compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
M. Loïc Hervé.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023
Rejet d’une motion référendaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la motion présentée par M. Patrick Kanner, Mme Éliane Assassi, M. Guillaume Gontard et plusieurs de leurs collègues, tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 (n° 388, 2022-2023).
La parole est à M. Patrick Kanner, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. Patrick Kanner, auteur de la motion. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom de Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, et de tous ses membres (M. Roger Karoutchi s’exclame.), au nom de M. Guillaume Gontard, président du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, et de tous ses membres, au nom enfin des élus du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain,… (Exclamations ironiques sur des travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. C’est la Nupes ! Vous avez oublié Mme Panot !
M. Patrick Kanner. … j’ai l’honneur de vous présenter cette motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum ce projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023.
Permettez-moi de commencer par une citation : « Toute la bataille menée depuis le XIXe siècle se trouve ainsi résumée : la bataille pour le temps de vivre, la conquête du temps de vie. Quelle était cette vie pour un prolétaire au XIXe siècle ? Il n’y avait pas de retraite à la fin de la vie, il n’y avait pas de journée de repos, il n’y avait pas de week-end. » Quarante-deux ans plus tard, ces mots tenus par François Mitterrand pendant sa campagne présidentielle de 1981 résonnent avec force dans notre hémicycle.
Ils résonnent aussi dans mon histoire personnelle. Moi, enfant du Nord, ce département où les gens ont deux ans de moins d’espérance de vie que la moyenne nationale, je sais ce que voulait dire le mot « travail » dans le bassin minier, à Denain ou Douai, dans les usines textiles de Lille, Roubaix ou Tourcoing, dans l’industrie métallurgique à Maubeuge ou Dunkerque.
Le combat de ma famille politique, depuis le premier jour, a été de conquérir un peu de temps de vivre. Il a fallu, toujours, de tout temps, sous tous les régimes politiques, arracher aux puissants les concessions qu’ils refusaient.
Aujourd’hui se tiennent face à moi ceux qui veulent revenir sur ces conquêtes sociales, toujours pour les mêmes raisons, l’argent et la rentabilité, quoi qu’il en coûte socialement parlant. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Ce sont le Président de la République, la Première ministre et son gouvernement, ainsi que la majorité de droite, qu’elle soit relative à l’Assemblée nationale ou indiscutable au Sénat.
Ces forces ne sont pas simplement face à nous, parlementaires de gauche – cela n’aurait pas beaucoup d’importance ; elles sont face aux Français, en opposition frontale !
Aujourd’hui, nous nous battons non pas pour leur arracher de nouvelles concessions, ce que nous aurions sans doute préféré, mais pour qu’elles n’arrachent pas du temps de vivre aux Français et pour que, au nom des économies budgétaires, elles ne mettent pas en place un nouvel impôt sur la vie.
D’autres politiques bien plus solidaires sont possibles. Ceux qui s’opposent à nous ont malheureusement choisi l’injustice plutôt que l’équité.
La retraite par répartition est un des piliers de notre système de protection sociale. Ce sont les luttes sociales successives qui l’ont forgée, puis renforcée au cours de diverses périodes historiques ; je pense aux jours heureux de la Libération et aux grandes conquêtes sociales de 1981.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, avec ce texte, vous ne vous attaquez pas seulement aux Français, vous vous attaquez à un pan de notre histoire.
Certes, il n’y a rien d’étonnant à ce que la droite tente de détricoter notre modèle social. C’est même son fonds de commerce.
M. Bruno Sido. N’importe quoi !
M. Roger Karoutchi. Et la sécurité sociale ?
M. Patrick Kanner. Le Gouvernement comme la majorité sénatoriale sont dans leur rôle.
Le faire ainsi, en revanche, est inédit. Choisir une procédure qui fait obstacle à la tenue d’un débat parlementaire serein, éclairé et sincère pour une réforme d’une telle importance, sans parler des risques d’inconstitutionnalité, c’est inédit.
Fragiliser notre pays, avec un texte qui semble avoir été griffonné sur un bout de table tant ses auteurs n’en maîtrisent pas les contours exacts, c’est inédit.
Faire émerger un front syndical uni tant la concertation est ratée, sinon inexistante, c’est inédit.
Réussir à coaliser contre soi une écrasante majorité de Français, même parmi vos électeurs du premier tour, c’est inédit !
Je pourrai continuer longtemps cette énumération, mais je préférerais revenir sur quelques-uns des points que je viens d’évoquer avant d’en détailler d’autres.
Vous avez choisi de détourner l’objet de l’article 47-1 de la Constitution pour contourner le Parlement. J’ai parlé hier de « piraterie parlementaire » : je persiste et je signe. La fonction de ces lois de financement au sein de notre Constitution n’est pas la mise en place d’une réforme de grande ampleur de notre système de retraite !
En dévoyant cette procédure, vous aboutissez à un examen trop rapide et incomplet d’une réforme sociale importante qui relève du domaine de la loi ordinaire ; une réforme qui aurait dû – cela a été dit hier – être précédée d’une grande réflexion sur la place du travail dans notre société, sur celle des seniors et sur l’égalité entre les femmes et les hommes, en matière de salaire par exemple.
M. Jean-Michel Houllegatte. Exact !
M. Patrick Kanner. Avec la procédure retenue, ce texte pourrait être promulgué sans aucun vote dans l’une ou l’autre chambre de notre Parlement : c’est un scandale ! C’est un bras de fer que vous engagez avec les Français et leurs représentants, mais vous ne trompez personne : vous faites cela, monsieur le ministre, car vous n’avez pas de majorité parlementaire pour faire voter votre réforme.
Par ailleurs, en utilisant cette procédure, vous prenez le risque que le Conseil constitutionnel censure les cavaliers sociaux ; le Conseil d’État vous a d’ailleurs prévenu sur ce point. Si ce projet de loi était voté, il pourrait vous être reproché que certains de ses dispositifs n’ont pas un effet suffisamment direct sur les recettes ou les dépenses de la sécurité sociale : quand on enlèvera ces sucrettes, il ne restera plus que la pilule amère !
Outre les risques d’inconstitutionnalité que je viens d’évoquer, le choix de ces modalités de débat abîme notre démocratie. Que l’on soit clair : en empêchant le temps nécessaire à un débat de qualité, le Gouvernement est le premier comptable de la dégradation du climat autour de ce débat parlementaire.
L’obstruction, c’est d’abord vous ! Les débats tronqués, c’est d’abord vous ! Le passage en force, c’est d’abord vous ! (Protestations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
M. David Assouline. Ce n’est que vous !
M. Patrick Kanner. Ensuite, monsieur le ministre, avec ce texte, on ne sait pas si vous êtes coupable de duperie ou d’incompétence tant vous avez varié dans vos explications !
Cela fait plusieurs semaines que vous naviguez de contre-vérités en approximations, que ce soit sur la retraite des femmes ou sur les 1 200 euros de pension minimale. Vous semblez mal connaître votre texte et découvrir ses effets négatifs au fur et à mesure de son examen, surtout lorsque nos collègues députés vont chercher les informations à la source – vous voyez à quoi je fais allusion…
Il s’ensuit une litanie de mensonges visant à camoufler vos insuffisances et votre politique antisociale. Je ne m’attarde pas sur ces points, ils seront largement débattus ces prochains jours. Mais s’attaquer avec autant de légèreté à la retraite par répartition est inacceptable. Nous sommes face à un mécano bancal, élaboré par des bricoleurs.
M. David Assouline. Du tripatouillage !
M. Patrick Kanner. Je l’ai déjà dit, vous n’avez pas de majorité au Parlement pour faire cette réforme. La seule majorité que vous avez est contre vous et contre cette réforme : ce sont les Français !
Le front syndical – uni, il faut le souligner –, a permis de faire émerger une mobilisation inédite et pacifique, la plus forte depuis trente ans. Le 7 mars prochain, le monde du travail réaffirmera haut et fort, dans la rue, son opposition au report de l’âge légal de départ.
M. Roger Karoutchi. On verra…
M. Patrick Kanner. Nous sommes aussi leurs porte-voix pour dire non à la retraite à 64 ans.
Monsieur le ministre, écoutez les Français ! Ils ont un discours clair et net de refus de votre réforme injuste. Entendez, vous aussi, les paroles des salariés qui disent : « Cette réforme, on ne peut pas, on ne tiendra pas jusque-là. »
S’ils s’opposent à ce point à votre projet, c’est qu’ils percent à jour vos intentions profondes. Ils savent que vous êtes en train de faire des économies sur le dos des ouvriers et des employés, qu’ils soient issus de la classe populaire ou de la classe moyenne. Cette obsession du moins d’impôt, de plus en plus dénoncée par les autorités de régulation financière, vous voulez en réalité la faire supporter à 6 Français actifs sur 10, soit 18 millions de nos concitoyens, sans qu’aucun effort soit demandé à cette extrême minorité de contribuables qui a tant bénéficié de l’hyperbouclier fiscal du Président de la République depuis 2017.
Ceux-là peuvent dormir en paix : Emmanuel Macron veille à leurs intérêts ! Les Français ont bien compris que le ruissellement, c’était pour les autres.
Le Président de la République a été élu pour faire barrage à l’extrême droite. Les Français ne lui ont pas donné de majorité pour une telle régression sociale. C’est pour cette raison que vous ne pourrez faire passer cette réforme autrement qu’en brutalisant la République.
Pour résumer, avec cette réforme, vous jouez avec le feu, tant sur la forme que sur le fond, et vous savez bien qui risque d’en profiter politiquement.
Mes chers collègues, monsieur le ministre, nous appelons au retrait de cette réforme. C’est clair et net.
Mais, faute de retrait, nous, élus des trois groupes de gauche, vous offrons une autre voie avec cette motion référendaire.
Je demande au Gouvernement de montrer son visage et d’assumer franchement sa politique face aux Français : présentez-leur le texte ! Ils sont dans la rue ; ils préféreraient sûrement aller aux urnes.
Mon appel s’adresse aussi à la majorité sénatoriale, qui a les moyens de voter cette motion. Faites honneur à votre famille politique, au gaullisme !
M. Roger Karoutchi. Restons calmes !
M. David Assouline. Ils ont peur…
M. Patrick Kanner. Vous qui, chaque année, répétez que la réforme de notre système de retraite est indispensable pour que les Français continuent d’avoir une retraite, faites trancher cette question fondamentale par un référendum, comme le permet la Constitution imaginée par le général de Gaulle.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Exactement !
M. Patrick Kanner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mes derniers mots seront pour le Président de la République, (Exclamations sur les travées du groupe RDPI.) pour ce Président de la République qui, il y a quelques jours, a osé appeler au bon sens des Français pour défendre sa réforme.
Le bon sens, c’est de retirer cette réforme (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST, ainsi que sur des travées du groupe CRCE.) ou, à défaut, d’avoir le courage de la présenter devant les Français !
Mes chers collègues, au nom de nos trois groupes et pour toutes ces raisons, j’encourage la Haute Assemblée à voter cette motion référendaire. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme la rapporteure générale. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – M. Jean-Baptiste Lemoyne applaudit également.)
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Monsieur Kanner, vous venez de présenter cette motion référendaire, au nom de votre groupe et de ceux que président Mme Éliane Assassi et M. Guillaume Gontard. Nous nous y attendions, ce n’est pas une surprise.
S’agit-il d’un outil – on ne parlera pas d’« arme » – d’obstruction majeure ? (On le conteste joyeusement sur les travées du groupe SER. – Applaudissements sur les travées du groupe UC et sur des travées du groupe Les Républicains.) Sans doute pas : chacun use de ce qu’il a dans sa boîte à outils.
Je voudrais vous livrer deux éléments de réflexion : d’abord une incompréhension, ensuite une conviction.
Monsieur le président Kanner, je sais combien vous êtes attaché à la démocratie parlementaire : vous avez tellement d’occasions de le montrer, de le prouver. Or, aujourd’hui, vous nous proposez en réalité un court-circuit : on ne débattrait pas au Parlement et on laisserait la rue choisir pour les Français. (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.) Mes propos vous font réagir : c’est une bonne chose !
Toutefois, je voudrais vous rappeler, monsieur Kanner, les paroles de François Hollande, qui est de gauche, me semble-t-il, et qui disait : « Il faut respecter la démocratie représentative. Pourquoi élire des députés, des sénateurs, si toutes les questions peuvent être posées au peuple français ? » Cette phrase est de François Hollande ! (Vives protestations sur les travées des groupes SER et CRCE. – Applaudissements sur des travées des groupes UC et Les Républicains.)
Revenons-en à notre sujet. Demander aux Français : « Voulez-vous de cette loi ? » serait, vous le comprenez bien, leur poser une question binaire, à laquelle il faudrait répondre par oui ou par non. (Exclamations sur les travées des groupes SER et CRCE.) Or, s’il s’agit de leur demander davantage d’efforts, les Français répondront bien évidemment non…
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas vrai !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Les sondages le montrent ! En revanche, si on leur demande : « Voulez-vous sauver votre système de retraite par répartition ? », ils diront oui. Si on leur demande : « Voulez-vous laisser à vos enfants la dette de vos retraites et de vos pensions ? », ils diront non ! (Exclamations sur les mêmes travées.)
Mme Éliane Assassi. C’est laborieux !
M. David Assouline. Posez-leur donc toutes ces questions par référendum !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il faut donc être attentif aux questions que l’on pose dans le cadre d’un référendum, et je considère que nous ne devrions pas adopter cette solution dans le cas présent.
Ma conviction, c’est que nous sommes aujourd’hui face à un mur de dettes. Ce n’est pas moi qui le dis, mais encore un socialiste, à savoir le président du Haut Conseil des finances publiques, Pierre Moscovici.
M. Mickaël Vallet. Il n’est pas socialiste !
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Il nous dit que nous sommes face à un mur de dettes et que nous avons une montagne d’investissements à faire, que ce soit pour les armées, pour le climat ou pour restaurer le service public, et ce alors qu’il nous reste encore 155 milliards d’euros de dette à amortir sur la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) – vous imaginez bien les sommes que cela représente !
M. Roger Karoutchi. Si c’est M. Moscovici qui le dit…
Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale de la commission des affaires sociales. Par conséquent, je ne veux pas laisser au peuple français la responsabilité de cette décision, qui est lourde, parce que j’estime que c’est à nous de la prendre, ici, au Parlement. (Applaudissements sur des travées des groupes UC, INDEP et Les Républicains.)
En conclusion, pour paraphraser le président Chirac, qui disait : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs », je dirai que nous oublions la dette et que nous regardons ailleurs.
Je vous propose donc de rejeter cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC, INDEP, RDPI et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. René-Paul Savary, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l’assurance vieillesse. On peut effectivement se poser la question de la voie référendaire : c’est tout à fait légitime. Cela voudrait dire que nous proposerions au peuple de se prononcer sur le texte sur lequel – la démocratie est ainsi faite – nous sommes amenés à délibérer. Nous refuserions le débat (Non ! sur des travées du groupe SER.) et nous proposerions au peuple le texte tel qu’il est aujourd’hui rédigé.
En conséquence, on ne pourrait pas y intégrer toutes les avancées de justice sociale que nous proposons. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe SER.)
M. David Assouline. Nous montrerons que c’est l’inverse !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ce serait ne pas prendre en compte l’effort supplémentaire des mères de famille, que nous entendons récompenser par une mesure tout à fait significative prévoyant une pension meilleure.
M. David Assouline. Pas du tout !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ce serait ne pas prendre en compte suffisamment l’usure professionnelle, alors que nous proposons des améliorations sur ce sujet par rapport au texte initial.
Ce serait ne pas prendre en compte les avancées sur le dispositif de retraite progressive, que nous voulons rendre plus juste.
Par conséquent, c’est une question brute de décoffrage que vous entendez poser plutôt que de débattre aujourd’hui.
En outre, nous connaissons l’esprit des Français, toujours un peu franchouillard et gaulois,… (Mme Marie-Noëlle Lienemann s’exclame.)
M. Martin Lévrier. Réfractaires !
M. René-Paul Savary, rapporteur. … qui fait que nos compatriotes ne répondent pas toujours directement à la question qui leur est posée.
M. Jean-Michel Houllegatte. Et le référendum de 2005 sur la Constitution européenne ?
M. René-Paul Savary, rapporteur. Or la façon de poser la question est un sujet très sensible dans la procédure du référendum.
Si vous leur aviez posé la question quand vous avez fait la réforme Touraine – pourquoi, d’ailleurs, ne l’avez-vous pas fait ? –, que leur auriez-vous demandé, sinon de se prononcer sur le fait d’allonger la durée de cotisation de 41,5 ans à 43 ans ? Telle est bien la réalité ! (Marques d’approbation sur des travées des groupes Les Républicains et UC.)
Qu’auriez-vous donc demandé aux Français, à ces jeunes qui, aux termes de votre loi, doivent avoir validé quatre ou cinq trimestres avant la fin de leurs 16 ans s’ils veulent un départ anticipé ? Vous leur auriez demandé : « Êtes-vous d’accord pour travailler pendant 45 ans ? », alors que dans le présent texte nous leur proposons de travailler moins. Voilà la façon dont il faudrait poser la question. (Mêmes mouvements.)
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Mais non !
M. René-Paul Savary, rapporteur. Et si, demain, vous constatiez que l’on a des difficultés, mais que l’on ne veut pas faire d’effort, leur demanderiez-vous : « Voulez-vous travailler jusqu’à 64 ans plutôt que 62 ans ? » C’est ainsi que vous leur poseriez la question ; moi, je ne ferais pas comme cela. Je dirais : « Si nous ne prenons pas nos responsabilités, nos enfants devront travailler jusqu’à 65 ans plutôt que 64 : est-ce cela que vous voulez ? » Et vous verrez que la réponse sera différente. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.)
Nous avons entendu, comme vous, les manifestants, mais nous avons aussi écouté les syndicats. Que nous disent la CGT et la CFDT ?
De nombreuses voix à gauche. « Retrait de la réforme ! »
M. René-Paul Savary, rapporteur. Ils nous disent qu’il faut débattre du texte. Je discutais encore récemment avec une déléguée CGT de mon département. (On s’en étonne sur les travées du groupe CRCE.) Elle me disait : « Monsieur le sénateur, il faut débattre du texte. » Nous suivons les syndicats ! (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE. – Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
En conséquence, vous l’aurez compris, je ne laisserai pas planer le suspense plus longtemps : je suis défavorable à l’adoption de cette motion ! (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien évidemment, les sénateurs ne peuvent pas se décharger de leur mission d’examen, de débat et de vote d’un tel projet de loi : ce serait purement et simplement démissionner.
Alors que le débat s’engage à peine, vous proposez de l’interrompre. En effet, l’article 68 de notre Règlement prévoit que, en cas d’adoption de cette motion, les débats seraient suspendus et la motion adoptée serait transmise à l’Assemblée nationale, où son sort est connu. Bref, tout ça pour ça !
Je rappelle que le Sénat a un rôle tout particulier en ce moment, celui de débattre des vingt articles du projet de loi, alors que cela n’a pas pu être fait à l’Assemblée nationale où seulement deux des vingt articles ont été examinés.
M. David Assouline. C’est le Gouvernement qui a fixé les délais !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. D’ailleurs, tant Philippe Martinez que Laurent Berger l’ont regretté, ce dernier dénonçant un « spectacle indigne et honteux ». (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Le souhait d’un débat sur le fond du texte n’est pas une lubie de la majorité présidentielle ou de la majorité sénatoriale ; c’est un devoir vis-à-vis des partenaires sociaux, un devoir vis-à-vis des Français.
Hélas ! avec cette motion, vous voulez esquiver le débat. J’en veux aussi pour preuve le dépôt d’amendements par milliers. Votre ligne est simple : ne pas bouger, ne pas fâcher. Mais les Français traduisent aussi cela par « ne pas gouverner » avant les deux dernières élections présidentielles…
Pour notre part, nous avons une conscience aiguë de la nécessité d’agir. Nous avons également la conviction que le Parlement peut être utile : nous ne pouvons donc pas accepter cette motion.
D’ailleurs si l’on refait le film de débats plus anciens, on peut se demander : que n’avez-vous utilisé le référendum ? « Écoutez les Français », nous dit le président Kanner. Or je me souviens de l’examen, en 2016 – M. Milon présidait la commission des affaires sociales –, du projet de loi relatif au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours, qui mettait en place une véritable révolution copernicienne. Vous savez que cette loi permet de travailler 46 heures par semaine pendant 12 semaines. Est-ce que vous l’avez soumise au référendum ? Non ! Pourtant, à l’époque deux Français sur trois voulaient le retrait de cette loi. Encore une fois, avez-vous fait un référendum ? Non !
Quant aux retraites, la loi Touraine de 2014 augmentait la durée de cotisation en la portant à 43 ans. Laurence Cohen disait alors que cela frapperait les femmes de plein fouet. Vous faites du texte d’aujourd’hui un choix de société, mais aviez-vous soumis cette réforme-là au référendum, à l’époque ? Non !
Je reconnais la constance du groupe CRCE, qui avait alors déposé des motions et porté le fer ; en revanche, du côté des socialistes, on ne peut pas dire qu’il y ait cette cohérence ou cette constance.
M. David Assouline. Les inconstants, ce sont les socialistes qui ont rejoint votre parti !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Pour ce qui est de la retraite à 60 ans, elle a été instituée en 1981, ni par référendum ni même à l’issue d’un débat parlementaire, mais par ordonnance : le Parlement a été mis hors d’état de débattre ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Le mandat était clair, à l’époque !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Robert Lion, directeur de cabinet du Premier ministre, avertissait pourtant déjà des risques liés à la retraite à 60 ans, dans son rapport Vieillir demain auquel je vous renvoie.
S’il devait y avoir un référendum, il faudrait également soumettre au choix des Français vos propositions. Je vois déjà le succès qu’elles auraient : « Êtes-vous prêts à renoncer à 10 % de vos pensions ? »
Mme Monique Lubin. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de 10 % ?
M. Jean-Baptiste Lemoyne. « Êtes-vous prêts à payer 15 milliards d’euros d’impôts supplémentaires chaque année ? »
M. Rémi Féraud. Plutôt à taxer les superprofits !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. En outre, s’il y avait un référendum, comment feriez-vous pour recueillir l’assentiment de celles et ceux pour qui nous faisons cette réforme, ceux qui ont 5 mois, ceux qui ont 5, 10 ou 15 ans et qui ne peuvent pas encore glisser un bulletin de vote dans l’urne ? Ils ont pourtant droit à une retraite et non à un régime qui faillirait par banqueroute !
Alors, que faire ? Je me remémore les propos de notre ancien collègue Alain Anziani en réponse à une motion référendaire, en 2010, dans cet hémicycle.
Mme Monique Lubin. Que de bonnes références !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il affirmait que, sur les retraites, il existait « une autre manière de consulter le peuple : c’est l’élection présidentielle ». Or le Président de la République a précisément posé le sujet dès avant le premier tour de la dernière élection, en disant ce qu’il ferait.
Le peuple s’est exprimé au premier tour et a été clair : il l’a porté au second tour !
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il a eu 25 % des voix !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. On peut considérer le sujet sous tous les angles. Vos collègues socialistes ou sociaux-démocrates, ailleurs en Europe, n’ont pas fait la politique de l’autruche, mais ont réformé dans le même sens que ce que nous proposons.