M. le président. La parole est à M. Daniel Fargeot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. Daniel Fargeot. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le 14 décembre, le cyclone Chido dévaste Mayotte ; il balaie l’île, ses infrastructures, ses écoles, ses maisons, ses bidonvilles ; il emporte des vies et plonge toute une population dans la détresse.

Le 14 décembre, Chido achève Mayotte, ce département dont la situation relevait de l’urgence depuis de nombreuses années. En effet, 77 % de la population y vit sous le seuil de pauvreté, 37 % des habitants sont au chômage et un tiers sont en situation irrégulière.

Monsieur le ministre, comment peut-on déclarer que l’État n’a pas failli ?

Le 14 décembre, Chido met à nu les carences de l’État, qui n’a pas su répondre à l’urgence de la situation d’un territoire abandonné depuis des décennies. La peur et la violence dictent le quotidien. Esseulés, les Mahorais se demandent si leurs frères de métropole ont la moindre idée de leurs conditions de vie. La dérogation est la norme ; l’impunité fait loi. Le cent unième département français est en réalité une zone de non-droit, un territoire où les Mahorais eux-mêmes s’imposent un couvre-feu informel tant il est tant dangereux de sortir une fois la nuit tombée. Nous sommes bien loin de l’espoir de mars 2011, quand la départementalisation de l’archipel devint effective.

Monsieur le ministre, comment déclarer que l’État n’a pas failli ?

Nous apportons notre soutien aux Mahorais, nos compatriotes, car oui, les Mahorais sont français ! Pourtant, cette évidence semble avoir été oubliée dans les premiers jours de la catastrophe. En effet, au-delà des vols et des pillages, la gestion de l’aide alimentaire suscite des interrogations : c’est bien une ONG américaine qui a eu accès aux stocks et qui a priorisé les immigrés en situation irrégulière. (M. le ministre marque son étonnement.) Pendant ce temps-là, les Mahorais attendaient, dans la détresse, suspendus aux annonces d’un gouvernement communicant, mais éloigné des réalités.

Monsieur le ministre, comment déclarer que l’État n’a pas failli ?

Pourtant, à 8 000 kilomètres de Mayotte, l’arsenal administratif et législatif de l’urgence est bien huilé : reconnaissance de l’état de calamité naturelle exceptionnelle, puis de catastrophe naturelle ; enfin, examen de ce texte pour reconstruire Mayotte. L’urgence est absolue. Pourtant, les délais sont déjà trop longs. Il nous aura fallu attendre près de huit semaines pour examiner ce texte !

Les témoignages poignants de nos collègues mahorais Salama Ramia et Saïd Omar Oili nous rappellent à la réalité. Pendant que nous débattons des modalités de reconstruction, hésitant entre reconstruire à l’identique, mais de manière imparfaite, ou reconstruire mieux, mais hors de la temporalité de l’urgence, les bidonvilles se sont déjà reconstitués. On en compte aujourd’hui plus qu’avant, construits plus vite encore, en un temps record : le taux de reconstruction des bidonvilles est de 120 %. Pis, les hébergements d’urgence créent un nouvel appel d’air migratoire.

Pendant ce temps, nous nous interrogeons sur le principe d’expropriation. Est-il réellement nécessaire d’y avoir recours, alors que la puissance publique détient 56 % du foncier à Mayotte, dont 13 % sont entre les mains de l’État ? Ce dernier ne disposait-il pas là d’un levier immédiat pour faire face à l’urgence ?

Et pendant que nous débattons de dérogations au droit commun, que nous prévoyons des délais plus ou moins longs, alors que deux tiers des constructions ont été effectuées sans droit ni titre, les Mahorais, eux, restent sans toit.

Évidemment, nous soutiendrons ce texte. – c’est une priorité – et nous saluons le travail pragmatique des rapporteurs, qui l’ont enrichi en replaçant les élus locaux au cœur des dispositifs proposés ; nous le soutiendrons avec retenue et lucidité.

Au-delà de son caractère urgent, ce texte révèle des failles béantes. Il ne règle pas tout. Il ne corrige pas l’injustice ressentie par les Français de Mayotte qui ont l’impression d’être traités en citoyens de second rang sur leur propre sol.

Nous attendons avec impatience les prochains textes structurels et nous serons attentifs à ce que l’État soit, enfin, à la hauteur pour l’avenir de Mayotte.

Le 14 décembre, Chido a ravagé Mayotte. Il a mis en lumière nos failles, nos faiblesses et l’incapacité de l’État à s’affirmer.

Monsieur le ministre, vous avez dit que l’État n’a pas failli. Les mots ne suffisent plus. L’État doit agir, et agir vite, parce que Mayotte est française et qu’elle doit être traité comme telle. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme Audrey Bélim et M. Saïd Omar Oili, ainsi que Mme Antoinette Guhl, applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme Viviane Artigalas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en préambule, je tiens à faire part, une nouvelle fois, de notre soutien aux Mahoraises et aux Mahorais, qui ont été frappés le 14 décembre dernier par le cyclone le plus dévastateur que l’île ait connu en quatre-vingt-dix ans.

Le texte dont nous entamons l’examen aujourd’hui devrait être la mise en œuvre concrète du devoir de solidarité et d’assistance que la France doit à son cent unième département.

Il n’est nul besoin de rappeler en détail l’état de dévastation dans lequel se trouve Mayotte et d’évoquer les difficultés d’accès à l’eau, à l’électricité, aux soins et aux moyens de communication, la destruction et le pillage des logements, la réduction à néant des cultures vivrières, mais il faut savoir que, plus d’un mois après le passage du cyclone, la crise humanitaire s’aggrave.

Ce projet de loi d’urgence est en complet décalage avec cette terrible réalité. Il est essentiellement d’ordre technique : il prévoit un assouplissement du droit de l’urbanisme, des dérogations en matière de commande publique et des reports des délais de paiement de l’impôt et des cotisations sociales. Sa mesure phare est la création de l’établissement public chargé de coordonner les travaux de reconstruction de Mayotte, dont la gouvernance sera partagée entre l’État et les élus locaux. Ces dispositions sont certes nécessaires, mais totalement insuffisantes ! Au-delà de dispositions techniques, il devrait également être question d’humanité.

En effet, bien avant le passage du cyclone, Mayotte était déjà minée par de multiples crises, migratoire, hydrique et sanitaire, par une défaillance des services publics de santé et d’éducation, ainsi que par un déficit d’infrastructures.

Nous regrettons donc l’application extrêmement stricte de l’article 45 de la Constitution, qui nous empêche d’examiner des amendements visant à soutenir les exploitations agricoles mahoraises, sujet pourtant élémentaire, puisqu’il s’agit tout simplement de nourrir les habitants !

On ne trouve rien non plus dans le texte sur la réalisation d’un recensement général et précis de la population ; rien sur l’accès aux soins ; rien sur la mise en place d’une zone franche globale permettant d’exempter d’impôts les entreprises durant cinq ans ; rien sur les questions du foncier et du cadastre ; rien sur la production de logements.

On ne trouve enfin aucune mesure de financement dans ce texte d’urgence. Heureusement, l’examen des crédits de la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2025 a permis de corriger ce fâcheux oubli. Un fonds d’amorçage a ainsi été créé, doté de 100 millions d’euros en autorisations d’engagement, mais de seulement 35 millions d’euros en crédits de paiement.

Le Conseil d’État avait pourtant rappelé que le Gouvernement pouvait prendre certaines mesures par voie réglementaire, au titre des circonstances exceptionnelles et de la gravité de la situation à Mayotte. Pourquoi ne l’a-t-il pas fait ?

Monsieur le ministre, alors que les catastrophes naturelles vont se multiplier, dans les territoires d’outre-mer comme en métropole, la France n’est pas prête. Elle n’est pas en mesure d’anticiper et de gérer des cyclones, des mégafeux ou des inondations. À Mayotte, des dizaines de morts ne seront jamais identifiés ni rendus à leurs familles. Que faut-il encore qu’il advienne pour que l’État prenne la mesure de la situation critique dans laquelle nous nous trouvons et apporte, enfin, une réponse à la hauteur des enjeux ?

Nous défendrons donc des amendements tendant à soutenir l’agriculture locale, à prolonger jusqu’à la fin de l’année le dispositif fiscal exceptionnel encourageant les dons en faveur de la reconstruction de Mayotte, à garantir la suspension des cotisations sociales jusqu’à la fin de l’année également, voire jusqu’en 2026 si la situation économique de l’île l’exigeait toujours.

Monsieur le ministre, rejeter la responsabilité des difficultés logistiques sur les élus mahorais n’est pas acceptable. Notre groupe avait demandé dès le mois de décembre l’inscription à l’ordre du jour de nos travaux d’un débat au titre de l’article 50-1 de la Constitution, mais il nous a été refusé.

Le sénateur de Mayotte Saïd Omar Oili réclame depuis le mois de décembre la création d’une commission d’enquête sur l’efficacité des dispositifs de prévention et d’alerte et sur la prise en charge globale des suites de la catastrophe. Nous appuierons cette demande sans relâche jusqu’à obtenir satisfaction. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Boyer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Valérie Boyer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Zena M’déré, Younoussa Bamana, Marcel Henri, Zaïna Meresse, Zoubert Adinani : ces grands noms de l’histoire mahoraise avaient un rêve commun. Ce rêve était noble, courageux et puissant : que Mayotte fasse partie de la République française ! Il se concrétisa enfin en 2011 lorsque Mayotte devint un département français. Aussi des lieux symboliques portent-ils leurs noms, afin que l’on n’oublie pas leur combat et leurs espoirs. Leur combat visait à fédérer des hommes et des femmes qui, même s’ils vivent à des milliers de kilomètres les uns des autres, partagent le même amour de la France ; des hommes et des femmes rassemblés autour d’une seule communauté, la communauté française.

Le département de Mayotte souffre depuis trop longtemps, plus encore depuis le passage du cyclone Chido. Bien qu’il soit provisoire, le bilan humain est dramatique. En outre, des milliers de nos compatriotes sans abri vivent dans des centres d’urgence et les dégâts matériels sont bien sûr particulièrement inquiétants. Je pense notamment à l’hôpital de Mamoudzou, le seul de l’archipel, qui comprend la plus grande maternité de France.

Permettez-moi donc de faire part de ma solidarité et de mes pensées les plus sincères aux victimes et à leurs familles et d’apporter mon soutien à nos compatriotes qui continuent de faire face chaque jour aux conséquences de cette catastrophe.

Le projet de loi d’urgence pour Mayotte est bien sûr nécessaire et nous le voterons, je l’espère, à l’unanimité. Nous nous devons de reconstruire, car il y a urgence pour nos concitoyens. Il faut rétablir l’alimentation en eau et en électricité, mettre à l’abri dans les meilleurs délais les victimes du cyclone et les loger, accélérer la reconstruction des bâtiments et des infrastructures détruits et endommagés. Enfin, il faut coordonner la reconstruction de Mayotte.

Mais la reconstruction de Mayotte ne pourra tout simplement pas se faire sans le peuple mahorais. C’est pourquoi je remercie nos rapporteurs Micheline Jacques, Isabelle Florennes et Christine Bonfanti-Dossat d’avoir enrichi le texte initial en développant plusieurs axes majeurs. Malheureusement, nous le savons tous, cela ne suffira pas, car nous nous devons, collectivement, de rebâtir Mayotte en gardant en tête le rêve des figures historiques que je viens d’évoquer.

« Après le malheur, le bonheur », dit-on à Mayotte. Travaillons donc à ce bonheur, mais cessons de faire croire que nous découvrons les problèmes de Mayotte. Ce département est français et fier de l’être. Pourtant, un jour sur trois, pas une goutte d’eau ne coule dans les robinets et un tiers des habitations n’a pas accès à l’eau courante ; 40 % de la population vit dans des bidonvilles et près de 50 % de celle-ci est issue de l’immigration irrégulière. Ce département vivait sous couvre-feu bien avant Chido, car l’insécurité y est terrible.

Nous n’y arriverons pas si nous continuons de mentir aux Français et de penser que les difficultés de Mayotte pourront être réglées sans une politique migratoire qui soit ferme tout en préservant la dignité humaine. À cet égard, j’avais proposé de réformer le droit du sol à Mayotte lors de nos derniers débats sur les questions migratoires. Je n’étais pas seule à le faire au Parlement, comme en témoigne l’engagement du député Mansour Kamardine, pour ne citer que lui.

L’immigration clandestine est une menace pour la cohésion de l’archipel. Disons-le : l’emploi de travailleurs clandestins ou la location de bidonvilles insalubres ne sont plus tolérables, d’abord parce qu’ils portent atteinte à la dignité de la personne humaine, mais aussi parce qu’ils entretiennent des flux d’immigration qui déstabilisent la société mahoraise. L’insupportable trafic d’êtres humains doit cesser. La submersion migratoire est aussi destructrice pour le développement de l’archipel que pour sa cohésion.

Il est donc indispensable de travailler sur deux axes. Il nous faut, premièrement, normaliser nos relations avec le gouvernement des Comores, qui joue un rôle pervers en niant le droit des Mahorais à disposer d’eux-mêmes et leur volonté d’être français. Deuxièmement, il ne faut plus laisser l’Azerbaïdjan continuer à déstabiliser tous nos territoires d’outre-mer, dont Mayotte, mais aussi la Nouvelle-Calédonie, bien évidemment.

Ces pays hostiles, corrompus et corrupteurs doivent cesser leurs opérations de déstabilisation. Il faut des actes du gouvernement français et la solidarité de nos amis européens, car c’est la souveraineté française et européenne qui est en jeu. Il y va de la place de la France dans le monde, sur tous les continents et sur toutes les mers.

Avec le vote de ce texte, la République française est en train, je l’espère, d’écrire une nouvelle histoire commune, mais il faut régler ces questions internationales en urgence.

Je rappelle, pour conclure, que Mayotte fait partie intégrante de notre République et que nos concitoyens mahorais sont pleinement français. De ce fait, nous nous devons de les secourir. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État.

M. Manuel Valls, ministre dÉtat. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’anticiper certains des débats que nous aurons au cours de l’examen des articles et des amendements.

Je remercie Mmes les rapporteures et l’ensemble des orateurs qui se sont exprimés de leur soutien, de leurs suggestions pour enrichir le texte et de leurs critiques sur ses manques. Le but d’un débat parlementaire est d’essayer d’améliorer un texte.

Alors que les catastrophes naturelles – pensons à ce qui s’est passé en Espagne, ou plus récemment encore aux États-Unis – sont malheureusement de plus en plus nombreuses, souvent en raison du dérèglement climatique, je me dis que quelques semaines pour présenter un texte de ce type, qui s’ajoute à des mesures d’urgence ne nécessitant pas un véhicule législatif, c’est peu. Nous avançons, sachant en outre qu’un autre texte, plus structurant, vous sera présenté dans les prochaines semaines.

Beaucoup de choses ont été dites. Mme Jacques a évoqué, entre autres, la question des matériaux et la facilitation de leur importation dans les territoires ultramarins depuis les pays voisins. Vous avez raison, madame la rapporteure, certaines normes doivent être modifiées, d’autant que Mayotte – beaucoup d’entre vous l’ont souligné – doit s’inscrire dans son environnement régional. Et cela ne concerne pas seulement Mayotte, cela a été dit également.

Nous avons déjà obtenu de l’Union européenne une avancée, qui doit à présent être mise en œuvre. Il s’agit de substituer un marquage spécifique au marquage CE et de le décliner le plus vite possible. La certification par territoire peut être longue à organiser ; ce n’est en tout cas pas le rôle de l’établissement public chargé de coordonner les travaux de reconstruction de Mayotte.

Un travail a été réalisé par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) afin d’évaluer rapidement comment accentuer notre action dans les territoires d’outre-mer et y déployer des matériaux en provenance de pays situés hors de l’Union européenne. Nous le savons, il faut aller beaucoup plus vite. Nous avons des problèmes de normes, d’habilitation, d’habitudes. Or il y a urgence. Il faut, pour les matériaux comme pour l’agriculture, comme pour la préparation du ramadan, être capables d’accélérer les processus. C’est ce que nous allons essayer de faire, car nous en avons l’obligation.

Je ne reviens pas sur ce que Mmes les rapporteures ont dit ; elles ont enrichi le texte, cela a été relevé. Je les en remercie une nouvelle fois.

La nécessité d’offrir une perspective à Mayotte a également été évoquée. L’urgence n’est que la première étape. Et non, l’État n’a pas failli lors de cette phase d’urgence. Il y a eu évidemment des manques et des retards, mais, je le redis, l’État n’a pas failli. Pour ma part, je ne représente pas l’État, je n’étais pas alors membre du Gouvernement, mais, je le répète, l’État a fait face sur place, dans des circonstances extrêmement difficiles, alors que les retards s’accumulaient depuis des années.

Je défends donc l’action de l’État, celle du préfet et des services publics. On ne peut pas d’un côté dire que la police, la gendarmerie, l’armée, les enseignants, les soignants, la sécurité civile, tous les services de l’État sont intervenus et les saluer, et de l’autre affirmer que l’État a failli. Qu’il y ait eu des manques et des retards, sans doute depuis des années, c’est incontestable, même si j’assume ce qui a été fait et engagé il y a dix ans, mais non, je le répète, l’État n’a pas failli.

Je remercie le sénateur Verzelen d’avoir dit qu’une action forte est nécessaire à Mayotte.

La sénatrice Malet a eu raison d’évoquer le RSMA. Il a un rôle à jouer dans la reconstruction, je l’ai moi-même souligné lors de ma première visite, le 31 décembre au soir. Ce régiment – c’est vrai dans toutes les outre-mer – effectue un travail remarquable. Il accueille entre 600 et 700 jeunes Mahorais, hommes et femmes, garçons et filles, qui s’impliquent sur place. Nous devons évidemment les utiliser dans le travail de reconstruction. Le RSMA forme la jeunesse mahoraise à des métiers qui seront utiles à la reconstruction : charpentier, constructeur en voiries et réseaux, maçon, carreleur, etc.

La formation, au-delà du service militaire adapté, est une question fondamentale pour la jeunesse mahoraise et pour réussir la reconstruction de Mayotte.

Madame la sénatrice Ramia, je vous remercie, ainsi que la commission, de votre travail. Nous devons utiliser l’expérience des deux sénateurs mahorais pour trouver les meilleures solutions. Vous l’avez souligné, il faut déployer des solutions supplémentaires pour abriter les services publics et les personnes appelées à reconstruire Mayotte, en rétablissant l’article 3 du texte et en y apportant des précisions.

Nous devons accélérer et innover pour que les régularisations foncières interviennent, vous avez raison. Nous travaillerons avec vous et la Chancellerie pour mettre en place un dispositif facilitant la reconnaissance officielle des propriétés, tout en sécurisant les droits des différentes personnes qui pourraient être concernées par un même terrain. Nous intégrerons ces éléments dans le projet de loi de programmation pour Mayotte.

Reconnaissons une réalité : peut-être avons-nous voulu accélérer le mouvement avec la départementalisation, ce que je comprends tout à fait, mais en matière de cadastre, de droit de propriété, d’assurance, le retard a été pris il y a longtemps. Nous devons le rattraper avec beaucoup de célérité, tout en tenant compte de la culture et de la réalité mahoraises.

Le sénateur Bernard Fialaire a évoqué la nécessité de fixer un cap, ce qui rejoint la conclusion que je donnais tout à l’heure à mon propos introductif. Que voulons-nous pour Mayotte ? Quelle est la place de Mayotte, ce cent unième département français, dans le projet national, en matière de défense, de biosphère, de développement humain, éducatif, culturel, économique ? C’est en répondant à ces questions et en fixant un cap que nous rétablirons la confiance entre les Mahorais et la France.

Face à l’urgence de la situation, il faut évidemment venir en aide à Mayotte, la consolider, la reconstruire, la refonder, mais les Mahorais ont aussi besoin d’un projet face aux Comores, dans leur environnement, l’océan Indien, près de Madagascar, de l’île Maurice, de La Réunion et de la côte est de l’Afrique. Nous devons, je le répète, bâtir un véritable projet dans ce cadre.

Beaucoup de nos compatriotes savent désormais placer Mayotte sur une carte. Ma responsabilité, tant que je serai ministre des outre-mer, est de ne rien lâcher sur Mayotte et de faire en sorte que ce département ne sorte pas des écrans radars, pour que l’action collective qui doit être la nôtre en faveur des Mahorais puisse être poursuivie.

Le sénateur Stéphane Demilly, que je retrouve avec plaisir, a souligné qu’il était regrettable que ce projet de loi ne traite pas de l’accès à l’eau. Monsieur le sénateur, il faut dissocier la gestion de l’urgence et la mise en œuvre de mesures de moyen et long terme.

Sur l’eau, l’urgence a été l’unité de potabilisation de la sécurité civile, l’importation massive de bouteilles d’eau, en veillant à ce qu’elles arrivent chez l’habitant, et le colmatage des fuites sur le réseau, avec le soutien du génie. Nous constatons qu’il reste encore beaucoup d’avaries à réparer.

À long terme, il faudra évidemment renforcer le plan eau Mayotte ; le Premier ministre l’a annoncé il y a un mois. Il faudra ensuite construire la deuxième usine de dessalement. Je suis loin d’en entendre parler pour la première fois ! Je me demande toujours pourquoi elle n’a pas été construite au cours des dix ou douze dernières années. Enfin, il faut accélérer la création d’une troisième réserve collinaire.

Il nous faudra ensuite aller beaucoup plus loin. Il y a à Mayotte un problème à la fois de production et de distribution de l’eau. Il nous faut inventer d’autres instruments, car on ne pourra pas continuer de gérer la pénurie en distribuant des bouteilles d’eau. C’est là une solution de court terme, indigne des Mahorais. Il faut modifier les infrastructures et la manière dont nous traitons la question de l’eau.

Reconnaissons-le : si ce problème est criant à Mayotte, nous le connaissons aussi en Guyane, aux Antilles de manière générale, à La Réunion actuellement. Il nous faut donc inventer des solutions. Beaucoup d’entreprises dans le monde travaillent sur ces questions. Je pense donc que nous pouvons faire beaucoup mieux que la simple gestion de la pénurie.

Cela étant, vous avez raison, monsieur le sénateur Demilly, la question de l’eau est fondamentale.

J’ajoute, sur ce sujet, qu’un expert de haut niveau chargé de l’eau est arrivé à Mayotte pour épauler le préfet de manière pérenne. J’espère pouvoir annoncer prochainement un certain nombre de mesures dans ce domaine. Les deux sénateurs mahorais le savent, une nouvelle crise de l’eau, comme celle que nous avons connue en 2023, risque de se produire. Or une telle crise, après Chido, et alors que la première crise a déjà été lourde et a eu des conséquences sociales majeures, serait évidemment un coup dur pour nos compatriotes mahorais.

Je veux à présent évoquer le bilan humain du cyclone, en réponse aux sénatrices Evelyne Corbière Naminzo et Viviane Artigalas.

On a dénombré à Mayotte 40 décès, 125 blessés graves, 6 933 blessés légers. Il est possible que des disparus puissent alourdir le bilan. Mais je veux dire de la manière la plus nette, comme je l’ai déjà fait à l’Assemblée nationale, que l’État n’a rien à cacher. Quel intérêt aurions-nous d’ailleurs à camoufler un bilan ? L’opération d’ « aller vers » les gens a permis à des professionnels, et non au ministre, à son cabinet ou au préfet, de toucher 33 000 personnes et de prodiguer 15 000 soins directement sur le terrain.

L’Escrim, l’élément de sécurité civile rapide d’intervention médicale, va bientôt achever sa mission, après avoir pris en charge près de 5 500 personnes. Je veux à cette occasion saluer le travail extraordinaire effectué par les médecins dans leur hôpital militaire.

J’aborde cette question avec humilité. Il y a un mois, lorsque je me suis rendu à Mayotte, certaines voix ont parlé de fosses communes et de charniers. Or y a-t-il eu un seul cadavre refoulé par la mer ? Non ! A-t-on découvert des charniers ? Non ! On a parlé de 50 000 à 60 000 morts tout de même ! Il faut faire très attention – je le dis avec toute la solennité que requiert un tel sujet – à la manière dont on traite cette question. Bien évidemment, si on découvre qu’il y a eu davantage de victimes ou de disparus, il faudra le dire ; il n’y a aucune raison de le cacher. J’indique que nous avons même demandé aux chefs d’établissements de l’éducation nationale de faire le point sur les enfants et de signaler les élèves qui n’auraient pas été présents lors de la rentrée scolaire.

Je suis le plus clair possible, je suis prêt à répondre à toutes vos questions, y compris dans le cadre d’une commission d’enquête le cas échéant. Je rappelle en effet, madame la sénatrice, que le Gouvernement n’a pas le pouvoir d’empêcher la création d’une telle commission, qui relève du choix des groupes parlementaires : chacun d’entre eux dispose d’un droit de tirage. Je le répète, nous répondrons à toutes vos questions et nous n’avons absolument rien à cacher.

J’en viens au budget, sur lequel plusieurs questions ont été posées, notamment par la sénatrice Antoinette Guhl. Les 100 millions d’euros déjà votés sont une première étape, un fonds d’amorçage destiné à financer la reconstruction des bâtiments et des équipements publics. Il faudra bien sûr aller beaucoup plus loin.

L’évaluation des dégâts par la mission inter-inspections va permettre de lancer la demande d’activation du fonds de solidarité de l’Union européenne. Le chiffrage est en cours. J’ai évoqué, il y a trois jours, à Mayotte, le montant d’un milliard d’euros pour ce qui concerne les bâtiments publics, mais le coût total des destructions– il était considérable à Saint-Martin après l’ouragan Irma – pourrait atteindre 3,5 milliards d’euros, coût auquel il faudra ajouter celui de la reconstruction et de la mise en œuvre des projets prévus avant Chido.

Cher Saïd Omar Oili, comme votre collègue mahoraise Salama Ramia, vous avez vécu et continuez de vivre quelque chose de très difficile ; je ne peux pas me mettre à votre place. Nous nous parlons souvent, car je souhaite pouvoir avancer en vous associant, ainsi que vos collègues députés, aux réflexions, aux propositions et aux actions de l’État.

Nous avons, cher Saïd Omar Oili, pris des mesures d’urgence par décrets et arrêtés. Je le dis en réponse à certains sénateurs qui ont évoqué l’avis du Conseil d’État. Nous avons ainsi demandé au préfet de réquisitionner le matériel nécessaire pour déblayer les déchets. Nous avons également pris des mesures afin d’accélérer les contrats pour lutter contre les infiltrations d’eau, aider les entreprises, encadrer les prix, mais nous ne pouvons pas aller trop loin par voie réglementaire. Les circonstances exceptionnelles – vous le savez parfaitement en tant que législateur – ont leurs limites, ce qui justifie le présent projet de loi.

J’en viens à la mise en œuvre du plan Mayotte 2025. Nous avions signé ensemble avec les élus mahorais ce document stratégique, qui avait été annoncé par le Président de la République François Hollande.

Si je puis me permettre une remarque plus personnelle, monsieur le président, je me demande encore, maintenant que je suis retourné à Mayotte après les dévastations occasionnées par Chido, comment un tel retard a pu être pris dans la mise en œuvre de ce plan. Celle-ci avait bien commencé, de 2015 à 2017, mais elle semble avoir rencontré ensuite toute une série de difficultés. Il y a là une responsabilité à chercher, je le souligne.

Le rapport de la Cour des comptes intitulé Quel développement pour Mayotte a certes pointé les lacunes de ce plan, mais il a aussi souligné que ces difficultés de mise en œuvre découlaient pour une large part du manque d’expertise et d’ingénierie des collectivités locales, ce que m’ont confirmé sur place les maires et le président du conseil départemental. Cette problématique est toujours d’actualité. Je ne mets absolument pas en cause ces élus. Ils nous demandent eux-mêmes un appui en matière d’expertise. Celle-ci manque aussi au niveau de l’État, et nous sommes en train de la renforcer.

Nous avons un très bon préfet à Mayotte, je le souligne. Mais pourquoi ce département est-il souvent un premier poste dans la carrière de ces hauts fonctionnaires ? Il faudrait nommer dans les territoires ultramarins des préfets encore plus expérimentés et les doter de plus de moyens.

Je le répète : il n’y aura pas de refondation sans collectivités territoriales fortes, il n’y aura pas de refondation sans les maires et les élus !

Le prêt à taux zéro sera ouvert à l’ensemble des familles mahoraises. Lorsque celles-ci reconstruisent ou rénovent elles-mêmes, ce qui est courant à Mayotte, il sera garanti par l’État jusqu’à 50 000 euros. Ces conditions très favorables, voulues par le Gouvernement, aideront un maximum de familles mahoraises. Il faudra nous adapter à la situation, mais ce dispositif me paraît plus efficace que ce qui avait été initialement annoncé. J’espère qu’il pourra être mis en place et adapté au fur et à mesure, et je souhaite qu’il bénéficie à toutes les familles qui en ont besoin. Nous comptons en la matière sur le travail des élus locaux et des parlementaires. (Marques dimpatience sur des travées du groupe Les Républicains.)

J’en viens à l’établissement public. Il est préfiguré par le général Pascal Facon, qui est sur place et reviendra cette semaine pour mettre en place l’équipe de la mission Mayotte. Il sera le chef de la mission Mayotte et non le directeur général de l’établissement public. Pour ce poste, nous devrons trouver un spécialiste de l’aménagement. Le général Facon assumera avec beaucoup de détermination, à mes côtés, la direction de cette mission.

Le président du conseil départemental présidera l’établissement public et les élus y seront représentés. Nous reviendrons sur ce point au cours de l’examen de l’article 1er. Ce que nous souhaitons tous, c’est que la gouvernance de l’établissement soit efficace, car il s’agira du bras armé de l’action déconcentrée de l’État. Il y a beaucoup à faire, en effet : reconstruire les établissements publics, prendre soin de la forêt, mettre en œuvre des politiques d’aménagement…

Viviane Artigalas a évoqué le soutien à l’agriculture locale. Les agriculteurs peuvent bénéficier de l’aide exceptionnelle permise par le décret du 11 janvier 2025, à hauteur de 20 % du chiffre d’affaires mensuel de 2022, pour un montant plafonné à 20 000 euros par mois. Une aide exceptionnelle du ministère des outre-mer vient en complément du fonds outre-mer (FOM), avec une enveloppe de 15 millions d’euros. J’ai signé le décret afférent et 2 500 agriculteurs pourront en bénéficier. Il reste évidemment beaucoup à faire pour redresser cette filière comme celle de la pêche.

Je veux enfin répondre à Mme Valérie Boyer, que je retrouve avec plaisir ici au Sénat.

Mme Boyer a raison de souligner le devoir de vérité sur ces questions. Elle rappelle à juste titre, comme je l’ai fait moi-même, que les interventions d’États étrangers, notamment de l’Azerbaïdjan, sur l’ensemble de nos territoires ultramarins, y compris à Mayotte, sont tout à fait scandaleuses.

Beaucoup d’entre vous ont souligné la fragilité de la situation à Mayotte. Il faut reconnaître le travail engagé par l’État, mais aussi avoir conscience qu’une nouvelle catastrophe naturelle peut survenir, comme une nouvelle pénurie d’eau. Les questions de sécurité se posent toujours aussi âprement, avec un niveau de violence préoccupant. La problématique de l’immigration nous oblige à être lucides sur la fragilité d’un territoire qui peut basculer. Oui, il faut saluer la résilience et le courage des Mahorais. Mais tout cela est très fragile.

Nous devons donc être à la hauteur de l’attente des citoyens de ce cent unième département, de nos compatriotes mahorais. Si Chido a révélé quelque chose, c’est l’urgence de la reconstruction, de la refondation et de la convergence sociale.

J’en suis pleinement conscient et, si j’ai été nommé ministre d’État, ministre des outre-mer, c’est aussi pour répondre à toutes les urgences de ces territoires et notamment à celles de Mayotte. Cela s’impose avant tout pour les Mahorais eux-mêmes, bien sûr, mais n’oublions pas que la France, à Mayotte, joue une grande partie de sa capacité à répondre, enfin, à l’attente, à l’exigence de tous nos compatriotes ultramarins. (Applaudissements sur des travées du groupe RDPI. – M. Roger Karoutchi applaudit également.)