M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

M. Pascal Allizard, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la violence de l’agression russe contre l’Ukraine, puis la fermeté, pour ne pas dire la brutalité, du président Trump, ont provoqué un véritable réveil européen. Secoués de la torpeur dans laquelle nous avaient plongés les dividendes de la paix, nous n’avons pas d’autre choix que d’assumer notre propre sécurité.

Comme l’a dit le président Perrin lors du débat que nous avons eu la semaine dernière au Sénat, il nous revient maintenant de « diffuser en Europe notre volonté d’indépendance et de souveraineté ».

Les conclusions du dernier Conseil européen extraordinaire vont dans le bon sens. L’Union européenne semble déterminée à accroître sa préparation globale en matière de défense et à combler ses lacunes. Elle semble aussi vouloir y mettre les moyens.

Qu’y a-t-il toutefois, à ce stade, derrière les mots ?

Le dernier Conseil européen a validé le paquet de mesures exceptionnelles proposées par la présidente de la Commission, qui visent à financer un surcroît de dépenses de défense estimé à 800 milliards d’euros. Le montant est impressionnant. Il correspond exactement aux 5 % du PIB des États membres exigés par le président Trump. D’aucuns feront sans doute remarquer que l’on s’autonomise en obéissant… Cependant, au fond, seul l’objectif compte, à condition toutefois que l’on se donne les moyens de l’atteindre.

Il convient ainsi, tout d’abord, d’être plus précis. Le ministre Barrot a dit que la France se saisira de tous les instruments que la Commission mettra sur la table, tels que la dérogation aux règles budgétaires, les facilités de prêt ou encore l’emploi des fonds de cohésion inutilisés. Nous aimerions toutefois avoir davantage de détails sur les montants en jeu et sur leur emploi.

Ensuite, on ne voit pas encore bien comment garantir que cet effort de défense profitera prioritairement à l’industrie européenne. Le projet de règlement Edip, qui est en cours de discussion, ne représente encore qu’une goutte d’eau dans l’océan des investissements nécessaires et ne prend pas exactement le plus court chemin pour réduire nos dépendances à l’industrie américaine.

La méthode retenue pose d’autres problèmes. La présidente de la Commission invoque, pour accélérer la mise en œuvre des nouveaux instruments, l’article 122 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui permet de contourner les discussions parlementaires, comme cela a été le cas lors de la crise du covid-19. Or il s’agit, en l’espèce, de bâtir des solutions de long terme, dont l’élaboration demande plus que quelques jours de débat dans l’urgence.

Une autre question reste lancinante : s’agit-il d’un plan pour renforcer la défense européenne, ou bien d’un moyen d’accroître le contrôle, par les institutions européennes, de la défense des États européens ? Nous posions déjà cette question l’an dernier dans notre rapport sur le projet de règlement Edip. L’instauration d’un financement européen ad hoc des dépenses de défense aura-t-elle un jour pour corollaires la budgétisation de ces dernières, puis un transfert de compétence ? Ce débat est donc d’abord un débat sur la souveraineté nationale.

Enfin, le Sénat a insisté, en maintes occasions, sur l’importance de renforcer l’influence française dans les institutions européennes. Nous l’avons fait, encore récemment, lors de l’examen de la proposition de loi du président Rapin qui prévoyait notamment la consultation du Parlement sur la nomination des commissaires européens.

L’actualité nous a donné une nouvelle illustration de l’importance de cet enjeu : en réponse à l’instauration de tarifs américains sur l’acier et l’aluminium, qui touchaient relativement peu les exportations françaises, la Commission européenne a relevé les droits de douane sur le whisky américain. Une telle mesure appelait forcément à son tour une riposte américaine sur les vins et spiritueux européens. Celle-ci, cette fois, expose bien davantage l’économie française.

Comment le Gouvernement compte-t-il faire prévaloir nos intérêts nationaux dans ces dossiers, alors que l’influence de la France est en recul sensible à tous les niveaux des institutions européennes, à commencer par celui formé par le collège des commissaires ? (MM. Marc Laménie et M. Thierry Meignen, ainsi que M. le rapporteur général, applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Si vous me le permettez, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, je rebondirai sur votre dernière phrase. Il me semble un petit peu décalé, eu égard à l’actualité, de dire que l’influence de la France recule en Europe !

En effet, on n’a jamais autant parlé, en Europe, de préférence européenne, de défense européenne, de réduction de nos dépendances. On vient d’assister à la tenue d’un Conseil européen extraordinaire, où les États ont brisé un grand nombre de tabous afin, précisément, d’investir dans notre défense.

Vous avez toutefois raison de dire qu’il nous reste encore beaucoup de travail à faire. Je pense que nous aurons l’occasion de reparler de ce sujet au cours du débat.

En ce qui concerne la défense, notre objectif est d’identifier les domaines capacitaires – c’est ce que nous avons fait lors du dernier Conseil européen extraordinaire – dans lesquels l’Union européenne souffre de retards et de dépendances et doit donc investir. Je pense en particulier aux munitions, au cyber, aux drones, aux capacités de frappe en profondeur ou encore, bien sûr, aux satellites et au secteur spatial – chacun a pu constater le rôle joué par Starlink dans la défense de l’Ukraine.

La Commission européenne a fait des propositions que nous soutenons. Le ministre Barrot a eu raison de dire que nous utiliserions tous les leviers à notre disposition pour flécher ces financements vers l’industrie de défense française et les projets que nous défendons. Parmi ces leviers, on peut citer l’instauration de nouvelles facilités d’investissement au niveau des États membres, grâce à l’exclusion de certaines dépenses de défense dans le calcul par la Commission du déficit au titre du pacte de stabilité, le refléchage de certains fonds non utilisés au titre de la politique de cohésion, ou encore le prêt loan to loan.

Ces dispositifs sont intéressants. Il faudra aller plus loin. On pourrait envisager de mobiliser les fonds restants du Mécanisme européen de stabilité, ou encore réfléchir à lancer un nouvel emprunt européen, comme nous avions su le faire pendant la crise du covid-19.

Toutefois, les mécanismes qui ont été annoncés constituent de premières avancées que l’on peut qualifier de décisives et que nous devons saluer. Je reviendrai peut-être tout à l’heure sur la façon dont nous utiliserons ces fonds, mais je n’en dirai pas plus dans l’immédiat, car j’ai épuisé le temps qui m’était imparti pour cette première réponse.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

M. Jean-François Longeot, président de la commission de laménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souhaite aborder deux points relatifs à la préservation des océans, un sujet qui sera à l’ordre du jour de la réunion du Conseil européen des 20 et 21 mars prochain.

Tout d’abord, c’est mon premier point, la Commission européenne s’est engagée à présenter avant la conférence des Nations unies sur l’océan, qui aura lieu à Nice en juin prochain, un pacte européen pour les océans, visant à favoriser la résilience des océans face au changement climatique, à promouvoir une économie bleue compétitive et à développer la connaissance et la recherche relatives aux écosystèmes marins.

Ce pacte pourrait également comporter des mesures législatives afin d’aider les communautés côtières et rurales dépendantes des océans à gérer les impacts du changement climatique et à mettre en œuvre une exploitation durable des ressources. Il s’agit d’un sujet essentiel pour notre chambre, qui représente les territoires.

Afin de préparer ce pacte, la Commission européenne a sollicité l’avis des parties intéressées en début d’année. La France, qui possède le deuxième domaine maritime au monde, se doit d’être aux avant-postes des négociations européennes sur les politiques maritimes et littorales. Aussi, monsieur le ministre, comment envisagez-vous le rôle de la France dans l’élaboration du pacte européen pour les océans, et quelles priorités allez-vous mettre en avant ?

La France bénéficie d’un espace maritime de près de 11 millions de kilomètres carrés, répartis entre quatre océans, et dont 97 % se situent en outre-mer. Les territoires ultramarins sont donc stratégiques, et je dirais même incontournables, dans la protection et la mise en valeur du patrimoine marin de notre pays. Ils sont également en première ligne face aux phénomènes climatiques extrêmes, comme l’actualité récente l’a encore démontré de manière dramatique. Ils sont aussi très exposés à la criminalité en mer : la pêche illicite, la piraterie ou encore le narcotrafic.

Monsieur le ministre, de quelle manière la France met-elle en avant les enjeux et les besoins spécifiques des outre-mer dans la conception du pacte européen pour les océans ? Quels instruments pourrions-nous promouvoir pour permettre à ces territoires de jouer un rôle actif dans la mise en œuvre de ce futur outil ?

J’en arrive à mon second point : alors que la haute mer représente plus de 60 % de la surface des océans et qu’elle abrite des ressources inestimables pour l’humanité sur les plans scientifique, environnemental et économique, il a fallu attendre le 19 juin 2023 pour que soit signé le premier traité international visant à protéger la biodiversité marine de ces zones qui ne relèvent d’aucune juridiction nationale.

Cet accord historique a été signé par 111 États depuis le mois de septembre 2023, ce qui traduit, je m’en réjouis, une réelle volonté politique de la communauté internationale de poser les bases d’une conservation et d’une utilisation durables des écosystèmes marins, lesquels subissent, comme chacun le sait, une pression anthropique croissante. Ce traité vise notamment à mettre en œuvre le troisième objectif adopté lors de la 15e conférence des parties à la convention sur la diversité biologique (COP15) de 2022, qui prévoit la protection d’ici à 2030 d’au moins 30 % des mers et des océans.

Pour que le traité entre en vigueur, il doit être ratifié par au moins soixante États signataires. C’est chose faite pour la France, grâce à l’adoption par le Parlement, à l’unanimité, du projet de loi autorisant cette ratification, en novembre 2024.

Toutefois, alors que notre pays s’était mobilisé afin de faire en sorte que le traité puisse entrer en vigueur avant la conférence des Nations unies sur l’océan de Nice en juin prochain, nous sommes malheureusement loin du compte : seuls vingt États sur les soixante requis ont procédé à la ratification.

Monsieur le ministre, il est désormais certain que l’échéance de juin 2025 ne sera pas tenue : comment expliquer le retard pris ? Quels leviers la France et l’Union européenne pourraient-elles actionner pour accélérer le processus de ratification auprès des pays européens et des pays tiers ? (Mme Catherine Morin-Desailly et M. Marc Laménie applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le président Longeot, je voudrais, tout d’abord, vous rappeler que la France s’est engagée à mobiliser tous ses moyens diplomatiques pour obtenir la ratification du traité. Nous avons d’ailleurs évoqué ce sujet lors de plusieurs échanges diplomatiques cette semaine.

La présentation du pacte européen pour les océans constituera l’un des moments principaux du sommet qui se tiendra en juin à Nice. Nous attendons de la Commission européenne qu’elle affiche une ambition forte en la matière. Ce pacte constituera une feuille de route, pour que les pays européens mettent en œuvre une approche concertée et intégrée au cours de la prochaine décennie.

La France dispose, en effet, comme vous l’avez dit, de beaucoup d’atouts. Elle possède ainsi la première zone économique exclusive au monde, grâce notamment à ses régions ultrapériphériques.

Ce pacte doit être ambitieux, aligné avec les autres cadres mondiaux et régionaux. Il doit servir de modèle en matière de préservation de l’océan, pour promouvoir une approche globale, comprenant les enjeux liés à la biodiversité, à l’économie bleue, à la lutte contre le changement climatique, à la dépollution et à la résilience. Il contribuera à accélérer nos efforts en vue de parvenir à la neutralité carbone en 2050. Ce pacte sera donc complémentaire du Pacte vert, qui avait été adopté lors de la mandature précédente.

Nous devons nous engager à faire en sorte que l’océan soit sûr et sécurisé. Il s’agit d’assurer la préservation des écosystèmes et la sauvegarde des intérêts stratégiques et sécuritaires européens, en nous appuyant sur le développement d’un programme de recherche et d’innovation ambitieux, ainsi que sur un soutien financier renforcé. Nous attendons les propositions et les annonces de la Commission européenne sur ce point.

Comme vous l’avez souligné, et je vous en remercie, ce pacte devra permettre de valoriser les régions ultrapériphériques et les pays et les territoires d’outre-mer, qui constituent des atouts pour l’Union européenne et les États membres. Cela constitue – je l’ai indiqué tout à l’heure –, l’une de nos priorités, tant en ce qui concerne le contenu des politiques de cohésion – c’est l’un des objets de la réflexion sur le prochain CFP – ou la valorisation des fonds européens sur le territoire français – vous savez à quel point la question des régions ultrapériphériques est centrale à cet égard.

Ce pacte constituera donc un vecteur pour défendre nos idées, nos convictions et nos intérêts au niveau européen. Nous aurons l’occasion de reparler de ce sujet d’ici au mois de juin. Nous attendons que la Commission européenne affiche une ambition forte en la matière à Nice.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que la menace ne faiblit pas sur le front ukrainien et que l’allié américain vacille, il appartient à l’Union européenne d’être ferme, de s’opposer à l’agression russe et de permettre à ses États membres d’assurer la sécurité sur le continent.

En tant que rapporteur général de la commission des finances du Sénat, ma responsabilité est aussi de veiller à ce que cet effort soit soutenable pour la France.

La prochaine réunion du Conseil européen permettra d’avancer sur ce point et de préciser les annonces qui se sont succédé ces dernières semaines sur la constitution et le financement d’une Europe de la défense.

La Commission européenne a proposé différentes mesures dans son plan Réarmer l’Europe, dont le principe a été validé lors du Conseil européen extraordinaire du 6 mars dernier.

Je retiens, à ce stade, deux mesures en particulier.

La Commission européenne a d’abord fait part de son intention d’activer la clause de sauvegarde prévue dans le pacte de stabilité et de croissance. Cela lui permettrait d’exclure, dans son calcul du déficit public, les dépenses engagées par les États membres en matière de défense, jusqu’à 1,5 % de leur PIB.

Si je salue la latitude accordée par les institutions européennes aux États membres, afin d’apporter une réponse à la hauteur des enjeux, je me dois de rappeler ici une évidence : une telle disposition ne desserre en rien la contrainte financière qui pèse sur notre pays. Les économies que nous avons proposées sur nos travées et les efforts budgétaires auxquels nous avons consenti dans cet hémicycle visent non pas à apaiser un arbitre bruxellois, mais à préserver les finances de notre pays, dans un souci de crédibilité vis-à-vis de nos créanciers et par devoir envers les générations futures.

Chaque euro dépensé doit être remboursé. C’est non pas la règle des 3 %, mais la charge de la dette qui pèse sur la France et les Français, et cela demeurera.

Monsieur le ministre, comment comptez-vous concilier une hausse de notre effort militaire avec la nécessaire maîtrise du déficit et de la dette de notre pays ?

J’en viens à la seconde proposition forte de la Commission européenne, à savoir un nouvel instrument visant à accorder 150 milliards d’euros de prêts aux États membres pour des investissements dans le domaine de la défense. D’après les dernières informations, les emprunts se feraient sur une base volontaire et nécessiteraient que les États se mettent au moins à deux pour investir dans les domaines où les besoins sont les plus urgents : défense aérienne, drones, artillerie, munitions, etc.

Pouvez-vous m’indiquer la position que vous défendrez dans la définition des contours de ce nouvel instrument ? Si ces emprunts sont bien accordés sur une base volontaire et dans les conditions que je viens d’exposer, la France souhaite-t-elle recourir à ce dispositif et, si oui, à quelle hauteur et pour quelles dépenses ?

Si les contours de cet instrument doivent être discutés lors du prochain Conseil, il apparaît à ce stade non pas comme un nouvel emprunt commun au niveau de l’Union européenne, sur le modèle de ce qui avait été fait pour le plan de relance, mais plus comme une façon pour les États membres de lever une dette supplémentaire en passant par la Commission européenne.

Quel est l’intérêt d’un tel dispositif pour la France ? S’agit-il d’un simple tour de passe-passe comptable ? N’y a-t-il pas un risque pour notre pays de supporter des conditions financières moins avantageuses avec ces nouveaux emprunts ?

Je ne doute pas que vous allez nous rassurer et je vous en remercie par avance.

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le rapporteur général, je l’ai dit tout à l’heure, la Commission européenne a fait un pas important en proposant ces nouvelles facilités, ainsi que ce prêt loan to loan de 150 milliards d’euros. Cependant, nous lui avons demandé d’aller plus loin avec d’autres dispositifs.

Au niveau national, le Président de la République et le Premier ministre l’ont dit dans des termes clairs, nous devrons faire des choix budgétaires pour donner la priorité au réarmement.

Nous n’avons pas attendu les derniers événements pour agir en la matière. Je rappelle que le budget de la défense a d’ores et déjà doublé sous les deux mandats d’Emmanuel Macron. La loi de programmation militaire 2024-2030 que le Parlement a votée est d’ailleurs très ambitieuse, mais il faudra probablement encore accélérer ces efforts pour réduire nos dépendances.

La position que nous défendrons sera très claire et elle n’a jamais bougé : il s’agit de la préférence européenne. En d’autres termes, c’est l’idée que les financements européens doivent aller de façon absolument prioritaire au développement d’une industrie de défense européenne, d’abord pour donner de la visibilité à nos industriels, afin qu’ils puissent augmenter leurs capacités, ensuite pour garder notre savoir-faire technologique ainsi que le contrôle de l’usage de nos matériels. Vous avez tous pu suivre les débats qui ont eu lieu chez nos voisins sur la possibilité offerte à d’autres puissances, notamment les Américains, de contrôler l’usage à distance de certains armements, comme les avions F-35.

C’est tout l’enjeu, d’ailleurs, de la discussion en cours sur Edip, le programme européen pour l’industrie de la défense, d’un montant de 15,5 milliards d’euros, qui constituera un précédent en ce qui concerne la façon dont les financements peuvent être fléchés et l’articulation entre préférence européenne et possibilité d’acheter en dehors du marché européen.

Voilà le message que la France portera lors des négociations. Nous aurons, je pense, recours à ces instruments, mais nous proposerons à nos partenaires d’aller plus loin dans la mise à disposition d’instruments de financement européens dans les prochains mois.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Marc Laménie applaudit également.)

M. Jean-François Rapin, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais m’efforcer de faire une synthèse de tout ce qui s’est dit.

Ce Conseil européen est traditionnellement axé sur les enjeux économiques. Celui des 20 et 21 mars s’inscrit dans ce schéma, la compétitivité étant au cœur du programme, ainsi que l’a écrit le président du Conseil européen.

Cette réunion est importante, puisqu’elle permettra aux chefs d’État et de gouvernement d’évoquer les initiatives que la Commission européenne commence à déployer au travers de certaines communications stratégiques, comme la boussole de compétitivité, ou de paquets de simplification dits omnibus.

Ces orientations visant à simplifier, à alléger le fardeau réglementaire, à mieux prendre en compte les réalités économiques et les besoins des territoires sont une nécessité, comme le Sénat l’a souligné à de nombreuses reprises. Je pense notamment à la prise en compte des réalités des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire, mais aussi de nos outre-mer, dont les atouts et les contraintes sont insuffisamment pris en compte.

Nous accueillons favorablement la nouvelle philosophie, plus pragmatique, esquissée par la Commission européenne et je veux saluer les premières annonces de simplification qu’elle a faites en matière de durabilité ou de mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, ainsi que pour les outre-mer. Je fais ici référence à la proposition de résolution européenne que la commission des affaires européennes du Sénat a récemment votée sur l’intégration régionale des régions ultrapériphériques.

Nous irons défendre nos positions à Bruxelles pour que la Commission fasse preuve de plus d’audace, le contexte international dans lequel nous évoluons ayant fondamentalement changé. Les rapports des anciens premiers ministres italiens, Enrico Letta et Mario Draghi, que vous avez rappelés, monsieur le ministre, ont souligné les défis à relever. Or nous avons pu mesurer, lors d’une récente conférence interparlementaire à Bruxelles, que faire bouger les lignes n’allait pas de soi et que les paroles étaient diverses au sein des États membres.

Ce Conseil européen apparaît aussi comme une réunion de transition, d’abord sur la question du financement de l’industrie de défense, après la réunion extraordinaire du Conseil européen du 6 mars. À mes yeux, la réponse ne pourra pas seulement provenir des fonds publics : nous devons pousser les feux sur la mise en place de l’Union pour l’épargne et l’investissement, mais aussi faire en sorte que la Banque européenne d’investissement joue un réel rôle de soutien du secteur de la défense. Nous en avons parlé ensemble la semaine dernière, monsieur le ministre.

Je crains par ailleurs que notre pays, compte tenu de sa situation budgétaire, ne soit pas en mesure de bénéficier massivement des assouplissements envisagés du pacte de stabilité et de croissance. Je m’interroge également, comme le rapporteur général Jean-François Husson, sur l’intérêt qu’il pourrait trouver à solliciter l’enveloppe de prêts envisagée par la Commission, à hauteur de 150 milliards d’euros.

Cette réunion est également une réunion de transition dans le cadre de la préparation du prochain cadre financier pluriannuel. L’Union européenne fait face à des besoins croissants et nous refusons de remettre en cause les politiques traditionnelles, comme la politique de cohésion et la politique agricole commune. Aucune porte de sortie n’ayant pour l’instant été trouvée dans le dossier des ressources propres, l’équation actuelle est intenable et il faut trouver une solution.

La présidente de la Commission européenne déclarait la semaine dernière que le temps des illusions était révolu. Il est temps, en effet, de repenser réellement un certain nombre de politiques européennes, sans toutefois que cela soit synonyme de dessaisissement des États membres, comme l’a clairement souligné Pascal Allizard.

Pour le dire clairement, la Commission européenne doit agir avec plus de fermeté dans des domaines où elle est réellement compétente. Je pense à la réponse à la hausse des tarifs douaniers décidée par le président des États-Unis, à la lutte contre la concurrence déloyale dans les relations commerciales ou à la mise en œuvre des règlements européens, que les grandes plateformes du numérique doivent respecter.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer que la France adoptera une ligne de fermeté sur ces sujets ? (Mmes Solanges Nadille et Sophie Briante Guillemont, ainsi que M. Laurent Somon applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le président Rapin, vous avez soulevé plusieurs points essentiels.

Je l’ai dit précédemment à la tribune, nous devons absolument dégager un consensus sur les ressources propres de l’Union européenne en parallèle de nos discussions sur le prochain cadre financier pluriannuel. C’est une condition sine qua non.

Vous avez également mentionné, ce que j’aurais dû faire, le rôle de la Banque européenne d’investissement. Nous avons fait modifier son mandat pour qu’elle puisse investir, notamment, dans la défense. Il lui revient maintenant de s’emparer de ces nouveaux pouvoirs. Cela fait partie des demandes que nous avons fait valoir auprès des institutions européennes.

Quand on parle d’investissements dans la défense, la tech, l’intelligence officielle, le quantique ou encore la décarbonation de notre continent, on pense bien sûr aux ressources publiques, qu’il s’agisse des facilités données aux États membres ou des ressources propres de l’Union européenne au titre du cadre financier pluriannuel, mais il ne faut pas oublier la libération des capitaux privés.

Vous évoquiez le financement de nos entreprises : faisons en sorte que le marché unique soit véritablement une opportunité pour nos PME, nos entrepreneurs, nos innovateurs.

À cet égard, nous devons avoir deux priorités.

La première est l’unification des marchés de capitaux, autrement dit l’approfondissement du marché unique. Trop souvent, quand nos chefs d’entreprise parlent de s’installer au Portugal, en Allemagne, en Italie ou en Pologne, ils regrettent de devoir presque tout recommencer à zéro, tant les différences en matière de cadre fiscal, assurantiel et de régulation sont importantes. L’agenda Letta-Draghi, avec le projet du « 28e régime » et l’harmonisation des régimes de régulation, doit permettre de faire du marché européen une véritable opportunité de développement à l’exportation pour nos entreprises.

La seconde priorité est la simplification. Le paquet omnibus présenté par la Commission va dans le bon sens, avec un assouplissement des directives CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et CS3D (Corporate Sustainability Due Diligence Directive), notamment au travers du relèvement d’un certain nombre de seuils, qui exonère de fait certaines PME de charges administratives prévues par ces textes.

Il faudra aller plus loin dans le trilogue pour continuer à simplifier ces instruments, voire reprendre un certain nombre de textes européens qui imposent des contraintes excessives à nos entreprises dans la concurrence internationale.