Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François-Noël Buffet, ministre auprès du ministre d’État, ministre de l’intérieur. Madame la présidente, madame la présidente de la commission, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a six mois, presque jour pour jour, Philippine était enlevée à sa famille, à ses amis, à son pays, qu’elle aimait profondément. Son assassin n’aurait pas dû se trouver en liberté, mais les arcanes d’un droit des étrangers extrêmement complexe l’avaient néanmoins permis.
Le 22 février dernier, un autre étranger en situation irrégulière en France causait un mort et six blessés durant un nouveau périple criminel, si j’ose dire. Le profil « schizophrène » – je mets des guillemets – de l’assassin avait pourtant été détecté par le passé lors d’une enquête pour apologie du terrorisme réalisée en 2023. Il s’est vu notifier par la suite un arrêté portant l’obligation de quitter le territoire français, la fameuse OQTF ; cet arrêté n’a malheureusement jamais été mis en œuvre.
Lorsque le droit ne protège plus nos compatriotes, il faut essayer de le changer.
C’est, je pense, ce qu’attendent de nous l’ensemble de nos compatriotes. Ils exigent du Gouvernement et des parlementaires qu’ils prennent toutes les mesures utiles et efficaces pour les protéger de l’insécurité et de la criminalité, insécurité et criminalité qui peuvent, aussi, prospérer dans des conditions inimaginables. Cette jeune fille de 19 ans a peut-être payé de sa vie pour que nous ouvrions enfin les yeux sur cette vérité.
La proposition de loi de la sénatrice Jacqueline Eustache-Brinio que je salue et à qui je souhaite un prompt rétablissement, qui a pour objet d’allonger la durée de rétention dans les CRA à 210 jours pour les individus les plus dangereux, participe de cette réaction que réclament nos compatriotes.
Nous devons même réfléchir à la possibilité d’aller plus loin, dans les limites du droit européen, pour les profils les plus dangereux.
Comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, je considère que la durée maximale normale de rétention, fixée à 90 jours, est aujourd’hui insuffisante pour certains profils. Je dois confesser à cette tribune que je n’étais pas tout à fait d’accord avec sa prolongation, mais il faut bien constater aujourd’hui la réalité de la situation.
Pour les étrangers qui se sont rendus coupables de faits graves – je pense en premier lieu aux crimes sexuels, pour lesquels nous savons que le risque de récidive est important –, la durée de rétention doit être allongée. J’en suis d’autant plus persuadé que, lorsque je siégeais sur ces travées, j’ai moi-même déposé une proposition de loi que j’estime assez complète, contenant des dispositions similaires. Elle a été largement approuvée par le Sénat au mois de janvier 2024, par 235 voix pour et seulement 92 voix contre.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement est tout à fait favorable à l’esprit de la proposition de loi qui est aujourd’hui soumise à votre examen, mesdames, messieurs les sénateurs.
Je me félicite que la commission en ait d’ailleurs précisé la teneur et la portée pour que ce texte réponde le plus précisément possible à l’exigence de sécurité qui doit conduire nos débats. Nous soutenons en effet pleinement les travaux de la commission qui propose d’élargir le champ initial du texte au-delà d’un quantum de peine, pour aussi sanctionner tous les étrangers dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. Nous soutenons la distinction qu’elle opère entre ce quantum et les diverses mesures d’éloignement qui seront, elles aussi, sanctionnées par l’élargissement de la rétention.
Cette nouvelle rédaction présente pour nous au moins trois intérêts.
D’abord, elle prend en considération tous les comportements constituant une menace particulièrement grave pour la sécurité des Français, y compris ceux qui ne sont pas pénalement constatés. Je pense en particulier aux étrangers dont nous savons qu’ils sont radicalisés, mais qui n’ont ni commis d’infraction ni fait l’objet de condamnation, ces éléments étant naturellement documentés par ailleurs.
Ensuite, elle donne aux préfets et à leurs services une plus grande autonomie dans l’appréciation de la menace, sa documentation et sa sanction. Chacun le sait ici, dans la lutte contre la délinquance du quotidien comme dans celle contre l’islamisme politique radical, nous avons exigé des préfets qu’ils obtiennent des résultats. Pour leur permettre d’y parvenir, nous avons fait le choix de la subsidiarité. C’est ce principe qui doit également guider notre action en matière d’immigration et de reconduites aux frontières.
Enfin, elle augmente les chances pour le texte de passer l’épreuve du Conseil constitutionnel. Cette proposition de loi doit donc être rigoureuse juridiquement.
Je n’ignore pas que la commission ou que certains parlementaires envisagent, durant l’examen du texte, de déposer de nouveaux amendements qui iraient dans le sens d’une plus grande fermeté. Sachez que le Gouvernement est tout à fait disposé à en apprécier l’opportunité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la mission que nous ont confiée nos compatriotes est assez simple : rétablir l’ordre, garantir leur sécurité. Pour cela, nous assumons, grâce aux fonctions qui sont les nôtres, de faire évoluer les règles de droit lorsque, face à certaines situations nouvelles, celles-ci ne les protègent plus. Pour cela, nous assumons aussi d’en tirer pleinement les conséquences.
Depuis le mois d’octobre dernier, 9 163 étrangers en situation irrégulière ont quitté le territoire, soit 6 % de plus que l’an dernier à la même période. Dans le même temps, nous avons réduit de plus de 9 % la délivrance de premiers titres de séjour et fait baisser de 10 % l’admission exceptionnelle au séjour.
Le refus de certains pays de coopérer avec la France ou les retards subis dans la délivrance de laissez-passer consulaires nous empêchent d’organiser au mieux l’éloignement d’individus qui n’ont plus rien à faire sur notre sol, ce qui a parfois des conséquences dramatiques, comme celles que nous avons encore connues récemment.
Malheureusement, il faut le redire à cette tribune, le risque zéro n’existe pas. C’est certain, quelles que soient les règles de droit que nous pourrions décider. Toutefois, il est de notre devoir de réduire les risques autant que possible. Pour cela, il est aussi de notre responsabilité d’augmenter autant que possible la durée de rétention des étrangers, afin d’espérer obtenir le laissez-passer consulaire indispensable au renvoi sur le territoire d’origine.
Ce faisant, il s’agit de se donner la possibilité d’engager avec les pays sources des discussions utiles à l’exécution de ces mesures. Il n’y aura pas de réussite ou de possibilité de faire mieux si l’on ne se place pas dans cette configuration.
Sous le bénéfice de ces explications, le Gouvernement soutient cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI. – Mme Dominique Vérien, MM. Louis Vogel et Jean-Michel Arnaud applaudissent également.)
Mme la présidente. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par MM. Chaillou et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mmes Linkenheld et Narassiguin, M. Roiron et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, d’une motion n° 1 rectifiée.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive (n° 298, 2024-2025).
La parole est à M. Patrick Kanner, pour la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Patrick Kanner. « Nul ne peut être arbitrairement détenu.
« L’autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle, assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi. »
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en citant l’article 66 de la Constitution, je tenais à vous indiquer le fondement de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité déposée par le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. Oui, il est des moments où il est de notre devoir, en tant que garants des principes républicains, de faire front contre les attaques, qui, sous couvert de sécurité, visent à affaiblir les fondements mêmes de notre État de droit.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une proposition de loi qui ouvre la porte à des dérives autoritaires, érode nos libertés et fragilise l’essence même de notre République.
Pourquoi ?
Cette proposition de loi vise à prévoir pour des infractions de droit commun une durée de rétention jusqu’à présent limitée à la matière terroriste.
En effet, actuellement la rétention administrative des étrangers ne peut, en principe, excéder 90 jours. Dans des cas spécifiques liés au terrorisme, ce régime peut être prolongé jusqu’à 210 jours, et ce dans des quartiers de sécurité renforcée au sein des centres de rétention administrative, si vous avez déjà visité de tels établissements, mes chers collègues. Cette exception, fondée sur la sécurité nationale, est strictement encadrée, conformément à la Constitution et aux normes européennes.
L’extension du maintien en rétention pendant 210 jours, soit sept mois, à des étrangers sous OQTF, qu’ils aient commis des crimes ou des délits, est, dès lors, un affaiblissement direct de l’un des principes les plus sacrés de notre État de droit, celui de la proportionnalité. C’est d’ailleurs pour cela que vous étiez hésitant à d’autres époques, monsieur le ministre.
En l’état, cette proposition de loi aboutirait à un contrôle renforcé de l’administration sur la liberté des individus. Ainsi, on transformerait la mesure de rétention en une peine de prison administrative, sans recours effectif ni garantie sérieuse, qui s’effectuerait dans des locaux inadaptés et avec un personnel non formé pour de telles privations de liberté.
Un CRA, mes chers collègues, ce n’est pas un club Méditerranée : c’est un lieu de privation de liberté !
Faut-il vraiment appliquer une durée de rétention aussi longue à des faits qui ne sont pas liés au terrorisme ou à des menaces graves pour l’ordre public ? N’est-ce pas là un retour aux heures les plus sombres de l’histoire française, lorsque l’on pensait que l’ordre pouvait l’emporter sur la justice et que la sécurité devenait la seule boussole ? (M. Laurent Duplomb proteste.)
Pour nous, socialistes, certaines lignes rouges ne doivent pas être franchies.
Notre attachement à la proportionnalité est constant. En effet, c’est la même interrogation qui nous a conduits, en novembre 2024, à contester une disposition de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de surveillance des individus condamnés pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes, déposée par notre collègue Marie Mercier.
Lors de l’examen de ce texte en commission des lois, Mme le rapporteur Muriel Jourda proposait déjà, par voie d’amendement, d’étendre la durée maximale de rétention jusqu’à 210 jours pour certains crimes et délits de droit commun. Nous avions alors soulevé des objections similaires concernant la proportionnalité et la conformité à la Constitution de cette mesure. Nous sommes constants en la matière !
Oui, nous sommes d’ardents défenseurs de l’État de droit. Celui-ci n’est pas un concept abstrait : il est le rempart contre l’arbitraire, l’ancre profonde qui nous préserve de dérives autoritaires.
C’est ce principe qui, depuis la Révolution française, assure à chaque citoyen une place égale devant la loi, en le protégeant contre l’arbitraire des pouvoirs publics, indépendamment de son origine, de sa condition ou de ses opinions, qu’il soit Français ou étranger. Il est l’essence même de notre démocratie. C’est une construction précieuse, mais fragile.
Or, avec cette proposition de loi, nous risquons de franchir un Rubicon, au-delà duquel l’ordre et la sécurité, que le gouvernement actuel n’a de cesse d’évoquer, finissent par étouffer les libertés qui forment le cœur battant de notre République.
Par ailleurs, ce texte entraînerait une surcharge de nos centres de rétention administrative. En effet, avec la multiplication des cas dans lesquels on pourrait maintenir les étrangers en rétention, nos centres risquent de se retrouver dans une situation de congestion, ce qui aura pour conséquence directe de ralentir notre politique d’éloignement.
Les procédures d’éloignement, déjà complexes et souvent lentes, seraient alors d’autant plus embouteillées. Ainsi, ce texte, loin de garantir la sécurité, pourrait finir par l’entraver, en rendant l’application de notre politique migratoire encore plus difficile et moins efficace. Ce n’est ni la sécurité ni la liberté que l’on préserverait, mais un système administrativement embourbé.
Or, en tant que législateur, nous avons une responsabilité cruciale : celle de protéger les libertés publiques contre les éventuels abus du pouvoir exécutif. Nous siégeons ici non pas pour être des relais dociles des ordres ministériels, mais pour jouer notre rôle de contre-pouvoir, de représentation territoriale et de garant des libertés publiques.
Aujourd’hui, force est de constater que nos errances politiques et institutionnelles nous ont conduits à une situation inédite et, oserais-je dire, ubuesque. Nous examinons non plus des projets de loi, mais des propositions de loi qui, en majorité, expriment deux obsessions : la sécurité et l’immigration !
Les choix politiques essentiels du Gouvernement devraient s’appuyer sur des projets de loi en bonne et due forme, accompagnés comme il se doit d’une étude d’impact et d’un avis du Conseil d’État. Utiliser systématiquement le « véhicule PPL » témoigne d’un parlementarisme dévoyé, dans lequel les ministres se voient apparemment obligés de commander des textes à leurs relais dans chaque chambre du Parlement, incapables qu’ils sont de porter de réelles initiatives au sein du Gouvernement.
Ce phénomène nous prive de notre mission fondamentale : légiférer dans l’intérêt général, non dans l’intérêt d’une machine exécutive qui cherche à imposer ses volontés par dérive législative interposée.
Depuis plusieurs années, mes chers collègues, vous souhaitez tester les limites de l’État de droit. Désormais, le ministre de l’intérieur que vous représentez à ce banc, monsieur Buffet, incarne une réelle volonté de faire céder ce principe essentiel de notre démocratie, dans une tentation autoritaire et sécuritaire.
Au-delà de sa volonté de creuser un fossé entre les citoyens en cherchant à diviser la société, M. Retailleau invite trop régulièrement à une remise en cause de l’égalité devant la loi et cherche à introduire dans notre quotidien une logique d’exclusion.
Par ailleurs, il a maintes fois exprimé une vision de la loi qui en exclut les garanties fondamentales que le droit français a toujours offertes. Dans sa pensée, la protection des libertés publiques et les règles juridiques entravent les politiques publiques. Il faut y voir une dérive inquiétante, celle selon laquelle la liberté serait une forme de luxe à céder au profit d’une politique de sécurité sans balises.
Mes chers collègues, ce n’est pas une simple divergence idéologique ; c’est une menace qui s’attaque à l’équilibre fragile, mais essentiel, sur lequel repose notre République : l’équilibre entre l’ordre et les libertés, que l’on ne peut sacrifier – permettez-moi de le dire sans esprit de polémique – sur l’autel de la course à l’échalote entre MM. Wauquiez et Retailleau. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Eh oui !
M. Roger Karoutchi. Il n’y a pas d’élections, chez vous ?
M. André Reichardt. Cela fait deux fois que l’on propose ce texte !
M. Patrick Kanner. Je constate que cela vous gêne, mes chers collègues !
M. Retailleau prend de plus en plus appui sur la majorité sénatoriale pour mener à bien ses ambitions politiques, qui sont légitimes, quitte à faire la courte échelle au Rassemblement national.
Notre rôle est de protéger notre modèle républicain et nos fondations démocratiques. Or ce texte concourt à alimenter un tournant idéologique, où la pensée de la droite semble désormais structurée non plus par un cadre juridique solide, comme vous nous y aviez habitués, chers collègues, mais par des faits divers, souvent alimentés par une rhétorique populiste et démagogique. (M. André Reichardt proteste.) Ces faits divers, je ne les nie pas, mais on ne peut pas bâtir la loi sur des faits divers !
Ce tournant, amorcé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, trouve aujourd’hui dans cette proposition de loi une amplification inquiétante.
Vous aurez compris mon message : il ne s’agit pas seulement de discuter de la constitutionnalité d’une proposition de loi. Ce qui est en jeu est l’avenir même de notre État de droit et la solidité de nos institutions. Pour moi, ces notions sont intangibles et sacrées.
Montesquieu écrivait dans De l’esprit des lois : « La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent. » Or, aujourd’hui, c’est cette liberté que nous risquons de sacrifier, une liberté fragile, minée par des coups de boutoir législatifs répétés, qui font avancer la société sur la voie de l’arbitraire et de l’injustice.
En poursuivant dans cette logique, vous vous attaquez à la base même de notre pacte républicain. Ce n’est pas un simple glissement législatif : c’est une menace directe contre les valeurs démocratiques.
Je sais que le vent de l’autoritarisme souffle fort en ce moment, mais nous devons refuser d’y céder. Tel est le sens de l’exception d’irrecevabilité que, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, je vous propose d’adopter.
Évidemment, si cette proposition de loi était amenée à prospérer, nous n’aurions pas d’autre choix que d’en saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement des observations que j’ai eu l’honneur d’exposer à l’instant devant vous. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme Lauriane Josende, rapporteure. Mes chers collègues, vous ne serez pas surpris d’apprendre que l’avis de la commission sera défavorable.
Chers collègues du groupe socialiste, je comprends tout à fait que vous soyez en désaccord avec les dispositions de cette proposition de loi ; nos débats permettront de faire valoir vos arguments comme les nôtres. Je trouve toutefois regrettable d’abriter ainsi votre opposition derrière l’État de droit et le Conseil constitutionnel, auquel vous faites dire bien des choses ! (Exclamations sur les travées du groupe SER.)
En l’espèce, les dispositions du texte ne peuvent sérieusement être regardées comme manifestement contraires à une disposition constitutionnelle. Nous pourrons débattre de l’extension de son champ d’application, mais je veux d’ores et déjà rappeler que les dispositions de l’article L. 742-6 du Ceseda, qui institue un régime dérogatoire de rétention administrative, ont été jugées conformes à la Constitution.
En tout état de cause, la commission des lois a veillé à ce que le texte assure une conciliation équilibrée entre l’objectif à valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public et les autres exigences constitutionnelles en présence, afin de permettre l’éloignement des étrangers qui constituent une menace d’une particulière gravité pour la sécurité de nos concitoyens.
C’est pour ces raisons et pour que le débat puisse avoir lieu que la commission a émis un avis défavorable à l’adoption de cette exception d’irrecevabilité.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François-Noël Buffet, ministre. Il sera bien évidemment défavorable, en premier lieu parce que nous souhaitons que le débat ait lieu dans cet hémicycle sur ce texte.
Je veux brièvement invoquer un deuxième argument. Malgré tout, les situations que nous avons vécues récemment suscitent nécessairement chez nous des interrogations. Ne pas pouvoir renvoyer un étranger en situation irrégulière qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire français, parce que son pays ne veut pas l’accepter, être obligé de le remettre en liberté,…
M. André Reichardt. C’est scandaleux !
M. François-Noël Buffet, ministre. … enfin, le voir, grâce à cette liberté retrouvée, commettre un crime, tout cela mérite tout de même que l’on s’interroge !
M. Laurent Duplomb. C’est sûr !
M. François-Noël Buffet, ministre. On pourrait même parler de mise en danger d’autrui quand un tel individu est laissé à lui-même dans les rues, sans aucun contrôle.
Dès lors, cette situation, qui est le fruit d’une évolution survenue ces dernières années, doit tout de même, pour dire les choses très simplement, nous inviter à réfléchir à faire évoluer la loi. Cela ne signifie pas que l’on ne respectera pas les droits des uns et des autres, au contraire.
Enfin, je veux apporter au débat une information : la semaine dernière, la Commission européenne, dans le cadre de l’élaboration du projet de règlement qui doit remplacer la directive Retour, a proposé de prolonger la durée maximale de rétention jusqu’à vingt-quatre mois, alors qu’elle est aujourd’hui de dix-huit mois. C’est dire que la prise de conscience n’est pas simplement nationale ; elle est européenne.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cette motion.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre de La Gontrie, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Je ne surprendrai personne en indiquant que les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront évidemment pour cette exception d’irrecevabilité.
Je trouve assez étrange l’argument selon lequel, si vous vous opposez à la motion, c’est parce que vous voulez que le débat ait lieu. C’est un peu court ! Peut-être même que cela prouve que vous êtes mal à l’aise avec la conformité de ce texte à la Constitution…
Je trouve assez étonnant également que le ministre Buffet s’abrite en quelque sorte derrière la directive Retour. En effet, nous avons en France une Constitution, dont l’article 66 s’oppose à la détention arbitraire. C’est d’ailleurs pourquoi le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de refuser, lors de son examen de la loi du 16 juin 2011, dite loi Besson – du nom de son auteur, Éric Besson –, la prolongation excessive de la durée de rétention que certains demandaient déjà à l’époque.
Vous témoignez là, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’une désinvolture vis-à-vis de la Constitution similaire à celle dont vous aviez déjà fait preuve lors de l’examen de la loi Immigration. Visiblement, vous vous apprêtez à récidiver, afin de satisfaire les ambitions de votre ancien président de groupe par des propositions de loi successives, puisqu’il ne parvient pas à déposer de projets de loi pour exprimer lesdites ambitions.
Pour notre part, nous ne lâcherons rien ! Nous ne vous laisserons pas dériver vers l’extrême droite. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Belrhiti. Oh là là !
M. Roger Karoutchi. Et LFI, ce n’est pas une dérive ?
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Le ministre de l’intérieur voulait prolonger cette rétention jusqu’à dix-huit mois. Vous avez renoncé à le faire aujourd’hui. C’est intéressant. Ce faisant, vous auriez été au-delà de ce que l’extrême droite, ici, propose !
Vous vous abandonnez à cette dérive, vous pensez sans doute qu’elle est rentable électoralement. C’est très dangereux, et nous vous combattrons sur ce point à chaque étape.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour explication de vote.
Mme Catherine Di Folco. Nos collègues socialistes ont déposé une mention tendant à opposer à la proposition de loi que nous examinons l’exception d’irrecevabilité. Selon eux, ce texte serait inefficace et inconstitutionnel.
Rassurez-vous, madame de La Gontrie : engager les débats sur ces deux points ne nous met pas du tout mal à l’aise !
Nous ne partageons évidemment pas votre opinion quant à l’inefficacité de cette mesure : au contraire, elle nous permettra de mieux sécuriser l’éloignement des profils les plus menaçants.
J’en viens à la question juridique que suscite la motion. Dans sa décision du 6 septembre 2018, qui portait en particulier sur le placement en zone d’attente et en rétention, le Conseil constitutionnel a rappelé que les atteintes portées à l’exercice de la liberté individuelle « doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ».
Pour notre part, nous estimons que les mesures proposées dans le présent texte sont adaptées, car elles visent des individus qui, dans la mesure où ils sont susceptibles de constituer une menace particulière pour l’ordre public, se trouvent dans une situation distincte de celle de la majorité des personnes sous le coup d’une mesure d’éloignement.
Elles sont nécessaires, car elles s’appliquent à des individus dont les situations caractérisent un risque de fuite particulier, susceptible de compromettre l’objectif d’éloignement dans un délai aussi bref que possible figurant au paragraphe 1 de l’article 15 de la directive Retour.
Enfin, elles sont proportionnées, parce que le dispositif adopté par la commission garantit toujours l’intervention régulière du juge, lors de chaque prolongation, et que la durée maximale de rétention – 210 jours – demeure inchangée.
Les garanties entourant la rétention ne sont donc en rien diminuées. Il n’y a par conséquent pas de méconnaissance des exigences constitutionnelles.
Il ne convient pas au Parlement de s’autocensurer en voyant des inconstitutionnalités là où il n’y en a pas ! Cela serait source d’une impuissance préjudiciable à la bonne organisation des politiques publiques, une impuissance dont les Français feraient à raison le reproche à leurs représentants.
Vous l’aurez compris, le groupe Les Républicains considère qu’il n’y a pas de raison sérieuse de rejeter d’entrée de jeu ce texte. Nous souhaitons que la discussion puisse se tenir ; elle nous permettra de travailler à des réponses concrètes aux problématiques concernant le maintien en rétention des individus les plus menaçants.
M. André Reichardt. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote.
M. Guy Benarroche. Les membres du groupe écologiste voteront évidemment cette mention, puisque nous sommes en tout point d’accord avec les propos du président Kanner, auxquels je souhaiterais seulement ajouter deux éléments.
En premier lieu, je veux insister sur l’arbitraire que permettrait l’adoption de ce texte. Sous la notion d’arbitraire, je comprends la possibilité administrative de placer certaines personnes dans ce que l’on pourra considérer, en quelque sorte, comme des succursales de prison, ce qu’elles ne devraient pas être, alors que ces personnes n’auront pas été condamnées ou auront déjà purgé leur peine.
Nous aurions mieux compris que des propositions soient faites, ou des décisions prises, pour éviter les sorties sèches de prison, proposer des traitements après la sortie et renforcer tous les éléments permettant d’éviter les récidives. En effet, on sait bien que ce sont les sorties sèches qui, actuellement, entraînent 70 % des récidives.
En revanche, nous ne comprenons pas pourquoi l’on permettrait qu’une décision administrative, qui peut se révéler arbitraire, aboutisse à placer dans des centres de rétention devenus des prisons, sans locaux adaptés ni personnels formés, un certain nombre de personnes n’ayant pas été condamnées.
En second lieu, il convient de relever que, après certains textes du même ordre, comme la dernière loi Immigration, on assiste aujourd’hui à un véritable gavage de propositions de loi sur ces thématiques – après celle-ci, nous aurons encore à examiner celle dont l’objet est le droit de vote des détenus, ou encore celle qui porte sur les délinquants mineurs !
La forme de ces textes est une conséquence directe de la constitution du gouvernement actuel. Je vous rappellerai, mes chers collègues – aucun d’entre vous ne peut s’en offusquer, puisqu’il s’agit d’une information publique, officiellement annoncée –, qu’il s’agissait de l’une des conditions de l’accord conclu entre MM. Bayrou et Retailleau.
Clairement, François Bayrou ne souhaitait ni ne pouvait, au vu de la constitution de son gouvernement, permettre le dépôt d’un certain nombre de projets de loi. C’est pourquoi on a ouvert un open bar pour les propositions de loi ! Cela a eu pour effet que tous ces textes, émanant d’initiatives parlementaires, ne sont agrémentés d’aucun avis du Conseil d’État, ce à quoi s’ajoute votre rejet de tout avis du Conseil constitutionnel.