Mme Lana Tetuanui. Bravo !
Mme Evelyne Corbière Naminzo. Comment être sûr que l’application de cet article ne présente aucun risque d’intrusion de l’État dans l’exploitation des ressources naturelles présentes dans les sous-sols marins polynésiens ? Comment en être certain, quand on sait que ces ressources peuvent être considérées comme des matières premières stratégiques et qu’elles pourraient faire l’objet d’une volonté de mainmise de la part de l’État ?
Que recouvre exactement la notion de « gisement archéologique », qui est mentionnée dans l’ordonnance ? S’agit-il, comme nous le dit M. le rapporteur, des seuls gisements au sens du code du patrimoine, c’est-à-dire constitués « par une épave qui présente un intérêt archéologique » ? Sommes-nous sûrs que cela exclut toutes les ressources naturelles, biologiques ou non biologiques, dont l’exploitation relève bien d’une compétence appartenant à la Polynésie française ?
Nous réserverons notre vote aux clarifications qui seront apportées ici sur ce point. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE-K et UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
Avant l’article unique
M. le président. L’amendement n° 1 rectifié bis, présenté par Mmes Tetuanui et Gatel, MM. Bonnecarrère, Delahaye, Henno et Laugier, Mmes O. Richard et Billon et M. Cambier, est ainsi libellé :
Avant l’article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 5621-2 du code général de la propriété des personnes publiques est abrogé.
La parole est à Mme Lana Tetuanui.
Mme Lana Tetuanui. Cet amendement tend à abroger l’article L. 5621-2 du code général de la propriété des personnes publiques. Il est la traduction de toutes les réserves que j’ai exprimées lors de la discussion générale, comme de toutes celles que vient d’émettre ma collègue Evelyne Corbière Naminzo.
Monsieur le ministre, nous émettons en effet de nombreuses réserves sur la notion de « gisement ».
Pourrions-nous disposer de la liste du domaine public maritime de l’État en Polynésie française – hormis Moruroa et Fangataufa, où ont eu lieu les essais nucléaires ?
J’aimerais également connaître votre interprétation du terme « gisement ». Je constate que cette notion, couverte par l’article L. 532-1 du code du patrimoine, soulève des difficultés d’interprétation, notamment au regard des dispositions de l’article 47 de la loi organique statutaire, selon lequel « la Polynésie française réglemente et exerce les droits de conservation et de gestion, le droit d’exploration et le droit d’exploitation des ressources naturelles biologiques et non biologiques, notamment les éléments des terres rares, des eaux intérieures, en particulier les rades et les lagons, du sol, du sous-sol et des eaux sur-jacentes de la mer territoriale et de la zone économique exclusive ».
En effet, au sens géologique, un gisement désigne une disposition de couches de minéraux dans le sous-sol. Nous sommes entièrement dans la compétence de la Polynésie française !
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Comme j’ai eu l’occasion de le préciser, j’ai analysé avec la plus grande attention les réserves exprimées par Lana Tetuanui par le biais de cet amendement.
Lors de l’examen du texte en commission, un amendement ayant le même objet a été rejeté, car nous avons estimé que l’ordonnance n’entraînait pas les risques d’empiétement qui viennent d’être évoqués, pour deux raisons essentielles.
En premier lieu, la compétence culturelle de la Polynésie française n’est pas menacée par l’application de l’article L. 1127-1 du code général de la propriété des personnes publiques. Cet article permet à l’État d’acquérir certains biens culturels maritimes situés dans le domaine public maritime, mais l’ordonnance précise qu’il n’est applicable à la Polynésie française qu’« en tant qu’il concerne les biens situés dans le domaine public maritime de l’État ».
D’abord, l’ordonnance intervient ici à droit constant. En effet, le code du patrimoine précise déjà que l’acquisition des biens culturels maritimes par l’État ne s’applique en Polynésie française qu’au domaine public maritime de l’État.
Qui plus est, le code du patrimoine polynésien prévoit explicitement que la collectivité peut revendiquer des biens culturels maritimes, à l’exception de ceux qui sont situés dans le domaine public maritime de l’État.
Enfin, cette compétence donnée à l’État est toute relative, puisque le domaine public maritime de l’État en Polynésie est très résiduel. Il se limite, en réalité, à quelques installations portuaires affectées à la marine nationale. La quasi-totalité du domaine public maritime en Polynésie appartient à la collectivité.
En second lieu, la notion de « gisement », qui fait partie de la définition des biens culturels maritimes, n’équivaut pas à celle qui existe dans le code minier.
Un gisement, au sens du code du patrimoine, désigne une épave qui présente un intérêt archéologique, en raison de sa cargaison ou de sa bonne conservation. Sont exclus de cette définition les gisements miniers et, plus largement, l’ensemble des ressources naturelles biologiques ou non biologiques présentes dans les fonds marins polynésiens.
La compétence de la Polynésie française pour l’exploitation de ces ressources est donc totalement réservée.
J’ajoute, pour terminer, que des dispositions identiques s’appliquent à la Nouvelle-Calédonie depuis 2016, sans avoir engendré le moindre empiétement.
Pour l’ensemble de ces raisons, tout en comprenant les réserves et les craintes qui ont été exprimées, je sollicite, ma chère collègue, le retrait de votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Madame la sénatrice, j’entends les craintes et inquiétudes que vous exprimez au travers de cet amendement. Toutefois, je partage les arguments qui viennent d’être exposés par M. le rapporteur, notamment les précisions qu’il vous a apportées sur la définition de gisement.
Je reviens sur quelques points.
Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je répète que la compétence que détient l’État en vertu de l’article que vous souhaitez abroger est parfaitement respectueuse des compétences que la loi organique du 27 février 2004 attribue à la Polynésie française. Nous n’empiétons pas sur les compétences de la collectivité ! Cela doit être dit et redit avec la plus grande clarté.
Par ailleurs, la compétence de l’État n’empiète pas non plus sur les compétences que la collectivité détient pour légiférer sur le domaine public maritime qui lui appartient. Bien au contraire, la compétence que détient l’État en métropole est précisément adaptée pour la Polynésie française : elle tient compte du fait que l’État ne peut exercer son droit que sur le domaine public maritime qu’il a conservé de manière tout à fait résiduelle – par exemple, sur les zones portuaires ou pour les besoins liés à la défense nationale –, comme l’a rappelé M. le rapporteur. Là aussi, je veux y insister.
Par ailleurs, le code général de la propriété des personnes publiques se conforme, sur ce point, à la règle énoncée à l’article L. 750-2 du code du patrimoine, qui régit les biens culturels maritimes en Polynésie française.
En conséquence, madame la sénatrice, l’abrogation que vous proposez créerait un élément contraire au code du patrimoine et, d’une certaine manière, une nouvelle illisibilité, une nouvelle complexité dans l’application du droit, alors que tout l’objectif du texte est de simplifier le droit applicable.
Enfin, le code du patrimoine polynésien traite précisément de la question des biens culturels maritimes, notamment de ceux qui sont situés dans le domaine public maritime de l’État, reconnaissant d’une certaine manière l’existence de cette notion.
Pour toutes ces raisons, que M. le rapporteur a également exposées, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui, pour explication de vote.
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, je vous prends au mot !
Un mot signifie beaucoup.
Retracer l’histoire de la Polynésie française nous prendrait plusieurs heures, voire plusieurs jours. L’histoire du nucléaire en Polynésie, l’histoire du foncier en Polynésie et, aujourd’hui, l’histoire du domaine public en Polynésie : voilà des sujets qui parlent aux Polynésiens. Nous abordons là des questions qui touchent le cœur, l’âme, les tripes des Polynésiens.
Je veux bien vous prendre au mot, car je suis pour la paix des ménages… (Sourires.)
Attention, toutefois, les paroles s’envolent, les écrits restent ! Ainsi, tout ce que nous disons ici est retranscrit dans les procès-verbaux, et ce serait mal me connaître que de douter de ma détermination !
Je mets en garde le Gouvernement contre les répercussions, sur le terrain, de tout ce qui se dit et s’écrit à 20 000 kilomètres de la Polynésie. C’est nous qui, de retour dans nos collectivités, devrons expliquer à nos concitoyens les mesures qui auront été décidées ici. À l’heure où il faudra rendre des comptes, vous ne serez plus là, mais, nous, oui ; nous serons toujours présents.
Compte tenu de l’ensemble des réserves que vous avez émises, je retire mon amendement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains, ainsi que sur les travées du groupe SER. – M. Vincent Louault applaudit également.)
M. Thani Mohamed Soilihi, rapporteur. Je tiens à redire ici tout l’intérêt que j’accorde naturellement à ces sujets, car ils concernent nos territoires. Comme l’a rappelé Lana Tetuanui en citant un adage bien connu, les paroles prononcées ici deviendront des écrits, qui figureront dans le compte rendu publié au Journal officiel.
Après l’avoir longtemps étudiée, je n’ai plus de doutes sur la question : c’est pourquoi je me suis permis d’être aussi affirmatif. Je vous remercie donc, ma chère collègue, d’avoir retiré votre amendement : si j’avais simplement voulu vous faire plaisir, je n’aurais pas hésité à donner un avis favorable et à voter cet amendement…
Nous sommes ici pour faire la loi et, au regard des considérations que j’ai précédemment exposées, retirer cet amendement était la bonne décision à prendre. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Article unique
L’ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française est ratifiée.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2023-389 du 24 mai 2023 modifiant les dispositions du code général de la propriété des personnes publiques relatives à la Polynésie française.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble du projet de loi.
(Le projet de loi est adopté.) – (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
4
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente-cinq, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de Mme Sophie Primas.)
PRÉSIDENCE DE Mme Sophie Primas
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Accord avec le Canada
Adoption définitive en procédure accélérée et en procédure d’examen simplifié d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada relatif au déploiement d’agents de sûreté en vol (projet n° 938 [2022-2023], texte de la commission n° 395, rapport n° 394).
Pour ce projet de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement du canada relatif au déploiement d’agents de sûreté en vol
Article unique
(Non modifié)
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Canada relatif au déploiement d’agents de sûreté en vol, signé à Paris le 19 janvier 2022, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix le texte adopté par la commission sur ce projet de loi.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
6
Convention fiscale avec le Luxembourg
Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune (projet n° 255, texte de la commission n° 382, rapport n° 381).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Discussion générale
M. Jean-Noël Barrot, ministre délégué auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargé de l’Europe. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, la France a été un des moteurs des travaux de l’OCDE en matière de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting, Beps). Ces travaux ont conduit à l’adoption, en 2016, de la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert des bénéfices.
C’est dans ce cadre que la France a souhaité mettre à jour la convention franco-luxembourgeoise du 1er avril 1958 tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d’assistance administrative réciproque en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune. Les négociations ont abouti à la signature d’une nouvelle convention, à Paris le 20 mars 2018.
C’est la première convention fiscale conclue par la France qui prévoit un régime dérogatoire à la lex loci laboris, selon laquelle les revenus du travail sont imposés en fonction du lieu d’exercice.
Ainsi, les travailleurs frontaliers résidant en France et exerçant leur activité au Luxembourg demeuraient soumis à l’impôt au Luxembourg, même lorsqu’ils travaillaient en dehors de ce pays, dans la limite d’un plafond de 29 jours de télétravail par an. Toutefois, si jamais ce seuil était dépassé, les dispositions de la convention étaient réputées ne pas s’appliquer et l’intégralité des jours de télétravail étaient alors imposés en France.
Face à la pratique massive du télétravail constatée lors de la crise sanitaire, ce cadre juridique est cependant rapidement apparu obsolète.
D’une part, nous sommes intervenus activement afin de neutraliser les effets fiscaux de ce recours massif au télétravail pendant cette période. L’épidémie ayant été considérée comme un cas de force majeure, des accords amiables ont été conclus avec les autorités luxembourgeoises pour instaurer un dispositif dérogatoire applicable à compter du 16 juillet 2020, puis reconduit jusqu’au 30 juin 2022. Pendant cette période, le dispositif prévoyait de ne pas prendre en compte les règles de calcul du forfait de télétravail inscrit dans la convention fiscale pendant la période délimitée précitée.
D’autre part, dans la perspective d’un retour à la mise en œuvre normale des dispositions prévues dans la convention de 2018 et considérant l’essor du télétravail, le plafond de 29 jours est rapidement apparu obsolète pour ceux des 122 000 travailleurs transfrontaliers français concernés par le télétravail.
Dans ce contexte, les autorités françaises et luxembourgeoises se sont entendues le 19 octobre 2021, à l’occasion de la sixième commission intergouvernementale franco-luxembourgeoise pour le renforcement de la coopération transfrontalière, pour relever le plafond de télétravail prévu par la convention de 29 à 34 jours par an. L’avenant à la convention fiscale signé le 7 novembre 2022, soumis à votre approbation, entérine cette décision.
Plus précisément, cet accord prévoit que les jours de télétravail effectués dans la limite du plafond de 34 jours seront imposés comme s’ils avaient été effectués au poste de travail habituel dans l’État de situation de l’employeur. En revanche, au-delà de cette limite, la totalité des jours télétravaillés sera imposée dans l’État où est physiquement exercée l’activité professionnelle. Les dispositions de cet avenant s’appliquent pour les revenus perçus à compter du 1er janvier 2023.
Le relèvement du seuil de 29 à 34 jours reflète la réalité de l’emploi des Français travaillant au Luxembourg aujourd’hui et devrait avoir pour effet d’encourager cette nouvelle modalité d’exercice de l’activité professionnelle.
La mesure devrait contribuer à améliorer la qualité de vie des travailleurs frontaliers en leur permettant un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle. De même, l’impact écologique du développement du télétravail n’est pas négligeable, puisqu’il conduit à une baisse de l’affluence sur les axes routiers et dans les transports en commun.
En outre, afin de répondre à une demande du Luxembourg motivée par l’inégalité de traitement existante entre les salariés du secteur privé et les agents de la fonction publique, l’avenant étend le bénéfice du forfait de télétravail de 34 jours par an aux agents de la fonction publique.
L’augmentation du seuil de 29 à 34 jours de télétravail illustre notre volonté commune de dynamiser la relation bilatérale entre la France et le Luxembourg en prévoyant une règle d’imposition claire qui réponde à une attente de nos compatriotes exerçant une activité professionnelle frontalière.
Telles sont, madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’avenant à la convention entre la France et le Luxembourg en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et la fortune, et le protocole y relatif, faits à Paris, le 20 mars 2018, tels que modifiés par l’avenant, fait à Luxembourg, le 10 octobre 2019.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Marie Mizzon, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances a examiné et adopté ce projet de loi qui vise à approuver l’entrée en vigueur d’un avenant à la convention fiscale bilatérale entre la France et le Luxembourg.
En application de l’article 53 de la Constitution, il appartient en effet au Parlement d’approuver ou de ratifier un certain nombre d’accords internationaux, dont font partie les conventions fiscales.
Dans ce cadre, le Sénat est la première chambre saisie du présent projet de loi, qui comporte un article unique autorisant l’approbation de l’avenant du 7 novembre 2022 à la convention fiscale bilatérale du 20 mars 2018 entre la France et le Grand-Duché de Luxembourg.
Dans un premier temps, et préalablement à l’exposé du contenu de cet avenant, il me paraît opportun de rappeler les évolutions récentes de notre relation fiscale avec le Luxembourg.
La France et le Luxembourg ont signé le 20 mars 2018 une nouvelle convention venant remplacer celle de 1958 qui régissait jusqu’alors nos relations en matière fiscale. La modernisation des relations bilatérales était attendue et nécessaire, notamment pour tenir compte des avancées en la matière de l’OCDE.
Par conséquent, la convention intègre les derniers standards de l’OCDE, notamment une définition modernisée de la résidence fiscale et de la notion d’établissement stable, ainsi qu’une clause générale anti-abus.
Parmi les concessions obtenues par le Luxembourg au cours des négociations de la convention de 2018 figure un régime spécifique d’imposition du télétravail des transfrontaliers. Compte tenu de sa superficie et de sa situation géographique, le Luxembourg est en effet particulièrement dépendant de la main-d’œuvre transfrontalière pour faire fonctionner son économie et ses services publics. Près de 121 000 transfrontaliers français – vous avez évoqué le nombre de 122 000, monsieur le ministre ; la vérité se situe certainement entre les deux ! (Sourires.) – travaillent au Luxembourg, les deux premiers départements de résidence de ces transfrontaliers étant la Moselle et la Meurthe-et-Moselle.
Le protocole annexé à la convention de 2018 prévoit ainsi un forfait de télétravail de 29 jours au cours duquel le contribuable est réputé travailler dans l’autre État. Concrètement, un Français qui travaille au Luxembourg est, en principe, imposé au Luxembourg. Lorsqu’il télétravaille en France jusqu’à 29 jours, il est réputé exercer son emploi au Luxembourg et continue donc d’être imposé dans ce pays.
Je précise que cette clause est de nature fiscale et n’empêche en rien de télétravailler au-delà de 29 jours. Simplement, en cas de dépassement du seuil, l’activité est imposée dans l’État de résidence dès le premier jour de télétravail.
Les règles d’application de la convention ont été précisées dans un accord amiable du 16 juillet 2020, qui fixe notamment la méthode de décompte des jours de télétravail. Si ce régime permet de simplifier la situation des transfrontaliers, il conduit à une perte fiscale pour la France, estimée entre 30 millions d’euros et 60 millions d’euros annuels par la direction de la législation fiscale. La France renonce en effet à un droit à imposer les activités en télétravail en deçà de 29 jours. Cette perte fiscale peut être en partie compensée par les recettes de TVA induites par les dépenses en France des télétravailleurs.
En dépit de ce manque à gagner fiscal, au sortir de la crise sanitaire, au cours de laquelle le télétravail s’est banalisé, les gouvernements français et luxembourgeois se sont accordés pour étendre le forfait de télétravail.
J’en viens donc au second point de mon intervention, qui aborde plus en détail les stipulations de cet avenant. S’il est vrai que son contenu et sa portée sont relativement limités, son entrée en vigueur est attendue, à la fois par les travailleurs transfrontaliers et par notre partenaire luxembourgeois.
Premièrement, l’avenant augmente donc la durée du forfait de télétravail de 29 à 34 jours. Désormais, le seuil de 34 jours conditionne le régime d’imposition des contribuables en télétravail.
Ce seuil de 34 jours correspond à une demande des autorités luxembourgeoises. Il est cohérent avec la renégociation récente par le Grand-Duché de ses conventions avec la Belgique et l’Allemagne afin de prévoir des seuils similaires de télétravail à 34 jours. Cette renégociation d’ensemble permet de placer les travailleurs transfrontaliers sur un pied d’égalité, quel que soit leur pays d’origine.
Deuxièmement, l’article 2 de l’avenant étend le bénéfice du forfait de télétravail à certains contribuables percevant des rémunérations publiques.
La technicité de cette clause mérite de s’y attarder un instant. La convention de 2018 prévoit deux hypothèses d’imposition pour les contribuables percevant des rémunérations publiques. Le principe général est que ces rémunérations sont imposées dans l’État de source. Concrètement, un Français travaillant au Luxembourg pour l’ambassade de France est imposé en France. Par exception, la convention précise que les rémunérations publiques sont imposées dans l’État d’exercice de l’activité lorsque le contribuable est résident de cet État et dispose de sa seule nationalité. Lorsqu’un Luxembourgeois travaille au Luxembourg pour l’ambassade de France, il est imposé au Luxembourg.
Or le télétravail peut faire basculer un contribuable d’une hypothèse à l’autre. Un Français qui travaille pour la ville de Luxembourg est imposé au Luxembourg en présentiel et en France en télétravail.
Pour remédier à cette situation, l’avenant permet de prévoir qu’en deçà du seuil de 34 jours de télétravail les revenus sont imposés dans l’État de source. Cette stipulation permet d’aligner le régime des personnes employées dans le secteur public sur le régime des personnes employées dans le secteur privé.
Troisièmement, l’avenant prévoit une clause de revoyure à la fin de 2024, qui permettra aux parties à la convention d’examiner l’application de ces nouvelles règles. Cet examen devrait permettre d’envisager un nouveau régime d’imposition du télétravail transfrontalier.
En effet, les règles actuelles apparaissent comme un cadre provisoire. En l’état du droit, il s’agit d’un compromis équilibré, qui permet de concilier la simplification de la situation administrative des travailleurs transfrontaliers et la protection des intérêts du Trésor public. Cependant, je pense qu’il serait opportun, à l’avenir, de rehausser le forfait de télétravail, auquel les travailleurs transfrontaliers sont très favorables, et, en même temps, d’envisager une meilleure répartition des recettes fiscales entre la France et le Luxembourg.
À cet égard, mes chers collègues, le rapport appelle votre attention au sujet de l’avenant du 27 juin 2023 à la convention fiscale franco-suisse de 1966. Ce dernier prévoit de fixer le forfait de télétravail à hauteur de 40 % du temps de travail, ce qui correspond à deux jours par semaine – les transfrontaliers luxembourgeois en rêvent (Sourires.) –, au cours duquel l’imposition a lieu dans l’État d’exercice de l’activité. En contrepartie, l’État où a lieu l’imposition reverse une compensation fiscale à l’État de résidence.
Dans l’attente de cette renégociation, l’entrée en vigueur de l’avenant soumis à notre approbation me paraît nécessaire pour simplifier le régime d’imposition des travailleurs transfrontaliers.
Pour conclure, la commission des finances vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent projet de loi sans le modifier.
Je profite du temps de parole dont je dispose encore pour ouvrir une parenthèse en lien avec la proposition de loi portant création d’un statut de l’élu local, qui a été récemment examinée ici même.
Les Français élus en France qui travaillent au Luxembourg ne bénéficient d’aucun des droits que peuvent actuellement faire valoir les élus français qui travaillent en France – crédits d’heures, autorisations d’absence…. –, et ce alors même que nous venons d’étendre ces droits et d’adopter quantité d’autres dispositifs.
Monsieur le ministre, j’ai demandé à la ministre déléguée chargée des collectivités territoriales et de la ruralité, Mme Faure, de s’assurer que ce problème serait évoqué lors de la prochaine convention intergouvernementale franco-luxembourgeoise pour le renforcement de la coopération transfrontalière.
L’attente est forte dans certaines communes proches du Luxembourg, où parfois près de 90 % de la population travaillent de l’autre côté de la frontière. Je connais même une commune dont tous les habitants travaillent au Luxembourg, à l’exception du secrétaire de mairie et de l’instituteur. Dans ces communes, il sera difficile de trouver des élus si la législation ne change pas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)