M. le président. La parole est à Mme Amel Gacquerre, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Amel Gacquerre. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, plus souple juridiquement, plus rémunératrice que la location vide et fiscalement plus intéressante, la location meublée de tourisme a connu un essor sans précédent ces dernières années.

De plus en plus de propriétaires ont préféré la location touristique à la location vide ou meublée à usage de résidence principale. Nous comptons aujourd’hui plus de 1 million de locations saisonnières.

Cette tendance de fond contribue indéniablement à la crise du logement que subissent les Français en ce qu’elle exacerbe la pénurie de logements à louer et le renchérissement de l’immobilier dans les zones tendues. Le législateur se devait donc d’intervenir pour trouver le meilleur équilibre possible et restaurer la justice afin d’assurer les conditions d’une concurrence équitable entre tous les acteurs du tourisme.

Cette proposition de loi vise, à mon sens, à mettre en œuvre des dispositions justes, d’abord envers nos concitoyens qui cherchent à se loger et qui se retrouvent parfois pénalisés par l’éviction de certains logements du parc locatif ou confrontés à des prix excessifs, ce qui alimente un sentiment de déclassement, qu’il importe de combattre à la racine.

Ce texte est aussi juste envers les propriétaires. Je salue à cet égard les avancées sur les obligations du diagnostic de performance énergétique visant à rapprocher les exigences énergétiques des meublés touristiques de celles qui s’appliquent aux autres logements, selon un calendrier ordinaire pour les nouveaux meublés et en accordant un délai réaliste aux autres pour s’y conformer.

Cette proposition de loi est également juste envers les élus locaux, auxquels elle donne plus de pouvoir pour réguler les meublés de tourisme et préserver les logements résidentiels au travers d’une boîte à outils comprenant diverses mesures comme la limitation à 90 jours par an de la durée de location d’une résidence principale aux touristes, l’autorisation préalable de changement d’usage, des quotas d’autorisation temporaire ou des sanctions en cas de fausse déclaration. Il s’agit non pas de créer un arsenal répressif, mais bien de permettre aux élus d’imposer une réglementation là où l’essor des meublés touristiques peut entraîner un effet d’éviction sur l’habitat permanent.

Enfin, ce texte est juste envers les loueurs : leur rôle dans l’attractivité de nombreux villages et villes est reconnu par une fiscalité harmonisée entre locations de courte et de longue durée, une mesure que nous avions soutenue.

Ce texte ne répond certes qu’à un seul aspect d’une crise du logement multidimensionnelle, mais il s’agit d’une initiative parlementaire bienvenue, dont je salue les auteurs, Annaïg Le Meur et Inaki Echaniz.

Avec le groupe Union Centriste et Yves Bleunven, qui a porté notre voix dans ce débat, je me réjouis du compromis trouvé par le Parlement. Restons vigilants pour que ces dispositions, notamment fiscales, ne soient pas remises en cause dans le projet de loi de finances pour 2025.

Ce compromis en appelle d’autres pour s’attaquer aux injustices et inégalités que cristallise le secteur du logement. À cet égard, madame la ministre, je pense notamment à la proposition de loi visant à faciliter la transformation des bâtiments de destination autre qu’habitation en habitations, dont la convocation de la commission mixte paritaire serait bienvenue, mais aussi aux questions touchant à la rénovation thermique, au meilleur fonctionnement des copropriétés, à l’accès à la propriété et à tant d’autres sujets sur lesquels le Sénat et sa commission des affaires économiques sont force de proposition. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Marianne Margaté, pour le groupe Communiste Républicain Citoyen et Écologiste – Kanaky. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K.)

Mme Marianne Margaté. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voici enfin l’aboutissement de cette proposition de loi sur les meublés de tourisme, véritable fléau pour nos villes. Combien de temps avons-nous laissé ce secteur prospérer sans garde-fou, au détriment de nos concitoyens ?

En 2023, Airbnb a engrangé près de 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires et 4,8 milliards de dollars de bénéfice net. Pendant ce temps, combien de familles, combien de travailleurs ont dû renoncer à un logement décent ? La France, et particulièrement ses grandes métropoles, alimente cette machine infernale. L’an dernier, la capitale recensait plus de 75 000 annonces Airbnb, autant de logements retirés à la location de droit commun ; tandis que le marché du tourisme explose, 2,7 millions de familles attendent désespérément un logement social.

Dans les villes les plus touchées, certains élus n’ont pas attendu pour agir. Je tiens à saluer l’engagement exemplaire de mon collègue Ian Brossat, qui était en première ligne pour protéger le droit au logement et affronter l’ubérisation de nos villes.

Notre département de Seine-et-Marne subit également les effets de cette économie débridée. À Val d’Europe, à deux pas de Disneyland, le manque de logements est criant pour les salariés du parc comme pour les habitants. Un chiffre est parlant à ce titre : à Serris, commune de 9 000 habitants, le nombre de meublés de tourisme a explosé, passant de 106 en 2018 à 320 en 2023, soit une augmentation de 200 % en cinq ans. Face à cette croissance, la commune et Val d’Europe Agglomération ont imposé des autorisations préalables pour les locations de courte durée. Leur courage a été récompensé : la justice leur a donné raison en juillet dernier.

Ces initiatives locales montrent la voie, mais ne suffisent pas. Nous avons besoin d’un cadre juridique national fort et sans ambiguïté. Cette proposition de loi constitue donc un premier pas en ce sens. Nous la soutiendrons, car elle contient des mesures essentielles pour rétablir un équilibre : elle rend obligatoire l’enregistrement des locations, pour une transparence indispensable, en précisant le type de justificatif requis, afin de garantir une réelle efficacité ; elle sanctionne l’insalubrité et permet ainsi de lutter contre les marchands de sommeil qui profitent de cette opacité ; elle impose des critères de performance énergétique pour aligner ce secteur sur nos exigences écologiques ; elle donne aux élus les outils nécessaires pour limiter la location d’une résidence principale à 90 jours, un ajustement indispensable face à l’explosion des meublés de tourisme ; elle renforce le pouvoir des copropriétaires pour leur permettre de protéger leur immeuble d’un usage qui les pénalise ; enfin, elle met en place une fiscalité juste pour en terminer avec les privilèges accordés aux locations touristiques, lesquelles doivent contribuer équitablement.

Pour autant, soyons clairs : ce texte ne résoudra pas tout. Ce n’est pas les touristes, mais bien l’absence de planification du logement qui est en cause. Oui, les plateformes doivent être régulées, mais elles ne sont qu’un symptôme d’un problème plus profond.

Les nouvelles recettes issues de cette fiscalité doivent d’urgence être réinvesties dans le logement social. Nous avons déjà trop tardé : chaque année, le nombre de personnes sans solution d’hébergement augmente, tandis que le Gouvernement se félicite de maintenir un nombre suffisant de places. L’écart entre la demande et l’offre de logements se creuse pourtant dramatiquement : en vingt ans, le nombre d’expulsions a bondi de 200 %, mais seulement 82 000 logements sociaux ont été agréés en 2023 alors qu’il en faudrait trois fois plus. Les moyens doivent suivre.

Face à l’engouement suscité par ce texte, j’appelle chacun ici à aller plus loin lors de l’examen du projet de loi de finances. Le droit au logement doit l’emporter sur le profit privé. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE-K. – Mme Antoinette Guhl et M. Bernard Buis applaudissent également.)

M. le président. Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l’amendement précédemment adopté par le Sénat.

(La proposition de loi est adoptée.) – (Applaudissements.)

Article 4 (début)
Dossier législatif : proposition de loi visant à renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l'échelle locale
 

8

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Monsieur le président, mes chers collègues, j’ai l’habitude, de bon matin, de prendre connaissance de la presse régionale. Aujourd’hui, j’ai découvert, au détour d’un article sur l’absentéisme des députés lors de l’examen du projet de loi de finances à l’Assemblée nationale, les propos de l’un d’entre eux. Commentant le déroulement des débats, celui-ci a confié que tout était fait pour que le PLF soit réécrit au Sénat, « par des sénateurs qui, je le rappelle, ne sont pas élus par les Français ».

Le mode de représentation du Sénat est pourtant tout aussi légitime que celui de l’Assemblée nationale, je tenais à le rappeler. Plus que jamais, face à la confusion qui règne au Palais Bourbon, il est heureux que notre démocratie dispose d’une assemblée riche de son ancrage territorial.

Je rappelle que nos concitoyens sont attachés aux institutions locales que nous représentons ici. (Bravo ! et applaudissements.)

M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement.

Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures trente.)

M. le président. La séance est reprise.

9

Conventions internationales

Adoption en procédure d’examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.

Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.

Je vais donc les mettre successivement aux voix.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’union européenne et ses états membres, d’une part, et la république d’arménie, d’autre part et de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’union européenne et ses états membres, d’une part, et l’ukraine, d’autre part

Article 1er

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la République d’Arménie, d’autre part, signé à Bruxelles le 15 novembre 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.

Article 2

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord sur la création d’un espace aérien commun entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et l’Ukraine, d’autre part, signé à Bruxelles le 12 octobre 2021, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission, après engagement de la procédure accélérée, sur ce projet de loi (projet n° 544 [2023-2024], texte de la commission n° 687 [2023-2024], rapport n° 686 [2023-2024]).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république d’indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d’Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense (ensemble une annexe), signé à Paris le 28 juin 2021, complété par l’échange de lettres des 18 août 2023 et 9 novembre 2023, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission, après engagement de la procédure accélérée, sur ce projet de loi (projet n° 545 [2023-2024], texte de la commission n° 722 [2023-2024], rapport n° 721 [2023-2024]).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté.)

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de l’état indépendant de papouasie-nouvelle-guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces

Article unique

(Non modifié)

Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l’État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces, signé à Port-Moresby le 31 octobre 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée (projet n° 531 [2023-2024], texte de la commission n° 602 [2023-2024], rapport n° 601 [2023-2024]).

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.

(Le projet de loi est adopté définitivement.)

10

 
Dossier législatif : projet de loi autorisant la ratification de l'accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale
Article unique (début)

Convention des Nations unies sur le droit de la mer

Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale (projet n° 645 [2023-2024], texte de la commission n° 724 [2023-2024], rapport n° 723 [2023-2024]).

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Jean-Noël Barrot, ministre de lEurope et des affaires étrangères. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec beaucoup de fierté que je présente aujourd’hui ce projet de loi visant à autoriser la ratification de l’accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, un traité plus communément appelé accord BBNJ – pour Marine Biodiversity of Areas Beyond National Jurisdiction – ou encore traité sur la haute mer.

Avant tout, je souhaite souligner le caractère historique de cet accord, tant par son objet que par ce qu’il symbolise. Son adoption par consensus en juin 2023 est l’aboutissement d’un long processus, engagé voilà plus de quinze ans.

Pour la France, qui a contribué de manière décisive à ce succès et qui joue un rôle moteur dans la protection internationale de l’océan, il s’agit d’une victoire. Notre pays a d’ailleurs été parmi les premiers à signer cet accord, dès septembre 2023, au siège des Nations unies, à New York.

C’est aussi une victoire pour le multilatéralisme, dans le contexte géopolitique que nous connaissons et, surtout, un succès pour l’océan, dont les deux tiers de la surface sont couverts par cet accord.

Celui-ci marque même un tournant décisif en venant compléter le cadre juridique établi en 1982 par la convention des Nations unies sur le droit de la mer, concernant un espace qui recouvre 50 % de la surface de notre planète.

Merci à Fabrice Loher, ministre délégué chargé de la mer et de la pêche, et à ses services, ainsi qu’à Olivier Poivre d’Arvor, ambassadeur pour les pôles et les océans, et à l’ensemble des services présents et continuellement mobilisés ces dernières années afin de faire advenir cet accord si ambitieux.

L’océan constitue l’un des principaux réservoirs de biodiversité dans le monde et la protection résultant de ce texte permettra enfin d’agir concrètement pour la sauvegarder.

L’océan rend d’innombrables services à l’humanité, que nous devons ici rappeler : il nourrit directement plus de trois milliards de personnes ; il constitue une source d’énergie, de revenus et d’innovations scientifiques et pharmaceutiques ; il est aussi l’un des poumons de notre planète : il fournit plus de la moitié de l’air que nous respirons et absorbe près d’un tiers du CO2 que nous émettons. Nos pays, nos populations dépendent tous de sa santé et de la préservation de ses ressources.

Jamais pourtant l’océan n’a été aussi menacé. La dégradation des écosystèmes marins, les pollutions – dont la pollution plastique –, son acidification, le réchauffement climatique, la pêche illégale, l’exploitation des ressources minérales, gazières et fossiles sont autant de pressions qui se multiplient et le mettent sérieusement en péril. Avant l’accord BBNJ, aucun outil global n’offrait la possibilité d’y remédier de manière concrète au-delà des eaux sous juridiction nationale.

Ce texte fournit avant tout des réponses opérationnelles, à commencer par la possibilité de créer des aires marines protégées au large de tous les continents, et ce non pas seulement selon la loi du consensus, mais à la majorité qualifiée des États parties. Cette modalité de vote, innovante autant que déterminante, rendra l’accord d’autant plus efficace en permettant de surmonter les blocages d’une minorité d’États.

Il oblige aussi les États à évaluer les répercussions des activités susceptibles de provoquer des dommages dans les eaux internationales et d’en surveiller les effets dès lors qu’une autorisation aura été accordée. Il renforce la transparence et la consultation avec toutes les parties prenantes : États côtiers, États intéressés, organisations globales, régionales et sectorielles, sociétés civiles, communautés scientifiques et communautés locales.

Il prévoit en outre de renforcer les capacités des pays en développement, dans une logique solidaire, pour leur permettre d’atteindre les objectifs de conservation qu’il contient. Cet effort de solidarité passe aussi par le partage des bénéfices issus de l’utilisation des ressources génétiques marines.

Cet accord a été conçu dans une logique d’efficacité. Plutôt que d’ajouter une couche supplémentaire aux accords régionaux déjà existants pour la protection de la haute mer, il renforce la coopération et la coordination entre les différentes organisations régionales et multilatérales compétentes, sans s’y substituer, en les faisant converger.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai rappelé qu’il était le fruit d’un long processus de négociation. Il prouve que la méthode multilatérale peut être efficace et concrète, mais aussi que les Nations unies peuvent apporter des réponses universelles aux grands défis mondiaux de notre temps.

Il se situe à un point d’équilibre entre des intérêts et priorités divers, entre la conservation et l’utilisation durable de l’océan. Il est ambitieux, comme l’ont été la France et l’Union européenne dans ces négociations.

Comme je le soulignais, je suis fier que notre pays, que nos agents, aient joué un rôle moteur et décisif, comme nous en avons désormais pris l’habitude dans toutes les négociations climatiques et environnementales.

Je salue l’investissement sans faille des équipes du ministère de l’Europe et des affaires étrangères, notamment de la direction des affaires juridiques, qui a conduit et coordonné les travaux depuis leurs prémices.

En lien étroit avec les ministères chargés de la transition écologique et de la cohésion des territoires, mon ministère a mobilisé toute l’expertise disponible au niveau national au sein de l’État, des instituts de recherche et des établissements publics concernés. Il s’agit là d’un exemple de réussite à suivre.

Parmi les solutions proposées par la France qui ont abouti, relevons la possibilité, pour la conférence des parties, d’adopter des décisions à la majorité qualifiée pour surmonter les blocages d’une minorité d’États, la nécessité d’évaluer les répercussions des activités menées sous la juridiction des États et ayant des effets en haute mer, la création d’un fonds volontaire ouvert aux entités privées pour contribuer aux objectifs de conservation et d’utilisation durable, ou encore l’introduction d’une évaluation d’impact préliminaire lorsqu’une activité risque d’emporter des effets plus que mineurs ou transitoires.

Nous maintiendrons ce niveau d’ambition en vue de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, qui se tiendra en juin 2025 à Nice et qui sera le plus grand sommet consacré à ce sujet jamais organisé, un événement qui entend être pour l’océan l’équivalent de ce que l’accord de Paris a été pour le climat.

Avec le Costa Rica, qui est coorganisateur, nous nous emploierons à permettre l’entrée en vigueur de l’accord BBNJ le plus rapidement possible, et donc à rassembler les soixante ratifications nécessaires. On dénombre aujourd’hui cent cinq signataires et quatorze États parties ayant ratifié.

Émettre aujourd’hui un avis favorable sur ce texte, c’est faire de la France le premier État membre de l’Union européenne ainsi que le premier État du G7 et du G20 à finaliser son processus de ratification au niveau national ; c’est aussi contribuer à un effet d’entraînement indispensable à l’entrée en vigueur rapide de cet accord.

Dans la continuité de son adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 29 mai dernier et de son adoption par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, je vous encourage à approuver ce projet de loi à la plus large majorité possible pour marquer l’importance de cet accord fondamental et la nécessité absolue d’agir sans tarder et sans détourner le regard, pour protéger notre planète, pour les générations présentes et futures, pour nos populations, d’agir pour l’océan. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. André Guiol, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui le projet de loi autorisant la ratification de l’accord se rapportant à la convention des Nations unies sur le droit de la mer et portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, mieux connu sous l’acronyme anglais BBNJ.

Cet accord est historique. Porteur d’une haute ambition, il est le fruit d’un consensus international remarquable puisque les discussions ont pu aboutir aux Nations unies malgré un contexte fracturé par l’agression russe en Ukraine, déclenchée un an plus tôt, et par la rivalité stratégique sino-américaine.

Il concerne juridiquement la haute mer, c’est-à-dire les espaces maritimes qui ne sont sous l’autorité d’aucun État, à l’inverse de la mer territoriale, des zones économiques exclusives ou du plateau continental, soit plus de 50 % de la surface planétaire et 64 % de celle des océans. Cette ressource collective constitue un potentiel inexploré dont probablement 70 % à 80 % des espèces restent à découvrir.

Cet accord est l’aboutissement d’un long processus qui a débuté en 2004, lorsque l’Assemblée générale des Nations unies a formulé ses premières préoccupations sur les lacunes du droit international relatif à la conservation et à l’utilisation durable de la biodiversité dans les espaces maritimes internationaux.

Jusque-là, le seul cadre juridique applicable aux océans était la convention des Nations unies sur le droit de la mer adoptée en 1982 à Montego Bay et entrée en vigueur en 1994. Cette convention est quasi universelle, puisqu’elle compte 169 parties, à l’exception notable des États-Unis. Elle définit, certes, de grands principes environnementaux pour la haute mer, mais ceux-ci restent d’application limitée.

La communauté internationale a pris conscience qu’il fallait aller plus loin. Un important travail préparatoire s’est tenu pendant plus de quinze ans, précédant la négociation formelle du texte de 2018 à 2023.

Le champ d’application de l’accord exclut toutefois certains secteurs. D’abord, le secteur militaire – chacun comprendra pourquoi –, puis l’exploration et l’exploitation des minéraux, qui dépendent de l’Autorité internationale des fonds marins et restent donc réglementés par la convention des Nations unies sur le droit de la mer, et enfin la pêche, qui reste régie par les organisations régionales de gestion de la pêche.

Possédant la deuxième zone économique exclusive (ZEE) au monde, la France est très engagée en matière de diplomatie environnementale en milieu maritime. Elle a aussi accueilli à Brest le One Ocean Summit, en février 2022, et se prépare à la tenue d’une conférence des Nations unies sur l’océan à Nice, en juin 2025.

Très impliquée au niveau politique dans la négociation de l’accord, la France travaille à accélérer le processus de ratification par les États signataires et jouera un rôle important dans sa mise en œuvre.

Je ne vous présenterai pas en détail le contenu de l’accord, qui comporte trente-quatre pages, soixante-seize articles et deux annexes. J’en rappellerai plutôt l’essentiel.

L’accord comporte quatre volets principaux. Le premier porte sur les outils de gestion par zone et sur les modalités de création d’aires marines protégées.

Lorsque l’accord sera entré en vigueur, les États pourront désigner collectivement ou individuellement des aires protégées ou tout autre outil de gestion par zone. Les décisions et les recommandations seront prises, comme il est d’usage, par consensus ainsi que, de manière assez inédite, par vote à la majorité des trois quarts afin d’éviter d’éventuels blocages. Cette avancée doit beaucoup à la France et à l’Union européenne.

Le deuxième volet concerne les études d’impact environnemental.

Une obligation générale de réaliser de telles études incombe déjà aux États qui projettent de nouvelles activités en pleine mer. Jusqu’alors, aucune procédure spécifique n’était prévue et cette obligation n’était pas toujours respectée ; le BBNJ définit une procédure et prévoit la consultation des parties prenantes au sens large, y compris celle des États potentiellement affectés.

Les ressources génétiques marines, qui font l’objet du troisième volet de l’accord, ainsi que les données numériques qui en sont extraites, ont une valeur marchande que les entreprises de biotechnologie cherchent à utiliser à des fins commerciales, par exemple dans le domaine médical ou cosmétique. Vous imaginez les gains potentiels que ces ressources génétiques marines représentent ; or dix pays disposent à eux seuls de 90 % des brevets associés à ces ressources, ce qui soulève des questions d’équité et de justice auxquelles le BBNJ tente de répondre.

L’article 7 de l’accord pose le principe de partage juste et équitable des avantages obtenus. Comment ? L’accord ne répond pas à cette question ; il faudra donc attendre son entrée en vigueur et la constitution du comité sur l’accès et le partage des avantages, composé de quinze membres élus lors de la première conférence des parties, qui formulera des recommandations sur les mécanismes à mettre en place.

Enfin, le quatrième volet concerne l’accroissement des capacités des pays en développement et le transfert de technologies. Les États parties devront contribuer au renforcement des capacités des États en développement et coopérer avec eux au titre du transfert de technologies marines. Concrètement, les pays en développement devraient pouvoir bénéficier dudit transfert à des conditions préférentielles.

Le nouveau traité va chevaucher des réglementations qui existent déjà en matière de navigation, d’exploration et d’exploitation des fonds marins ou de pêche. En effet, pour articuler ce texte avec l’existant, les États ont décidé de ne pas porter atteinte aux instruments juridiques en vigueur et de favoriser la coordination et la coopération entre les différentes instances compétentes, en particulier l’Autorité internationale des fonds marins et les organisations de gestion de pêche, qui resteront souveraines dans leurs compétences.

L’Opecst, dans son rapport du 4 avril 2024 sur la protection de la biodiversité marine en haute mer, recommandait au Gouvernement d’émettre une réserve afin que les activités relatives aux ressources génétiques marines ne s’appliquent pas aux ressources collectées avant l’entrée en vigueur de l’accord, comme celui-ci le prévoit. Il s’agit de protéger les collections parfois très anciennes et issues de la haute mer du Muséum national d’histoire naturelle. J’ai obtenu l’assurance des commissaires du Gouvernement que cette réserve serait bien insérée.

À ce jour, 105 États ont signé l’accord, dont l’ensemble des États européens. Il est d’ailleurs prévu que des États qui ne sont pas parties à la convention de Montego Bay puissent signer l’accord BBNJ, à l’instar des États-Unis.

Le BBNJ entrera en vigueur 120 jours après la date de dépôt du soixantième instrument de ratification. À ce jour, seuls quatorze États l’ont ratifié, soit neuf de plus depuis l’adoption du texte par l’Assemblée nationale, le 29 mai dernier. Le Parlement européen a approuvé sa ratification le 24 avril 2024. La France, très impliquée dans cet accord, devrait figurer parmi les premiers États à autoriser sa ratification.

Nous espérons que le seuil des soixante ratifications soit atteint à l’occasion de la conférence de Nice, en juin prochain. À ce titre, la France mobilise l’ensemble de son réseau diplomatique, en particulier pour que les États membres de l’Union européenne ratifient le BBNJ avant cette date.

L’adoption de cet accord constitue le début d’une nouvelle dynamique pour la coopération et le multilatéralisme au service de la protection et de la préservation des océans. Tout reste à construire par les conférences des parties, qui se mettront en place dès l’entrée en vigueur du texte.

À plus long terme, le BBNJ ne sera efficace qu’à la condition d’assurer le suivi, le contrôle et la surveillance des activités humaines en haute mer. Compte tenu de la superficie du domaine maritime français, notre pays a une responsabilité particulière à cet égard.

Le ministre délégué chargé de la mer et de la pêche, Fabrice Loher, avec lequel je me suis entretenu la semaine dernière, m’a assuré que le projet de loi de finances pour 2025 lui accordera les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par cette convention, en particulier en ce qui concerne les moyens militaires de surveillance.

Mes chers collègues, cet accord fait confiance à la science. Ses orientations seront prises par un organe scientifique et technique composé d’experts internationaux. Il construit une démarche protectrice et durable des richesses et des ressources marines face à la prédation des hommes. Il permet ainsi à tous les acteurs du monde de prendre conscience de la beauté, de l’immensité, mais aussi de la fragilité des océans et des fonds marins. En ratifiant au plus vite ce texte, la France renforcera son influence sur la scène internationale. Pour traduire l’esprit de cet accord, je citerai Rabelais : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

Mes chers collègues, compte tenu de ces éléments, notre commission vous propose d’approuver ce texte en faveur duquel la France s’est fortement mobilisée et qui constitue, vous l’aurez compris, une avancée historique pour la protection de la biodiversité marine en haute mer. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, RDPI, INDEP, UC et GEST.)