M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Madame la sénatrice, vous avez mentionné la question des avoirs immobilisés en Europe de la Banque centrale russe, qui a fait l’objet d’un débat – vous l’avez rappelé – à l’Assemblée nationale la semaine dernière.

Vous connaissez la position de la France sur ce sujet.

Tout d’abord, je rappelle que ces actifs ont été immobilisés au lendemain de la guerre d’agression de la Russie, les intérêts produits par ces actifs, les profits d’aubaine, sont aujourd’hui utilisés pour financer un prêt de 50 milliards d’euros du G7 à l’Ukraine, qui sert à financer à la fois ses besoins macroéconomiques et ses besoins militaires. L’Union européenne couvre 20 milliards d’euros de ce prêt de 50 milliards.

La saisie du principal de ces actifs pose des questions juridiques, mais aussi quant au précédent que cela pourrait représenter pour les investisseurs étrangers en Europe ; la Banque centrale européenne (BCE) nous en a d’ailleurs avertis. Ce n’en est pas moins un des leviers dont nous disposons dans la négociation et le rapport de force avec Moscou.

Je rappelle néanmoins que cette décision doit être collective et consensuelle, car elle exposerait certains de nos partenaires, en particulier la Belgique, dans la mesure où – on a tendance à l’oublier – cet argent est conservé non pas en France, mais dans ce pays. Des questions demeurent donc.

Quoi qu’il en soit, ces actifs demeurent immobilisés et la décision que nous avons prise, tant au niveau du G7 que du Conseil européen, c’est qu’ils devront servir à l’Ukraine ou, en tout cas, qu’ils ne seront dégelés que le jour où la Russie acceptera de payer des réparations, ce qui n’est évidemment pas le cas aujourd’hui. Je le redis, c’est un levier dont nous disposons.

Je dirai à présent un mot du Proche-Orient, que vous avez également évoqué. Vous connaissez l’engagement et la mobilisation de la diplomatie française pour trouver les conditions non seulement d’un cessez-le-feu, mais aussi, bien sûr, d’une relance du dialogue politique qui pourra mener à deux États, israélien et palestinien, à la sécurité des Israéliens, à la souveraineté des Palestiniens et à la libération sans condition de tous les otages. La diplomatie française a été particulièrement mobilisée sur ce dossier.

Elle a également joué, aux côtés de nos partenaires américains, un rôle pilote dans la négociation du cessez-le-feu au Liban. Nous continuons à travailler, là aussi, à la restauration de la pleine souveraineté du Liban et à la relance du dialogue politique au sein de ce pays comme dans la région tout entière.

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie.

M. Marc Laménie. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes à un tournant historique : une guerre se déroule sur notre continent ; notre principal allié semble n’en être plus un ; notre économie est fragilisée. C’est dans ce contexte que se tiendra la réunion du Conseil européen des 20 et 21 mars prochain.

L’ordre du jour de ce prochain sommet porte sur des enjeux majeurs pour l’avenir de l’Europe, qu’il s’agisse de la guerre en Ukraine, de la situation au Proche-Orient, de la compétitivité, du prochain cadre financier pluriannuel, des migrations, de la politique maritime ou les relations extérieures de l’Union.

Plus d’un million de morts et de blessés : voilà le bilan de la guerre en Ukraine, selon le Wall Street Journal ; un million de personnes massacrées, mutilées, sacrifiées sur l’autel de l’impérialisme russe. Alors que les États-Unis de Donald Trump ont fait le choix de se rapprocher de celui qui a provoqué cette guerre, l’Europe doit, plus que jamais, être mobilisée.

Le 6 mars dernier, le Conseil européen s’était réuni pour une session extraordinaire à la suite de la suspension de l’aide américaine à l’Ukraine. À cette occasion, les Vingt-Sept se sont accordés sur des mesures historiques pour la défense européenne.

Cependant, de nombreux points restent en suspens. Sur l’Ukraine, la position commune adoptée le 6 mars renvoie à la « prochaine réunion » du Conseil européen. En effet, la Hongrie de Victor Orban, soutien de Donald Trump, a refusé d’approuver les positions des vingt-six autres États membres en faveur du renforcement du soutien à l’Ukraine. Le groupe Les Indépendants le déplore et fait part de ses vives inquiétudes sur l’attitude de la Hongrie.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous faire un point d’étape sur ce sujet déterminant pour notre sécurité collective et nos valeurs ?

En Syrie, l’histoire semble se répéter. Les tensions communautaires, qui déchirent le Proche-Orient depuis des décennies, ont encore donné lieu à des violences d’une brutalité inouïe. En l’espace de quatre jours, des milliers de civils ont été assassinés et blessés.

Des forces armées islamistes, liées au groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTC), ont massacré des populations chrétiennes et alaouites, la communauté du dictateur Bachar al-Assad. Ces assassinats de masse rappellent les représailles dont ont fait l’objet les sunnites après la chute de Saddam Hussein, puis les chiites lors de l’arrivée de Daech. Ils font craindre le pire pour la Syrie.

Quelle est la réponse de l’Union européenne face à cela ? Aujourd’hui même, l’Union organise à Bruxelles la neuvième conférence internationale de soutien à la Syrie, afin de lever des fonds pour soutenir le peuple syrien. Il y a moins d’un mois, elle avait décidé de suspendre un certain nombre de sanctions prises à l’encontre de la Syrie, tout en réaffirmant sa volonté d’être aux côtés du peuple syrien dans la période de transition qui s’ouvre pour lui.

La Syrie a réussi à se libérer du joug de Bachar al-Assad, mais le combat n’est pas terminé. Aujourd’hui, des Syriens risquent leur vie en raison de leur appartenance religieuse ; je pense notamment aux chrétiens d’Orient. Ne laissons pas se reproduire ce qu’il s’est passé en Irak ! La situation appelle une vigilance absolue, et l’Europe devra être au rendez-vous.

Au-delà de la guerre, c’est notre économie qui est aujourd’hui menacée. Paru en septembre dernier, après celui de M. Letta, le rapport de M. Draghi sur notre compétitivité est sans appel. Pour qualifier la situation de l’économie européenne, Mario Draghi en vient à parler de « lente agonie ». Or qui dit affaiblissement économique dit perte de souveraineté et d’indépendance. C’est pourquoi la compétitivité européenne sera, elle aussi, au cœur des échanges des 20 et 21 mars.

La Commission européenne semble s’être saisie pleinement de cette problématique, en publiant à la fin du mois de janvier dernier une « boussole pour la compétitivité ».

Ce document fixe trois objectifs pour relancer l’économie européenne : combler notre retard d’innovation ; combiner décarbonation et compétitivité ; enfin, réduire les dépendances et renforcer notre sécurité.

Le groupe Les Indépendants salue cette démarche, mais insiste sur la nécessité de prioriser les initiatives visant à simplifier les normes. Cette simplification est vitale pour l’avenir de nos entreprises. Elle est d’ailleurs au cœur des priorités de l’Union, comme le montre le paquet législatif omnibus dévoilé à la fin du mois de février.

Dans un monde de plus en plus instable, face à une concurrence de plus en plus déloyale, ces mesures de simplification s’imposent. Il y va de notre souveraineté. En ce sens, monsieur le ministre, comment envisagez-vous la mise en œuvre de ces mesures à l’échelle nationale ?

Les 20 et 21 mars, le Conseil européen abordera également le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union. Cette question est tout aussi stratégique pour notre souveraineté que la compétitivité. Le 12 février dernier, la Commission a présenté un document exposant les grandes orientations de ce prochain budget.

Pour sa part, le groupe Les Indépendants alerte sur la nécessité d’un budget qui soit à la hauteur des défis qu’il nous faudra relever. Dans ce cadre, monsieur le ministre, quelles sont les positions du Gouvernement sur la mise en place de nouvelles ressources propres ?

Enfin, la question des migrations sera l’un des points clés de la prochaine réunion du Conseil. Là encore, les enjeux sont majeurs.

Le 11 mars dernier, la Commission a dévoilé au Parlement européen le projet de règlement visant à faciliter les départs de migrants en situation irrégulière. En effet, chaque année, près d’un demi-million de migrants illégaux reçoivent l’ordre de quitter l’UE, mais seulement un sur cinq le fait. Comment faire respecter notre politique migratoire si notre droit n’est pas réellement appliqué ? Nous accueillons donc favorablement cette volonté de réforme. Dans ce domaine, monsieur le ministre, quelles sont les perspectives du Gouvernement ?

Pour conclure, j’insiste sur le moment de bascule historique dans lequel nous nous trouvons. Notre seule boussole doit être le renforcement, l’unité et l’efficacité de l’Union européenne. C’est ce que notre groupe attend de la prochaine réunion du Conseil européen. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur Laménie, vous avez évoqué beaucoup de sujets dont l’importance est évidente. Je rebondirai sur plusieurs d’entre eux.

Pour ce qui est de la Hongrie, si nous continuons de maintenir un dialogue exigeant avec ce pays, c’est précisément afin de pouvoir trouver un consensus européen.

Aujourd’hui même, au Conseil des ministres des affaires étrangères, où Jean-Noël Barrot représentait la France, nous avons renouvelé les sanctions – gels d’avoirs et interdictions de visas notamment – contre un certain nombre d’individus liés au régime ou au monde économique russes et, partant, à la guerre d’agression de la Russie contre l’Ukraine. Pour ce faire, nous avons travaillé avec la Hongrie, tout en nous montrant extrêmement vigilants et fermes sur les atteintes à l’État de droit, comme nous l’avons toujours été aux côtés de la Commission européenne.

Vous avez aussi évoqué, à la suite de plusieurs orateurs, la question de la simplification des normes et plus particulièrement les avancées du paquet législatif omnibus ; vous m’interrogez sur leur transposition dans le droit national. De fait, nous en avons déjà transposé certaines, mais le calendrier d’application fait qu’elles ne sont pas entrées en vigueur à ce jour, mais trouveront à s’appliquer dans les prochaines années. Je pense à des mesures de report et de seuil qui préservent notamment certaines catégories de PME de diverses obligations.

Pour ma part, je pense qu’il faut aller plus loin. J’évoquais tout à l’heure l’exemple de la directive sur la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) : il faut réduire le nombre d’obligations de reporting que l’on fait peser sur nos entreprises.

On parle ici d’enjeux européens, mais un autre volet du problème est bien national : il s’agit de la façon dont, en France, nous surtransposons un certain nombre de directives européennes. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé au service des affaires européennes de Matignon de réaliser un audit de tous les textes qui ont été surtransposés depuis une dizaine d’années.

En 2018, un premier texte législatif visait déjà, si vous me pardonnez ce jargon quelque peu technocratique, à procéder à une « désurtransposition » de certains textes de nature diverse, portant notamment sur les questions agricoles et environnementales, qui pesaient souvent sur nos entreprises. Cette fois-ci encore, nous regarderons, texte par texte, où il est possible d’aller plus loin pour simplifier la vie de nos acteurs économiques.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué. Je veux enfin vous répondre très brièvement sur la Syrie. Comme je l’ai mentionné tout à l’heure à la tribune, les levées de sanctions sont évidemment réversibles. La France continuera de tenir un discours très exigeant sur la protection des droits humains, sur la lutte contre le terrorisme, sur le dialogue inclusif et bien sûr, comme vous nous y appelez, sur la protection des chrétiens d’Orient.

M. le président. La parole est à M. Alain Cadec. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Cadec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en l’espace de trois ans, l’environnement stratégique du continent européen s’est radicalement transformé.

D’abord, c’est un tabou que la Russie a brisé, en recourant à la force armée contre un État voisin et en violant ses frontières pour les remodeler.

Désormais, c’est le totem de l’alliance atlantique que le Président américain fait vaciller au travers de son rapprochement avec Vladimir Poutine, de ses critiques envers l’Otan, ou de ses attaques sur le terrain commercial.

Pour nombre de pays européens qui ont assis leur vision du monde, leur prospérité et leur sécurité sur le lien transatlantique, l’émotion est particulièrement vive. Pourtant, la situation exige avant tout une analyse lucide, que ce soit sur l’état de la menace ou sur celui de nos alliances.

En effet, alors que l’armée russe jette toutes ses forces dans la bataille et que ses pertes humaines et matérielles atteignent des niveaux considérables, ses avancées restent modestes. Et si, après trois ans de combats, elle n’a pas réussi à passer le Dniepr, qui pourrait croire qu’elle est en mesure de se porter jusqu’aux rives du Rhin ?

Néanmoins, le passé récent, en Géorgie ou en Ukraine, alimente les craintes de nos amis et alliés d’Europe centrale. Par ailleurs, nous ne pouvons ignorer les risques que la Russie fait peser sur notre pays, que ce soit par ses intimidations nucléaires et balistiques ou par l’agressivité qu’elle manifeste à notre encontre dans tous les champs hybrides.

La menace russe est donc objective. La qualifier d’existentielle, comme l’a fait le Président de la République, est à mon sens tout à fait exagéré, mais il n’en reste pas moins vrai qu’elle s’est renforcée et qu’elle trouve dans le nouveau positionnement américain un contexte favorable à son intensification.

Quant aux États-Unis, ils sont certes devenus un allié imprévisible, mais ils restent tout de même un allié. Ainsi, ni une dénonciation de l’article 5 du traité de l’Atlantique Nord ni un retrait des dizaines de milliers de soldats américains stationnés en Europe ne semblent devoir advenir dans un avenir proche.

Un fait n’en demeure pas moins : le pivot des États-Unis vers l’Asie s’accélère. Et demain, indépendamment de la présidence Trump, l’engagement américain sur notre continent ne sera plus celui d’hier.

Les Européens sont dès lors face à un choix. Il ne s’agit pas de penser notre sécurité collective en dehors de toute alliance ni, encore moins, de se préparer à affronter la Russie sur le terrain ukrainien. Aucune de ces extrémités n’est raisonnable ni même crédible.

Il importe en revanche de prendre acte des transformations de l’ordre international et des bouleversements de notre environnement proche, et d’agir en conséquence, ne serait-ce que pour gagner la considération stratégique qui nous est aujourd’hui refusée.

À court terme, cela signifie que nous ne pouvons abandonner l’Ukraine à son sort. À moyen et long terme, cela impose de mettre enfin sur pied une défense du continent européen qui, pour être dissuasive, devra être à la fois crédible et autonome.

Ne nous payons toutefois pas de mots : les défis à relever pour atteindre ces objectifs sont immenses. Cela prendra nécessairement plus de temps que nous ne le souhaiterions. Surtout, ils impliqueront d’agir selon certains principes.

Je pense tout d’abord au pilotage de nos efforts collectifs. En effet, la remontée en puissance de nos outils militaires ne peut être menée anarchiquement ; elle devra nécessairement être coordonnée dans de nombreux domaines.

Néanmoins, ce processus ne peut servir de paravent à la transformation des compétences dévolues par les traités. L’article 4 du traité sur l’Union européenne est parfaitement clair : « La sécurité nationale reste de la seule responsabilité de chaque État membre. » L’idée d’une armée européenne, à laquelle, heureusement, plus grand monde ne croit, est donc vouée à rester une chimère.

Mais, au-delà, nous devons affirmer que la coopération européenne de défense est par essence intergouvernementale et qu’elle doit le rester. Il n’est ainsi pas acceptable que la Commission européenne cherche, comme elle l’a fait dans le cadre de la proposition de règlement relatif au programme européen pour l’industrie de la défense (Edip), à s’arroger des prérogatives qui, par nature, ne peuvent pas être les siennes. De la sorte, la présidente von der Leyen dépasse à mon sens très largement ses attributions.

En outre, les débats sur ce projet de règlement livrent un autre enseignement : la révolution culturelle qu’implique l’autonomie stratégique européenne n’est pas encore parvenue à son terme.

En effet, si une certaine prise de conscience s’est indéniablement enclenchée, les discussions sur la notion de préférence européenne en matière d’achat de matériels militaires restent particulièrement difficiles, en écho au fait que le réarmement qui a commencé à s’opérer en urgence dans les États membres s’est surtout concrétisé par des achats d’équipements américains.

Or il y a là une contradiction majeure. Comment les Européens peuvent-ils déclarer leur volonté d’assumer leur propre sécurité, voire proclamer leur souveraineté collective, tout en acceptant de rester sous tutelle, en étant armés par un tiers ?

En ce qui nous concerne, la ligne est claire : affirmer l’autonomie stratégique, c’est affirmer que la défense de l’Europe doit être assurée en premier lieu par les armes de l’Europe et que les fonds européens doivent aller aux entreprises européennes.

Enfin j’évoquerai la dimension financière de ces enjeux. En effet, si nos efforts doivent s’amplifier, ils doivent aussi être financés.

La situation budgétaire et financière de notre pays nous interdit, de fait, de recourir pour cela à l’impôt ou à la dette. C’est bien pourquoi l’initiative ReArm Europe présentée récemment par Ursula von der Leyen ne nous sera sans doute pas d’une grande utilité.

En effet, loin de mettre sur la table 800 milliards d’euros d’argent frais, comme la présidente de la Commission aime à le faire penser, ce plan repose principalement sur deux propositions.

D’abord, on exclurait, partiellement, les dépenses de défense des règles du pacte de stabilité et de croissance. Cette mesure, que nous soutenons de longue date, arrive bien tard, hélas ! car le déficit de la France atteint aujourd’hui des sommets, et s’il ne passe pas sous les fourches caudines de la Commission, il passera nécessairement tôt ou tard sous celles des marchés.

Ensuite, le plan prévoit d’octroyer aux États membres des prêts garantis par le budget européen. Mais ceux-ci devront bien être remboursés, tout comme d’éventuels nouveaux Eurobonds qui, en l’absence de nouvelles ressources propres, devraient in fine être financés par les budgets nationaux.

Pas plus pour la défense que pour d’autres secteurs, il n’y aura d’argent magique, et notre effort de défense ne pourra être assumé, pour l’essentiel, que grâce à des économies supplémentaires et à des réformes libérant le potentiel de croissance.

Je me félicite ainsi que la Commission ait fait de la réduction de la charge administrative l’un des éléments clés de sa politique économique pour les cinq années à venir. Après des années passées à surréglementer méthodiquement, elle semble enfin avoir compris que la coupe était pleine pour nos entreprises, asphyxiées sous une avalanche de normes. Et nos industries de défense ne font pas exception, tant s’en faut. Il est donc positif qu’un train de mesures de simplification spécifiques à ce secteur accompagne la présentation cette semaine du livre blanc de la Commission.

J’insiste néanmoins sur la nécessité absolue de revenir sur la conception de certains textes. Je pense en particulier à la taxonomie européenne des investissements durables, qui vient brider les circuits d’investissements et qui, il faut bien le dire, ressemble parfois à une mise à l’index pure et simple des entreprises de défense.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le renforcement national et européen de nos outils militaires est une nécessité que nous reconnaissons sans ambages. Mais loin de l’émotion qui parfois peut nous saisir face au tourbillon des événements, cette tâche considérable exigera que nous nous y attelions avec calme et lucidité, avec détermination et constance – et surtout, monsieur le ministre, avec réalisme. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Bravo !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué chargé de l’Europe.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le sénateur Cadec, merci pour ces différents éléments et pour cet appel au calme, à la détermination et au réalisme, que nous partageons.

Vous avez évoqué la taxonomie qui, en effet, excluait la défense. Comme je l’ai dit tout à l’heure, c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons poussé à la modification du mandat de la Banque européenne d’investissement (BEI). Nous continuerons à œuvrer pour faciliter les investissements dans la défense et à promouvoir une préférence européenne afin de renforcer notre industrie de défense autonome.

Vous avez fait référence à l’alliance avec les États-Unis. Vous avez raison, les Américains restent nos partenaires et nous voulons continuer de travailler avec les États-Unis. C’est d’ailleurs dans cet esprit que, sous l’impulsion du Président de la République, nous cherchons à renforcer la position de négociation des Ukrainiens dans le rapport de force avec la Russie, tout en réalisant des investissements massifs pour relancer notre outil de défense européen.

Parallèlement, nous maintenons un dialogue diplomatique constant avec les États-Unis, car il ne serait pas dans leur intérêt de concéder une victoire à Vladimir Poutine, de forcer une capitulation de l’Ukraine et de créer un précédent vis-à-vis de la Chine ou d’autres puissances qu’ils considèrent aujourd’hui comme prioritaires. Ces deux approches, que nous menons simultanément, ne nous semblent pas contradictoires, et vous avez raison de le souligner.

Enfin, l’outil de défense européen reste, bien entendu, l’apanage des États membres. Il n’y a pas de contradiction entre, d’une part, une vision européenne permettant d’identifier nos dépendances et nos lacunes capacitaires – qu’il s’agisse des frappes en profondeur, de l’artillerie, des munitions, du cyber, des drones ou encore des satellites – et, d’autre part, le fait de dégager des financements, aussi bien à l’échelle européenne qu’auprès des États membres. Mais il est essentiel de rappeler que les États conservent leur souveraineté sur l’usage de la force militaire et qu’il n’est en aucun cas question d’une fédéralisation de l’outil militaire, comme cela peut parfois être avancé dans le débat politique.

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mercredi dernier, les ministres de la défense des cinq plus grandes nations militaires européennes – la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Italie et la Pologne – étaient réunis à Paris. Nos objectifs sont toujours identiques : faire front commun pour instaurer un nouveau cadre de sécurité pour l’Ukraine ; faire front commun avec une nouvelle politique de défense européenne ; faire front commun afin de répondre au rapprochement entre les États-Unis et la Russie ; faire front commun au Parlement.

Prenons le temps de nous rappeler les mots de celui qui, en 2017, entrait à l’Assemblée nationale et regardait avec mépris le drapeau européen présent dans l’hémicycle : « On est obligés de supporter cela… », disait-il ! Rappelons-nous celle qui, en 2022, annonçait un recours devant le Conseil d’État parce que le drapeau européen flottait sous l’Arc de Triomphe, pendant la Présidence française du Conseil de l’Union européenne. C’était une provocation, à ses yeux ! Elle se disait défenseure des productions françaises, mais, dans le même temps, soutenait avec force celui qui envisage aujourd’hui d’imposer des droits de douane de 200 % sur le champagne et les vins français. Rappelons-nous, au-delà des symboles, qu’ils ont systématiquement été contre l’Europe et sa nécessaire souveraineté.

Mais constatons aussi, dans le même temps, que le Président de la République a toujours poussé nos alliés à réfléchir à une défense commune et à investir dans ce sens, pour que nous ne dépendions que de nous-mêmes. À ses côtés se tiennent les membres de sa majorité, mais aussi plusieurs groupes politiques du Sénat.

Emmanuel Macron a toujours défendu une Europe puissante. La volonté du chef de l’État a pu être critiquée, mais la politique s’inscrit dans le temps long, et l’ère géopolitique nouvelle qui s’est ouverte lui donne plus que jamais raison sur ce point.

Certains aimeraient faire croire ici que nous aurions librement à choisir entre le réarmement et la défense de l’environnement, là que nous sommes en train de choisir le péril hypothétique russe plutôt que la lutte contre le terrorisme islamiste. Si nous comprenons aisément la raison politicienne et le ressort démagogique de ces discours, ils n’en restent pas moins faux et sont, en vérité, irresponsables.

C’est bien parce que nous ne voulons, ni ne pouvons ni ne devons choisir que l’Europe unie est la solution, et la seule. Il en sera question lors du prochain Conseil européen, et il en sera question à titre principal – avec, bien entendu, la situation au Proche-Orient.

Dans ce contexte international bouleversé, grave, dangereux, anxiogène que nous connaissons désormais, nous avons ici même, au Sénat, débattu de la guerre en Ukraine à la veille de l’allocution présidentielle. Même si la défense nationale et les affaires internationales relèvent du domaine réservé du chef de l’État, le Parlement français jouera tout son rôle d’interpellation et de proposition, comme nous le faisons aujourd’hui.

Monsieur le ministre, les dirigeants des Vingt-Sept, soutenus par des majorités politiques très différentes, ont donné leur feu vert au plan de la Commission européenne pour nous réarmer contre les menaces expansionnistes et existentielles. La France a été motrice. Ce sont 800 milliards d’euros qui sont prévus, dont 150 milliards d’euros sous forme de prêts, pour renforcer nos capacités de défense.

L’ancien ministre Hubert Védrine l’a souligné dans Le Télégramme, c’est notre épreuve de vérité. Le groupe RDPI tient à saluer l’action constante et l’engagement remarquable, depuis des années, de Sébastien Lecornu, ministre des armées. Celui-ci reconnaît la nécessité d’accroître le niveau d’information des groupes parlementaires. C’est pourquoi il a reçu les présidents de groupe de l’Assemblée nationale et du Sénat, au lendemain de l’adoption par les députés d’une résolution sur le renforcement du soutien à l’Ukraine. Mais il a démontré aussi, jeudi dernier encore, sa volonté d’informer les Français eux-mêmes et de débattre avec eux – une attitude qui doit être saluée.

Monsieur le ministre, alors que nous avons à nous prononcer chaque année sur les crédits de la défense, que nous avons à débattre des projets de loi de programmation militaire, et que l’examen du prochain budget, sur ce point, sera d’une importance cruciale, pourriez-vous nous détailler les positions que la France défendra ces 20 et 21 mars, sur le financement mutualisé et sur les outils prévus par chaque État membre ?

Impliquée moi-même dans les problématiques de commande publique, je souhaite connaître la position de la France en ce qui concerne la préférence européenne dans les achats militaires. Les fonds mobilisés doivent financer l’industrie européenne. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)