Néanmoins, je souhaite faire part à la Haute Assemblée d’une résolution du Conseil national des barreaux (CNB), qui représente tout de même 70 000 avocats de France et qui a jugé bon de se réunir en assemblée générale pour discuter de cette proposition de loi.

Dans l’un des attendus de sa résolution, le CNB « déplore la fragilité du dispositif au regard des exigences constitutionnelles ». Pour moi, « déplorer » est un synonyme de « s’affliger de ». Et en effet, il y a de quoi s’affliger devant cette proposition de loi…

Quant à la notion de proportionnalité, sur laquelle vous revenez constamment, elle repose, cela a été dit par les juristes en droit public, sur trois critères ; il ne s’agit pas simplement d’une question de curseur, comme l’a indiqué notre collègue.

Un texte dont les mesures sont proportionnées doit répondre à plusieurs questions, notamment celle de savoir à quelle nécessité il répond et s’il est adapté. Dans votre proposition de loi, vous n’avez pas cherché à appliquer ces deux critères aux différentes prestations, que vous avez prises en vrac. Or vous ne pouvez pas tenir la même position sur chacune des prestations. Vous devez les évaluer en fonction de ces critères avant de les confronter aux droits fondamentaux de notre Constitution.

M. le président. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Nos collègues du groupe socialiste ont déposé une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales. Il s’agit de dénoncer les atteintes aux libertés publiques ainsi qu’aux droits et aux libertés constitutionnels.

Lors des auditions de notre collègue rapporteure, nous avons entendu les remarques des juristes, en particulier des constitutionnalistes, sur le caractère anticonstitutionnel des mesures proposées. Bien évidemment, il ne s’agissait que d’hypothèses, puisque nous n’étions pas devant le Conseil constitutionnel ; et nous n’y sommes pas davantage ici.

Politiquement, c’est toute la difficulté : nous devons nous opposer à une proposition de loi, vraisemblablement contraire à notre loi fondamentale, qui pourrait rejoindre la liste des textes d’affichage adoptés par le Sénat et sa majorité. Le problème est que, depuis l’examen de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, nous savons qu’un tel texte est susceptible de poursuivre son parcours parlementaire à l’Assemblée nationale et d’être adopté par une majorité politique allant de Renaissance au Rassemblement national, en passant par Les Républicains et des centristes.

Avec la présente proposition de loi, la majorité sénatoriale continue de faire la campagne de Bruno Retailleau pour le congrès des Républicains (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), comme nous l’avons déjà souligné.

Mme Valérie Boyer. Mais arrêtez !

Mme Silvana Silvani. En reprenant les vieilles idées de l’extrême droite, notamment celle d’accorder la priorité aux Français, vous espérez marquer des points à la droite extrême pour 2025 et 2027. Ce choix stratégique vous revient ; il ne serait pas si grave si, au passage, vous n’empruntiez pas le chemin du trumpisme en ne respectant ni les conventions internationales ni les principes constitutionnels et, surtout, n’attisiez pas un discours xénophobe à l’encontre de nos concitoyennes et de nos concitoyens issus de l’immigration.

Le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky soutient cette motion et votera pour l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Éric Kerrouche, pour explication de vote.

M. Éric Kerrouche. L’avantage, avec les propositions de notre collègue Boyer, c’est que l’on est rarement dans le parlementarisme et plutôt dans le militantisme.

Mme Valérie Boyer. C’est votre appréciation… Quand on s’allie avec M. Mélenchon, on n’a pas de leçon à donner !

M. Éric Kerrouche. C’est encore le cas : on fait semblant de parler de droit, alors qu’il ne s’agit que de bavardage.

Ce texte reprend toutes les idées reçues habituelles : le mythe de l’appel d’air, les 20,7 milliards d’euros selon l’OCDE que coûterait l’immigration – sans préciser que cette somme englobe l’ensemble des étrangers qui sont en France, y compris les résidents de l’Union européenne et les résidents français nés à l’étranger, ce qui explique son importance. En outre, vous oubliez encore de préciser que l’OCDE souligne dans son rapport une contribution nette, certes légère, des immigrés à la valeur ajoutée en France. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Vos sélections sont pour le moins particulières.

Vous vous opposez à l’immigration en nous rappelant systématiquement les difficultés rencontrées – c’est bien là le thème de ce débat, au fond. Vous oubliez que les Français, au fil du temps, sont devenus beaucoup plus tolérants : l’indice longitudinal de tolérance augmente. Il est aujourd’hui plus difficile de stigmatiser, comme vous essayez de le faire au travers de ce texte.

Vous vous contentez de proposer une politique identitaire. Pour reprendre les propos d’un de mes collègues, nous assistons au travers de tous ces textes à la droitisation de la droite et non à celle des citoyens.

Je vous invite à consulter les données de l’Insee, précises et régulièrement actualisées, sur les thèmes que vous voulez évoquer. J’y insiste : ce texte n’est qu’un prétexte pour nous faire débattre de sujets que vous voulez absolument mettre en avant, mais que les Français ne privilégient pas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – Mmes Raymonde Poncet Monge et Silvana Silvani applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour explication de vote.

Mme Élisabeth Doineau. Je l’ai déjà dit en commission des affaires sociales, je ne voterai pas cette proposition de loi.

Pour ma part, je respecte ce texte, tout comme je respecte la motion que vient de présenter notre collègue. Toutefois, de manière générale, je ne suis pas favorable aux motions, car je pense que le débat est utile. Il nous permet d’explorer la proposition de loi, d’en analyser les effets, qui peuvent être dévastateurs, comme l’ont souligné certains.

Le groupe Union Centriste ne votera aucune des deux motions. Je souhaite vraiment que ce débat ait lieu, il permettra à nos concitoyens d’être témoins de nos différences sur ce sujet. Si cette question intéresse sans doute de nombreux Français, je ne pense pas non plus, comme certains orateurs l’ont laissé entendre, qu’il soit si essentiel aux yeux de tous les Français.

Analyse contre analyse, vérité contre vérité : je trouve intéressant – j’y insiste – de poursuivre le débat.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Mouiller, président de la commission des affaires sociales. Je n’interviens pas sur le fond du débat ; je tiens simplement à revenir sur l’emploi du mot « xénophobe » par plusieurs de nos collègues.

Certes, il existe dans cet hémicycle un cadre juridique particulier, qui nous protège. Toutefois, le recours à ce mot doit être limité. Je vous rappelle qu’une personne tenant un discours xénophobe tombe sous le coup de la loi.

Il faut faire preuve d’un peu de retenue, surtout s’il est possible d’exprimer la même idée en utilisant un autre mot. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur des travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

Je comprends la position de tous les groupes, mais je suis aussi dans mon rôle de président de commission en faisant ce point sur la tenue de nos débats.

M. Thomas Dossus. Il faut appeler un chat un chat !

Mme Silvana Silvani. C’est proportionné !

M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifiée, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 233 :

Nombre de votants 345
Nombre de suffrages exprimés 345
Pour l’adoption 99
Contre 246

Le Sénat n’a pas adopté.

Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

M. le président. Je suis saisi, par Mmes Poncet Monge et Souyris, MM. Benarroche, G. Blanc et Dantec, Mme de Marco, MM. Dossus, Fernique et Gontard, Mme Guhl, MM. Jadot et Mellouli, Mme Ollivier, M. Salmon et Mmes Senée et M. Vogel, d’une motion n° 2.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales (n° 299, 2024-2025).

La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, par cette motion, nous proposons de ne pas délibérer sur la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales.

En effet, le motif principal, si ce n’est unique, de cette initiative législative, est de « limiter l’“appel d’air” migratoire généré par un régime social dont les conditions de bénéfice généreuses peuvent contribuer à attirer les flux d’immigration illégale ». Or ce fameux concept d’« appel d’air » n’a jamais été étayé par aucun fait ; à l’inverse, il a été largement invalidé par de nombreuses recherches académiques.

C’est une construction imaginaire. Il est de notre responsabilité, en tant que législateurs, de ne pas fonder nos propositions de réforme sur des mythes ni d’alimenter ceux-ci en conséquence.

Selon le philosophe Jérôme Lèbre, l’appel d’air « correspond assez bien à ce que Bachelard appelait un obstacle épistémologique », « une intuition vague […] qui est d’autant plus efficace qu’elle simplifie la réalité, alors même que la science n’avance effectivement qu’en se libérant des intuitions immédiates ». Force est de constater une tentation croissante de s’exonérer des travaux scientifiques comme des faits en s’appuyant sur des concepts invalidés. La démarche scientifique et rationnelle est de plus en plus malmenée en France.

Le 7 mars dernier, sous le slogan Stand up for Science, des mobilisations, parties des États-Unis, ont eu lieu de par le monde et ont trouvé un écho dans notre pays, afin de contrer les menaces contre les institutions scientifiques et de recherche. Nous sommes dans ce moment-là, au cœur de notre activité parlementaire, notamment sur les questions sociétales et d’environnement.

Mes chers collègues, revenons à une étude rationnelle de l’exposé des motifs de cette proposition de loi, cheminement qui vous conduira – je l’espère – à une position juste et motivée qui vous incitera à voter cette motion du groupe écologiste.

Il faut partir des recherches sur l’appel d’air migratoire : toutes concluent qu’il n’est pas plus avéré scientifiquement qu’empiriquement.

Dans une tribune postérieure à la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, 700 chercheurs du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) – je dis bien 700 ! – concluent que « la répartition des migrants et des réfugiés à travers l’Europe n’a aucun lien avec la générosité de la protection sociale : l’“appel d’air” est un mythe jamais démontré ». Voilà donc 700 chercheurs qui nous informent et qui dénoncent la « victoire de l’idéologie sur les faits, le triomphe des fantasmes sur des réalités méconnues ou déniées ».

Ils démontrent ainsi que « la France n’est pas “submergée” par une immigration “hors contrôle” » et que les immigrés accomplissent des tâches indispensables – ce constat, en revanche, est vérifié… – au fonctionnement de notre économie et de la vie sociale. D’ailleurs, selon l’Observatoire des inégalités, les immigrés sont surreprésentés dans les métiers où l’environnement de travail est le plus difficile.

Dans une autre étude, l’économiste britannique Corrado Giulietti montre que la générosité de l’État providence n’est pas un facteur clé des départs. Il souligne que, contrairement à l’hypothèse de l’attrait des aides sociales, les preuves empiriques suggèrent que les décisions d’immigration ne sont pas prises sur la base de la générosité relative des prestations sociales du pays d’accueil, ce qui a largement été démontré.

Selon Pascal Brice, ancien directeur général de l’Ofpra, les migrations « sont le fait de l’activité naturelle des femmes et des hommes ou alors le fait de la contrainte, de la misère, des persécutions, des dégâts environnementaux ».

Pour comprendre les motivations des migrations, il faut regarder les raisons des départs. Selon l’Institut convergences migrations, ce sont les facteurs dits push, tels que les troubles politiques, économiques, sociaux ou religieux, qui incitent les migrants à quitter leur pays. Ces facteurs sont autrement plus puissants que les facteurs dits pull, c’est-à-dire l’attractivité, réelle ou fantasmée, des pays de destination. Les migrants ne sont donc pas aspirés par les prestations sociales d’un pays : ils partent pour tenter d’échapper à la souffrance, voire à la mort.

Jérôme Lèbre avance, à juste titre, que supposer un choix après avoir étudié les différents « systèmes sociaux de la part des migrants apparaît particulièrement sordide de la part d’États qui ont construit et construisent leur richesse et leur bien-être social par leur implication directe ou indirecte, immédiate ou historique, dans des guerres qui ont rendu des zones entières du globe inhabitables. Il ne s’agit pas d’affirmer que ces États sont toujours les premiers responsables […] : simplement de rappeler qu’ils ne sont jamais les derniers ».

Quand les migrants choisissent leur pays d’arrivée, ce qui est loin d’être toujours le cas, le déterminant est non pas la qualité des prestations sociales, mais l’accès à un emploi ainsi que la présence d’une diaspora sur le territoire. Ainsi, selon Hélène Thiollet, chercheuse au CNRS : « pour les migrants, le premier critère est d’ordre professionnel : ils cherchent à accéder soit à un emploi, soit à un cursus universitaire » ; « Le second critère, c’est l’existence, dans le pays d’accueil, d’une communauté issue de leur pays d’origine. L’activation de ces réseaux sociaux, qu’ils soient familiaux, villageois ou nationaux, permet de faire baisser les risques et le coût de la migration, mais aussi de faciliter l’intégration. »

Rappelons que la présence de diasporas est souvent un héritage de notre colonisation. À titre d’exemple, après la Première Guerre mondiale, en raison de la pénurie de soldats et de main-d’œuvre, les autorités françaises ont recruté dans les colonies des centaines de milliers de soldats et de travailleurs. Cette histoire travaille encore notre société. Les mécanismes d’appropriation et d’exploitation d’hier ont créé les rapports de pouvoir actuels, qui permettent notamment à certains États, toujours en position de force, de définir et de restreindre les conditions de circulation des individus.

Par ailleurs, contrairement au postulat de cette proposition de loi, la France n’est pas si attractive pour les migrants. (M. Laurent Duplomb sexclame.) Je vous rappelle que les Syriens ne voulaient pas venir dans notre pays : il a fallu aller les chercher pour respecter notre quota.

L’immigration en France s’explique en partie par sa situation géographique, qui en fait un pays de refuge provisoire et de transit, où souvent les migrants sont bloqués en raison de notre politique.

Enfin, réfutons une dernière croyance : les régularisations ne créent pas non plus d’appel d’air. Selon Cris Beauchemin, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (Ined), les travaux de recherche montrent que, depuis le début des années 1980, aucune vague de régularisation, même massive, n’a eu d’effet incitatif sur les départs.

Aucune aide sociale ne peut et ne pourra compenser les coûts et les risques de la migration. Les migrants ne sont pas attirés vers l’Europe ou vers la France par des aides sociales qu’ils ne toucheront probablement pas, sinon après un long délai, à la suite d’un parcours du combattant précédant une éventuelle régularisation. Et maintenant, une fois parvenus à cette dernière étape, vous voulez qu’ils attendent encore deux ans avant de toucher les aides !

Notons enfin, avec le sociologue Laacher, que « les adeptes de l’appel d’air ne [s’expriment] jamais sur un ton indigné [sur] la circulation des élites mondialisées », « attirées […] par les meilleurs placements financiers quel que soit le pays », « qu’aucune frontière n’arrête [et qui] sont chez [elles] partout ». Pas d’appel d’air pour l’optimisation fiscale, laquelle n’est pas un fantasme et qui coûte beaucoup à la France !

En conclusion, vous faites primer l’idéologie sur les faits,…

Mme Valérie Boyer. Pas vous ?

Mme Raymonde Poncet Monge. … les fantasmes sur les réalités, l’intuition fausse sur la science.

Avoir tenté de faire de la situation irrégulière de l’étranger un délit, et non une seule infraction, ne vous suffit plus : vous attaquez les étrangers en situation régulière.

Régularisé ou pas, votre cible reste l’étranger, que vous sous-entendez profiteur, abîmant dès lors sa représentation par la population. Vous voulez discriminer l’étranger régularisé dans l’accès aux droits fondamentaux de par sa simple qualité d’étranger. Croyez-vous que cette proposition de loi modifiera quoi que ce soit à l’immigration ? Vous savez pertinemment que non !

Dès lors, monsieur le président de la commission, comment qualifier cette désignation de l’étranger, dont les droits sont l’objet de restrictions sans fin sous un argument fallacieux, par un autre nom que « xénophobie » ? S’il y a un appel d’air, il est purement idéologique : c’est celui que réalise l’extrême droite, qui inspire cette proposition de loi.

En effet, si le concept mobilisé d’appel d’air n’a pas d’ancrage empirique ni scientifique, il a néanmoins des conséquences. Il est un prétexte au durcissement des politiques migratoires comme des conditions d’accueil et de vie des étrangers, y compris en situation régulière.

Par conséquent, considérant que l’ensemble de la proposition de loi s’appuie sur ce concept invalidé et ne se justifie que par celui-ci, il nous paraît qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération. Parce que la recherche de vérité est une condition de notre démocratie et de notre État de droit, parce qu’on ne construit pas la loi à partir de mythes, le groupe écologiste vous appelle à voter cette question préalable. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE-K.)

M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?

Quel est l’avis de la commission ?

Mme Florence Lassarade, rapporteure. Les auteurs de cette motion contestent sur le fond la mise en place d’une durée de résidence conditionnant l’accès aux prestations sociales pour les étrangers extracommunautaires.

Je rappelle que, lors des travaux en commission, nous avons insisté sur le fait que la proposition de loi se justifiait indépendamment des questions de politique migratoire. Il s’agit avant tout de définir le système de protection sociale que nous souhaitons et la manière dont doit s’exprimer la solidarité nationale.

Conditionner l’accès de plein droit aux prestations sociales à un délai de deux ans, au lieu de neuf mois actuellement, revient à considérer que la solidarité de la collectivité s’exprime d’abord envers les personnes qui participent à la vie de la Nation et envers celles qui y sont un tant soit peu intégrées.

Par ailleurs, je constate que plusieurs pays de l’Union européenne, comme l’Irlande, par exemple, ont suivi cette voie, sans toujours être confrontés à des flux migratoires importants.

Pour toutes ces raisons, il nous paraît nécessaire que le Sénat conduise à leur terme les débats sur ce texte important : avis défavorable sur la motion.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Charlotte Parmentier-Lecocq, ministre déléguée. Même avis, monsieur le président.

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat, pour explication de vote.

M. Ian Brossat. Avant même que la discussion générale n’ait commencé, nous avons d’ores et déjà assisté à deux aveux.

Tout d’abord, lors de la discussion du texte précédent sur l’allongement de la durée de rétention en CRA, la majorité sénatoriale disait ne vouloir s’attaquer qu’aux étrangers dangereux ou en situation irrégulière. Et voici qu’avec la présente proposition de loi, vous vous attaquez maintenant aux étrangers qui sont en situation régulière sur notre sol ! Ceux-ci, pourtant, n’ont jamais rien demandé d’autre que de pouvoir s’intégrer à la société française.

Ensuite, Mme Boyer s’est livrée à un aveu extraordinaire au début de son intervention, en déclarant : « Nous votons certes de nombreux textes, mais leurs mesures sont rendues inopérantes »

M. Ian Brossat. Votre propos est bel et bien extraordinaire, madame Boyer. Vous assumez le fait de déposer des propositions de loi en sachant très bien qu’elles sont inconstitutionnelles et qu’elles ne déboucheront sur rien du tout. Elles visent simplement à alimenter le débat public. (Mme Valérie Boyer sexclame.) C’est ce que j’appelais tout à l’heure les propositions de loi CNews. Nous sommes en plein dedans !

Madame Boyer, que ne faut-il pas entendre : vous nous affirmez vouloir supprimer les prestations sociales pour les étrangers en situation régulière afin de préserver le modèle social de nos concitoyens. Franchement, entendre ces mots de votre part, vous qui avez voté le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans et qui, avec vos amis, proposez de broyer la retraite par répartition pour la remplacer par un système par capitalisation… Faites preuve d’un peu de dignité dans le débat !

Enfin, madame la ministre, quel signe de lâcheté de s’en tenir à un avis de sagesse. Il est pathétique que le Gouvernement ne soit même pas capable de défendre une position républicaine sur un tel sujet ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat, pour explication de vote.

Mme Frédérique Puissat. Je serai un peu plus mesurée que mon collègue, dont je trouve les propos caricaturaux, d’autant qu’il s’adresse à une seule de nos collègues. Certes, c’est bien elle qui a déposé la proposition de loi, mais ce texte est soutenu par l’ensemble du groupe Les Républicains. Monsieur le sénateur, vous pouvez donc vous adresser au groupe plutôt que de prendre à partie madame Boyer.

Vous ne serez pas surpris que nous nous opposions à la motion tendant à opposer une question préalable, défendue par le groupe écologiste. Ayant déjà développé mes arguments, je n’y reviendrai pas.

Selon nous, la mise en place d’une durée de résidence préalable au bénéfice de prestations sociales est souhaitable. Nous assumons ce choix : comme l’a fort justement souligné Florence Lassarade, au nom de la commission des affaires sociales, la protection sociale est l’expression de la solidarité nationale. Ainsi, conditionner son accès à une durée de présence en France revient en partie à considérer que c’est la participation à la vie de la Nation qui fonde la légitimité de cette solidarité. Même si vous ne la partagez pas, monsieur le sénateur, c’est notre position.

Par ailleurs, de nombreux pays, dont les systèmes de protection sociale sont pourtant moins généreux que celui de la France, ont fait un choix analogue.

Le groupe Les Républicains considère qu’il faut poursuivre l’examen de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour explication de vote.

M. Thomas Dossus. Je remercie ma collègue Raymonde Poncet Monge, qui a fait une démonstration implacable de vos fantasmes idéologiques et de votre dérive xénophobe. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Au travers de ce texte, nous examinons la disposition de la loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration qui avait fait dire à Marine Le Pen qu’elle avait gagné idéologiquement. Elle avait acté sa victoire idéologique totale grâce à cette mesure de préférence nationale, que le Conseil constitutionnel a fort heureusement censurée. Merci à lui !

Il fut un temps, mes chers collègues – je m’adresse à l’ensemble du groupe Les Républicains pour respecter l’invitation de la collègue précédente –, où une bonne partie de la droite combattait, avec tous les républicains, les idées de l’extrême droite. Aujourd’hui, cette droite s’est engagée dans une course aux idées nauséabondes : la préférence nationale est votre boussole sur ce texte et la xénophobie est désormais votre doctrine, comme nous avons pu le constater à chacune de vos propositions de loi récentes.

L’intervention de Valérie Boyer était un modèle du genre. Il fut un temps où il existait des digues et vous voilà engloutis dans la fange des idées de l’extrême droite.

Cette proposition de loi, qui se fait sur le dos des plus fragiles, ne changera strictement rien pour les Français allocataires de ces ressources – ceux-là mêmes que vous n’avez de cesse de présenter comme des « assistés ».

Cessons les appels d’air aux idées xénophobes et votons cette motion !

M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je remercie mes collègues Ian Brossat et Thomas Dossus d’avoir exprimé ce que nous ressentons également sur les travées du groupe socialiste. J’apporterai quelques compléments, parce que nous voterons bien évidemment cette motion.

Je suis assez effarée de voir à quel point Mme Boyer – pour le coup, c’est elle qui intervenait – a scandé son intervention en ne cessant de souligner l’absence de documentation et de chiffres sur ces sujets. Vous proposez donc de légiférer dans un brouillard total ! Comme le disait Ian Brossat, cette proposition de loi n’est qu’un pur tract politique.

Par ailleurs, vous affirmez des choses fausses, comme l’ont démontré plusieurs intervenants. Combien de temps nous raconterez-vous encore qu’il existe un appel d’air ? Il faut bosser un peu ! (Mme Valérie Boyer sexclame.) Il faut regarder les chiffres et ce qu’il se passe dans les pays qui régularisent ! Les raisons pour lesquelles les personnes viennent chez nous ont été expliquées. Elles ne regardent pas le régime de prestations sociales de notre pays ; elles regardent si elles pourront y travailler et si elles y ont de la famille. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) J’aime bien vous entendre réagir, cela veut dire que vous êtes touchés… (Mêmes mouvements.)

Vous affirmez des choses absolument insensées. Le rapporteur Olivier Bitz a eu l’honnêteté intellectuelle de reconnaître l’existence de trente-neuf conventions internationales qui font que le texte que vous voterez n’aura pas de portée. Mais peu vous importe, vous le voterez tout de même pour pouvoir distribuer un tract dans votre circonscription ou une newsletter expliquant que les conventions internationales vous empêchent d’agir.

Tout cela n’est à la hauteur ni du travail du Sénat ni de ce que, autrefois, la droite était. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Et la gauche ?