances tragiques, de Philippine, une jeune étudiante au mois de septembre 2024 a mis en lumière les conséquences que peuvent engendrer les failles politiques, administratives et juridiques en matière de lutte contre l’immigration et le séjour illégal.
Le suspect, déjà connu des services de police pour des faits de viol durant sa minorité et sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF), avait été libéré de rétention peu de temps avant la délivrance du laissez-passer consulaire par le pays d’origine, quelques jours avant la mort de Philippine.
L’assassinat de cette jeune fille a provoqué une onde de choc en France et a convaincu le groupe Les Républicains du Sénat de déposer rapidement cette proposition de loi.
L’attaque mortelle de Mulhouse à la fin du mois de février dernier a de nouveau bouleversé la France entière. Le suspect, un Algérien de 37 ans, fiché par les services de prévention du terrorisme et sous OQTF, a tué un passant à l’arme blanche et en a blessé plusieurs autres. L’Algérie avait refusé une bonne dizaine de fois de reprendre cet individu avant qu’il ne commette l’irréparable à Mulhouse.
Monsieur le ministre, ce nouveau drame nous conforte dans notre volonté de rallonger le délai de rétention des étrangers les plus menaçants. N’oublions pas que le placement en rétention avant l’exécution des mesures d’éloignement reste le moyen le plus efficace de les éloigner et de protéger nos concitoyens.
Même si je ne suis pas un grand fanatique des sondages, il est intéressant de rappeler les résultats d’un sondage de l’institut CSA du mois d’octobre 2024 qui révélait que 84 % des Français étaient favorables à l’emprisonnement systématique des étrangers sous le coup d’une OQTF et auteurs de crimes et délits, avant leur expulsion.
La dangerosité notoire de ces étrangers n’a pas à peser sur la vie de nos concitoyens et sur leur sécurité du quotidien, laquelle est déjà tellement dégradée.
Il faudra également trouver une solution pour rendre enfin effectives les obligations de quitter le territoire français, ces fameuses OQTF. Toutefois, ce n’est pas l’objet de cette proposition de loi ; nous aurons l’occasion d’y revenir, monsieur le ministre, notamment s’agissant de l’Algérie.
La rétention fait l’objet d’un encadrement strict, indispensable s’agissant de mesures de privation de liberté. Sa durée normale peut aller jusqu’à un mois. Cependant, le législateur a déjà judicieusement mis en place plusieurs mécanismes de prolongation de la rétention.
Dans les cas où l’étranger a été condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes terroristes ou si la décision d’expulsion est fondée sur des considérations liées à des activités terroristes pénalement constatées, la durée maximale de rétention peut atteindre 180 jours, voire 210 jours à titre exceptionnel.
Comme l’a indiqué dans son rapport notre collègue Lauriane Josende, « ce régime dérogatoire ne concerne à ce jour qu’un nombre très réduit d’individus : d’après le ministère de l’intérieur, […] en 2022, 19, pour une durée moyenne de 93 jours ; en 2023, 41, pour une durée moyenne de 91 jours ; en 2024, 37 pour une durée moyenne de 117 jours ».
Ce dispositif est pleinement conforme au cadre européen ; il est même en deçà des possibilités laissées par celui-ci en termes de durée. Ce cadre européen permet une rétention pouvant aller jusqu’à dix-huit mois, comme c’est le cas en Allemagne.
Il est donc raisonnable et conforme au droit européen d’envisager une prolongation plus importante de la rétention d’un étranger condamné à une interdiction de territoire français en cas d’infraction sexuelle ou violente grave, ou en lien avec le crime organisé, et d’aligner ainsi notre législation sur celle qui est applicable aux individus liés au terrorisme.
Cette mesure donnera des marges supplémentaires aux administrations. Elle leur permettra bel et bien d’éloigner les individus les plus menaçants et de ne pas leur laisser le temps de récidiver, y compris en cas de complications procédurales.
Je rappelle que la commission des lois du Sénat a d’ores et déjà adopté, le 30 octobre 2024, un dispositif similaire lors de son examen de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes.
Un nouvel article prévoyait, en effet, la possibilité de prolonger jusqu’à 180 jours la durée de rétention d’un étranger condamné à une interdiction du territoire pour une infraction sexuelle ou violente grave commise à l’encontre d’un mineur.
Cet ajout fut toutefois supprimé du texte final en séance publique, après un échange avec le Gouvernement, qui soutenait cette initiative, mais préférait qu’elle figure sous une forme amplifiée dans un vecteur législatif spécifique.
L’ensemble du groupe Les Républicains propose par conséquent de réadopter cette mesure, à l’article 1er du texte que nous examinons aujourd’hui, et d’en étendre la portée aux infractions violentes graves commises par des majeurs, ainsi qu’au crime organisé. Cette procédure serait applicable non plus seulement en cas de décision d’interdiction de territoire français, comme cela était initialement envisagé, mais également à la suite d’autres mesures d’éloignement.
Nous proposons également de compléter ce dispositif par une extension des circonstances dans lesquelles l’appel du préfet contre la décision du juge des libertés et de la détention relâchant une personne retenue possède un caractère suspensif. En cas d’appel, il est parfaitement cohérent de maintenir en rétention, pendant la durée de la procédure, les individus menaçants s’étant rendus coupables de ces mêmes infractions sexuelles ou violentes graves qui justifient l’application proposée d’une durée de rétention dérogatoire. C’est l’article 2 de cette proposition de loi.
Je tiens à remercier la rapporteure Lauriane Josende de son approche, qui a utilement fait adopter en commission des amendements visant à étendre et à préciser le champ d’application du régime dérogatoire de l’article L. 742-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda).
Ainsi, les étrangers qui constituent une menace particulièrement grave pour l’ordre public, même lorsqu’ils n’ont pas été condamnés, sont inclus dans ce dispositif. Les faits de provocation ou d’apologie du terrorisme permettent également l’application du régime dérogatoire.
Par ailleurs, l’insertion par la commission d’un article additionnel – l’article 3 – tendant à simplifier le séquençage et les motifs de prolongation de la rétention était également bienvenue, compte tenu des difficultés relevées dans leur mise en œuvre et des erreurs d’interprétation des conditions de prolongation ayant conduit, par le passé, à des libérations prématurées aux conséquences dramatiques.
Comme il est précisé dans le rapport de la commission, « cette modification du séquençage des prolongations ne se traduit pas par un allongement de la durée maximale de la rétention administrative, qui demeure fixée à 90 jours ou, pour le régime dérogatoire, à 210 jours. Elle est en outre sans conséquence sur le plein exercice des droits des personnes retenues, ces dernières disposant de la faculté de solliciter leur remise en liberté à tout moment ».
L’adoption de cette proposition de loi de bon sens et attendue par la grande majorité des Français permettra simplement d’améliorer la sécurité de tous nos compatriotes en plaçant en rétention des étrangers susceptibles de porter atteinte à leur vie et à leur sécurité du quotidien.
Il s’agit d’un premier pas, monsieur le ministre. Il faudra probablement en prévoir d’autres. Avec cette proposition de loi, qui va évidemment dans le bon sens, nous ne faisons preuve ni de naïveté ni d’excès. C’est pourquoi nous souhaitons qu’elle soit largement adoptée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteure. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien applaudit également.)
Mme Lauriane Josende, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio via son porte-voix Roger Karoutchi est une réponse aux difficultés rencontrées pour éloigner les ressortissants étrangers dont le comportement constitue une menace pour la sécurité de nos concitoyens.
L’actualité offre, hélas ! de nombreux exemples de ces difficultés, aux conséquences parfois tragiques.
Pourtant, et M. le ministre ne manquera pas de le rappeler, l’éloignement des étrangers auteurs de troubles à l’ordre public, notamment les sortants de prison, a été affirmé comme une priorité par les gouvernements successifs. Plusieurs instructions et circulaires ont invité les services de l’État à placer prioritairement en rétention les étrangers les plus dangereux en vue de leur éloignement.
Les résultats ne sont malheureusement pas toujours à la hauteur des efforts consentis par les services de l’État, comme en témoigne le taux d’éloignement des étrangers retenus en centre de rétention administrative (CRA), qui ne dépasse pas 40 %.
La proposition de loi devrait favoriser l’éloignement effectif de ces étrangers. Cet éloignement se heurte aux manœuvres des intéressés, qui ont pour objet d’y faire obstacle, mais aussi aux réticences des États concernés, tout particulièrement s’agissant des profils les plus dangereux, ainsi qu’au caractère complexe et peu sécurisant du cadre juridique de la rétention.
J’en viens au manque de coopération des États étrangers. Il faut reconnaître que la proposition de loi ne permettra pas, à elle seule, de lever ce qui constitue un obstacle majeur à l’éloignement. Toutefois, alors que l’éloignement des profils les plus dangereux donne lieu à des négociations parfois difficiles avec les autorités consulaires, qui peuvent être tentées de jouer la montre, l’allongement de la rétention administrative devrait permettre d’affermir la position des services de l’État et, ainsi, de favoriser une issue positive et l’éloignement des intéressés.
On peut relever, à cet égard, qu’une part non négligeable des éloignements a lieu entre 60 et 90 jours, soit lors des dernières prolongations du régime de droit commun. C’était le cas, en 2024, de 14 % des éloignements réalisés, soit près d’un millier. Je précise que ces chiffres ne tiennent évidemment pas compte des éloignements qui n’ont pu avoir lieu du fait d’un refus de prolongation de la rétention, comme celui du meurtrier de la jeune Philippine, dont la remise en liberté est intervenue trois jours avant la réception du laissez-passer consulaire.
L’intérêt d’un maintien en rétention des profils les plus dangereux se vérifie aussi s’agissant du régime dérogatoire institué par le législateur pour les auteurs d’infractions à caractère terroriste. En 2024, plus de la moitié des laissez-passer consulaires délivrés pour ces étrangers l’ont été au-delà du quatre-vingt-dixième jour de rétention, qui correspond au terme du régime de droit commun. Autrement dit, sans le maintien en rétention permis par ces dispositions, le nombre de ces étrangers éloignés aurait été divisé par deux !
La proposition de loi prévoit, à l’article 1er, d’étendre aux étrangers présentant une menace grave pour l’ordre public le régime dérogatoire prévu par l’article L. 742-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Institué par la loi du 16 juin 2011, ce régime permet le maintien en rétention jusqu’à 180 jours, contre 90 jours pour le régime de droit commun, de l’étranger condamné à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou qui fait l’objet d’une décision d’expulsion édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées.
Ce maintien en rétention reste subordonné à ce que son éloignement demeure une perspective raisonnable et à condition qu’une assignation à résidence ne soit pas suffisante.
En outre, l’article L. 742-7 du Ceseda permet « à titre exceptionnel » de prolonger cette rétention de deux périodes supplémentaires de quinze jours, pour une durée totale de 210 jours.
Le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans une décision du 9 juin 2011. À cette occasion, il a toutefois censuré les dispositions permettant, dans le cadre de ce régime dérogatoire, une prolongation de la rétention de douze mois supplémentaires, pour une durée totale de dix-huit mois, durée qui est pourtant conforme à l’article 15 de la directive Retour. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
La commission des lois a approuvé l’extension du régime dérogatoire aux étrangers qui constituent une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. Elle a estimé que cette extension était justifiée au regard tant de l’impérieuse nécessité d’éloigner ces personnes que des difficultés particulières que pose leur éloignement. Elle a relevé qu’aucune exigence constitutionnelle ni aucune disposition du droit de l’Union européenne ne s’y opposait.
La commission a néanmoins souhaité préciser les critères justifiant l’application de ce régime dérogatoire. À l’énumération d’infractions du texte initial, elle a substitué trois conditions, non cumulatives.
La première condition est que la personne fasse l’objet d’une décision d’éloignement édictée au titre de faits ayant donné lieu à une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement, la référence au quantum de la peine permettant de prendre en compte toutes les infractions graves.
La deuxième condition est que la personne soit sous le coup d’une peine d’interdiction du territoire français (ITF) prononcée par une juridiction répressive, quelle que soit l’infraction à l’origine de la condamnation. En effet, cette peine peut être infligée à l’encontre de tout étranger coupable d’un crime ou d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’au moins trois ans. Pour la prononcer, la juridiction doit obligatoirement tenir compte, en vertu de l’article 131-30 du code pénal, de la durée de la présence de l’étranger sur le territoire français, ainsi que de la nature, de l’ancienneté et de l’intensité de ses liens avec la France.
La troisième condition est que le comportement de l’étranger constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public.
À la différence des deux autres, ce critère ne fait pas référence à l’existence d’une condamnation passée. Il permet donc de prendre en compte la situation de personnes qui représentent une menace particulièrement grave pour l’ordre public, par exemple, en cas de radicalisation violente ou de liens avec un groupe terroriste.
Toutefois, à l’article 1er, la commission a adopté un amendement tendant à préciser que la provocation ou l’apologie du terrorisme font partie des activités terroristes permettant l’application du régime dérogatoire prévu par l’article L. 742-6 du Ceseda.
En conséquence, à l’article 2, la commission a prévu l’extension aux mêmes catégories d’étrangers des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 743-22 du même code, qui prévoit que l’appel interjeté contre un jugement mettant fin à la rétention administrative a un caractère suspensif.
Enfin, la commission a adopté un article additionnel, l’article 3, qui simplifie le séquençage et les motifs des prolongations de la rétention administrative.
L’affaire du meurtre de la jeune Philippine a mis en lumière la complexité du régime des prolongations au titre de l’article L. 742-5 du Ceseda : il s’agit des troisième et quatrième prolongations du régime de droit commun – les dernières –, dont la durée est de 15 jours chacune, qui permettent de passer du soixantième au quatre-vingt-dixième jour de rétention.
La libération du suspect procède d’une erreur de droit dans l’interprétation de la condition tenant à la menace à l’ordre public. Contre la lettre même du texte, le juge a exigé que cette menace à l’ordre public résulte d’un comportement survenu dans les quinze derniers jours, c’est-à-dire pendant la rétention administrative de l’intéressé ! Vous conviendrez qu’il s’agit là d’une aberration.
En outre, le motif tiré de ce que l’autorité administrative doit établir que la délivrance des documents de voyage « doit intervenir à bref délai » fait peser sur les services de l’État une charge de la preuve excessive. Au surplus, il va bien au-delà de ce que prévoit la directive Retour, qui exige seulement une « perspective raisonnable d’éloignement » et des « efforts raisonnables » de la part des autorités pour trouver les moyens d’autoriser l’éloignement.
Afin de mettre fin à l’insécurité juridique qui résulte de ces motifs de prolongation et d’alléger la charge des services de l’État, notamment en matière d’escortes, l’article 3 abroge l’article L. 742-5 du Ceseda et fusionne les deux prolongations qu’il prévoyait en une seule prolongation de 30 jours. Les motifs de cette prolongation sont ceux de l’article L. 742-4, qui régit la deuxième prolongation de droit commun, motifs qui ne posent pas de difficulté d’interprétation.
Ces modifications valent également pour les dernières prolongations du régime dérogatoire, celui-ci passant de 180 à 210 jours. L’article 3 modifie l’article L. 742-7 en conséquence.
Sans effet sur la durée maximale de la rétention administrative, qui demeure fixée à 90 jours ou, pour le régime dérogatoire, à 210 jours, une telle modification ne porterait pas atteinte aux droits des personnes retenues, puisque celles-ci peuvent solliciter leur remise en liberté à tout moment.
Je vous présenterai, au nom de la commission des lois, un amendement visant à préciser les conditions dans lesquelles ces dispositions entrent en vigueur.
La commission a également émis un avis favorable sur plusieurs amendements qui visent à compléter ce dispositif ou bien à apporter des améliorations au régime de la rétention administrative et des décisions afférentes : il en va ainsi de la computation des délais du placement en rétention ou des mentions devant figurer sur le procès-verbal dressé à l’issue de la retenue pour vérification du droit au séjour.
Sous le bénéfice de ces observations, mes chers collègues, la commission des lois vous propose d’adopter la proposition de loi ainsi modifiée. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Dominique Vérien et M. Louis Vogel applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a six mois, presque jour pour jour, Philippine était enlevée à sa famille, à ses amis, à son pays, qu’elle aimait profondément. Son assassin n’aurait pas dû se trouver en liberté, mais les arcanes d’un droit des étrangers extrêmement complexe l’avaient néanmoins permis.
Le 22 février dernier, un autre étranger en situation irrégulière en France causait un mort et six blessés durant un nouveau périple criminel, si j’ose dire. Le profil « schizophrène » – je mets des guillemets – de l’assassin avait pourtant été détecté par le passé lors d’une enquête pour apologie du terrorisme réalisée en 2023. Il s’est vu notifier par la suite un arrêté portant l’obligation de quitter le territoire français, la fameuse OQTF ; cet arrêté n’a malheureusement jamais été mis en œuvre.
Lorsque le droit ne protège plus nos compatriotes, il faut essayer de le changer.
C’est, je pense, ce qu’attendent de nous l’ensemble de nos compatriotes. Ils exigent du Gouvernement et des parlementaires qu’ils prennent toutes les mesures utiles et efficaces pour les protéger de l’insécurité et de la criminalité, insécurité et criminalité qui peuvent, aussi, prospérer dans des conditions inimaginables. Cette jeune fille de 19 ans a peut-être payé de sa vie pour que nous ouvrions enfin les yeux sur cette vérité.
La proposition de loi de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio que je salue et à qui je souhaite un prompt rétablissement, qui a pour objet d’allonger la durée de rétention dans les CRA à 210 jours pour les individus les plus dangereux, participe de cette réaction que réclament nos compatriotes.
Nous devons même réfléchir à la possibilité d’aller plus loin, dans les limites du droit européen, pour les profils les plus dangereux.
Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je considère que la durée maximale normale de rétention, fixée à 90 jours, est aujourd’hui insuffisante pour certains profils. Je dois confesser à cette tribune que je n’étais pas tout à fait d’accord avec sa prolongation, mais il faut bien constater aujourd’hui la réalité de la situation.
Pour les étrangers qui se sont rendus coupables de faits graves – je pense en premier lieu aux crimes sexuels, pour lesquels nous savons que le risque de récidive est important –, la durée de rétention doit être allongée. J’en suis d’autant plus persuadé que, lorsque je siégeais sur ces travées, j’ai moi-même déposé une proposition de loi que j’estime assez complète, contenant des dispositions similaires. Elle a été largement approuvée par le Sénat au mois de janvier 2024, par 235 voix pour et seulement 92 voix contre.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est tout à fait favorable à l’esprit de la proposition de loi qui est aujourd’hui soumise à votre examen, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je me félicite que la commission en ait d’ailleurs précisé la teneur et la portée pour que ce texte réponde le plus précisément possible à l’exigence de sécurité qui doit conduire nos débats. Nous soutenons en effet pleinement les travaux de la commission qui propose d’élargir le champ initial du texte au-delà d’un quantum de peine, pour aussi sanctionner tous les étrangers dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. Nous soutenons la distinction qu’elle opère entre ce quantum et les diverses mesures d’éloignement qui seront, elles aussi, sanctionnées par l’élargissement de la rétention.
Cette nouvelle rédaction présente pour nous au moins trois intérêts.
D’abord, elle prend en considération tous les comportements constituant une menace particulièrement grave pour la sécurité des Français, y compris ceux qui ne sont pas pénalement constatés. Je pense en particulier aux étrangers dont nous savons qu’ils sont radicalisés, mais qui n’ont ni commis d’infraction ni fait l’objet de condamnation, ces éléments étant naturellement documentés par ailleurs.
Ensuite, elle donne aux préfets et à leurs services une plus grande autonomie dans l’appréciation de la menace, sa documentation et sa sanction. Chacun le sait ici, dans la lutte contre la délinquance du quotidien comme dans celle contre l’islamisme politique radical, nous avons exigé des préfets qu’ils obtiennent des résultats. Pour leur permettre d’y parvenir, nous avons fait le choix de la subsidiarité. C’est ce principe qui doit également guider notre action en matière d’immigration et de reconduites aux frontières.
Enfin, elle augmente les chances pour le texte de passer l’épreuve du Conseil constitutionnel. Cette proposition de loi doit donc être rigoureuse juridiquement.
Je n’ignore pas que la commission ou que certains parlementaires envisagent, durant l’examen du texte, de déposer de nouveaux amendements qui iraient dans le sens d’une plus grande fermeté. Sachez que le Gouvernement est tout à fait disposé à en apprécier l’opportunité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la mission que nous ont confiée nos compatriotes est assez simple : rétablir l’ordre, garantir leur sécurité. Pour cela, nous assumons, grâce aux fonctions qui sont les nôtres, de faire évoluer les règles de droit lorsque, face à certaines situations nouvelles, celles-ci ne les protègent plus. Pour cela, nous assumons aussi d’en tirer pleinement les conséquences.
Depuis le mois d’octobre dernier, 9 163 étrangers en situation irrégulière ont quitté le territoire, soit 6 % de plus que l’an dernier à la même période. Dans le même temps, nous avons réduit de plus de 9 % la délivrance de premiers titres de séjour et fait baisser de 10 % l’admission exceptionnelle au séjour.
Le refus de certains pays de coopérer avec la France ou les retards subis dans la délivrance de laissez-passer consulaires nous empêchent d’organiser au mieux l’éloignement d’individus qui n’ont plus rien à faire sur notre sol, ce qui a parfois des conséquences dramatiques, comme celles que nous avons encore connues récemment.
Malheureusement, il faut le redire à cette tribune, le risque zéro n’existe pas. C’est certain, quelles que soient les règles de droit que nous pourrions décider. Toutefois, il est de notre devoir de réduire les risques autant que possible. Pour cela, il est aussi de notre responsabilité d’augmenter autant que possible la durée de rétention des étrangers, afin d’espérer obtenir le laissez-passer consulaire indispensable au renvoi sur le territoire d’origine.
Ce faisant, il s’agit de se donner la possibilité d’engager avec les pays sources des discussions utiles à l’exécution de ces mesures. Il n’y aura pas de réussite ou de possibilité de faire mieux si l’on ne se place pas dans cette configuration.
Sous le bénéfice de ces explications, le Gouvernement soutient cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI. – Mme Dominique Vérien, MM. Louis Vogel et Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Chaillou et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d’une motion n° 1 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive (n° 298, 2024-2025).
La parole est à M. Patrick Kanner, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. « Nul ne peut être arbitrairement détenu.
« L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en citant l’article 66 de la Constitution, je tenais à vous indiquer le fondement de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité déposée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Oui, il est des moments où il est de notre devoir, en tant que garants des principes républicains, de faire front contre les attaques, qui, sous couvert de sécurité, visent à affaiblir les fondements mêmes de notre État de droit.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une proposition de loi qui ouvre la porte à des dérives autoritaires, érode nos libertés et fragilise l’essence même de notre République.
Pourquoi ?
Cette proposition de loi vise à prévoir pour des infractions de droit commun une durée de rétention jusqu’à présent limitée à la matière terroriste.
En effet, actuellement la rétention administrative des étrangers ne peut, en principe, excéder 90 jours. Dans des cas spécifiques liés au terrorisme, ce régime peut être prolongé jusqu’à 210 jours, et ce dans des quartiers de sécurité renforcée au sein des centres de rétention administrative, si vous avez déjà visité de tels établissements, mes chers collègues. Cette exception, fondée sur la sécurité nationale, est strictement encadrée, conformément à la Constitution et aux normes européennes.
L’extension du maintien en rétention pendant 210 jours, soit sept mois, à des étrangers sous OQTF, qu’ils aient commis des crimes ou des délits, est, dès lors, un affaiblissement direct de l’un des principes les plus sacrés de notre État de droit, celui de la proportionnalité. C’est d’ailleurs pour cela que vous étiez hésitant à d’autres époques, monsieur le ministre.
En l’état, cette proposition de loi aboutirait à un contrôle renforcé de l’administration sur la liberté des individus. Ainsi, on transformerait la mesure de rétention en une peine de prison administrative, sans recours effectif ni garantie sérieuse, qui s’effectuerait dans des locaux inadaptés et avec un personnel non formé pour de telles privations de liberté.
Un CRA, mes chers collègues, ce n’est pas un club Méditerranée : c’est un lieu de privation de liberté !
Faut-il vraiment appliquer une durée de rétention aussi longue à des faits qui ne sont pas liés au terrorisme ou à des menaces graves pour l’ordre public ? N’est-ce pas là un retour aux heures les plus sombres de l’histoire française, lorsque l’on pensait que l’ordre pouvait l’emporter sur la justice et que la sécurité devenait la seule boussole ? (M. Laurent Duplomb proteste.)
Pour nous, socialistes, certaines lignes rouges ne doivent pas être franchies.
Notre attachement à la proportionnalité est constant. En effet, c’est la même interrogation qui nous a conduits, en novembre 2024, à contester une disposition de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, déposée par notre collègue Marie Mercier.
Lors de l’examen de ce texte en commission des lois, Mme le rapporteur Muriel Jourda proposait déjà, par voie d’amendement, d’étendre la durée maximale de rétention jusqu’à 210 jours pour certains crimes et délits de droit commun. Nous avions alors soulevé des objections similaires concernant la proportionnalité et la conformité à la Constitution de cette mesure. Nous sommes constants en la matière !
Oui, nous sommes d’ardents défenseurs de l’État de droit. Celui-ci n’est pas un concept abstrait : il est le rempart contre l’arbitraire, l’ancre profonde qui nous préserve de dérives autoritaires.
C’est ce principe qui, depuis la Révolution française, assure à chaque citoyen une place égale devant la loi, en le protégeant contre l’arbitraire des pouvoirs publics, indépendamment de son origine, de sa condition ou de ses opinions, qu’il soit Français ou étranger. Il est l’essence même de notre démocratie. C’est une construction précieuse, mais fragile.
Or, avec cette proposition de loi, nous risquons de franchir un Rubicon, au-delà duquel l’ordre et la sécurité, que le gouvernement actuel n’a de cesse d’évoquer, finissent par étouffer les libertés qui forment le cœur battant de notre République.
Par ailleurs, ce texte entraînerait une surcharge de nos centres de rétention administrative. En effet, avec la multiplication des cas dans lesquels on pourrait maintenir les étrangers en rétention, nos centres risquent de se retrouver dans une situation de congestion, ce qui aura pour conséquence directe de ralentir notre politique d’éloignement.
Les procédures d’éloignement, déjà complexes et souvent lentes, seraient alors d’autant plus embouteillées. Ainsi, ce texte, loin de garantir la sécurité, pourrait finir par l’entraver, en rendant l’application de notre politique migratoire encore plus difficile et moins efficace. Ce n’est ni la sécurité ni la liberté que l’on préserverait, mais un système administrativement embourbé.
Or, en tant que législateur, nous avons une responsabilité cruciale : celle de protéger les libertés publiques contre les éventuels abus du pouvoir exécutif. Nous siégeons ici non pas pour être des relais dociles des ordres ministériels, mais pour jouer notre rôle de contre-pouvoir, de représentation territoriale et de garant des libertés publiques.
Aujourd’hui, force est de constater que nos errances politiques et institutionnelles nous ont conduits à une situation inédite et, oserais-je dire, ubuesque. Nous examinons non plus des projets de loi, mais des propositions de loi qui, en majorité, expriment deux obsessions : la sécurité et l’immigration !
Les choix politiques essentiels du Gouvernement devraient s’appuyer sur des projets de loi en bonne et due forme, accompagnés comme il se doit d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État. Utiliser systématiquement le « véhicule PPL » témoigne d’un parlementarisme dévoyé, dans lequel les ministres se voient apparemment obligés de commander des textes à leurs relais dans chaque chambre du Parlement, incapables qu’ils sont de porter de réelles initiatives au sein du Gouvernement.
Ce phénomène nous prive de notre mission fondamentale : légiférer dans l’intérêt général, non dans l’intérêt d’une machine exécutive qui cherche à imposer ses volontés par dérive législative interposée.
Depuis plusieurs années, mes chers collègues, vous souhaitez tester les limites de l’État de droit. Désormais, le ministre de l’intérieur que vous représentez à ce banc, monsieur Buffet, incarne une réelle volonté de faire céder ce principe essentiel de notre démocratie, dans une tentation autoritaire et sécuritaire.
Au-delà de sa volonté de creuser un fossé entre les citoyens en cherchant à diviser la société, M. Retailleau invite trop régulièrement à une remise en cause de l’égalité devant la loi et cherche à introduire dans notre quotidien une logique d’exclusion.
Par ailleurs, il a maintes fois exprimé une vision de la loi qui en exclut les garanties fondamentales que le droit français a toujours offertes. Dans sa pensée, la protection des libertés publiques et les règles juridiques entravent les politiques publiques. Il faut y voir une dérive inquiétante, celle selon laquelle la liberté serait une forme de luxe à céder au profit d’une politique de sécurité sans balises.
Mes chers collègues, ce n’est pas une simple divergence idéologique ; c’est une menace qui s’attaque à l’équilibre fragile, mais essentiel, sur lequel repose notre République : l’équilibre entre l’ordre et les libertés, que l’on ne peut sacrifier – permettez-moi de le dire sans esprit de polémique – sur l’autel de la course à l’échalote entre MM. Wauquiez et Retailleau. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Il n’y a pas d’élections, chez vous ?
M. André Reichardt. Cela fait deux fois que l’on propose ce texte !
M. Patrick Kanner. Je constate que cela vous gêne, mes chers collègues !
M. Retailleau prend de plus en plus appui sur la majorité sénatoriale pour mener à bien ses ambitions politiques, qui sont légitimes, quitte à faire la courte échelle au Rassemblement national.
Notre rôle est de protéger notre modèle républicain et nos fondations démocratiques. Or ce texte concourt à alimenter un tournant idéologique, où la pensée de la droite semble désormais structurée non plus par un cadre juridique solide, comme vous nous y aviez habitués, chers collègues, mais par des faits divers, souvent alimentés par une rhétorique populiste et démagogique. (M. André Reichardt proteste.) Ces faits divers, je ne les nie pas, mais on ne peut pas bâtir la loi sur des faits divers !
Ce tournant, amorcé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, trouve aujourd’hui dans cette proposition de loi une amplification inquiétante.
Vous aurez compris mon message : il ne s’agit pas seulement de discuter de la constitutionnalité d’une proposition de loi. Ce qui est en jeu est l’avenir même de notre État de droit et la solidité de nos institutions. Pour moi, ces notions sont intangibles et sacrées.
Montesquieu écrivait dans De l’esprit des lois : « La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent. » Or, aujourd’hui, c’est cette liberté que nous risquons de sacrifier, une liberté fragile, minée par des coups de boutoir législatifs répétés, qui font avancer la société sur la voie de l’arbitraire et de l’injustice.
En poursuivant dans cette logique, vous vous attaquez à la base même de notre pacte républicain. Ce n’est pas un simple glissement législatif : c’est une menace directe contre les valeurs démocratiques.
Je sais que le vent de l’autoritarisme souffle fort en ce moment, mais nous devons refuser d’y céder. Tel est le sens de l’exception d’irrecevabilité que, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je vous propose d’adopter.
Évidemment, si cette proposition de loi était amenée à prospérer, nous n’aurions pas d’autre choix que d’en saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement des observations que j’ai eu l’honneur d’exposer à l’instant devant vous. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Mes chers collègues, vous ne serez pas surpris d’apprendre que l’avis de la commission sera défavorable.
Chers collègues du groupe socialiste, je comprends tout à fait que vous soyez en désaccord avec les dispositions de cette proposition de loi ; nos débats permettront de faire valoir vos arguments comme les nôtres. Je trouve toutefois regrettable d’abriter ainsi votre opposition derrière l’État de droit et le Conseil constitutionnel, auquel vous faites dire bien des choses ! (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
En l’espèce, les dispositions du texte ne peuvent sérieusement être regardées comme manifestement contraires à une disposition constitutionnelle. Nous pourrons débattre de l’extension de son champ d’application, mais je veux d’ores et déjà rappeler que les dispositions de l’article L. 742-6 du Ceseda, qui institue un régime dérogatoire de rétention administrative, ont été jugées conformes à la Constitution.
En tout état de cause, la commission des lois a veillé à ce que le texte assure une conciliation équilibrée entre l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et les autres exigences constitutionnelles en présence, afin de permettre l’éloignement des étrangers qui constituent une menace d’une particulière gravité pour la sécurité de nos concitoyens.
C’est pour ces raisons et pour que le débat puisse avoir lieu que la commission a émis un avis défavorable à l’adoption de cette exception d’irrecevabilité.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Il sera bien évidemment défavorable, en premier lieu parce que nous souhaitons que le débat ait lieu dans cet hémicycle sur ce texte.
Je veux brièvement invoquer un deuxième argument. Malgré tout, les situations que nous avons vécues récemment suscitent nécessairement chez nous des interrogations. Ne pas pouvoir renvoyer un étranger en situation irrégulière qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, parce que son pays ne veut pas l’accepter, être obligé de le remettre en liberté,…
M. André Reichardt. C’est scandaleux !
M. François-Noël Buffet, ministre. … enfin, le voir, grâce à cette liberté retrouvée, commettre un crime, tout cela mérite tout de même que l’on s’interroge !
M. Laurent Duplomb. C’est sûr !
M. François-Noël Buffet, ministre. On pourrait même parler de mise en danger d’autrui quand un tel individu est laissé à lui-même dans les rues, sans aucun contrôle.
Dès lors, cette situation, qui est le fruit d’une évolution survenue ces dernières années, doit tout de même, pour dire les choses très simplement, nous inviter à réfléchir à faire évoluer la loi. Cela ne signifie pas que l’on ne respectera pas les droits des uns et des autres, au contraire.
Enfin, je veux apporter au débat une information : la semaine dernière, la Commission européenne, dans le cadre de l’élaboration du projet de règlement qui doit remplacer la directive Retour, a proposé de prolonger la durée maximale de rétention jusqu’à vingt-quatre mois, alors qu’elle est aujourd’hui de dix-huit mois. C’est dire que la prise de conscience n’est pas simplement nationale ; elle est européenne.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je ne surprendrai personne en indiquant que les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront évidemment pour cette exception d’irrecevabilité.
Je trouve assez étrange l’argument selon lequel, si vous vous opposez à la motion, c’est parce que vous voulez que le débat ait lieu. C’est un peu court ! Peut-être même que cela prouve que vous êtes mal à l’aise avec la conformité de ce texte à la Constitution…
Je trouve assez étonnant également que le ministre Buffet s’abrite en quelque sorte derrière la directive Retour. En effet, nous avons en France une Constitution, dont l’article 66 s’oppose à la détention arbitraire. C’est d’ailleurs pourquoi le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de refuser, lors de son examen de la loi du 16 juin 2011, dite loi Besson – du nom de son auteur, Éric Besson –, la prolongation excessive de la durée de rétention que certains demandaient déjà à l’époque.
Vous témoignez là, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’une désinvolture vis-à-vis de la Constitution similaire à celle dont vous aviez déjà fait preuve lors de l’examen de la loi Immigration. Visiblement, vous vous apprêtez à récidiver, afin de satisfaire les ambitions de votre ancien président de groupe par des propositions de loi successives, puisqu’il ne parvient pas à déposer de projets de loi pour exprimer lesdites ambitions.
Pour notre part, nous ne lâcherons rien ! Nous ne vous laisserons pas dériver vers l’extrême droite. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Oh là là !
M. Roger Karoutchi. Et LFI, ce n’est pas une dérive ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le ministre de l’intérieur voulait prolonger cette rétention jusqu’à dix-huit mois. Vous avez renoncé à le faire aujourd’hui. C’est intéressant. Ce faisant, vous auriez été au-delà de ce que l’extrême droite, ici, propose !
Vous vous abandonnez à cette dérive, vous pensez sans doute qu’elle est rentable électoralement. C’est très dangereux, et nous vous combattrons sur ce point à chaque étape.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour explication de vote.
Mme Catherine Di Folco. Nos collègues socialistes ont déposé une mention tendant à opposer à la proposition de loi que nous examinons l’exception d’irrecevabilité. Selon eux, ce texte serait inefficace et inconstitutionnel.
Rassurez-vous, madame de La Gontrie : engager les débats sur ces deux points ne nous met pas du tout mal à l’aise !
Nous ne partageons évidemment pas votre opinion quant à l’inefficacité de cette mesure : au contraire, elle nous permettra de mieux sécuriser l’éloignement des profils les plus menaçants.
J’en viens à la question juridique que suscite la motion. Dans sa décision du 6 septembre 2018, qui portait en particulier sur le placement en zone d’attente et en rétention, le Conseil constitutionnel a rappelé que les atteintes portées à l’exercice de la liberté individuelle « doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ».
Pour notre part, nous estimons que les mesures proposées dans le présent texte sont adaptées, car elles visent des individus qui, dans la mesure où ils sont susceptibles de constituer une menace particulière pour l’ordre public, se trouvent dans une situation distincte de celle de la majorité des personnes sous le coup d’une mesure d’éloignement.
Elles sont nécessaires, car elles s’appliquent à des individus dont les situations caractérisent un risque de fuite particulier, susceptible de compromettre l’objectif d’éloignement dans un délai aussi bref que possible figurant au paragraphe 1 de l’article 15 de la directive Retour.
Enfin, elles sont proportionnées, parce que le dispositif adopté par la commission garantit toujours l’intervention régulière du juge, lors de chaque prolongation, et que la durée maximale de rétention – 210 jours – demeure inchangée.
Les garanties entourant la rétention ne sont donc en rien diminuées. Il n’y a par conséquent pas de méconnaissance des exigences constitutionnelles.
Il ne convient pas au Parlement de s’autocensurer en voyant des inconstitutionnalités là où il n’y en a pas ! Cela serait source d’une impuissance préjudiciable à la bonne organisation des politiques publiques, une impuissance dont les Français feraient à raison le reproche à leurs représentants.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains considère qu’il n’y a pas de raison sérieuse de rejeter d’entrée de jeu ce texte. Nous souhaitons que la discussion puisse se tenir ; elle nous permettra de travailler à des réponses concrètes aux problématiques concernant le maintien en rétention des individus les plus menaçants.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Les membres du groupe écologiste voteront évidemment cette mention, puisque nous sommes en tout point d’accord avec les propos du président Kanner, auxquels je souhaiterais seulement ajouter deux éléments.
En premier lieu, je veux insister sur l’arbitraire que permettrait l’adoption de ce texte. Sous la notion d’arbitraire, je comprends la possibilité administrative de placer certaines personnes dans ce que l’on pourra considérer, en quelque sorte, comme des succursales de prison, ce qu’elles ne devraient pas être, alors que ces personnes n’auront pas été condamnées ou auront déjà purgé leur peine.
Nous aurions mieux compris que des propositions soient faites, ou des décisions prises, pour éviter les sorties sèches de prison, proposer des traitements après la sortie et renforcer tous les éléments permettant d’éviter les récidives. En effet, on sait bien que ce sont les sorties sèches qui, actuellement, entraînent 70 % des récidives.
En revanche, nous ne comprenons pas pourquoi l’on permettrait qu’une décision administrative, qui peut se révéler arbitraire, aboutisse à placer dans des centres de rétention devenus des prisons, sans locaux adaptés ni personnels formés, un certain nombre de personnes n’ayant pas été condamnées.
En second lieu, il convient de relever que, après certains textes du même ordre, comme la dernière loi Immigration, on assiste aujourd’hui à un véritable gavage de propositions de loi sur ces thématiques – après celle-ci, nous aurons encore à examiner celle dont l’objet est le droit de vote des détenus, ou encore celle qui porte sur les délinquants mineurs !
La forme de ces textes est une conséquence directe de la constitution du gouvernement actuel. Je vous rappellerai, mes chers collègues – aucun d’entre vous ne peut s’en offusquer, puisqu’il s’agit d’une information publique, officiellement annoncée –, qu’il s’agissait de l’une des conditions de l’accord conclu entre MM. Bayrou et Retailleau.
Clairement, François Bayrou ne souhaitait ni ne pouvait, au vu de la constitution de son gouvernement, permettre le dépôt d’un certain nombre de projets de loi. C’est pourquoi on a ouvert un open bar pour les propositions de loi ! Cela a eu pour effet que tous ces textes, émanant d’initiatives parlementaires, ne sont agrémentés d’aucun avis du Conseil d’État, ce à quoi s’ajoute votre rejet de tout avis du Conseil constitutionnel.
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien, pour explication de vote.
Mme Dominique Vérien. Nous, membres du groupe Union Centriste, nous ne voterons évidemment pas cette motion.
Oui, les centres de rétention administrative sont bien des lieux de privation de liberté. On peut certes, à l’évidence, débattre de qui doit ou non faire l’objet d’une OQTF ; sur ce point, nous pouvons avoir des désaccords avec le Gouvernement. Mais ce dont il est question dans ce débat, monsieur Kanner, ce ne sont pas simplement des faits divers : ce sont bien plutôt des crimes, surtout quand on évoque le meurtre de Philippine ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Nous sommes donc tout à fait en droit de considérer qu’il n’est pas du tout souhaitable de laisser en liberté les personnes visées par ce texte, dont je rappelle qu’elles sont coupables de crimes et de graves délits. Il me semble même que, si leur pays d’origine rechigne à les reprendre, c’est peut-être bien parce qu’il n’a pas très envie non plus de les voir courir en liberté sur son territoire ! C’est l’une des complications qui peuvent survenir.
Aussi, discutons de ce texte. Et je dirais même, à titre personnel : votons-le ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – Mme Marie-Do Aeschlimann applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.
Mme Silvana Silvani. Nous voterons cette exception d’irrecevabilité de nos collègues socialistes, car l’inflation de la durée de rétention administrative que vous organisez dans cette proposition de loi, mes chers collègues, est inconstitutionnelle.
Vous abîmez, encore et toujours, l’État de droit, afin de répondre à des idées d’extrême droite par des mesures qui brillent par leur inefficacité et leur inefficience.
Enfermer des gens toujours plus longtemps ne permet pas de renvoyer plus de personnes dans leur pays d’origine. Ce sont les laissez-passer consulaires qui sont la clef ! Or, pour les obtenir, il ne suffit pas de s’agiter pour gagner la présidence d’un parti politique. (Marques de lassitude sur les travées du groupe Les Républicains.) Non, mes chers collègues : il faut faire de la diplomatie.
Or, malgré l’exemple qui nous vient d’outre-Atlantique, on ne fait pas de la diplomatie par la menace et l’agression permanentes. Les laissez-passer doivent être obtenus le plus rapidement possible ; il faut éviter que l’enfermement en centre de rétention ne soit trop long, car ce n’est pas l’objet de ces lieux.
Les personnes sont retenues dans des conditions de plus en plus difficiles. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté alerte chaque année sur les conditions indignes de cette rétention, sur les hébergements inadaptés, sous-dimensionnés, anxiogènes, dégradés et mal entretenus, sur la privation d’intimité, d’activité et de perspectives qu’ils font subir.
En outre, nos policiers et gendarmes qui travaillent dans ces centres ne sont pas formés et accompagnés pour les nouvelles tâches que vous leur attribuez sans les aider.
Nous ne pouvons donc pas voter un tel texte, qui présente le double défaut d’être inconstitutionnel et d’être inefficace. C’est pourquoi nous voterons en faveur de cette motion.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre. En réponse aux diverses interventions, qui ont notamment porté sur la notion de proportionnalité et sur le risque d’inconstitutionnalité du texte, je voudrais évoquer ce qui fait la différence entre la rétention et la détention.
Que la rétention soit par nature administrative, chacun le sait. Surtout, à tout moment, la personne retenue peut être remise en liberté, dès lors qu’elle décide de retourner volontairement dans son pays. Qu’elle dise : « Je prends la décision de rentrer dans mon pays d’origine », et elle part sans difficulté ; on ouvre la porte immédiatement.
Un autre élément important est que, à tout moment au cours de sa rétention, cette personne peut saisir le juge.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comme pour la détention !
M. François-Noël Buffet, ministre. En effet, c’est une règle protectrice. La différence majeure entre ces deux régimes, c’est bien la liberté dont dispose l’individu retenu de rentrer dans son pays d’origine dès lors qu’il le décide.
M. André Reichardt. Mais il n’en a pas envie…
M. François-Noël Buffet, ministre. Cela induit la proportionnalité et, partant, la constitutionnalité du dispositif proposé.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela n’a rien à voir !
Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifiée, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne surprendrai personne en exprimant l’opposition profonde de mon groupe à ce texte.
La proposition de loi que nous étudions vise à appliquer à de nombreuses personnes les délais dérogatoires de placement en rétention administrative – jusqu’à 210 jours – qui étaient jusque-là réservés aux personnes condamnées pour des activités terroristes.
Nous avons toujours alerté sur ce point : les mesures dérogatoires et attentatoires aux libertés se pérennisent souvent. Surtout, elles s’étendent de manière trop importante. Ce phénomène de cliquet est un danger pour l’équilibre de nos démocraties et pour l’État de droit.
Cette proposition de loi a été rédigée en réaction à la mort de Philippine, étudiante retrouvée morte dans le bois de Boulogne en septembre 2024. Contextualiser les lois est une chose, mais la frontière est ténue entre l’opportunité et l’opportunisme.
Cette proposition de loi exploite ce drame sans aborder la question centrale qu’il suscite et sur laquelle d’ailleurs une autre victime du même agresseur nous interpelle, à savoir la problématique des sorties sèches de prison, notamment celles des délinquants sexuels. Je salue sur ce point les travaux que mène actuellement au sein de notre assemblée la mission conjointe de contrôle chargée d’évaluer l’efficacité des mesures visant à lutter contre la récidive des auteurs d’infractions à caractère sexuel.
Notre groupe partage la volonté de prévenir la récidive des individus condamnés pour des actes sexuels ou violents. Mais cette lutte ne doit pas servir de prétexte à une multiplication des mesures répressives visant non pas les auteurs de tels actes, mais des étrangers.
Le suivi en prison et le suivi médico-social en sortie de prison doivent impérativement être au cœur de l’attention des politiques publiques.
La question des moyens octroyés à la justice est centrale si l’on veut empêcher les sorties sèches de prison. Pour rappel, 63 % des détenus libérés de prison en sortie sèche, sans accompagnement, récidivent dans les cinq ans. C’est bien la préparation de la sortie et de la réinsertion qui sont absolument nécessaires pour neutraliser les individus dangereux sur notre territoire.
Cette mesure d’allongement des délais de rétention avait déjà été intégrée à la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, avant d’être supprimée en séance par l’adoption d’un amendement du Gouvernement, ce dernier ayant promis aux sénateurs de faire adopter cette mesure dans un texte spécifique.
Je le répète, ce gavage de propositions de loi pose un problème : texte après texte, et sur celui-ci en particulier, on ne peut que regretter l’absence d’un avis du Conseil d’État.
Toutefois, nous avons bien compris que le recours à l’initiative parlementaire résulte de l’accord conclu entre Bruno Retailleau et François Bayrou pour former le présent gouvernement et permettre à M. Retailleau d’y exister, au travers de propositions de loi que le Gouvernement ne dépose pas, mais qu’il va approuver.
Sur le fond, ce texte consolide une vision perturbée du rôle de la rétention administrative et entretient une confusion entre celle-ci et l’incarcération, ce qui nous gêne au plus haut point. Nous assistons depuis des années à ce détournement de la rétention, aujourd’hui utilisée comme élément de politique sécuritaire.
Le CRA n’est pas un lieu de détention. Ces espaces ne sont pas faits pour servir de prison et le personnel qui y intervient n’est pas formé à cette fin.
Les annonces récentes du ministre de l’intérieur quant à sa volonté de supprimer la présence dans les centres de rétention administrative des associations chargées d’une mission d’aide juridique aux personnes retenues sont aussi très problématiques. Elles témoignent d’un acharnement vis-à-vis des étrangers, souvent précaires et vus comme des dangers, ainsi que d’une volonté de faire reculer leur accès aux droits, qui seul peut leur permettre de sortir du cercle infernal du continuum de l’enfermement dont ils sont victimes.
Vous entendez fonder une telle privation de liberté, pour des durées aussi longues, non sur des condamnations, mais sur des comportements, non pénalement constatés, qui représenteraient « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Nous ne pouvons que condamner cette dérive sécuritaire et autoritariste.
Qu’il n’y ait pas de confusion : notre groupe exprime ses réserves sur la rétention, non sur l’éloignement. C’est l’utilisation de la rétention administrative comme une sorte de peine complémentaire et disproportionnée qui est au cœur de ce texte. C’est bien pourquoi nous nous y opposons.
J’évoquais à l’instant le manque d’avis du Conseil d’État, particulièrement quant à l’effectivité attendue du dispositif.
De l’aveu même de la rapporteure, une telle prolongation de la rétention des personnes concernées n’a pas de résultats si importants ; selon elle, cela « paraît favoriser leur éloignement effectif ». Mais les faits sont têtus : l’écrasante majorité des éloignements – 81 % d’entre eux –, a lieu dans les 45 premiers jours, sans attendre même le 90e.
Notre groupe n’a de cesse de le répéter, l’éloignement est un sujet diplomatique ; c’est bien ce que démontre l’actualité. Ces éloignements ne peuvent matériellement être exécutés du fait de problèmes liés aux laissez-passer vers les pays d’origine. D’ailleurs, comme le demandent nos collègues socialistes, pourquoi attendre le placement en CRA pour commencer ce travail, certes difficile, d’obtention des laissez-passer ?
Nous estimons que, au-delà d’une volonté d’affichage, les auteurs de cette proposition de loi lui donnent pour objectif d’améliorer les éloignements, mais c’est illusoire : nous savons pertinemment que ce texte ne le permettra pas.
Voilà, mes chers collègues, le cœur du problème, que nos camarades socialistes ont déjà exposé en défendant leur motion : l’atteinte aux libertés fondamentales ici proposée est disproportionnée et inefficace.
Notre groupe votera donc avec force contre ce texte inutile et dangereux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Christophe Chaillou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui sur l’initiative de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio vise à permettre le maintien en rétention jusqu’à 210 jours d’un étranger si celui-ci fait l’objet d’une décision d’éloignement édictée à la suite d’une condamnation pour certains crimes ou délits de droit commun.
Ce texte se veut une réaction, selon les mots de son auteure, au meurtre abject d’une jeune fille survenu en septembre dernier, crime qui nous a tous bouleversés et qui a profondément ému l’opinion publique.
Ce drame doit bien évidemment nous conduire à interroger tous les dysfonctionnements qui ont abouti à la mise en liberté du criminel, qui avait déjà été condamné, qui se trouvait illégalement sur le territoire et dont l’OQTF avait été prise deux jours seulement avant sa sortie de prison.
Cette réflexion doit se mener avec discernement, sans céder à l’émotion, aussi légitime soit-elle. Elle ne doit pas mécaniquement conduire à l’adoption d’une loi spécifique.
Mes chers collègues, le cadre juridique du placement en rétention des étrangers a connu de nombreuses évolutions au fil des années, notamment au regard de la menace terroriste.
La loi Besson du 16 juin 2011 a ainsi étendu la durée maximale de rétention jusqu’à 180 jours pour les étrangers condamnés à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou visés par une décision d’expulsion justifiée par de telles activités. Plus récemment, la loi Collomb du 10 septembre 2018 a porté cette durée maximale à 210 jours en matière terroriste.
Dans le même temps, les moyens alloués au ministère de l’intérieur en faveur de la rétention ont été renforcés, avec notamment le plan CRA, qui prévoit la construction de nouveaux centres de rétention administrative à travers la France et la création de 3 000 places supplémentaires d’ici à 2027, en écho à l’explosion des OQTF. Par parenthèse, je ne suis pas sûr que nous arrivions à atteindre cet objectif.
Alors que, aujourd’hui, le maintien en rétention jusqu’à 210 jours n’est possible qu’en matière terroriste, la majorité sénatoriale a déjà tenté d’étendre ce dispositif lors de l’examen de la proposition de loi visant à renforcer la surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes en 2024. Cette mesure avait d’ailleurs été retirée en séance.
Le président Kanner l’a rappelé, tout cela s’inscrit dans une surenchère quasi obsessionnelle sur l’immigration et la sécurité assumée depuis plusieurs mois par les responsables de la majorité sénatoriale, encouragés par certains ministres, notamment ceux qui sont engagés dans la course pour 2027.
D’ailleurs, avant même que nous n’ayons entamé l’examen de ce texte, le ministre de l’intérieur avait déjà proposé voilà quelques jours, dans une émission de radio matinale, de porter la durée maximale de rétention à dix-huit mois, et cela sans débat, sans analyse de la mise en œuvre des précédentes lois, sans étude d’impact et sans chiffre. À ce stade, cette proposition est restée sans suite, mais cette séquence ne nous semble pas sérieuse.
Tout d’abord, ce texte s’éloigne des principes fondamentaux régissant le dispositif de rétention administrative. Ensuite, il est fragile sur le plan juridique. Enfin, il n’apporte pas de réponse au problème fondamental lié à la mise en œuvre, ou plutôt à la non-mise en œuvre, de l’éloignement des personnes retenues. Il sera donc probablement peu efficace.
Permettez-moi de rappeler quelques principes essentiels du dispositif de la rétention administrative.
La priorité est l’éloignement rapide des personnes concernées, non leur maintien prolongé dans des centres de rétention qui, bien qu’étant des lieux de privation de liberté, ne sont pas des prisons. Le temps disponible avant la libération d’une personne condamnée doit être mis à profit pour préparer son éloignement.
Pour en revenir au drame qui a inspiré cette proposition de loi, l’administration disposait d’un laps de temps suffisant pour faire les démarches nécessaires, en particulier l’obtention des laissez-passer consulaires. Pourtant, la procédure a été engagée bien trop tardivement et des erreurs de transmission des demandes ont encore ralenti le processus.
Plutôt que de tirer les leçons de ces défaillances pour améliorer l’efficacité de l’éloignement, ce texte choisit une autre voie : l’enfermement prolongé, présenté comme une solution en soi. Or cette logique inverse totalement les priorités : au lieu d’améliorer l’efficacité des procédures d’éloignement, on entérine une logique de privation de liberté prolongée, comme si la rétention en elle-même constituait une solution.
À entendre certains d’entre vous, mes chers collègues, on se demande d’ailleurs si la solution ne serait pas finalement la rétention à perpétuité pour contrer les menaces représentées par des individus que leurs pays d’origine, d’ailleurs, ne veulent plus voir sur leur sol. Si l’on suit votre logique, il faudrait les garder en CRA ad vital aeternam…
La rétention administrative n’est pas et ne doit jamais devenir une peine. Elle est une mesure temporaire, strictement encadrée, visant à organiser l’éloignement des personnes en situation irrégulière. Or cette proposition de loi en détourne le sens même, en cherchant à allonger sa durée pour un nombre considérable de cas, dans lesquels un étranger pourra être retenu.
C’est donc une remise en cause profonde de certains de nos principes fondamentaux. La privation de liberté doit rester l’exception et être strictement justifiée par une nécessité impérieuse.
Or en allongeant la rétention jusqu’à 210 jours, ce texte crée un régime de privation de liberté sans condamnation pénale, en contradiction avec l’article 66 de la Constitution, qui consacre le juge judiciaire comme garant de la liberté individuelle.
Plutôt que d’améliorer les procédures, de renforcer les effectifs en charge du traitement des dossiers ou de négocier de meilleurs accords de réadmission, même si c’est complexe, le texte choisit d’enfermer plus longtemps, au mépris de certains droits fondamentaux. Pourtant, c’est non pas la durée de la rétention qui est en cause, mais bien l’efficacité de l’autorité administrative ; il est impératif de l’améliorer de façon rigoureuse si l’on veut une politique efficace en la matière.
Ensuite, ce texte est fragile sur le plan juridique et soulève de réelles interrogations sur le plan constitutionnel, puisqu’il remet en cause le principe de proportionnalité entre la sauvegarde de l’ordre public et le respect des libertés fondamentales.
Madame la rapporteure, vous voudrez bien m’excuser d’être attentif à la constitutionnalité des propositions qui nous sont soumises ! En tant que législateur, cela m’apparaît tout de même fondamental. Malgré les propos rassurants de M. le ministre, nous serons tout à fait vigilants sur des mesures qui ne manqueront pas, de toute façon, d’attirer l’attention du juge constitutionnel, comme la loi Besson en son temps.
En commission des lois, Mme la rapporteure a souhaité aller plus loin, en amendant le texte pour autoriser le placement en rétention jusqu’à 210 jours d’un étranger condamné pour des infractions de nature délictuelle, voire au seul motif que son « comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Cette disposition ne nous paraît pas proportionnée à l’objectif.
Enfin, ce texte risque d’être inefficace. Pour envisager un tel durcissement, encore faudrait-il s’appuyer sur des données objectives. Or nous ne disposons d’aucun bilan des précédents allongements des délais de rétention, ni du nombre des éloignements effectifs et des délais dans lesquels ils sont réalisés. Vous proposez de légiférer sans même connaître l’impact des mesures déjà en vigueur, et pour certaines d’entre elles assez récentes. Encore une fois, ce n’est pas sérieux !
Vous ne proposez aucune solution concrète face à un problème bien réel, alors même que des défaillances, nombreuses, ont été identifiées. La question des moyens est centrale : il s’agit non pas seulement de construire de nouveaux centres, mais aussi de garantir un encadrement adapté, tant pour la sécurité des personnels que pour l’efficacité des procédures administratives d’éloignement.
Mes chers collègues, l’allongement de la durée de rétention aura un impact direct sur le contentieux du droit des étrangers, déjà sous tension dans de nombreuses juridictions. C’est le cas dans mon département, le Loiret. Depuis l’ouverture récente du CRA d’Olivet, les juridictions d’Orléans font face à une explosion des recours, aggravant encore l’engorgement de la justice.
Nous pensons donc qu’il est indispensable qu’un rapport soit réalisé sur l’application actuelle de la rétention administrative.
Pour conclure, il semble que nous devons rappeler une évidence : ce n’est pas en allongeant indéfiniment la durée de rétention que nous éloignerons plus efficacement. Ce n’est ni pragmatique, ni efficace, ni digne d’un État de droit.
Même si nous sommes tous choqués par le meurtre abject d’une jeune fille, l’émotion légitime ne doit pas conduire à renoncer à certains principes fondamentaux… (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Roger Karoutchi. Allez !
Mme la présidente. Il faut conclure.
M. Christophe Chaillou. Mes chers collègues, ressaisissez-vous et restez fidèles à ce qui fait la force de notre assemblée, en sortant de cette course mortifère avec l’extrême droite et ses funestes pulsions. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte visant à allonger la durée limite de rétention des clandestins à dix-huit mois aura tout mon soutien, et pour cause : j’ai déposé en ce sens, lors de la discussion du projet de loi Immigration, fin 2023, un amendement auquel vous avez opposé à l’époque un avis défavorable.
M. Guy Benarroche. Et pourquoi pas la perpétuité ?
M. Stéphane Ravier. Cependant, ce texte me pose trois problèmes.
Le premier, c’est la sincérité politique de la démarche.
À quel Bruno Retailleau ai-je l’honneur de m’adresser aujourd’hui par votre intermédiaire, monsieur le ministre ? Au sénateur qui a rendu inexpulsable l’influenceur franco-algérien Doualemn par un amendement à la loi Immigration en janvier 2024 ou au ministre de l’intérieur qui se plaint de ne pas pouvoir l’expulser ?
À ces « en même temps » de court terme s’ajoute l’incohérence de long terme de votre famille politique. Je rappelle ainsi que les députés français du parti populaire européen (PPE) ont voté la directive Retour en 2008. Cette dernière, que l’on pourrait renommer aujourd’hui directive Sans Retour, a fourni une base juridique à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) en 2011 pour interdire les sanctions pénales à l’encontre des clandestins. C’est cette jurisprudence qui a conduit Manuel Valls à supprimer le délit de séjour irrégulier en 2012.
C’est encore cette directive qui a offert une base à la CJUE pour interdire, en septembre 2023, le refoulement systématique d’un étranger entré irrégulièrement sur le territoire français, rendant obsolètes les contrôles aux frontières.
C’est enfin cette directive, portée par votre famille politique à Bruxelles, qui a rendu le recours à la rétention exceptionnel et marginal, pour lui préférer les départs volontaires. Un juge des libertés et de la détention (JLD) s’est d’ailleurs appuyé sur ces principes pour autoriser la sortie de rétention du meurtrier de Philippine en septembre dernier. La gauche évoque aujourd’hui le cœur battant de la République… Le cœur de Philippine, lui, ne bat plus.
Le deuxième problème réside dans le sous-dimensionnement des moyens.
Il existe aujourd’hui 2 000 places dans les centres de rétention en France, alors qu’il y a eu 140 000 nouvelles OQTF prononcées en 2024 et qu’il y a entre 600 000 et 900 000 clandestins sur notre sol actuellement.
Entre 2019 et 2022, seulement 5 % des personnes sous OQTF sont passées en centre de rétention administrative. Si l’on veut faire de la rétention un outil à la hauteur des besoins réels, il nous faudrait multiplier par sept le nombre de places, ce qui paraît intenable, surtout si les pays d’origine ne délivrent pas de laissez-passer consulaires.
Enfin, le troisième problème est celui de la cohérence globale.
Le présent texte sera anecdotique si vous ne remettez pas en cause le sans-frontiérisme à l’œuvre dans nos institutions. La première des rétentions, c’est la frontière. Or je vous entends trop peu remettre en cause Schengen et ses élargissements, le pacte européen sur la migration et l’asile ou la faiblesse de Frontex.
Aujourd’hui, un clandestin en centre de rétention coûte 700 euros par jour, soit le salaire mensuel de nombreux agriculteurs.
Si la rétention est un mal financier nécessaire à la sécurité des Français, elle doit être rendue inutile à long terme par la cohérence d’ensemble d’une politique de maîtrise des flux migratoires. C’est précisément là, monsieur le ministre, que nous vous attendons après le vote de ce texte et que vous serez jugé par les Français.
Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel. (Mme Dominique Vérien et M. Pierre Jean Rochette applaudissent.)
M. Louis Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui représente un jalon important dans le débat relatif à l’éloignement des étrangers. Il vient aussi remettre en question certaines lectures du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
Cette proposition de loi vise à allonger jusqu’à 210 jours la durée de rétention d’un étranger en situation irrégulière condamné pour « des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive ».
Parmi ces individus, certains représentent un danger avéré. L’actualité nous le rappelle trop souvent, et nous ne devons pas nous habituer à ces tragédies.
Parmi les étrangers en situation irrégulière, certains sont connus non seulement des services de police, mais aussi de la justice. Ils ont parfois fait l’objet de condamnations, d’emprisonnements et de mesures d’interdiction du territoire français. Pourtant, leur éloignement demeure difficile à mettre œuvre.
Il nous revient de lever les obstacles qui entravent encore l’application de la loi. En cela, ce texte constitue une avancée notable. Je salue ici son auteur, Jacqueline Eustache-Brinio, et la rapporteure de notre commission, Lauriane Josende, pour le travail qu’elles ont réalisé.
Ce texte s’inscrit dans le droit fil de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, votée le 30 janvier 2024 au Sénat. Mais nous pouvons et même nous devons faire mieux.
Actuellement, à moins d’être condamné pour terrorisme, un étranger ne peut pas être retenu dans un centre de rétention administrative (CRA) au-delà de 90 jours. À l’expiration de ce délai, même si aucune solution d’éloignement n’a été trouvée, la personne doit être libérée.
Or la plupart des éloignements de personnes retenues en CRA ont lieu après 90 jours. Cela montre clairement que la réforme envisagée pourrait faciliter l’achèvement des procédures en offrant aux autorités le délai supplémentaire dont elles ont besoin pour agir.
Cette réforme ne remet pas en cause les droits fondamentaux des personnes retenues. Les étrangers concernés continueront de pouvoir saisir la justice à tout moment pour demander leur remise en liberté et ils bénéficieront d’un accès effectif à un avocat.
La rétention administrative, qui est contrôlée par le juge seulement a posteriori, est une mesure à laquelle il est en principe préférable de ne pas recourir dans un État de droit, mais elle constitue parfois le seul moyen de faire respecter la loi.
Contrairement à ce que j’ai pu entendre, c’est l’application pure et simple du principe de proportionnalité : c’est indispensable, donc c’est proportionné ! La rétention administrative vise à permettre à l’État de finaliser les procédures nécessaires auprès des pays de retour et d’obtenir les laissez-passer consulaires qui conditionnent l’exécution des décisions d’éloignement.
Cette proposition de loi ne résoudra pas tout, il faut en être conscient. Plusieurs questions restent ouvertes, notamment en ce qui concerne la procédure. Une expulsion avec un retrait de carte de résident et une OQTF constituent encore deux procédures distinctes. Nous avons besoin de les unifier.
Le garde des sceaux a récemment proposé de supprimer l’avis de la commission départementale d’expulsion, qui était requis, sauf urgence absolue, préalablement à un arrêté d’expulsion. Juridiquement comme politiquement, cette suppression ne pourra intervenir que par voie législative et non réglementaire.
Le débat reste ouvert aussi en ce qui concerne le contrôle de la rétention par le juge ou la construction de places supplémentaires en centres de rétention.
Cette proposition de loi vise un objectif totalement légitime, à savoir la protection de nos concitoyens, et ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce texte revêt une importance capitale, car il répond à un impératif : la sécurité des Français.
Il s’agit de faire en sorte que notre système judiciaire et administratif protège véritablement nos concitoyens face à des ressortissants étrangers qui, par leurs actes d’une extrême gravité, ont malheureusement démontré qu’ils ne méritent pas ou qu’ils ne méritent plus de vivre parmi nous en toute liberté.
M. Jacques Grosperrin. Très bien !
M. Stéphane Le Rudulier. Faut-il rappeler que la sécurité est un droit fondamental ? Sans sécurité, il n’y a pas de liberté ni de prospérité. Chaque jour, nos compatriotes subissent les effets dramatiques de crimes particulièrement violents ou de récidives qui marquent à jamais des vies et des familles.
Il est grand temps d’admettre que certaines personnes, qui n’ont plus rien à faire sur notre territoire et qui représentent une menace réelle et imminente pour la société, en raison notamment de la gravité des actes qu’elles ont commis, ne peuvent plus bénéficier de la confiance que notre système judiciaire accorde par principe à toute personne condamnée.
Non, la justice n’est pas une simple question de réinsertion ou de réhabilitation. Elle doit d’abord être un instrument de préservation de l’ordre public. La réinsertion ou la réhabilitation n’est pas un droit inaliénable et automatique. Elle doit être un privilège mesuré à l’aune du comportement de l’individu, qui doit avoir manifesté son repentir et sa capacité à vivre en conformité avec les règles de notre République.
La réinsertion doit être réservée à ceux qui ont prouvé qu’ils étaient dignes de retrouver la liberté. Cette dernière doit se mériter et ne pas être concédée de manière aveugle.
Il est de notre responsabilité, en tant que législateur, de mettre tout en œuvre pour prolonger la rétention administrative de ceux qui n’ont pas montré de signes de changement. L’idée même de libérer prématurément des individus dangereux condamnés pour des actes singulièrement graves relève à mon sens d’une vision purement idéologique, déconnectée des réalités vécues par nos concitoyens.
Au travers de ce texte, il s’agit de trouver le bon équilibre entre la protection des droits des étrangers et la sécurité de nos concitoyens. La justice doit être pragmatique et réaliste. La liberté d’un individu ne saurait l’emporter sur la sécurité collective, dès lors que la libération de ce dernier met en péril la vie d’autrui.
Nos concitoyens ne peuvent pas continuer à vivre sous la menace constante de ressortissants étrangers déjà condamnés pour des faits particulièrement graves et qui présentent un réel risque de récidive.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi n’a pas pour objet de viser explicitement les ressortissants étrangers. C’est une loi pour la société, qui a pour objet de protéger l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch.
M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi à mon tour d’adresser mes salutations et mes vœux de bon rétablissement à Jacqueline Eustache-Brinio.
Il y a dans notre pays des drames qui nous rappellent cruellement que nous devons dépasser nos clivages partisans quand les circonstances l’exigent.
Il y a dans notre pays des exigences qui nous appellent à prendre nos responsabilités et à engager des mesures concrètes et de bon sens, attendues par les Français. La sécurité de nos concitoyens est une exigence fondamentale de notre République, et il est de notre devoir de ne pas tergiverser quand celle-ci est malmenée sur notre sol, a fortiori quand les lacunes de notre propre législation sont en cause.
Il arrive malheureusement que des drames soient causés par des individus connus, condamnés et soumis à une obligation de quitter le territoire français : des familles et des vies sont ainsi brisées à cause de failles administratives. En dépit des efforts déjà engagés ces dernières années, nous devons encore parfaire notre système et ne plus accepter d’être surpris par nos propres lacunes.
La rétention administrative des étrangers en situation irrégulière présentant un risque pour la sécurité de nos concitoyens est une nécessité. Elle se doit bien sûr d’être engagée avec pragmatisme, avec proportion, avec humanité et toujours dans la dignité, mais aussi avec fermeté. Il y va de la confiance des citoyens dans la solidité de nos institutions. La cohésion de nos territoires et la préservation de l’ordre républicain sont à ce prix.
Nous sommes réunis aujourd’hui afin d’examiner la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive. Ce texte tend à prolonger la durée maximale en rétention administrative de certains profils à la dangerosité avérée. Enrichi lors de son examen en commission des lois, il repose sur trois mesures principales.
Tout d’abord, il prévoit l’extension du régime de rétention renforcée aux personnes en situation irrégulière condamnées pour des infractions graves. Actuellement, leur rétention ne peut excéder 90 jours, sauf pour les actes liés au terrorisme, pour lesquels un régime spécifique permet d’allonger cette durée jusqu’à 180, voire 210 jours. L’harmonisation proposée par ce texte vise à aligner ces dispositifs au nom de la prévention des menaces.
Ensuite, il attribue un effet suspensif aux recours contre la fin de rétention, afin d’éviter des libérations prématurées en cas d’appel. Dans le cadre actuel, il peut arriver que la rétention soit interrompue en raison d’un recours administratif, alors même que la dangerosité de l’individu est avérée. Cette disposition vient assurer que la remise en liberté dans ces conditions ne soit plus possible jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur le recours.
Enfin, il modifie le séquençage de la rétention administrative de droit commun, uniformisant après la deuxième prolongation de 30 jours les prolongations suivantes sur cette même durée.
Cette clarification ne se traduit pas par un allongement de la durée maximale de rétention de droit commun. Elle est en outre sans conséquence sur le plein exercice des droits des personnes retenues. En fait, cette harmonisation vise à limiter les potentielles erreurs d’interprétation, comme ce fut malheureusement le cas pour le meurtrier de Philippine.
Il convient de relever que cette disposition constitue une mesure d’enrichissement de la proposition de loi initiale. C’est un signal envoyé à ceux qui, sur le territoire de la République française, enfreindraient la loi.
Mes chers collègues, l’extension jusqu’à 210 jours de la période de rétention des individus condamnés pour des infractions sexuelles ou violentes graves ne relève pas pour nous d’un débat idéologique. C’est une mesure qui fait sens et qui a vocation à s’appliquer non pas par principe, mais seulement lorsque les conditions l’exigent.
Rappelons que la rétention administrative est non pas une sanction pénale, mais une mesure de sûreté visant à assurer l’effectivité des décisions d’éloignement. Les dispositions de ce texte restent de surcroît encadrées par des garanties strictes, sous le contrôle du juge judiciaire et en conformité avec le droit européen.
Nous savons que la récidive est une triste réalité. Nous savons aussi que le maintien en rétention administrative ne saurait être la seule solution face aux lenteurs diplomatiques ou aux blocages bureaucratiques. Mais face aux drames de sang, l’incompréhension est forte et l’émoi terrible, déchirant. Et de tels actes sont encore plus révoltants quand ils sont commis par des individus qui n’auraient pas dû être remis en situation de récidive potentielle par notre propre administration.
Bien sûr, nous devons rester vigilants. La justice ne doit se nourrir d’aucun excès. Bien sûr, le levier diplomatique, avec la délivrance des laissez-passer consulaires, reste une priorité essentielle pour rendre effectif l’éloignement des individus bafouant les lois de la République et menaçant la sécurité des Français. L’exigence appelle aussi à accroître les moyens mis à disposition des préfectures pour assurer un accompagnement administratif plus efficace.
Sans opposer fermeté et humanisme, il nous faut avant tout garantir que les décisions de justice soient effectivement appliquées et réaffirmer la première des libertés, celle de vivre en sécurité sur le territoire français. C’est une responsabilité essentielle que l’État se doit d’assumer pleinement.
Mes chers collègues, l’occasion nous est donnée aujourd’hui de nous doter d’un outil approprié, rigoureux et mesuré. La France est une terre d’accueil, une nation régie par des droits, des règles et des devoirs, un État de droit et de liberté garantissant la sécurité pour tous ses ressortissants, ses visiteurs, ainsi que ceux qui sollicitent son hospitalité.
En soutenant ce texte, le groupe RDPI affirme sa volonté de toujours mieux protéger nos concitoyens et de préserver ainsi la cohésion républicaine dans tous nos territoires.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Michel Masset. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet principal le prolongement de la durée de rétention administrative pour les auteurs de certaines infractions.
J’aimerais affirmer en préambule que le groupe RDSE est bien évidemment attaché à tout ce qui peut contribuer à assurer à tous les membres de notre société une indispensable sécurité. En cela, je m’inscris dans la volonté d’outiller juridiquement notre République pour écarter de nos rues les individus qui représentent un danger pour autrui.
Toutefois, dans cette quête, nombreux sont les pièges dans lesquels la violence de certains délits pourrait nous faire tomber. Or il me semble que l’honneur d’une démocratie réside bien dans la manière dont elle assure le respect des droits et des libertés.
La proposition de loi entend traiter de front deux enjeux qui ne se confondent pas : le sécuritaire et le migratoire. Comme le rappelle le service juridique du Conseil constitutionnel, à la différence des condamnations pénales, la rétention administrative a pour objet d’aboutir à l’éloignement de l’intéressé et non pas de le punir.
La durée de la rétention dépend donc de la capacité de l’État à expulser l’individu concerné. C’est pourquoi le législateur a encadré sa prolongation par des garanties particulières, comme l’assurance de la délivrance d’un laissez-passer consulaire à bref délai ou la disponibilité d’un moyen de transport pour mettre en œuvre l’expulsion.
Toutefois, la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité de 2011 a soumis les étrangers condamnés au titre d’activités terroristes à un régime de rétention administrative particulier, qui peut être étendu à 210 jours.
Ce droit spécial a été justifié par la dangerosité particulière des individus concernés. La prolongation ne peut avoir lieu que si l’éloignement de l’étranger constitue une perspective raisonnable. Mais cette longue période de rétention permet davantage de priver de liberté des individus considérés comme dangereux que d’augmenter les chances de voir ceux-ci effectivement expulsés.
De ce fait, cette procédure pourrait relever du droit pénal, plutôt que du droit des étrangers. En effet, une telle restriction de liberté, fondée sur la préservation de l’ordre public, si elle semble pertinente pour protéger nos concitoyens, doit être encadrée par les garanties procédurales du droit pénal.
Il faut bien nous garder de transformer la rétention administrative en une seconde peine, prononcée sur le fondement d’une condamnation pénale.
La présente proposition de loi, modifiée par la commission des lois, vise à étendre ce régime dérogatoire à toute personne condamnée à une interdiction du territoire français ou à une OQTF fondée sur une condamnation à une infraction punie de cinq ans de prison ou plus pour des faits de provocation ou d’apologie du terrorisme, ainsi qu’à toute personne « dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. »
Quels seront les effets de cette mesure sur l’éloignement effectif des personnes visées ? Les chiffres figurant dans le rapport national et local 2023 sur les centres et locaux de rétention administrative montrent que le nombre d’éloignements est surtout important au début de la rétention.
Dans cette perspective, l’allongement de la rétention jusqu’à 210 jours ne semble pas strictement nécessaire pour atteindre l’objectif d’éloignement. Ce dernier constitue d’ailleurs un sujet essentiellement diplomatique, comme le confirme l’actualité.
Au contraire, cette large extension me semble préjudiciable pour le respect des droits et libertés. Comme nous avons déjà pu le déplorer dans d’autres circonstances, le droit commun s’aligne encore davantage sur le régime d’exception. Et la question sécuritaire s’engouffre dans le champ du droit administratif.
S’y ajoutent des problèmes de surpopulation dans les CRA, et les conditions dans lesquelles les personnes sont retenues ne sont pas satisfaisantes. Enfin, il y a des sorties sèches après plusieurs mois. Dans de tels cas, que prévoyons-nous pour le 211e jour ?
En somme, cette proposition de loi ne permet d’aborder que partiellement la problématique de la sécurité et ne répond pas à l’enjeu diplomatique des migrations. C’est pourquoi le groupe RDSE reste partagé sur ce texte et prendra sa décision à l’issue des débats. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.
Comment ne pas penser au meurtre de Philippine ? Cette jeune femme d’à peine 19 ans a été violée et assassinée par un homme récidiviste, libéré d’un CRA quelques jours plus tôt et faisant l’objet d’une OQTF non exécutée.
Ce drame a indigné à juste titre beaucoup de nos concitoyens. Il nous a aussi montré les limites de nos procédures actuelles, bien au-delà de la simple question de l’exécution des OQTF.
L’excuse de minorité lors du premier procès pour viol était-elle pertinente ? Pourquoi cette personne n’a-t-elle pas exécuté sa première peine dans sa totalité ? Pourquoi n’avoir pris aucune disposition en amont pour assurer sa reconduite à la frontière après exécution de la peine ? Comment le juge a-t-il pu, tout en reconnaissant la dangerosité de l’individu, autoriser sa remise en liberté avant la fin du délai de 90 jours ?
Disons-le clairement, c’est une faillite à bien des niveaux, avec des conséquences dramatiques. C’est l’une des raisons pour laquelle la commission des lois et la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ont lancé une mission conjointe de contrôle, afin d’évaluer l’efficacité des mesures visant à lutter contre la récidive des auteurs d’infractions à caractère sexuel. Il s’agit en effet de l’autre volet du sujet dont nous parlons.
Le texte que nous examinons aujourd’hui, s’il ne traite qu’une partie du problème, apporte déjà un début de solution. En effet, nous devons faire évoluer notre arsenal législatif, y compris en ce qui concerne la durée de rétention.
Je rappelle que le Sénat, sur l’initiative de la présidente de la commission des lois Muriel Jourda, avait, dès le mois d’octobre dernier, formulé des propositions en ce sens. Finalement, il a été décidé de traiter le sujet par une proposition de loi. Je remercie Jacqueline Eustache-Brinio d’avoir rédigé ce texte.
Concrètement, en permettant un maintien en rétention jusqu’à 180 jours, voire 210 jours dans certains cas, cette proposition de loi nous donne plus de temps pour assurer la bonne exécution des OQTF et empêcher que des individus dangereux ne soient libérés par défaut.
Notre rapporteure, que je remercie de la qualité de son travail, a préféré, dans un souci de clarté, viser l’ensemble des cas les plus graves, en englobant les crimes et délits passibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement.
En outre, l’article 2 de ce texte permet, en cas d’appel du préfet, de garder la personne en rétention avant une nouvelle procédure, ce qui me semble pertinent. Il est en effet essentiel que ces recours n’ouvrent pas la porte à des libérations prématurées, qui pourraient poser un risque pour la sécurité du public.
Enfin, je salue la simplification opérée par la commission, qui a fusionné la troisième et la quatrième prolongation en une seule prolongation de 30 jours. Le calendrier est ainsi clarifié et la charge administrative allégée. Les procédures sont simplifiées et la sollicitation des forces de l’ordre réduite, ce qui leur permettra de se recentrer sur leurs missions essentielles.
Toujours dans cette logique d’efficacité et d’amélioration de nos procédures, il serait aussi pertinent, monsieur le ministre, que le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) transmette systématiquement son analyse au juge qui doit se prononcer sur l’allongement de la durée de rétention d’un étranger passé par la détention, ce qui est le cas dans 25 % des cas.
Pour rappel, le Spip n’a pas du tout été interrogé dans le cas du meurtrier de Philippine. Cette question est réglementaire, monsieur le ministre, et nous aurons l’occasion d’en reparler, en associant évidemment votre collègue garde des sceaux, ministre de la justice.
Mes chers collègues, s’il est évident que ce texte va dans le bon sens, il serait pourtant dangereux de nous en satisfaire. L’allongement de ces délais ne doit pas se transformer en une fuite en avant et ne doit pas se substituer à une politique vraiment ambitieuse sur ce sujet.
Ces rétentions de très longue durée doivent non pas devenir la norme, mais bien rester l’exception, strictement réservée aux cas les plus graves, avec pour but d’éviter la récidive. En effet, la priorité doit rester l’exécution effective des expulsions. Une libération par défaut est aussi regrettable après 180 jours qu’après 90 jours et ne pourra éviter de nouveaux drames.
D’ailleurs, la capacité d’accueil de nos CRA est un aspect purement pratique, mais essentiel, à prendre en compte. En 2023, ce sont 47 000 personnes, dont 28 000 rien qu’à Mayotte, qui ont fait l’objet d’une mesure de rétention administrative, pour une durée moyenne de 28,5 jours, avec une surpopulation de plus en plus flagrante sur tout le territoire. Là encore, l’allongement de la durée n’est rien sans de nouvelles places. Il pourrait même créer des blocages et avoir un effet contre-productif, auquel il faudra réfléchir.
Si ce texte est bienvenu, c’est l’exécution des OQTF qui est la priorité. Il est indispensable que le Gouvernement mène un véritable travail de conviction auprès de certains pays qui font parfois preuve de réticence à accueillir leurs ressortissants.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce prolongement n’est qu’une partie de la réponse. Pour autant, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
(M. Loïc Hervé remplace Mme Sylvie Vermeillet au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé
vice-président
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.
M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour débattre de cette proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.
Un mot résume l’esprit de ce texte : la surenchère.
Surenchère, tout d’abord, parce que cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte d’inflation législative sur les enjeux d’immigration. Observez notre ordre du jour : à chaque jour son texte sur l’immigration ! Aujourd’hui, nous en examinons même deux, après une proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire, après le débat sur les accords franco-algériens dans le domaine de l’immigration et de la circulation des personnes…
Avant l’examen d’une proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, nous voilà donc réunis pour débattre de l’allongement de la durée de rétention en CRA. Et bientôt, nous débattrons ici d’une proposition de loi constitutionnelle visant à abroger le droit du sol et le double droit du sol à Mayotte, comme si, au fond, l’immigration était le seul défi auquel la société française est confrontée ; comme si l’immigration était le seul sujet digne d’intérêt dans notre assemblée !
Surenchère, ensuite, puisqu’il s’agit, avec ce texte, d’allonger une fois de plus la durée de rétention en CRA. Celle-ci, je le rappelle, n’est pas une peine. Les personnes dont nous parlons ont d’ailleurs déjà purgé leur peine.
En 1981, la durée de rétention maximale était de 7 jours. Elle est passée à 13 jours en 1998, à 32 jours en 2003, à 45 jours en 2011 et à 90 jours en 2018. Il s’agirait à présent de la faire passer à 210 jours. Et dans cette logique du toujours plus, voilà que le ministre Retailleau nous parle de passer à une durée de rétention maximale de dix-huit mois… Les 210 jours n’ont pas encore été votés que le ministre nous dit déjà que nous jouons petits bras et qu’il faudra aller beaucoup plus loin !
Surenchère, enfin, car cette politique a un coût. La Cour des comptes a établi que le coût de la politique de lutte contre l’immigration illégale s’élève chaque année à 1,8 milliard d’euros. La rétention en CRA coûte aux pouvoirs publics 602 euros par jour pour chaque personne retenue. Il y a vraiment un paradoxe à voir les tenants de la baisse de la dépense publique considérer que, en matière d’immigration, toutes les dépenses sont permises, y compris celles qui n’ont pas démontré leur efficacité.
Au moins, si cette politique était efficace… Mais elle ne l’est même pas ! Elle bute en effet sur une évidence que l’on ne peut se dissimuler : la reconduite à la frontière nécessite la délivrance d’un laissez-passer consulaire. Et l’allongement de la durée de rétention en CRA n’augmente en rien la probabilité du retour au pays d’origine des personnes retenues.
Selon la Cour des comptes, 58 % des libérations de CRA avant éloignement résultent d’une impasse dans la délivrance des laissez-passer consulaires. Dans le cas dramatique de Philippine, qui a été évoqué plusieurs fois aujourd’hui, l’assassin avait été libéré du CRA au bout de 75 jours. Il n’est donc même pas allé au bout des 90 jours permis par la loi actuelle. C’est dire que l’allongement de la durée de rétention à 210 jours n’aurait strictement rien changé à ce drame.
Au fond, ce texte ne vise qu’un seul et unique objectif : envoyer un signal à l’opinion publique. Ce n’est rien d’autre qu’un texte CNews : il vise à créer l’illusion qu’on agit, à accréditer l’idée que la France serait laxiste en matière d’immigration et à donner le sentiment d’un serrage de vis présenté comme salutaire. Le tout alors que la France est le pays d’Europe qui délivre le plus d’OQTF. Le tout alors que la France est aussi le pays d’Europe qui – en valeur absolue, non en proportion – exécute le plus d’OQTF !
Pour toutes ces raisons, et parce que ce texte se prévaut d’objectifs très éloignés de ses buts réels, nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, combien de drames faudra-t-il encore pour que nous prenions nos responsabilités ? Combien de victimes auraient pu être épargnées si nous avions eu les outils nécessaires pour empêcher la récidive de criminels dangereux ? Combien de Philippine et de Lola faut-il avant que nous ne décidions de mesures fortes, mais nécessaires ?
C’est dans cet esprit, celui d’une justice en faveur des victimes, que nous examinons aujourd’hui cette proposition de loi. Celle-ci vise à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.
Le texte que nous défendons est à la fois clair, nécessaire et équilibré. Il s’agit non pas d’une réforme idéologique, mais d’une réponse pragmatique à une réalité préoccupante, celle des personnes condamnées pour des actes d’une extrême gravité : violences sexuelles, crimes organisés, assassinats, tortures, proxénétisme, traite des êtres humains. Ces personnes représentent une menace pour la société une fois leur peine purgée.
Nous avons le devoir d’agir. Actuellement, le cadre juridique prévoit un régime de rétention administrative strict pour les étrangers condamnés pour des faits de terrorisme. Or la menace ne se limite pas au terrorisme. Le danger que représentent certains criminels est tout aussi élevé, et leur potentielle récidive constitue un risque que nous ne pouvons ignorer.
Cette proposition de loi vient donc harmoniser et renforcer notre dispositif de rétention, en augmentant sa durée pour les individus les plus dangereux.
Pourquoi cette extension est-elle nécessaire ? Parce que, nous le savons, certains criminels, en particulier les auteurs de violences sexuelles, les tueurs en série ou les chefs de réseaux criminels, ont des profils à haut risque de récidive. La justice en fait trop souvent le constat. Elle se sent parfois impuissante face à des individus qui, une fois remis en liberté, replongent dans la violence la plus extrême.
Une étude de l’Insee réalisée en 2019, relative à l’ensemble des personnes condamnées pour des crimes et délits, nous a révélé l’ampleur du phénomène, en montrant que 178 criminels et près de 70 000 délinquants étaient en état de récidive légale. En 2019, quelque 43,1 % des personnes condamnées à de la prison ferme étaient en état de récidive légale. Et je ne parle même pas des récidives après condamnations pour des peines d’emprisonnement avec sursis.
Les chiffres ne mentent pas, mes chers collègues, la France fait face à un problème inquiétant et lancinant, qui met à mal notre société et notre justice. Cette problématique de la récidive est similaire pour les personnes en rétention.
À l’heure où nous parlons, un meurtrier ou un pédocriminel condamné ne peut pas être maintenu en rétention après sa peine, sauf dans des conditions extrêmement limitées.
En 2023, plus de 45 000 personnes faisant l’objet d’OQTF ont été placées en CRA. Le taux de retour forcé a atteint péniblement 43,2 %. C’est-à-dire que plus de 25 000 personnes faisant l’objet d’OQTF, et parfois de condamnations pénales, se retrouvent libres sur notre territoire.
Il n’est plus possible de tolérer une telle réalité. Nous ne pouvons plus accepter ces drames évitables, avec ces individus connus pour leur dangerosité qui retrouvent la liberté et qui réitèrent leurs actes. Chaque affaire de récidive est un échec collectif, un signal d’alarme qui nous rappelle que nous devons agir avec fermeté et responsabilité.
Enfin, cette proposition de loi ne remet pas en cause nos principes fondamentaux. En effet, il s’agit non pas de détention arbitraire, mais bien d’une mesure de précaution, ciblée, justifiée et proportionnée à la menace.
Mes chers collègues, il est temps d’agir. En votant la présente proposition de loi, nous adressons un message fort, celui de notre détermination à protéger nos concitoyens, tout en affirmant notre engagement de manière mesurée et responsable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Do Aeschlimann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Do Aeschlimann. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les drames impliquant des personnes en situation irrégulière et sous OQTF se multiplient partout dans le pays. Ils suscitent la légitime indignation de nos concitoyens.
En septembre dernier, le viol, puis le meurtre odieux de Philippine ont provoqué une onde de choc. Elle avait 19 ans. Elle rentrait de son université. Son assassin, déjà connu pour viol et placé sous OQTF, avait été libéré en application d’une décision de justice refusant la prolongation de sa rétention.
En février, une attaque mortelle – non moins abjecte – coûtait la vie à Lino Sousa Loureiro, à Mulhouse. Cet homme de 69 ans faisait ses courses. Il a été assassiné à 500 mètres de chez lui, après s’être interposé face à un assaillant fiché pour terrorisme et sous OQTF. L’Algérie avait refusé à dix reprises de reprendre son ressortissant.
Face à ces exactions insupportables, nous avons le devoir de nous dresser.
Je veux saluer le courage de notre ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, et lui témoigner le soutien du groupe Les Républicains dans le bras de fer qu’il a engagé pour faire respecter la France et protéger nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.) C’est un combat que la majorité sénatoriale mène avec constance au sein de notre assemblée.
Nous l’avons fait lorsque nous avons voté, monsieur le ministre, votre proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, mais aussi, avec moins de succès, lorsque nous avons examiné le projet de loi sur l’immigration.
J’avais alors défendu et fait adopter un amendement, qui a survécu à la censure du Conseil constitutionnel et qui visait à lever les protections bénéficiant aux étrangers en situation irrégulière auteurs de violences à l’encontre des élus, des policiers, des pompiers, des soignants, des magistrats, des avocats ou des enseignants.
Mes chers collègues, quand la loi n’est plus efficace, il faut avoir le courage de la changer. C’est notre responsabilité. Tel est l’objet de cette proposition de loi, portée par notre excellente collègue Jacqueline Eustache-Brinio, que je salue, et cosignée par une centaine de sénateurs du groupe Les Républicains.
Ce texte doit tout d’abord permettre de rallonger le délai de rétention des étrangers qui font l’objet d’une décision d’éloignement ou qui représentent une menace particulièrement grave pour l’ordre public, en vue de leur expulsion effective. Sont concernés les étrangers condamnés pour des infractions sexuelles, des violences graves ou des faits liés au crime organisé.
Comme en matière de terrorisme, le délai de rétention passerait à 180 jours. Il donnerait aux administrations le temps nécessaire pour mettre hors d’état de nuire les individus les plus menaçants.
Cette mesure est non seulement raisonnable, mais elle est conforme à la directive Retour, qui autorise, je le rappelle, une rétention pouvant aller jusqu’à dix-huit mois, comme c’est le cas en Allemagne. En outre, elle est entourée de toutes les garanties procédurales nécessaires.
Je veux saluer le travail de notre collègue Lauriane Josende, qui a contribué à renforcer ce texte. La commission des lois a par ailleurs simplifié les modalités de prolongation de la rétention. Comme souvent, le droit français s’était imposé des règles plus exigeantes que les dispositions du droit européen, en surtransposant.
Avec cette proposition de loi de bon sens, nous faisons un premier pas dans la lutte contre l’impunité et contre le laxisme, qui conduit à des drames. Voter ce texte, c’est agir pour la sécurité de tous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Avant que nous n’entamions l’examen de ce texte, je souhaite dire quelques mots sur l’État de droit, au regard de ce que j’ai pu entendre durant la discussion générale.
L’État de droit est fondamental. Il nous protège, notamment contre l’arbitraire de l’État, nous sommes tous d’accord sur ce point. Mais, à mon sens, son premier rôle est de mettre fin à la loi du plus fort.
Or aujourd’hui, la loi du plus fort, c’est celle des délinquants, plus particulièrement, dans le cadre du texte qui nous occupe, celle des délinquants étrangers. Vous nous dites, monsieur Benarroche, que les étrangers sont perçus comme des dangers. Non ! Ce sont les étrangers dangereux qui sont vus comme des dangers. Et il y en a !
Les étrangers représentent 8 % de la population française, mais 25 % de la population carcérale. C’est une réalité que nous ne pouvons éluder.
M. Pierre Jean Rochette. Bravo !
Mme Muriel Jourda, présidente de la commission des lois. La commission des lois a adopté un texte qui vise à permettre la rétention, autant que possible, des étrangers dangereux – ce terme est défini objectivement – lorsque leur éloignement n’est pas immédiatement réalisable, et ce, avec des garanties juridiques réelles.
Mes chers collègues, vous aurez du mal à expliquer à nos concitoyens que retenir des individus dangereux ne relèverait pas de l’État de droit. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Pierre Jean Rochette. Exactement !
M. Guy Benarroche. La justice ne sert donc à rien ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Une détention arbitraire est contraire à la Constitution !
M. le président. Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive
Avant l’article 1er
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Chaillou, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les conditions dans lesquelles l’autorité administrative procède à l’éloignement des personnes détenues. Ce rapport indique notamment les délais dans lesquels l’autorité administrative notifie les décisions d’éloignement aux personnes dont la détention arrive à échéance ainsi que les délais dans lesquels elle sollicite des pays tiers les laissez-passer consulaires nécessaires à l’éloignement de ces mêmes personnes. Ce rapport indique en outre, par pays, les délais dans lesquels sont délivrés les laissez-passer consulaires des personnes détenues.
La parole est à M. Christophe Chaillou.
M. Christophe Chaillou. Si cet amendement devait être résumé en une seule question, ce serait la suivante : pourquoi maintenir en rétention administrative pendant plusieurs mois – sept, en l’occurrence – des étrangers qui viennent déjà d’accomplir une peine de prison et qui ont donc déjà été privés de liberté ?
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : des étrangers condamnés à une peine d’emprisonnement et qui doivent être éloignés, expulsés du territoire une fois leur peine purgée. Or, s’il existe une période propice à la préparation de cet éloignement, c’est bien celle de la détention.
Si l’objectif est l’efficacité – je crois que nous sommes tous d’accord sur ce point –, alors la véritable question à se poser est celle-ci : comment tirer parti de la période d’incarcération pour préparer l’éloignement ?
Cela requiert de notifier la décision d’éloignement en temps utile et de solliciter le laissez-passer consulaire nécessaire dès que possible, avec un but simple : permettre l’éloignement de l’intéressé dès sa sortie de prison et, si possible, sans même devoir le placer en CRA, ou alors pour la durée la plus courte possible.
Malheureusement, puisqu’il s’agit d’une proposition de loi, nous ne disposons ni d’un avis du Conseil d’État ni d’une étude d’impact. Pourtant, un certain nombre de données seraient utiles pour éclairer nos débats et savoir comment, actuellement, l’éloignement est anticipé. À quel moment avant la fin de la peine les décisions d’éloignement sont-elles notifiées ? À quel moment les autorisations consulaires indispensables sont-elles sollicitées ?
Si ces démarches ne sont engagées que dans les tout derniers jours de détention, comme ce fut le cas pour le meurtrier de la jeune Philippine, il est évident que l’éloignement ne pourra pas avoir lieu dans les meilleurs délais. Ce qui aurait dû être fait durant les semaines ou mois précédant la libération devra alors être réalisé pendant la période de rétention administrative, ce qui entraîne mécaniquement un allongement de la durée de cette dernière.
Le véritable problème est donc bien celui de la préparation insuffisante des éloignements pendant la période de détention. C’est pourquoi cet amendement vise à demander que toutes les données relatives à cette préparation soient communiquées au Parlement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Il s’agit, en fait, d’une demande de rapport sur les conditions dans lesquelles l’autorité administrative procède à l’éloignement des personnes détenues. Par principe, la commission est toujours défavorable aux demandes de rapport.
J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Monsieur le sénateur, cet amendement est déjà satisfait par le droit en vigueur.
Les sujets que vous évoquez sont importants, bien entendu, et méritent d’être suivis, mais ils font déjà l’objet d’un rapport annuel au Parlement, prévu par l’article L. 123-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda). Nous pourrions d’ailleurs envisager d’ajouter à ce rapport des paragraphes spécifiquement consacrés à l’éloignement des étrangers dangereux, si cela vous semble pertinent. Nous pouvons acter cela dès aujourd’hui.
Par ailleurs, le ministère de l’intérieur publie déjà deux fois par an, en janvier et en juin, des statistiques détaillées sur l’immigration dans des documents synthétiques et parfaitement accessibles.
Ces documents présentent notamment les chiffres relatifs aux visas demandés et octroyés, aux titres de séjour détenus et délivrés, aux décisions d’éloignement prononcées et aux sorties du territoire enregistrées, ainsi qu’aux demandes d’asile enregistrées et aux décisions prises par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Ils donnent aussi les chiffres relatifs à l’accès à la nationalité française. Toutes ces données sont librement disponibles sur le site du ministère de l’intérieur.
Enfin, le Parlement dispose de moyens de contrôle étendus, que ce soit par le biais de missions d’information ou de travaux menés par les commissions. Il est donc tout à fait possible au Sénat d’approfondir ces sujets dans ce cadre.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement, faute de quoi il émettrait un avis défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 6.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
La sous-section 2 de la section 2 du chapitre II du titre IV du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifiée :
1° Après le mot : « terroriste », la fin de l’intitulé est ainsi rédigée : « , condamné pour des faits graves ou dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public » ;
2° L’article L. 742-6 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « pénalement constatées » sont remplacés par les mots : « , dont la provocation directe à des actes de terrorisme ou leur apologie » ;
b) (nouveau) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut être saisi aux mêmes fins et dans les mêmes conditions si l’étranger fait l’objet d’une peine d’interdiction du territoire français, s’il fait l’objet d’une décision d’éloignement édictée au titre de faits ayant donné lieu à une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement ou si son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 5 est présenté par M. Chaillou, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 10 est présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris.
L’amendement n° 13 rectifié bis est présenté par Mmes Briante Guillemont et M. Carrère, MM. Daubet, Gold, Grosvalet, Laouedj et Masset, Mme Pantel, M. Fialaire, Mme Jouve et MM. Guiol, Roux, Ruel, Bilhac et Cabanel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Christophe Chaillou, pour présenter l’amendement n° 5.
M. Christophe Chaillou. Comme nous l’avons déjà souligné à plusieurs reprises, le sujet de l’éloignement des étrangers condamnés devrait être traité en amont du processus d’éloignement. Ce texte fait un autre choix en se concentrant uniquement sur la question de la durée de la rétention, autrement dit sur la toute dernière étape avant l’éloignement.
Cette approche n’a rien de nouveau. Depuis des décennies, on allonge progressivement la durée de rétention en présentant cette mesure comme la réponse aux difficultés administratives ou juridiques des éloignements. Pourquoi, dès lors, ne pas envisager une rétention indéfinie pour un certain nombre de profils ?
Finalement, à peine la durée de rétention est-elle prolongée qu’il faut l’allonger de nouveau, ce qui est sans doute la preuve que ce n’est en rien une solution. Je me permets de rappeler que, en 1981, la durée maximale de rétention était de 7 jours. Elle passa à 10 jours en 1993, à 32 jours en 2003 et à 45 jours en 2011. La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie, dite loi Colomb, porta ce délai à 90 jours, et même à 210 jours en matière terroriste.
Pour quel bilan ? En vérité, on l’ignore, puisqu’il n’est jamais procédé à aucune évaluation. Mais si l’on considère l’évolution du taux d’exécution des décisions d’éloignement, il semble tout de même que l’allongement de la durée maximale de rétention n’a pas atteint ses objectifs.
Toutefois, peu importe, puisque vous proposez de nouveau d’allonger la durée de rétention, désormais bien au-delà des seuls cas de terrorisme… Il serait ainsi possible de maintenir la détention jusqu’à 210 jours.
Cette véritable obsession de votre part, mes chers collègues, semble vous faire perdre de vue l’objectif de cette rétention, c’est-à-dire l’éloignement des étrangers qui ont vocation à être éloignés !
Je veux évoquer, encore une fois, les conséquences qu’auront ces propositions sur les personnels des centres de rétention administrative, dont les conditions de travail, déjà très difficiles, risquent de se dégrader, ainsi que sur le contentieux des étrangers, donc sur nos juridictions.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression de l’article 1er.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour présenter l’amendement n° 10.
M. Guy Benarroche. Nous souhaitons la suppression de l’article 1er, dans la mesure où l’objectif de la rétention administrative n’est ni répressif ni punitif. Or cette dernière est de plus en plus souvent confondue et assimilée, malheureusement, à l’incarcération.
La rétention administrative n’a pas la même fonction que la détention carcérale. C’est à cette dernière, madame la présidente de la commission, que revient le rôle de protéger la société des personnes dangereuses, indépendamment de leur nationalité, et de garantir leur réinsertion à l’issue de la peine, afin de prévenir la récidive.
Notre groupe partage totalement la volonté de prévenir la récidive des individus condamnés, mais cet objectif ne doit pas servir de prétexte pour multiplier les mesures répressives à l’égard des étrangers.
En autorisant le placement en rétention jusqu’à 210 jours des étrangers condamnés pour des infractions de nature délictuelle, même au seul motif que leur comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public, la présente disposition fait peser de graves risques d’irrecevabilité constitutionnelle.
Outre cette disproportion entre la restriction des libertés et les objectifs, nous avons déjà soulevé l’inefficacité, qui a été rappelée par Ian Brossat et Christophe Chaillou, de cette mesure au regard de son but, c’est-à-dire l’effectivité de l’éloignement.
La rétention administrative est utilisée par l’administration en vue de nourrir toujours plus, pour des raisons politiciennes, l’amalgame entre personnes étrangères et délinquantes, sur lequel nous vous alertons. Il convient de revenir sur cette logique d’enfermement et d’expulsion et de remettre le respect des droits fondamentaux au cœur de la politique migratoire.
Le taux élevé de libération par les juges judiciaires témoigne de certaines pratiques illégales des préfectures en ce domaine. Cette position est partagée par un certain nombre d’associations qui travaillent, entre autres, dans les CRA.
Je rappelle enfin que nous ne disposons d’aucune étude d’impact ni d’aucune analyse quant aux potentielles conséquences d’un tel allongement de la durée de rétention.
Mon groupe s’oppose donc à l’aggravation de ces restrictions de libertés.
M. le président. La parole est à M. Michel Masset, pour présenter l’amendement n° 13 rectifié bis.
M. Michel Masset. Selon le rapport, 81 % des éloignements, soit une écrasante majorité d’entre eux, ont lieu pendant les 45 premiers jours de la rétention et moins de 8 % seulement durant les prolongations exceptionnelles, celles qui dépassent les 60 jours.
L’allongement de la durée à 90 jours n’a donc pas forcément permis d’éloigner davantage. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Vous avez très bien exprimé, mes chers collègues, les raisons de votre opposition à l’article 1er, dont vous souhaitez la suppression.
Je tiens simplement à rappeler qu’il s’agit non pas de sanctionner les étrangers concernés, mais bien de favoriser leur éloignement. Or, en particulier pour ce qui concerne les profils les plus lourds, l’éloignement prend du temps – cela a été rappelé lors de la discussion générale.
Je l’ai dit, en 2024, une part non négligeable des éloignements a eu lieu entre 60 et 90 jours. Près d’un millier d’étrangers en situation irrégulière ont ainsi été reconduits grâce à cette première prolongation. Pour les étrangers relevant du régime dérogatoire, plus de la moitié des éloignements ont eu lieu après 90 jours.
Dans l’objet de son amendement, notre collègue Sophie Briante Guillemont invoque, à cet égard, la situation du meurtrier de la jeune Philippine. Cet exemple montre, au contraire, l’intérêt de maintenir en rétention de tels individus. En effet, le laissez-passer consulaire de cette personne avait été délivré trois jours après sa remise en liberté, soit au 78e jour de rétention. Autrement dit, si sa rétention avait été maintenue jusqu’à 90 jours, il aurait été éloigné.
Certains ont insisté sur la nécessité d’entamer les démarches d’éloignement avant la sortie de prison. C’est effectivement souhaitable, mais cela ne remet aucunement en cause la nécessité de maintenir en rétention, le temps que les formalités nécessaires soient accomplies, les étrangers dont l’éloignement est une nécessité impérieuse, mais dont l’expérience montre que celui-ci se heurte à des difficultés particulières.
Enfin, nos collègues du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ont souligné la nécessité de prévenir la récidive des étrangers condamnés pour crimes et délits. Soit ! Mais la meilleure solution pour éviter la récidive demeure l’éloignement. Tel est justement l’objet de cet article.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Les auteurs de ces amendements identiques de suppression considèrent qu’il faut éloigner à partir de la mise en détention, sans passer par la case centre de rétention.
Cette idée est, au fond, assez juste, et nous la partageons tous. Au demeurant, les ministres de la justice et de l’intérieur ont adressé une circulaire commune aux greffes pour leur enjoindre de réaliser des efforts en ce sens. D’ailleurs, des efforts ont été accomplis au cours des dernières années, il faut le dire.
Pour autant, cette option ne règle pas tout. Ainsi, on ne parvient pas à surmonter certains obstacles administratifs suffisamment longtemps avant la levée d’écrou. D’autres blocages sont dus au comportement des individus. D’autres encore au caractère perfectible de la coopération des pays d’origine en matière d’identification consulaire : il arrive ainsi que l’on n’obtienne pas les laissez-passer consulaires durant le temps de la détention des personnes.
En réalité, il existe plusieurs délais s’appliquant aux laissez-passer consulaires, qui dépendent des accords passés avec les pays sources. Alors que la personne visée est en détention et que le greffe a accompli la démarche nécessaire pour obtenir ce document, il se peut que le laissez-passer consulaire ne soit pas à disposition, par exemple parce que la réponse traîne ou pour d’autres raisons que nous connaissons tous ici… C’est la raison pour laquelle on est obligé de passer par la case CRA.
Vous avez eu raison de dire, mes chers collègues – vous n’êtes pas les seuls à l’avoir signalé –, que depuis quelques années, en particulier depuis 2022, on a prioritairement reconduit des individus sortant de prison, ceux-ci étant considérés comme les plus dangereux. Afin de s’assurer qu’ils soient bien reconduits après la levée d’écrou, et non pas laissés en liberté, on les place en centre de rétention. Enfin, je tiens à le souligner, le texte concerne un public plus large.
Les explications que je viens de vous donner, mes chers collègues, correspondent à la réalité de la situation. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est défavorable à ces amendements de suppression de l’article 1er.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 5, 10 et 13 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. Reichardt et Burgoa, Mme Muller-Bronn, MM. Kern et Frassa, Mme Lassarade, M. Meignen, Mme Nédélec, M. Michallet, Mmes Dumont et Belrhiti et MM. P. Vidal, Bouchet et Courtial, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après le mot :
alinéa,
insérer les mots :
le mot : « expulsion » est remplacé par le mot : « éloignement » et
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Cet amendement vise à permettre l’application du régime dérogatoire de rétention aux étrangers qui font l’objet d’une mesure d’éloignement édictée pour un comportement lié à des activités terroristes, et non plus seulement d’une décision d’expulsion.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Cet amendement tend à procéder à une modification utile.
Le premier alinéa de l’article L. 742-6 du Ceseda, relatif aux étrangers condamnés pour des actes de terrorisme, ne mentionne que les décisions d’expulsion.
Il paraît effectivement souhaitable de prendre en compte les autres mesures d’éloignement, comme les obligations de quitter le territoire français (OQTF). Ces dernières peuvent être prononcées pour un motif d’ordre public ou être prises à la suite d’un retrait ou d’un refus de titre de séjour motivé par les agissements de l’étranger.
En outre, tant le deuxième alinéa de l’article L. 742-6, inséré par la commission, que le dernier alinéa de l’article L. 743-22 dudit code font référence à toutes les décisions d’éloignement, et non aux seules décisions d’expulsion.
La commission émet donc un avis tout à fait favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Monsieur Reichardt, je vais vous donner des explications détaillées, car il conviendra de procéder à des ajustements dans le cadre de la navette.
Nous souscrivons à votre objectif d’apporter une réponse aussi uniforme que possible dans tous les cas d’étrangers dont le comportement est lié au terrorisme ou à son apologie, sans distinguer selon le type de mesure d’éloignement prise à leur encontre et, pour ce faire, en englobant aussi bien les mesures d’expulsion que les décisions portant OQTF.
Cependant, les décisions d’éloignement ne sont prévues que dans des cas exceptionnels et dans des conditions très strictes, par les dispositions de l’article L. 611-1 du Ceseda. Elles s’appliquent dans la période de trois mois de la présence d’un étranger sur le territoire national et sont édictées à raison du comportement de cette personne.
Dans l’immense majorité des cas, les OQTF sont des décisions prises pour faire suite au constat de l’irrégularité du séjour sur le territoire national et de la circulation dans l’espace Schengen, comme cela avait été clairement précisé au cours des débats qui ont eu lieu dans cet hémicycle, en novembre 2023 – chacun s’en souvient –, sur les dispositions de l’article L. 613-1 du Ceseda.
L’OQTF qui constitue la conséquence d’un refus de séjour n’a pas vocation à être fondée sur des considérations relatives à l’ordre public, à l’inverse des décisions de refus de séjour qui la précèdent. C’est l’étape préalable du refus de délivrance ou du retrait du titre de séjour qui peut être fondée sur des comportements.
Il serait donc plus précis, et surtout plus englobant, de mentionner « des décisions d’éloignement faisant suite à un arrêt ou à un refus de titre de séjour édicté par les mêmes motifs », pour inclure dans le régime dérogatoire des 210 jours de rétention les étrangers à qui une OQTF a été notifiée à la suite d’un refus ou d’un retrait de titre de séjour pour des faits en lien avec le terrorisme ou son apologie. C’est parfaitement clair !
Cette inclusion des OQTF prises à la suite d’un refus ou d’un retrait de titre de séjour trouve une portée toute particulière dans le présent amendement, lequel vise les situations d’apologie d’actes de terrorisme. Dans de telles situations, en effet, il peut être plus délicat de réunir les éléments permettant de prononcer une mesure d’expulsion. Les décisions d’éloignement peuvent alors plus aisément, dans un certain nombre de cas, trouver à s’appliquer.
Pour autant, les dispositions de cet amendement vont dans le bon sens, celui de l’élargissement du type de mesures à prendre en compte pour basculer dans le régime dérogatoire de rétention, afin que celui-ci remplisse pleinement son rôle.
Même s’il va émettre un avis favorable, le Gouvernement souhaite que ce point soit réexaminé dans la suite de la navette parlementaire, afin que ce régime nouveau, par ailleurs exceptionnel, de prolongation de la rétention jusqu’à 210 jours cible bien l’ensemble des publics qu’il doit couvrir.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 2, présenté par MM. Szczurek, Hochart et Durox, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Remplacer le mot :
cinq
par le mot :
trois
La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Le lien entre insécurité et immigration n’est plus à prouver : le seul fait que près de 25 % des personnes incarcérées soient des étrangers prouve bien que nous sommes face à un problème central. Il est inacceptable pour nos compatriotes que des étrangers condamnés demeurent dans nos prisons et ne soient pas renvoyés dans leur pays d’origine. Cette proposition de loi va donc dans le bon sens.
Néanmoins, il nous semble nécessaire de la renforcer. Nous proposons donc d’étendre ce dispositif aux étrangers condamnés pour un crime ou un délit puni de trois ans d’emprisonnement.
L’idéal serait évidemment que, au premier crime ou au premier délit, l’étranger qui brise le contrat moral qu’il a conclu avec sa société d’accueil soit immédiatement renvoyé chez lui.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Nous avons beaucoup évoqué la proportionnalité au cours de ce débat…
Retenir la condamnation à un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement de cinq ans d’emprisonnement permet de garantir un certain équilibre, lequel est nécessaire pour assurer le respect des exigences constitutionnelles.
Les délits punis de trois ans d’emprisonnement, qui sont nombreux – les délits non intentionnels ou le vol simple entrent, par exemple, dans cette catégorie –, ne sont pas d’une gravité suffisante pour justifier l’application d’un régime dérogatoire de rétention administrative, aujourd’hui réservé aux étrangers condamnés pour des faits de terrorisme.
Pour cette raison, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. La mesure proposée étant disproportionnée, ce qui pose une difficulté de fond, l’avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
Après la première phrase du dernier alinéa de l’article L. 743-22 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Il en va de même lorsque l’intéressé fait l’objet d’une peine d’interdiction du territoire français, s’il fait l’objet d’une décision d’éloignement édictée au titre de faits ayant donné lieu à une condamnation définitive pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d’emprisonnement ou si son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. »
M. le président. L’amendement n° 11, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Cet amendement du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise à supprimer le caractère suspensif de l’appel du préfet contre la décision du juge des libertés et de la détention (JLD) de lever la décision de placement en centre de rétention administratif.
Selon l’avis de la Cimade, l’allongement de la durée de rétention n’augmente pas nécessairement le taux d’éloignement effectif. En revanche, il entraîne la détérioration de l’état de santé des personnes enfermées, la hausse des tensions au sein des CRA, une surcharge de travail pour les personnels de ces centres et une saturation des juridictions.
Nous avons souvent discuté de la politisation des pouvoirs du préfet, laquelle, au-delà d’une implication bien différente d’un territoire à l’autre, conduit à une utilisation abusive de la rétention administrative : celle-ci devient alors un outil de gestion de la politique sécuritaire, plutôt qu’un moyen de garantir l’exécution des mesures d’éloignement.
En outre, cet empiétement du pouvoir administratif sur le pouvoir judiciaire va à l’encontre du principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire, qui découle de l’article 66 de la Constitution.
Au vu des conséquences désastreuses de la multiplication et de l’allongement des rétentions, qui, encore une fois, ne rendent pas les décisions d’éloignement plus effectives, mon groupe s’oppose au caractère suspensif de l’appel du préfet contre la décision du JLD de lever la décision de placement en CRA.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. L’article 2 permet d’éviter la remise en liberté d’un étranger qui représente une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics, le temps qu’il soit statué sur l’appel formé par le ministère public contre l’ordonnance mettant fin à sa rétention.
J’ajoute que, contrairement à ce que vous avez suggéré, mon cher collègue, aucune atteinte n’est portée dans cet article à l’indépendance de l’autorité judiciaire. Le législateur peut à tout moment donner un caractère suspensif à certains recours.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Les dispositions de l’article 2 ne sont pas disproportionnées, et cela pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la mesure prévue, qui concerne les seuls étrangers dangereux, ne court que sur une durée extrêmement brève de 72 heures maximum, le juge devant se prononcer dans ce délai. En outre, l’intervention du juge judiciaire d’appel est maintenue en vue de confirmer ou d’infirmer la poursuite de la rétention.
Permettez-moi, ensuite, de faire un rappel d’histoire juridique. Dans sa décision du 22 avril 1997 relative à la loi portant diverses dispositions relatives à l’immigration, dite loi Debré, le Conseil constitutionnel avait admis ce principe, considérant que le but visé par la loi était d’assurer le maintien de la personne concernée à la disposition de la justice, afin qu’elle soit présente à l’audience lors de laquelle il sera statué sur l’appel interjeté. Ce sujet n’a donc rien de nouveau.
Il faut, par ailleurs, mettre en parallèle ce texte avec les dispositions du Ceseda issues de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, au titre desquelles nous avions admis le principe d’un appel suspensif pendant vingt-quatre heures.
Dans ces conditions, et compte tenu du contexte général dans lequel intervient ce texte, l’article 2 est parfaitement fondé. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par MM. Szczurek, Durox et Hochart, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer le mot :
cinq
par le mot :
trois
La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 3 est retiré.
Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3 (nouveau)
La section 2 du chapitre II du titre IV du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifiée :
1° L’article L. 742-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La prolongation de la rétention peut être renouvelée une fois, dans les mêmes conditions. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas quatre-vingt-dix jours. » ;
2° L’article L. 742-5 est abrogé ;
3° L’article L. 742-7 est ainsi rédigé :
« Art. L. 742-7. – À titre exceptionnel, le magistrat du siège du tribunal judiciaire peut à nouveau être saisi aux fins de prolongation du maintien au-delà de la durée maximale de rétention prévue à l’article L. 742-6 dans les cas prévus aux 2° et 3° de l’article L. 742-4.
« Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court pour une nouvelle période d’une durée maximale de trente jours. La durée maximale de la rétention n’excède alors pas deux cent dix jours. »
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par M. Benarroche, Mme M. Vogel, MM. G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mmes Ollivier et Poncet Monge, M. Salmon et Mmes Senée et Souyris, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Nous déplorons, encore une fois, l’affaiblissement du service public, qui sert à restreindre les libertés fondamentales et l’accès au juge.
Mme la rapporteure justifie la fusion des diverses prolongations à hauteur de 30 jours par la situation complexe qu’implique le nombre d’escortes et de rotations des forces de l’ordre. Nous allons donc prendre des mesures liées au manque d’investissements dans la fonction publique, lequel est un choix politique, qui ne saurait justifier, selon nous, de restreindre l’accès au juge.
Cette dérive entraînera un éloignement toujours plus important des citoyens vis-à-vis de la justice ! Mon groupe s’oppose donc à la fusion des diverses prolongations.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. En l’état du droit, les troisième et quatrième prolongations prévues par l’article L. 742-5 du Ceseda sont très brèves, puisque leur durée est de 15 jours, ce qui nécessite de fréquentes présentations à un juge. Quant à leur motif, il est source d’insécurité juridique. La libération du suspect du meurtre de la jeune Philippine en est l’illustration.
La commission a souhaité revoir ce séquençage en prévoyant une unique prolongation de 30 jours. Cette durée ne peut être regardée comme excessive, car elle correspond à celle de la deuxième prolongation de droit commun, prévue par l’article L. 742-4 du Ceseda. Quant à ses motifs, ils ne posent pas de difficulté d’interprétation.
Je regrette, mes chers collègues, que vous souhaitiez revenir sur ce qui constitue une véritable mesure de simplification, laquelle est par ailleurs sans conséquence sur la durée maximale de la rétention administrative de droit commun.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. L’article 3 a pour seul objet de rationaliser les motifs de prolongation de la rétention.
Cette prolongation doit pouvoir être demandée en cas de menace pour l’ordre public ou d’obstruction volontaire de l’étranger, ou lorsque le laissez-passer consulaire n’a pas été délivré, sans que l’administration ait à démontrer que sa délivrance, qui dépend des autorités consulaires du pays de destination, interviendra à bref délai.
L’article 3 permet également, et utilement, d’harmoniser les durées de prolongation en fusionnant les phases de rétention actuellement décidées par le juge, comme vient de le rappeler Mme la rapporteure. Cette fusion permettra de supprimer une saisine systématique du juge au 75e jour, alors que les conditions n’ont pas évolué ; elle évitera ainsi la tenue d’une audience ou une escorte inutile.
Par ailleurs, il convient de rappeler que la simplification n’empêche pas l’exercice d’un droit de la part de la personne retenue, qui peut à tout moment saisir le juge.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. L’amendement n° 4, présenté par MM. Szczurek, Hochart et Durox, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
La section 2 du chapitre II du titre IV du livre VII du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifiée :
1° Le dernier alinéa de l’article L. 742-4 est ainsi modifié :
a) Après la première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « La prolongation de la rétention peut être renouvelée deux fois, à chaque fois pour une période de trente jours, dans les mêmes conditions. » ;
b) À la dernière phrase, le mot : « soixante » est remplacé par les mots : « cent quatre-vingt-deux jours » ;
2° L’article L. 742-5 est abrogé ;
3° L’article L. 742-7 est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « conditions prévues à l’article L. 742-5 » sont remplacés par les mots : « cas prévus aux 2° et 3° de l’article L. 742-4 » ;
b) La seconde phrase est ainsi rédigée : « Si le juge ordonne la prolongation de la rétention, la durée maximale de la rétention n’excède alors pas trois cent quatre-vingts jours. »
La parole est à M. Christopher Szczurek.
M. Christopher Szczurek. Le droit européen nous permet d’étendre considérablement les délais de rétention administrative, particulièrement pour les individus les plus dangereux. Pour une fois que le droit européen nous permet d’être plus fermes sur la question de nos flux migratoires, il serait dommage de nous en priver !
Nous proposons ainsi, au travers de cet amendement, de renforcer considérablement le dispositif en permettant au juge de prolonger deux fois la rétention dans un centre de rétention administrative et en étendant cette détention de droit commun à 182 jours, soit la durée maximale prévue par le droit européen.
De plus, nous alignons la possibilité de prolongation exceptionnelle du maintien en rétention. En suivant à la lettre la directive sur le retour des étrangers en situation irrégulière, dite directive Retour, nous proposons une durée de rétention maximale, pour les cas exceptionnels, de 380 jours.
Trop d’étrangers sous OQTF qui auraient dû être expulsés et renvoyés ont commis des méfaits intolérables parce que le droit leur permettait de retrouver la liberté !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Cet amendement vise à porter à 182 jours, au lieu de 90 jours, la durée maximale de la rétention administrative de droit commun, et à 380 jours, au lieu de 210 jours, la durée du régime dérogatoire.
La commission n’a pas souhaité modifier la durée maximale du régime de droit commun, pas plus que celle qui est prévue pour le régime dérogatoire, au nom des exigences constitutionnelles et du principe de proportionnalité. Nous en restons donc à une durée maximale de 210 jours.
Peut-être reprendrons-nous cette discussion le moment venu. La Commission européenne, elle-même, réfléchit à une prolongation de la durée de 18 mois, jusqu’à 24 mois. En l’état actuel des choses, nous nous en tenons aux prolongations prévues, d’autant qu’il faut tenir compte de la capacité d’accueil des centres de rétention : à défaut de la respecter, nous tomberions sous le coup de la loi. (M. Guy Benarroche manifeste son ironie.)
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par Mme Di Folco, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa de l’article L. 341-2, à l’article L. 342-1, aux deux alinéas de l’article L. 343-10, à la première phrase du premier alinéa de l’article L. 352-7, au premier alinéa des articles L. 741-1, L. 741-2 et L. 741-10, aux articles L. 742-1 et L. 742-3 et au premier alinéa de l’article L. 751-9, les mots : « quatre jours » sont remplacés par les mots : « quatre-vingt-seize heures » ;
2° Au second alinéa de l’article L. 342-4, les mots : « six jours » sont remplacés par les mots : « cent quarante-quatre heures » ;
La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. Cet amendement de clarification vise à faciliter la computation des délais pour le placement en rétention administrative et en zone d’attente.
Conformément à la volonté du législateur de permettre aux services de l’État de disposer d’un délai effectif de quatre jours, il est proposé de décompter en heures la durée du placement initial en rétention et en zone d’attente – soit 96 heures au lieu de 4 jours – et de la prolongation du maintien en zone d’attente en cas de demande d’asile tardif de l’étranger – soit 184 heures au lieu de 6 jours.
Ainsi, pour un placement en rétention notifié le 1er janvier à quinze heures, le délai de rétention s’achèverait le 5 janvier à quinze heures. Aujourd’hui, je le rappelle, depuis l’avis de la Cour de cassation du 7 janvier 2025, pour un placement en rétention notifié le 1er janvier à quinze heures, le délai de 4 jours s’achève le 4 janvier à quinze heures.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Cet amendement tend à revenir à un décompte en heures de la durée initiale de la rétention administrative, qui était déjà exprimée de cette façon avant la loi du 26 janvier 2024, ainsi que du maintien en zone d’attente.
Or, comme l’a rappelé à juste titre son auteure, le passage à une durée déterminée exprimée en jours se traduit par une computation différente. Elle conduit notamment à décompter entièrement le jour du placement en rétention, quelle que soit l’heure à laquelle ce placement est intervenu, ce qui aboutit à une durée qui, dans les faits, est inférieure à 96 heures. C’est ce qu’a rappelé la Cour de cassation dans son avis du 7 janvier 2025.
L’amendement vise donc à prévoir une durée exprimée en heures, afin que les services de l’État bénéficient véritablement de quatre jours pour traiter dans de bonnes conditions les procédures dont ils ont la charge.
La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Cet amendement vise à simplifier le mode de calcul de la computation des délais pour le placement en rétention et en zone d’attente.
Le décompte en heures est beaucoup plus clair et plus simple. Au-delà de ce constat, une telle disposition sera importante pour l’administration, ainsi que pour l’étranger qui se trouve dans cette situation. En effet, une bonne compréhension de la computation des délais est essentielle, en ce qu’elle fait partie des droits ouverts aux personnes placées en rétention.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 3.
L’amendement n° 8, présenté par Mme Vérien, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 813-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, après le mot : « celle-ci », sont insérés les mots : « , les heures auxquelles la personne retenue a pu s’alimenter ».
La parole est à Mme Dominique Vérien.
Mme Dominique Vérien. Dans une décision du 28 mai 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 813-13 du Ceseda, relative aux mentions devant figurer au procès-verbal dressé à la fin de la retenue d’un étranger aux fins de vérification de son droit de circulation et de séjour.
Le Conseil a ainsi considéré que le défaut d’une mention à ce procès-verbal des conditions dans lesquelles l’étranger a pu s’alimenter pendant la retenue pour vérification du droit au séjour ne permettait pas à l’autorité judiciaire de garantir le respect de la dignité de la personne humaine.
Le Conseil constitutionnel a différé au 1er juin 2025 les effets de l’annulation de ces dispositions, afin de laisser au législateur le temps de compléter la loi en ce sens.
Je vous propose donc d’amender la deuxième phrase du premier alinéa de l’article L. 813-13 du Ceseda, afin d’y insérer l’obligation de mentionner au procès-verbal de fin de la retenue pour vérification du droit au séjour les heures auxquelles l’étranger a pu s’alimenter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Cet amendement vise à tirer les conséquences d’une décision du Conseil constitutionnel : il s’agit de prévoir la mention sur le procès-verbal dressé à la fin de la retenue pour vérification du droit au séjour d’un étranger des heures auxquelles il a pu s’alimenter.
Comme l’a rappelé notre collègue, le temps presse, puisque le délai laissé au législateur pour apporter cette précision expire le 1er juin prochain.
J’émets donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Il n’est jamais simple d’écrire clairement sur des sujets aussi techniques et compliqués ; pour le coup, c’est très bien !
M. Jérôme Durain. Quel talent ! (Sourires.)
M. François-Noël Buffet, ministre. Cet amendement tend à mettre utilement en conformité avec la Constitution le procès-verbal établi lors de la retenue pour vérification du droit au séjour, afin de prévoir l’inscription, notamment, des heures d’alimentation de l’étranger retenu.
J’émets donc un avis favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 3.
L’amendement n° 15, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi modifié :
1° La vingt-et-unième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 762-1, la vingt-et-unième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 763-1, la dix-septième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 764-1, la dix-neuvième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 765-1 et la dix-neuvième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 766-1 sont remplacées par trois lignes ainsi rédigées :
«
L. 742-4 |
La loi n° … du … visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive |
L. 742-6 et L. 742-7 |
La loi n° … du … visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive |
L. 742-8 |
La loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 |
» ;
2° La trente-et-unième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 762-1, la trente-et-unième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 763-1, la vingt-cinquième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 764-1, la vingt-septième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 765-1 et la vingt-septième ligne du tableau du second alinéa de l’article L. 766-1 sont ainsi rédigées :
«
L. 743-22 |
La loi n° … du … visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive |
» ;
3° Au 10° de l’article L. 764-2, et aux 12° des articles L. 765-2 et L. 766-2, les mots : « À l’article » sont remplacés par les mots : « Aux articles L. 742-6, L. 742-7 et ».
La parole est à M. le ministre.
M. François-Noël Buffet, ministre. Le présent amendement vise à permettre l’application des dispositions de la proposition de loi dans les collectivités à spécialité législative en matière de droit des étrangers : Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Wallis-et-Futuna, Polynésie française et Nouvelle-Calédonie.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Favorable.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 3.
L’amendement n° 16, présenté par Mme Josende, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 3
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les articles 1er à 3 entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard trois mois après la publication de la présente loi.
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Cet amendement vise à reporter l’entrée en vigueur des dispositions des articles 1er à 3 de la présente proposition de loi à une date fixée par décret en Conseil d’État et au plus tard trois mois après sa publication.
En effet, leur application nécessitera des dispositions réglementaires qui relèvent d’un décret en Conseil d’État.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l’article 3.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Christophe Chaillou, pour explication de vote.
M. Christophe Chaillou. Comme nous l’indiquons depuis le début de son examen, cette proposition de loi, tout d’abord, s’éloigne largement des principes fondamentaux qui régissent le dispositif de la rétention administrative, laquelle ne peut se fonder sur des motifs pénaux ; ensuite, est fragile sur le plan constitutionnel ; enfin, n’apporte pas de réponse au problème fondamental lié à la mise en œuvre concrète de l’éloignement des personnes retenues. Elle sera donc finalement sans doute peu efficace.
Il me semble important de rappeler une évidence : ce n’est pas en allongeant indéfiniment la durée de rétention que nous éloignerons plus efficacement les personnes concernées. Une telle mesure n’est ni pragmatique, ni efficace, ni digne de notre État de droit.
J’y insiste encore une fois, l’émotion particulièrement légitime face à des crimes abjects ne doit pas nous conduire à renoncer à certains principes fondamentaux auxquels nous sommes attachés ni à élaborer dans l’émotion et l’urgence des lois qui, de fait, n’apporteront sans doute pas de réponse efficace à des problèmes bien réels.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. Les défenseurs de cette proposition de loi pensent que l’éloignement est l’alpha et l’oméga pour éviter les drames mentionnés à plusieurs reprises lors de ce débat. Mais force est de constater que certains éloignements ne peuvent avoir lieu et que certains individus retenus bénéficient d’une libération sèche, pour ainsi dire.
Mes chers collègues, pensez-vous vraiment que, après avoir passé 90 jours ou 210 jours dans les centres de rétention administrative, ces individus seront réellement moins dangereux ?
Je ne sais pas si connaissez les CRA. Pour ma part, j’en ai visité à de nombreuses reprises. Leur univers est pire que carcéral : ce sont des lieux de déshumanisation. Cette proposition de loi, au lieu d’apporter davantage de sécurité, conduira à créer davantage d’insécurité. (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
Ce qui est nécessaire, aujourd’hui, c’est d’éviter les sorties sèches et d’assurer un véritable accompagnement pour éviter la récidive. Chers collègues, votre texte va entièrement à l’encontre de vos objectifs.
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.
M. Ian Brossat. Notre groupe votera également contre cette proposition de loi. Sans revenir sur les enjeux de constitutionnalité abordés à de nombreuses reprises,…
Mme Valérie Boyer. Il n’y en a pas !
M. Ian Brossat. … nous voterons contre, pour deux raisons.
Premièrement, ce texte est inefficace. Bien sûr, lorsque des personnes en situation irrégulière sont dangereuses, elles ont vocation à quitter le territoire français. Mais la proposition de loi ne permet en aucun cas de répondre à cet enjeu.
Se pose en effet la question des laissez-passer consulaires. Veuillez m’excuser, mes chers collègues, mais, au vu des dernières déclarations des responsables algériens, on ne peut pas dire que la stratégie du Gouvernement en la matière ait permis d’avancer d’un pouce sur ce sujet. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)
Mme Catherine Belrhiti. Ce n’est pas vrai !
M. Ian Brossat. Cela nous interroge quant aux moyens qu’il faudrait mettre en œuvre pour trouver une solution. Manifestement, jusqu’à présent, c’est un fiasco.
En second lieu, ainsi que M. Salmon vient de l’indiquer, ce texte aura en revanche des conséquences très concrètes sur les conditions de vie dans les centres de rétention administrative et sur les conditions de travail, particulièrement pénibles, de ceux qui y exercent leur métier.
J’ai moi aussi eu l’occasion de visiter de tels centres. De fait, l’allongement de la durée de rétention dégradera les conditions de travail dans ces lieux censés être des sas, mais qui n’en sont plus, de fait, puisque l’on y reste indéfiniment. D’ailleurs, nombre de ceux qui y sont retenus finissent non pas expulsés, mais relâchés.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.
Mme Frédérique Puissat. À l’inverse de nos collègues qui se sont exprimés, nous voterons des deux mains en faveur de cette proposition de loi.
Nous remercions Jacqueline Eustache-Brinio d’avoir déposé ce texte. Sur le fond, chers collègues, notre approche diffère, car nous considérons que les mesures prévues sont à la fois efficaces et nécessaires.
Au-delà du contenu du texte, je tiens à avoir une pensée pour la famille de la petite Philippine, dont l’attitude lors des obsèques nous a en quelque sorte permis de prendre du recul. Ce texte vise à rendre hommage à ses proches, à l’occasion de ce moment dramatique qui a marqué toute la France.
Mme Silvana Silvani. C’est une honte d’instrumentaliser ainsi cet événement !
Mme Frédérique Puissat. Au nom du groupe Les Républicains, je félicite Mme la rapporteure pour son travail, qui a permis de sécuriser le texte. Je remercie également le ministre François-Noël Buffet et le Gouvernement de leur soutien.
M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Sans revenir sur le fond de cette proposition de loi, bien exposé par mes collègues, je voudrais évoquer de nouveau les CRA.
Je m’excuse une nouvelle fois de le mettre en avant, mais j’ai visité plus d’une dizaine de fois de tels centres. Le premier problème qui s’y pose concerne le personnel y travaillant, qui ne comprend plus le sens de son travail. Plusieurs exemples me viennent en tête.
Que s’y passe-t-il ? Les personnes retenues dans ces centres n’y restent pas 90 jours, mais en moyenne 28,4 jours, ainsi que cela a été indiqué. Comment passer la durée de rétention de 90 jours à 210 jours pour certaines personnes pourrait-il améliorer la situation, alors que la durée maximale actuellement autorisée n’est pas atteinte ? Il y a là une incohérence, que mon esprit cartésien n’arrive pas à comprendre.
Au bout de ces 28 jours, en moyenne, les personnes retenues dans les CRA en sortent. En général, elles retournent dans la rue, où elles restent un certain temps. Celles qui sont éminemment dangereuses comme celles qui le sont moins commettront de nouveau des délits ou des incivilités diverses et variées… À Marseille, ces personnes peuvent ainsi se livrer de nouveau au deal ou à la consommation de stupéfiants.
Au bout d’un certain temps, ces personnes repasseront devant la justice, retourneront en prison accomplir une peine et en sortiront de nouveau sans aucune préparation à la sortie. Comme elles sont soumises à une OQTF, elles retourneront dans des CRA, où de nouveau elles passeront 30 jours.
Je ne vois pas en quoi la loi que nous allons voter pourrait résoudre le problème ou favoriser l’éloignement de ces personnes, lequel est impossible pour des raisons diplomatiques.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 232 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Pour l’adoption | 230 |
Contre | 109 |
Le Sénat a adopté.
Mme Valérie Boyer. Très bien !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Condition de durée de résidence pour le versement de prestations sociales
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle, à la demande du groupe Les Républicains, la discussion de la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, présentée par Mme Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues (proposition n° 299, texte de la commission n° 427, rapport n° 426, avis n° 423).
Discussion générale
M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de loi.
Mme Valérie Boyer, auteure de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Les Républicains le dit depuis des années, notre pays fait face à une immigration massive et incontrôlée.
Les flux migratoires s’accélèrent et s’intensifient. Je ne pourrai rappeler tous les chiffres en raison du temps imparti à mon intervention, mais, alors que les Français demandent clairement et depuis longtemps de maîtriser l’immigration, nous ne répondons pas à leurs attentes. Nous votons certes de nombreux textes, mais leurs mesures sont rendues inopérantes.
Le bilan de l’immigration en 2024, qui dépasse malheureusement toutes les prévisions, en apporte la preuve. Le nombre de visas accordés a augmenté de 16,8 %, pour atteindre les 2 858 000. En outre, 336 700 premiers titres de séjours ont été délivrés l’année dernière, ce nombre augmentant de presque 2 % par rapport à 2023, après une hausse de plus de 4 % l’année précédente.
Les étrangers représentent entre 7 % et 10 % de la population, selon les estimations. Les Algériens sont la nationalité la plus représentée, avec 649 000 titres de séjour. Suivent les Marocains, les Tunisiens et les Turcs. (Mme Corinne Narassiguin s’exclame.)
À ces données concernant l’immigration légale, il faut ajouter celles de l’immigration illégale, dont les chiffres sont par définition difficiles à établir. Selon les estimations, il y aurait entre 700 000 et 1 million de migrants illégaux.
Enfin, ayons en mémoire les chiffres suivants : la dette française a atteint 3 200 milliards d’euros, soit plus de 112 % du PIB, tandis que le déficit de la sécurité sociale s’élève à 15 milliards d’euros en 2024 et à environ 145 milliards d’euros en cumul.
Il faut dire la vérité aux Français. La réalité, c’est que la France se trouve aujourd’hui dans une situation extrêmement préoccupante, comme la plupart des pays européens d’ailleurs. À ce titre, nous devons faire des choix, parce que tout ne peut pas être financé par les comptes publics, c’est-à-dire par la dette.
À l’occasion de nos débats, gardons cette question en tête : veut-on préserver notre modèle social, ou préfère-t-on, au risque de le voir s’effondrer, ne pas maîtriser l’accueil ?
L’immigration représente pour les finances publiques un coût brut chiffré à 75,1 milliards d’euros, soit un coût net de 41 milliards d’euros, sur la base du dernier budget exécuté, celui de l’année 2023.
M. Patrick Kanner. Et combien apporte-t-elle de richesses ?
Mme Valérie Boyer. Par exemple, la moitié des 3,2 milliards d’euros que nous dépensons pour le logement est consacrée à l’hébergement d’urgence des personnes en situation irrégulière, alors que 540 millions d’euros sont dédiés au logement social. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Ce chiffrage des coûts pour l’année 2023, repris par l’Observatoire de l’immigration, est délibérément prudent, car nous manquons de données sur l’ensemble des dépenses sociales discrétionnaires des collectivités territoriales bénéficiant aux étrangers, notamment pour les crèches, l’accès au transport, etc.
Mme Silvana Silvani. Ah !
Mme Valérie Boyer. En outre, nous ne disposons pas non plus de données sur les subventions et les avantages octroyés aux associations.
De plus, les dépenses de santé sont insuffisamment documentées, ce que je regrette depuis des années ; j’y reviendrai.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Donc vous n’avez rien !
Mme Valérie Boyer. L’OCDE le dit : pour la France, l’immigration coûte plus que ce qu’elle ne rapporte. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. Thomas Dossus. C’est faux !
M. Patrick Kanner. Les étrangers sont une source de richesses pour le pays !
Mme Valérie Boyer. Le diagnostic est clair : le bilan économique, budgétaire et social de l’immigration en France est inquiétant.
C’est pourquoi, pour réduire le coût net de l’immigration, nous proposons depuis plusieurs années, notamment avec Bruno Retailleau et la présidente Muriel Jourda, dont je salue le travail constant sur ces questions, de conditionner de manière plus exigeante les prestations sociales non contributives pour les étrangers.
Plus concrètement, avant l’examen de la présente proposition de loi par les commissions saisies, nous avons proposé d’instaurer une durée minimale de résidence en situation régulière de deux années avant l’accès à certaines prestations sociales, notamment l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et les aides personnelles au logement (APL).
Je le rappelle, la même logique imposant une durée de résidence en situation régulière s’applique par ailleurs dans certains territoires ultramarins, tels que Mayotte, où le versement du revenu de solidarité active (RSA) est conditionné à un séjour régulier sur le territoire d’une durée de quinze ans, contre cinq ans sur le reste du territoire national. L’adaptation de notre droit qui a permis cette mesure n’a d’ailleurs donné lieu à aucune censure de la part du Conseil constitutionnel.
Pour autant, après l’adoption de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration de 2024, le Conseil constitutionnel s’était opposé à notre proposition de conditionner le versement des prestations mentionnées à une durée de résidence stable et régulière en France de cinq ans. Je le précise, il s’y était opposé uniquement pour des questions de forme.
Mme Silvana Silvani. Non !
Mme Valérie Boyer. Dans sa décision du 11 avril 2024, il n’a pas exclu par principe cette durée minimale de résidence, qu’il a jugée simplement disproportionnée.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. C’est vide !
Mme Valérie Boyer. En effet, il avait déjà admis une condition de durée de résidence de cinq ans pour l’éligibilité au RSA et de dix ans pour le versement de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa).
C’est pourquoi, tirant les conséquences de cette jurisprudence, nous avons considéré qu’une durée minimale de résidence de deux ans, à l’exception des étrangers exerçant une activité professionnelle, pourrait constituer, pour reprendre les termes des Sages, une « conciliation équilibrée » des impératifs constitutionnels de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées et de sauvegarde de l’ordre public.
Je le sais, ma proposition initiale a été modifiée par nos différentes commissions. Je remercie nos rapporteurs Olivier Bitz et Florence Lassarade de leur investissement, même si je regrette que, une fois encore, notre marge de manœuvre soit plus que limitée, alors que les Français nous demandent l’inverse. (Mmes Silvana Silvani et Laurence Rossignol protestent.)
En effet, lorsque nous tentons de légiférer en matière migratoire, nous devons faire face à différentes contraintes : les conventions internationales, le regard du Conseil constitutionnel et, enfin, des données insuffisantes.
Tout d’abord, nul ne l’ignore, la France s’engage à respecter des conventions internationales qui ne relèvent pas du domaine législatif ou des missions du Parlement. Cette multitude d’instruments internationaux dérogatoires au droit commun national forme un véritable droit parallèle de l’entrée et du séjour des étrangers en France. (Mme Corinne Narassiguin proteste.)
Nous avons conclu, en matière migratoire, 140 accords bilatéraux ! Même si certains sont symboliques, d’autres ont de véritables conséquences financières et sans doute migratoires. Les plus emblématiques d’entre eux restent bien évidemment les accords avec l’Algérie, qui font tristement l’actualité.
Ensuite, nous sommes soumis à l’interprétation variable du Conseil constitutionnel, en particulier à la lecture très stricte de l’article 45 de la Constitution, qui limite l’action parlementaire. Pour preuve, la plupart de nos mesures introduites dans loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration votée en 2024 ont été censurées non pas pour des questions de fond, mais uniquement pour des raisons de forme.
Le Conseil constitutionnel a en effet estimé que nos propositions en matière d’acquisition ou de déchéance de nationalité, de suivi des mineurs isolés ou de conditionnement des prestations sociales n’avaient pas de lien direct avec le projet du Gouvernement, qui traitait justement de l’immigration.
Je le crois, les Sages devraient également clarifier leur position sur la constitutionnalité des mesures relatives à l’établissement d’une durée minimale de résidence pour obtenir des prestations sociales. Une durée de cinq années serait inconstitutionnelle, mais pas une durée de deux ans. Pourquoi donc ? Et qu’en serait-il de trois ou quatre ans ?
Face aux censures du Conseil constitutionnel sur les sujets migratoires, une réforme de la Constitution apparaît nécessaire et urgente, ne serait-ce que pour répondre aux attentes des Français auxquelles la représentation nationale ne peut souscrire, puisqu’elle est entravée.
En refusant que le régime des aides sociales applicable aux étrangers soit significativement différent de celui des nationaux, le Conseil constitutionnel a fermé la porte à des réformes efficaces, de justice et d’équité. Il a également refusé au peuple français de se prononcer sur l’immigration par référendum, ce que je regrette profondément.
Aussi, alors que nous tentons de légiférer sur ces sujets et que nous votons chaque année le budget de la sécurité sociale, je suis étonnée de voir que le Conseil ne s’interroge pas sur l’absence de certaines données. En effet, nous savons approximativement le montant versé au nom des conventions internationales, mais nous ignorons la ventilation du type de prestation par nationalité, non pas faute de l’avoir demandé, mais en raison de l’absence de réponse.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Bref, vous ne savez rien !
Mme Valérie Boyer. C’est pourquoi, madame la ministre, je formule une demande qui ne relève pas du domaine de la loi, mais qui pourrait éclairer le législateur.
Actuellement, le numéro d’inscription au répertoire national d’identification des personnes physiques, le NIR, comporte treize chiffres. Les premiers numéros indiquent si la personne est née en France ou hors de France, sans donner plus de précision sur le pays de naissance ou la nationalité.
Compte tenu du nombre de conventions internationales bilatérales, il serait utile d’ajouter une telle information sur la carte Vitale ou ailleurs, afin de permettre un suivi de ces conventions. Cela relève de notre mission constitutionnelle de contrôle.
Nous ne disposons pas non plus de données sur les prestations sociales, ce qui est paradoxal dans le contexte social et budgétaire douloureux que nous connaissons.
Aussi, mes chers collègues, nous devons mettre un terme à ce « quoi qu’il en coûte » permanent (Mme Raymonde Poncet Monge s’exclame.), par lequel nous demandons aux Français toujours plus d’efforts, sans pour autant contrôler les sommes versées dans le cadre des conventions internationales.
Pourtant, pour faire des économies, nous sommes capables d’envisager la réforme des retraites, d’instaurer des retenues sur le remboursement des médicaments, etc. Une fiscalité élevée caractérise notre pays. Pourquoi ne pas avoir de transparence sur ces comptes ?
Madame la ministre, je réitère ma demande : nous devons disposer de chiffres précis des aides versées dans le cadre de ces conventions internationales, ventilés par type de prestation et par pays.
Soit l’État refuse de communiquer ces chiffres – mais alors, comment exercer notre mission de contrôle ? Je m’étonne d’ailleurs que le Conseil constitutionnel ne nous en fasse pas le reproche… –, soit les pouvoirs publics ne sont pas en capacité de les fournir, et, dans ce cas, il est urgent de réformer notre système, afin de les obtenir.
Que l’État soit incapable de donner ces informations donne lieu à des fake news et à des délires complotistes,… (Exclamations ironiques sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. Éric Kerrouche. La preuve !
M. Patrick Kanner. La vérité sort de la bouche de l’orateur !
Mme Valérie Boyer. … à des accusations et à divers anathèmes qui nous empêchent d’avancer sereinement. Bien évidemment, mes chers collègues, si nous disposions de chiffres précis, nous pourrions discuter de ces questions dans de meilleures conditions que sous vos habituels quolibets.
Ce respect, nous le devons aux Français, qui paient des impôts et qui cotisent,… (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)
M. Patrick Kanner. Les étrangers aussi paient des impôts !
Mme Valérie Boyer. … aux Français accueillants, généreux et solidaires. Nous devons faire preuve de transparence pour leur répondre et leur dire comment l’argent public est utilisé.
Ne pas le faire, c’est fragiliser le lien de confiance que nous avons avec les Français, ce qui entraînerait une rupture du contrat social. Mes chers collègues, il me semble que personne, sur aucune travée de cet hémicycle, ne le souhaite.
C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous invite à soutenir largement ce texte, qui constituerait une première étape pour plus d’équité, de transparence et de justice. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Stéphane Ravier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Florence Lassarade, rapporteure de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Valérie Boyer vise à établir une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales. Elle dépasse la question de la politique migratoire et touche à la définition même de notre modèle de protection sociale.
Cette proposition de loi traduit une volonté que la majorité sénatoriale a exprimée à plusieurs reprises. En effet, dans le cadre de l’examen de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, un dispositif analogue avait été ajouté sur l’initiative du Sénat, avant d’être censuré par le Conseil constitutionnel, au motif qu’il constituait un cavalier législatif.
Par la suite, les parlementaires du groupe Les Républicains ont déposé la proposition de loi présentée en application de l’article 11 de la Constitution visant à réformer l’accès aux prestations sociales des étrangers, afin de consulter le peuple français sur cette disposition.
Tout en reconnaissant qu’il est possible de prendre des règles spécifiques quant à l’accès des étrangers aux droits sociaux et que les exigences constitutionnelles ne s’opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales soit conditionné à une certaine durée de résidence ou d’activité, le Conseil constitutionnel a estimé qu’une durée de cinq ans de résidence ou de trente mois d’activité n’était pas proportionnée à ces exigences.
La présente proposition de loi tire toutes les conséquences de cette décision ; j’y reviendrai.
Il me faut tout d’abord préciser les conditions dans lesquelles les ressortissants étrangers bénéficient actuellement des prestations sociales de droit commun. Point important, ce bénéfice n’est ouvert qu’aux étrangers en situation régulière, puisque seuls l’aide médicale d’État (AME) et l’hébergement d’urgence sont ouverts sans condition de régularité du séjour.
Concernant les ressortissants étrangers en situation régulière, l’accès à la grande majorité des prestations sociales est assuré dès qu’une résidence stable, soit une présence de neuf mois consécutifs, est établie. Les ressortissants des pays membres de l’Union européenne, qui ne sont pas concernés par la présente proposition de loi, font en outre l’objet d’une égalité de traitement avec les nationaux au regard de la protection sociale.
Hormis ce cas spécifique, le droit en vigueur prévoit déjà des exceptions à l’accès de plein droit à certaines prestations, notamment le revenu de solidarité active et l’allocation de solidarité aux personnes âgées. La loi impose ainsi de posséder un titre de séjour autorisant à travailler depuis cinq ans pour avoir droit au RSA, voire depuis quinze ans à Mayotte, et depuis dix ans pour toucher l’Aspa.
Je le fais remarquer, en ce qui concerne le RSA, le délai de cinq années de présence sur le sol national, soit trois années de plus que la durée visée par la proposition de loi, a été validé par le Conseil constitutionnel.
Dans ce contexte, la présente proposition de loi entend instaurer une durée minimale de résidence en situation régulière de deux années avant l’accès aux prestations familiales, à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), aux aides personnelles au logement (APL) et au droit au logement opposable, afin de « préserver les conditions de bon fonctionnement des mécanismes des prestations sociales et de solidarité dans un contexte de densité particulière des flux migratoires ».
La commission des affaires sociales a considéré que, dans son principe, l’instauration d’une durée de résidence préalable au bénéfice de certaines prestations sociales était légitime et même souhaitable. En effet, la protection sociale est l’expression de la solidarité nationale. Elle traduit donc l’appartenance au collectif et la participation à la vie de la Nation.
Par conséquent, conditionner son obtention à un délai de deux ans, contre neuf mois actuellement, ne semble pas disproportionné.
En outre, de nombreux pays dont les systèmes de protection sociale sont pourtant moins généreux que le nôtre ont réalisé des choix analogues pour les prestations familiales. Je pense à l’Italie, à l’Irlande, au Danemark, à Chypre ou encore à la Grèce, où la durée de résidence préalable à l’obtention des prestations familiales est même de cinq ans.
Néanmoins, un motif d’insatisfaction demeure : l’évaluation des conséquences financières de cette proposition de loi n’a pas été possible. En effet, les données de la Caisse nationale des allocations familiales ne précisent pas la nationalité des allocataires, ce qui empêche d’estimer le coût des prestations versées pour ce public.
Pour autant, environ 10 % des foyers auraient un allocataire principal possédant un titre de séjour, ce qui n’implique pas qu’il soit concerné par la présente proposition de loi.
Par ailleurs, la commission des affaires sociales, suivie par celle des lois sur une partie des amendements, a procédé à quelques modifications du texte, afin d’en garantir tout à la fois l’effectivité et la sécurité juridique.
Le premier point concerne évidemment la constitutionnalité du dispositif. Les universitaires entendus lors de mes travaux ont insisté sur l’incertitude qui pèse sur le raisonnement du juge constitutionnel et sur sa complexité.
Toutefois, le Conseil constitutionnel se fondait, dans sa décision sur la proposition de loi référendaire précitée, sur le fait que la « condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans […] port[ait] une atteinte disproportionnée [aux] exigences » constitutionnelles. Il nous a donc semblé qu’une durée de deux ans était tout à fait proportionnée aux enjeux.
En revanche, la commission a entendu supprimer le droit au logement opposable (Dalo) du périmètre de la présente proposition de loi. Il lui a semblé que l’accès à un logement décent, objectif de valeur constitutionnel, faisait l’objet d’une protection juridique plus forte, dans la mesure où il constitue une des dimensions fondamentales du droit des personnes. Cette suppression a par ailleurs l’intérêt de recentrer la proposition de loi sur les prestations sociales au sens strict.
Un autre point concernait la conventionalité de la proposition de loi, c’est-à-dire son respect des traités ratifiés par la France, qui ont un rang supérieur à la loi. Les services du ministre de l’intérieur ont notamment souligné les enjeux relatifs à la directive européenne du 13 décembre 2011, dite Permis unique, qui impose aux États membres une égalité de traitement entre les étrangers disposant d’un titre de séjour autorisant à travailler et leurs ressortissants nationaux.
Afin d’assurer la conformité du texte avec cette directive et d’ainsi éviter une sanction de la part de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), nous avons retenu la notion de détention « d’un titre de séjour autorisant à travailler », plutôt que celle de l’exercice d’une activité professionnelle.
Par ailleurs, la commission a également entendu exclure des prestations concernées par la condition de résidence l’allocation journalière de présence parentale (AJPP), dans la mesure où celle-ci profite aux parents d’enfants gravement malades, accidentés ou handicapés.
De même, la rédaction initiale de la proposition de loi privait de base légale une exception maintenue par le législateur, afin de permettre le bénéfice du revenu de solidarité active (RSA) aux mères isolées étrangères avant la durée de cinq ans de résidence. Il nous a paru nécessaire de maintenir cette exception, au regard de la vulnérabilité du public concerné.
Enfin, je souhaite préciser un point abordé durant les auditions : l’applicabilité de la proposition de loi. Nous avons constaté que de nombreuses conventions internationales multipartites ou accords bilatéraux prévoyaient des clauses de réciprocité. Aux termes de celles-ci, la France s’engage à traiter les ressortissants des pays parties à l’accord de la même manière que ses ressortissants pour l’accès à la sécurité sociale.
Ces accords sont nombreux et difficiles à analyser, d’autant que l’Union européenne ratifie elle-même des accords d’association ayant les mêmes conséquences. La direction de la sécurité sociale a notamment signalé des accords qui couvrent les ressortissants des pays du Maghreb, de la Turquie et de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, pour lesquels le dispositif discuté aujourd’hui ne trouverait donc pas à s’appliquer.
Cette circonstance ne nous a toutefois pas semblé devoir conduire à des conclusions hâtives.
Tout d’abord, il ne saurait y avoir de fatalisme en la matière : ces conventions peuvent être dénoncées, amendées ou réexaminées à la lumière de nos travaux si une volonté politique suffisante existe. Les dissensions récentes avec l’Algérie posent, par exemple, la question d’une telle évolution.
En outre, ces conventions assurent également aux ressortissants français un traitement non discriminatoire par rapport aux résidents nationaux lorsqu’ils vivent à l’étranger. Autrement dit, elles assurent à tout le moins que la mise en action de la solidarité nationale soit réciproque.
Pour toutes ces raisons, je vous invite, mes chers collègues, à adopter ce texte, qui me semble traduire une volonté d’équité particulièrement forte de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Olivier Bitz, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des lois s’est saisie pour avis de la proposition de loi de notre collègue Valérie Boyer et de ses collègues du groupe Les Républicains, qui s’inscrit dans la continuité de précédentes initiatives de la Haute Assemblée.
Ce texte vise à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 11 avril 2024, en vertu de laquelle une condition de durée de résidence en situation régulière de cinq ans, ou de trente mois pour les étrangers exerçant une activité professionnelle, portait une atteinte disproportionnée aux exigences constitutionnelles tirées des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946.
S’il a jugé une telle durée excessive, le Conseil constitutionnel n’a en revanche pas exclu, par principe, l’institution par le législateur d’une condition de durée minimale de résidence en situation régulière pour le bénéfice de certaines prestations sociales.
Par conséquent, le présent texte réduit à deux ans la durée de résidence exigée et en exempte totalement les étrangers qui exercent une activité professionnelle. Les étudiants en seraient également exemptés pour le bénéfice des aides personnalisées au logement (APL).
Sur le principe, la commission des lois a approuvé ce texte. Elle a considéré qu’il était légitime qu’un certain délai soit imposé aux étrangers qui n’exercent pas d’activité professionnelle, et, partant, ne contribuent pas au système de protection sociale, pour pouvoir bénéficier pleinement de la solidarité nationale.
Elle a proposé plusieurs amendements visant, d’une part, conforter la conformité du texte à la Constitution et au droit de l’Union européenne, et, d’autre part, à préciser les conditions de sa mise en œuvre.
Ces amendements, adoptés par la commission des affaires sociales ou satisfaits par ceux de sa rapporteure, visaient à retirer le Dalo du champ d’application de la proposition de loi, de substituer au critère de « l’affiliation au titre d’une activité professionnelle » celui de la détention d’un titre de séjour autorisant à travailler, à exempter les bénéficiaires de la protection temporaire de la condition de durée de résidence, et, enfin, à reporter la date d’entrée en vigueur de la loi, afin de permettre aux organismes gestionnaires, dont font partie les départements pour ce qui concerne l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), d’adapter leurs processus et leurs systèmes d’information.
Toutefois, les travaux que nous avons menés ont révélé que, du fait d’accords internationaux conclus en matière de sécurité sociale, de nombreuses nationalités seraient exemptées, en tout ou partie, de l’application de la présente proposition de loi. Ces accords relèvent de plusieurs catégories.
Il s’agit, en premier lieu, de conventions bilatérales de sécurité sociale conclues entre la France et des États tiers. Le ministère de la santé indique qu’il en existe 39, dont la plupart prévoient une forme d’égalité de traitement en matière de prestations familiales pour tout ou partie des ressortissants de ces États qui résident en France.
En deuxième lieu, il existe des accords bilatéraux qui ne portent pas spécifiquement sur la sécurité sociale, mais qui comportent de telles stipulations.
Par exemple, l’article 7 de la déclaration de principes relative à la coopération économique et financière du 19 mars 1962, qui fait partie des accords d’Évian, consacre l’égalité de traitement en matière de prestations sociales des Algériens qui résident en France. Tel est également le cas de certains accords d’association conclus entre l’Union européenne et des États tiers, dont au moins huit comportent des clauses d’égalité de traitement en matière de sécurité sociale.
En troisième et dernier lieu, il s’agit d’accords multilatéraux, comme la convention n° 118 sur l’égalité de traitement de sécurité sociale de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui concerne plusieurs pays d’Afrique subsaharienne et d’Amérique du Sud.
Ce constat fait écho à celui qu’avait dressé la commission des lois au sujet des instruments internationaux en matière migratoire : un enchevêtrement d’engagements mal connus, qui contraint fortement notre capacité d’action. Un travail de recensement et de révision de ces engagements, pour certains très anciens, doit être engagé. Ces accords internationaux tendent à restreindre fortement la portée du texte, dont la dimension symbolique demeure importante.
Faut-il pour autant se résigner à l’impuissance ? Je ne le crois pas, car ces accords peuvent être révisés. Surtout, la reprise en main de notre politique migratoire passe avant tout par une meilleure régulation des entrées sur le territoire et par une amélioration du processus d’éloignement des étrangers en situation irrégulière.
Au bénéfice de ces observations, la commission des lois a émis un avis favorable sur la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée auprès de la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles, chargée de l’autonomie et du handicap. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteure, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, j’espère ne pas vous surprendre en affirmant ici que je partage, de même que l’ensemble des membres du Gouvernement, les objectifs de lutte contre l’immigration irrégulière dans notre pays.
M. Ian Brossat. Ce n’est pas le sujet !
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. La France est parfaitement légitime à définir et à décider qui elle accueille et dans quel dessein. C’est d’ailleurs ce que le Premier ministre a récemment eu l’occasion de rappeler au sein du comité interministériel de contrôle de l’immigration : les attentes de nos concitoyens en faveur d’une plus grande maîtrise des flux migratoires sont fortes et légitimes, et le Gouvernement entend donc renforcer ce contrôle.
La généralisation du recours à une « force frontières » sur l’ensemble des frontières de l’Hexagone, le renforcement du niveau d’exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF), la transcription en droit français du Pacte européen pour la migration et l’asile, sont autant de mesures annoncées qui compléteront notre arsenal législatif.
La lutte contre l’immigration irrégulière doit aussi passer par la voie diplomatique, et le Gouvernement a réaffirmé sa détermination à agir en ce sens.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Avec quel succès ! (Sourires sur les travées du groupe SER.)
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Toutefois, au regard des débats nourris qui ont eu lieu en commission, je veux rappeler que les étrangers en situation irrégulière, qui ne bénéficient d’aucune prestation sociale à l’exception de l’aide médicale de l’État (AME) et de l’hébergement d’urgence, ne sont pas concernés par la présente proposition de loi.
Mme Silvana Silvani. Voilà !
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. En effet, les prestations dont nous parlons ne peuvent être perçues que par des étrangers en situation régulière, qui disposent donc d’un titre de séjour.
Contrôler le nombre de bénéficiaires étrangers de prestations passe aujourd’hui et passera toujours nécessairement par notre politique d’attribution de titres de séjour. Il s’agit non pas de remettre en cause la finalité visée par les auteurs de la proposition de loi, mais de répéter que, en aucun cas, ce texte ne permettra de lutter contre l’immigration illégale.
Je souhaite également évoquer les enjeux de constitutionnalité qui se posent nécessairement et qui, eux aussi, ont fait l’objet de débats lors de l’examen en commission.
Vous le savez, si le Conseil constitutionnel a jugé que l’article 19 de la loi du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, dite Immigration, constituait un cavalier législatif, il s’est ensuite prononcé sur la proposition de loi référendaire, déposée dans le cadre d’un référendum d’initiative partagée et promue par le groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale, qui reprenait la condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans.
Or il a été jugé que « Si les exigences constitutionnelles […] ne s’opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d’activité, cette durée ne saurait être telle qu’elle prive de garanties légales ces exigences ».
La condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans ou d’activité professionnelle d’une durée d’au moins trente mois a ainsi été considérée comme portant une atteinte disproportionnée à ces exigences, donc comme contraire à la Constitution.
À ce stade, rien ne permet de savoir clairement si la condition de durée de résidence de deux ans prévue par la présente proposition de loi sera elle aussi jugée disproportionnée, ou non.
Au-delà de cet enjeu de constitutionnalité, comme certains sénateurs l’ont souligné à l’occasion de l’examen en commission, ce texte aura un effet nul ou faible, en particulier pour ce qui concerne les prestations familiales, pour près de quarante pays avec lesquels la France a des conventions bilatérales de sécurité sociale.
Si l’on peut regretter cet état de fait, force est de reconnaître que le texte ne changera pas les conditions de durée de séjour applicables aux ressortissants de nombreux États tiers. S’il était souhaité, le travail titanesque de détricotage de nos conventions bilatérales serait long et complexe,…
Mme Valérie Boyer. Ce n’est pas une raison pour ne rien faire !
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. … et au moins huit pays font l’objet d’un accord bilatéral à l’échelon de l’Union européenne, qui ne pourrait donc pas être remis en question.
Par ailleurs, sans vouloir minimiser les efforts des auteurs de la proposition de loi visant à garantir une meilleure applicabilité technique des conditions de délai figurant dans le texte, il est certain que les dispositions proposées entraîneront des efforts massifs d’adaptation de nos caisses de sécurité sociale, qui seront consentis au détriment d’autres priorités.
Enfin, pour des raisons qui sont toutes justifiées, les travaux de la commission ont fait évoluer le texte, notamment pour ce qui concerne la fin de la condition de séjour de deux ans pour le droit au logement opposable ou le remplacement d’une condition d’activité professionnelle par une condition de titre de séjour autorisant à travailler.
Ces évolutions réduisent en partie la portée de la proposition de loi, au travers du périmètre de public ciblé, ne serait-ce que parce que les titres de séjour qui n’autorisent pas à travailler sont très rares. Elles démontrent à mon sens à quel point il est difficile d’avancer sur ce sujet, quand un principe pourtant clair au premier abord devient rapidement sujet à mille exceptions, qui reflètent les difficultés qu’auront après nous les personnes et les services publics chargés d’appliquer la bonne grille de lecture.
Il n’en reste pas moins que ce texte répond politiquement à une interrogation partagée par nombre de nos concitoyens sur un éventuel effet d’appel d’air et une forme d’attractivité de la France pour une immigration non choisie. Au nom du Gouvernement, j’émettrai donc un avis de sagesse à son sujet. (Protestations sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. Thomas Dossus. Oh !
M. Ian Brossat. Quelle lâcheté !
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Rossignol et Narassiguin, M. Kanner, Mmes Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Le Houerou, Lubin et Poumirol, MM. Bourgi et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d'une motion n° 1 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales (n° 299, 2024-2025).
La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comment ne pas s’interroger sur l’entêtement de la majorité sénatoriale à vouloir réduire les droits sociaux des personnes étrangères vivant en toute légalité en France ? En effet, ce texte ne concerne que des individus accueillis légalement en France.
Cela a été rappelé à plusieurs reprises, la France a le pouvoir et le droit de décider qui elle accueille et qui elle n’accueille pas sur son sol. En l’espèce, ce texte ne vise que des personnes que notre pays a choisi d’accueillir. Nous sommes donc tenus, à leur égard, par la responsabilité qu’entraîne cette décision.
Je parle d’entêtement, car cette proposition de loi traduit un affichage idéologique sans aucun lien avec le réel.
Mme Nadine Bellurot. C’est l’hôpital qui se moque de la charité !
Mme Laurence Rossignol. La rapporteure le reconnaît elle-même, son champ d’application est probablement très restreint par les conventions bilatérales qui lient la France à de nombreux pays.
J’ai entendu l’auteure principale de cette proposition de loi s’agacer de ces traités ; je veux tout de même lui rappeler que ceux-ci comportent des clauses de réciprocité, procurant aux Français vivant dans les pays signataires de tels textes l’accès aux droits sociaux locaux. Je serais curieuse, ma chère collègue, de voir comment vous expliqueriez cela aux Français concernés…
Mme Valérie Boyer. C’est pour cela qu’il serait bon d’avoir un bilan, chère collègue…
Mme Laurence Rossignol. Ensuite, les dispositions de cette proposition de loi ne s’appliqueraient ni aux ressortissants des pays du Maghreb, ni à ceux des pays d’Afrique subsaharienne, ni à ceux de la Turquie ; je pense même que les ressortissants brésiliens ne seraient pas concernés ! Enfin, bien entendu, elles ne concerneraient pas les ressortissants des pays de l’Union européenne.
On nous demande donc de voter sur un texte dont personne n’est capable de dire précisément à qui il s’appliquerait. Avouez que ce n’est ni banal ni sérieux… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Pourtant, nous payons !
Mme Laurence Rossignol. Par ailleurs, cette proposition de loi nie la complexité du droit constitutionnel. Bien sûr, elle prend acte des deux dernières décisions du Conseil constitutionnel sur le même sujet, mais elle pose comme postulat que le Conseil n’a jamais interdit de soumettre les prestations à une durée de résidence, se contentant d’en évaluer la proportionnalité.
Or ce postulat en ignore un autre : le Conseil constitutionnel n’a pas davantage déclaré conforme à la Constitution une disposition limitant le bénéfice de la solidarité nationale aux seuls nationaux.
En effet, non seulement il n’a jamais été saisi de cette question, mais surtout, aux termes des dixième et onzième alinéas du préambule de la Constitution de 1946, « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement » et « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».
Or il convient de noter que, quand le constituant de 1946 a voulu réserver le bénéfice de la solidarité nationale aux seuls Français, il l’a fait explicitement, comme au douzième alinéa. On peut donc en déduire que, dans son esprit, les dixième et onzième alinéas ne visent pas à réserver ces droits aux seuls Français.
Pourtant, les auteurs de la présente proposition de loi ont déduit de la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu’il était possible d’exiger une condition de résidence, à condition – ils ont tout de même étudié ses décisions récentes – que cette condition soit proportionnelle. Ainsi ont-ils imaginé, au doigt mouillé, qu’une durée de deux ans, puisque cinq ans ne marchaient pas, conviendrait. Comme si cet enjeu de proportionnalité se résumait à une question de curseur !
Ils ignorent que le contrôle de proportionnalité est toujours lié à l’objet même de la prestation sociale ; je vous renvoie à cet égard à la note très claire produite par l’universitaire Samy Benzina sur ce sujet, à la demande de la rapporteure. Je reviendrai sur cette notion de proportionnalité.
À l’inconstitutionnalité liée au onzième alinéa du préambule de 1946, j’en ajoute une autre : ce texte porte atteinte au troisième alinéa de ce préambule, selon lequel la « loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ».
Or, en établissant une distinction entre les étrangers en situation régulière qui travaillent et ceux qui ne travaillent pas, et sachant que le taux d’activité des femmes dans les familles immigrées est de 20 % inférieur à celui des hommes, ce sont les femmes qui seront les premières victimes de cette disposition, parce qu’elles sont plus nombreuses à êtres ans travail.
Enfin, cette proposition de loi porte atteinte à la convention internationale des droits de l’enfant, donc au bloc de conventionalité.
Prenons un exemple, parmi les nombreuses prestations dont vous interdisez l’accès : l’allocation de soutien familial (ASF). Il s’agit d’une prestation versée aux femmes qui assument seules la charge d’un enfant, à toutes les familles monoparentales, celles dont le taux de pauvreté des enfants est le plus élevé. À celles-ci, vous entendez donc infliger deux ans de misère, car elles ne percevront pas non plus d’allocations familiales ni d’allocations de rentrée scolaire.
Avez-vous par ailleurs pensé, mes chers collègues, aux femmes qui ne travaillent pas, qui subissent des violences de leur conjoint et qui ne pourront pas partir, faute d’allocations indispensables à l’éducation et à l’entretien de leurs enfants ?
Cette proposition de loi est une machine à créer de la pauvreté et de la violence à l’encontre des mères et des familles monoparentales, ainsi qu’une machine à maintenir les femmes sous l’emprise de leur conjoint. Elle porte donc bien atteinte au troisième alinéa du préambule de la Constitution de 1946. En outre, en instituant une discrimination entre enfants, selon que leurs parents ont ou non une activité professionnelle, elle porte atteinte à la convention internationale des droits de l’enfant.
Enfin, il faut évaluer la proportionnalité de la mesure, non pas par rapport à un curseur temporel, mais à l’aune des objectifs de la prestation. Prenons l’exemple des allocations familiales, de l’allocation de rentrée scolaire et de l’ASF. Quels sont les objectifs de ces prestations ? Assurer les meilleures conditions sanitaires, matérielles et morales aux enfants et lutter contre la pauvreté.
C’est pour cela que l’école est obligatoire et gratuite pour tous les enfants, y compris pour ceux dont les parents sont clandestins sur notre territoire, parce que tous ces enfants ont un droit imprescriptible à être nourris, soignés, logés, éduqués quand ils vivent en France. Il y a déjà 2 000 enfants sans abri ; votre proposition de loi en jettera de nombreux autres à la rue.
La condition de résidence que vous imaginez n’est donc pas proportionnelle au regard des prestations que vous visez, car l’objectif de celles-ci est d’assurer un droit universel aux enfants qui vivent en France.
Par conséquent, ce texte n’est tout simplement pas conforme à la Constitution. Madame la ministre, vous vous interrogiez sur ce point. Tel est, en tout état de cause, mon point de vue sur la question, et je serais troublée si cette proposition de loi venait à être examinée à l’Assemblée nationale avec l’accord du Gouvernement.
Vous-mêmes avez d’ailleurs un doute sur le sujet, chers collègues. Quel peut donc bien être alors l’intérêt de présenter une proposition de loi dont le champ d’application n’est pas clairement identifié et dont le risque de censure est élevé ?
Alors que le contexte international requiert l’unité du pays, vous choisissez la fracture, vous faites le choix de la préférence nationale…
M. Stéphane Ravier. Bravo !
Mme Laurence Rossignol. … comme simple marquage idéologique, mais, ce faisant, vous oubliez que les électeurs ont toujours préféré l’original à la copie.
M. Stéphane Ravier. Absolument !
Mme Laurence Rossignol. Vous fracturez également le consensus politique sur les valeurs de la République, fracture entre la droite et la gauche, bien sûr, mais aussi au sein du bloc central.
Bref, cette proposition de loi est inconstitutionnelle, car elle est attentatoire aux principes qui fondent notre République, dangereuse, car elle est facteur de division au moment où le pays a besoin de cohésion, et inefficace dans la lutte contre l’immigration clandestine. Voilà, mes chers collègues, trois bonnes raisons de voter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Les auteurs de cette exception d’irrecevabilité contestent la constitutionnalité de la mise en place d’une durée de résidence de deux ans pour le bénéfice de certaines prestations sociales.
Lors de nos travaux, nous avons évidemment été très attentifs à la constitutionnalité de cette proposition de loi. Le droit constitutionnel est une matière complexe, ce que n’ont pas manqué de nous rappeler les professeurs de droit constitutionnel que nous avons entendus.
Dans sa décision sur la proposition de loi référendaire des députés du groupe Les Républicains, le Conseil constitutionnel se fondait – je cite ses propres termes –, sur le fait que la « condition de résidence en France d’une durée d’au moins cinq ans […] port[ait] une atteinte disproportionnée [aux] exigences » constitutionnelles.
En revanche, il précisait que « les exigences constitutionnelles précitées ne s’opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d’activité ». Cela semble clair pour moi et cela justifie en soi le rejet de cette exception d’irrecevabilité.
Par ailleurs, je rappelle que le droit en vigueur prévoit un délai de neuf mois pour que les ressortissants étrangers aient accès aux prestations sociales. Il nous a semblé que passer de cette durée à deux ans était tout à fait proportionné et adéquat.
Je rappelle au passage que, pour le RSA, il existe une exigence de durée de résidence de cinq ans, et même de quinze ans à Mayotte, sans que le juge constitutionnel se soit jamais prononcé contre de telles dispositions.
Enfin, afin d’éviter le moindre doute quant à la constitutionnalité de la présente proposition de loi, nous avons supprimé de son périmètre le droit au logement opposable. Le Dalo semble en effet faire l’objet d’une protection spécifique par la Constitution, à la fois en tant que besoin fondamental et en tant que voie de recours.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Tout d’abord, il est nécessaire que le débat puisse avoir lieu, on voit à quel point il est vif.
M. Ian Brossat. Il est vrai que c’est un beau débat…
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Ensuite, Mme la rapporteure l’a montré, la conformité ou la non-conformité du texte à la Constitution n’est pas évidente. Je rappelle à cet égard que les parlementaires peuvent toujours, tout comme le Gouvernement, soumettre pour avis une proposition de loi au Conseil d’État, afin d’en examiner la constitutionnalité.
Le Gouvernement émet donc lui aussi un avis défavorable.
Mme Laurence Rossignol. Le Conseil d’État n’est pas le Conseil constitutionnel !
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.
Mme Frédérique Puissat. Cela ne vous surprendra pas, nous ne partageons pas la position catégorique de nos collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sur ce texte et nous considérons que le Conseil constitutionnel non plus. (Mme Laurence Rossignol s’esclaffe.)
En effet, au considérant n° 12 de sa décision du 11 avril 2024, portant précisément sur la question discutée aujourd’hui, le Conseil rappelle que « les exigences constitutionnelles […] ne s’opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d’activité ».
C’est d’ailleurs parfaitement cohérent, et vous le savez, avec l’existence d’une condition de résidence pour certains dispositifs, comme le RSA.
Suivant sa démarche habituelle, le Conseil a mis en balance, dans sa décision, les exigences nées des différents droits et libertés fondamentaux reconnus par les textes constitutionnels avec l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public. Il a donc procédé à un contrôle de proportionnalité des dispositions législatives proposées, qui doivent concilier les deux.
Or la présente proposition de loi tire précisément les conséquences de cette décision, en abaissant substantiellement la durée de résidence requise, et son dispositif a encore été affiné grâce à la qualité du travail des rapporteurs. Les conditions ainsi posées répondent aux exigences constitutionnelles liées aux droits individuels en cause.
On peut ne pas souhaiter l’existence même de telles conditions – c’est une position politique, la vôtre, chers collègues, et nous la respectons –, mais il ne s’agit pas d’une atteinte à la Constitution.
En outre, je relève le raisonnement curieux figurant dans l’exposé des motifs de la motion, selon lequel l’existence de nombreuses conventions dans ce domaine rendrait sans objet l’action du législateur.
La France n’ayant pas entendu subordonner l’intégralité de sa politique en matière de solidarité à d’hypothétiques accords avec des pays tiers, ce qui serait au reste contraire à l’article 34 de la Constitution, l’action du législateur est ici tout sauf inutile. L’abondance des exceptions à une règle ne suffit pas à faire disparaître celle-ci. Il ne faut pas s’interdire d’agir. Or tel est l’objet de ce texte.
Nous voterons donc contre cette motion, afin que la discussion puisse se tenir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. La motion étant très précise, je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce qui a déjà été dit.
Néanmoins, je souhaite faire part à la Haute Assemblée d’une résolution du Conseil national des barreaux (CNB), qui représente tout de même 70 000 avocats de France et qui a jugé bon de se réunir en assemblée générale pour discuter de cette proposition de loi.
Dans l’un des attendus de sa résolution, le CNB « déplore la fragilité du dispositif au regard des exigences constitutionnelles ». Pour moi, « déplorer » est un synonyme de « s’affliger de ». Et en effet, il y a de quoi s’affliger devant cette proposition de loi…
Quant à la notion de proportionnalité, sur laquelle vous revenez constamment, elle repose, cela a été dit par les juristes en droit public, sur trois critères ; il ne s’agit pas simplement d’une question de curseur, comme l’a indiqué notre collègue.
Un texte dont les mesures sont proportionnées doit répondre à plusieurs questions, notamment celle de savoir à quelle nécessité il répond et s’il est adapté. Dans votre proposition de loi, vous n’avez pas cherché à appliquer ces deux critères aux différentes prestations, que vous avez prises en vrac. Or vous ne pouvez pas tenir la même position sur chacune des prestations. Vous devez les évaluer en fonction de ces critères avant de les confronter aux droits fondamentaux de notre Constitution.
M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.
Mme Silvana Silvani. Nos collègues du groupe socialiste ont déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales. Il s’agit de dénoncer les atteintes aux libertés publiques ainsi qu’aux droits et aux libertés constitutionnels.
Lors des auditions de notre collègue rapporteure, nous avons entendu les remarques des juristes, en particulier des constitutionnalistes, sur le caractère anticonstitutionnel des mesures proposées. Bien évidemment, il ne s’agissait que d’hypothèses, puisque nous n’étions pas devant le Conseil constitutionnel ; et nous n’y sommes pas davantage ici.
Politiquement, c’est toute la difficulté : nous devons nous opposer à une proposition de loi, vraisemblablement contraire à notre loi fondamentale, qui pourrait rejoindre la liste des textes d’affichage adoptés par le Sénat et sa majorité. Le problème est que, depuis l’examen de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, nous savons qu’un tel texte est susceptible de poursuivre son parcours parlementaire à l’Assemblée nationale et d’être adopté par une majorité politique allant de Renaissance au Rassemblement national, en passant par Les Républicains et des centristes.
Avec la présente proposition de loi, la majorité sénatoriale continue de faire la campagne de Bruno Retailleau pour le congrès des Républicains, (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) comme nous l’avons déjà souligné.
Mme Valérie Boyer. Mais arrêtez !
Mme Silvana Silvani. En reprenant les vieilles idées de l’extrême droite, notamment celle d’accorder la priorité aux Français, vous espérez marquer des points à la droite extrême pour 2025 et 2027. Ce choix stratégique vous revient ; il ne serait pas si grave si, au passage, vous n’empruntiez pas le chemin du trumpisme en ne respectant ni les conventions internationales ni les principes constitutionnels et, surtout, n’attisiez pas un discours xénophobe à l’encontre de nos concitoyennes et de nos concitoyens issus de l’immigration.
Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky soutient cette motion et votera pour l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.
M. Éric Kerrouche. L’avantage, avec les propositions de notre collègue Boyer, c’est que l’on est rarement dans le parlementarisme et plutôt dans le militantisme.
Mme Valérie Boyer. C’est votre appréciation… Quand on s’allie avec M. Mélenchon, on n’a pas de leçon à donner !
M. Éric Kerrouche. C’est encore le cas : on fait semblant de parler de droit, alors qu’il ne s’agit que de bavardage.
Ce texte reprend toutes les idées reçues habituelles : le mythe de l’appel d’air, les 20,7 milliards d’euros selon l’OCDE que coûterait l’immigration – sans préciser que cette somme englobe l’ensemble des étrangers qui sont en France, y compris les résidents de l’Union européenne et les résidents français nés à l’étranger, ce qui explique son importance. En outre, vous oubliez encore de préciser que l’OCDE souligne dans son rapport une contribution nette, certes légère, des immigrés à la valeur ajoutée en France. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vos sélections sont pour le moins particulières.
Vous vous opposez à l’immigration en nous rappelant systématiquement les difficultés rencontrées – c’est bien là le thème de ce débat, au fond. Vous oubliez que les Français, au fil du temps, sont devenus beaucoup plus tolérants : l’indice longitudinal de tolérance augmente. Il est aujourd’hui plus difficile de stigmatiser, comme vous essayez de le faire au travers de ce texte.
Vous vous contentez de proposer une politique identitaire. Pour reprendre les propos d’un de mes collègues, nous assistons au travers de tous ces textes à la droitisation de la droite et non à celle des citoyens.
Je vous invite à consulter les données de l’Insee, précises et régulièrement actualisées, sur les thèmes que vous voulez évoquer. J’y insiste : ce texte n’est qu’un prétexte pour nous faire débattre de sujets que vous voulez absolument mettre en avant, mais que les Français ne privilégient pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Raymonde Poncet Monge et Silvana Silvani applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Je l’ai déjà dit en commission des affaires sociales, je ne voterai pas cette proposition de loi.
Pour ma part, je respecte ce texte, tout comme je respecte la motion que vient de présenter notre collègue. Toutefois, de manière générale, je ne suis pas favorable aux motions, car je pense que le débat est utile. Il nous permet d’explorer la proposition de loi, d’en analyser les effets, qui peuvent être dévastateurs, comme l’ont souligné certains.
Le groupe Union Centriste ne votera aucune des deux motions. Je souhaite vraiment que ce débat ait lieu, il permettra à nos concitoyens d’être témoins de nos différences sur ce sujet. Si cette question intéresse sans doute de nombreux Français, je ne pense pas non plus, comme certains orateurs l’ont laissé entendre, qu’il soit si essentiel aux yeux de tous les Français.
Analyse contre analyse, vérité contre vérité : je trouve intéressant – j’y insiste – de poursuivre le débat.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je n’interviens pas sur le fond du débat ; je tiens simplement à revenir sur l’emploi du mot « xénophobe » par plusieurs de nos collègues.
Certes, il existe dans cet hémicycle un cadre juridique particulier, qui nous protège. Toutefois, le recours à ce mot doit être limité. Je vous rappelle qu’une personne tenant un discours xénophobe tombe sous le coup de la loi.
Il faut faire preuve d’un peu de retenue, surtout s’il est possible d’exprimer la même idée en utilisant un autre mot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur des travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Je comprends la position de tous les groupes, mais je suis aussi dans mon rôle de président de commission en faisant ce point sur la tenue de nos débats.
M. Thomas Dossus. Il faut appeler un chat un chat !
Mme Silvana Silvani. C’est proportionné !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifiée, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 233 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 345 |
Pour l’adoption | 99 |
Contre | 246 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, d’une motion n° 2.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales (n° 299, 2024-2025).
La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, par cette motion, nous proposons de ne pas délibérer sur la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.
En effet, le motif principal, si ce n’est unique, de cette initiative législative, est de « limiter l’“appel d’air” migratoire généré par un régime social dont les conditions de bénéfice généreuses peuvent contribuer à attirer les flux d’immigration illégale ». Or ce fameux concept d’« appel d’air » n’a jamais été étayé par aucun fait ; à l’inverse, il a été largement invalidé par de nombreuses recherches académiques.
C’est une construction imaginaire. Il est de notre responsabilité, en tant que législateurs, de ne pas fonder nos propositions de réforme sur des mythes ni d’alimenter ceux-ci en conséquence.
Selon le philosophe Jérôme Lèbre, l’appel d’air « correspond assez bien à ce que Bachelard appelait un obstacle épistémologique », « une intuition vague […] qui est d’autant plus efficace qu’elle simplifie la réalité, alors même que la science n’avance effectivement qu’en se libérant des intuitions immédiates. » Force est de constater une tentation croissante de s’exonérer des travaux scientifiques comme des faits en s’appuyant sur des concepts invalidés. La démarche scientifique et rationnelle est de plus en plus malmenée en France.
Le 7 mars dernier, sous le slogan Stand up for Science, des mobilisations, parties des États-Unis, ont eu lieu de par le monde et ont trouvé un écho dans notre pays, afin de contrer les menaces contre les institutions scientifiques et de recherche. Nous sommes dans ce moment-là, au cœur de notre activité parlementaire, notamment sur les questions sociétales et d’environnement.
Mes chers collègues, revenons à une étude rationnelle de l’exposé des motifs de cette proposition de loi, cheminement qui vous conduira – je l’espère – à une position juste et motivée qui vous incitera à voter cette motion du groupe écologiste.
Il faut partir des recherches sur l’appel d’air migratoire : toutes concluent qu’il n’est pas plus avéré scientifiquement qu’empiriquement.
Dans une tribune postérieure à la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, 700 chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – je dis bien 700 ! – concluent que « la répartition des migrants et des réfugiés à travers l’Europe n’a aucun lien avec la générosité de la protection sociale : l’“appel d’air” est un mythe jamais démontré. » Voilà donc 700 chercheurs qui nous informent et qui dénoncent la « victoire de l’idéologie sur les faits, le triomphe des fantasmes sur des réalités méconnues ou déniées ».
Ils démontrent ainsi que « la France n’est pas “submergée” par une immigration “hors contrôle” » et que les immigrés accomplissent des tâches indispensables – ce constat, en revanche, est vérifié… – au fonctionnement de notre économie et de la vie sociale. D’ailleurs, selon l’Observatoire des inégalités, les immigrés sont surreprésentés dans les métiers où l’environnement de travail est le plus difficile.
Dans une autre étude, l’économiste britannique Corrado Giulietti montre que la générosité de l’État providence n’est pas un facteur clef des départs. Il souligne que, contrairement à l’hypothèse de l’attrait des aides sociales, les preuves empiriques suggèrent que les décisions d’immigration ne sont pas prises sur la base de la générosité relative des prestations sociales du pays d’accueil, ce qui a largement été démontré.
Selon Pascal Brice, ancien directeur général de l’Ofpra, les migrations « sont le fait de l’activité naturelle des femmes et des hommes ou alors le fait de la contrainte, de la misère, des persécutions, des dégâts environnementaux ».
Pour comprendre les motivations des migrations, il faut regarder les raisons des départs. Selon l’Institut convergences migrations, ce sont les facteurs dits push, tels que les troubles politiques, économiques, sociaux ou religieux, qui incitent les migrants à quitter leur pays. Ces facteurs sont autrement plus puissants que les facteurs dits pull, c’est-à-dire l’attractivité, réelle ou fantasmée, des pays de destination. Les migrants ne sont donc pas aspirés par les prestations sociales d’un pays : ils partent pour tenter d’échapper à la souffrance, voire à la mort.
Jérôme Lèbre avance, à juste titre, que supposer un choix après avoir étudié les différents « systèmes sociaux de la part des migrants apparaît particulièrement sordide de la part d’États qui ont construit et construisent leur richesse et leur bien-être social par leur implication directe ou indirecte, immédiate ou historique, dans des guerres qui ont rendu des zones entières du globe inhabitables. Il ne s’agit pas d’affirmer que ces États sont toujours les premiers responsables […] : simplement de rappeler qu’ils ne sont jamais les derniers. ».
Quand les migrants choisissent leur pays d’arrivée, ce qui est loin d’être toujours le cas, le déterminant est non pas la qualité des prestations sociales, mais l’accès à un emploi ainsi que la présence d’une diaspora sur le territoire. Ainsi, selon Hélène Thiollet, chercheuse au CNRS : « pour les migrants, le premier critère est d’ordre professionnel : ils cherchent à accéder soit à un emploi, soit à un cursus universitaire » ; « Le second critère, c’est l’existence, dans le pays d’accueil, d’une communauté issue de leur pays d’origine. L’activation de ces réseaux sociaux, qu’ils soient familiaux, villageois ou nationaux, permet de faire baisser les risques et le coût de la migration, mais aussi de faciliter l’intégration. »
Rappelons que la présence de diasporas est souvent un héritage de notre colonisation. À titre d’exemple, après la Première Guerre mondiale, en raison de la pénurie de soldats et de main-d’œuvre, les autorités françaises ont recruté dans les colonies des centaines de milliers de soldats et de travailleurs. Cette histoire travaille encore notre société. Les mécanismes d’appropriation et d’exploitation d’hier ont créé les rapports de pouvoir actuels, qui permettent notamment à certains États, toujours en position de force, de définir et de restreindre les conditions de circulation des individus.
Par ailleurs, contrairement au postulat de cette proposition de loi, la France n’est pas si attractive pour les migrants. (M. Laurent Duplomb s’exclame.) Je vous rappelle que les Syriens ne voulaient pas venir dans notre pays : il a fallu aller les chercher pour respecter notre quota.
L’immigration en France s’explique en partie par sa situation géographique, qui en fait un pays de refuge provisoire et de transit, où souvent les migrants sont bloqués en raison de notre politique.
Enfin, réfutons une dernière croyance : les régularisations ne créent pas non plus d’appel d’air. Selon Cris Beauchemin, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined), les travaux de recherche montrent que, depuis le début des années 1980, aucune vague de régularisation, même massive, n’a eu d’effet incitatif sur les départs.
Aucune aide sociale ne peut et ne pourra compenser les coûts et les risques de la migration. Les migrants ne sont pas attirés vers l’Europe ou vers la France par des aides sociales qu’ils ne toucheront probablement pas, sinon après un long délai, à la suite d’un parcours du combattant précédant une éventuelle régularisation. Et maintenant, une fois parvenus à cette dernière étape, vous voulez qu’ils attendent encore deux ans avant de toucher les aides !
Notons enfin, avec le sociologue Laacher, que « les adeptes de l’appel d’air ne [s’expriment] jamais sur un ton indigné [sur] la circulation des élites mondialisées », « attirées […] par les meilleurs placements financiers quel que soit le pays », « qu’aucune frontière n’arrête [et qui] sont chez [elles] partout ». Pas d’appel d’air pour l’optimisation fiscale, laquelle n’est pas un fantasme et qui coûte beaucoup à la France !
En conclusion, vous faites primer l’idéologie sur les faits,…
Mme Valérie Boyer. Pas vous ?
Mme Raymonde Poncet Monge. … les fantasmes sur les réalités, l’intuition fausse sur la science.
Avoir tenté de faire de la situation irrégulière de l’étranger un délit, et non une seule infraction, ne vous suffit plus : vous attaquez les étrangers en situation régulière.
Régularisé ou pas, votre cible reste l’étranger, que vous sous-entendez profiteur, abîmant dès lors sa représentation par la population. Vous voulez discriminer l’étranger régularisé dans l’accès aux droits fondamentaux de par sa simple qualité d’étranger. Croyez-vous que cette proposition de loi modifiera quoi que ce soit à l’immigration ? Vous savez pertinemment que non !
Dès lors, monsieur le président de la commission, comment qualifier cette désignation de l’étranger, dont les droits sont l’objet de restrictions sans fin sous un argument fallacieux, par un autre nom que « xénophobie » ? S’il y a un appel d’air, il est purement idéologique : c’est celui que réalise l’extrême droite, qui inspire cette proposition de loi.
En effet, si le concept mobilisé d’appel d’air n’a pas d’ancrage empirique ni scientifique, il a néanmoins des conséquences. Il est un prétexte au durcissement des politiques migratoires comme des conditions d’accueil et de vie des étrangers, y compris en situation régulière.
Par conséquent, considérant que l’ensemble de la proposition de loi s’appuie sur ce concept invalidé et ne se justifie que par celui-ci, il nous paraît qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération. Parce que la recherche de vérité est une condition de notre démocratie et de notre État de droit, parce qu’on ne construit pas la loi à partir de mythes, le groupe écologiste vous appelle à voter cette question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Les auteurs de cette motion contestent sur le fond la mise en place d’une durée de résidence conditionnant l’accès aux prestations sociales pour les étrangers extracommunautaires.
Je rappelle que, lors des travaux en commission, nous avons insisté sur le fait que la proposition de loi se justifiait indépendamment des questions de politique migratoire. Il s’agit avant tout de définir le système de protection sociale que nous souhaitons et la manière dont doit s’exprimer la solidarité nationale.
Conditionner l’accès de plein droit aux prestations sociales à un délai de deux ans, au lieu de neuf mois actuellement, revient à considérer que la solidarité de la collectivité s’exprime d’abord envers les personnes qui participent à la vie de la Nation et envers celles qui y sont un tant soit peu intégrées.
Par ailleurs, je constate que plusieurs pays de l’Union européenne, comme l’Irlande, par exemple, ont suivi cette voie, sans toujours être confrontés à des flux migratoires importants.
Pour toutes ces raisons, il nous paraît nécessaire que le Sénat conduise à leur terme les débats sur ce texte important : avis défavorable à la motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.
M. Ian Brossat. Avant même que la discussion générale n’ait commencé, nous avons d’ores et déjà assisté à deux aveux.
Tout d’abord, lors de la discussion du texte précédent sur l’allongement de la durée de rétention en CRA, la majorité sénatoriale disait ne vouloir s’attaquer qu’aux étrangers dangereux ou en situation irrégulière. Et voici qu’avec la présente proposition de loi, vous vous attaquez maintenant aux étrangers qui sont en situation régulière sur notre sol ! Ceux-ci, pourtant, n’ont jamais rien demandé d’autre que de pouvoir s’intégrer à la société française.
Ensuite, Mme Boyer s’est livrée à un aveu extraordinaire au début de son intervention, en déclarant : « Nous votons certes de nombreux textes, mais leurs mesures sont rendues inopérantes »
Mme Valérie Boyer. Oui !
M. Ian Brossat. Votre propos est bel et bien extraordinaire, madame Boyer. Vous assumez le fait de déposer des propositions de loi en sachant très bien qu’elles sont inconstitutionnelles et qu’elles ne déboucheront sur rien du tout. Elles visent simplement à alimenter le débat public. (Mme Valérie Boyer s’exclame.) C’est ce que j’appelais tout à l’heure les propositions de loi CNews. Nous sommes en plein dedans !
Madame Boyer, que ne faut-il pas entendre : vous nous affirmez vouloir supprimer les prestations sociales pour les étrangers en situation régulière afin de préserver le modèle social de nos concitoyens. Franchement, entendre ces mots de votre part, vous qui avez voté le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans et qui, avec vos amis, proposez de broyer la retraite par répartition pour la remplacer par un système par capitalisation… Faites preuve d’un peu de dignité dans le débat !
Enfin, madame la ministre, quel signe de lâcheté de s’en tenir à un avis de sagesse. Il est pathétique que le Gouvernement ne soit même pas capable de défendre une position républicaine sur un tel sujet ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.
Mme Frédérique Puissat. Je serai un peu plus mesurée que mon collègue, dont je trouve les propos caricaturaux, d’autant qu’il s’adresse à une seule de nos collègues. Certes, c’est bien elle qui a déposé la proposition de loi, mais ce texte est soutenu par l’ensemble du groupe Les Républicains. Monsieur le sénateur, vous pouvez donc vous adresser au groupe plutôt que de prendre à partie madame Boyer.
Vous ne serez pas surpris que nous nous opposions à la motion tendant à opposer une question préalable, défendue par le groupe écologiste. Ayant déjà développé mes arguments, je n’y reviendrai pas.
Selon nous, la mise en place d’une durée de résidence préalable au bénéfice de prestations sociales est souhaitable. Nous assumons ce choix : comme l’a fort justement souligné Florence Lassarade, au nom de la commission des affaires sociales, la protection sociale est l’expression de la solidarité nationale. Ainsi, conditionner son accès à une durée de présence en France revient en partie à considérer que c’est la participation à la vie de la Nation qui fonde la légitimité de cette solidarité. Même si vous ne la partagez pas, monsieur le sénateur, c’est notre position.
Par ailleurs, de nombreux pays, dont les systèmes de protection sociale sont pourtant moins généreux que celui de la France, ont fait un choix analogue.
Le groupe Les Républicains considère qu’il faut poursuivre l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.
M. Thomas Dossus. Je remercie ma collègue Raymonde Poncet Monge, qui a fait une démonstration implacable de vos fantasmes idéologiques et de votre dérive xénophobe. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Au travers de ce texte, nous examinons la disposition de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration qui avait fait dire à Marine Le Pen qu’elle avait gagné idéologiquement. Elle avait acté sa victoire idéologique totale grâce à cette mesure de préférence nationale, que le Conseil constitutionnel a fort heureusement censurée. Merci à lui !
Il fut un temps, mes chers collègues – je m’adresse à l’ensemble du groupe Les Républicains pour respecter l’invitation de la collègue précédente –, où une bonne partie de la droite combattait, avec tous les républicains, les idées de l’extrême droite. Aujourd’hui, cette droite s’est engagée dans une course aux idées nauséabondes : la préférence nationale est votre boussole sur ce texte et la xénophobie est désormais votre doctrine, comme nous avons pu le constater à chacune de vos propositions de loi récentes.
L’intervention de Valérie Boyer était un modèle du genre. Il fut un temps où il existait des digues et vous voilà engloutis dans la fange des idées de l’extrême droite.
Cette proposition de loi, qui se fait sur le dos des plus fragiles, ne changera strictement rien pour les Français allocataires de ces ressources – ceux-là mêmes que vous n’avez de cesse de présenter comme des « assistés ».
Cessons les appels d’air aux idées xénophobes et votons cette motion !
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je remercie mes collègues Ian Brossat et Thomas Dossus d’avoir exprimé ce que nous ressentons également sur les travées du groupe socialiste. J’apporterai quelques compléments, parce que nous voterons bien évidemment cette motion.
Je suis assez effarée de voir à quel point Mme Boyer – pour le coup, c’est elle qui intervenait – a scandé son intervention en ne cessant de souligner l’absence de documentation et de chiffres sur ces sujets. Vous proposez donc de légiférer dans un brouillard total ! Comme le disait Ian Brossat, cette proposition de loi n’est qu’un pur tract politique.
Par ailleurs, vous affirmez des choses fausses, comme l’ont démontré plusieurs intervenants. Combien de temps nous raconterez-vous encore qu’il existe un appel d’air ? Il faut bosser un peu ! (Mme Valérie Boyer s’exclame.) Il faut regarder les chiffres et ce qu’il se passe dans les pays qui régularisent ! Les raisons pour lesquelles les personnes viennent chez nous ont été expliquées. Elles ne regardent pas le régime de prestations sociales de notre pays ; elles regardent si elles pourront y travailler et si elles y ont de la famille. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’aime bien vous entendre réagir, cela veut dire que vous êtes touchés… (Mêmes mouvements.)
Vous affirmez des choses absolument insensées. Le rapporteur Olivier Bitz a eu l’honnêteté intellectuelle de reconnaître l’existence de trente-neuf conventions internationales qui font que le texte que vous voterez n’aura pas de portée. Mais peu vous importe, vous le voterez tout de même pour pouvoir distribuer un tract dans votre circonscription ou une newsletter expliquant que les conventions internationales vous empêchent d’agir.
Tout cela n’est à la hauteur ni du travail du Sénat ni de ce que, autrefois, la droite était. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Valérie Boyer. Et la gauche ?
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Tout d’abord, à mon collègue qui affirme que nous voulons supprimer la retraite par répartition, je réponds que c’est complètement faux : au Sénat, depuis des années, nous disons simplement qu’il faudra peut-être ajouter à notre régime par répartition un petit peu de capitalisation.
J’en viens, ensuite, à la présente proposition de loi. J’ai bien écouté Mme Poncet Monge, qui a fait un très bon discours, très étayé. Elle dit que le premier critère d’accès aux prestations est l’exercice d’une activité professionnelle. C’est vrai : c’est par le travail que l’on s’intègre. À cet égard, les étrangers ne sont pas attaqués : aux termes du texte que nous examinons, dès lors qu’ils travaillent, ils percevront immédiatement toutes les aides sociales auxquelles ils ont droit actuellement.
Autrement dit, cette PPL est complètement différente du projet de loi pour contrôler l’immigration, qui conditionnait le bénéfice de prestations sociales à une durée de résidence d’au moins cinq ans ou à une durée d’affiliation d’au moins trente mois au titre d’une activité professionnelle en France. Le présent texte ne relève pas du tout de la même logique : dût-il s’appliquer, j’y insiste, toute personne qui exercerait une activité professionnelle percevrait immédiatement lesdites prestations.
Mme Laurence Rossignol. Et les femmes ?
M. Daniel Chasseing. Pour l’accès à l’APL, aux prestations familiales, à l’allocation personnalisée d’autonomie, on passerait de neuf mois à deux ans de durée minimale de résidence. Mais aucune modification n’est prévue ni pour le RSA ni pour l’allocation de solidarité aux personnes âgées, et les étudiants sont exemptés de cette condition de résidence. Quant à ceux qui travaillent, je l’ai dit, ils continueront de percevoir les aides auxquelles ils ont droit actuellement.
Je rappelle qu’en toute hypothèse peu de gens sont concernés : ne le sont ni les ressortissants de l’Union européenne ni ceux des États tiers avec lesquels la France a conclu une convention bilatérale de sécurité sociale.
Pour toutes ces raisons, et en ce qui me concerne, je voterai cette proposition de loi (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 2, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 234 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 342 |
Pour l’adoption | 99 |
Contre | 243 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Discussion générale (suite)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Corinne Narassiguin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Corinne Narassiguin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une nouvelle fois nous nous retrouvons pour évoquer un thème qui tourne à l’obsession chez certains dans cet hémicycle : l’immigration. Malheureusement, cela commence à devenir une habitude…
Avec cette proposition de loi, vous tentez pour la troisième fois,…
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Nous sommes persévérants !
Mme Corinne Narassiguin. … après le projet de loi Immigration et Intégration de Gérald Darmanin puis la proposition de référendum d’initiative partagée de Bruno Retailleau, de restreindre les prestations sociales dont bénéficient les étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France légalement.
Comme en 2023, vous nous proposez de consacrer la préférence nationale pour l’attribution de certaines prestations sociales.
La préférence nationale, donc : il s’agit là d’un principe, un de plus, que vous choisissez d’emprunter à l’extrême droite. « J’aime mieux mes filles que mes nièces, mes nièces que mes cousines, mes cousines que mes voisines », proclamait jadis Jean-Marie Le Pen. « Il faut faire passer les nôtres avant les autres », résumait, en 2022, le programme de Marine Le Pen.
Avec ce texte, vous nous proposez donc la synthèse de ce qui se fait de mieux à droite aujourd’hui : l’obsession des étrangers et une politique antisociale de maintien des gens dans la pauvreté.
Non contents de promouvoir le rejet de l’étranger, vous vous attaquez au cœur de notre pacte social, à savoir notre système de protection sociale. L’universalité des prestations, décidée à la fin de la Seconde Guerre mondiale, a été consacrée par la loi du 4 juillet 1975 tendant à la généralisation de la sécurité sociale, sous Jacques Chirac, alors Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, deux personnages dont certains ici osent encore se revendiquer.
Vous tentez donc une nouvelle fois de revenir sur cet héritage direct de l’esprit du Conseil national de la Résistance, qui inspira la création de la sécurité sociale, et ce au détriment des vies de centaines de milliers d’hommes, de femmes et d’enfants qui résident dans notre pays en situation régulière et cotisent toutes et tous pour notre système social commun.
Pourquoi ce texte ? Vous prétendez vouloir lutter contre un « appel d’air » imaginaire, mythe selon lequel un étranger choisirait son pays d’accueil après s’être livré à un benchmark des différentes politiques sociales et des bénéfices qu’il pourra en tirer. Cela a été dit voilà quelques instants : l’ensemble des travaux consacrés aux déterminants de la migration montrent qu’il n’existe aucune corrélation entre les politiques d’accueil et l’orientation des flux migratoires.
Il est largement établi, par plusieurs études, que les déterminants de la migration sont l’attractivité économique et la présence d’une diaspora sur le territoire d’accueil. Mais, comme le dit avec aplomb le ministre de l’intérieur, « la réalité dément les études ». Quelle réalité ? Une réalité virtuelle que vous imposez au débat public en occultant volontairement les apports économiques et culturels de l’immigration.
Ma collègue Laurence Rossignol l’a dit en défense de notre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, ce texte est contraire à la Constitution. Mais nous savons bien qu’il ne s’agit plus là d’un argument susceptible de vous faire revenir à la raison : piétiner notre loi fondamentale est devenu chez vous une habitude. Si celle-ci ne va pas dans votre sens, la réponse est toute trouvée : il faut changer la Constitution.
Heureusement, les rapporteurs ont eu, en commission, quelques éclairs de lucidité.
Le premier leur a permis de constater que ce texte est largement dépourvu d’objet, en raison des conventions et accords internationaux qui régissent les droits sociaux des étrangers extracommunautaires résidant en France de manière régulière. En effet, un grand nombre de conventions internationales conclues entre la France et des États tiers conduiraient à exempter, en tout ou partie, les ressortissants des pays concernés de l’application de la présente proposition de loi. Quel est l’intérêt d’un tel texte s’il ne s’applique à presque personne ? Sans doute ne s’agit-il que d’un effet de manche – un de plus.
Leur deuxième éclair de lucidité, les rapporteurs l’ont eu pour retirer du texte le droit au logement opposable. En effet, ce droit est un principe constitutionnel : il s’agit de la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent, consacrée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 19 janvier 1995.
Si nous saluons ce recul, ce texte reste inconstitutionnel. Quand vous avez tenté de conditionner le bénéfice des prestations sociales à une durée minimale de résidence de cinq ans, via la procédure de référendum d’initiative partagée engagée par M. Retailleau, le Conseil constitutionnel a considéré que cela portait une atteinte disproportionnée à la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées.
L’exigence de cinq ans de résidence étant donc inconstitutionnelle, vous nous sortez de votre chapeau une durée de deux ans. Pourquoi ? On ne sait pas bien… Serait-il plus acceptable de maintenir dans la précarité pendant deux ans, plutôt que cinq, des hommes, des femmes et des enfants ?
Ce texte n’est pas qu’un texte anti-étrangers, c’est aussi un texte antisocial. Avec cette proposition de loi, vous voulez priver des étrangers en situation régulière des aides et accompagnements nécessaires à leur insertion durable dans la société, et ce au moment où ils en ont le plus besoin.
Loin de dissuader des étrangers de venir en France, cette proposition de loi, si elle était appliquée comme son auteure le souhaite, ne ferait qu’accroître la pauvreté de familles et de personnes âgées. Celles-ci perdraient leurs droits à nombre de prestations sociales tout en cotisant aux régimes de protection sociale qui les alimentent. Déjà très souvent en situation précaire, les personnes concernées ainsi que leur famille verraient leur revenu disponible diminuer de plusieurs centaines d’euros par mois.
Ce texte vise également les enfants migrants, qui sont déjà très souvent en situation de grande pauvreté et qui sont aussi l’avenir de notre pays, un avenir que vous ne souhaitez pas voir.
Vous écartez des dispositions de ce texte les étrangers qui travaillent, et c’est heureux. Mais n’y a-t-il pas une contradiction à réserver le bénéfice de prestations sociales aux étrangers qui travaillent et à en priver ceux qui ne travaillent pas, donc ceux qui, précisément, en ont le plus besoin ?
Certains ici font le parallèle avec le RSA, dont le versement est conditionné à une résidence stable de cinq années – Mme Boyer y fait référence dans son exposé des motifs. Toutefois, mes chers collègues, cela n’a rien à voir : deux logiques complètement différentes sont à l’œuvre.
C’est le Conseil constitutionnel lui-même qui l’affirme lorsqu’il précise, dans une décision du 17 juin 2011, que le délai de cinq ans est conforme à la Constitution, considérant que cette prestation a pour objet « d’inciter à l’exercice ou à la reprise d’une activité professionnelle ». En d’autres termes, notre pays soutient les étrangers arrivant sur notre sol, mais les encourage à trouver leur place dans la société par leur travail et à ne pas dépendre dès leur arrivée et pour une longue période de revenus minimums financés par la solidarité nationale, quand les prestations visées par ce texte répondent avant tout à une logique de solidarité et servent à l’entretien immédiat de la vie quotidienne.
Vous semblez donc avoir un problème avec l’intégration.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. C’est insupportable d’entendre ça…
Mme Corinne Narassiguin. Vous n’aimez pas les étrangers et vous ne cherchez pas à les intégrer dans notre société. Vous faites même tout pour rendre leur intégration impossible. Comment ?
Madame la ministre, votre collègue Gérald Darmanin a défendu une loi Immigration qu’il a osé intituler « Immigration et Intégration » alors qu’il a tout fait pour empêcher l’intégration – à cet égard, nous avions donné l’alerte à plusieurs reprises.
Ce texte a accru le niveau exigé en français pour l’obtention d’une carte de séjour, tout en réduisant les moyens alloués aux cours. En lieu et place de cours en présentiel, les étrangers devront se débrouiller sur une simple plateforme internet ; et si, au bout de trois ans, ils n’atteignent pas le niveau collège, ils seront considérés comme expulsables. Conséquence, ce sont près de 20 000 immigrés qui n’obtiendront pas le renouvellement de leur titre de séjour et 40 000 qui se verront refuser la carte de résident.
Désormais, vous voudriez que ces personnes, dont le parcours d’intégration par la langue et par le travail est déjà une course d’obstacles quasi infranchissables, soient aussi privées de prestations sociales.
Mme Laurence Rossignol. Oui, c’est ça qu’ils veulent !
Mme Corinne Narassiguin. Mes chers collègues, hormis des mesures qui provoqueront des situations de précarité et qui nuiront à l’intégration, que proposez-vous ?
Que proposez-vous pour faciliter l’accès à des cours de français ? Que proposez-vous pour faciliter l’accès à un emploi ? Que proposez-vous pour sortir les personnes migrantes de la précarité, pour qu’elles s’intègrent plus vite dans notre société et contribuent au vivre ensemble ?
La réponse est simple : rien, sinon la préférence nationale, la haine de l’étranger et l’attaque contre les plus pauvres ! C’est là un bien triste projet de société. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
Mme Laurence Rossignol. Tiens, voilà du soutien !
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nos collègues de la majorité sénatoriale veulent instaurer, par ce texte, la priorité nationale, en imposant une obligation de résidence en France d’au moins deux ans pour qu’un étranger qui ne travaille pas puisse bénéficier des prestations familiales, de l’allocation personnalisée d’autonomie, de l’aide personnalisée au logement et du droit au logement opposable.
Le Conseil constitutionnel, dans une décision du 11 avril 2024, avait interdit un référendum d’initiative partagée sur ce thème pour non-respect du principe de solidarité nationale. Pour le socialiste Laurent Fabius et pour ses amis, « la préférence nationale […] est contraire à la Constitution ». Sans distinction entre un Français et un étranger, les juges ont consacré l’ouverture de notre système social au monde entier, au moment même où ce dernier connaît les mouvements de population les plus importants de l’histoire de l’humanité ! Inutile de chercher plus loin pourquoi nous sommes le plus taxé de tous les pays développés…
Cette décision fut un véritable tournant dans l’affirmation d’un gouvernement des juges, ligotant un peu plus encore la souveraineté nationale. Même Michel Rocard est mis hors des clous de la jurisprudence constitutionnelle, lui qui avait admis qu’on ne pouvait accueillir toute la misère du monde et qui avait concrétisé cette idée en conditionnant l’obtention du RMI à cinq ans – cinq ans ! – de présence sur le territoire français, en 1988 ! (Mmes Corinne Féret et Raymonde Poncet Monge s’exclament.)
Cette orientation est tout à fait à contre-courant de l’urgence française, alors que nous sommes menacés dans notre existence par le double record de la dette sociale et de l’immigration, avec près de 340 000 premiers titres de séjour délivrés en 2024.
Elle est tout aussi bien à contre-courant de l’histoire internationale : aux États-Unis, si vous êtes au chômage depuis trois mois, vous êtes expulsés ; et cela était déjà vrai sous l’administration Biden !
Mme Silvana Silvani. Quel exemple…
M. Stéphane Ravier. Plus au sud et plus à gauche, même le Brésil de Lula – j’y insiste, même le Brésil de Lula ! – impose la préférence nationale.
Cette préférence nationale que la gauche française criminalise n’est pourtant pas d’extrême droite : elle est d’extrême droit ! Faire la différence entre un national et un non-national, c’est la définition même – la raison d’être – de la nation. Elle est là, la véritable discrimination positive !
Ce texte est une avancée bien timide eu égard aux enjeux, mais je le voterai comme un moindre mal. Je tiens d’ailleurs à préciser que je rejette totalement et définitivement tout financement de la famille étrangère.
Mme Silvana Silvani. Ça, c’est clair !
M. Stéphane Ravier. En France, c’est exclusivement la famille et la natalité françaises que l’on doit soutenir !
Si nous voulons reprendre le contrôle, souvenons-nous, mes chers collègues, des paroles de bon sens qui furent celles de saint Augustin : « Comme tu ne peux être utile à tous, tu dois surtout t’occuper de ceux qui, selon les temps et les lieux ou toutes autres opportunités, te sont plus étroitement unis comme par un certain sort ». Autrement dit, charité bien ordonnée commence par soi-même.
Cette sagesse spirituelle, on la retrouve dans le combat temporel d’un certain Jean-Marie Le Pen, dont je salue ici la mémoire et dont le seul tort aura été d’avoir eu raison trop tôt, avant tout le monde. Nous nous apprêtons, du reste, à lui rendre la reconnaissance politique qu’il mérite en inscrivant dans la loi ce slogan qu’il porta fièrement toute sa vie comme un étendard : « Les Français d’abord ! »
Mme Silvana Silvani. Voilà ! Ça, c’est clair !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Anne Chain-Larché.)
PRÉSIDENCE DE Mme Anne Chain-Larché
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Claude Lermytte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
Mme Marie-Claude Lermytte. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la France est un pays ouvert et solidaire, doté d’un modèle social qui compte parmi les plus généreux au monde.
Elle consacre près d’un tiers de son PIB aux prestations sociales, un niveau exceptionnel à l’échelle internationale.
Ce modèle social est un pilier de notre République : il garantit un filet de sécurité à ceux qui en ont besoin. Mais, pour en assurer la pérennité, nous devons aussi veiller à son équilibre et à son équité. C’est dans cet esprit que cette proposition de loi vise à instaurer une condition de résidence de deux ans pour l’accès à certaines prestations sociales, sauf en cas d’exercice d’une activité professionnelle.
Cette mesure est raisonnable et proportionnée, bien loin des neuf ans exigés au Danemark ou des cinq ans proposés par le Sénat dans le projet de loi Immigration en 2023.
L’objectif est clair : garantir la viabilité de notre système de protection sociale tout en conservant son caractère solidaire. Notre modèle social, en effet, n’a de sens que s’il est soutenable dans la durée. Il s’agit ici non pas de restreindre l’accès aux aides, mais de poser un cadre juste et responsable.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Ce n’est pas du tout l’objectif énoncé !
Mme Marie-Claude Lermytte. Soyons transparents avec les Français.
Ce texte conditionne le versement de certaines prestations sociales, notamment l’allocation personnalisée d’autonomie, les aides au logement et la plupart des prestations familiales, à une durée de résidence en France de deux ans.
Actuellement, ces aides sont accessibles aux étrangers en situation régulière sous réserve d’une résidence stable de neuf mois.
D’autres prestations, comme le RSA et l’allocation de solidarité aux personnes âgées, ne sont pas concernées, car elles répondent déjà à des critères plus stricts : cinq ans de résidence pour le RSA, dix ans pour le minimum vieillesse.
L’évolution proposée permet d’harmoniser notre système d’aides tout en assurant une meilleure adéquation avec la réalité des ressources publiques disponibles.
L’un des débats soulevés en commission des affaires sociales porte sur les répercussions concrètes de cette mesure : combien de personnes seront concernées ? À ce stade, les données précises manquent, nous le déplorons.
Toutefois, au-delà des chiffres immédiats, cette réforme s’inscrit dans une réflexion plus large sur l’efficacité et la pérennité de nos politiques sociales.
Ce texte met en lumière nos engagements internationaux en matière sociale. La France a signé de nombreuses conventions bilatérales garantissant une égalité de traitement entre ses ressortissants et ceux d’autres pays – États membres de l’Union européenne, mais aussi Maroc, Algérie, Égypte, Tunisie ou encore Liban, pour ne citer que ces exemples.
Si ces conventions permettent aux Français établis à l’étranger de bénéficier des mêmes prestations que les ressortissants des pays signataires, nous devons néanmoins nous interroger quant à leur pertinence. Sont-elles réellement équilibrées, alors que la France est le seul pays proposant un modèle social aussi généreux ?
Notre situation budgétaire impose d’aborder ce sujet avec lucidité. Ce n’est pas seulement une question financière : c’est une question de justice. L’équité entre les citoyens français et les étrangers bénéficiant de notre protection sociale est essentielle et nous devons veiller à ce que cet équilibre soit respecté.
Ce texte ne constitue que la première pierre d’une réflexion plus large sur la maîtrise de nos dépenses sociales. Il pose un principe, mais, dans les faits, la disposition qu’il consacre restera une exception tant que nos conventions internationales ne seront pas réexaminées.
En d’autres termes, cette réforme est une étape, mais elle doit s’accompagner d’un travail plus approfondi sur la rationalisation de notre modèle de protection sociale.
Enfin, soyons clairs, cette mesure ne répond pas au problème de l’immigration illégale. La situation de Mayotte illustre bien l’ampleur des défis à relever, mais la question dépasse largement ce territoire : elle concerne l’ensemble du pays. Il nous faut une réponse globale, articulant politique migratoire, contrôle des frontières et gestion rigoureuse de nos finances publiques.
Nous ne devons pas craindre un débat honnête sur ces sujets. Plus que jamais, la France doit reprendre le contrôle de ses frontières, de ses finances publiques et de ses choix stratégiques. Elle doit retrouver sa pleine souveraineté, et c’est là l’un des défis de notre époque.
Cette proposition de loi est un premier pas dans la bonne direction. S’y affirme une volonté de responsabilité et de justice sociale.
C’est dans cet esprit que notre groupe votera en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – Mme Anne-Sophie Patru applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je tiens à remercier notre collègue Valérie Boyer, qui nous permet, avec ce texte, de reprendre le fil de débats que nous avons eus dans le passé sur la durée de résidence nécessaire en France pour obtenir le versement de prestations sociales et familiales, ainsi que du minimum vieillesse.
Ces prestations étant versées aux étrangers qui n’exercent pas d’activité professionnelle, il semble légitime de demander à leurs bénéficiaires d’être suffisamment présents sur notre sol pour être associés à la vie collective et aux principes de solidarité qui la sous-tendent.
Par ailleurs, comme notre rapporteure l’a rappelé, le Conseil constitutionnel avait censuré, en avril 2024, un article voté au Sénat sur ce sujet, non pas sur le fond,…
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Il l’a fait en d’autres occasions !
Mme Laurence Muller-Bronn. … mais parce qu’il constituait, selon lui, un cavalier législatif et que la durée imposée, qui était de cinq ans de résidence, était disproportionnée.
Aujourd’hui, nous proposons de ramener cette durée à deux ans. En outre, plusieurs prestations ne seront pas concernées par cette nouvelle condition : la prestation de compensation du handicap, l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé, l’allocation journalière de présence parentale et le droit au logement opposable.
Rappelons de surcroît que notre Constitution permet de conditionner le bénéfice de certaines prestations sociales à une durée de résidence stable et régulière ou d’activité professionnelle.
Cette proposition de loi s’inscrit donc pleinement dans notre droit fondamental.
Elle s’inscrit également dans un contexte économique et social que nous ne pouvons ignorer.
Aujourd’hui, l’accès de plein droit aux prestations sociales est acquis après neuf mois consécutifs de résidence en France.
Certes, cette durée minimale était de six mois avant le 1er janvier 2025, mais, en dépit de ces trois mois supplémentaires, la France reste l’un des pays les moins exigeants en la matière. Nos voisins tels que l’Italie, Chypre, l’Irlande, le Danemark ou encore la Grèce conditionnent le versement de leurs prestations à une durée de résidence qui peut aller, dans certains cas, jusqu’à cinq ans.
Pour la parfaite information de nos concitoyens, il est utile de rappeler la liste de ces prestations qui sont acquises aujourd’hui avec neuf mois de résidence en France : la prestation d’accueil du jeune enfant ; les allocations familiales ; le complément familial ; l’allocation de logement ; l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé ; l’allocation de soutien familial ; l’allocation de rentrée scolaire ; l’allocation forfaitaire versée en cas de décès d’un enfant ; l’allocation journalière de présence parentale ; l’allocation de solidarité aux personnes âgées, ou minimum vieillesse.
Pour ce qui est de ce dernier sujet, je veux souligner ici que le minimum vieillesse, versé sans condition de nationalité ni de travail, est de 1 034 euros par mois pour une personne seule et de 1 605 euros par mois pour un couple. Au moment où nous apprenons que le conclave sur la réforme des retraites ne mènera nulle part, les Français étant appelés à travailler bien au-delà de 64 ans, je rappelle que les catégories les plus pénalisées par cette réforme, c’est-à-dire les femmes et les seniors mis au chômage dès 55 ans, n’auront guère plus en moyenne, alors qu’ils auront travaillé et cotisé pendant des décennies.
Par conséquent, demander deux ans de résidence en France en contrepartie de ces prestations ne me paraît pas obéir à une quelconque idéologie réactionnaire ou xénophobe :…
Mme Laurence Rossignol. Assumez !
Mme Laurence Muller-Bronn. … c’est au contraire prendre en considération la situation de nos concitoyens précaires, dont la vie professionnelle n’a pas été un long fleuve tranquille, à l’image des femmes, dont les carrières hachées les obligent à occuper des emplois précaires au-delà de 64 ans (Mmes Raymonde Poncet Monge et Laurence Rossignol s’exclament.) ; à l’image également des seniors, condamnés dès 55 ans au chômage, puis au RSA, alors qu’ils ne demandent qu’à travailler. (Mme Valérie Boyer applaudit.)
De même, il faudrait être aveugle pour ne pas voir la bombe sociale du logement, qui est en train d’exploser et qui, là encore, touche des salariés et des familles modestes dont, pourtant, les deux parents travaillent.
M. Daniel Salmon. Vous les mettez dehors !
Mme Laurence Muller-Bronn. Enfin, les annonces du Gouvernement, qui demande de nouveaux efforts financiers à nos concitoyens, appellent un minimum de cohérence eu égard au système des prestations sociales accordées aux étrangers.
Comprenez-moi bien, mes chers collègues, je ne parle même pas d’économies à réaliser ici ou là sur ces prestations : je parle des difficultés qu’ont nos concitoyens pour simplement vivre, eux qui sont sans cesse appelés à faire des efforts, dans un pays qui détient le record de l’imposition et qui appauvrit toujours plus sa classe moyenne.
En conclusion, j’assume sans difficulté le mauvais rôle qui est assigné à ceux qui défendent cette proposition de loi. La générosité des idéaux promus par certains est malheureusement incompatible avec la réalité vécue par la majorité des autres.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Les Républicains et moi-même voterons pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Marc Laménie applaudit également.)
Mmes Marie-Do Aeschlimann et Valérie Boyer. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à Mme Guylène Pantel.
Mme Guylène Pantel. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre rapporteure l’a très justement rappelé en commission la semaine dernière, la question qui se pose aujourd’hui est avant tout celle de la définition de notre modèle de protection sociale.
« La sécurité sociale n’est pas une charge, c’est un investissement dans la dignité humaine », disait Pierre Laroque, l’un de ses fondateurs. C’est une promesse : celle d’une République solidaire qui protège chacun de ses résidents face aux aléas de la vie.
C’est cette promesse que risque de fragiliser la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui. Subordonner le bénéfice de certaines prestations sociales à une condition de durée de résidence reviendrait à remettre en cause le principe fondamental de solidarité nationale en créant une hiérarchie injustifiée entre les résidents.
Ce texte reprend l’esprit d’un amendement introduit au Sénat dans la loi Immigration. À l’époque, Marine Le Pen s’était félicitée de cette mesure : elle y voyait une « victoire idéologique du Rassemblement national » et la consécration de l’idée de « priorité nationale » que son parti défend depuis plus de quarante ans.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Absolument !
Mme Guylène Pantel. Est-ce vraiment cette direction que nous voulons suivre ?
On nous explique qu’il s’agit de limiter l’appel d’air migratoire produit par un régime social qui attirerait l’immigration illégale. Mais où sont les chiffres qui le prouvent ? Aucune étude ne démontre qu’une telle mesure aurait un quelconque effet sur les flux migratoires. Prétendre que la France est un eldorado social dont les aides attireraient les étrangers, c’est relayer une fausse idée. Les migrations sont avant tout motivées par l’emploi, et non par les prestations sociales.
De la même façon, nous savons que cette proposition de loi n’aura aucun effet budgétaire significatif. La logique économique de ce texte est même contestable.
Les prestations sociales doivent être vues non pas comme une charge pesant sur l’économie, mais plutôt comme un outil d’investissement social permettant la réduction des inégalités et favorisant la participation à la vie économique. À long terme, un système de protection sociale qui fonctionne renforce la cohésion sociale et améliore la situation économique d’un pays, en lui évitant les coûts liés à la grande pauvreté et à la marginalisation.
Et c’est bien de cela qu’il s’agit ! Là encore, nous ne savons pas quelles pourraient être les économies engendrées par la mesure proposée, mais nous sommes en droit de penser qu’elles seront moindres qu’annoncé, étant donné les personnes concernées.
Ce que nous savons, en revanche, c’est que ce texte risque d’accroître la précarité de personnes qui sont en situation régulière sur notre territoire, et ce au mépris de nos principes républicains.
Refuser ces aides à des personnes qui en ont besoin, c’est les précipiter dans la pauvreté, les empêcher de s’insérer durablement dans notre société.
Refuser ces aides revient également à accroître le recours aux aides d’urgence, ce qui pèsera, in fine, sur d’autres dispositifs publics et sur les collectivités territoriales.
Au-delà des arguments que je viens d’évoquer se pose la question de la portée de cette proposition de loi, qui semble plus que limitée. Elle repose sur une illusion d’efficacité. Différents organismes de protection sociale, mais aussi la direction de la sécurité sociale, ont relevé que la condition de durée de résidence de deux ans ne serait applicable que dans la mesure où un accord international n’y déroge pas. Or il s’avère que plusieurs conventions internationales permettraient aux ressortissants d’un grand nombre de nationalités de ne pas se voir appliquer les dispositions de la présente proposition de loi.
Dans ces conditions, j’avoue ne pas comprendre cet acharnement de nos collègues à vouloir faire adopter un dispositif inapplicable…
Mes chers collègues, l’intégration ne se décrète pas, elle se construit. Mais comment peut-on s’intégrer dans un pays qui commence par vous dire « attendez deux ans avant d’être traité comme les autres » ?
Certes, nous devons être responsables dans notre approche des politiques sociales et migratoires. Mais la responsabilité, ce n’est pas stigmatiser une partie de la population, ce n’est pas priver certaines familles d’aides essentielles, ce n’est pas affaiblir le principe d’égalité devant la solidarité nationale.
J’y insiste, notre système de protection sociale est un pilier de notre pacte républicain. Il ne doit pas être instrumentalisé pour flatter des peurs et nourrir des divisions.
Parce que ce texte est profondément contraire à nos principes de justice sociale et de cohésion nationale, le groupe du RDSE votera contre dans sa très grande majorité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi qui soulève des enjeux en matière de politique sociale et migratoire puisqu’il s’agit d’instaurer une condition de durée de résidence pour l’accès à certaines prestations sociales.
Cette proposition, présentée par notre collègue Valérie Boyer, que je salue, vise à établir une durée minimale de résidence de deux ans pour les étrangers en situation régulière souhaitant bénéficier de plusieurs aides sociales, sauf s’ils exercent une activité professionnelle.
Cette question de la conditionnalité de nos prestations sociales, ou plutôt l’idée d’exiger un temps de présence minimale sur le sol français ou d’établir un lien avec la durée de cotisations et avec le travail, est assez nouvelle. Disons-le clairement, c’est une forme de remise en cause. C’est le choix assumé – certes symboliquement – d’une immigration choisie. C’est une manière de tourner définitivement le dos à une immigration trop longtemps subie.
Si cette remise en cause est largement souhaitée par l’opinion française, elle ne va naturellement pas de soi pour tout le monde. Ainsi, certains peuvent douter de l’efficacité des mesures proposées et de la réalité des effets de cette proposition de loi.
Reste que nous nous devons d’être pragmatiques, car nous ne pouvons pas accueillir toute la misère du monde, comme le disait Michel Rocard. (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Vous tronquez la citation !
M. Olivier Henno. C’est un élu des Hauts-de-France qui parle et qui regarde ce qui se passe sur le littoral, plus précisément à Calais. La réalité démographique est implacable. Les taux de natalité extrêmement élevés en Afrique subsaharienne, conjugués à l’extrême pauvreté bien triste de ces pays, peuvent entraîner des mouvements de population massifs vers l’Europe et vers la France.
Il est donc responsable et indispensable d’envoyer un signal aux populations de ces pays : la France n’est pas un eldorado, la France n’est pas une terre d’immigration subie. Disons-le calmement, sereinement et sans démagogie : venir en France n’apporte pas la garantie ou l’assurance de pouvoir bénéficier de prestations sociales sans commune mesure avec ce qui existe dans les pays d’origine.
En clair, il convient d’envoyer ce message déterminé qu’une personne ne peut venir en France que pour travailler ou étudier, à l’exception du droit d’asile, avec l’accord des autorités françaises. Cela revient à affirmer qu’il n’y a plus ou pas de place pour une immigration illégale.
Certes, la portée de ce texte est surtout symbolique, mais le symbole en politique, mes chers collègues, cela compte : ce n’est pas un gros mot. On peut vouloir réguler l’immigration sans pour autant être d’extrême droite ni xénophobe ! (Mme la ministre opine.) Laisser le monopole de la régulation migratoire à l’extrême droite, c’est aussi lui faire un sacré cadeau politique.
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. Olivier Henno. Sur ce point, nous ne sommes pas d’accord entre nous, mais c’est un clivage républicain.
Mme Laurence Rossignol. Non !
M. Olivier Henno. Il y a donc des arguments de portée migratoire, mais il y a aussi des questions qui relèvent de notre réalité sociale et budgétaire.
L’un des arguments majeurs avancé par les auteurs du texte repose sur la nécessité d’assurer un accès équitable aux aides sociales. Aujourd’hui, plusieurs de ces prestations, comme les allocations familiales ou les aides au logement, ne requièrent qu’un titre de séjour en cours de validité et une résidence de quelques mois. Cette situation est parfois perçue comme une incitation à l’installation immédiate sur notre territoire, sans véritable lien avec l’effort contributif.
En introduisant une durée de résidence minimale, nous affirmons un principe : l’accès aux prestations sociales doit être lié à une certaine stabilité sur le territoire national. Il s’agit d’une mesure qui existe déjà dans d’autres pays européens.
Le Danemark, par exemple, exige six ans de résidence pour percevoir la totalité des allocations familiales et l’Allemagne impose six mois d’activité pour y accéder. Le Canada, qui est un pays d’immigration, encadre strictement les prestations sociales versées.
Il n’est pas illogique, au moment où il va falloir demander des efforts pour réguler nos dépenses sociales et diminuer nos déficits, que nous cherchions aussi à réguler l’accès à nos prestations sociales. Même si le périmètre exact des économies induites par ce texte reste difficile à chiffrer, il contribuera symboliquement à réguler notre dépense sociale.
M. Guillaume Gontard. Quel symbole de solidarité !
M. Olivier Henno. Il est d’ailleurs incroyable que nous manquions à ce point dans ce pays d’instruments de pilotage. C’est un vrai problème.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela ne vous empêche pourtant pas de légiférer…
M. Olivier Henno. Je le redis, cette mesure est conforme aux principes constitutionnels.
Certains opposants à cette réforme avancent qu’elle pourrait être discriminatoire ou contraire aux principes fondamentaux du droit. La question est certes pertinente, mais la réponse du Conseil constitutionnel sur ce point est claire : le principe d’une condition de durée de résidence n’est pas, en soi, contraire aux principes constitutionnels.
Il a néanmoins jugé que la proposition initiale de fixer cette durée à cinq ans était disproportionnée. En l’abaissant à deux ans, et en excluant les travailleurs, les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire, nous tenons compte de cette remarque.
À ce titre, je salue le travail réalisé par nos collègues Valérie Boyer et les deux rapporteurs Florence Lassarade et Olivier Bitz.
En commission, nous avons adopté des amendements visant à renforcer la sécurité juridique du texte. Ainsi, nous avons remplacé la condition de « résidence stable » par l’exigence d’être titulaire depuis deux ans d’un titre de séjour, ce qui permet une vérification plus fiable des critères d’éligibilité.
Nous avons également exclu le droit au logement opposable du champ d’application du texte afin de ne pas remettre en cause un principe à valeur constitutionnelle.
En réalité, ce texte est aligné avec nombre de pratiques européennes. La France ne fait que se conformer à ce qui existe ailleurs en Europe. La plupart de nos voisins conditionnent l’accès aux prestations sociales à une certaine durée de résidence ou d’activité : cela n’a rien de scandaleux.
Loin d’être une mesure isolée, cette réforme s’inscrit donc dans une tendance générale visant à concilier accueil et intégration responsable.
Mme Valérie Boyer. Bravo !
M. Olivier Henno. Comme je l’ai souligné précédemment, il s’agit d’une réponse adaptée aux défis migratoires.
Enfin, ce texte vise à répondre à une préoccupation croissante de nos concitoyens : celle de maîtriser les flux migratoires et de lutter contre l’effet d’attractivité que peut exercer notre système social.
Pour conclure, mes chers collègues, ce n’est pas la dernière fois que nous aurons à débattre de ces questions. Ce texte ne ferme pas la discussion, c’est une évidence. Notons néanmoins qu’il vise, dans la conformité de nos engagements européens et constitutionnels, à encadrer l’accès à nos prestations sociales.
C’est la raison pour laquelle mon groupe, dans sa majorité, votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. –Mme Anne-Sophie Romagny applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani.
Mme Silvana Silvani. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, par deux fois déjà, la majorité sénatoriale a tenté de créer une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.
En 2023, lors de la discussion de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, la majorité sénatoriale avait proposé d’instaurer une durée de résidence de cinq ans. Le ministre Darmanin avait apporté tout son soutien à ce dispositif, finalement censuré par le Conseil constitutionnel.
En 2024, une proposition de loi référendaire, soutenue par les sénateurs et les députés Les Républicains, avait été déposée pour reprendre cette mesure et pour conditionner à cinq ans de résidence en France l’accession à certaines prestations sociales. Le Conseil constitutionnel confirmera que cette durée portait une atteinte disproportionnée aux exigences constitutionnelles.
Jamais deux sans trois, Les Républicains retentent leur chance en 2025 au travers de cette proposition de loi, espérant que cette fois sera la bonne. Dans cette version, la durée de résidence exigée pour le versement de certaines prestations sociales est portée à deux ans.
En commission des affaires sociales, nous vous avons interrogés pour connaître le nombre de potentiels bénéficiaires après cet allongement du délai de résidence : vous n’avez pas pu nous répondre. Vous ne disposez pas de chiffres, mais cela n’est pas l’essentiel, n’est-ce pas ? Il s’agit surtout d’un marqueur idéologique.
Nous l’avons souligné lors des explications de vote sur la motion tenant à opposer l’exception d’irrecevabilité : ce texte est anticonstitutionnel. Il ne respecte pas les engagements internationaux de la France et contrevient aux principes mêmes de notre modèle social. Là aussi, ce n’est pas ce qui vous importe.
Ce qui importe à la majorité sénatoriale, c’est d’occuper le terrain de l’immigration en tenant un discours radical à la place du Rassemblement national, quitte à perdre des électeurs humanistes, rationalistes et gaullistes sociaux.
Nous sommes étonnés que le groupe Les Républicains fasse unanimement campagne derrière le ministre Bruno Retailleau. Je renvoie ceux qui auraient des doutes à la dernière dépêche AFP relayant les propos de l’actuel président de groupe, aujourd’hui même à dix-huit heures trente-huit. Mais nous sommes encore plus étonnés que les centristes et autres parlementaires de la Macronie soutiennent ce texte à l’argumentation xénophobe, qui est avant tout antisocial. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Derrière l’instauration d’un délai de carence de deux années pour accéder aux prestations sociales, vous aggravez la précarité, le nombre de travailleurs pauvres et de mal-logés.
Selon l’Union sociale pour l’habitat (USH), cette mesure jette des ménages dans les bras des marchands de sommeil, favorise les locations non déclarées et contribue à la création de bidonvilles.
Selon la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), sans l’allocation de rentrée scolaire, les deux tiers des familles devront réduire leurs autres dépenses.
Selon le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), ces délais de résidence vont restreindre les droits et engendrer une hausse de la précarité.
Cette proposition de loi sonne donc comme une victoire idéologique pour le Rassemblement national auquel vous reprenez le mythe de l’appel d’air et le principe de préférence nationale. Jordan Bardella ne s’exprimait pas autrement lorsqu’il disait que « notre pays doit cesser d’être un guichet social pour l’immigration du monde entier ».
Après avoir imposé l’austérité budgétaire sur les peuples, la mise en concurrence des travailleurs, voilà la phase suprême du capitalisme, qui consiste à justifier l’instauration d’une sécurité sociale à deux vitesses.
Ce texte vise à remettre en cause l’universalité des prestations sociales, déjà affaiblie depuis 2016 avec le conditionnement des prestations familiales à six mois de résidence en France.
Finalement, entre ceux qui ont voulu réduire les dépenses sociales en limitant les droits des étrangers et ceux qui ont voulu réduire le nombre d’étrangers pour diminuer les dépenses sociales, il y a un point commun, à savoir la remise en cause de notre modèle social universel auquel, pour notre part, nous sommes profondément attachés.
En généralisant et en allongeant les délais à deux ans, vous remettez en cause le principe même de l’universalité des prestations non contributives. Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons bien évidemment contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Madame la présidente, madame la ministre, chers collègues, la proposition dont nous débattons est une troisième tentative d’inscrire dans la loi une mesure déjà censurée deux fois par le Conseil constitutionnel.
Le législateur prend sciemment un risque constitutionnel. S’il insiste, c’est d’abord et surtout pour faire entrer dans le débat, à force de répétition et à défaut de vérité empirique et scientifique, le concept d’appel d’air dont nous avons dénoncé l’ineptie en présentant la motion n° 2 visant à opposer la question préalable – je n’y reviendrai pas.
Instaurer une condition de durée de résidence de deux ans – et non plus de cinq – afin de tenter de contourner la censure témoigne d’une vision erronée et restrictive du principe de proportionnalité, qui n’est pas réductible à un quantum, mais qui doit répondre aussi du caractère nécessaire et adapté d’une mesure portant atteinte à des droits fondamentaux.
De surcroît, l’introduction d’une exception d’opposabilité au titulaire d’un titre de séjour autorisant à travailler dans le seul but de sécuriser cette proposition de loi en consentant aux exigences du droit européen reste sans aucun rapport avec l’objet des prestations concernées.
Il faut toujours respecter le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et le principe posé selon lequel « tout être humain […] a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Lorsqu’il était président du Conseil constitutionnel, Robert Badinter, qui a siégé dans cet hémicycle, avait déposé sur son bureau l’affichette suivante : « Toute loi inconstitutionnelle est nécessairement mauvaise. Mais toute loi mauvaise n’est pas nécessairement anticonstitutionnelle. »
Vous faites fort, parce que cette proposition de loi nous semble répondre aux deux critiques : potentiellement inconstitutionnelle et assurément mauvaise ! Elle prend ancrage dans une récurrence de restrictions des droits des personnes étrangères, même en situation régulière, pour satisfaire un parti ouvertement xénophobe.
Cette proposition de loi est d’abord un outil de communication politique. Faute de pouvoir imposer la condition de nationalité dans l’ensemble du champ de la protection sociale et au fur et à mesure que l’immigration a été désignée en France comme un problème public, les droits ont été soumis à une condition de résidence, puis à une condition de résidence régulière et enfin à une condition d’antériorité de séjour régulier, qui s’apparente à une préférence nationale déguisée.
Ce mouvement s’accompagne de la multiplication d’obstacles administratifs, se traduisant par des renvois fréquents à des situations irrégulières après une période en situation régulière et donc à des ruptures de droits. Il s’agit d’exclure le plus de personnes étrangères possible de l’accès aux prestations sociales.
Le texte alimente une triple rupture d’égalité. La première, qui existe entre les nationaux et les étrangers, s’élargit. La deuxième s’introduit entre les étrangers présents depuis au moins deux ans et les autres. La troisième s’applique au regard des prestations sociales visées ou non par la proposition selon ce que les auteurs reconnaissent qu’il s’agit de vulnérabilités dignes d’exceptions, et ce de façon totalement arbitraire.
En définitive, sous prétexte de lutter contre les étrangers en situation irrégulière, les droits des étrangers en situation régulière sont attaqués. C’est bien la figure de l’étranger qui est visée. Or être hostile par principe aux étrangers, même en situation régulière en France, doit être qualifié, car refuser de nommer est aussi grave que mal nommer. Je vous invite donc à regarder dans un dictionnaire comment s’appelle une telle attaque obsessionnelle contre la figure de l’étranger…
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Il ne faut pas exagérer !
Mme Raymonde Poncet Monge. En ciblant les étrangers, c’est l’ensemble de la société qui s’abîme.
D’abord, parce que cette proposition de loi entraînera une dégradation des conditions d’existence et une paupérisation des étrangers régularisés depuis moins de deux ans ou qui ne seront pas en mesure de prouver les deux ans de résidence régulière.
Aucune étude d’impact n’a été réalisée, preuve que cette proposition est purement idéologique. Des chiffres existent néanmoins, basés sur la condition de résidence de cinq ans : ils sont sans appel. Dans un avis de janvier 2024, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale pointait « l’inéluctabilité de l’augmentation et de l’aggravation de la pauvreté des étrangers du fait des restrictions des conditions d’éligibilité aux prestations sociales ».
Ensuite, parce que la régression des droits des uns prépare toujours celle des autres, chaque mesure prépare une restriction à venir.
Mme la présidente. Il faut conclure, chère collègue.
Mme Raymonde Poncet Monge. Vous arguez que le dispositif permettrait la réduction des dépenses sociales. C’est un argument que vous opposez pour complaire aux nationaux. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER. –M. Pascal Savoldelli applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Solanges Nadille.
Mme Solanges Nadille. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, restreindre l’accès aux aides sociales des étrangers en situation régulière dans l’espoir de les dissuader de venir dans notre pays : voilà quel est l’objet de cette proposition de loi et de cet article, tiré de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration.
Introduit en séance par voie d’amendement, ce dispositif a été censuré une première fois par le Conseil constitutionnel, qui a considéré qu’il n’avait pas de lien avec le texte initial.
Il a été une seconde fois censuré dans le cadre du projet de référendum d’initiative partagée, déposé par le groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, les sages considérant cette fois que la durée de présence minimale envisagée était « disproportionnée ».
Plusieurs propositions de loi se sont succédé depuis, dont le texte que nous examinons aujourd’hui. Sans suspense, mon groupe est en désaccord sur le fond comme sur la forme.
Ce texte tend à instaurer une durée minimale de résidence pour les étrangers extracommunautaires en situation régulière de deux années avant l’accès aux prestations sociales, à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et à l’aide personnalisée au logement (APL).
Le texte prévoyait initialement de restreindre le droit au logement opposable : cette mesure a été justement supprimée en commission, le droit à un logement décent étant reconnu comme objectif à valeur constitutionnelle.
Le conditionnement des prestations à une durée de séjour existe déjà. Vous avez cité le revenu de solidarité active, dont le bénéfice exige une présence sur notre sol de cinq ans. C’est également le cas de l’allocation de solidarité aux personnes âgées.
Dans les faits, il existe bel et bien une obligation de durée de résidence de neuf mois pour bénéficier des prestations familiales.
Instaurer une carence de deux ans pour les étrangers extracommunautaires en situation régulière ne travaillant pas est-il réaliste dans ce contexte ? Au regard de la Constitution et des conventions bilatérales de sécurité sociale que la France a signées avec de nombreux pays, il est permis d’en douter.
Au motif de décourager la venue des personnes étrangères au nom de la théorie de l’appel d’air, que réfutent tous les travaux sur le sujet, les mesures de ce texte tendent à remettre en cause le principe d’universalité. N’ayons pas peur de le dire : ce texte cultive l’idée d’une France méfiante, refermée sur elle-même, incapable de tendre la main. (Mme Valérie Boyer s’exclame.)
En adoptant ce texte, nous écornerions l’esprit du Conseil national de la Résistance (CNR) grâce auquel la sécurité sociale a vu le jour. Cela se ferait au détriment des milliers de personnes qui résident dans notre pays, qui sont en situation régulière et qui cotisent pour notre système social commun.
En réalité, la suppression de ces aides sociales pour certains ménages aura une conséquence directe : l’aggravation de la pauvreté et la détérioration des conditions de vie de ménages déjà précaires.
Au-delà d’une constitutionnalité incertaine, ce texte risque surtout d’être inapplicable, car contraire aux conventions bilatérales que notre pays a signées. Celles-ci contiennent des clauses dites de réciprocité. Cela signifie concrètement que la France s’engage à traiter les ressortissants des pays parties aux traités de la même manière que ses ressortissants concernant l’accès à la sécurité sociale.
Ces accords sont au nombre de trente-neuf, selon le ministère de la santé. Par ailleurs, l’Union européenne elle-même ratifie des accords d’association aux mêmes conséquences. Ces accords couvrent notamment les ressortissants de l’essentiel des pays du Maghreb, de la Turquie et de nombreux pays d’Afrique subsaharienne. La majorité des étrangers en situation régulière originaires de ces pays ne seraient donc pas concernés par ces dispositions.
Quant à la « cohérence politique » avancée pour justifier le vote de cette proposition de loi, elle ne nous apparaît pas aussi clairement qu’à vous, mes chers collègues.
J’ajoute que nous ne disposons d’aucun chiffre sur les répercussions de ce texte puisque, comme vous le savez, il n’y a pas de relevé de la nationalité des allocataires.
Chers collègues, nous partageons tous largement ici la volonté de lutter contre l’immigration irrégulière. Lors du récent comité interministériel de contrôle de l’immigration, le Gouvernement a érigé la lutte contre l’immigration irrégulière au rang des priorités de notre action diplomatique.
Nous soutenons cette voie et nous nous réjouissons que la délivrance des visas puisse enfin tenir compte de la qualité de la coopération migratoire des pays d’origine, s’agissant en particulier de la réadmission de ceux de leurs ressortissants que nous expulsons.
Toutefois, le présent texte, discriminatoire et inapplicable, paraît être un pur produit de communication. Ce n’est pas à la hauteur du Parlement, raison pour laquelle le groupe RDPI, sans surprise, votera contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, SER, CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales
Avant l’article 1er
Mme la présidente. L’amendement n° 9, présenté par Mmes Rossignol, Narassiguin, Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Le Houerou, Lubin et Poumirol, MM. Bourgi et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la contribution des étrangers extracommunautaires dans l’économie nationale, et sur l’importance des prestations sociales pour l’intégration des étrangers à la vie économique et sociale du pays.
La parole est à Mme Karine Daniel.
Mme Karine Daniel. Notre collègue Henno appelait tout à l’heure à nous doter d’instruments de pilotage : c’est ce que nous vous proposons de faire au travers de cet amendement.
Il s’agit de renseigner concrètement ce qu’apportent réellement à notre économie les étrangers concernés par ce texte. On parle beaucoup de dépenses, mais il faut aussi avoir l’honnêteté de parler des recettes.
Or, toutes les études des pays les plus développés, notamment de l’OCDE, montrent que la contribution des étrangers aux richesses nationales est largement positive. En France, le delta entre les dépenses et les recettes induites par l’activité des étrangers pour notre économie s’élève à plus de 1 point de PIB.
Par cet amendement, il s’agit de faire preuve d’honnêteté intellectuelle, car empiler et répéter les poncifs xénophobes ne suffit pas à en faire des vérités.
M. Stéphane Ravier. Répéter vos poncifs non plus !
Mme Karine Daniel. Nous proposons d’appuyer l’action de l’État dans ce domaine en nous basant sur des statistiques renseignées et fondées. C’est dans cet esprit que nous demandons au Gouvernement la remise d’un rapport chiffré sur la contribution concrète des étrangers à l’économie de notre pays.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Conformément à sa position constante, la commission est défavorable à cette demande de rapport.
Mme Émilienne Poumirol. Ce n’est pas un argument !
Mme Florence Lassarade, rapporteure. De surcroît, il ne s’agit aucunement, au travers de cette proposition de loi, de remettre en doute la contribution des ressortissants étrangers à l’économie nationale, preuve en est de l’exception qu’elle ménage pour les ressortissants ayant une activité professionnelle.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Comme vous l’avez rappelé, madame la sénatrice, nous disposons déjà de nombreux rapports démontrant que l’impact de l’immigration sur l’économie française et le niveau de vie moyen en France est positif. Il n’est donc pas nécessaire d’en produire un nouveau : avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 9.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 1er
I. – Le code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :
1° et 2° (Supprimés)
3° (nouveau) À la fin du 2° du I de l’article L. 822-2, les mots : « par les deux premiers alinéas de l’article L. 512-2 du code de la sécurité sociale » sont remplacés par les mots : « par les articles L. 512-2 et L. 512-2-1 du code de la sécurité sociale ».
II. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L. 512-2 est ainsi modifié :
a) Après le mot : « suisse, », la fin du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « qui sont titulaires, depuis au moins deux ans, d’un titre ou d’un document qui atteste de la régularité de leur situation au regard du droit au séjour. » ;
b) Après le même deuxième alinéa, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :
« Cette condition de séjour de deux ans n’est toutefois pas opposable :
« 1° Pour obtenir le bénéfice des prestations mentionnées aux 5°, 8° et 9° de l’article L. 511-1 ;
« 2° Aux étrangers disposant d’un titre de séjour pour motif d’études prévu au chapitre II du titre II du livre IV du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile pour obtenir le bénéfice des aides personnelles au logement mentionnées à l’article L. 821-1 du code de la construction et de l’habitation ;
« 3° Aux réfugiés, aux bénéficiaires de la protection subsidiaire ou temporaire et aux apatrides. » ;
2° (nouveau) Après l’article L. 512-2, il est inséré un article L. 512-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 512-2-1. – La condition de séjour de deux ans mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 512-2 n’est pas opposable aux titulaires d’un titre de séjour autorisant à travailler. »
III. – L’article L. 232-1 du code de l’action sociale et des familles est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour bénéficier de l’allocation mentionnée au premier alinéa, l’étranger non ressortissant de l’Union européenne doit être titulaire, depuis au moins deux ans, d’un titre ou d’un document qui atteste de la régularité de sa situation au regard du droit au séjour. Cette condition n’est pas applicable aux réfugiés, aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, aux apatrides et aux étrangers titulaires de la carte de résident. »
IV. – Le présent article s’applique aux demandes de prestations ou d’allocations déposées à compter d’une date fixée par décret, et au plus tard le 1er juillet 2026.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot, sur l’article.
M. Jean-Claude Tissot. Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous avez habitués à divaguer régulièrement sur les étrangers en situation irrégulière. Cette fois, vous vous attaquez aux étrangers en situation régulière.
Je ne m’attarderai pas sur les arguments juridiques, d’autres le feront mieux que moi. C’est l’aspect moral de ce texte qui me choque. La France est historiquement le pays des droits de l’homme, un phare social et universaliste. Or, depuis plusieurs mois, vous œuvrez à rendre le pays hostile à l’autre.
M. Stéphane Ravier. Et ça, ce ne sont pas des poncifs ?
M. Jean-Claude Tissot. On se demande à chaque fois quelle sera la prochaine étape, quel sera le prochain recul social : force est de constater que votre ingéniosité ne nous déçoit jamais !
Dans ce que vous appelez une logique de prévention de l’immigration irrégulière, vous repoussez encore un peu plus les limites de l’acceptable. Je veux bien admettre toute l’utilité de la prévention dans de multiples politiques publiques, mais pas sur ce sujet. Cela ne peut se faire en privant de droits sociaux une partie de la population.
Dans l’exposé des motifs, madame la sénatrice Boyer, vous vous réjouissez que votre proposition de loi n’ait pas été censurée par le Conseil constitutionnel, à la différence des précédentes initiatives sur le sujet. Cela montre bien sur quelle ligne de crête se situe ce texte : aux frontières de la xénophobie. (M. Stéphane Ravier s’exclame.)
Au-delà de sa dimension anti-étrangers, votre texte aura pour effet de paupériser la société. Les aides sociales sont par définition destinées aux personnes défavorisées, dans le besoin. Qu’en est-il de la solidarité nationale ?
Avec cette proposition de loi, vous abandonnez les principes d’égalité et de fraternité, vous accentuez encore un peu plus votre inhumanité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L’amendement n° 3 est présenté par Mmes Silvani, Apourceau-Poly, Brulin et les membres du groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.
L’amendement n° 4 est présenté par Mmes Rossignol, Narassiguin, Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Le Houerou, Lubin et Poumirol, MM. Bourgi et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 11 est présenté par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Silvana Silvani, pour présenter l’amendement n° 3.
Mme Silvana Silvani. Je veux rappeler quelques chiffres, loin de ceux qui sont évoqués lors des meetings du Rassemblement national ou d’Éric Zemmour.
L’immigration n’est pas attirée par notre modèle social et sa prétendue générosité financée par les Français.
Je rappelle tout d’abord que les personnes étrangères participent au financement de la sécurité sociale au travers des cotisations salariales et de la TVA, dont une part du produit y est affectée.
Ensuite, j’invite ceux qui sont à la recherche de chiffres et de données tangibles à se référer aux statistiques établies par le Secours catholique dans ses centres d’accueil : les personnes étrangères représentent 7,8 % de la population générale, mais 52 % des ménages rencontrés dans ces centres. La moitié de ces personnes sont sans ressource. Selon les bénévoles de cette association, la part des ménages étrangers ne percevant aucune ressource est passée de 42 % en 2013 à 52 % en 2023, soit une hausse de dix points en dix ans.
Les ménages étrangers en situation régulière sont deux fois plus nombreux – soit 40 % – à ne pas recourir aux prestations sociales et familiales : inutile, donc, de leur en retirer le bénéfice puisqu’ils ne les demandent pas ! En outre, 71 % des étrangers perçoivent des prestations, contre 94 % des ménages français.
Enfin, 84,6 % des personnes de nationalité étrangère vivent dans un logement précaire.
L’article 1er privera des familles entières du bénéfice des allocations familiales, du complément familial, des allocations de soutien familial, des prestations d’accueil du jeune enfant, des allocations d’éducation de l’enfant handicapé, de l’allocation de rentrée scolaire, de l’allocation journalière de présence parentale et de l’allocation versée en cas de décès d’un enfant.
Nous refusons cette mesure profondément injuste et antisociale dont nous demandons la suppression. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – M. Jean-Claude Tissot applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour présenter l’amendement n° 4.
Mme Laurence Rossignol. Lors de la discussion générale, j’ai écouté avec beaucoup d’attention les interventions de ceux de nos collègues qui ont annoncé qu’ils voteraient en faveur de cette proposition de loi.
Mes chers collègues, j’ai trouvé que vos propos n’étaient pas bien clairs, à moins que l’on ne se place du point de vue du propagandiste. En revanche, en tant que législateurs, notre rôle est de réfléchir aux meilleures conditions d’élaboration de la loi ; or, ce soir, je n’y trouve pas mon compte.
J’ai entendu dire que la France devait reprendre le contrôle de ses frontières. Nous sommes pourtant tous d’accord, y compris vous, monsieur Ravier, pour reconnaître que ce texte ne concerne en rien l’immigration irrégulière ou les étrangers vivant en situation irrégulière en France. Cette proposition de loi ne s’intéresse qu’à ceux qui vivent en situation régulière, c’est-à-dire ceux à qui la France a permis de s’installer sur son sol.
J’ai entendu dire qu’il fallait que les bénéficiaires de ces aides soient durablement présents sur notre territoire. Mais, pour l’essentiel, les prestations visées par ce texte sont versées par la caisse d’allocations familiales. Quand les gens ont des enfants et qu’ils les scolarisent, le plus souvent, ils ont l’intention de s’installer durablement en France… C’est d’ailleurs peut-être ce qui vous gêne, à savoir que les étrangers en situation régulière aient vocation à rester en France et à s’y intégrer.
Il est vrai qu’un mot est resté totalement absent de vos discours : celui d’intégration. Quand vous parlez des étrangers qui vivent en France, vous ne mentionnez que les charges, les menaces, les coûts, l’appel d’air, mais jamais vous n’évoquez la manière dont on les intègre dans la République.
J’ai aussi entendu un intervenant souligner que nous n’étions pas d’accord, mais qu’il s’agissait d’un débat républicain. Eh bien non, cher collègue ! Vous avez franchi ce soir le Rubicon pour passer de l’autre côté. Vous ne vous situez même pas sur l’autre rive du fleuve de la République, vous êtes ailleurs ! (M. Stéphane Ravier proteste.) Dès lors que vous vous émancipez entièrement du préambule de la Constitution de 1946, vous sortez du cadre du débat républicain ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour présenter l’amendement n° 11.
Mme Raymonde Poncet Monge. Nous demandons nous aussi la suppression de cet article, qui durcit les conditions de stabilité de résidence des étrangers pour bénéficier d’un ensemble de prestations sociales non contributives.
Notons l’hétérogénéité des prestations visées : le texte inclut certaines prestations familiales, comme les allocations familiales ou l’allocation de rentrée scolaire, mais pas toutes. Trois d’entre elles n’apparaissent pas dans la proposition de loi, sans explication logique ou cohérente. Inclusions et exclusions paraissent totalement discrétionnaires.
L’APA est visée par cette proposition de réforme, mais pas la PCH. Pourquoi ? Ce sont pourtant deux prestations visant à répondre à la perte d’autonomie…
Certaines prestations, comme les APL, sont concernées, mais pas pour tous, puisque le texte exclut les étudiants étrangers. Cette rupture d’égalité entre étrangers en situation régulière pose un problème de droit.
De plus, ces prestations diffèrent par leur objet et par les droits et principes fondamentaux qui les fondent, qui sont garantis par le bloc constitutionnel et protégés par des conventions internationales. Or aucun lien entre ces objets et les restrictions des droits sociaux n’est analysé ni justifié dans ce texte, avant même de juger de leur proportionnalité au sens strict au regard de la durée de deux ans.
À quelle nécessité cela répond-il ? La restriction est-elle adaptée ? Aucune réponse n’est avancée dans l’exposé des motifs, sinon la référence à l’appel d’air migratoire, que nous avons largement déconstruite.
Pour toutes ces raisons, auxquelles s’en ajoutent d’autres, d’ordre juridique, nous demandons la suppression de cet article. (MM. Guillaume Gontard et Mickaël Vallet applaudissent.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Ces trois amendements visent à supprimer l’allongement de la durée de résidence pour bénéficier de plein droit de certaines prestations sociales que tend à instaurer ce texte.
La suppression de cet article reviendrait à vider de son sens la proposition de loi, (« C’est le but ! » sur des travées des groupes SER et GEST.) qui a reçu un accueil favorable de la commission des affaires sociales et de la commission des lois.
Par conséquent, j’émettrai un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression.
Je rappelle que ce texte s’inscrit en cohérence avec les positions du Sénat et du Gouvernement puisqu’il reprend, en l’assouplissant, le dispositif de l’article 19 de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, adoptée en décembre 2023. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Pour les mêmes raisons que celles que j’ai exposées dans la discussion générale, le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat. (Exclamations sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 3, 4 et 11.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je suis saisie de cinq amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 5, présenté par Mmes Rossignol, Narassiguin, Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Le Houerou, Lubin et Poumirol, MM. Bourgi et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 1 à 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Corinne Narassiguin.
Mme Corinne Narassiguin. Si nous ne nous faisons plus d’illusions sur notre capacité à vous convaincre, nous voulons exposer les conséquences des mesures néfastes que vous vous apprêtez à adopter.
Cet amendement de repli vise à supprimer du texte la restriction concernant les aides personnelles au logement.
Un ressortissant étranger, bien qu’en situation régulière, ne pourrait bénéficier des APL qu’après deux ans de résidence si ce texte était adopté et entrait en vigueur. Vous me répondrez sans doute que cette condition ne s’appliquerait pas aux détenteurs d’une carte de séjour étudiant ou d’un titre de séjour les autorisant à travailler – c’est le moins que l’on puisse espérer, mais cela ne résout pas tout…
Il résultera de tout cela un système kafkaïen, dans lequel un étranger bénéficiant des APL au titre de son statut d’étudiant en perdra le bénéfice à l’issue de ses études s’il ne possède pas immédiatement un titre de séjour l’autorisant à travailler. Or, vous le savez, les parcours ne sont pas toujours linéaires, notamment en raison des difficultés que rencontrent les étrangers pour obtenir un titre de séjour pour un motif différent de celui qu’ils détiennent. En l’espèce, vous ne faites donc qu’ajouter à la complexité du droit des étrangers.
En outre, ce texte accentuera la rupture de droits pour des personnes qui, par définition, disposent de faibles revenus, les APL étant attribuées, je vous le rappelle, sous condition de ressources.
Retirer ces aides ne fera qu’aggraver la pauvreté, freiner l’accès à un logement décent et fragiliser davantage des populations déjà vulnérables. (M. Mickaël Vallet applaudit.)
Ces conséquences ayant été exposées, je retire mon amendement.
Mme Émilienne Poumirol. Très bien !
Mme la présidente. L’amendement n° 5 est retiré.
L’amendement n° 12, présenté par Mme Lassarade, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au 1° de l’article L. 861-5, les mots : « les deux premiers alinéas de l’article L. 512-2 du code de la sécurité sociale » sont remplacés par les mots : « les articles L. 512-2 et L. 512-2-1 du code de la sécurité sociale ».
II. – Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° Au second alinéa de l’article L. 168-8, les mots : « à l’article L. 512-1 et aux deux premiers alinéas de l’article L. 512-2 » sont remplacés par les mots : « aux articles L. 512-1, L. 512-2 et L. 512-2-1 » ;
III. – Après l’alinéa 15
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Au 1° de l’article 21-12 de l’ordonnance n° 96-1122 du 20 décembre 1996 relative à l’amélioration de la santé publique, à l’assurance maladie, maternité, invalidité, décès et autonomie, au financement de la sécurité sociale à Mayotte et à la caisse de sécurité sociale de Mayotte, les mots : « à l’article L. 512-1 et aux deux premiers alinéas de l’article L. 512-2 » sont remplacés par les mots : « aux articles L. 512-1, L. 512-2 et L. 512-2-1 ».
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Il s’agit d’un amendement de coordination juridique pour l’application du texte à Mayotte.
Mme la présidente. L’amendement n° 6, présenté par Mmes Rossignol, Narassiguin, Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Le Houerou, Lubin et Poumirol, MM. Bourgi et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 4 à 13
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Une précision sur notre méthode : nous tenons à défendre les amendements nos 5, 6 et 7 pour vous exposer les conséquences qu’entraînerait l’adoption de ce texte sur les familles concernées ; néanmoins, nous les retirerons un par un, car nous pensons que votre proposition de loi n’est pas amendable. Elle nous pose problème dans sa globalité et nous ne souhaitons pas choisir les prestations à inclure ou à exclure. Ce faisant, tous ceux qui suivent nos débats, en particulier les associations, sauront exactement de quoi il en retourne.
Vous vous en prenez à toutes les prestations destinées à bénéficier aux enfants. Mes chers collègues, cela fait des années que je vous entends décrire votre attachement au principe de l’universalité des prestations familiales. Ainsi, c’est par refus de porter atteinte à ce principe que vous avez refusé toute baisse du montant de ces allocations pour les ménages aux plus hauts revenus – mesure que nous avons tout de même fait adopter.
Or je découvre aujourd’hui que c’est non pas au principe d’universalité des prestations familiales que vous êtes attachés, mais à celui de la préférence nationale appliquée aux allocations familiales. Ce soir, vous avez définitivement perdu votre légitimité sur ce sujet !
Vous avez décidé d’aggraver les difficultés de familles déjà précaires. Je l’ai dit : les victimes, ce seront les femmes. Mes chers collègues, soyez cohérents. Qu’a constaté la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes lors de l’élaboration de son rapport sur les femmes sans abri ? Que l’absence de titre de séjour est un obstacle majeur à l’accès au logement, qui explique en grande partie pourquoi l’on trouve autant de femmes et d’enfants d’origine étrangère dans la rue !
Vous avez l’intention de sanctionner encore davantage les femmes en les maintenant soit chez elles, sous l’emprise d’un mari parfois violent, soit dans la rue. Voilà ce qu’est votre texte !
Mes chers collègues, aujourd’hui, vous avez perdu tout mon respect en matière de politique familiale. (Mme Émilienne Poumirol applaudit.)
Sur ce, je retire mon amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 6 est retiré.
L’amendement n° 10, présenté par MM. Szczurek, Durox et Hochart, est ainsi libellé :
Alinéas 6, 8, 13 et 15
Remplacer le mot :
deux
par le mot :
cinq
Cet amendement n’est pas soutenu.
L’amendement n° 7, présenté par Mmes Rossignol, Narassiguin, Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Le Houerou, Lubin et Poumirol, MM. Bourgi et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 14 à 16
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Annie Le Houerou.
Mme Annie Le Houerou. Après l’accès au logement et les prestations familiales, c’est de l’allocation personnalisée d’autonomie que vous souhaitez priver les étrangers qui ne résident pas régulièrement en France depuis au moins deux ans.
L’APA est une aide fondamentale, qui répond à des situations d’urgence sociale. Elle bénéficie notamment à des femmes sans abri ni soutien familial, victimes de violences conjugales. L’APA est aussi destinée aux personnes âgées en perte d’autonomie ; cette allocation leur permet de vivre dans de bonnes conditions tout en préservant leur dignité.
Restreindre l’accès à cette aide en fonction de la durée de résidence serait une injustice. Concrètement, vous priveriez les personnes concernées de tout accompagnement par les services médico-sociaux. Cette mesure risque d’entraîner une dégradation de leur état de santé et une interruption de leur maintien à domicile, augmentant ainsi les risques d’hospitalisation, sans oublier les dépenses y afférentes.
Nous nous opposons donc avec force à cette disposition.
L’APA relève d’une logique de solidarité nationale et doit continuer de s’inscrire dans cette ligne. Elle ne saurait être conditionnée par le temps de résidence sur le territoire ; seule la nécessité de soutenir les personnes vulnérables, quel que soit leur statut migratoire, doit être considérée.
Limiter l’accès à cette aide fragiliserait davantage les populations âgées déjà en difficulté et irait à l’encontre des principes d’inclusion et de solidarité sur lesquels repose notre modèle social.
Je regrette aussi l’absence d’évaluation des situations concernées, probablement exceptionnelles, mais tout de même importantes en ce qu’il s’agit de personnes disposant d’une autorisation régulière de séjour en France. Au nom de la fraternité, nous avons le devoir de leur fournir des moyens de subsistance.
Cette mesure n’aurait sans doute aucune effectivité : à l’instar de l’ensemble de ce texte, c’est du dogmatisme. Vous êtes simplement contre l’intégration de toute personne étrangère. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Je retire cet amendement, madame la présidente.
Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat.
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Les amendements nos 5, 6 et 7 ont été retirés à juste titre, car ce texte n’est pas amendable.
Toutefois, j’aimerais que vous nous expliquiez rationnellement pourquoi trois des huit prestations familiales ne sont pas passées sous les fourches caudines de l’allongement de la durée de résidence. Triez-vous les vulnérabilités ? Au titre de quels critères ? Tout cela ne dépend-il que de votre bon vouloir ?
Il en va de même pour l’APA et la PCH : madame la ministre, ces deux prestations de la branche autonomie répondent au même risque, même si un âge minimum est requis pour bénéficier de l’une d’entre elles. Mais qui peut défendre l’idée qu’une personne âgée dépendante devrait attendre deux ans avant de pouvoir être accompagnée ?
Pourquoi une personne âgée ne serait pas aussi légitime dans sa demande d’accompagnement qu’une personne en situation de handicap, alors qu’il s’agit simplement de préserver leur autonomie ?
Expliquez-nous pourquoi trois allocations familiales sont exclues de ce texte. Il faut sans doute s’en réjouir, mais je préférerais que vous supprimiez cette nouvelle condition pour les huit prestations.
Quant à la question de l’autonomie, madame la ministre, je crois que vous prêtez une attention particulière à la situation du handicap. Mais cette mesure est une aberration pour la branche autonomie, que je connais bien. Ne serait-ce que pour cette raison, j’espère que cette inégalité devant des prestations de même nature, selon votre bon vouloir, sera censurée.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2 (nouveau)
Au b du 2° de l’article L. 262-4 du code de l’action sociale et des familles, après le mot : « doivent », la fin de la phrase est ainsi rédigée : « être titulaires d’un titre exigé, soit en application de dispositions législatives ou réglementaires, soit de traités ou accords internationaux, pour résider régulièrement en France ; ».
Mme la présidente. L’amendement n° 13, présenté par Mme Lassarade, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Remplacer le mot :
doivent
par le mot :
qui
et les mots :
être titulaires
par les mots :
sont titulaires
La parole est à Mme la rapporteure.
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Après l’article 2
Mme la présidente. L’amendement n° 8, présenté par Mmes Rossignol, Narassiguin, Canalès, Conconne et Féret, MM. Fichet et Jomier, Mmes Le Houerou, Lubin et Poumirol, MM. Bourgi et Chaillou, Mme de La Gontrie, M. Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Linkenheld, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 2
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant les conséquences des mesures de la présente loi sur la pauvreté des enfants et des familles monoparentales.
La parole est à Mme Laurence Rossignol.
Mme Laurence Rossignol. Beaucoup de mes collègues se sont plaints de manquer de chiffres et d’avancer dans le brouillard. Mais quand nous demandons des rapports, vous nous répondez que vous n’en voulez pas.
Ce texte n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact en raison de la méthode utilisée, qui tend à se développer, consistant à légiférer par propositions de loi, y compris sur des sujets aussi majeurs que celui-ci.
Par cet amendement, nous demandons au Gouvernement de produire un rapport évaluant les effets des dispositions que vous vous apprêtez à adopter sur la pauvreté des enfants.
Ce rapport est nécessaire : la lutte contre la pauvreté des enfants a été érigée en grande cause du premier quinquennat du Président de la République. Personne ne peut être indifférent à la hausse constante de la pauvreté des enfants. Acceptez-vous cette demande ? Si vous vous y opposiez, nous en déduirions que vous ne voulez surtout pas le savoir !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Conformément à sa position constante, la commission est défavorable à cette demande de rapport. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Vous ne répondez jamais sur le fond !
Mme Florence Lassarade, rapporteure. Les familles monoparentales, qui sont mentionnées dans la demande de rapport, ne sont pas concernées par une bonne partie des prestations visées par cette proposition de loi, conformément à l’article additionnel adopté en commission.
Mme Laurence Rossignol. Et les enfants placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE) ?
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Mickaël Vallet. C’est la ministre des sports qu’il fallait faire venir ce soir !
Vote sur l’ensemble
Mme la présidente. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.
Mme Élisabeth Doineau. Je voterai contre cette proposition de loi.
Tout d’abord, je ne me sens pas liée par un vote précédent, d’autant que je m’étais déjà prononcée contre une telle mesure lors de l’examen de la loi Immigration et Intégration.
En outre, on comprend mal qui est ciblé par le dispositif. Qui sont les femmes, les hommes ou les enfants qui pourraient être mis en difficulté ?
En tant qu’élue, je ne peux pas voter pour un texte en ignorant quelles conséquences il entraînerait pour les familles. Ce serait jouer à Guillaume Tell, les yeux bandés ! On nous demande de voter une proposition de loi sans bien saisir qui en subira les effets, au risque de plonger certains dans la misère…
Enfin, de nombreuses personnes sont exclues du dispositif, ce qui m’étonne. Ne sont ainsi pas concernés les ressortissants de l’Union européenne, les réfugiés, les bénéficiaires de la protection subsidiaire, les apatrides, les étrangers détenteurs de la carte de résident, les étrangers en activité professionnelle, les détenteurs d’un titre pour motif d’études, les titulaires d’un permis unique, les bénéficiaires des conventions signées entre l’Union européenne et l’Algérie, le Maroc, la Tunisie, le Liban, l’Égypte, la Jordanie, Israël ou la Turquie, ainsi que des conventions avec des pays d’Afrique subsaharienne ou d’Amérique du Sud – au total, de soixante-sept accords ou conventions bilatérales…
Mme la présidente. Ma chère collègue, il faut conclure.
Mme Élisabeth Doineau. Finalement, pas grand monde ne semble concerné. Qui donc est ciblé ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani pour explication de vote.
Mme Silvana Silvani. Cette proposition de loi repose sur l’idée que la générosité d’un système social exposerait le pays à un afflux d’étrangers. Selon cette logique, encadrer strictement l’accès aux prestations sociales contribuerait à limiter leur venue sur le territoire et à les dissuader d’entreprendre le voyage. Mais est-il sérieux de croire que les projets migratoires s’expliquent par la perspective d’accéder à l’allocation de rentrée ou à l’APA ? Faut-il rappeler qu’aucune étude sociodémographique ne permet de tirer de telles conclusions ?
D’un point de vue économique, la population immigrée a un effet positif sur les finances publiques. Pourtant, vous persistez à vouloir créer deux niveaux de droits entre les Français et les étrangers. Cette préférence nationale oppose nos concitoyens sur des bases xénophobes et rompt avec les principes de notre sécurité sociale.
En 1945, à la Libération, notre pays a construit une sécurité sociale qui reposait sur l’idée que toute exclusion fondée exclusivement sur la nationalité devait disparaître.
Pierre Laroque disait qu’il fallait considérer « l’homme, l’individu, la famille en eux-mêmes […] en faisant de plus en plus abstraction de leur pays d’origine, pour leur assurer le bénéfice de toutes les garanties sociales prévues par la législation du pays où ils travaillent ou vivent ».
L’universalité des prestations sociales est un fondement de notre ciment républicain. Accentuer les différences, comme vous le proposez, entraînerait la mise en cause de l’ensemble de notre pacte social.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Rossignol, pour explication de vote.
Mme Laurence Rossignol. Vous l’avez compris, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain votera contre cette proposition de loi.
Ce texte est toxique et malsain. Il ne se préoccupe ni de ses effets ni de son champ d’application. Son seul objectif est de faire passer aux Français un message : les étrangers en situation régulière, à qui la France, maîtresse de sa politique d’accueil, a pourtant donné un titre de séjour, ne sont pas les bienvenus et ne doivent en aucun cas espérer s’intégrer à la société française.
Au fond, le message que vous lancez n’est pas destiné à la seule immigration irrégulière. Je vous en fais crédit : vous ne croyez pas vous-mêmes à cette histoire d’appel d’air. Vous n’imaginez pas sérieusement qu’à des dizaines de milliers de kilomètres d’ici, des gens consultent le site de la CAF pour savoir à quelles prestations ils auraient droit… Vous ne pouvez pas le penser !
Au fond, vous voulez seulement faire passer un message. Ce soir, nous avons l’impression d’être pris pour des figurants d’un débat qui est non pas le nôtre, mais celui du congrès des Républicains. Dans ce débat, vous avez besoin de surenchère et, à cette fin, vous avez décidé de cibler les immigrés.
Ne vous étonnez pas que le mot « xénophobie » ait été employé à plusieurs reprises ce soir. En France, cela fait déjà quarante ans que certains font leur business politique et prospèrent sur la détestation et la stigmatisation des étrangers qui vivent en situation régulière.
Parce que vous échouez dans votre lutte contre l’immigration irrégulière, parce que vous êtes incapables de faire autre chose que de multiplier les OQTF sans réussir à les exécuter, malgré toutes vos rodomontades , vous vous en prenez aux étrangers en situation régulière.
Franchement, ce n’est pas glorieux. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Dans cette croisade contre les étrangers, le plus grave est que vous attaquiez les droits fondamentaux de notre bloc constitutionnel, au-delà des accords internationaux et binationaux qui les protègent.
Nous avons un bloc de constitutionnalité, construit sur des droits fondamentaux, comme le droit à une vie familiale normale ou le droit au logement, qui est également un objectif à valeur constitutionnel. S vous privez des personnes du bénéfice des APL, leur taux d’effort pour accéder à un logement public comme privé sera trop important et ils basculeront dans l’hébergement. Ah, quel programme !
Qu’en est-il du droit à la dignité ? Décidément, ce sont tous les droits fondamentaux qui sont remis en cause. Ce faisant, vous touchez à l’identité de notre bloc constitutionnel. Pour cibler les étrangers – car c’est là votre but évident –, vous n’hésitez pas à bafouer le respect des droits fondamentaux.
Sans surprise, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre cette très mauvaise proposition de loi qui, de plus, est anticonstitutionnelle. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.
Mme Frédérique Puissat. Je remercie Mme Boyer, auteure de cette proposition de loi, ainsi que notre rapporteure, qui a produit sur ce texte un travail technique et un travail de fond.
Je remercie également le président de la commission des affaires sociales, qui a parfois ramené le débat à une plus juste mesure.
Enfin, je vous remercie, madame la ministre, pour votre présence. (Marques d’ironie sur les travées du groupe SER.)
Mme Laurence Rossignol. Elle n’a pas été très présente…
Mme Frédérique Puissat. Chacun a pu s’exprimer sur ce texte. Les amendements ont été débattus. Nos positions divergent, dont acte. Nous respectons les vôtres,…
Mme Laurence Rossignol. Pas nous !
Mme Corinne Narassiguin. Vous ne respectez rien !
Mme Frédérique Puissat. … merci donc de respecter aussi les nôtres. Je n’ai pas toujours eu ce sentiment, notamment lorsque vous avez tenu certains propos.
M. Thomas Dossus. Il faut appeler un chat un chat !
Mme Frédérique Puissat. Oui, ce texte s’inscrit dans une continuité. Oui, nous avons de la constance dans nos positions.
Mme Laurence Rossignol. C’est de l’entêtement !
Mme Frédérique Puissat. Oui, ce texte répond à des convictions. Oui, la protection sociale est l’expression de la solidarité nationale. Oui, la mise en place d’une durée de résidence préalable au bénéfice de prestations sociales est souhaitable.
C’est donc fort de ces convictions que nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Thomas Dossus. C’est la préférence nationale !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. Je souhaitais initialement voter comme la majorité de mon groupe, Les Indépendants – République et Territoires.
Je respecte sincèrement les avis de tous mes collègues, qu’ils viennent de ma gauche ou de ma droite, et c’est en les écoutant que j’ai pu mûrir ma réflexion.
Je salue le travail important de la commission des affaires sociales et celui de l’auteure de la proposition de loi. Toutes les positions sont respectables.
Nous traitons là de sujets extrêmement sensibles, qui touchent à l’humain. Les bons sont partout, les moins bons aussi, sans doute, mais restons positifs !
Comme l’indique le nom de notre groupe, nous avons notre liberté de pensée.
Mme Valérie Boyer. Nous aussi !
M. Marc Laménie. Bien que n’étant pas un grand partisan de l’abstention, à titre personnel, je m’abstiendrai. (M. Thomas Dossus applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pascal Savoldelli, pour explication de vote.
M. Pascal Savoldelli. Il ne faut faire aucune concession au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations.
Mme Valérie Boyer. Nous sommes bien d’accord.
M. Pascal Savoldelli. Et pourtant, voilà plusieurs semaines que nous discutons de textes qui remettent en cause notre universalité et notre humanisme.
J’ai écouté le débat depuis le début. Je m’adresse avec beaucoup de respect à mes collègues de droite : le texte qui a été présenté, les débats que nous avons eus et les arguments qui ont été convoqués confortent le constat que l’extrême droite est une version radicalisée de la droite dite classique.
Cela doit nous alerter les uns et les autres. Avec cette proposition de loi, vous passez par-dessus la douzième condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme et par-dessus les entorses à la Convention internationale des droits de l’enfant.
Vous savez très bien que l’appel d’air que susciteraient les aides sociales est un mythe, mais vous l’évoquez tout de même dans l’exposé des motifs.
Vous écrivez même noir sur blanc que vous souhaitez contourner l’avis du Conseil constitutionnel sur la loi Immigration. (Mme Valérie Boyer s’exclame.)
Peu vous importent la raison, les faits ou le droit. Vous calquez l’agenda de la vie politique française sur celui de l’extrême droite. Pour notre part, nous considérons que c’est un danger pour la démocratie.
En faisant le lien entre immigration et difficulté de « préserver les conditions de bon fonctionnement des mécanismes des prestations sociales », vous savez très bien ce que vous faites : vous montrez du doigt, vous jugez des étrangers, vous allez juger des Français, trier les bons et les mauvais, ceux qui travaillent, ceux qui ne travaillent pas, les Européens, les extra-Européens, vous allez trier les familles et trier au sein même des familles.
Quant à vous, madame la ministre, franchement, votre appel à la sagesse est un égarement, une inconscience ! Je le dirai avec douceur, en citant Le Misanthrope de Molière : « À force de sagesse, on peut être blâmable ». Eh bien, vous le serez bientôt politiquement !
Madame la ministre, mes chers collègues, vous qui soutenez cette proposition de loi, je vous annonce que nous ferons preuve non pas de sagesse, mais de désobéissance : nous voterons contre ce texte, parce que nous sommes fiers de l’universalité et de l’humanisme de notre modèle social. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Valérie Boyer, pour explication de vote.
Mme Valérie Boyer. Moi aussi, je suis fière de l’humanisme de notre protection sociale et je tiens à le préserver.
Pour rappel, plusieurs de nos voisins européens comme l’Irlande, Chypre, le Danemark ou la Grèce imposent une durée préalable de résidence d’un an à six ans pour le versement de prestations sociales.
M. Mickaël Vallet. La France n’est pas le Danemark ou la Grèce !
Mme Valérie Boyer. Ces pays ne sont ni racistes ni xénophobes. Ils font partie de notre bien commun européen et certains sont même socialistes…
Chypre impose cinq ans de résidence permanente comme préalable au versement des allocations familiales. Au Danemark, dont le modèle social a été loué bien des fois, il faut au moins six ans de résidence pour bénéficier de 100 % du montant des allocations familiales.
Nombre de pays européens comme l’Allemagne, la Belgique ou la Suède lient la carte d’identité et le versement des prestations sociales. Je ne pense pas qu’il s’agisse de sombres dictatures, bien au contraire. (Mme Silvana Silvani s’exclame.)
En France, les partenaires sociaux, qui gèrent la sécurité sociale, doivent absolument nous dire, à la demande de la représentation nationale, comment sont ventilées les prestations sociales par nationalité. Ce minimum de transparence est nécessaire pour nous permettre d’assurer notre mission de contrôle et de vote du budget.
On ne peut demander à la représentation nationale de voter des budgets insincères, sans savoir combien nous versons en application de ces accords internationaux.
Mme Silvana Silvani. Mais nous pouvons légiférer !
Mme Valérie Boyer. Il en va de même des prestations qui sont versées par l’État. Notre protection sociale est un bien commun. On ne peut pas l’affaiblir, pas plus que le contrat social, par manque de transparence.
Je me désole du débat moralisateur et accusatoire au cours duquel vous avez ressassé le disque rayé du monopole du cœur et de la générosité. Nous sommes tous ici engagés pour le bien commun.
On ne peut accuser les Français de manquer de générosité.
Mme Laurence Rossignol. Les Français, non ; vous, oui !
Mme Valérie Boyer. Nous voulons simplement – c’est en tout cas le sens du texte que j’ai déposé – de la transparence, de la cohérence et de l’équité. (Marques d’impatience sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Valérie Boyer. Quand on frôle les 50 % de prélèvements obligatoires, record de l’OCDE, on ne peut pas dire que la France manque de solidarité et générosité.
M. Thomas Dossus. Elle ne vient pas des plus riches !
Mme Valérie Boyer. Nous enregistrons le plus fort taux de redistribution. (Nouvelles marques d’impatience sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Mme la présidente. Il faut conclure !
Mme Valérie Boyer. Pour conclure, je voudrais remercier et citer notre rapporteure, Mme Lassarade, qui disait : « La protection sociale est l’expression de la solidarité nationale : conditionner son accès à une durée de présence en France, c’est au fond considérer que c’est l’appartenance au collectif et la participation à la vie de la Nation qui fondent la légitimité de cette solidarité. » (Vives protestations sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST.)
Je vous remercie, madame la présidente.
Mme la présidente. Il est inutile de me remercier : je vous avais demandé de conclure, mais vous ne m’avez pas entendue. (Marques d’ironie sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)
Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.
J’ai été saisie de deux demandes de scrutin public émanant, l’une, du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, l’autre, du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 235 :
Nombre de votants | 345 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 204 |
Contre | 136 |
Le Sénat a adopté.
Mme Valérie Boyer. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je remercie toutes les personnes ayant contribué à cette proposition de loi, à commencer par son auteure.
Il est extrêmement difficile de travailler sur ce type de sujet, dans un contexte lourd, que nous avons tous ressenti. Lorsqu’on aborde des thématiques qui sont entourées de tabous, on se fait réfuter, voire même insulter.
Pour toutes ces raisons, je remercie Mme la rapporteure pour son engagement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
6
Mises au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à Mme Frédérique Puissat.
Mme Frédérique Puissat. Lors des scrutins publics nos 220, 225 et 226, notre collègue David Margueritte souhaitait voter contre.
Mme la présidente. Acte est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.
7
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, mercredi 19 mars 2025 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures trente et le soir :
(Espace transpartisan)
Proposition de loi visant à garantir le suivi de l’exposition des sapeurs-pompiers à des agents cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction, présentée par Mmes Émilienne Poumirol et Anne-Marie Nédélec (texte de la commission n° 437, 2023-2024) ;
Proposition de loi relative à l’exercice des missions des architectes des bâtiments de France, présentée par M. Pierre-Jean Verzelen et plusieurs de ses collègues (texte de la commission n° 439, 2024-2025) ;
Proposition de résolution en application de l’article 34-1 de la Constitution, visant à mettre fin au sans-abrisme des enfants, présentée par Mme Cécile Cukierman et plusieurs de ses collègues (texte n° 157 rectifié, 2024-2025).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-deux heures cinquante-cinq.)
Pour le Directeur des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
FRANÇOIS WICKER