Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a publié en juin 2024 son rapport annuel sur les drogues dans le monde. L'état des lieux est terrifiant : sur 300 millions de consommateurs, la majorité des usagers consomment du cannabis, 60 millions des opioïdes, 30 millions des amphétamines, etc., pour un chiffre d'affaires consolidé de 250 milliards de dollars. Dans ce contexte, la situation en Syrie, terre du Captagon, doit retenir toute notre vigilance.

Ces chiffres montrent combien il est impératif de prendre des mesures fortes contre le narcotrafic. C'est précisément l'objet du présent texte, qui prévoit des avancées significatives.

Nous nous félicitons que plusieurs amendements défendus par notre groupe aient pu être adoptés en séance.

Nous saluons notamment l'adoption de l'amendement de notre collègue Pascal Martin, visant à permettre le bannissement des ports français des navires impliqués dans le trafic de stupéfiants et, par extension, des compagnies qui les utilisent. Moins de drogue au Havre, c'est moins de drogue dans l'Orne, monsieur le président ! (Sourires.)

Je souhaite m'attarder sur les mesures qui concernent la lutte contre le blanchiment.

L'article 3 impose aux sociétés de vente et de location de véhicules de luxe de se conformer aux obligations relatives à la lutte contre le blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme (LCB-FT). Il autorise les maires à signaler aux préfets les commerces suspectés de blanchiment. Il élargit l'accès des forces de sécurité au fichier informatisé des données juridiques immobilières (Fidji) et au système d'immatriculation des véhicules (SIV). Il renforce également l'obligation de déclaration des bénéficiaires effectifs.

L'article 3 bis, ajouté en séance, permet aux douanes d'accéder aux données des opérateurs de transport.

L'article 4 instaure une procédure d'injonction pour richesse inexpliquée.

La commission a par ailleurs interdit le recours aux « mixeurs » de cryptoactifs. Cette mesure est à mon sens un peu théorique, puisque les distributeurs, je le rappelle, demeurent autorisés.

Plusieurs amendements visant à renforcer le rôle des douanes, déposés par Sylvie Vermeillet, ont été adoptés.

Quant à l'article 5, il instaure une procédure de gel judiciaire des avoirs des narcotrafiquants.

Mes chers collègues, messieurs les ministres, le blanchiment d'argent est la mère de tous les vices. Le narcotrafic et la criminalité organisée utilisent les mêmes circuits que la grande délinquance financière. Je salue, à cet égard, la dream team aujourd'hui présente au banc du Gouvernement : je vous félicite, monsieur le garde des sceaux, pour votre engagement dans la lutte contre le blanchiment et vous, monsieur le ministre de l'intérieur, pour votre détermination sur le sujet. Pourtant, de ce point de vue, le compte n'y est pas pour l'instant.

Voici venu le moment de rendre hommage au nouveau et puissant maire de Marquillies, mon ami et complice Éric Bocquet, et de vous parler de lutte contre la fraude fiscale.

Comment expliquer que 1,5 million d'euros en espèces aient été retrouvés au Parlement européen – un dossier aujourd'hui totalement enterré ? Comment ne pas évoquer le rôle des banques, mis au jour au travers de l'enquête réalisée par le Consortium international des journalistes d'investigation (Icij), dans l'affaire des Panama Papers ?

En 2023, la Danske Bank a été impliquée dans un scandale de blanchiment d'argent via sa filiale estonienne qui blanchissait plus de 200 milliards d'euros.

La même année, le Crédit suisse, mis en cause dans une affaire de blanchiment d'argent liée à des fonds provenant du trafic de drogue, a accepté de payer une amende de 2,1 milliards d'euros. On imagine quel devait être le montant de la fraude !

Toujours en 2023, la plateforme d'échange de cryptomonnaies Binance a été condamnée à payer une amende de 4 milliards d'euros.

Enfin – à qui se fier ? –, le Vatican, lui aussi, (Exclamations amusées.) a été mêlé en 2023 à une affaire de blanchiment d'argent liée à l'achat d'une propriété d'une valeur de 200 millions de dollars, une transaction effectuée grâce au détournement de dons destinés à des œuvres de charité, notamment le Denier de Saint-Pierre. J'ai une bonne nouvelle à cet égard : le pape François a décidé de créer un petit « Tracfin » au sein du Vatican. Nous progressons...

M. Marc-Philippe Daubresse. Il aurait dû rester dans sa bulle ! (Sourires.)

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Ou publier une encyclique ! (Nouveaux sourires.)

Mme Nathalie Goulet. « Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés ». Ces exemples montrent que le blanchiment est un sujet central.

Le monde du sport n'est pas en reste. Je vous ferai grâce des cas de blanchiment et de faux prix de transfert dans le football. (M. Stéphane Ravier s'exclame.) Nous avons bien fait, l'année dernière, de ne pas voter la niche « Fifa » (Fédération internationale de football association) !

Des initiatives ont été prises au niveau mondial, car les solutions ne pourront advenir que d'une meilleure coopération internationale.

L'Union européenne a récemment franchi une étape importante dans la lutte contre le blanchiment avec la création de l'Autorité européenne de lutte contre le blanchiment d'argent (Amla), basée à Francfort et dont la présidente est italienne. Messieurs les ministres, comment l'influence de la France peut-elle s'exercer au sein de cette nouvelle agence dans laquelle aucun poste de direction n'est occupé par un Français ?

Le temps des voleurs n'est pas le temps du législateur et encore moins celui du législateur européen !

À la longue liste des failles qui existent, il faut ajouter : les ports francs, les paradis fiscaux et nos amis des monarchies du Golfe, qui ont leur propre modèle économique. À cet égard, monsieur le garde des sceaux, vous avez bien fait d'aller aux Émirats arabes unis constater les efforts de cet État pour rester hors de la liste grise du Groupe d'action financière (Gafi). Néanmoins, il reste des trous importants dans le dispositif.

J'y insiste, la solution à ce problème ne saurait provenir que de la coopération internationale, c'est-à-dire de la lutte au niveau mondial contre le blanchiment et contre la fraude et l'évasion fiscales.

Vous l'aurez compris, cette proposition de loi est un modèle d'excellence du travail sénatorial : excellent sujet de commission d'enquête, dream team au banc des rapporteurs, ministres à l'écoute, pour ne pas dire à l'affût, de nos très bonnes propositions. (Sourires.)

Ce travail parlementaire va se poursuivre. La commission d'enquête, menée par le groupe Union Centriste, aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, viendra utilement compléter ce texte visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Je sais, messieurs les ministres, que vous y serez attentifs.

Le groupe Union Centriste votera en faveur de cette proposition de loi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, RDPI et Les Républicains. – M. Jérôme Durain applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jérémy Bacchi, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky.

M. Jérémy Bacchi. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord rendre hommage aux travailleurs confrontés quotidiennement aux mafias et aux trafics de stupéfiants. Je pense bien sûr aux dockers, aux salariés des ports, aux douaniers, aux agents pénitentiaires, aux avocats, aux magistrats, aux policiers, aux gendarmes et à tant d'autres. C'est notre devoir que de les protéger face aux risques qu'ils affrontent chaque jour.

Nous devons prendre garde à garantir leur sécurité, tout en proportionnant les contrôles dont ils font l'objet. Nous ne pouvons pas les présumer complices, et encore moins coupables ; au contraire, il nous faut tout mettre en œuvre pour les préserver contre les risques de corruption ou les menaces liés au trafic de drogue. Je regrette d'ailleurs ici que les amendements que nous avions déposés en ce sens n'aient pas été retenus. J'espère que le travail législatif qui suit son cours réparera ce manquement.

Je souhaite aussi rendre hommage aux travailleurs de l'aide sociale à l'enfance (ASE). Je rappelle qu'aujourd'hui plus de 350 000 mineurs ou jeunes majeurs font l'objet d'une mesure de l'ASE, soit une hausse d'environ 20 % depuis 2011. Mais ni les moyens humains ni les moyens financiers ne sont à la hauteur. Or, à cause de ces carences, nous exposons des enfants aux réseaux mafieux et les poussons dans les bras des narcotrafiquants et des proxénètes.

Il devient urgent de soutenir financièrement nos départements pour mieux protéger ces enfants. Si nous ne renforçons pas le secteur de la protection de l'enfance, nos efforts seront vains.

Je souhaite enfin rendre hommage aux habitantes et aux habitants des quartiers, des villes et des villages touchés par ce fléau que nous combattons ici. Il nous faudra prendre garde, en cherchant à les protéger, à ne pas les enfermer dans un quotidien uniquement sécuritaire et marginalisant. J'ai grandi dans les quartiers nord de Marseille et je sais que nous ne pouvons pas être réduits à cela : nos quartiers sont beaux et peuvent nous rendre fiers. Mais, comme ailleurs, l'État doit nous accompagner vers une évolution positive pour toutes et tous, qui ne saurait se résumer à un renforcement de la présence policière, même si celle-ci est bien évidemment nécessaire.

Partout sur le territoire national, la présence de l'État doit être renforcée, notamment au travers du développement des services publics.

En tant que communiste, je sais que la lutte contre les mafias est une question de classe. Les premières victimes des réseaux mafieux sont les populations les plus fragilisées, les plus vulnérables et les plus précaires. Lorsque l'État les abandonne, les trafiquants se montrent bien présents, gangrenant notre pays et profitant des failles ouvertes. Et partout où l'État recule, les mafias progressent.

C'est pour cela, mes chers collègues, que nous devons accompagner l'élan contenu dans ce texte, nécessaire, d'un renforcement des moyens financiers et humains dans tous les services publics. À défaut, je le répète, nos efforts seront vains.

Notre justice, par exemple, ne saurait se contenter du budget qui lui est octroyé dans le projet de loi de finances pour 2025. Selon le rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej), notre pays est toujours en queue de peloton. Quand la France dépense 77 euros par an et par habitant pour sa justice, l'Espagne dépense 96 euros, l'Italie 100 euros et l'Allemagne 136 euros.

Concrètement, la France ne compte que 11,3 magistrats professionnels pour 100 000 habitants, contre 24,17 en Allemagne, soit plus du double.

Les agents de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) nous ont aussi alertés sur le criant manque de moyens du secteur.

Je souhaite insister sur le sujet des services de la douane, lesquels réalisent 75 % des saisies de stupéfiants. Pourtant, si la douane s'est modernisée au gré des réformes, elle a aussi été privée, dramatiquement, de nombreux moyens tant humains que matériels. À titre d'exemple, la France compte aujourd'hui 16 500 douaniers, contre 48 000 en Allemagne. Les outils utilisés restent, eux aussi, bien en deçà des besoins, qui sont criants. Nous ne pouvons laisser, dans ce combat, les douaniers désarmés et en sous-effectifs.

Enfin, même si la question de la prévention et des usagers de drogue n'est pas l'objet de cette proposition de loi, il nous faudra mener une véritable campagne de santé publique pour soigner ces personnes de plus en plus nombreuses et de moins en moins accompagnées. Notre santé publique va mal et ce sont à nouveau les plus précaires qui paient le plus lourd tribut.

Dans l'émission matinale d'une chaîne radio, voilà quelques semaines, un journaliste m'interrogeait sur les nombreuses sollicitations dont je pouvais faire l'objet, en tant que sénateur, de la part des familles de plus en plus nombreuses qui doivent faire face à la pression des réseaux du narcotrafic. Je lui ai répondu que j'avais reçu au cours des six derniers mois trois familles qui avaient déménagé, fuyant le département pour des raisons de sécurité, parce que leur frère ou leur fils avait refusé de rejoindre l'un de ces réseaux et que la famille entière – parents, fratrie – était donc directement menacée.

Un brin gêné, le journaliste me demanda à la fin de l'interview si je n'avais pas peur de prendre la parole et d'agir contre ces réseaux. Je lui ai rétorqué, modestement, que même si nous, parlementaires, en avions peur, car c'est parfois légitime, cela ne devait pas nous empêcher d'agir. En effet, nous ne pouvons pas demander aux travailleurs, aux salariés, aux habitantes et aux habitants de ces quartiers et à nos jeunes de faire preuve de courage si nous-mêmes n'agissons pas ! (M. Michel Savin applaudit.)

Je suis heureux, mes chers collègues, que nous fassions aujourd'hui, collectivement, preuve de courage en envoyant un double signal : aux réseaux, nous disons que les choses ne se passeront pas demain comme ces dernières années ; à leurs victimes, nous disons que nous les entendons et qu'elles ne sont pas seules.

Nous voterons en faveur de cette proposition de loi. (Sourires sur les travées des groupes CRCE-K, SER, RDSE, et sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

M. Guy Benarroche. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, je tiens à commencer cette intervention en saluant la qualité de nos débats. À l'occasion de l'examen de cette proposition de loi, les échanges ont été sérieux, sereins et le plus souvent sincères. Cela doit nous conduire à transcender nos a priori tant ce sujet est important pour notre société.

La proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, dont nous avons débattu durant deux jours et deux nuits, est largement fondée sur les excellents travaux de la commission d'enquête sénatoriale sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, dont la création avait été demandée en premier lieu – je le rappelle – par trois sénateurs de gauche des Bouches-du-Rhône : Marie-Arlette Carlotti, Jérémy Bacchi et moi-même.

Le rapport de cette commission d'enquête comprenait de nombreuses recommandations, dont beaucoup ont été reprises, en vue de changer de doctrine en ne visant plus les consommateurs et les petites mains des réseaux. Je rappelle que ces derniers engrangent de gigantesques profits via la vente de stupéfiants, mais qu'ils opèrent aussi dans le trafic d'armes, le racket, la traite des êtres humains, le proxénétisme.

Le narcotrafic est le nec plus ultra du capitalisme libéral mondialisé.

Cette globalisation des groupes, organisés au-delà de la vente de drogues, a été prise en compte dans les deux premiers articles de la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic, qui visent à spécialiser nos moyens de justice au travers d'un parquet national, dont les compétences ne sont pas limitées aux seuls stupéfiants, mais étendues à l'ensemble de la criminalité organisée.

Notre groupe salue cette vision à la juste échelle de ces nouvelles mafias, auxquelles il est nécessaire d'accorder une attention particulière. Nous alertons cependant sur la dérive possible vers une centralisation excessive, car nous devons être conscients que ces criminalités se retrouvent sur l'ensemble du territoire, en zone urbaine comme en zone rurale, de Marseille à Morlaix en passant par la Corrèze et la région parisienne.

Notre groupe s'associe à la volonté nouvelle de s'attaquer enfin au haut du spectre : le blanchiment et la corruption. Le constat premier de la commission d'enquête est celui de l'échec des politiques de l'esbrouffe, et notamment des opérations « place nette XXL », qui donnent lieu à davantage de saisies et d'incarcérations, mais qui n'empêchent pas le trafic d'augmenter.

Concernant le blanchiment, permettez-moi de citer le député Jean-Luc Warsmann, lequel a ouvert l'exposé des motifs de la proposition de loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, qui a créé l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (Agrasc), par ces mots : « Pour être véritablement dissuasive, toute sanction pénale doit pouvoir s'accompagner de la privation des délinquants des profits qu'ils ont pu tirer de l'infraction. »

Taper au portefeuille, faire en sorte que le crime ne paie pas : les dispositions que nous avons examinées donnent de nouvelles possibilités pour ce faire.

Je salue l'adoption des amendements du groupe Écologiste – Solidarités et Territoires qui visent à renforcer ce volet en rendant obligatoire la confiscation des biens dont le propriétaire ne peut justifier l'origine, à éviter que la justice ne soit encombrée, à maintenir les droits de la défense.

Pour ce qui est de la focalisation sur le haut du spectre, nous nous félicitons de la refonte et de la sécurisation du statut de ceux que l'on nomme communément les repentis et de l'adoption de l'un de nos amendements tendant à mieux les protéger en sanctionnant ceux qui révèlent des informations sur les repentis et leurs proches.

La corruption, phénomène dont l'importance était minorée jusqu'aux travaux de notre commission d'enquête sénatoriale, est désormais légitimement prise en compte. Nous pensons toutefois que nous aurions pu aller plus loin, en prévoyant notamment une obligation de mise en place de politiques de prévention dans les grandes communes et les collectivités territoriales.

Ce texte, aussi ambitieux soit-il, laisse une question primordiale en suspens : quels moyens réels le Gouvernement est-il prêt à engager pour que ces avancées soient mises en œuvre rapidement et efficacement ?

Voilà quelques années, nous avions créé une juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco), que le Pnaco supprime et remplace. Je ne pense offenser personne en disant que cette machine a trop peu fonctionné en raison d'un manque de soutien autant politique que matériel, financier et humain.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Je l'ai dit !

M. Guy Benarroche. Je le déplore.

Ayant débattu non pas d'un projet de loi, mais d'une proposition de loi, nous ne disposons pas d'une étude d'impact du Conseil d'État ni d'une évaluation réelle des besoins matériels et financiers.

En votant ces textes, nous allons prendre des dispositions qui coûtent de l'argent et qui commandent de nouveaux moyens humains ; or il semble que nous n'en ayons pas la possibilité, au vu de l'état dans lequel vous avez mis nos finances publiques... Notre groupe est très inquiet, car ce projet ambitieux pourrait ne pas aboutir, faute de financements suffisants.

M. Gérald Darmanin, garde des sceaux. Vous votez le texte ou pas ?

M. Guy Benarroche. Par ailleurs, de nombreuses mesures ne figurent pas dans la proposition de loi, bien qu'elles soient tout aussi primordiales pour lutter contre l'économie florissante du narcotrafic.

Nous regrettons ainsi l'absence d'un volet prévention. Il est pourtant urgent d'en faire une grande cause nationale à l'attention, d'une part, des consommateurs, de l'autre, des personnes en grande précarité, cibles privilégiées des trafiquants dont ils deviennent les petites mains – le lumpenprolétariat de cette industrie.

Rien sur les mesures d'information permettant d'éviter l'entrée dans la consommation.

Rien sur les parcours de soins, sur la prise en charge des addictions, sur l'intérêt de légaliser ou de dépénaliser certains usages. Aucune mesure de politique de santé publique.

Rien sur le volet économique et social, qui a pourtant fait l'objet de discussions au sein de la commission d'enquête et qui constitue un levier majeur de la lutte contre le narcotrafic.

Rien sur la politique de la ville, sur la lutte contre la précarité, sur le logement, sur l'insertion par l'école et le travail.

Rien non plus sur l'accompagnement et le traitement social des victimes du narcotrafic et de leurs proches. Il s'agissait pourtant d'une demande forte des familles que mes collègues des Bouches-du-Rhône et moi-même avions souhaité auditionner. L'amendement relatif à ce sujet, que nous avions présenté et qui visait à introduire un nouvel article dans la proposition de loi, a été déclaré financièrement irrecevable au titre de l'article 40 de la Constitution, faute d'engagement du Gouvernement.

Par ailleurs, quelques points de ce texte sont très problématiques. Nous sommes notamment stupéfaits d'avoir vu réapparaître les mesures d'activation à distance des appareils électroniques dans le but de capter les conversations.

Je rappelle que le Conseil constitutionnel avait censuré cette mesure, le 16 novembre 2023, en ces termes : « L'activation à distance d'appareils électroniques afin de capter des sons et des images sans même qu'il soit nécessaire pour les enquêteurs d'accéder physiquement à des lieux privés [...] est de nature à porter une atteinte particulièrement importante au droit au respect de la vie privée dans la mesure où elle permet l'enregistrement [...] concernant aussi bien les personnes visées par les investigations que des tiers. »

Nous restons également convaincus que les mesures dérogatoires permettant l'allongement des délais de détention provisoire ou de garde à vue sont disproportionnées.

Enfin, nous déplorons l'adoption de l'article 24, absolument absent des conclusions et préconisations de notre commission d'enquête, qui vise à mettre en place des mesures à la fois inopérantes et inefficaces.

Nous espérons que la navette parlementaire permettra de revenir sur ces articles au mieux inutiles, voire dangereux pour l'équilibre entre la lutte légitime contre le narcotrafic et la garantie, tout aussi légitime, des droits de la défense et des libertés individuelles.

Les nombreuses solutions prévues seront déterminantes sur les plans judiciaire, policier, administratif et financier et dans la lutte contre le blanchiment et la corruption. La plupart des mesures proposées vont dans la bonne direction et sont, je le répète, indispensables.

C'est pourquoi notre groupe votera ce texte, même s'il est incomplet. Si les moyens nécessaires sont octroyés, il permettra de diriger enfin la lutte contre le narcotrafic vers les criminels du haut du spectre et les entreprises qu'ils dirigent. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées des groupes SER et CRCE-K. – Mme Muriel Jourda applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Loïc Hervé applaudit également.)

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, ce texte est né de Marseille, j'irai par conséquent « droit au but » : notre groupe votera pour cette proposition de loi. (Bravo ! et applaudissements.)

Nous, sénateurs et sénatrices du groupe Socialiste, Écologistes et Républicain, voterons ce texte, parce que nous connaissons la menace que représente le narcotrafic. À Paris, Rennes, Nantes, Saint-Ouen, Clermont-Ferrand, Fort-de-France, Montpellier, Nancy, Vesoul, Lille, dans les centres des métropoles, dans les villes moyennes ou dans les campagnes, nos élus locaux font face à la violence, aux morts et à la déstabilisation opérée par le trafic de drogue. Un fléau dont on a trop longtemps cru qu'il était réservé à certains territoires.

Le terrorisme fracasse la société, nous savons désormais que le narcotrafic la ronge. Il est question de victimes humaines, de territoires sous emprise et d'une menace pour la démocratie.

Je veux remercier Marie-Arlette Carlotti (Applaudissements sur les travées du groupe SER.) pour avoir, la première, avec ses collègues Jérémy Bacchi et Guy Benarroche, milité pour que le Sénat s'attaque avec pugnacité à ce phénomène. Valérie Boyer et Stéphane Le Rudulier ont ensuite obtenu la création de la commission d'enquête sur ce sujet.

Grâce à ces sénateurs de gauche et de droite investis dans la commission d'enquête, qui a rendu ses conclusions en mai dernier, une volonté s'est exprimée de faire front ensemble, partout, face au piège qui nous guette. Il nous fallait ensuite traduire dans la loi ces préconisations.

C'est une grande fierté d'avoir pu assumer la copaternité, avec mon collègue Étienne Blanc, de cette proposition de loi. Nous n'avons ni le même parcours ni les mêmes orientations politiques, mais ce travail transpartisan nous a semblé naturel et indispensable. Mieux, il incarne pour nous le meilleur de ce que peut apporter le travail parlementaire.

Nous avons partagé tout au long de ces travaux la conviction sincère qu'il fallait avancer vite et fort. Cela nous a conduits parfois à empiéter sur le pré carré de l'exécutif, dans une démarche d'autant plus inhabituelle qu'elle concerne le cœur des missions régaliennes.

Ce texte comprend deux volets : d'abord, une organisation repensée de la lutte contre le narcotrafic autour de deux chefs de file, l'un judiciaire, l'autre dans l'investigation ; ensuite, une exceptionnelle boîte à outils, qui donne à notre première ligne des moyens juridiques et techniques nouveaux.

Corruption, blanchiment, procédure pénale, renseignement, techniques d'enquêtes... Que ce soit la mise en place du procès-verbal distinct, la réforme du statut des repentis, l'injonction pour richesse inexpliquée, l'infiltration civile ou encore la nouvelle infraction d'appartenance à une organisation criminelle, les nouveaux outils ne manquent pas. Ils étaient réclamés massivement par les magistrats, les policiers, les gendarmes, les douaniers, tous les spécialistes que nous avons auditionnés pendant ces longs mois de travaux. Charge maintenant à l'Assemblée nationale de consolider leur inscription dans la loi.

Notre groupe a pris toute sa part dans cette construction. Je veux évoquer ici : un meilleur maillage contre le blanchiment, grâce à Hussein Bourgi ; une meilleure protection de l'identité des professionnels de la justice en cas de menace, ou encore la protection des informateurs, grâce à Marie-Pierre de La Gontrie ; une lutte renforcée contre la corruption, grâce à Marie-Arlette Carlotti ; une meilleure prise en compte des spécificités ultramarines, grâce à Catherine Conconne et Victorin Lurel ; l'amélioration de la lutte contre le trafic en prison, grâce à Laurence Harribey ; ou encore la lutte contre l'utilisation massive de cartes SIM prépayées par les trafiquants, grâce à Corinne Narassiguin.

S'agissant de lutte contre le crime, les sénatrices et sénateurs socialistes ont toujours recherché le nécessaire équilibre entre sécurité et liberté. Comme lorsque nous avons affronté la question du terrorisme, il a fallu procéder à des arbitrages difficiles.

L'alpiniste que je suis connaît la difficulté des parcours d'arête ; arpenter la ligne de crête est toujours périlleux. Dans ce tableau globalement positif, il me faut ici exprimer quelques frustrations, quelques agacements et une franche opposition.

Nos réserves se sont concentrées sur l'article 16, relatif au procès-verbal distinct, ou encore sur le régime des nullités de l'article 20. Nous estimions que le travail réalisé par la commission des lois et sa présidente permettait d'atteindre un équilibre satisfaisant, par une rédaction clarifiée et sécurisée.

D'une manière générale, trop d'amendements gouvernementaux sont arrivés bien trop tard et leur portée aurait mérité un débat plus approfondi. Nous avons cependant confiance en la navette parlementaire pour qu'un équilibre encore meilleur vienne concrétiser l'engagement sur ce texte des sénateurs de tous les groupes.

Je serai plus ferme à propos de l'amendement, qui a été adopté, relatif aux messageries cryptées.

Cette question est sensible. Chacun sait que le recours à ces techniques fait débat. Un dispositif à ce point intrusif mériterait une étude d'impact approfondie, une préparation minutieuse et un débat parlementaire nourri. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Jérôme Durain. Nous n'avons rien eu de tout cela. Cet amendement aurait dû être défendu par le Gouvernement dans un texte consacré au renseignement.

Vous connaissez l'attachement de la gauche au service public. Il faut protéger nos concitoyens de la gangrène du narcotrafic et aider nos maires démunis. Mais il ne peut y avoir d'État protecteur avec des forces sous-dotées, une justice embolisée et des prisons cocottes-minute. Vous l'aurez compris : nous demandons des moyens.

Le parquet national anticriminalité organisée et le nouvel état-major annoncé par les ministres Retailleau et Darmanin, constituent des incarnations et des outils de coordination bienvenus et indispensables. Mais ils ne seront fonctionnels que s'ils sont dotés des moyens suffisants en termes humains et d'équipements.

La menace que fait peser le narcotrafic sur les intérêts fondamentaux de la Nation le justifie. L'investissement sans faille des enquêteurs et magistrats, partout sur le terrain, nous engage. Il appelle de notre part un soutien entier, y compris sur le plan budgétaire.

Dernier point : cette proposition de loi ne traite pas de la consommation. Certains en appellent à la légalisation, d'autres à une plus forte pénalisation. Nous avons donc eu raison de ne pas mélanger dans ce texte répression, d'une part, soin et prévention, de l'autre, afin de conserver un consensus transpartisan le plus large possible.

Comme l'a rappelé Audrey Linkenheld, notre groupe considère qu'il faut avancer sur deux jambes. La jambe répressive, nous l'assumons sans fard ; celle de la prévention et du soin, nous l'appelons de nos vœux.

La drogue concerne un nombre important de criminels et un nombre encore plus important de victimes. S'il nous faut combattre les criminels de toutes nos forces, il faut aussi soigner et accompagner les consommateurs, qui peuvent être dépendants et malades. C'est pour nous une priorité et nous formulerons bientôt des propositions en ce sens.

Pour l'heure, les socialistes sont à leur place en votant le soutien à tous ceux qui combattent en notre nom, au quotidien, la criminalité organisée. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, et sur des travées des groupes CRCE-K, UC et Les Républicains.)