Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaire :
M. Guy Benarroche.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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Sortir la France du piège du narcotrafic et statut du procureur national anti-stupéfiants
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié et d'une proposition de loi organique dans le texte de la commission
M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutins publics solennels sur la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic (proposition de loi n° 735, texte de la commission n° 254, rapport n° 253) et sur la proposition de loi organique fixant le statut du procureur national anti stupéfiants (proposition de loi organique n° 197, texte de la commission n° 255, rapport n° 253).
La procédure accélérée a été engagée sur ces textes.
Mes chers collègues, je vous rappelle que ces deux scrutins s'effectueront depuis les terminaux de vote. Je vous invite donc à vous assurer que vous disposez bien de votre carte de vote et à vérifier que celle-ci fonctionne correctement en l'insérant dans votre terminal de vote. Vous pourrez vous rapprocher des huissiers pour toute difficulté.
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote.
Vote sur l'ensemble
M. le président. La parole est à M. Dany Wattebled, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, comme dans la société tout entière, la lutte contre le trafic de stupéfiants a réuni un large consensus au sein de notre assemblée.
Nos concitoyens sont confrontés à toujours plus de violences à mesure que le trafic progresse sur l'ensemble du territoire de la République. Nos policiers, nos gendarmes, nos douaniers et nos magistrats combattent ce fléau depuis longtemps.
Notre pays se trouve désormais à un point de bascule. Si nous ne réagissons pas avec fermeté et célérité, nous pourrions bien être dépassés par ce défi.
Pour lutter efficacement, nous devons avant tout changer de regard sur les stupéfiants. Trop longtemps, les expressions « drogue douce » ou « usage récréatif » ont occulté la réalité tragique du terrain.
Alors que l'on compte plus de 1 million de consommateurs de cocaïne dans notre pays, les stupéfiants sont devenus un marché très juteux, qui pourrait représenter 6 milliards d'euros.
Avec de tels montants en jeu, les délinquants ne reculent devant aucune forme de violence. Dans certaines zones de la République, les contrôles d'identité et les fouilles sont menés non plus par les forces de l'ordre, mais par les trafiquants eux-mêmes.
Ces derniers s'entretuent et nos concitoyens sont parfois les victimes collatérales de ces violences. On déplorait ainsi, en 2023, plusieurs centaines de blessés et quatre-vingt-cinq morts.
La rentabilité des trafics permet aux délinquants d'investir dans du matériel et des technologies avancées, ce qui rend d'autant plus difficile le travail des forces de l'ordre.
Tout cet argent doit ensuite être blanchi, ce qui implique le développement de nombreuses ramifications au sein de notre économie. Les stupéfiants ne constituent bien souvent qu'un pan parmi d'autres de l'activité des réseaux de la criminalité organisée. Cela explique et justifie le choix de créer un parquet spécialisé dans ces affaires, qui peuvent se dérouler dans plusieurs juridictions à la fois.
Les grandes villes ne sont plus les seules à être concernées. Les trafics gangrènent à présent une large partie de notre pays, y compris en milieu rural. Ils minent le développement de nos territoires et empoisonnent la vie de nos concitoyens. Dans la droite ligne des récentes opérations « place nette », nous devons poursuivre nos efforts.
Lors de nos débats, nous avons enrichi le texte de nombreuses mesures.
Nous avons ainsi sécurisé les dispositifs de fermeture administrative des lieux participant aux trafics. Le Sénat a par ailleurs interdit le paiement en espèces des locations de voiture. Cette mesure permettra de lutter contre le blanchiment en favorisant l'identification des loueurs.
Plusieurs amendements ont assujetti de nouveaux acteurs économiques aux dispositions de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Grâce à l'adoption d'un amendement de notre collègue Pierre Jean Rochette, les confiscations de véhicules seront désormais automatiques, y compris lorsque ceux-ci sont immatriculés à l'étranger.
Le Sénat a également accepté de mieux protéger les interprètes, acteurs clefs de nombre de procédures, en adoptant un amendement de notre collègue Louis Vogel. Lorsque cela sera nécessaire, l'interprète pourra être autorisé par le magistrat à conserver l'anonymat.
Sortir la France du piège du narcotrafic est un objectif nécessaire et ambitieux. À cet égard, nous pouvons regretter que le présent texte soit une proposition de loi et non un projet de loi. Le droit pénal et la procédure pénale emportent de lourdes conséquences sur les libertés de nos concitoyens. Il va sans dire que le travail de la commission des lois du Sénat est de grande qualité. Cependant, disposer d'une étude d'impact et de l'avis du Conseil d'État aurait sans doute permis de conforter la solidité juridique de plusieurs dispositions. La navette devra continuer d'améliorer le texte.
Renforcer notre arsenal ne suffit pas. Pour gagner ce combat, nous avons également besoin de l'engagement de la justice et de nos services d'enquête.
Les membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires tiennent à rendre hommage aux femmes et aux hommes qui luttent au quotidien contre ce fléau.
Le projet de regrouper les cent plus gros trafiquants dans une prison de haute sécurité paraît nécessaire pour priver effectivement les réseaux de leurs chefs. Il met cependant en lumière le manque de moyens de la pénitentiaire : il nous faut à la fois construire davantage de places de prison et moderniser nos établissements.
Pour mettre fin au développement des trafics et protéger efficacement nos concitoyens de ces réseaux, il sera nécessaire d'aborder le sujet de la consommation de drogue. Celui-ci ne faisant pas partie du périmètre de ce texte, nous ne pouvions en débattre.
Nous considérons cependant qu'il est aussi commode que fallacieux de prétendre, comme le font certains de nos collègues, que le trafic de stupéfiants est une conséquence de l'économie de marché. Les mêmes prônent la dépénalisation et l'augmentation des aides sociales pour lutter contre la criminalité : cela pourrait prêter à sourire si cet angélisme ne bénéficiait pas au développement des cartels.
Nous sommes bien évidemment convaincus que les addictions appellent une prise en charge médicale, mais cela ne doit pas occulter la lourde responsabilité qui pèse sur les consommateurs. Les centaines de victimes assassinées, parfois dans des conditions atroces, ont subi ce sort pour que la drogue parvienne au consommateur. Personne ne peut plus ignorer cette réalité.
Face à ce fléau, nous devons agir avec détermination et constance. Le Groupe Les Indépendants – République et Territoires votera donc à l'unanimité en faveur de l'adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe RDSE. – Mme Muriel Jourda applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Muriel Jourda, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Muriel Jourda. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, permettez-moi d'expliquer en quelques mots le vote du groupe Les Républicains sur cette proposition de loi visant à lutter contre le narcotrafic.
Il ne vous aura pas échappé que je suis corapporteur de ce texte, aussi je ne ferai pas durer plus longtemps le suspense : notre vote sera bien entendu favorable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Ah ! sur des travées du groupe SER.)
Mme Muriel Jourda. Il semble que mes propos soulagent d'un grand poids plusieurs de nos collègues ! (Sourires.)
Ce vote sera favorable, car ce texte, si vous me permettez d'utiliser un terme quelque peu trivial, est satisfaisant, et ce à bien des égards.
Il est tout d'abord satisfaisant parce qu'il émane du Sénat. Cela est assez remarquable, s'agissant d'un sujet régalien sur lequel le gouvernement, quelle que soit sa sensibilité, se situe par nature en première ligne. Il faut donc souligner la qualité de ce travail : à partir du rapport rendu par Étienne Blanc dans le cadre de la commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, présidée par Jérôme Durain, nos deux collègues ont rédigé cette proposition de loi que nous allons, je l'espère, très largement approuver.
Ensuite, ce travail est satisfaisant, parce qu'il est collectif. Au-delà de l'unanimité qu'a recueillie le rapport de la commission d'enquête, nous avons su avancer avec l'ensemble des groupes en séance. Certes, certains points ont fait l'objet de désaccords, mais nous avons largement débattu, en particulier avec le Gouvernement. Nous avons ainsi poursuivi les négociations, depuis le début de nos débats avec M. le garde des sceaux, jusqu'à la fin de la séance avec M. le ministre de l'intérieur. Nous n'avons cessé de chercher un consensus. Au vu du caractère régalien de ce sujet, il me paraissait naturel que nous parvenions à trouver un accord pour sortir la France du narcotrafic.
Ce texte est également satisfaisant, parce que nous avons souhaité éviter les sujets de désaccord. Ce n'est pas que nous craignions de ne pas savoir les trancher : c'est précisément notre fonction. Dans cette chambre, la démocratie se traduit justement par le fait de régler les différends par la discussion puis par le vote. Nous y serions donc parvenus. Cependant, pour donner du poids à ce texte, il fallait exclure certains sujets. Nous savons desquels il s'agit, ne nous en cachons pas : je pense avant tout à la consommation et à la légalisation de certains produits stupéfiants. De telles discussions auraient pu nous éloigner les uns des autres. Nous avons su, dans la droite ligne du rapport de la commission d'enquête, circonscrire nos travaux de façon à travailler utilement sur le sujet, à savoir la lutte contre le narcotrafic.
Là aussi, le résultat a été satisfaisant. Encore une fois, dans le prolongement dudit rapport, nous avons su aborder l'intégralité des questions qui ne sont pas traitées dans toutes leurs dimensions par le droit positif. Or, sur ces sujets, la délinquance avance vite, très vite, parfois beaucoup plus vite que ne peuvent le faire les États.
Je ne rentrerai pas dans le détail des points dont nous avons discuté. Rappelons toutefois que nous avons commencé par mettre en ordre la chaîne pénale en dotant la France, à l'instar de ce que nous avions prévu pour le terrorisme, d'un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco). Au-delà du trafic de stupéfiants, c'est une criminalité totale qui est organisée.
Ce parquet coordonnera l'action sur l'ensemble du territoire. Du point de vue administratif, il sera aussi doté d'un état-major interministériel. C'est d'ailleurs sur ce point que portaient nos attentes envers le Gouvernement et nous avons heureusement trouvé un accord, grâce auquel l'ensemble des services concernés, au-delà de la justice et de l'intérieur, pourront lutter conjointement contre le narcotrafic.
Ensuite, nous avons doté nos enquêteurs de moyens. Je le dis souvent : le droit est un outil. Les enquêteurs pourront, par exemple, être anonymisés afin d'éviter de faire l'objet de menaces ou de pressions de la part des narcotrafiquants. Ils seront également dotés de techniques d'enquête : le procès-verbal distinct, qui a notamment agité nos débats la semaine dernière, permettra d'éviter de dévoiler les méthodes d'action employées.
Nous le savons, l'appât du gain est la principale motivation des narcotrafiquants. Le blanchiment est donc un sujet majeur.
Nous avons donc renforcé les freins au blanchiment, y compris en intervenant dans des domaines qui relèvent de la vie quotidienne des élus locaux que nous avons été ou que nous sommes encore. Je pense, par exemple, à ces magasins qui restent ouverts une bonne partie du jour et de la nuit sans proposer beaucoup de produits en rayon et sans être fréquentés par un grand nombre de clients… Là encore, nous avons doté l'administration d'outils pour fermer ces blanchisseuses.
Nous nous sommes aussi attaqués à d'autres sujets importants, comme le renseignement, sans lequel les enquêtes seraient difficiles.
Enfin, nous avons souhaité agir contre la corruption, qui est une réalité. Il ne s'agit pas toujours d'une question de probité : plutôt que l'appât du gain, c'est parfois la menace qui pousse des acteurs clefs à céder, dans les ports, par exemple. Or notre arsenal de mesures serait totalement inutile si ceux qui sont destinés à les appliquer n'étaient plus en mesure de le faire, ce qui est le cas lorsqu'ils sont corrompus.
Voilà pourquoi ce texte me semble satisfaisant. Nous ne prétendons pas avoir atteint la perfection ni épuisé le débat, que l'Assemblée nationale poursuivra.
Au cours de la commission d'enquête, l'une des personnes auditionnées, issue d'un pays voisin du nôtre, qui a été envahi par le narcotrafic, nous confiait : « Chez nous, il est minuit vingt. Chez vous, il est minuit moins cinq. » Grâce aux outils dont nous avons doté tous les acteurs de la lutte contre le narcotrafic, et grâce à votre volonté politique sans faille, messieurs les ministres d'État, nous pourrons empêcher que minuit ne sonne jamais chez nous. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC, RDSE et INDEP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Laure Phinera-Horth, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendant. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Olivia Richard et M. Jérôme Durain applaudissent également.)
Mme Marie-Laure Phinera-Horth. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, nous devons nous prononcer aujourd'hui sur une proposition de loi à l'intitulé ambitieux : « sortir la France du piège du narcotrafic ».
Ce texte s'est nourri des travaux de la commission d'enquête dont j'ai été vice-présidente. À cette occasion, nous avons dressé un état des lieux très préoccupant de ce phénomène, qui, d'année en année, gagne en ampleur et s'étend sur l'intégralité du territoire national, jusqu'à toucher nos petites villes et nos campagnes. Personne n'est épargné.
Face à l'urgence, Étienne Blanc et Jérôme Durain, respectivement rapporteur et président de cette commission d'enquête, ont décidé de déposer cette proposition de loi. Ce texte, j'y insiste, est très ambitieux, en ce qu'il vise à renforcer les moyens procéduraux dans la lutte contre le narcotrafic.
Les travaux de la commission d'enquête ont clairement démontré que nous accusions un retard considérable par rapport aux trafiquants. Ces derniers ne manquent ni de moyens ni d'imagination pour contourner les règles en vigueur et importer et vendre leur marchandise.
Sur ces travées, nous partageons tous la même ambition : mettre un coup d'arrêt à ce trafic qui gangrène le pays. La tenue des travaux en séance durant deux jours, la semaine dernière, en atteste. Sur les quelques éléments de blocage, à l'article 1er comme à l'article 16, nous avons su trouver des points d'atterrissage équilibrés.
Cette proposition de loi comporte un certain nombre de mesures que le groupe RDPI salue. Je pense notamment à la création d'un parquet national anticriminalité organisée, articulée à la montée en puissance de l'Office anti-stupéfiants (Ofast). Ces mesures ont été largement soutenues dans l'hémicycle tant par les sénateurs que par le Gouvernement. Pour moi, ce sont des avancées décisives dans la lutte contre le narcotrafic.
Il en va de même des dispositions qui visent à frapper les narcotrafiquants au portefeuille afin de lutter efficacement contre le blanchiment d'argent. C'était l'une des recommandations phares de la commission d'enquête.
Ainsi, je salue les mesures prévues aux articles 5 et 5 bis, qui permettront, au travers d'un mécanisme judiciaire ou administratif, de geler les avoirs des trafiquants.
Vous le savez, ces individus n'ont aucune limite. Nous connaissons la dangerosité de leurs méthodes et de leurs moyens. J'ai une pensée émue pour les familles des deux agents pénitentiaires tués au péage d'Incarville, en mai 2024. À l'aune de ce drame, notre droit doit s'adapter, notamment en autorisant nos forces de sécurité à utiliser de nouvelles techniques d'enquête.
À cet égard, je me félicite de l'adoption de la mesure que j'ai défendue, au nom du groupe RDPI, après l'article 15 bis. Elle permettra aux enquêteurs d'activer, sur autorisation du juge des libertés et de la détention (JLD), les appareils fixes pour les infractions relatives à la criminalité organisée. Notre collègue Étienne Blanc a d'ailleurs proposé un dispositif complémentaire pour les appareils mobiles. Ces méthodes constituent un ajout pertinent aux techniques d'enquête existantes.
Si nous pouvons nous féliciter d'avoir élaboré un texte très riche, nous devons admettre que des failles persistent. Je pense notamment à la prévention, volet pourtant primordial à mes yeux, qui n'a pas eu droit de cité dans cette proposition de loi. Je regrette que l'amendement que j'ai introduit à cet égard n'ait pas obtenu l'approbation de la commission des lois. Beaucoup d'entre vous m'ont affirmé que ce n'était ni le lieu ni le moment d'aborder cette problématique. Alors, dites-moi : quand allons-nous le faire ?
Je ne doute pas une seconde que ce texte permettra de lutter efficacement contre le narcotrafic. Mais, il faut l'admettre, ses effets se concentreront essentiellement sur le haut du spectre.
Cette avancée est significative, certes. Mais quid des petites mains ? Quid, en somme, de notre jeunesse, qui continuera de tenter l'aventure, le ventre tapissé d'ovules de cocaïne ? L'an passé, le voyage s'est interrompu aux portes de l'aéroport guyanais pour plus de 1 000 mules en quête d'argent facile.
Ce ne doit plus être une fatalité. Au-delà de cette proposition de loi, il est primordial de mettre en place des actions pour endiguer le phénomène des mules, qui frappe de plein fouet les territoires ultramarins. Je pense notamment à un scanner corporel capable de détecter les objets ingérés.
Messieurs les ministres, il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous. Monsieur le ministre de l'intérieur, votre prédécesseur, ici présent, s'était montré favorable, devant la commission d'enquête, à l'installation de scanners aux aéroports parisiens, points d'arrivée des vols en provenance de Guyane et des Antilles. J'espère que vous ferez toujours de ce dossier une priorité.
Le scanner a fait ses preuves à l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol aux Pays-Bas. Je reste convaincue, tout comme l'ensemble des parlementaires ultramarins, que cette mesure peut endiguer ce phénomène dans nos territoires. Elle permettra, par la même occasion, de redéployer les forces de police, qui concourent aujourd'hui intégralement aux contrôles dans nos aéroports.
Permettez-moi enfin de saluer l'excellent travail des rapporteurs de la commission des lois et d'Étienne Blanc, auteur de ce texte. Le groupe RDPI avait souscrit aux conclusions de la commission d'enquête ; il est donc tout à fait naturel qu'il soutienne aujourd'hui les objectifs de ce texte.
Notre groupe votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Briante Guillemont, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Briante Guillemont. Monsieur le président, messieurs les ministres d'État, mes chers collègues, « sortir la France du piège du narcotrafic » : l'intitulé de cette proposition de loi affiche d'emblée les ambitions de ses auteurs, qui correspondent à l'ampleur du problème sur lequel ont porté nos travaux, en particulier ceux de Jérôme Durain et d'Étienne Blanc, dans le cadre de la commission d'enquête créée il y a plus d'un an.
Ce travail de longue haleine, important, restera probablement comme une référence en la matière. Soulignons également son caractère transpartisan, les conclusions de cette commission ayant recueilli le soutien de l'ensemble des groupes politiques du Sénat.
Le rapport de la commission d'enquête a mis en lumière des phénomènes tels que l'ubérisation du trafic, l'extension du narcotrafic aux zones rurales ou encore la banalisation des drogues dures.
Le texte que nous allons voter est le résultat à la fois du travail de cette commission d'enquête, de celui réalisé ensuite par les rapporteurs de la commission des lois et, de manière plus originale, des apports nombreux du Gouvernement, qui a su se saisir de ce véhicule législatif pour en renforcer la pertinence.
Du point de vue de la méthode, mon groupe ne peut que souscrire à ce texte, même si nous regrettons de ne pas avoir eu connaissance de certains amendements clefs suffisamment en amont pour nous former un avis éclairé.
Sur le fond, cette proposition de loi n'est pas un petit texte. Elle est, au contraire, absolument majeure.
Voilà quelques années, notre procédure pénale était relativement uniforme. L'évolution de la lutte contre le terrorisme a modifié cet état de fait et nous avons commencé à voter des prérogatives exceptionnelles, car l'urgence et la matière le commandaient. Sur bien des aspects, nous nous apprêtons à élargir les exceptions conçues pour le terrorisme à la lutte contre le narcotrafic. C'est un fait. Tel est le choix, souverain, de cette assemblée.
À la lecture du rapport de la commission d'enquête, il s'agit même d'un choix nécessaire, tant le narcotrafic se répand de manière incontrôlée dans l'Hexagone et dans nos territoires d'outre-mer.
Un pourcentage à lui seul est tout à fait édifiant : 80 % à 90 % du nombre total des règlements de compte s'expliquent par des différends liés au trafic de stupéfiants.
Les conséquences en matière de santé publique sont également dramatiques. Les chiffres relatifs à la consommation de cocaïne ont été rappelés. L'Europe est inondée par ce produit, le marché américain se tournant de plus en plus vers les drogues de synthèse.
Qui plus est, ce texte est attendu,tant par les services de police que par les magistrats, qui ont besoin d'une plus grande coordination et des outils que nous allons leur offrir pour mener à bien leur travail avec plus d'efficacité.
À l'issue de son examen en séance, la présente proposition de loi comporte désormais cinquante articles. À l'origine, elle n'en comptait que vingt-quatre. Alors, qu'allons-nous voter ?
Sans prétendre à l'exhaustivité, les principales mesures consistent en la mise en place d'un service chef de file, la création d'un parquet spécifique, la possibilité de fermer administrativement les lieux soupçonnés de blanchiment d'argent, la systématisation des enquêtes patrimoniales ou encore la création d'une interdiction administrative de paraître et la facilitation de l'expulsion des logements sociaux. Ces dernières mesures ne figuraient pas dans les préconisations de la commission d'enquête.
Les services d'enquête apprécieront particulièrement l'amélioration de la coopération avec les services de renseignement et l'expérimentation du renseignement algorithmique, l'accès facilité aux messageries cryptées, le renforcement des outils à disposition des agents infiltrés, l'extension du régime des repentis et des mesures pour éviter que les trafiquants ne continuent de gérer leurs affaires depuis leur centre de détention.
La procédure pénale sera nettement modifiée avec la prolongation de la garde à vue des mules, la fin du plafonnement des peines applicables aux infractions réalisées concomitamment, la création d'un « dossier-coffre », permettant de ne pas soumettre des pièces de la procédure et des techniques d'investigation au contradictoire et enfin la refonte du régime des nullités, dont il ne semble pas inutile de rappeler qu'elles sont uniquement soulevées par les avocats et non provoquées.
Toutes ces mesures, nombreuses, sont substantielles.
Un grand radical, Clemenceau, a dit un jour à cette tribune : « Le Gouvernement a pour mission de faire que les bons citoyens soient tranquilles, que les mauvais ne le soient pas. » De ce point de vue, nul doute que ce texte remplit cet objectif. Clemenceau avait tout de même ajouté : « […] et que les hésitants, que ceux qui ne savent pas, trouvent un point d'appui dans la loi ».
C'est précisément sur ce point que je veux insister. Nous nous apprêtons à confier des prérogatives très importantes à nos services de police et de justice. Cela témoigne de la grande confiance que leur accorde notre assemblée. Est-il besoin de rappeler qu'avec plus de pouvoir viennent plus de responsabilités ? Toutes ces techniques et dérogations n'ont qu'une seule fin : la lutte contre le narcotrafic. Aussi resterons-nous attentifs à leur utilisation.
De même, certaines mesures, à notre sens, demeurent perfectibles. Nous comptons sur la suite de la navette pour parvenir, notamment, à un « dossier-coffre » à la fois opérationnel – à ce stade, le dispositif nous paraît trop complexe – et équilibré, de manière à préserver les droits de la défense.
Par ailleurs, face à une problématique mondiale, nous ne pouvons ignorer que nous avons besoin de plus de coopération internationale. Ce champ mérite encore réflexion.
C'est tout l'intérêt de la commission d'enquête aux fins d'évaluer les outils de la lutte contre la délinquance financière, la criminalité organisée et le contournement des sanctions internationales, en France et en Europe, et de proposer des mesures face aux nouveaux défis, qui vient de débuter ses travaux.
Quant aux « hésitants » de Clemenceau, ils existent. Ce texte, dont je comprends que ce n'est pas l'ambition, ne s'intéresse pas à eux.
En dehors d'une mesure visant à dissuader le recrutement des plus jeunes par les réseaux, aucun dispositif de prévention n'est prévu. Or il faut garder à l'esprit que le narcotrafic tend à structurer l'espace social.
Nous avons beaucoup parlé de l'Amérique latine au cours de l'examen de ce texte et du risque de « mexicanisation » auquel nous sommes vraisemblablement confrontés. Mais l'extension du narcotrafic sur ce continent n'est pas simplement liée aux outils qui existent ou non pour lutter contre ce phénomène ; si tel était le cas, la Drug Enforcement Administration (DEA) serait rapidement parvenue à ses fins.
En réalité, le narcotrafic s'épanouit partout où l'État central déserte. Par endroits, il a même pris le relais de l'État. Je vous invite à aller voir ce qui se passe actuellement en Argentine, où la dépense publique a véritablement été coupée à la tronçonneuse, ce qui semble en faire rêver plus d'un en France... Qui finance les cantines scolaires dans ce que l'on appelle les « villes misère » ? Ce sont les narcotrafiquants : ils ne se glissent pas seulement dans chaque faille juridique, mais également dans chaque faille sociale, créant une dépendance et une soumission économiques des populations avec lesquelles ils vivent et dont ils font partie. Les narcotrafiquants deviennent, de fait, pour les adolescents, le seul modèle de succès auquel ils aspirent, simplement parce qu'il est le seul auquel ils peuvent prétendre.
Nous pourrons difficilement nous donner les moyens de « sortir du piège du narcotrafic » sans renforcer l'ensemble des services publics permettant d'éviter qu'un gamin ne tombe dedans.
C'est parce que ce texte prévoit plus d'État dans un domaine qui en a cruellement besoin que le groupe RDSE votera pour son adoption. Il nous permet de commencer à rattraper un retard certain ; il devra s'accompagner des moyens humains indispensables pour mener à bien cette mission.
Toutefois, nous ne pourrons nous contenter de ce « plus d'État » sur le seul plan répressif. Mon groupe attend également, sur ce sujet sur lequel le Gouvernement a décidé de s'engager activement, davantage de République. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI, et sur des travées des groupes GEST et SER. – M. Hervé Marseille applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour le groupe Union Centriste.