Mme Dominique Vérien. Nous, membres du groupe Union Centriste, nous ne voterons évidemment pas cette motion.

Oui, les centres de rétention administrative sont bien des lieux de privation de liberté. On peut certes, à l’évidence, débattre de qui doit ou non faire l’objet d’une OQTF ; sur ce point, nous pouvons avoir des désaccords avec le Gouvernement. Mais ce dont il est question dans ce débat, monsieur Kanner, ce ne sont pas simplement des faits divers : ce sont bien plutôt des crimes, surtout quand on évoque le meurtre de Philippine ! (Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Nous sommes donc tout à fait en droit de considérer qu’il n’est pas du tout souhaitable de laisser en liberté les personnes visées par ce texte, dont je rappelle qu’elles sont coupables de crimes et de graves délits. Il me semble même que, si leur pays d’origine rechigne à les reprendre, c’est peut-être bien parce qu’il n’a pas très envie non plus de les voir courir en liberté sur son territoire ! C’est l’une des complications qui peuvent survenir.

Aussi, discutons de ce texte. Et je dirais même, à titre personnel : votons-le ! (Applaudissements sur des travées du groupe UC. – Mme Marie-Do Aeschlimann applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Silvana Silvani, pour explication de vote.

Mme Silvana Silvani. Nous voterons cette exception d’irrecevabilité de nos collègues socialistes, car l’inflation de la durée de rétention administrative que vous organisez dans cette proposition de loi, mes chers collègues, est inconstitutionnelle.

Vous abîmez, encore et toujours, l’État de droit, afin de répondre à des idées d’extrême droite par des mesures qui brillent par leur inefficacité et leur inefficience.

Enfermer des gens toujours plus longtemps ne permet pas de renvoyer plus de personnes dans leur pays d’origine. Ce sont les laissez-passer consulaires qui sont la clé ! Or, pour les obtenir, il ne suffit pas de s’agiter pour gagner la présidence d’un parti politique. (Marques de lassitude sur les travées du groupe Les Républicains.) Non, mes chers collègues : il faut faire de la diplomatie.

Or, malgré l’exemple qui nous vient d’outre-Atlantique, on ne fait pas de la diplomatie par la menace et l’agression permanentes. Les laissez-passer doivent être obtenus le plus rapidement possible ; il faut éviter que l’enfermement en centre de rétention ne soit trop long, car ce n’est pas l’objet de ces lieux.

Les personnes sont retenues dans des conditions de plus en plus difficiles. Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté alerte chaque année sur les conditions indignes de cette rétention, sur les hébergements inadaptés, sous-dimensionnés, anxiogènes, dégradés et mal entretenus, sur la privation d’intimité, d’activité et de perspectives qu’ils font subir.

En outre, nos policiers et gendarmes qui travaillent dans ces centres ne sont pas formés et accompagnés pour les nouvelles tâches que vous leur attribuez sans les aider.

Nous ne pouvons donc pas voter un tel texte, qui présente le double défaut d’être inconstitutionnel et d’être inefficace. C’est pourquoi nous voterons en faveur de cette motion.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François-Noël Buffet, ministre. En réponse aux diverses interventions, qui ont notamment porté sur la notion de proportionnalité et sur le risque d’inconstitutionnalité du texte, je voudrais évoquer ce qui fait la différence entre la rétention et la détention.

Que la rétention soit par nature administrative, chacun le sait. Surtout, à tout moment, la personne retenue peut être remise en liberté, dès lors qu’elle décide de retourner volontairement dans son pays. Qu’elle dise : « Je prends la décision de rentrer dans mon pays d’origine », et elle part sans difficulté ; on ouvre la porte immédiatement.

Un autre élément important est que, à tout moment au cours de sa rétention, cette personne peut saisir le juge.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Comme pour la détention !

M. François-Noël Buffet, ministre. En effet, c’est une règle protectrice. La différence majeure entre ces deux régimes, c’est bien la liberté dont dispose l’individu retenu de rentrer dans son pays d’origine dès lors qu’il le décide.

M. André Reichardt. Mais il n’en a pas envie…

M. François-Noël Buffet, ministre. Cela induit la proportionnalité et, partant, la constitutionnalité du dispositif proposé.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Cela n’a rien à voir !

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1 rectifiée, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.

(La motion nest pas adoptée.)

Discussion générale (suite)

Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne surprendrai personne en exprimant l’opposition profonde du groupe écologiste à ce texte.

La proposition de loi que nous étudions vise à appliquer à de nombreuses personnes les délais dérogatoires de placement en rétention administrative – jusqu’à 210 jours – qui étaient jusque-là réservés aux personnes condamnées pour des activités terroristes.

Nous avons toujours alerté sur ce point : les mesures dérogatoires et attentatoires aux libertés se pérennisent souvent. Surtout, elles s’étendent de manière trop importante. Ce phénomène de cliquet est un danger pour l’équilibre de nos démocraties et pour l’État de droit.

Cette proposition de loi a été rédigée en réaction à la mort de Philippine, étudiante retrouvée morte dans le bois de Boulogne en septembre 2024. Contextualiser les lois est une chose, mais la frontière est ténue entre l’opportunité et l’opportunisme.

Cette proposition de loi exploite ce drame sans aborder la question centrale qu’il suscite et sur laquelle d’ailleurs une autre victime du même agresseur nous interpelle, à savoir la problématique des sorties sèches de prison, notamment celles des délinquants sexuels. Je salue sur ce point les travaux que mène actuellement au sein de notre assemblée la mission conjointe de contrôle chargée d’évaluer l’efficacité des mesures visant à lutter contre la récidive des auteurs d’infractions à caractère sexuel.

Notre groupe partage la volonté de prévenir la récidive des individus condamnés pour des actes sexuels ou violents. Mais cette lutte ne doit pas servir de prétexte à une multiplication des mesures répressives visant non pas les auteurs de tels actes, mais des étrangers.

Le suivi en prison et le suivi médico-social en sortie de prison doivent impérativement être au cœur de l’attention des politiques publiques.

La question des moyens octroyés à la justice est centrale si l’on veut empêcher les sorties sèches de prison. Pour rappel, 63 % des détenus libérés de prison en sortie sèche, sans accompagnement, récidivent dans les cinq ans. C’est bien la préparation de la sortie et de la réinsertion qui sont absolument nécessaires pour neutraliser les individus dangereux sur notre territoire.

Cette mesure d’allongement des délais de rétention avait déjà été intégrée à la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, avant d’être supprimée en séance par l’adoption d’un amendement du Gouvernement, ce dernier ayant promis aux sénateurs de faire adopter cette mesure dans un texte spécifique.

Je le répète, ce gavage de propositions de loi pose un problème : texte après texte, et sur celui-ci en particulier, on ne peut que regretter l’absence d’un avis du Conseil d’État.

Toutefois, nous avons bien compris que le recours à l’initiative parlementaire résulte de l’accord conclu entre Bruno Retailleau et François Bayrou pour former le présent gouvernement et permettre à M. Retailleau d’y exister, au travers de propositions de loi que le Gouvernement ne dépose pas, mais qu’il va approuver.

Sur le fond, ce texte consolide une vision perturbée du rôle de la rétention administrative et entretient une confusion entre celle-ci et l’incarcération, ce qui nous gêne au plus haut point. Nous assistons depuis des années à ce détournement de la rétention, aujourd’hui utilisée comme élément de politique sécuritaire.

Le CRA n’est pas un lieu de détention. Ces espaces ne sont pas faits pour servir de prison et le personnel qui y intervient n’est pas formé à cette fin.

Les annonces récentes du ministre de l’intérieur quant à sa volonté de supprimer la présence dans les centres de rétention administrative des associations chargées d’une mission d’aide juridique aux personnes retenues sont aussi très problématiques. Elles témoignent d’un acharnement vis-à-vis des étrangers, souvent précaires et vus comme des dangers, ainsi que d’une volonté de faire reculer leur accès aux droits, qui seul peut leur permettre de sortir du cercle infernal du continuum de l’enfermement dont ils sont victimes.

Vous entendez fonder une telle privation de liberté, pour des durées aussi longues, non sur des condamnations, mais sur des comportements, non pénalement constatés, qui représenteraient « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Nous ne pouvons que condamner cette dérive sécuritaire et autoritariste.

Qu’il n’y ait pas de confusion : notre groupe exprime ses réserves sur la rétention, non sur l’éloignement. C’est l’utilisation de la rétention administrative comme une sorte de peine complémentaire et disproportionnée qui est au cœur de ce texte. C’est bien pourquoi nous nous y opposons.

J’évoquais à l’instant le manque d’avis du Conseil d’État, particulièrement quant à l’effectivité attendue du dispositif.

De l’aveu même de la rapporteure, une telle prolongation de la rétention des personnes concernées n’a pas de résultats si importants ; selon elle, cela « paraît favoriser leur éloignement effectif ». Mais les faits sont têtus : l’écrasante majorité des éloignements – 81 % d’entre eux – a lieu dans les 45 premiers jours, sans attendre même le 90e.

Notre groupe n’a de cesse de le répéter, l’éloignement est un sujet diplomatique ; c’est bien ce que démontre l’actualité. Ces éloignements ne peuvent matériellement être exécutés du fait de problèmes liés aux laissez-passer vers les pays d’origine. D’ailleurs, comme le demandent nos collègues socialistes, pourquoi attendre le placement en CRA pour commencer ce travail, certes difficile, d’obtention des laissez-passer ?

Nous estimons que, au-delà d’une volonté d’affichage, les auteurs de cette proposition de loi lui donnent pour objectif d’améliorer les éloignements, mais c’est illusoire : nous savons pertinemment que ce texte ne le permettra pas.

Voilà, mes chers collègues, le cœur du problème, que nos camarades socialistes ont déjà exposé en défendant leur motion : l’atteinte aux libertés fondamentales ici proposée est disproportionnée et inefficace.

Notre groupe votera donc avec force contre ce texte inutile et dangereux. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST, ainsi que sur des travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Christophe Chaillou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Christophe Chaillou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui sur l’initiative de notre collègue Jacqueline Eustache-Brinio vise à permettre le maintien en rétention jusqu’à 210 jours d’un étranger si celui-ci fait l’objet d’une décision d’éloignement édictée à la suite d’une condamnation pour certains crimes ou délits de droit commun.

Ce texte se veut une réaction, selon les mots de son auteure, au meurtre abject d’une jeune fille survenu en septembre dernier, crime qui nous a tous bouleversés et qui a profondément ému l’opinion publique.

Ce drame doit bien évidemment nous conduire à interroger tous les dysfonctionnements qui ont abouti à la mise en liberté du criminel, qui avait déjà été condamné, qui se trouvait illégalement sur le territoire et dont l’OQTF avait été prise deux jours seulement avant sa sortie de prison.

Cette réflexion doit se mener avec discernement, sans céder à l’émotion, aussi légitime soit-elle. Elle ne doit pas mécaniquement conduire à l’adoption d’une loi spécifique.

Mes chers collègues, le cadre juridique du placement en rétention des étrangers a connu de nombreuses évolutions au fil des années, notamment au regard de la menace terroriste.

La loi Besson du 16 juin 2011 a ainsi étendu la durée maximale de rétention jusqu’à 180 jours pour les étrangers condamnés à une peine d’interdiction du territoire pour des actes de terrorisme ou visés par une décision d’expulsion justifiée par de telles activités. Plus récemment, la loi Collomb du 10 septembre 2018 a porté cette durée maximale à 210 jours en matière terroriste.

Dans le même temps, les moyens alloués au ministère de l’intérieur en faveur de la rétention ont été renforcés, avec notamment le plan CRA, qui prévoit la construction de nouveaux centres de rétention administrative à travers la France et la création de 3 000 places supplémentaires d’ici à 2027, en écho à l’explosion des OQTF. Par parenthèse, je ne suis pas sûr que nous arrivions à atteindre cet objectif.

Alors que, aujourd’hui, le maintien en rétention jusqu’à 210 jours n’est possible qu’en matière terroriste, la majorité sénatoriale a déjà tenté d’étendre ce dispositif lors de l’examen de la proposition de loi visant à renforcer la surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes en 2024. Cette mesure avait d’ailleurs été retirée en séance.

Le président Kanner l’a rappelé, tout cela s’inscrit dans une surenchère quasi obsessionnelle sur l’immigration et la sécurité assumée depuis plusieurs mois par les responsables de la majorité sénatoriale, encouragés par certains ministres, notamment ceux qui sont engagés dans la course pour 2027.

D’ailleurs, avant même que nous n’ayons entamé l’examen de ce texte, le ministre de l’intérieur avait déjà proposé voilà quelques jours, dans une émission de radio matinale, de porter la durée maximale de rétention à 18 mois, et cela sans débat, sans analyse de la mise en œuvre des précédentes lois, sans étude d’impact et sans chiffre. À ce stade, cette proposition est restée sans suite, mais cette séquence ne nous semble pas sérieuse.

Tout d’abord, ce texte s’éloigne des principes fondamentaux régissant le dispositif de rétention administrative. Ensuite, il est fragile sur le plan juridique. Enfin, il n’apporte pas de réponse au problème fondamental lié à la mise en œuvre, ou plutôt à la non-mise en œuvre, de l’éloignement des personnes retenues. Il sera donc probablement peu efficace.

Permettez-moi de rappeler quelques principes essentiels du dispositif de la rétention administrative.

La priorité est l’éloignement rapide des personnes concernées, non leur maintien prolongé dans des centres de rétention qui, bien qu’étant des lieux de privation de liberté, ne sont pas des prisons. Le temps disponible avant la libération d’une personne condamnée doit être mis à profit pour préparer son éloignement.

Pour en revenir au drame qui a inspiré cette proposition de loi, l’administration disposait d’un laps de temps suffisant pour faire les démarches nécessaires, en particulier l’obtention des laissez-passer consulaires. Pourtant, la procédure a été engagée bien trop tardivement et des erreurs de transmission des demandes ont encore ralenti le processus.

Plutôt que de tirer les leçons de ces défaillances pour améliorer l’efficacité de l’éloignement, ce texte choisit une autre voie : l’enfermement prolongé, présenté comme une solution en soi. Or cette logique inverse totalement les priorités : au lieu d’améliorer l’efficacité des procédures d’éloignement, on entérine une logique de privation de liberté prolongée, comme si la rétention en elle-même constituait une solution.

À entendre certains d’entre vous, mes chers collègues, on se demande d’ailleurs si la solution ne serait pas finalement la rétention à perpétuité pour contrer les menaces représentées par des individus que leurs pays d’origine, d’ailleurs, ne veulent plus voir sur leur sol. Si l’on suit votre logique, il faudrait les garder en CRA ad vitam aeternam

La rétention administrative n’est pas et ne doit jamais devenir une peine. Elle est une mesure temporaire, strictement encadrée, visant à organiser l’éloignement des personnes en situation irrégulière. Or cette proposition de loi en détourne le sens même, en cherchant à allonger sa durée pour un nombre considérable de cas, dans lesquels un étranger pourra être retenu.

C’est donc une remise en cause profonde de certains de nos principes fondamentaux. La privation de liberté doit rester l’exception et être strictement justifiée par une nécessité impérieuse.

Or en allongeant la rétention jusqu’à 210 jours, ce texte crée un régime de privation de liberté sans condamnation pénale, en contradiction avec l’article 66 de la Constitution, qui consacre le juge judiciaire comme garant de la liberté individuelle.

Plutôt que d’améliorer les procédures, de renforcer les effectifs chargés du traitement des dossiers ou de négocier de meilleurs accords de réadmission, même si c’est complexe, le texte choisit d’enfermer plus longtemps, au mépris de certains droits fondamentaux. Pourtant, c’est non pas la durée de la rétention qui est en cause, mais bien l’efficacité de l’autorité administrative ; il est impératif de l’améliorer de façon rigoureuse si l’on veut une politique efficace en la matière.

Ensuite, ce texte est fragile sur le plan juridique et soulève de réelles interrogations sur le plan constitutionnel, puisqu’il remet en cause le principe de proportionnalité entre la sauvegarde de l’ordre public et le respect des libertés fondamentales.

Madame la rapporteure, vous voudrez bien m’excuser d’être attentif à la constitutionnalité des propositions qui nous sont soumises ! En tant que législateur, cela m’apparaît tout de même fondamental. Malgré les propos rassurants de M. le ministre, nous serons tout à fait vigilants sur des mesures qui ne manqueront pas, de toute façon, d’attirer l’attention du juge constitutionnel, comme la loi Besson en son temps.

En commission des lois, Mme la rapporteure a souhaité aller plus loin, en amendant le texte pour autoriser le placement en rétention jusqu’à 210 jours d’un étranger condamné pour des infractions de nature délictuelle, voire au seul motif que son « comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Cette disposition ne nous paraît pas proportionnée à l’objectif.

Enfin, ce texte risque d’être inefficace. Pour envisager un tel durcissement, encore faudrait-il s’appuyer sur des données objectives. Or nous ne disposons d’aucun bilan des précédents allongements des délais de rétention, ni du nombre des éloignements effectifs et des délais dans lesquels ils sont réalisés. Vous proposez de légiférer sans même connaître l’impact des mesures déjà en vigueur, et pour certaines d’entre elles assez récentes. Encore une fois, ce n’est pas sérieux !

Vous ne proposez aucune solution concrète face à un problème bien réel, alors même que des défaillances, nombreuses, ont été identifiées. La question des moyens est centrale : il s’agit non pas seulement de construire de nouveaux centres, mais aussi de garantir un encadrement adapté, tant pour la sécurité des personnels que pour l’efficacité des procédures administratives d’éloignement.

Mes chers collègues, l’allongement de la durée de rétention aura un impact direct sur le contentieux du droit des étrangers, déjà sous tension dans de nombreuses juridictions. C’est le cas dans le département dont je suis élu, le Loiret. Depuis l’ouverture récente du CRA d’Olivet, les juridictions d’Orléans font face à une explosion des recours, aggravant encore l’engorgement de la justice.

Nous pensons donc qu’il est indispensable qu’un rapport soit réalisé sur l’application actuelle de la rétention administrative.

Pour conclure, il semble que nous devons rappeler une évidence : ce n’est pas en allongeant indéfiniment la durée de rétention que nous éloignerons plus efficacement. Ce n’est ni pragmatique, ni efficace, ni digne d’un État de droit.

Même si nous sommes tous choqués par le meurtre abject d’une jeune fille, l’émotion légitime ne doit pas conduire à renoncer à certains principes fondamentaux… (Marques dimpatience sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Il faut conclure.

M. Christophe Chaillou. Mes chers collègues, ressaisissez-vous et restez fidèles à ce qui fait la force de notre assemblée, en sortant de cette course mortifère avec l’extrême droite et ses funestes pulsions. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte visant à allonger la durée limite de rétention des clandestins à 18 mois aura tout mon soutien, et pour cause : j’ai déposé en ce sens, lors de la discussion du projet de loi Immigration, fin 2023, un amendement auquel vous avez opposé à l’époque un avis défavorable.

M. Guy Benarroche. Et pourquoi pas la perpétuité ?

M. Stéphane Ravier. Cependant, ce texte me pose trois problèmes.

Le premier, c’est la sincérité politique de la démarche.

À quel Bruno Retailleau ai-je l’honneur de m’adresser aujourd’hui par votre intermédiaire, monsieur le ministre ? Au sénateur qui a rendu inexpulsable l’influenceur franco-algérien Doualemn par un amendement à la loi Immigration en janvier 2024 ou au ministre de l’intérieur qui se plaint de ne pas pouvoir l’expulser ?

À ces « en même temps » de court terme s’ajoute l’incohérence de long terme de votre famille politique. Je rappelle ainsi que les députés français du parti populaire européen (PPE) ont voté la directive Retour en 2008. Cette dernière, que l’on pourrait renommer aujourd’hui directive Sans Retour, a fourni une base juridique à la Cour de justice de l’Union européenne en 2011 pour interdire les sanctions pénales à l’encontre des clandestins. C’est cette jurisprudence qui a conduit Manuel Valls à supprimer le délit de séjour irrégulier en 2012.

C’est encore cette directive qui a offert une base à la CJUE pour interdire, en septembre 2023, le refoulement systématique d’un étranger entré irrégulièrement sur le territoire français, rendant obsolètes les contrôles aux frontières.

C’est enfin cette directive, portée par votre famille politique à Bruxelles, qui a rendu le recours à la rétention exceptionnel et marginal, pour lui préférer les départs volontaires. Un juge des libertés et de la détention (JLD) s’est d’ailleurs appuyé sur ces principes pour autoriser la sortie de rétention du meurtrier de Philippine en septembre dernier. La gauche évoque aujourd’hui le cœur battant de la République… Le cœur de Philippine, lui, ne bat plus.

Le deuxième problème réside dans le sous-dimensionnement des moyens.

Il existe aujourd’hui 2 000 places dans les centres de rétention en France, alors qu’il y a eu 140 000 nouvelles OQTF prononcées en 2024 et qu’il y a entre 600 000 et 900 000 clandestins sur notre sol actuellement.

Entre 2019 et 2022, seulement 5 % des personnes sous OQTF sont passées en centre de rétention administrative. Si l’on veut faire de la rétention un outil à la hauteur des besoins réels, il nous faudrait multiplier par sept le nombre de places, ce qui paraît intenable, surtout si les pays d’origine ne délivrent pas de laissez-passer consulaires.

Enfin, le troisième problème est celui de la cohérence globale.

Le présent texte sera anecdotique si vous ne remettez pas en cause le sans-frontiérisme à l’œuvre dans nos institutions. La première des rétentions, c’est la frontière. Or je vous entends trop peu remettre en cause Schengen et ses élargissements, le pacte européen sur la migration et l’asile ou la faiblesse de Frontex.

Aujourd’hui, un clandestin en centre de rétention coûte 700 euros par jour, soit le salaire mensuel de nombreux agriculteurs.

Si la rétention est un mal financier nécessaire à la sécurité des Français, elle doit être rendue inutile à long terme par la cohérence d’ensemble d’une politique de maîtrise des flux migratoires. C’est précisément là, monsieur le ministre, que nous vous attendons après le vote de ce texte et que vous serez jugé par les Français.

Mme la présidente. La parole est à M. Louis Vogel. (Mme Dominique Vérien et M. Pierre Jean Rochette applaudissent.)

M. Louis Vogel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui représente un jalon important dans le débat relatif à l’éloignement des étrangers. Il vient aussi remettre en question certaines lectures du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

Cette proposition de loi vise à allonger jusqu’à 210 jours la durée de rétention d’un étranger en situation irrégulière condamné pour « des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive ».

Parmi ces individus, certains représentent un danger avéré. L’actualité nous le rappelle trop souvent, et nous ne devons pas nous habituer à ces tragédies.

Parmi les étrangers en situation irrégulière, certains sont connus non seulement des services de police, mais aussi de la justice. Ils ont parfois fait l’objet de condamnations, d’emprisonnements et de mesures d’interdiction du territoire français. Pourtant, leur éloignement demeure difficile à mettre en œuvre.

Il nous revient de lever les obstacles qui entravent encore l’application de la loi. En cela, ce texte constitue une avancée notable. Je salue ici son auteur, Jacqueline Eustache-Brinio, et la rapporteure de notre commission, Lauriane Josende, pour le travail qu’elles ont réalisé.

Ce texte s’inscrit dans le droit fil de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, votée le 30 janvier 2024 au Sénat. Mais nous pouvons et même nous devons faire mieux.

Actuellement, à moins d’être condamné pour terrorisme, un étranger ne peut pas être retenu dans un centre de rétention administrative (CRA) au-delà de 90 jours. À l’expiration de ce délai, même si aucune solution d’éloignement n’a été trouvée, la personne doit être libérée.

Or la plupart des éloignements de personnes retenues en CRA ont lieu après 90 jours. Cela montre clairement que la réforme envisagée pourrait faciliter l’achèvement des procédures en offrant aux autorités le délai supplémentaire dont elles ont besoin pour agir.

Cette réforme ne remet pas en cause les droits fondamentaux des personnes retenues. Les étrangers concernés continueront de pouvoir saisir la justice à tout moment pour demander leur remise en liberté et ils bénéficieront d’un accès effectif à un avocat.

La rétention administrative, qui est contrôlée par le juge seulement a posteriori, est une mesure à laquelle il est en principe préférable de ne pas recourir dans un État de droit, mais elle constitue parfois le seul moyen de faire respecter la loi.

Contrairement à ce que j’ai pu entendre, c’est l’application pure et simple du principe de proportionnalité : c’est indispensable, donc c’est proportionné ! La rétention administrative vise à permettre à l’État de finaliser les procédures nécessaires auprès des pays de retour et d’obtenir les laissez-passer consulaires qui conditionnent l’exécution des décisions d’éloignement.

Cette proposition de loi ne résoudra pas tout, il faut en être conscient. Plusieurs questions restent ouvertes, notamment en ce qui concerne la procédure. Une expulsion avec un retrait de carte de résident et une OQTF constituent encore deux procédures distinctes. Nous avons besoin de les unifier.

Le garde des sceaux a récemment proposé de supprimer l’avis de la commission départementale d’expulsion, qui était requis, sauf urgence absolue, préalablement à un arrêté d’expulsion. Juridiquement comme politiquement, cette suppression ne pourra intervenir que par voie législative et non réglementaire.

Le débat reste ouvert aussi en ce qui concerne le contrôle de la rétention par le juge ou la construction de places supplémentaires en centres de rétention.

Cette proposition de loi vise un objectif totalement légitime, à savoir la protection de nos concitoyens, et ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour l’atteindre. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)