Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Stéphane Le Rudulier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce texte revêt une importance capitale, car il répond à un impératif : la sécurité des Français.

Il s’agit de faire en sorte que notre système judiciaire et administratif protège véritablement nos concitoyens face à des ressortissants étrangers qui, par leurs actes d’une extrême gravité, ont malheureusement démontré qu’ils ne méritent pas ou qu’ils ne méritent plus de vivre parmi nous en toute liberté.

M. Stéphane Le Rudulier. Faut-il rappeler que la sécurité est un droit fondamental ? Sans sécurité, il n’y a pas de liberté ni de prospérité. Chaque jour, nos compatriotes subissent les effets dramatiques de crimes particulièrement violents ou de récidives qui marquent à jamais des vies et des familles.

Il est grand temps d’admettre que certaines personnes, qui n’ont plus rien à faire sur notre territoire et qui représentent une menace réelle et imminente pour la société, en raison notamment de la gravité des actes qu’elles ont commis, ne peuvent plus bénéficier de la confiance que notre système judiciaire accorde par principe à toute personne condamnée.

Non, la justice n’est pas une simple question de réinsertion ou de réhabilitation. Elle doit d’abord être un instrument de préservation de l’ordre public. La réinsertion ou la réhabilitation n’est pas un droit inaliénable et automatique. Elle doit être un privilège mesuré à l’aune du comportement de l’individu, qui doit avoir manifesté son repentir et sa capacité à vivre en conformité avec les règles de notre République.

La réinsertion doit être réservée à ceux qui ont prouvé qu’ils étaient dignes de retrouver la liberté. Cette dernière doit se mériter et ne pas être concédée de manière aveugle.

Il est de notre responsabilité, en tant que législateur, de mettre tout en œuvre pour prolonger la rétention administrative de ceux qui n’ont pas montré de signes de changement. L’idée même de libérer prématurément des individus dangereux condamnés pour des actes singulièrement graves relève à mon sens d’une vision purement idéologique, déconnectée des réalités vécues par nos concitoyens.

Au travers de ce texte, il s’agit de trouver le bon équilibre entre la protection des droits des étrangers et la sécurité de nos concitoyens. La justice doit être pragmatique et réaliste. La liberté d’un individu ne saurait l’emporter sur la sécurité collective, dès lors que la libération de ce dernier met en péril la vie d’autrui.

Nos concitoyens ne peuvent pas continuer à vivre sous la menace constante de ressortissants étrangers déjà condamnés pour des faits particulièrement graves et qui présentent un réel risque de récidive.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette proposition de loi n’a pas pour objet de viser explicitement les ressortissants étrangers. C’est une loi pour la société, qui a pour objet de protéger l’ensemble de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch.

M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi à mon tour d’adresser mes salutations et mes vœux de bon rétablissement à Jacqueline Eustache-Brinio.

Il y a dans notre pays des drames qui nous rappellent cruellement que nous devons dépasser nos clivages partisans quand les circonstances l’exigent.

Il y a dans notre pays des exigences qui nous appellent à prendre nos responsabilités et à engager des mesures concrètes et de bon sens, attendues par les Français. La sécurité de nos concitoyens est une exigence fondamentale de notre République, et il est de notre devoir de ne pas tergiverser quand celle-ci est malmenée sur notre sol, a fortiori quand les lacunes de notre propre législation sont en cause.

Il arrive malheureusement que des drames soient causés par des individus connus, condamnés et soumis à une obligation de quitter le territoire français : des familles et des vies sont ainsi brisées à cause de failles administratives. En dépit des efforts déjà engagés ces dernières années, nous devons encore parfaire notre système et ne plus accepter d’être surpris par nos propres lacunes.

La rétention administrative des étrangers en situation irrégulière présentant un risque pour la sécurité de nos concitoyens est une nécessité. Elle se doit bien sûr d’être engagée avec pragmatisme, avec proportion, avec humanité et toujours dans la dignité, mais aussi avec fermeté. Il y va de la confiance des citoyens dans la solidité de nos institutions. La cohésion de nos territoires et la préservation de l’ordre républicain sont à ce prix.

Nous sommes réunis aujourd’hui afin d’examiner la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive. Ce texte tend à prolonger la durée maximale en rétention administrative de certains profils à la dangerosité avérée. Enrichi lors de son examen en commission des lois, il repose sur trois mesures principales.

Tout d’abord, il prévoit l’extension du régime de rétention renforcée aux personnes en situation irrégulière condamnées pour des infractions graves. Actuellement, leur rétention ne peut excéder 90 jours, sauf pour les actes liés au terrorisme, pour lesquels un régime spécifique permet d’allonger cette durée jusqu’à 180, voire 210 jours. L’harmonisation proposée par ce texte vise à aligner ces dispositifs au nom de la prévention des menaces.

Ensuite, il attribue un effet suspensif aux recours contre la fin de rétention, afin d’éviter des libérations prématurées en cas d’appel. Dans le cadre actuel, il peut arriver que la rétention soit interrompue en raison d’un recours administratif, alors même que la dangerosité de l’individu est avérée. Cette disposition vient assurer que la remise en liberté dans ces conditions ne soit plus possible jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur le recours.

Enfin, il modifie le séquençage de la rétention administrative de droit commun, uniformisant après la deuxième prolongation de 30 jours les prolongations suivantes sur cette même durée.

Cette clarification ne se traduit pas par un allongement de la durée maximale de rétention de droit commun. Elle est en outre sans conséquence sur le plein exercice des droits des personnes retenues. En fait, cette harmonisation vise à limiter les potentielles erreurs d’interprétation, comme ce fut malheureusement le cas pour le meurtrier de Philippine.

Il convient de relever que cette disposition constitue une mesure d’enrichissement de la proposition de loi initiale. C’est un signal envoyé à ceux qui, sur le territoire de la République française, enfreindraient la loi.

Mes chers collègues, l’extension jusqu’à 210 jours de la période de rétention des individus condamnés pour des infractions sexuelles ou violentes graves ne relève pas pour nous d’un débat idéologique. C’est une mesure qui fait sens et qui a vocation à s’appliquer non pas par principe, mais seulement lorsque les conditions l’exigent.

Rappelons que la rétention administrative est non pas une sanction pénale, mais une mesure de sûreté visant à assurer l’effectivité des décisions d’éloignement. Les dispositions de ce texte restent de surcroît encadrées par des garanties strictes, sous le contrôle du juge judiciaire et en conformité avec le droit européen.

Nous savons que la récidive est une triste réalité. Nous savons aussi que le maintien en rétention administrative ne saurait être la seule solution face aux lenteurs diplomatiques ou aux blocages bureaucratiques. Mais face aux drames de sang, l’incompréhension est forte et l’émoi terrible, déchirant. Et de tels actes sont encore plus révoltants quand ils sont commis par des individus qui n’auraient pas dû être remis en situation de récidive potentielle par notre propre administration.

Bien sûr, nous devons rester vigilants. La justice ne doit se nourrir d’aucun excès. Bien sûr, le levier diplomatique, avec la délivrance des laissez-passer consulaires, reste une priorité essentielle pour rendre effectif l’éloignement des individus bafouant les lois de la République et menaçant la sécurité des Français. L’exigence appelle aussi à accroître les moyens mis à disposition des préfectures pour assurer un accompagnement administratif plus efficace.

Sans opposer fermeté et humanisme, il nous faut avant tout garantir que les décisions de justice soient effectivement appliquées et réaffirmer la première des libertés, celle de vivre en sécurité sur le territoire français. C’est une responsabilité essentielle que l’État se doit d’assumer pleinement.

Mes chers collègues, l’occasion nous est donnée aujourd’hui de nous doter d’un outil approprié, rigoureux et mesuré. La France est une terre d’accueil, une nation régie par des droits, des règles et des devoirs, un État de droit et de liberté garantissant la sécurité pour tous ses ressortissants, ses visiteurs, ainsi que ceux qui sollicitent son hospitalité.

En soutenant ce texte, le groupe RDPI affirme sa volonté de toujours mieux protéger nos concitoyens et de préserver ainsi la cohésion républicaine dans tous nos territoires.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Masset. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. Michel Masset. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a pour objet principal le prolongement de la durée de rétention administrative pour les auteurs de certaines infractions.

J’aimerais affirmer en préambule que le groupe RDSE est bien évidemment attaché à tout ce qui peut contribuer à assurer à tous les membres de notre société une indispensable sécurité. En cela, je m’inscris dans la volonté d’outiller juridiquement notre République pour écarter de nos rues les individus qui représentent un danger pour autrui.

Toutefois, dans cette quête, nombreux sont les pièges dans lesquels la violence de certains délits pourrait nous faire tomber. Or il me semble que l’honneur d’une démocratie réside bien dans la manière dont elle assure le respect des droits et des libertés.

La proposition de loi entend traiter de front deux enjeux qui ne se confondent pas : le sécuritaire et le migratoire. Comme le rappelle le service juridique du Conseil constitutionnel, à la différence des condamnations pénales, la rétention administrative a pour objet d’aboutir à l’éloignement de l’intéressé et non pas de le punir.

La durée de la rétention dépend donc de la capacité de l’État à expulser l’individu concerné. C’est pourquoi le législateur a encadré sa prolongation par des garanties particulières, comme l’assurance de la délivrance d’un laissez-passer consulaire à bref délai ou la disponibilité d’un moyen de transport pour mettre en œuvre l’expulsion.

Toutefois, la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité de 2011 a soumis les étrangers condamnés au titre d’activités terroristes à un régime de rétention administrative particulier, qui peut être étendu à 210 jours.

Ce droit spécial a été justifié par la dangerosité particulière des individus concernés. La prolongation ne peut avoir lieu que si l’éloignement de l’étranger constitue une perspective raisonnable. Mais cette longue période de rétention permet davantage de priver de liberté des individus considérés comme dangereux que d’augmenter les chances de voir ceux-ci effectivement expulsés.

De ce fait, cette procédure pourrait relever du droit pénal, plutôt que du droit des étrangers. En effet, une telle restriction de liberté, fondée sur la préservation de l’ordre public, si elle semble pertinente pour protéger nos concitoyens, doit être encadrée par les garanties procédurales du droit pénal.

Il faut bien nous garder de transformer la rétention administrative en une seconde peine, prononcée sur le fondement d’une condamnation pénale.

La présente proposition de loi, modifiée par la commission des lois, vise à étendre ce régime dérogatoire à toute personne condamnée à une interdiction du territoire français ou à une OQTF fondée sur une condamnation à une infraction punie de cinq ans de prison ou plus pour des faits de provocation ou d’apologie du terrorisme, ainsi qu’à toute personne « dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public. »

Quels seront les effets de cette mesure sur l’éloignement effectif des personnes visées ? Les chiffres figurant dans le rapport national et local 2023 sur les centres et locaux de rétention administrative montrent que le nombre d’éloignements est surtout important au début de la rétention.

Dans cette perspective, l’allongement de la rétention jusqu’à 210 jours ne semble pas strictement nécessaire pour atteindre l’objectif d’éloignement. Ce dernier constitue d’ailleurs un sujet essentiellement diplomatique, comme le confirme l’actualité.

Au contraire, cette large extension me semble préjudiciable pour le respect des droits et libertés. Comme nous avons déjà pu le déplorer dans d’autres circonstances, le droit commun s’aligne encore davantage sur le régime d’exception. Et la question sécuritaire s’engouffre dans le champ du droit administratif.

S’y ajoutent des problèmes de surpopulation dans les CRA, et les conditions dans lesquelles les personnes sont retenues ne sont pas satisfaisantes. Enfin, il y a des sorties sèches après plusieurs mois. Dans de tels cas, que prévoyons-nous pour le 211e jour ?

En somme, cette proposition de loi ne permet d’aborder que partiellement la problématique de la sécurité et ne répond pas à l’enjeu diplomatique des migrations. C’est pourquoi le groupe RDSE reste partagé sur ce texte et prendra sa décision à l’issue des débats. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Vérien. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Dominique Vérien. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.

Comment ne pas penser au meurtre de Philippine ? Cette jeune femme d’à peine 19 ans a été violée et assassinée par un homme récidiviste, libéré d’un CRA quelques jours plus tôt et faisant l’objet d’une OQTF non exécutée.

Ce drame a indigné à juste titre beaucoup de nos concitoyens. Il nous a aussi montré les limites de nos procédures actuelles, bien au-delà de la simple question de l’exécution des OQTF.

L’excuse de minorité lors du premier procès pour viol était-elle pertinente ? Pourquoi cette personne n’a-t-elle pas exécuté sa première peine dans sa totalité ? Pourquoi n’avoir pris aucune disposition en amont pour assurer sa reconduite à la frontière après exécution de la peine ? Comment le juge a-t-il pu, tout en reconnaissant la dangerosité de l’individu, autoriser sa remise en liberté avant la fin du délai de 90 jours ?

Disons-le clairement, c’est une faillite à bien des niveaux, avec des conséquences dramatiques. C’est l’une des raisons pour laquelle la commission des lois et la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ont lancé une mission conjointe de contrôle, afin d’évaluer l’efficacité des mesures visant à lutter contre la récidive des auteurs d’infractions à caractère sexuel. Il s’agit en effet de l’autre volet du sujet dont nous parlons.

Le texte que nous examinons aujourd’hui, s’il ne traite qu’une partie du problème, apporte déjà un début de solution. En effet, nous devons faire évoluer notre arsenal législatif, y compris en ce qui concerne la durée de rétention.

Je rappelle que le Sénat, sur l’initiative de la présidente de la commission des lois Muriel Jourda, avait, dès le mois d’octobre dernier, formulé des propositions en ce sens. Finalement, il a été décidé de traiter le sujet par une proposition de loi. Je remercie Jacqueline Eustache-Brinio d’avoir rédigé ce texte.

Concrètement, en permettant un maintien en rétention jusqu’à 180 jours, voire 210 jours dans certains cas, cette proposition de loi nous donne plus de temps pour assurer la bonne exécution des OQTF et empêcher que des individus dangereux ne soient libérés par défaut.

Notre rapporteure, que je remercie de la qualité de son travail, a préféré, dans un souci de clarté, viser l’ensemble des cas les plus graves, en englobant les crimes et délits passibles d’au moins cinq ans d’emprisonnement.

En outre, l’article 2 de ce texte permet, en cas d’appel du préfet, de garder la personne en rétention avant une nouvelle procédure, ce qui me semble pertinent. Il est en effet essentiel que ces recours n’ouvrent pas la porte à des libérations prématurées, qui pourraient poser un risque pour la sécurité du public.

Enfin, je salue la simplification opérée par la commission, qui a fusionné la troisième et la quatrième prolongation en une seule prolongation de 30 jours. Le calendrier est ainsi clarifié et la charge administrative allégée. Les procédures sont simplifiées et la sollicitation des forces de l’ordre réduite, ce qui leur permettra de se recentrer sur leurs missions essentielles.

Toujours dans cette logique d’efficacité et d’amélioration de nos procédures, il serait aussi pertinent, monsieur le ministre, que le service pénitentiaire d’insertion et de probation (Spip) transmette systématiquement son analyse au juge qui doit se prononcer sur l’allongement de la durée de rétention d’un étranger passé par la détention, ce qui est le cas dans 25 % des cas.

Pour rappel, le Spip n’a pas du tout été interrogé dans le cas du meurtrier de Philippine. Cette question est réglementaire, monsieur le ministre, et nous aurons l’occasion d’en reparler, en associant évidemment votre collègue garde des sceaux, ministre de la justice.

Mes chers collègues, s’il est évident que ce texte va dans le bon sens, il serait pourtant dangereux de nous en satisfaire. L’allongement de ces délais ne doit pas se transformer en une fuite en avant et ne doit pas se substituer à une politique vraiment ambitieuse sur ce sujet.

Ces rétentions de très longue durée doivent non pas devenir la norme, mais bien rester l’exception, strictement réservée aux cas les plus graves, avec pour but d’éviter la récidive. En effet, la priorité doit rester l’exécution effective des expulsions. Une libération par défaut est aussi regrettable après 180 jours qu’après 90 jours et ne pourra éviter de nouveaux drames.

D’ailleurs, la capacité d’accueil de nos CRA est un aspect purement pratique, mais essentiel, à prendre en compte. En 2023, ce sont 47 000 personnes, dont 28 000 rien qu’à Mayotte, qui ont fait l’objet d’une mesure de rétention administrative, pour une durée moyenne de 28,5 jours, avec une surpopulation de plus en plus flagrante sur tout le territoire. Là encore, l’allongement de la durée n’est rien sans de nouvelles places. Il pourrait même créer des blocages et avoir un effet contre-productif, auquel il faudra réfléchir.

Si ce texte est bienvenu, c’est l’exécution des OQTF qui est la priorité. Il est indispensable que le Gouvernement mène un véritable travail de conviction auprès de certains pays qui font parfois preuve de réticence à accueillir leurs ressortissants.

Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce prolongement n’est qu’une partie de la réponse. Pour autant, le groupe Union Centriste votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

(M. Loïc Hervé remplace Mme Sylvie Vermeillet au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Loïc Hervé

vice-président

M. le président. La parole est à M. Ian Brossat.

M. Ian Brossat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà réunis pour débattre de cette proposition de loi visant à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.

Un mot résume l’esprit de ce texte : la surenchère.

Surenchère, tout d’abord, parce que cette proposition de loi s’inscrit dans un contexte d’inflation législative sur les enjeux d’immigration. Observez notre ordre du jour : à chaque jour son texte sur l’immigration ! Aujourd’hui, nous en examinons même deux, après une proposition de loi visant à interdire un mariage en France lorsque l’un des futurs époux réside de façon irrégulière sur le territoire, après le débat sur les accords franco-algériens dans le domaine de l’immigration et de la circulation des personnes…

Avant l’examen d’une proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, nous voilà donc réunis pour débattre de l’allongement de la durée de rétention en CRA. Et bientôt, nous débattrons ici d’une proposition de loi constitutionnelle visant à abroger le droit du sol et le double droit du sol à Mayotte, comme si, au fond, l’immigration était le seul défi auquel la société française est confrontée ; comme si l’immigration était le seul sujet digne d’intérêt dans notre assemblée !

Surenchère, ensuite, puisqu’il s’agit, avec ce texte, d’allonger une fois de plus la durée de rétention en CRA. Celle-ci, je le rappelle, n’est pas une peine. Les personnes dont nous parlons ont d’ailleurs déjà purgé leur peine.

En 1981, la durée de rétention maximale était de 7 jours. Elle est passée à 13 jours en 1998, à 32 jours en 2003, à 45 jours en 2011 et à 90 jours en 2018. Il s’agirait à présent de la faire passer à 210 jours. Et dans cette logique du toujours plus, voilà que le ministre Retailleau nous parle de passer à une durée de rétention maximale de dix-huit mois… Les 210 jours n’ont pas encore été votés que le ministre nous dit déjà que nous jouons petits bras et qu’il faudra aller beaucoup plus loin !

Surenchère, enfin, car cette politique a un coût. La Cour des comptes a établi que le coût de la politique de lutte contre l’immigration illégale s’élève chaque année à 1,8 milliard d’euros. La rétention en CRA coûte aux pouvoirs publics 602 euros par jour pour chaque personne retenue. Il y a vraiment un paradoxe à voir les tenants de la baisse de la dépense publique considérer que, en matière d’immigration, toutes les dépenses sont permises, y compris celles qui n’ont pas démontré leur efficacité.

Au moins, si cette politique était efficace… Mais elle ne l’est même pas ! Elle bute en effet sur une évidence que l’on ne peut se dissimuler : la reconduite à la frontière nécessite la délivrance d’un laissez-passer consulaire. Et l’allongement de la durée de rétention en CRA n’augmente en rien la probabilité du retour au pays d’origine des personnes retenues.

Selon la Cour des comptes, 58 % des libérations de CRA avant éloignement résultent d’une impasse dans la délivrance des laissez-passer consulaires. Dans le cas dramatique de Philippine, qui a été évoqué plusieurs fois aujourd’hui, l’assassin avait été libéré du CRA au bout de 75 jours. Il n’est donc même pas allé au bout des 90 jours permis par la loi actuelle. C’est dire que l’allongement de la durée de rétention à 210 jours n’aurait strictement rien changé à ce drame.

Au fond, ce texte ne vise qu’un seul et unique objectif : envoyer un signal à l’opinion publique. Ce n’est rien d’autre qu’un texte CNews : il vise à créer l’illusion qu’on agit, à accréditer l’idée que la France serait laxiste en matière d’immigration et à donner le sentiment d’un serrage de vis présenté comme salutaire. Le tout alors que la France est le pays d’Europe qui délivre le plus d’OQTF. Le tout alors que la France est aussi le pays d’Europe qui – en valeur absolue, non en proportion – exécute le plus d’OQTF !

Pour toutes ces raisons, et parce que ce texte se prévaut d’objectifs très éloignés de ses buts réels, nous nous y opposerons. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K, SER et GEST.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Belrhiti. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Belrhiti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, combien de drames faudra-t-il encore pour que nous prenions nos responsabilités ? Combien de victimes auraient pu être épargnées si nous avions eu les outils nécessaires pour empêcher la récidive de criminels dangereux ? Combien de Philippine et de Lola faut-il avant que nous ne décidions de mesures fortes, mais nécessaires ?

C’est dans cet esprit, celui d’une justice en faveur des victimes, que nous examinons aujourd’hui cette proposition de loi. Celle-ci vise à faciliter le maintien en rétention des personnes condamnées pour des faits d’une particulière gravité et présentant de forts risques de récidive.

Le texte que nous défendons est à la fois clair, nécessaire et équilibré. Il s’agit non pas d’une réforme idéologique, mais d’une réponse pragmatique à une réalité préoccupante, celle des personnes condamnées pour des actes d’une extrême gravité : violences sexuelles, crimes organisés, assassinats, tortures, proxénétisme, traite des êtres humains. Ces personnes représentent une menace pour la société une fois leur peine purgée.

Nous avons le devoir d’agir. Actuellement, le cadre juridique prévoit un régime de rétention administrative strict pour les étrangers condamnés pour des faits de terrorisme. Or la menace ne se limite pas au terrorisme. Le danger que représentent certains criminels est tout aussi élevé, et leur potentielle récidive constitue un risque que nous ne pouvons ignorer.

Cette proposition de loi vient donc harmoniser et renforcer notre dispositif de rétention, en augmentant sa durée pour les individus les plus dangereux.

Pourquoi cette extension est-elle nécessaire ? Parce que, nous le savons, certains criminels, en particulier les auteurs de violences sexuelles, les tueurs en série ou les chefs de réseaux criminels, ont des profils à haut risque de récidive. La justice en fait trop souvent le constat. Elle se sent parfois impuissante face à des individus qui, une fois remis en liberté, replongent dans la violence la plus extrême.

Une étude de l’Insee réalisée en 2019, relative à l’ensemble des personnes condamnées pour des crimes et délits, nous a révélé l’ampleur du phénomène, en montrant que 178 criminels et près de 70 000 délinquants étaient en état de récidive légale. En 2019, quelque 43,1 % des personnes condamnées à de la prison ferme étaient en état de récidive légale. Et je ne parle même pas des récidives après condamnations pour des peines d’emprisonnement avec sursis.

Les chiffres ne mentent pas, mes chers collègues, la France fait face à un problème inquiétant et lancinant, qui met à mal notre société et notre justice. Cette problématique de la récidive est similaire pour les personnes en rétention.

À l’heure où nous parlons, un meurtrier ou un pédocriminel condamné ne peut pas être maintenu en rétention après sa peine, sauf dans des conditions extrêmement limitées.

En 2023, plus de 45 000 personnes faisant l’objet d’OQTF ont été placées en CRA. Le taux de retour forcé a atteint péniblement 43,2 %. C’est-à-dire que plus de 25 000 personnes faisant l’objet d’OQTF, et parfois de condamnations pénales, se retrouvent libres sur notre territoire.

Il n’est plus possible de tolérer une telle réalité. Nous ne pouvons plus accepter ces drames évitables, avec ces individus connus pour leur dangerosité qui retrouvent la liberté et qui réitèrent leurs actes. Chaque affaire de récidive est un échec collectif, un signal d’alarme qui nous rappelle que nous devons agir avec fermeté et responsabilité.

Enfin, cette proposition de loi ne remet pas en cause nos principes fondamentaux. En effet, il s’agit non pas de détention arbitraire, mais bien d’une mesure de précaution, ciblée, justifiée et proportionnée à la menace.

Mes chers collègues, il est temps d’agir. En votant la présente proposition de loi, nous adressons un message fort, celui de notre détermination à protéger nos concitoyens, tout en affirmant notre engagement de manière mesurée et responsable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)