M. Olivier Dussopt, ministre. La question des femmes, et en particulier celle des mères, a été abordée par plusieurs intervenants sous des angles très différents. Ainsi ont été évoquées les questions relatives aux trimestres accordés et validés à l’occasion d’une maternité ou pour l’éducation des enfants.
Je suis absolument convaincu, mais cela peut faire l’objet d’un débat, qu’aucun couple, qu’aucun parent, qu’aucune femme ne décide d’avoir un enfant pour espérer obtenir en contrepartie des trimestres ou une majoration de pension. C’est un projet de vie, c’est un projet personnel, c’est une construction.
Mme Monique Lubin. C’est clair !
M. Olivier Dussopt, ministre. En revanche, je suis tout autant convaincu que la maternité, tout comme le fait d’élever des enfants, peut constituer un frein, voire un empêchement, à cotiser, un frein à la progression et à la promotion professionnelles et donc un facteur d’inégalité professionnelle.
Notre système de retraite ne compte aucune disposition qui soit de nature à marquer ou à créer une inégalité entre les femmes et les hommes. Il traduit, dans le calcul des pensions, non pas une volonté d’inégalités, mais leur accumulation tout au long de la vie. C’est la question de l’égalité professionnelle qui apportera la seule et véritable réponse soutenable à la question de l’égalité des pensions entre les femmes et les hommes.
En revanche, notre système ne doit pas empêcher de réparer. Pour cette raison, j’ai indiqué hier combien nous regardions avec bienveillance l’amendement proposé par le président Bruno Retailleau et retenu par la commission des affaires sociales. En effet, son adoption permettrait à des femmes ayant des carrières hachées – je parle uniquement des trimestres liés à la maternité : quatre dans le régime général, deux dans le secteur public ; et cela renvoie au débat sur les droits familiaux que j’évoquais – de compléter leur carrière grâce à ces trimestres validés et d’éviter la décote. C’est ce qui se passe actuellement et c’est pour cette raison que ces trimestres ont été pensés, dans un premier temps, comme des contreparties à des trimestres qui ne pouvaient être cotisés lors de la grossesse et de l’accouchement et, dans un deuxième temps, comme une réponse, peut-être, aux carrières hachées.
Mais, depuis l’augmentation en 2003 de l’âge de départ à la retraite, ces trimestres dits « de maternité » peuvent, dans certains cas, pour les femmes qui ont une carrière complète ou quasi complète, perdre d’une certaine manière leur utilité dès lors que la carrière peut être complète sans qu’il soit besoin de ces trimestres.
Dans ce cas, leur utilité peut être questionnée. Ils peuvent alors compenser non pas une incapacité à cotiser pendant un temps, mais les inégalités de carrière que peut encore malheureusement susciter le fait d’avoir des enfants et de consacrer du temps à leur éducation.
La solution qui est ainsi proposée, à savoir maintenir ce bénéfice de temps pour les femmes dont la carrière est hachée, mais permettre à celles ayant une carrière complète ou quasi complète de bénéficier, quelques trimestres avant l’âge d’ouverture des droits, d’une surcote en matière de pension – car, la démonstration est peut-être un peu simpliste, si elles ont réussi à avoir une carrière complète, cela signifie que leur grossesse et leur maternité les ont empêchées non pas de mener une carrière, mais de progresser aussi rapidement que leurs collègues hommes –, nous paraît une solution intéressante, posant une première brique au chantier des droits familiaux que nous aurons à aborder dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2024.
J’ai pris cet exemple, qui renvoie de nouveau à la complexité que j’évoquais hier, pour souligner qu’une question binaire, à laquelle on répondrait par oui ou par non, est une question trop simple, trop directe et, par conséquent, inopportune pour aborder une réforme comme celle-ci.
Je compte davantage sur la richesse des débats du Parlement pour permettre d’améliorer le texte. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, RDSE, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l’article unique de la motion de renvoi au référendum.
motion tendant à proposer au président de la république de soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Article unique
En application de l’article 11 de la Constitution et des articles 67 et 68 du Règlement, le Sénat propose au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi n° 368 (2022-2023) de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique de la motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre à référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale, je donne la parole à M. Daniel Breuiller, pour explication de vote.
M. Daniel Breuiller. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien sûr, nous sommes légitimes à débattre, et d’ailleurs nous le ferons, même s’il est vrai que, si nous nous écoutons, pour autant nous ne nous convainquons pas.
Bien sûr, aussi, nous vivons une crise démocratique d’une grande profondeur, tant l’écart entre le peuple et le Gouvernement ne cesse de s’accroître, et tant l’écart entre l’immense majorité de nos concitoyens et la majorité de notre chambre est grand.
Des millions de personnes manifestent. Le sentiment d’injustice sociale est d’une profondeur rarement atteinte. L’unanimité syndicale s’exprime face à cette réforme. Mes chers collègues, si rien ne bouge, le populisme s’en nourrira.
Alors, comment sortir de cette crise démocratique ? Nos collègues du groupe Union Centriste appellent à l’ouverture d’un grand débat social. Pour ma part, je trouve cette position très intéressante et très intelligente, tant il est impossible de parler des retraites sans parler du travail lui-même, ce que le cadre d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale ne permet pas.
Mais cette proposition de nos collègues centristes suppose une seule chose,…
M. Vincent Capo-Canellas. Venez chez nous ! (Sourires sur les travées du groupe UC.)
M. Daniel Breuiller. … à savoir que le débat commence par ce round social et non pas par le vote d’une loi.
Or nous faisons tout à l’envers sous l’impulsion de ce gouvernement : nous changeons le mix énergétique avant de débattre des choix énergétiques et nous votons une réforme des retraites avant de débattre du travail. Il s’agit d’un problème démocratique qui nourrira les populistes ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
Des citoyens appellent à la tenue d’une convention citoyenne sur les retraites. Je l’avoue, cette idée me séduit.
En effet, en tant que « jeune » sénateur, je m’étonne que nous ne parvenions, en aucun cas, à dégager des consensus au sein de cet hémicycle, alors que les conventions citoyennes portant sur des sujets aussi délicats que la fin de vie ou le climat sont capables d’élaborer ces consensus.
Ce problème doit nous faire réfléchir, nous parlementaires, à la façon dont le débat est bloqué au sein de nos institutions.
Il reste alors la dernière proposition, celle du référendum. Elle a de graves inconvénients, notamment en raison de son caractère binaire. Cependant, il n’est jamais honteux de redonner au peuple la capacité de décider. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mes chers collègues, après chaque élection, on découvre un taux d’abstention abyssal, on fait de grandes déclarations sur la crise démocratique, puis, le temps passant, on finit par oublier la gravité du décrochage d’une large partie de notre population, notamment issue du monde salarié, à l’égard des choix politiques du pays.
Pourquoi ? Parce que depuis des années sont votées des réformes qui, à la manière d’un rouleau compresseur, attaquent notre modèle social et notre modèle républicain. Et rien ne peut jamais être fait pour y remédier. On vote, on fait le choix de l’alternance sans que cela change véritablement les choses. On vote en faveur d’un président mettant en avant son programme, tout son programme, alors qu’il a été élu pour faire obstacle à Marine Le Pen !
Les gens ne croient plus à cette démocratie.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Bien sûr !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il est donc fondamental de trouver un nouvel équilibre entre le choix de recourir au référendum, qui donne la parole au peuple et qui en règle générale encourage ce dernier à voter, et la démocratie représentative. Si nous n’avançons pas en nous appuyant sur ces deux jambes, celles-ci en seront toutes deux affaiblies.
Or de quoi s’agit-il en l’occurrence ? Il ne s’agit pas de détails ; des amendements à un projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) peuvent toujours être adoptés pour améliorer la condition de la retraite des femmes ou un autre point. Il s’agit en réalité de l’essentiel. Le référendum doit porter sur l’essentiel, à savoir le recul de l’âge légal de départ à la retraite à 64 ans, que notre pays refuse massivement ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Ne pas vouloir y recourir, c’est creuser la tombe de notre vision républicaine, c’est creuser la tombe de notre démocratie !
Mes chers collègues – et néanmoins amis – du groupe Les Républicains, je vous rappelle non seulement la position du général de Gaulle à l’égard du référendum, mais aussi que Mme Pécresse annonçait, avec tambour et trompette, un référendum sur l’immigration. Alors, ne nous dites pas que le référendum n’est pas une bonne chose !
M. le président. La trompette du temps a sonné !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Eh bien, la trompette, c’est le retrait ! (Rires et applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge, pour explication de vote.
Mme Raymonde Poncet Monge. Le constat est sans appel : selon l’Institut français d’opinion publique (Ifop), 75 % des ouvriers et employés, 63 % des cadres sont opposés à la réforme, tandis que 59 % des Français sont favorables à une augmentation des cotisations. Selon Elabe, les actifs jugent la réforme injuste pour 77 % d’entre eux, inefficace pour 66 %, pas nécessaire pour 61 %. Et 72 % des actifs soutiennent la mobilisation, cependant que 60 % d’entre eux souhaitent qu’elle se durcisse par des blocages.
Aussi, pour 59 % des Français, le responsable du conflit social et des blocages, c’est le Gouvernement.
Toutes ces enquêtes ne font que mettre au jour l’opposition massive et sans équivoque de la population et des actifs, qui trouvent également que le retrait de la réforme est non négociable.
La démocratie est le régime du peuple, pour le peuple, par le peuple. Pourtant, vous niez la légitimité sociale de la population et des syndicats majoritairement opposés au projet.
Rosanvallon complète Rousseau, cher collègue Alain Milon, et ce pour la seule légitimité électorale d’avoir été élu, alors que chacun sait que ce résultat est d’abord dû aux circonstances du second tour de l’élection présidentielle, qu’il ne donnait pas de blanc-seing à votre programme et certainement pas à ce recul de l’âge légal de départ à la retraite. Vous faites semblant aujourd’hui de l’oublier, alors que vous le reconnaissiez entre les deux tours pour demander nos voix.
La population doit avoir le droit de débattre de cette réforme et retrouver la parole, alors que vous tronquez aujourd’hui le débat parlementaire. Si le peuple vote contre la réforme du Gouvernement, il ne vous restera comme issue que de retirer cette réforme ou de « dissoudre le peuple », comme le disait Bertolt Brecht.
Pour toutes ces raisons, les écologistes soutiennent cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, mes chers collègues, je rappellerai simplement que le référendum est un outil démocratique qui permet de trancher, dans un moment de doute, un certain nombre de questions. Or nous sommes en plein doute. Par conséquent, recourir au référendum est nécessaire.
Évidemment, des réticences existent, celles du Président de la République et du Gouvernement, pour convoquer un référendum, ce qui ne m’étonne guère. En effet, ils craignent – comme, dans une certaine mesure, nos collègues de la majorité sénatoriale – une remise en cause de leur légitimité. Or ce n’est pas du tout le sujet. Si M. Macron se félicite, cela a été dit, du bon sens des Français, il doit aller au bout de sa logique et favoriser l’expression de ce bon sens et non la craindre.
Rejeter cette motion serait envoyer un très mauvais message aux 90 % d’actifs et aux plus de 60 % de Français qui veulent le retrait de ce texte, parmi lesquels figurent – je voudrais insister sur ce point – des électrices et des électeurs d’Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle, mais aussi des électrices et des électeurs qui soutiennent – et ont voté pour eux – les candidates et candidats de la droite, qu’ils soient issus des rangs de Les Républicains ou des centristes, aux dernières élections. Il est possible de s’interroger sur leur niveau de tolérance, car cette réforme s’ajoute à des contraintes financières et sociales qui leur sont imposées depuis plusieurs années.
La colère existe, le ressentiment existe. Il serait temps de sortir de votre bulle pour entendre non seulement les flatteurs, mais, surtout, celles et ceux qui exigent le retrait de ce texte.
Pour notre part, et nous en sommes signataires, nous soutenons cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Dans nos débats, invoquer le général de Gaulle souligne souvent l’existence d’un grand trouble dans l’hémicycle. Un grand trouble existe ainsi qu’un désordre institutionnel, dont l’origine ne réside pas dans les débats de l’Assemblée nationale et dans les comportements auxquels nous avons alors assisté, mais est à chercher bien plus loin.
Le chef de l’État est responsable de ce désordre institutionnel. En effet, dès son premier mandat, il a marqué son mépris des organisations intermédiaires et l’a même quasiment théorisé. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.) Ce mépris des organisations intermédiaires explose aujourd’hui à la figure du Parlement, si je puis dire.
On peut mener une réforme des retraites en négociant avec les organisations syndicales, en ayant l’assentiment d’au moins une partie d’entre elles. Ce fut le cas dans notre histoire, il n’y a pas si longtemps – je vous le rappelle. Pour sa part, le chef de l’État a pris le pari de les contourner. Résultat : un front syndical total.
Remarquez, ce gouvernement est coutumier du fait. Avec les professions de santé, c’est la même chose : il a réussi à toutes les liguer contre lui. Voilà pourquoi il a échoué à signer un accord conventionnel.
Je ferme cette parenthèse, qui, d’ailleurs, n’en est pas une : cette méthode, c’est la ligne de conduite du Gouvernement. Face à un peuple qui dit non, face à des organisations syndicales qui disent non, il imagine une procédure bancale sur le plan constitutionnel, qui donne au Sénat le rôle d’assemblée du peuple, ce que nous ne sommes pas, mes chers collègues : nous sommes la chambre des territoires.
En résulte un désordre institutionnel total,…
M. Bruno Retailleau. Non !
M. Bernard Jomier. … créé par le chef de l’État, pour ne pas dire un chaos.
On ne peut pas sortir de cette situation de manière apaisée, par la voie parlementaire, et croyez bien que je le regrette. Il n’y a qu’une solution, c’est de retirer ce projet de loi et d’aller vers le peuple. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. J’ai entendu, de la part de ceux qui s’opposent à cette motion référendaire, des plaidoyers pour la démocratie parlementaire. Je prends date !
Le Parlement, Assemblée nationale et Sénat confondus, est bel et bien le fondement démocratique de notre République ; et nous avons très souvent dû le défendre, car il a été brutalisé par différents gouvernements. Depuis l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, cette brutalisation est même constante : les procédures d’urgence, qui devaient rester exceptionnelles, sont désormais la règle.
Monsieur le ministre, pourquoi brutaliser ainsi le Parlement ?
Nous sommes dans une situation très particulière. Cette réforme majeure va toucher à la vie de millions de nos concitoyens ; or le Président de la République n’a pas été investi par le peuple pour la mener. Si tel avait été le cas, il aurait obtenu une majorité aux élections législatives.
Faute de véritable majorité, le mandat parlementaire du Président de la République et de la Première ministre n’est pas clair. Parallèlement, la mobilisation syndicale est massive et – toutes les enquêtes d’opinion le confirment – les Français sont très majoritairement contre la réforme.
Le seul moyen de dénouer cette crise démocratique, c’est de donner la parole au peuple par voie référendaire…
M. le président. Il faut conclure.
M. David Assouline. Cela veut dire, bien entendu, un débat dans le pays. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique de la motion de renvoi au référendum.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 139 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 93 |
Contre | 251 |
Le Sénat n’a pas adopté. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
En conséquence, la motion de renvoi au référendum est rejetée et le Sénat va poursuivre la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinq, est reprise à dix-sept heures.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Suite de la discussion d’un projet de loi
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Rappels au règlement
Mme Cathy Apourceau-Poly. Mon rappel au règlement, qui a pour objet l’organisation de nos travaux, se fonde sur le premier alinéa de l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement vote la loi. Il contrôle l’action du Gouvernement. Il évalue les politiques publiques. »
Monsieur le ministre, ma collègue Céline Brulin vous a demandé hier de transmettre au Sénat l’avis ou les votes du Conseil d’État, ou mieux encore l’ensemble de ces informations, sur ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS).
Qui peut nier ici que la constitutionnalité de ce texte soulève de nombreuses interrogations ?
De nombreux articles de presse affirment que le Conseil d’État a émis des doutes quant à la constitutionnalité de certaines mesures de votre projet de loi. S’est-il exprimé sur le véhicule législatif lui-même ?
Traditionnellement, les avis du Conseil d’État n’étaient pas rendus publics. Toutefois, en application d’une décision orale du Président de la République François Hollande, annoncée lors de la cérémonie des vœux aux corps constitués le 20 janvier 2015, les avis sur les projets de loi sont, depuis le 19 mars de cette même année, intégralement rendus publics par le Gouvernement sur le site Légifrance dès que le conseil des ministres en a délibéré.
Certes – nous le savons –, cette pratique ne s’applique pas jusqu’à présent aux avis sur les projets de loi de finances, les projets de loi de financement de la sécurité sociale, les projets de loi de ratification d’une ordonnance ou relatifs à une convention internationale. Cette nuance relève donc de la pratique. Rien dans la loi ou dans la Constitution ne saurait empêcher le Parlement – en l’occurrence, le Sénat – de prendre connaissance des travaux du Conseil d’État sur le présent texte.
Bref, d’une part, au-delà d’une certaine pratique, rien ne s’oppose à la publication des avis ou des votes du Conseil d’État sur ce PLFRSS ; d’autre part, un doute subsiste quant au véhicule législatif en tant que tel. Ce texte aurait pu et dû relever d’une loi ordinaire : voilà pourquoi la jurisprudence « Hollande », si je puis dire, s’applique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. Mes chers collègues, chacun doit veiller à respecter son temps de parole.
La parole est à M. Gérard Lahellec, pour un rappel au règlement.
M. Gérard Lahellec. Ce rappel au règlement se fonde sur l’article 36 de notre règlement et, plus fondamentalement encore, sur l’article 24 de notre Constitution.
Monsieur le ministre, vous devez accepter notre demande de publication de l’avis et des votes du Conseil d’État sur ce projet de loi relatif aux retraites.
Des remarques importantes, des réserves, voire des oppositions ont été formulées par la plus haute juridiction administrative. La presse s’en est d’ailleurs fait l’écho, à la suite de notre collègue député Jérôme Guedj, qui a révélé un certain nombre d’éléments.
Depuis 2015, ces avis sont publiés, par convention, en vertu d’une décision du Président de la République. L’exclusion de certains textes, comme les projets de loi de financement de la sécurité sociale, n’a aucune base écrite. On peut donc y mettre fin d’une minute à l’autre. (M. Alain Richard manifeste sa circonspection.)
Au reste, un grand quotidien du soir a révélé dans un de ses articles que, « dans une note restée confidentielle jusqu’à présent, l’institution du Palais-Royal a suggéré de retirer certaines dispositions, dont celles sur “l’index seniors”, au motif que leur présence dans un texte à caractère financier est sujette à caution, sur le plan de la constitutionnalité ».
La même source précise que le Gouvernement, ne tenant pas compte de ces remarques, a présenté son texte tel quel, mais – c’est un comble ! – qu’il a tout de même prévu, pour les dispositions concernées, des articles législatifs plus sûrs pour l’avenir.
Monsieur le ministre, un tel procédé est irrespectueux ; nous vous demandons une nouvelle fois de publier ces documents. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Brulin, pour un rappel au règlement.
Mme Céline Brulin. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 36 de notre règlement et sur l’article 24 de la Constitution.
Monsieur le ministre, nous ne pouvons pas commencer l’examen de ce texte sans que l’avis du Conseil d’État soit rendu public.
Depuis vingt-quatre heures, on insiste beaucoup sur la qualité des débats sénatoriaux ; je suis convaincue que la réputation de notre assemblée ne se démentira pas dans les jours qui viennent. Mais, pour que notre discussion soit digne de la Haute Assemblée, nous devons avoir connaissance, dans leur entièreté, des différents éléments en jeu : c’est pourquoi nous avons besoin de l’avis et des votes du Conseil d’État.
C’est d’autant plus nécessaire que, d’après les informations communiquées tant par la presse que par un de nos collègues députés, le Conseil d’État aurait émis des doutes sur la constitutionnalité du présent texte. Le président du Conseil constitutionnel lui-même aurait auparavant alerté quant à la constitutionnalité d’un certain nombre d’articles.
La procédure d’examen de ce texte inspire d’ores et déjà beaucoup de doutes. Beaucoup d’inexactitudes, d’approximations, voire de mensonges ont été diffusés. Il serait sain pour la démocratie que nous ayons accès à cet avis, car sa communication est le gage d’un débat serein.
J’y insiste : ce document doit être rendu public, pour que les parlementaires et, au-delà, l’ensemble du peuple français puissent en prendre connaissance. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le président, je ne voudrais surtout pas, en me prononçant sur ces rappels au règlement, laisser croire que je me substitue à vous pour assurer la police des débats.
Mesdames, monsieur les sénateurs, je vous répondrai en trois points.
Premièrement – je le dis avec le sourire –, vous m’interrogez sur un document resté secret dont, à l’évidence, vous connaissez la teneur. C’est assez singulier… (Exclamations sur des travées des groupes CRCE et SER.)
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas nous, c’est la presse ! (On renchérit sur les travées du groupe CRCE.)
Mme Émilienne Poumirol. Heureusement qu’il y a la presse !
Mme Marie-Pierre de La Gontrie. Alors, cela n’existe pas ?
M. Olivier Dussopt, ministre. Mais cela fait partie du débat.
Deuxièmement, la réponse est en partie dans la question que vous avez posée.
En 2015, en vertu d’une décision orale du Président de la République, les avis portant sur les projets de loi ordinaire ont été rendus publics. Vous l’avez dit vous-mêmes : cette décision ne concerne ni les projets de loi de finances, ni les projets de loi de finances rectificative, ni les projets de loi de financement de la sécurité sociale. (Mme Cathy Apourceau-Poly le concède.) Il ne me revient pas de changer cette règle, fixée par le précédent Président de la République.
M. David Assouline. Posez la question au nouveau !
M. Olivier Dussopt, ministre. Je ne me hasarderai pas à de telles décisions.
Troisièmement et enfin, sur les projets de loi de financement de la sécurité sociale comme sur les projets de loi de finances, le Conseil d’État ne rend pas d’avis : il remet au secrétariat général du Gouvernement une note de synthèse.
En vertu des fonctions qu’ils exercent, un certain nombre de parlementaires peuvent demander à ce dernier à consulter cette note, dans des conditions prévues par celui-ci.