M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord d’exprimer à mon tour, au nom du groupe du RDSE, notre soutien continu à l’ensemble du peuple mahorais et de remercier à nouveau tous les acteurs qui se sont mobilisés pour répondre à l’urgence.
Une fois encore, Mayotte est touchée en son cœur. Le bilan est lourd : trente-neuf décès, quatre mille cinq cents blessés et des milliers d’infrastructures publiques et privées en ruines.
Plus d’un mois après le cyclone Chido, la vie reprend doucement son cours : l’électricité est partiellement revenue, mais l’archipel reste encore profondément marqué ; la partie nord demeure très sinistrée et les quelques écoles qui ont rouvert fonctionnent en mode dégradé.
Cette tragédie vient aggraver la situation d’un territoire déjà exsangue : le chômage de masse explose, les réponses structurelles à la pauvreté endémique tardent à venir et les services publics sont plongés dans une crise toujours plus profonde, le tout dans un contexte plus global où les Mahorais rencontrent depuis longtemps de fortes difficultés pour accéder aux besoins les plus élémentaires, comme l’accès à un logement décent, à l’eau potable, ou à des denrées alimentaires essentielles.
Sur le sujet de l’immigration, que je n’oublie pas, il faut agir – c’est certain ! Les Mahorais demandent des moyens supplémentaires sur le terrain pour lutter contre l’immigration clandestine. Sur le fond, la discussion parlementaire sur le prochain projet de loi devra être exigeante pour aboutir à des mesures qui ciblent véritablement les insuffisances du cadre actuel.
Voilà autant de champs sur lesquels l’État doit mieux faire, car la distance qui éloigne Mayotte de la République grandit de jour en jour.
Face à cette situation, pour se reconstruire et se développer, le cent unième département de France a besoin que la République lui fixe un cap, un itinéraire à suivre, et lui donne les moyens financiers et juridiques pour y parvenir. Or, depuis trop longtemps maintenant, elle regarde ailleurs et ne s’y intéresse qu’à de rares occasions et par à-coups, toujours sous le prisme de l’immigration clandestine, jamais sous celui du développement économique et social.
Au printemps 2024, les annonces faites par le gouvernement Attal semblaient pourtant ouvrir un nouveau chapitre pour Mayotte, avant que la dissolution et l’instabilité politique que nous connaissons ne balaient tout espoir d’engager rapidement les chantiers nécessaires.
À l’heure où l’île est de nouveau frappée par un drame, le Gouvernement décide de redonner une perspective à Mayotte, sous l’impulsion du Président de la République et du Premier ministre, dans le cadre du plan « Mayotte debout » annoncé le 30 décembre dernier.
Espérons que, cette fois-ci, la démarche aboutisse, en dépit des turbulences politiques que le pays pourrait connaître – espérons que non ! – à l’avenir.
Pour cela, il est impératif que la reconstruction et la refondation de Mayotte se fassent avec les forces vives locales. Je pense bien évidemment aux élus locaux, mais aussi aux associations et aux corps intermédiaires, qui connaissent parfaitement le terrain et seront un rouage essentiel de la réponse que l’État doit élaborer.
C’est dans cette perspective que le groupe du RDSE souhaite que ce projet de loi visant à refonder l’île repose sur une démarche partenariale. Nous voterons pour son adoption afin d’apporter des réponses rapides et concrètes à l’urgence à laquelle font face les Mahorais. (M. Bernard Buis applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Demilly. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Demilly. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, le 14 décembre dernier, le cyclone Chido a ravagé Mayotte. C’est l’une des plus graves catastrophes naturelles qu’ait connues la France depuis plusieurs siècles. Et le 13 janvier, le cyclone Dikeledi a continué le travail de dévastation.
Permettez-moi tout d’abord de renouveler, au nom du groupe Union Centriste, notre soutien à l’ensemble des Mahoraises et des Mahorais et à tous ceux qui se sont mobilisés pour répondre à l’urgence et accompagner les sinistrés.
Parmi les sinistrés, on trouve nos collègues Salama Ramia et Saïd Omar Oili. J’ai eu des échanges avec ce dernier pendant et après ce drame, et je voudrais lui redire toute mon affection. Je garderai longtemps les photos qu’il m’a envoyées de ce qui était, avant le cyclone, son habitation…
En quelques heures, les Mahorais ont tout perdu ; vous avez, mes chers collègues, tout perdu. Nous aborderons en détail aujourd’hui les conséquences matérielles du drame ; mais les conséquences en sont aussi psychologiques, et ces cicatrices profondes seront longues à disparaître.
Je me suis rendu à Mayotte en mai 2024 avec d’autres membres de la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par Micheline Jacques. Bien avant le passage de Chido, les Mahorais souffraient déjà – je ne suis pas le premier à le relever à cette tribune aujourd’hui – de crises économiques et sociales.
Ils étaient déjà sans eau courante ; ils connaissent maintenant le « sans électricité ».
Ils étaient déjà étranglés par la vie chère ; ils sont maintenant soumis aux pillages et aux pénuries.
Il faut le dire, c’est un calvaire sans fin !
L’ampleur de ces catastrophes naturelles met en lumière l’état de vulnérabilité dans lequel nous avons laissé le cent unième département français.
Il faut parer au plus pressé et prendre des mesures urgentes pour reconstruire rapidement l’habitat, les services publics et les infrastructures.
Reconstruire vite, oui, mais aussi et surtout reconstruire mieux, tout en faisant en sorte que plus d’habitations soient assurées – peu l’étaient au moment du cyclone.
Ce projet de loi ne pourra pas répondre, à lui seul, aux crises qui ravagent Mayotte, mais ses dispositions sont très attendues et vont dans le bon sens.
Les trois premiers chapitres visent à favoriser la reconstruction de l’île, en prévoyant des règles dérogatoires en matière d’urbanisme et de construction, tout en transférant à l’État la mission de reconstruire les écoles.
L’article 3, en particulier, dispense les constructions temporaires d’hébergement d’urgence, réalisées pour une durée maximale de deux ans, de toute formalité d’urbanisme afin de ne pas perdre de temps.
Le relogement temporaire d’urgence des populations nécessite bien sûr le recours à des constructions modulaires, mais je tiens à alerter sur le fait que les pouvoirs publics en faisaient déjà largement usage avant le passage du cyclone. Ces constructions n’ont pas du tout fait leurs preuves en termes de solidité et de salubrité. Les Mahorais sont trop habitués à des situations de bricolage provisoire qui deviennent définitives. Il faudra donc s’assurer que ces constructions provisoires seront réellement démontées au bout de deux ans.
Le projet de loi comporte également des mesures destinées à soutenir les associations et à encourager les dons en faveur des victimes, ainsi que des mesures en faveur des entreprises et de la population mahoraises. Tout cela, monsieur le ministre, va dans le bon sens.
Il est néanmoins regrettable que ce texte ne traite pas de l’accès à l’eau potable, qui est un besoin fondamental. Le fait que ce problème existait bien avant le passage des derniers cyclones ne le rend pas moins urgent, bien au contraire.
Je pense que d’autres mesures complémentaires devraient être étudiées : je pense à la reconstruction d’infrastructures essentielles dans les secteurs de l’électricité et des communications ; on pourrait aussi imaginer le gel d’un certain nombre de factures – l’eau, l’énergie et, dans certains cas, les loyers ; je pense aussi, naturellement, à la restauration des écosystèmes forestiers et littoraux, qui sont très importants pour l’équilibre de l’île.
Oui, le chantier est gigantesque et il faut se montrer à la hauteur. Le groupe Union Centriste votera pour ce projet de loi, qui doit être un premier pas vers une reconstruction pérenne. (Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains. – Mme Antoinette Guhl et M. Saïd Omar Oili applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Corbière Naminzo.
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un mois et demi après le passage du cyclone Chido, le Sénat examine, enfin, un projet de loi d’urgence pour accélérer la reconstruction de Mayotte.
Alors que nous commençons à débattre de ce texte, gardons bien en tête que près de 90 % des Mahorais sont sans toiture, en pleine saison cyclonique. Trois quarts des bâtiments ont été affectés. La tempête tropicale Dikeledi a encore aggravé la fragilité des infrastructures et du bâti. Dans un département où plus du tiers des logements sont des habitats de fortune, majoritairement en tôle, c’est cette fragilité de l’habitat qui a coûté de nombreuses vies.
Nous refusons que la précarité et la fragilité de l’habitat constituent la norme à Mayotte. Gardons bien en tête que, là-bas, les familles manquent de tout. Sur fond de crise sociale et sanitaire, les Mahorais vivent au quotidien une situation d’urgence humanitaire, faite de manques en matière d’accès à l’eau, à la nourriture, à l’énergie et aux soins. Mayotte se sent complètement abandonnée !
Au nom du groupe CRCE-K, je salue toutes les initiatives de solidarité, venues de Mayotte, de La Réunion et de tout le pays, et je remercie toutes les personnes qui y ont contribué. Je tiens à exprimer nos pensées endeuillées aux proches des victimes du cyclone, ainsi que tout notre soutien aux sinistrés et aux personnes qui leur portent secours et assistance.
Ainsi, ce texte devant entrer en vigueur au début du mois de février est, en dépit de son nom, bien loin de répondre à l’urgence. En effet, sur le terrain, que ce soit pour l’école, l’habitat, l’eau ou la nourriture, le provisoire s’installe et renforce le sentiment d’abandon.
En réalité, ce texte doit surtout poser le cadre de la construction de Mayotte. Il faut répondre au nécessaire besoin d’adaptation des normes aux réalités climatiques. Le régime dérogatoire dont nous débattons doit permettre à Mayotte de construire un nouvel aménagement, plus durable et permettant surtout d’accueillir des services publics dimensionnés aux besoins de la population.
Au vu de l’immensité de ces besoins, nous, membres du groupe CRCE-K, voterons pour ce projet de loi en dépit de nos nombreuses inquiétudes, que ce texte ne suffit pas à dissiper.
Aux antipodes des opérations de destruction des bidonvilles et d’expulsions massives menées par l’ancien ministre de l’intérieur, nous demandons à l’État de garantir le relogement durable de toutes les personnes présentes dans ce département. Il y va du respect de la vie humaine et de la dignité des personnes, qu’elles possèdent des papiers d’identité ou non.
Oui, ce projet de loi comporte des mesures discriminatoires qui nous inquiètent, en premier lieu la mesure conditionnant l’achat de tôles à la présentation d’une pièce d’identité et interdisant leur revente aux tiers.
Je pense à toutes les victimes sans papiers du cyclone, jetées à la rue, sans accès aux soins, et à celles qui ont péri et qui n’ont pas été comptabilisées. Monsieur le ministre, nous ne vous lâcherons pas avant que la lumière soit faite sur le nombre exact de personnes disparues !
L’urgence pour Mayotte, c’est la reconstruction.
Pourtant, la situation dramatique dans laquelle se trouve cette terre de France n’est pas le seul fait de Chido. Mayotte est le département le plus pauvre de France. La pauvreté touche 84 % des Mahorais. Le taux de chômage atteignait en 2023 37 %, contre 7,3 % au niveau national.
Mayotte est le département de l’injustice sociale et des promesses non tenues. Combien de temps sera-t-il encore considéré comme un territoire de seconde zone, où le Smic horaire brut est abaissé à 8,98 euros contre 11,88 euros dans l’Hexagone, et où le RSA est deux fois moindre que dans le reste de la France ?
Dans ce territoire français, le droit constitutionnel à l’instruction est très loin d’être garanti. Comment accepter que la plupart des élèves ne puissent avoir cours que sur des demi-journées, par rotation ? Quand l’État prendra-t-il enfin en charge le problème de déscolarisation qui touche ce territoire où les moins de 20 ans représentent 55 % de la population ?
J’espère que nos débats d’aujourd’hui permettront à notre Haute Assemblée de prendre conscience des injustices que la République fait subir aux Mahorais et aux Mahoraises. L’urgence pour Mayotte, c’est aussi l’égalité sociale et l’égalité des chances.
Si la situation exige rapidité et efficacité, nous n’accepterons pas une reconstruction à l’identique, bâclée ou au rabais, sous peine de voir des catastrophes de ce type se reproduire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et SER. – M. Akli Mellouli applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Antoinette Guhl. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Antoinette Guhl. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, Mayotte est dévastée et je tiens, au nom des membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, à témoigner de notre solidarité et de notre compassion envers les habitants de l’archipel.
Mayotte est dévastée et, plus que jamais, monsieur le ministre, nous devons prendre nos responsabilités. Le passage du cyclone a frappé durement ce territoire, plaçant plus encore sa population dans une précarité sociale et économique extrême et dans un état d’urgence humanitaire alarmant.
Les bidonvilles abritant des milliers de personnes pauvres ont été anéantis, les laissant sans abri, sans accès à l’eau potable, sans nourriture ni soins médicaux. Et bien d’autres quartiers sont aussi gravement touchés. Mayotte fait aujourd’hui le compte de ses pertes humaines.
Cette situation d’urgence ne doit pas nous éloigner de nos valeurs et ambitions humanistes. Nous devons prendre soin de toutes les victimes de ce cyclone, que leur situation administrative soi régulière ou non. Il y va de notre dignité. Ne pas le faire serait un accroc dans notre pacte républicain.
Ce cyclone témoigne aussi du sous-développement dont étaient déjà victimes les Mahoraises et les Mahorais. Rappelons que, dans cette partie de la France, 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, que 70 % seulement des enfants sont scolarisés – et encore, quelquefois un jour sur trois ! – et que le chômage y est cinq fois plus important que dans l’Hexagone.
Alors, comment reconstruire une société quand l’accès à l’éducation, à la santé, à la formation professionnelle ou à un emploi décent est resté si longtemps une promesse vide ?
L’urgence ne réside pas uniquement dans la réparation : elle est aussi dans la garantie d’un cadre de vie digne, de possibilités d’émancipation, de conditions de travail et d’apprentissage adaptées aux besoins des Mahorais.
La situation sur le terrain ne pourra s’améliorer que si des investissements publics sont consentis pour les infrastructures éducatives et sanitaires, afin d’éviter qu’une partie de la population soit à jamais laissée sur le bas-côté.
Il y a l’urgence humaine ; il y a aussi une urgence écologique. Mayotte abrite un écosystème unique, un patrimoine naturel d’une richesse inestimable.
Son lagon, le deuxième plus grand au monde, abrite des espèces marines menacées, comme le dugong, ce mammifère marin emblématique de Mayotte, déjà en danger, qui a vu ses herbiers marins détruits, alors que c’est la source principale de son alimentation ; cela le met encore plus en péril.
Le cyclone Chido a dévasté les infrastructures humaines, mais il a aussi endommagé des écosystèmes vitaux : de la destruction des forêts et des récifs coralliens à la pollution des eaux et des sols, la biodiversité en ressort totalement anéantie.
Nous ne pouvons pas reconstruire Mayotte en négligeant la protection de ces écosystèmes exceptionnels. Or ce projet de loi ne contient pas de mesures concrètes pour restaurer ces habitats naturels. C’est pourtant une priorité importante. Mayotte doit se reconstruire aussi dans le respect de son environnement, avec des infrastructures résilientes et respectueuses de la nature.
L’ampleur des dérogations proposées dans le domaine de l’urbanisme risque de remettre en cause les normes de sécurité et d’habitabilité des futurs bâtiments.
Ce projet de loi est à l’évidence totalement insuffisant et se contente d’apporter aux problèmes les plus urgents des réponses très temporaires. Ainsi, les dispositifs d’accompagnement social et économique ne sont garantis que pour une durée de deux mois ; c’est tout de même très peu, monsieur le ministre !
Maintenant, il faut s’attaquer au véritable sujet : la pauvreté de la majorité des Mahoraises et des Mahorais.
Mais comment faire quand le financement de cette reconstruction est très largement insuffisant ? Les 100 millions d’euros prévus dans la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances seront loin de suffire pour répondre à l’ampleur de la tâche. Monsieur le ministre, vous avez vous-même estimé les besoins entre 1 milliard et 3 milliards d’euros quand vous êtes revenu de Mayotte ; pour l’instant, nous n’y sommes pas !
Nous ne pouvons pas accepter qu’un territoire, aussi riche en forces vives et en biodiversité, et ses habitants soient laissés sur le côté, abandonnés à leur destin. La reconstruction de Mayotte doit être un projet national, global et durable, prenant en compte les enjeux humains, sociaux et environnementaux.
Ce n’est qu’à cette condition que Mayotte pourra sortir du cycle infernal de la pauvreté et de l’abandon, et que ses habitants pourront enfin envisager un avenir digne, respectueux de l’environnement et des droits de tous. Assumons nos responsabilités ! Mayotte mérite plus qu’un pansement sur une plaie béante. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER, ainsi que sur des travées du groupe CRCE-K.)
M. le président. La parole est à M. Saïd Omar Oili. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Saïd Omar Oili. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation à Mayotte peut s’analyser de deux manières. Si certains services sont pratiquement revenus à la normale, elle s’aggrave en revanche d’un autre côté : par exemple, ce week-end, des pluies intenses ont inondé plusieurs villages et provoqué des dégâts sur le réseau d’eau ; nombre de secteurs sont aujourd’hui privés de cette ressource indispensable.
Il faut avoir conscience que la population mahoraise continue de souffrir et qu’elle se sent très largement abandonnée, malgré les aides extérieures.
Monsieur le ministre, plusieurs fois dans votre intervention, vous avez mentionné la capacité de résilience des Mahorais. C’est vrai : nous acceptons des conditions de vie qui provoqueraient dans d’autres territoires des soulèvements immédiats.
Mais attention : la résilience, comme la patience, a ses limites ! Et je crains que les effets d’annonce non concrétisés amplifient une colère qui existe dans la société mahoraise, une colère alimentée par la désillusion qui résulte des promesses non tenues. Il y a un document de promesses, monsieur le ministre, que vous connaissez bien : le plan Mayotte 2025, dont la Cour des comptes a estimé, dans un rapport de 2022, que son suivi et son animation n’ont pas duré plus d’un an…
Juste après la crise du cyclone Chido, le Président de la République a annoncé une aide pour les personnes qui n’avaient pas d’assurance ; or voici qu’aujourd’hui, monsieur le ministre, vous proposez un prêt qui ne correspond pas aux pratiques des Mahorais !
Je vous mets donc solennellement en garde contre ce risque de désillusion.
Chido, en shimaoré, cela signifie le miroir. Ce cyclone a été le révélateur, auprès de l’opinion, de nos réalités dans l’archipel : nos insuffisances dans le système éducatif, nos logements précaires et nos bidonvilles, la faiblesse de nos infrastructures… La liste pourrait être longue !
Sur le projet de loi d’urgence qui nous occupe aujourd’hui, ma première réserve est relative au terme « urgence ». Dans l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi, rendu le 22 décembre 2024, il est suggéré au Gouvernement de procéder, au regard des circonstances exceptionnelles, par décret ayant force de loi.
Une loi « d’urgence » promulguée plus de deux mois après le cyclone et renvoyant à des ordonnances, notamment pour son bras armé, l’établissement public, je ne sais pas s’il faut la qualifier ainsi !
On peut sentir, dans ce texte, la volonté, que je ne nie pas, de reconstruire Mayotte ; quant à moi, je préfère le mot « construire ». En effet, avec le terme « reconstruire », j’entends, comme dans le code de l’urbanisme, « à l’identique ». Non, je ne saurais l’accepter, car nous devons construire Mayotte sur de nouvelles bases.
Je note aussi que l’absence de données budgétaires dans ce texte, que je comprends juridiquement, peut rendre perplexes les Mahorais. Il y a un gap entre les milliards annoncés dans la presse et les 35 millions d’euros qui figurent dans le projet de loi de finances pour 2025.
L’enjeu majeur de ce projet de loi se trouve dans les dispositions relatives à l’établissement public, prétendument nouveau, que l’on présente comme le bras armé de cette reconstruction.
Comme je l’ai déjà revendiqué, la reconstruction de Mayotte ne peut pas se faire sans les Mahorais ; sans quoi, elle sera un échec. C’est pourquoi j’ai déposé une série d’amendements sur les articles 1er et 2 du projet de loi.
Je proposerai notamment de réduire de trois mois à un mois après la promulgation de la loi le délai dans lequel devra être prise l’ordonnance qui va définir le cadre de cet établissement public. Je rappellerai à cette occasion l’importance de la concertation avec les parlementaires sur le contenu de cette ordonnance, qui va définir les contours de ce bras armé de la reconstruction de Mayotte.
Enfin, ma crainte est que cet établissement public soit une coquille vide dans les mains de l’État, avec une représentation simplement honorifique des collectivités territoriales. Ainsi, dans la rédaction actuelle, c’est le directeur général, en l’occurrence le général Facon, qui aura une voix prépondérante.
Je désire que la construction de Mayotte se fasse dans une gouvernance partagée : tel est le sens de mes amendements. Je vous avertis : sinon, cela ne marchera pas ! D’ailleurs, les Mahorais l’ont bien compris quand ils ont manifesté leur opposition à l’article 10 sur les expropriations. Ils y ont vu un outil supplémentaire pour l’établissement public foncier et d’aménagement de Mayotte (Epfam), dont l’action est très contestée par la population.
Monsieur le ministre, n’oubliez pas cette parole de Nelson Mandela que vous m’avez plusieurs fois entendu reprendre : « Faire pour nous et sans nous, c’est faire contre nous ! » (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST et sur des travées des groupes CRCE-K et UC.)
M. le président. La parole est à Mme Annick Petrus. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Annick Petrus. Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, je prends la parole cet après-midi avec une émotion particulière, car si Mayotte est aujourd’hui sous le choc du cyclone Chido, Saint-Martin, dont je suis élue, a connu cette même détresse en 2017 après l’ouragan Irma.
Je sais ce que vivent les Mahorais : l’angoisse face à une nature déchaînée, la sidération devant les maisons détruites, les écoles éventrées et les commerces dévastés, mais surtout le sentiment d’abandon une fois l’urgence passée.
À Saint-Martin, nous avons appris comment rebâtir mieux, en évitant certains pièges, en pensant de façon résiliente, en associant les habitants et les élus.
Alors, aujourd’hui, en examinant ce projet de loi, je veux apporter ce retour d’expérience. Ce que nous avons vécu, Mayotte ne doit pas le revivre. Ce texte est une réponse à l’urgence, mais il doit surtout être le socle d’une reconstruction intelligente, qui évite de commettre les erreurs du passé.
Le bilan du cyclone Chido est terrible, mais au-delà de ce drame, il ne faut pas oublier que Mayotte était déjà en grande difficulté avant cette catastrophe : 77 % de la population vivait sous le seuil de pauvreté, le taux de chômage atteignait 37 % et une crise du logement dramatique frappait l’île.
À Saint-Martin non plus, le cyclone n’a pas créé la crise sociale : il l’a exacerbée. Il a rendu encore plus visibles nos défaillances en matière d’urbanisme, d’accès aux services publics, de résilience économique. C’est pourquoi, même si l’on parle de reconstruction, on ne pourra pas se contenter de rebâtir à l’identique.
Ce projet de loi doit permettre de poser les bases d’un territoire plus solide, mieux protégé, mieux équipé. Il y a plusieurs obstacles majeurs à la reconstruction : des procédures administratives trop complexes qui retardent les chantiers ; un manque de coordination entre l’État et les collectivités territoriales, rendant l’action publique confuse et inefficace ; un urbanisme non adapté aux risques climatiques, conduisant à des reconstructions vulnérables.
Le projet Relev a permis d’étudier ces blocages en profondeur. Il a notamment démontré qu’une reconstruction réussie repose sur trois piliers : d’abord, des normes de construction adaptées aux réalités locales ; ensuite, une concertation avec la population – l’absence de dialogue a généré à Saint-Martin des tensions et des incompréhensions, notamment sur le reclassement des zones à risques ; enfin, une planification sur le long terme, car reconstruire ne suffit pas. Il faut concevoir dès aujourd’hui le développement futur de Mayotte, intégrer la question des risques naturels et s’assurer d’une urbanisation maîtrisée.
Dans cette perspective, la création d’un établissement public consacré à la reconstruction, comme il est prévu dans le présent texte, est une bonne chose, mais il devra intégrer pleinement les élus locaux, car ce sont eux qui connaissent le mieux les réalités du terrain.
Ne reléguez pas les artisans et les PME locales au second plan, car la relance économique prendrait du retard et le tissu local serait affaibli.
Ce projet de loi contient aussi plusieurs mesures économiques : une suspension des cotisations sociales jusqu’à la fin de 2025, une exonération fiscale des entreprises sinistrées, ou encore des aides directes pour les commerces détruits.
Il faut aussi veiller à ce que les marchés publics privilégient les entreprises mahoraises pour que cette catastrophe ne les condamne pas définitivement.
La reconstruction ne peut être efficace et acceptée que si elle est ancrée dans le territoire. Le projet de loi prévoit bien une gouvernance locale pour l’établissement public chargé de la reconstruction, mais cela doit aller plus loin : les maires et les élus départementaux doivent être systématiquement consultés sur les grands projets. Les habitants doivent être associés aux choix d’urbanisme pour éviter des blocages et renforcer l’adhésion aux projets.
Ce texte est un premier pas indispensable, mais il doit poser les bases d’une reconstruction plus intelligente.
L’urgence ne doit pas conduire à l’improvisation. Nous avons vu les erreurs qui retardent la reconstruction, nous avons vu les conséquences d’une action mal coordonnée. Mayotte ne doit pas vivre le même calvaire. Il faut construire une Mayotte plus solide, qui résiste mieux aux catastrophes.
C’est à ces conditions que Mayotte pourra se relever. Et c’est pour cela que nous devons veiller, dans les prochains mois, à ce que ces engagements deviennent une réalité tangible pour les Mahorais. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – Mme Solanges Nadille applaudit également.)