M. le président. La parole est à M. Hervé Reynaud, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-François Longeot applaudit également.)

M. Hervé Reynaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de saluer le président Longeot, qui a su faire vivre le débat sur ce texte au sein de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

En commission mixte paritaire, le jeudi 6 mars dernier, députés et sénateurs se sont donc entendus sur un texte commun pour améliorer la sécurité dans les transports. Nous pouvons nous en réjouir et nous réjouir également qu’un certain nombre de clivages aient été dépassés à cette occasion.

Comme je l’ai évoqué dans mon intervention en discussion générale lors de l’examen en séance publique le 13 février 2024, cette proposition de loi répond – j’en suis convaincu – à une demande forte de nos concitoyens, mais aussi de nos opérateurs de transport et de ceux qui y travaillent au quotidien, dans des conditions que nous savons parfois difficiles et violentes.

Quelque 2 407 victimes de violences sexistes et sexuelles ont ainsi été comptabilisées en 2023, dont 62 % en Île-de-France.

Parallèlement, ainsi que le relève la SNCF sur son réseau, on observe une croissance exponentielle du nombre d’objets dangereux, 1 342 personnes ayant été signalées pour port et transport illégal d’armes.

Le texte issu de la commission mixte paritaire contient de multiples mesures, souvent issues des travaux du Sénat, qui sont très attendues des professionnels. Il est en effet nécessaire d’adapter nos moyens juridiques de répression aux évolutions des modes opératoires, souvent violents, des contrevenants.

Le texte institue tout d’abord un droit de poursuite au bénéfice des agents de sûreté de la SNCF et de la RATP lorsqu’un contrevenant se rend sur la voie publique après avoir commis une infraction à l’intérieur d’une emprise ou d’un véhicule.

Il pérennise par ailleurs l’expérimentation, qui a pris fin le 1er octobre dernier, prévoyant le port de caméras-piétons pour les contrôleurs et pour l’ensemble des agents des services internes de sécurité.

Il s’agit de pérenniser « un moyen plébiscité par les agents pour diminuer les tensions en cas d’agression », a fait valoir le ministre chargé des transports Philippe Tabarot, qui – preuve de sa ténacité sur le sujet (M. le ministre délégué sourit.) – s’est rendu sur le terrain pour constater les problèmes.

L’usage des caméras-piétons est permis à titre expérimental pour les conducteurs de bus, et la proposition de loi autorise, à titre expérimental également, les conducteurs d’autobus et d’autocars à déclencher, en cas de danger, un système de captation sonore auquel pourrait accéder en temps réel le poste de contrôle et de commandement.

Conformément aux souhaits du Sénat, le texte élargit par ailleurs les prérogatives des forces de sécurité dans les transports – sûreté ferroviaire pour la SNCF, GPSR pour la RATP –, qui pourront procéder à des palpations sans avoir besoin du feu vert du préfet lorsqu’il existe des éléments objectifs laissant penser qu’une personne pourrait détenir des objets susceptibles de présenter un risque pour la sécurité des voyageurs. Ils pourront en outre intervenir aux abords des gares et saisir des objets considérés comme potentiellement dangereux.

La proposition de loi crée une nouvelle interdiction d’entrée en gare, qui vise les personnes dont le comportement au seuil d’une emprise trouble l’ordre public et pourrait compromettre la sécurité des personnes ou la régularité des circulations, ainsi que celles qui refusent une inspection visuelle, la fouille de bagages ou des palpations de sécurité. Ces avancées sont majeures.

Le texte impose également à l’ensemble des entreprises ferroviaires de mettre en place un numéro d’appel unique pour permettre aux voyageurs de signaler rapidement des situations qui présentent un risque pour leur sécurité ou celle des autres voyageurs.

Une disposition proroge l’expérimentation, qui devait s’achever en mars, d’un dispositif de vidéosurveillance algorithmique lors de grands rassemblements, testé notamment lors des jeux Olympiques de Paris. Cet algorithme analyse les images de vidéosurveillance afin de repérer des comportements suspects.

Nous devons garder une chose en tête : la plus grande des restrictions de libertés, c’est lorsque nos concitoyens renoncent à utiliser les transports en commun à certaines plages horaires ou sur certaines lignes. À nous de leur faire aimer les transports en commun !

En définitive, ainsi que l’avait résumé Jean-Pierre Farandou lors de son audition au Sénat, cette proposition de loi contribue à apporter un « supplément d’efficacité dans l’action ».

C’est la raison pour laquelle le groupe Les Républicains votera le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Marc Laménie et Jean-François Longeot applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Solanges Nadille, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.

Mme Solanges Nadille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, réunis en commission mixte paritaire il y a dix jours, les parlementaires sont parvenus à un accord pour renforcer la sûreté dans les transports.

Un chiffre glaçant publié récemment nous rappelle la nécessité d’agir : en 2024, nos services de police et de gendarmerie ont enregistré près de 3 400 victimes de violences sexuelles dans les transports en commun, soit 6 % de plus qu’en 2023.

C’est contre ces comportements inadmissibles, en hausse sensible depuis dix ans, que M. Tabarot entend lutter au travers de sa proposition de loi. Nous partageons pleinement sa volonté.

Sans suspense, mon groupe votera unanimement en faveur des conclusions qui nous sont présentées aujourd’hui, plus d’un an après l’adoption du texte en première lecture au Sénat. Ralentie, malgré le déclenchement de la procédure accélérée, par le contexte politique, la navette parlementaire arrive désormais à son terme.

Après que les députés ont amendé la version qui leur a été transmise, de nombreux points d’accord ont pu être trouvés le 6 mars dernier, afin de répondre à ce besoin impérieux : pouvoir circuler plus librement et plus sûrement dans les lieux de transport public.

En cas d’adoption définitive – ce dont je ne doute pas –, il sera possible, pour les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, de procéder à des palpations de sécurité sans autorisation préalable du préfet, dans certaines situations objectivement à risque.

Les agents de la Suge et du GPSR auront la possibilité de confisquer des objets lorsque ces derniers seront considérés comme dangereux pour les voyageurs, des précisions réglementaires devant être apportées ultérieurement.

Ils pourront en outre constater le délit de vente à la sauvette aux abords des gares et stations, sans toutefois être habilités, ainsi que l’envisageaient les députés, à percevoir le montant des transactions.

Concernant l’article 2 et l’intervention de ces agents sur la voie publique, un compromis a, là encore, été trouvé.

Alors que la possibilité de doter les agents du service interne de sécurité de la SNCF de pistolets à impulsion électrique a été conservée, la commission mixte paritaire a écarté l’alignement des règles d’usage des armes des agents de la Suge et du GPSR sur celles des policiers et des gendarmes, tout en leur permettant de bénéficier du cadre relatif à la « légitime défense élargie » et au « périple meurtrier ».

Une disposition intéressera particulièrement nos collectivités : l’exploitant du service de transport public pourra conclure une convention avec une ou plusieurs communes, avec un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), ainsi qu’avec l’autorité organisatrice de la mobilité (AOM) pour déterminer les conditions dans lesquelles les agents de la police municipale ou les gardes champêtres pourront accéder aux espaces de transport.

En matière de surveillance, plusieurs expérimentations relatives au port de caméras individuelles par les agents assermentés des opérateurs ou au port d’une caméra-piéton par les conducteurs de bus sont prorogées.

De nouvelles expérimentations sont par ailleurs introduites. Ainsi, pendant trois ans, les opérateurs de transport scolaire à Mayotte pourront filmer la voie publique au moyen de caméras frontales et latérales embarquées, de même que les opérateurs de transports guidés urbains seront autorisés à installer des caméras frontales embarquées sur les matériels roulants.

Pour deux ans, la captation et la transmission du son dans les bus et les cars à des fins de sécurité des conducteurs sont rendues possibles dans certaines conditions.

Quant à l’expérimentation de traitements algorithmiques sur les images de vidéosurveillance dans le cadre de manifestations sportives, récréatives ou culturelles, elle sera encore possible jusqu’au 1er mars 2027.

À l’inverse, l’article 9, qui encadrait l’utilisation à titre expérimental de traitements algorithmiques sur des images issues des caméras de la SNCF et de la RATP en temps différé, a été supprimé.

Au volet des sanctions, si la commission mixte paritaire a entériné une peine complémentaire d’interdiction de paraître dans les transports, le dispositif de sanction à trois niveaux dans la lutte contre les objets délaissés a été repris, de même que la mise à disposition d’un dispositif anonymisé d’étiquetage des bagages. Il sera nécessaire d’en faire une publicité large à destination des voyageurs.

Le délit de transport surfing, prévu par la proposition de loi, pourra quant à lui être sanctionné de 3 750 euros d’amende.

Enfin, mon groupe se félicite que l’exploitant d’un réseau de transport public puisse bientôt déposer plainte pour le compte de ses agents victimes d’atteinte volontaire à leur intégrité physique ou psychique, de menaces, d’actes d’intimidation ou d’outrage, et que toute personne définitivement condamnée pour des infractions violentes ou sexuelles, ou pour une infraction à caractère terroriste, soit interdite d’exercer comme conducteur ou d’intervenir dans les bus ou les cars. (MM. Marc Laménie et Jean-François Longeot applaudissent.)

M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.

J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.

(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 230 :

Nombre de votants 341
Nombre de suffrages exprimés 276
Pour l’adoption 242
Contre 34

Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – Mme Solanges Nadille et M. Marc Laménie applaudissent également.)

Article 20 (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports
 

3

Mise au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Laurent Somon.

M. Laurent Somon. Monsieur le président, lors des scrutins publics nos 220, 225 et 226, ma collègue Catherine Belrhiti souhaitait voter contre.

M. le président. Acte est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures.)

M. le président. La séance est reprise.

4

Débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 mars 2025

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 20 et 21 mars 2025, organisé à la demande de la commission des affaires européennes.

Je vous rappelle que, dans ce débat, le Gouvernement aura la faculté, s’il le juge nécessaire, de prendre la parole immédiatement après chaque orateur pour une durée de deux minutes ; l’orateur disposera alors à son tour du droit de répartie, pour une minute.

Monsieur le ministre délégué, vous pourrez donc, si vous le souhaitez, répondre après chaque orateur, une fois que celui-ci aura retrouvé une place dans l’hémicycle.

Dans le débat, la parole est à M. le ministre délégué. (Applaudissements au banc des commissions. – Mmes Solanges Nadille et Catherine Morin-Desailly applaudissent également.)

M. Benjamin Haddad, ministre délégué auprès du ministre de lEurope et des affaires étrangères, chargé de lEurope. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission des affaires étrangères, monsieur le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux d’être parmi vous aujourd’hui pour évoquer le Conseil européen qui se tiendra jeudi et vendredi prochains à Bruxelles.

L’Ukraine sera évidemment, de nouveau, au centre des discussions. L’unité des Européens sur ce dossier est absolument essentielle, et ce Conseil constituera une nouvelle occasion de la réaffirmer. C’était le sens de la séquence qu’a lancée le Président de la République en février dernier. Celle-ci s’est poursuivie à Londres, et a nous a permis d’affirmer, lors du sommet européen extraordinaire, notre approche commune pour parvenir à une paix juste et durable en Ukraine.

Nous devons désormais rester plus unis et mobilisés que jamais, en ce moment décisif où les États-Unis souhaitent accélérer les négociations de paix et où Moscou accentue sa pression militaire sur les troupes de Kiev dans la région de Koursk.

Sur le fond, nous sommes d’accord sur cinq points fondamentaux. Aucune négociation sur l’Ukraine ne doit avoir lieu sans l’Ukraine. Aucune négociation sur la sécurité européenne ne doit être menée sans les Européens. Toute trêve ou tout cessez-le-feu doit avoir lieu dans le cadre du processus menant à un accord de paix global. Tout accord de paix doit s’accompagner de garanties de sécurité robustes et crédibles pour l’Ukraine. Enfin, la paix ne peut aboutir à compromettre l’indépendance, la souveraineté et l’intégrité territoriale de l’Ukraine.

Sur le plan de la méthode, notre action en faveur des Ukrainiens doit être guidée par deux principes essentiels : l’unité et la proactivité.

Nous devons travailler, avec les Européens, à des garanties de sécurité robustes et crédibles.

Sur ce point, le Président de la République a, encore une fois, donné l’impulsion, en invitant la semaine dernière tous les chefs d’état-major des armées de nos partenaires à Paris, pour étudier l’ensemble des options envisageables.

Cela suppose également de maintenir un soutien solide à l’Ukraine, en accélérant notamment le déboursement de notre prêt et en veillant à ce qu’il profite en priorité aux industriels européens. Nous continuerons à avancer sur ces deux volets jeudi et vendredi, avec nos partenaires européens.

La perspective d’un désengagement durable des États-Unis de la sécurité du continent doit nous conduire à réagir, en construisant une Union européenne plus indépendante pour sa défense. L’augmentation de nos capacités de défense constitue une priorité absolue pour assurer notre sécurité et nous permettre de peser de manière crédible dans les discussions à venir.

En matière de défense européenne, il faut aller plus vite et plus fort, opérer un véritable changement d’échelle. La France le dit depuis huit ans déjà. Après le déclenchement de la guerre d’agression russe en Ukraine et l’adoption de l’agenda de Versailles durant la présidence française, après le diagnostic établi par le rapport Draghi, après les prises de position de la nouvelle administration américaine et les questions qu’elles soulèvent quant à l’avenir de la relation transatlantique et de la garantie de sécurité américaine, nous assistons actuellement à une véritable révolution des mentalités chez nos amis européens, notamment en Allemagne.

Ce changement d’échelle, nous l’avons acté le 6 mars dernier. Nous nous sommes mis d’accord, pour la première fois, sur une liste de domaines prioritaires dans lesquels nous devons investir ensemble, en tant qu’Européens, et sur des options de financement à explorer, à partir notamment des propositions de la présidente de la Commission, dans le cadre du plan ReArm Europe.

Il faut aller maintenant le plus vite possible dans la mise en œuvre. Nous attendons les premières propositions de la Commission, qui auront lieu dès mercredi, lors de la publication d’un livre blanc sur la défense et d’un paquet législatif qui concrétisera les options de financement.

Les discussions sur la proposition de règlement relatif à l’établissement du programme pour l’industrie européenne de la défense et d’un cadre de mesures visant à assurer la disponibilité et la fourniture en temps utile des produits de défense, dit règlement Edip, qui doit permettre de renforcer notre base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), s’accélèrent aussi.

En ce qui concerne le financement, il faut donner un caractère opérationnel aux premières pistes identifiées par la Commission et continuer à étudier toutes les options innovantes, sans a priori ni tabou.

L’important est de nous assurer que cet effort supplémentaire de financement des projets industriels soit véritablement européen et qu’il bénéficie à la BITDE.

La semaine dernière, au Parlement européen, j’ai pu constater avec satisfaction que la notion de « préférence européenne », que nous défendons depuis longtemps, s’impose de plus en plus largement, sous l’effet bien sûr de la pression des événements et du discours de l’administration américaine.

Une Europe forte et indépendante est aussi une Europe prospère, capable d’innover et d’assurer sa production dans les domaines les plus stratégiques. Nous aurons ainsi, lors du Conseil européen, un nouvel échange sur la compétitivité.

Discours de la Sorbonne, agenda franco-allemand de Meseberg, rapports Letta et Draghi, agenda stratégique européen, déclarations de Versailles, Grenade et Budapest : nous n’avons eu de cesse d’appeler à un sursaut européen. La boussole pour la compétitivité et le pacte pour une industrie verte, récemment présenté par la Commission, témoignent que notre ambition en la matière est partagée par les institutions européennes. Il faut désormais que les propositions se concrétisent et qu’elles produisent leurs effets rapidement.

Nous accélérons aussi la mise en œuvre de l’agenda de simplification, cruciale pour libérer le potentiel de nos économies. L’enjeu est de trouver le bon équilibre entre la décarbonation de nos économies, une ambition qui figure dans le Pacte vert, et la compétitivité, pour répondre aux préoccupations de nos entreprises, de nos PME et de nos agriculteurs.

Les textes qui viennent d’être présentés par la Commission constituent un bon premier pas, notamment en direction de nos PME. Celles-ci devraient voir leurs charges administratives allégées. Nous pensons toutefois que cette démarche doit aller plus loin, notamment pour simplifier la vie de nos agriculteurs, comme le Président de la République le réaffirmera lors du Conseil.

Néanmoins, comme vous le savez, il ne suffit pas de définir un agenda industriel ambitieux : sa mise en œuvre peut, à tout moment, être compromise par des menaces ou des actions unilatérales, susceptibles d’exercer des effets préjudiciables graves sur nos économies et nos entreprises.

Nous devons donc assurer notre sécurité économique et, dans un monde de plus en plus fragmenté, nous défendre collectivement à la fois contre la concurrence déloyale, les surcapacités et les décisions tarifaires hostiles.

Il convient ainsi, comme nous venons de le faire en ce qui concerne la hausse des droits de douane américains sur l’acier et l’aluminium, que nous continuions à anticiper et à travailler ensemble, et à nous tenir prêts à agir, sous l’impulsion de la Commission – car tel est son rôle –, de manière unie, ferme, proportionnée, ciblée, dans le respect du droit international.

Pour bâtir notre autonomie stratégique, notre budget pour les prochaines années doit refléter clairement nos priorités communes.

J’en viens ainsi aux discussions sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP), qui ont commencé au sein du conseil Affaires générales, où je siège.

L’objectif est de garantir la mise en œuvre de notre agenda de souveraineté et de maintenir un haut niveau d’ambition dans nos domaines prioritaires, en augmentant la capacité d’action financière de l’Union européenne, à la fois publique – c’est le CFP –, mais aussi privée : je pense notamment à la mobilisation de l’épargne européenne et à la réalisation de l’union des marchés de capitaux.

Il s’agit, en substance, de finaliser l’agenda de Versailles, en réduisant nos dépendances dans des domaines comme l’énergie, la santé, le numérique ou les matières premières critiques.

Il importe de mieux mobiliser l’épargne dormante européenne, qui est mal investie ou qui contribue à financer, à hauteur de 300 milliards d’euros chaque année, l’économie américaine, pour l’orienter vers nos besoins d’investissement. J’ai souvent évoqué, avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sujet dans cet hémicycle.

Selon le rapport Draghi, l’Europe souffre d’un retard d’investissement, public comme privé, de 800 milliards d’euros par an pour financer la défense, la décarbonation, la tech. La réalisation d’une union des marchés de capitaux, la création d’un « 28e régime », la mise en œuvre d’une harmonisation réglementaire doivent permettre de mieux lier les capacités de financement offertes par l’épargne européenne et les besoins d’investissement que j’ai mentionnés.

Le prochain CFP devra également doter la politique agricole commune de moyens à la hauteur des enjeux. Alors que l’alimentation pourrait devenir, dans le contexte d’exacerbation des tensions géopolitiques, une arme utilisée par des puissances rivales, telles que la Russie, nous devons, si nous voulons répondre efficacement à ces enjeux, nous doter d’un agenda pour renforcer la souveraineté alimentaire européenne, en garantissant la capacité productive de l’Union, en préservant les revenus des agriculteurs, en établissant des conditions aptes à maintenir un niveau de concurrence équitable, et en prenant en compte les spécificités de la politique agricole commune.

Je tiens à souligner que la vision stratégique pour l’agriculture, présentée par le commissaire européen Christophe Hansen, reprend plusieurs des priorités formulées par la France : l’accompagnement et l’investissement sont ainsi privilégiés, plutôt que la contrainte ; l’accent est également mis sur la réciprocité commerciale, la souveraineté alimentaire de l’Union européenne ou encore la question du renouvellement des générations.

Nous devrons désormais veiller à ce que cette vision se traduise en actes dans le CFP et dans la mise en œuvre de la politique agricole commune, afin de défendre les intérêts de nos agriculteurs et de garantir la souveraineté alimentaire de l’Union européenne.

Nous serons également vigilants sur la politique de cohésion : nous devons préserver les intérêts de nos régions, notamment ultrapériphériques.

Cet effort d’investissement massif que nous souhaitons ne sera possible que si nous trouvons de nouvelles sources de financement du budget européen. Le Président de la République le dira très clairement à ses homologues à Bruxelles : la mise en place de nouvelles ressources propres constituera, pour la France, une condition sine qua non de son accord sur le prochain cadre financier pluriannuel de l’Union. C’est une question de cohérence et d’ambition, dans un contexte où de nombreux États membres font face à des contraintes budgétaires.

Une Europe forte, c’est aussi une Europe qui prouve à ses citoyens qu’elle est capable d’agir efficacement face aux défis qui les touchent.

Je pense en particulier à la question de la maîtrise de l’immigration. Les chefs d’État et de gouvernement feront notamment le point sur la mise en œuvre – c’est un point essentiel – du pacte européen sur la migration et l’asile, qui nous dote de nouveaux outils indispensables pour assurer le contrôle de nos frontières.

Il est également primordial de faciliter les éloignements et les expulsions. La Commission a proposé une nouvelle législation, afin de faciliter les retours. Nous en discuterons, avec comme objectif de parvenir à adopter rapidement une réforme de notre cadre législatif en la matière. Il s’agit de rendre nos procédures de retour plus simples et plus efficaces. C’était une demande que la France avait exprimée, par la voix du Président de la République et du ministre de l’intérieur. Il faudra, pour cela, donner les marges de manœuvre nécessaires aux États membres pour remplir leurs missions.

Enfin, dans un ordre mondial en plein bouleversement, une Europe forte est une Europe capable d’avoir une action extérieure stable, lisible et cohérente pour nos partenaires, face à une administration américaine plus que jamais imprévisible.

Cela concerne notamment notre action au Proche-Orient, qui sera également à l’ordre du jour du Conseil européen.

Au Liban, nous devons accompagner la dynamique de changement engagée par le renouvellement de l’exécutif et continuer à soutenir la construction d’une paix durable dans le sud. La France continuera à jouer dans ce processus le rôle clé qu’elle a joué ces derniers mois.

En Israël et dans les territoires palestiniens, il nous importe de tout faire pour préserver le cessez-le-feu et la perspective d’une solution à deux États, face à l’imprévisibilité de l’action américaine, en soutenant unanimement le plan arabe pour Gaza.

L’engagement européen demeure nécessaire également en Syrie, où la situation reste, comme l’ont montré les récentes exactions, extrêmement fragile. Nous avons collectivement exprimé nos conditions dès le 8 décembre dernier : inclusivité et représentativité dans le processus ; respect des droits humains ; respect de l’indépendance, de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Syrie ; et mise en œuvre d’une action ferme en matière de lutte antiterroriste. Nous devons être très clairs sur ce point : notre engagement, notamment en ce qui concerne la levée des sanctions, est réversible.

Je dirai, en conclusion, un dernier mot sur notre action en faveur de l’océan. L’Europe doit être au rendez-vous et défendre ses ambitions pour la protection de ce bien commun, comme le souligneront les dirigeants européens à Bruxelles. Tel sera l’objectif du pacte européen pour les océans, qui sera bientôt présenté par la Commission. Celle-ci proposera aux Européens de mener une action concertée et intégrée pour la prochaine décennie, dans la perspective de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, qui aura lieu au début du mois de juin à Nice : la France jouera, une nouvelle fois, un rôle d’impulsion majeur auprès de ses partenaires sur ce sujet multilatéral fondamental.

Tels seront les principaux sujets qui seront examinés lors du Conseil de jeudi et vendredi, lequel se tiendra dans un moment de bascule historique pour notre continent. J’ai essayé de vous présenter brièvement les priorités de la France lors de ce Conseil. Je me réjouis désormais, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous écouter et d’échanger avec vous sur ce sujet. (M. Marc Laménie applaudit.)