M. le président. La parole est à M. Michaël Weber. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Michaël Weber. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce traité mondial sur les océans et la biodiversité marine est un accord historique. Il offre enfin un cadre juridique pour la protection de la haute mer, ce bien commun si malmené qui couvre près de deux tiers de la planète et dont seulement 1 % de la surface est protégé.
Après l’épuisement des ressources côtières, la haute mer est devenue le terrain de prédilection de la surpêche et de la pêche illégale, qui s’effectuent sans trop de surveillance ni de contrainte légale. Les navires du monde entier y ont déversé pendant des années nos déchets. L’industrie minière lorgne les ressources minérales, sourde au risque qu’elle nous fait courir à tous. La pêche industrielle, enfin, dévore sans modération les ressources halieutiques. En résumé, les océans sont au bord du gouffre.
La lutte contre l’effondrement de la biodiversité est un enjeu global et la coopération multilatérale une nécessité absolue.
La France a su, jusqu’ici, tirer vers le haut l’ambition internationale pour la protection des océans. Mais prenons conscience de l’urgence. Le traité doit entrer en vigueur avant juin 2025, date de la prochaine conférence de l’ONU. Au moins soixante pays doivent le ratifier d’ici là. Non seulement soyons parmi les premiers à le faire, mais enjoignons aussi à nos partenaires européens et mondiaux de faire rapidement de même.
Sans perdre un instant, commençons dès maintenant à identifier des aires marines à protéger en haute mer et cherchons les leviers financiers pour la mise en œuvre du traité. Tenons fermement notre position contre l’exploitation minière des fonds marins, véritable désastre écologique.
La France doit être ce qu’on attend d’elle, une puissance diplomatique active et progressiste.
La France doit rester force de proposition à l’international ; toutefois, pour être crédible, elle doit être exemplaire dans ses eaux territoriales.
Notre pays possède la deuxième plus vaste zone économique exclusive au monde, s’étalant sur plus de 10 millions de kilomètres carrés. Or ce que nous faisons actuellement ne saurait se réclamer d’une véritable politique de protection des mers.
À en croire le Gouvernement, plus de 30 % de nos espaces maritimes sont déjà couverts par des aires protégées. Mais quand on regarde le niveau de protection, seulement 1,6 % de nos mers est sous protection forte : l’écart entre les effets d’annonce et la réalité est gigantesque. Des méga-chalutiers labourent quotidiennement les fonds de nos aires supposées protégées, capturant 400 tonnes de poissons par jour, quand ils ne vont pas frayer dans les aires protégées britanniques.
La France et l’Europe doivent clarifier la définition de l’aire marine protégée en adoptant les standards fixés par l’Union internationale pour la conservation de la nature. Par essence, ces espaces excluent la pêche industrielle. Les zones de protection qui ne remplissent pas ces standards ne doivent pas être comptabilisées. Par souci de cohérence, la France doit revoir à la hausse son exigence de protection et interdire le chalutage dans ses aires protégées.
Les grands discours à l’international n’ont aucun sens si rien n’est fait une fois plongés, pour ainsi dire, dans le concret. Rappelons que les pêcheurs eux-mêmes sont les premiers bénéficiaires de ce que l’on appelle « l’effet réserve » des aires marines strictement protégées.
Je voudrais conclure en évoquant le scandale politique de l’arrestation de Paul Watson. Les trois États qui pratiquent encore la chasse à la baleine sont ou seront vraisemblablement signataires du traité. Le Japon, qui ne l’a pas encore signé, se targue d’avoir investi dans un bateau-usine voué à la chasse aux cétacés, véritable abattoir flottant pouvant atteindre d’une seule traite l’océan Antarctique, bien loin de sa zone économique exclusive. La Norvège et l’Islande ont également fait part de leur intention de relancer ce commerce hideux et destructeur.
Je profite de cette tribune pour réaffirmer notre soutien à Paul Watson. J’appelle de mes vœux sa libération et sa naturalisation par la France, pour notre plus grande fierté. Il est l’emblème vivant d’une juste lutte contre une pratique barbare et insensée. Faire de Paul Watson l’un des nôtres, lui offrir l’asile politique serait un symbole fort au cœur de nos engagements pour la liberté et la préservation de la biodiversité marine, dans la droite ligne du présent traité. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE-K et GEST. – Mme Évelyne Perrot et M. Alain Chatillon applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la haute mer couvre plus de 50 % de la surface du globe. Une telle superficie embrasse sans aucun doute une très grande biodiversité. Les experts s’accordent à dire que s’y trouve la grande majorité des espèces qu’il nous reste encore à découvrir.
Cette biodiversité doit être protégée : d’abord pour elle-même ; ensuite, parce qu’elle est essentielle à la préservation des équilibres de la planète et du climat ; enfin, parce que les espèces qu’il nous reste à y découvrir nous permettront sans doute de développer les médicaments de demain. De grandes avancées scientifiques sont devant nous, à condition que les pays du monde s’entendent pour préserver cette richesse et ne pas la détruire par une surexploitation. Il est plus simple de mener cette entreprise à bien lorsque chacun est assuré de recevoir une part des bénéfices.
Le projet de loi de ratification que nous examinons sert ces objectifs. La haute mer n’étant par définition sous la souveraineté d’aucun État, seul un accord international est en mesure de restreindre la liberté des États dans cet espace.
La convention tend à la création d’aires marines protégées. Cette mesure permettra de sanctuariser des zones particulièrement importantes pour la biodiversité. La procédure prévoit la consultation des parties prenantes avant toute prise de décision. La majorité qualifiée des trois quarts suffira à constituer ces zones. Ce mode de décision est inhabituel dans le cadre des conventions internationales, mais les Européens sont bien placés pour savoir que la règle de l’unanimité devient rapidement paralysante.
Les ressources génétiques marines feront en outre l’objet d’un partage. S’il est compréhensible de vouloir inciter le plus grand nombre d’États à adhérer au traité, la réalisation concrète de ce partage peut susciter quelques interrogations.
Comme le souligne le rapport de la commission, dix pays détiennent 90 % des brevets associés à ces ressources. Certains d’entre nous s’interrogent sur cette répartition. L’exclusivité temporaire d’exploitation d’une invention octroyée par un brevet est accordée en contrepartie d’un travail de recherche. Les résultats de ce travail, à savoir l’invention, sont rendus publics et doivent bénéficier à tous à l’expiration du brevet.
Par conséquent, le fait que quelques pays détiennent une majorité de brevets signifie tout simplement que ces pays investissent fortement dans la recherche. Il est évident qu’il est préférable que le plus grand nombre puisse profiter de ces découvertes, mais il faut sortir de l’idée que les brevets seraient une entrave à cet objectif. C’est tout le contraire.
La convention prévoit par ailleurs des transferts de technologies marines à destination des pays en voie de développement, à des conditions préférentielles. Ces transferts seront utiles pour renforcer la protection et l’étude de la biodiversité marine.
En examinant cette convention, nous devons toutefois garder à l’esprit les conséquences négatives qu’elle pourrait avoir sur les collections du Muséum national d’histoire naturelle. L’application rétroactive de la convention est de nature à les mettre en danger ; la réserve que devrait formuler la France devrait parer à ce danger.
La France, notamment parce qu’elle est présente tout autour du globe, entretient un rapport singulier avec la mer. Nous nous associons au souhait que le seuil des soixante ratifications, à partir duquel la convention trouvera à s’appliquer, soit franchi avant le lancement, à Nice, de la troisième conférence des Nations unies sur l’océan, le 9 juin prochain.
Après l’adoption de ce texte à l’Assemblée nationale, il revient au Sénat d’apporter à présent son concours à une meilleure protection de la biodiversité marine. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra donc l’adoption de ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP. – MM. Teva Rohfritsch et Édouard Courtial applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Hugues Saury. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hugues Saury. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les océans jouent pour la vie sur Terre un rôle qui n’est plus à démontrer : aux origines, ils ont été la matrice qui en a permis l’éclosion ; de nos jours, ils restent parmi ses principaux garants.
En produisant près des trois quarts de l’oxygène de la planète, en absorbant 30 % de son CO2 et en tempérant son climat grâce aux courants qu’ils génèrent, les océans assurent les conditions essentielles à l’épanouissement de la vie telle que nous la connaissons. L’alimentation qu’ils fournissent en abondance permet la subsistance de plusieurs milliards de personnes à travers le monde.
Le surcroît de protection que vient leur apporter le présent accord est donc, à n’en pas douter, un progrès considérable, que d’aucuns qualifient même d’historique.
En régulant de manière juridiquement contraignante des eaux internationales qui ne l’étaient pas jusqu’à présent, l’accord a cette vertu essentielle de faire reculer ce qui pouvait apparaître aux yeux de certains comme des zones de non-droit, propices à tous les excès et à toutes les dérives.
En effet, dans certaines de ces zones de haute mer, l’absence de réglementation claire a permis des pratiques dommageables, comme la pêche illégale, qui épuise les ressources halieutiques au-delà de leur capacité de renouvellement, ou encore le déversement de déchets toxiques et plastiques, qui endommagent durablement les écosystèmes marins. Ces pratiques, parfois menées par des navires sous pavillon de complaisance, illustrent les dérives auxquelles ces zones peuvent être confrontées en l’absence de cadre contraignant. Or ces zones, rappelons-le, représentent tout de même 65 % de la surface globale des océans. Sur la question des principes, cette avancée essentielle mérite d’être saluée.
En outre, cet accord acte à l’échelle mondiale la possibilité de créer des aires marines protégées. Face à la progression constante des activités humaines en haute mer et dans les grands fonds, il était devenu indispensable de poser un cadre permettant de sanctuariser certaines des régions les plus essentielles à la biodiversité marine et à l’équilibre des océans. Ces habitats abritent une biodiversité exceptionnelle, dont des espèces endémiques et des espèces migratrices essentielles. Je pense, par exemple, aux écosystèmes planctoniques qui représentent près de 70 % de la vie marine et qui sont à l’origine de nombreux processus vitaux, comme la séquestration du carbone et la production d’oxygène. Ces zones jouent un rôle clé dans ces processus, en plus de servir de nurserie à d’innombrables espèces de poissons. La préservation de ces régions contribue de manière directe au maintien de l’équilibre climatique et écologique des océans.
L’objectif conditionnant la méthode, c’est logiquement – et heureusement – une approche large qui a prévalu en matière de protection environnementale. Ainsi, outre les pollutions aux hydrocarbures déjà traitées par la convention de Montego Bay, une large gamme de risques et de menaces est couverte.
Le texte encouragera la surveillance des zones protégées, ce qui devrait permettre d’y freiner le développement des activités illégales de toutes sortes. Mais surtout, la plupart des activités légales que les entreprises souhaiteront y conduire seront soumises à une obligation de déclaration et d’étude d’impact, limitant ainsi leurs conséquences écologiques.
Enfin, si ce texte est important, c’est aussi parce qu’il prévoit un système de partage des bénéfices tirés de l’utilisation des ressources génétiques marines.
Les grandes profondeurs restent à ce jour presque totalement inexplorées, à tel point que nombre de scientifiques estiment que l’homme possède aujourd’hui davantage de connaissances sur l’espace lointain que sur le fond des océans. Or nous découvrons peu à peu que, loin d’être les déserts que nous pensions, les profondeurs regorgent de vie. À mesure que nous prenons conscience de l’ampleur de cette vie sous-marine, il apparaît de plus en plus clairement qu’elle recèle un patrimoine génétique d’une richesse inouïe. Ses applications pourraient s’avérer extrêmement larges. À l’instar de la diversité biologique nichée au cœur des forêts primaires, son potentiel médical pourrait être décisif dans le traitement d’un grand nombre de pathologies à ce jour dépourvues de solution thérapeutique.
Il est donc particulièrement louable que l’accord fasse de cette richesse une sorte de nouveau bien public mondial. Bien sûr, une fois les grands principes posés par le texte, il conviendra de rester attentifs à leurs conditions d’application, qui demeurent pour la plupart à définir.
Certains équilibres nécessairement complexes devront être trouvés. Les pays industrialisés, qui engagent des ressources considérables pour conduire des explorations marines, aspirent légitimement à percevoir le juste retour de leurs efforts et de leurs investissements. A contrario, les pays en développement, exclus de cette course en raison de la modestie – voire de l’absence – de leurs moyens, ne peuvent être totalement dépossédés des fruits de ce qui peut désormais être considéré comme un patrimoine commun.
En d’autres termes, personne ne devra se sentir spolié ; ce sera là un défi central dans la mise en œuvre de ce texte.
En tout état de cause, en ces temps de délitement des approches multilatérales et de fragmentation du monde autour d’un supposé Occident collectif et d’un prétendu Sud global, il me semble important de prendre toute la mesure de ce qui vient d’être accompli au travers de la conclusion de cet accord : parvenir, sur un sujet aussi fondamental, à un compromis aussi largement endossé et considéré comme positif est une nouvelle qui doit nous réjouir. Formons le vœu que cette réussite en appelle d’autres, et ce dans tous les domaines de la vie internationale.
Enfin, toujours au chapitre de la mise en œuvre, je soulignerai que, comme tout texte normatif, cette convention n’existera dans un premier temps que sur le papier. Pour qu’elle ait prise sur la réalité et pour qu’elle produise des effets tangibles, il est essentiel que chaque partie prenante démontre sa volonté de la mettre en pratique.
Ainsi, j’observe que certains pays ne se sont toujours pas ralliés au consensus. J’observe également que certaines grandes puissances, si elles ont finalement signé l’accord, se sont montrées particulièrement frileuses tout au long des discussions.
Dès lors, le Gouvernement devra être attentif à ce que la France ne se retrouve pas, dans les faits, bien seule au moment d’imposer des contraintes à ses entreprises. (M. le ministre approuve.) En d’autres termes, il sera essentiel de nous assurer que nos partenaires, qui sont aussi – ne l’oublions pas – nos concurrents, ne manquent pas à leurs engagements.
Rappelons que les surfaces dont nous parlons sont proprement gigantesques. Elles exigeront donc la mobilisation de moyens de surveillance et de contrôle importants, qui devront nécessairement s’appuyer sur des capacités satellitaires étoffées.
La France, deuxième nation maritime au monde par l’étendue de sa zone économique exclusive, territorialement présente sur tous les océans, et également puissance spatiale depuis plusieurs décennies, aura à ce titre un rôle particulièrement éminent à jouer.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, au bénéfice de ces observations et parce que, après de très longues années de négociations, cet accord constitue un jalon important dans la protection collective de la planète, le groupe Les Républicains soutiendra sa ratification. (Applaudissements au banc des commissions.)
(M. Pierre Ouzoulias remplace M. Didier Mandelli au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Pierre Ouzoulias
vice-président
M. le président. La parole est à M. Teva Rohfritsch. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Teva Rohfritsch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un monde marqué par une instabilité et des tensions croissantes, l’océan pourrait devenir l’espace de coopération dont nous avons besoin pour reparler d’une même voix. L’adoption, le 19 juin 2023, de l’accord portant sur la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale et son approbation à l’unanimité à l’Assemblée nationale, le 29 mai dernier, en sont une preuve concrète.
Aujourd’hui, nous pouvons affirmer le rôle de la France, grande puissance maritime grâce à ses outre-mer, responsable et engagée sur la scène internationale. En tant que tel, notre pays porte une responsabilité historique : celle de protéger la haute mer, cet espace immense qui recouvre 60 % des océans, près de la moitié de la surface du globe et 80 % de la biosphère.
Alors que le réchauffement climatique figure parmi les priorités de notre époque, il est de notre devoir de protéger cette immensité bleue, qui constitue un régulateur vital de notre planète, produit la moitié de l’oxygène et absorbe à lui seul un tiers de nos émissions de CO2. Parce que nous connaissons encore peu la haute mer, il est impératif de préserver cet espace unique, probablement rempli de trésors et de secrets qui échappent encore à notre connaissance. Nous ne pouvons à aucun prix le sacrifier pour des intérêts de court terme.
Ce traité BBNJ marque un tournant décisif. En ajoutant une dimension écologique et une gestion durable de la biodiversité en haute mer, il vient compléter la convention de Montego Bay et apporter une réponse concrète aux défis contemporains de conservation marine. Le traité BBNJ se fixe pour mission de mettre en place des mesures de protection et d’utilisation durable de la biodiversité marine en haute mer, tout en contribuant au développement durable des États côtiers et insulaires.
Il repose sur quatre piliers essentiels : premièrement, l’établissement d’outils de gestion par zone, incluant la création d’aires marines protégées pour préserver les habitats vitaux ; deuxièmement, la réalisation d’études d’impact environnemental pour chaque activité prévue en haute mer ; troisièmement, la mise en place d’un cadre pour l’accès aux ressources génétiques marines, l’échange d’informations de séquençage numérique et un partage équitable des bénéfices ; quatrièmement, le transfert de technologies marines des pays développés vers les pays en développement, accompagné d’un renforcement de leurs capacités.
Toutefois, ne nous réjouissons pas trop vite. Ce traité ambitieux ne pourra entrer en vigueur qu’après ratification par soixante pays signataires. Après vingt ans de négociations pour parvenir à cet accord, nous ne pouvons nous permettre d’attendre, comme ce fut le cas pour la convention de Montego Bay, entrée en vigueur douze ans après sa signature. La France doit donc tenir son rôle et encourager ce mouvement global.
Si les avancées de ce texte sont notables, sa mise en œuvre pourra certainement s’inspirer des initiatives locales de protection de l’océan, qui se multiplient partout en France comme l’illustrent les mesures exemplaires prises dans nos eaux, telles la grande aire marine gérée de Polynésie française ou les aires marines éducatives reprises à l’échelon national.
En effet, l’océan n’est pas un désert de population ; il est habité par des peuples enracinés dans des terres et des cultures millénaires, porteurs d’une histoire qui lui est profondément liée. Les peuples de navigateurs du Pacifique sont la mémoire et les véritables gardiens de ces eaux. Ils sont pourtant en première ligne face aux effets dévastateurs des changements climatiques. Afin d’éviter une double sanction pour ces populations, il est essentiel que le traité BBNJ vienne garantir un partage juste des avantages issus des activités en haute mer et renforcer les capacités de transfert des technologies marines à la hauteur de la place centrale de ces communautés océaniques.
Les défis auxquels notre océan fait face sont d’une urgence et d’une ampleur sans précédent – nous l’avons tous dit. Sa surface se réchauffe. Chaque année, près de 10 millions de tonnes de pollution plastique viennent souiller nos mers. La surpêche atteint des niveaux alarmants : depuis les années 1950, les captures ont quadruplé, tandis que seulement 2,8 % de la surface océanique bénéficie aujourd’hui d’une véritable protection. Avec la disparition de la biodiversité marine et la prégnance de menaces croissantes comme l’acidification, la désoxygénation et la hausse du niveau des mers, l’urgence d’agir n’a jamais été aussi pressante. L’ADN maritime de notre pays nous oblige.
En Polynésie française, mon fenua, on ne vit pas en bord de mer, on vit en bord de terre. La mer est plus qu’un espace, elle nous berce et nous nourrit. Ce traité doit être non pas un texte de plus, mais un engagement ; un engagement pour nous, pour nos enfants et pour tous ceux qui dépendent de cet océan, source de richesse inestimable et source de vie, tout simplement. Engageons-nous, ici et maintenant, à tout faire pour que ce traité devienne une réalité. Nous avons l’opportunité de participer à un mouvement mondial pour la préservation de notre océan. Emboîtons le pas aux quatorze États qui ont déjà ratifié le traité et faisons en sorte que la France soit le premier membre de l’Union européenne à s’engager pleinement dans cette voie. Notre place sur l’échiquier mondial nous y convie, nos territoires ultramarins nous y appellent. Plus qu’une responsabilité, il s’agit d’un devoir pour la France.
C’est donc avec toute leur conviction que les membres du groupe RDPI voteront en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Évelyne Perrot et M. Édouard Courtial applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Jouve. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Mireille Jouve. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, lorsque l’on examine le projet de loi autorisant la ratification de cet accord qui prend en compte l’ensemble des défis et des menaces pesant sur les espaces situés à 200 miles des côtes, hors de toute juridiction nationale, des mots émergent : pêche illégale, surpêche, exploration des fonds marins, transport maritime, pollution sonore sous-marine, chimique ou encore bactérienne.
Cet accord de protection de la haute mer et de la biodiversité marine, adopté en juin 2023, résulte des travaux de la conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine convoquée sous les auspices des Nations unies.
À la suite de la COP15, un objectif a été fixé : protéger 30 % des mers et 30 % des terres d’ici à 2030. Souvenons-nous : c’était hier, mais cela semble si lointain. La communauté internationale prenait conscience des enjeux de protection des écosystèmes marins face à la progression des activités des usines flottantes de pêche industrielle et à l’augmentation du trafic maritime.
Faut-il, ici, égrener les nombreuses catastrophes qui ont provoqué cette lente prise de conscience ?
Nous avons tous en mémoire les images du naufrage de l’Amoco Cadiz déversant près de 225 000 tonnes d’hydrocarbures dans la mer, souillant les côtes bretonnes.
Doit-on se remémorer l’Erika, le Sea Empress ou encore l’Aegan Captain abîmant les mers du monde, du Pays de Galles aux Caraïbes, en passant par l’Atlantique sud ou l’océan Indien ?
Ces désastres ont permis de revoir les normes de sécurité maritime internationales et de donner naissance à la convention dite de Montego Bay, qui ne concernait que les seuls hydrocarbures. Il s’agissait d’un début. Il aura fallu attendre les années 2000 pour poursuivre le chemin.
En ratifiant cet accord, qui pallie le défaut de régulation de l’activité humaine et comble les lacunes juridiques de la convention dite de Montego Bay, que d’aucuns considèrent comme datée, nous ferons preuve de responsabilité pour protéger les générations futures.
Dans le marasme géopolitique ambiant, il est important de se féliciter de la réussite de la diplomatie environnementale française.
Forte de 18 000 kilomètres de littoraux, présente dans le Pacifique, l’océan Indien, l’Atlantique et en mer Méditerranée, possédant la deuxième zone économique exclusive au monde, la France est une grande nation maritime et littorale grâce, d’ailleurs, à nos territoires d’outre-mer. Cette réalité géographique et politique nous oblige.
Certains diront que ce texte est trop timoré. Non ! Il témoigne d’une prise de conscience majeure sur la nécessité de protéger la biodiversité de nos océans et il doit beaucoup au rôle substantiel joué par la France et l’Union européenne lors des négociations.
Toutefois, si j’entends faire preuve de bonne volonté, je ne cède pas à la naïveté et je m’interroge sur les moyens politiques mis en œuvre par les Nations unies, l’Union européenne et la France pour encourager les États à ratifier cet accord. Ainsi, je n’oublie pas que seuls quatorze États l’ont déjà ratifié et que nous sommes loin des soixante requis pour qu’il puisse entrer en vigueur.
Enfin, je m’inquiète de la capacité de la France à mobiliser des moyens après les annonces de Michel Barnier relatives au redressement des comptes publics. Sans moyens, comment financer et mettre en œuvre cet accord ambitieux ? Comment créer des aires marines protégées, respecter l’obligation de réaliser des études d’impact environnemental pour toute activité humaine et, enfin, veiller au partage juste et équitable des avantages économiques induits par l’accès aux ressources marines ?
Malgré ces incertitudes, le groupe du RDSE apportera sa voix à cette ratification. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Édouard Courtial.
M. Édouard Courtial. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la dégradation de nos océans et notre responsabilité dans la perturbation des équilibres biologiques marins ne sont plus à démontrer. L’éveil de nos consciences doit désormais laisser place à l’action collective, dont dépend l’avenir des générations futures.
Mes chers collègues, l’accord international faisant l’objet du présent projet de loi est historique, ambitieux et prometteur.
Cet accord est historique, d’abord, car il permettra de régir, pour la première fois, la protection d’un bien public mondial qui n’était pas l’objet de réglementations fortes et harmonisées, ce qui en faisait un espace de liberté totale : je veux parler de la haute mer.
Celle-ci représente près de 50 % de la surface planétaire et 64 % des océans, mais elle demeure largement méconnue. Elle est menacée par les activités humaines et l’exploitation de ses ressources. Elle est soumise à l’autorité de nombreuses structures internationales et régionales qui se chevauchent et qui ont échoué à lui assurer une protection suffisante.
La communauté internationale s’est attelée, au cours des deux dernières décennies, à concevoir le moyen de dépasser les limites de la convention adoptée à Montego Bay en 1982 et à s’entendre sur les insuffisances à combler. Le traité Biodiversity Beyond National Jurisdiction (BBNJ), ainsi qu’il s’intitule en anglais, est le fruit de ce remarquable travail de réflexion conduit par différents États, dont la France, qui ont concilié recherche de compromis et création de mesures inédites afin de garantir la cohérence de notre action pour la préservation des écosystèmes marins.
Cet accord est ambitieux, ensuite, car il est porteur de nombreuses et nouvelles garanties crédibles pour la protection de la biodiversité en haute mer, qui viennent combler les lacunes du cadre juridique existant.
Le présent traité comprend ainsi quatre apports significatifs qui, pris ensemble, organisent une gouvernance renforcée, coopérative et inclusive de la haute mer, dans laquelle la science occupe logiquement et fort heureusement une place prépondérante.
Ainsi, et nous pouvons nous en réjouir, des aires marines protégées pourront être créées, que ce soit par le biais d’un consensus ou d’une majorité en cas de blocage, ce qui est assez inédit.
Des études d’impact environnemental seront effectuées, sur la base des principes de consultation et de transparence, avant que ne soit autorisée toute activité susceptible de causer de sérieux dommages environnementaux en haute mer.
L’exploitation des ressources génétiques marines sera encadrée et ses bénéfices seront partagés de façon juste et équitable.
Enfin, des efforts, accompagnés du transfert de technologies marines, seront engagés en vue du renforcement des capacités administratives, financières ou encore scientifiques des États en développement pour leur permettre de respecter les termes du traité.
Ce package deal se révèle indispensable, tant pour satisfaire le besoin urgent de l’humanité de protéger ses écosystèmes marins que pour atteindre nos objectifs communs. Je pense notamment à l’engagement porté par la France et pris par la communauté internationale à l’issue de la COP15 de protéger, d’ici à 2030, au moins 30 % des mers et des océans. Plus encore, il bénéficie d’une légitimité accrue, compte tenu du rôle que l’expertise scientifique et l’information occuperont en amont et en aval de la prise de décision. Il s’agit d’un véritable pacte politico-scientifique au service de la santé de nos océans.
Ce traité est prometteur, enfin, car il constitue un premier pas décisif vers la protection complète de la biodiversité en haute mer.
Si le texte aborde certains champs thématiques déterminants pour la gestion des eaux internationales, force est de constater, comme le souligne l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) dans son rapport, que l’absence de mesures visant la pêche et l’exploitation des ressources minérales en haute mer réduit sa portée et son efficacité.
Des progrès restent donc à accomplir et cela ne peut que laisser présager la poursuite intensive des efforts de la communauté internationale, portée par la voix de la France, dans le sens d’un meilleur encadrement des activités humaines en haute mer.
Ce traité n’en demeure pas moins une avancée majeure et historique.
Encore faudra-t-il s’assurer, comme toujours, de l’indéfectibilité et de la pérennité de notre volonté politique commune, sans lesquelles l’application de cet accord international serait compromise.
La France a un rôle déterminant à jouer, à la hauteur de son leadership et de ses ambitions dans le domaine environnemental, pour inciter les différents pays signataires, notamment européens, à ratifier dans les plus brefs délais le traité afin qu’il entre en vigueur dans les prochains mois. Notre appareil diplomatique doit impérativement agir en ce sens, à l’heure où seules treize ratifications sur soixante ont été enregistrées. La conférence des Nations unies sur l’océan, qui se déroulera à Nice en juin 2025, pourrait être l’occasion de marquer l’histoire.
Pour conclure, je remercie le rapporteur, André Guiol, pour la qualité de son travail ; beaucoup le pensent, mais peu l’ont dit. Il nous incombe aujourd’hui, mes chers collègues, de prendre la pleine mesure de l’urgence de la situation et d’adopter ce texte inédit. (Applaudissements au banc des commissions.)