Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est toujours mieux à l’extérieur !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. C’est le Portugal de José Sócrates : 66 ans ! C’est l’Espagne de José Luis Zapatero : 66 ans ! C’est la Grèce d’Alexis Tsipras – rappelez-vous Syriza : 67 ans ! (Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Oui, il faut apporter des réponses aux retraités d’aujourd’hui et de demain, et rapidement ! Il est urgent de consolider le système, urgent d’améliorer les droits, urgent de travailler sur ce projet de loi !
Le groupe RDPI votera donc contre cette motion référendaire, afin que nous puissions poursuivre l’examen du texte et faire notre travail de parlementaires au service des Français.
C’est d’ailleurs tout le sens de cette belle analyse, publiée dans la revue Pouvoirs : « L’article 11 doit être utilisé avec précaution, à propos de textes peu nombreux et simples dans leur rédaction. Sinon, il serait préférable que la population des Français fût éclairée par un large débat parlementaire. » Elle est de François Mitterrand, en avril 1988 !
Alors, je le dis à nos collègues de l’opposition : soyez mitterrandiens ! soyez à la hauteur de votre héritage politique ! (Exclamations amusées sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Ne le reniez pas : ce n’est pas une défroque ou un vêtement usagé. Éclairons donc les Français par un large débat parlementaire et rejetons cette motion ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Laurent Lafon. Excellent !
M. le président. La parole est à Mme Émilienne Poumirol. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Émilienne Poumirol. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au lendemain de la victoire de 1945, la France a proclamé dans la Constitution de 1946, au sein de son Préambule, que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »
Les forces vives de la Résistance ont donc appliqué le programme des « jours heureux ». Ainsi, la France a bâti la sécurité sociale. Ce moment historique exprime ce principe de solidarité, en particulier grâce à la création du système de retraite, qui permet à chacun de bénéficier de droits acquis grâce à son travail pour profiter de la vie. C’est la solidarité intergénérationnelle.
La politique, c’est changer la vie. « Changeons la vie ici et maintenant », voilà le thème que nous portions, nous socialistes, en 1981. C’est ce que François Mitterrand a fait : parmi les grandes avancées sociales, il a mis en place la retraite à 60 ans, parce que nous savions – et nous savons toujours ! – combien le travail peut être pénible et endommager la santé des gens. J’en veux pour preuve que seulement 35 % des ouvriers travaillent au-delà de 60 ans, parce que leur santé ne leur permet pas d’aller au-delà.
Or l’actuel gouvernement a supprimé les critères de pénibilité. Sa politique est de dégrader la vie, notamment celle des femmes, des précaires et de ceux dont la carrière est longue. Changer la vie doit valoir pour l’aide-soignante d’Aurillac, la femme de ménage de Saint-Denis, ou la coiffeuse de Morlaàs. C’est cette France du travail qui, dans tous les territoires, crie sa colère dans les cortèges.
La retraite avait été pensée comme un nouveau salaire, qui permet de s’employer librement, à son rythme, dans des relations autres que marchandes, au bénéfice de la société tout entière. La France tire de ses retraités une richesse que des tableaux comptables ne peuvent pas faire ressortir. Ils sont ainsi les premiers à être engagés dans notre tissu associatif. Ils assurent des millions d’heures de garde d’enfants. Ils sont les élus de nos communes. Vous allez donc réduire de deux ans leur engagement au bénéfice de la société.
Monsieur le ministre, contrairement au Gouvernement, les Français connaissent cette richesse et demeurent attachés à la sécurité sociale et au système de retraite. Ces dernières semaines, ils ont, par millions, manifesté dans la rue leur rejet de ce texte et ont rejoint le front syndical uni qui s’est créé contre votre réforme.
Par la faute du Gouvernement et à cause de votre vision purement comptable, nous assistons ainsi aux plus grandes manifestations depuis trente ans. Ensemble, tous luttent pour empêcher votre réforme injuste, brutale et inutile.
Le 7 mars, les syndicats diront non ! Le 8 mars, les femmes diront non ! Le 9 mars, les étudiants diront non ! Enfin, le 10 mars, les marches pour le climat diront non à votre réforme injuste et libérale !
Par votre dogmatisme, vous prenez le risque de mettre le pays à l’arrêt. Aussi, dans un esprit de concorde, nous vous proposons une échappatoire, le référendum. Saisissez-la !
Si le référendum figure dans notre Constitution, c’est pour que les Français puissent décider par eux-mêmes de la voie que les politiques doivent emprunter.
Le général de Gaulle a décidé par quatre fois de s’en remettre à la sagesse populaire. Les crises que la France traversait alors ont conduit nos concitoyens à prendre leurs responsabilités et à décider de leur avenir.
Or l’avenir des Français, c’est précisément l’enjeu de cette réforme. Il faut prioritairement les associer à la discussion et à la construction de leur future société.
Aujourd’hui, plus des deux tiers d’entre eux s’opposent à votre réforme, et des millions l’ont crié dans la rue. Le Gouvernement ne dispose pas de la légitimité pour mener celle-ci.
Contrairement à ce qu’il dit, le Président de la République a été élu non pas sur son programme, mais pour empêcher l’arrivée au pouvoir de l’extrême droite. D’ailleurs, Emmanuel Macron n’a pas obtenu la légitimité à laquelle il aurait pu prétendre lors des élections législatives qui ont suivi son élection, puisqu’il ne possède qu’une majorité relative à l’Assemblée nationale, ce qui l’oblige à composer avec les élus de droite.
La souveraineté nationale appartient au peuple. Aussi, lorsque celui-ci est en désaccord avec ses représentants, il ne reste que la voie du référendum.
Aujourd’hui, je sais qu’à ma gauche la décision de poser la question à nos concitoyens a été prise. Je me tourne dès lors vers ma droite (L’oratrice se tourne vers les travées de droite.) : par une curieuse coïncidence dont seule l’Histoire a le secret, il revient au groupe héritier du gaullisme de trancher la question de proposer ou non un référendum.
Mes chers collègues, il vous appartient d’offrir de nouveau au peuple les clés de son destin ! (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen. (M. Patrick Kanner applaudit.)
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, demander l’organisation d’un référendum sur ce projet de recul de l’âge de départ à la retraite sonne aujourd’hui comme une évidence.
Monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité présidentielle et sénatoriale, qui travaillez aujourd’hui main dans la main, je vous le redis : le rejet de cette mesure provocatrice est massif dans ce pays !
Répondre par l’obligation de travailler plus longtemps à la détresse et à l’angoisse de la population, frappée par la crise de la covid-19, victime d’une précarité croissante au travail et dans la vie quotidienne, et qui subit une inflation à deux chiffres pour ce qui est des produits alimentaires et de première nécessité, est une provocation.
C’est d’abord une provocation à l’égard des femmes, déjà victimes de discriminations en matière salariale et en termes d’évolution de carrière. Plutôt que davantage d’égalité, vous ajoutez de la maltraitance en allongeant soit leur durée de travail, soit leur période de chômage, car vous savez bien qu’en reculant l’âge de la retraite, c’est le chômage des seniors que vous accentuez.
Le message que vous envoyez aux femmes est des plus cyniques. Vous leur dites qu’elles vont travailler plus longtemps, mais que l’écart entre leurs pensions et celles des hommes, qui atteint, faut-il le rappeler, 40 %, sera moindre ! Mais ce que veulent les femmes, ce n’est pas un écart cosmétique : c’est l’égalité ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
Depuis 2017, le président Macron a fait de l’égalité entre les femmes et les hommes une grande cause nationale. Qu’il mette ses paroles en adéquation avec ses actes : l’égalité salariale et l’égalité d’accès à l’emploi entre les femmes et les hommes permettraient de résoudre le pseudo-déficit qui justifie votre réforme inique !
Avec les amis de mon groupe, mais aussi ceux de toute la gauche sénatoriale, nous sommes scandalisés par les propositions de M. Retailleau (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), qui reposent sur une idéologie familialiste, nationaliste, digne d’une époque que je n’ose pas rappeler. (Mêmes mouvements. – Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. Max Brisson. Oh !
M. Bruno Retailleau. Sectarisme !
Mme Laurence Cohen. Non, monsieur Retailleau, les femmes ne peuvent avoir pour seule option, afin d’éviter de travailler jusqu’à un âge indéterminé, que de faire plus d’enfants. Nous vous demandons de retirer cette proposition au nom de la dignité.
M. Bruno Retailleau. Jamais !
Mme Laurence Cohen. C’est ensuite une provocation à l’égard de la jeunesse, durement éprouvée par la crise de la covid-19, confrontée à un monde incertain, aux guerres dans de nombreux pays, à la menace d’une Troisième Guerre mondiale,…
M. Roger Karoutchi. Qu’est-ce que la guerre vient faire là-dedans ?
Mme Laurence Cohen. … à cet inquiétant réchauffement climatique, soumise à un parcours scolaire et universitaire de plus en plus sélectif, effectué dans des conditions de plus en plus difficiles.
Que proposez-vous à la jeunesse ? Un service national universel autoritaire, une forme d’embrigadement insupportable pour celles et ceux qui ont soif de liberté, et une carrière qui ne s’achèvera qu’avec la vieillesse ! Car quel étudiant pourra espérer un départ à la retraite avant 70 ans ?
C’est enfin une provocation pour les travailleuses et les travailleurs, y compris celles et ceux qui exercent des métiers pénibles ou ont une carrière longue. Vous maltraitez aujourd’hui celles et ceux que vous couvriez hypocritement de louanges, ces premières et premiers de corvée, durant la crise de la covid-19.
Oui, la colère est grande et elle s’amplifie. La mobilisation à compter du 7 mars s’annonce massive. C’est une très bonne nouvelle !
Hier, dans cet hémicycle, nous avons assisté à une opposition entre deux projets de société, aux antipodes l’un de l’autre, symboles d’un clivage entre la droite et la gauche enfin assumé, y compris au banc du Gouvernement.
M. Macron et son gouvernement veulent passer au forceps, en utilisant cet article 47-1 de la Constitution, si décrié depuis sa mise en œuvre pour l’examen de cette réforme des retraites, et qui relève du détournement de procédure.
Nous l’avons affirmé hier : vous violez la Constitution pour imposer cette réforme. Vous contraignez le Parlement et tentez de le soumettre.
Nous sommes choqués par cette majorité sénatoriale, qui avait affiché son statut de contre-pouvoir, de lieu de résistance à l’autoritarisme de M. Macron, à son mépris du Parlement et qui, aujourd’hui, l’accompagne avec complaisance.
Eh oui, mes chers collègues de droite, vous accompagnez le Président de la République à mettre au pas le Parlement, pis encore, à l’enjamber, en accueillant favorablement un texte qui n’a pas été soumis au vote de l’Assemblée nationale,…
M. Roger Karoutchi. Que diriez-vous si c’était l’inverse ?
Mme Laurence Cohen. … et qui ne sera peut-être pas non plus soumis au vote des deux chambres si le Gouvernement n’accorde pas davantage de jours de débat !
Nous craignons une adoption du texte en commission mixte paritaire, dominée par des parlementaires Les Républicains, pourtant en perte d’influence dans l’opinion publique. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Sourires sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Roger Karoutchi. Pas du tout !
Mme Laurence Cohen. Il s’agit d’un coup de force institutionnel ! Il faut donner au peuple les moyens d’y résister, c’est-à-dire lui donner la parole en soumettant le projet de loi au référendum !
Qui oserait affirmer ici, alors que plus de 90 % des actifs rejettent ce texte, que le mieux est sans doute de rester entre nous, au Sénat, pour valider ce texte fondamental dans un temps contraint et barrer la route à l’expression populaire ?
Tout vote contre cette motion référendaire est un acte grave contre la démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE, ainsi que sur des travées du groupe SER. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Celles et ceux qui s’entêteront dans ce déni de démocratie porteront la responsabilité de la mise à l’arrêt du pays et d’une légitime révolte ! (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Avec le groupe CRCE, je vous appelle donc solennellement, et sans hésitation, à voter cette motion référendaire ! (Vifs applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Olivier Henno. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Olivier Henno. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à saluer les rapporteurs, non seulement pour leur travail sur le fond de ce texte et leur analyse, mais aussi pour la méthode qu’ils ont adoptée, leur calme, leur modération. (Marques d’approbation sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. Laurent Lafon. Très bien !
M. Olivier Henno. C’est important de faire preuve de calme et de modération : on vient de le voir ! (Sourires.)
Je souhaite les remercier pour leur capacité d’écoute, de dialogue, leurs échanges, leurs efforts en matière de pédagogie, et même leur sens de la formule – ils viennent d’en faire la démonstration. Votre travail grandit notre institution, le Sénat, mes chers collègues.
Nous sommes réunis ce matin pour discuter d’une motion référendaire. Je précise tout de suite que le groupe Union Centriste, sans l’ombre d’une hésitation, ne la votera pas…
Mme Laurence Cohen. Ce n’est pas un scoop !
M. Olivier Henno. … pour des raisons à la fois d’opportunité et de fond.
S’agissant de l’opportunité, nous sommes réunis pour débattre de l’avenir de notre système de retraite. Or, pour nous, il serait tout à fait inopportun de refuser une telle discussion. S’exonérer d’un débat sur les retraites, ici et maintenant, en choisissant d’adopter cette motion référendaire, reviendrait pour nous à refuser l’obstacle. Ce n’est pas une façon de faire.
Sur le fond, notre groupe s’inscrit dans une tradition politique, qui nous fait voir le référendum comme devant être réservé à la matière institutionnelle. Pour ce qui est des questions sociétales, comme pour les questions économiques et sociales, nous estimons que c’est le rôle du Parlement de débattre et de voter.
J’ajoute qu’adopter cette motion référendaire reviendrait à créer un redoutable précédent. Cela empêcherait en effet pour longtemps le Parlement de discuter des retraites : pourquoi soumettrait-on le texte à un référendum maintenant, et pas plus tard sur des débats similaires ? (M. Michel Dagbert applaudit.) Pourquoi, sur des matières aussi essentielles que les questions sociétales, économiques et sociales, ne demanderait-on pas systématiquement l’organisation d’un référendum ? Un précédent comme celui-ci serait tout à fait irresponsable.
En votant cette motion, on porterait un bien mauvais coup à la démocratie parlementaire. Donc, pour nous, la réponse est clairement non.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Olivier Henno. Permettez-moi à présent de profiter du temps de parole qu’il me reste pour discuter du fond de ce texte, ainsi que du contexte dans lequel se déroulent nos débats.
Vous l’avez compris hier, au travers des interventions de nos collègues Hervé Marseille et Jean-Marie Vanlerenberghe, notre groupe a clairement pris position en faveur de cette réforme, sous la forme d’un « oui, mais ».
Parfois, quand on dit « oui, mais », il s’agit d’un petit « oui » associé à un grand « mais ». Tel n’est pas le cas ici : nous visons une forme d’équilibre, une sorte de « oui, bien sûr » tempéré par la nécessité d’améliorer le texte. Notre position traduit cette double volonté.
Nous souhaitons enrichir le texte sur plusieurs points, notamment pour les femmes, les familles, les carrières longues et l’emploi des seniors.
Nous saluons et approuvons les avancées obtenues par la commission en termes d’équité et de justice,…
M. René-Paul Savary, rapporteur. Très bien !
M. Olivier Henno. … mais nous proposerons tout de même, sous la forme de quelques amendements, d’aller plus loin, tout en veillant à l’équilibre financier du texte, qui constitue un enjeu fondamental. En effet, il faut que cette réforme en vaille la peine ; sinon, les Français ne manqueront pas de nous dire : « Tout ça pour ça ! », et ils auraient raison…
M. Gérard Longuet. Exactement !
M. Olivier Henno. Un système de retraite repose sur le principe de solidarité entre les générations. Voilà pourquoi je ne comprends toujours pas la timidité du Gouvernement en matière de politique familiale.
À l’aube de ce débat sur les retraites, la décision prise par l’exécutif, lors de la dernière loi de financement de la sécurité sociale, de priver la branche famille de 2 milliards d’euros me paraît encore davantage aujourd’hui totalement inappropriée.
C’est pourquoi l’un de nos amendements phares tend à prévoir une mesure d’âge toute simple, qui ne plaira pas sur certaines travées de cet hémicycle (Sourires.) : la retraite à 63 ans pour les parents de deux enfants et à 62 ans pour les parents de trois enfants et plus.
N’ayons pas peur d’assumer – nous sommes un certain nombre dans cet hémicycle – l’urgence d’une politique familiale et nataliste (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.), au moment où le renouvellement des générations n’est plus assuré en France, puisque notre taux de natalité est inférieur à deux enfants par femme. Cela sonne comme une évidence.
Vous l’avez compris, le groupe Union Centriste est très attaché à notre système de financement des retraites par répartition. C’est pourquoi nous voulons aborder ce débat les yeux grand ouverts et en toute lucidité.
Se donner les moyens de financer la retraite de plus de 20 millions de retraités est non seulement un défi, mais aussi une exigence morale, qui implique d’anticiper des besoins de financement croissants.
Nous sommes convaincus que seul le travail, et je dirais même l’augmentation du volume de travail produit par notre pays, peut garantir le financement de notre protection sociale et, donc, le financement de la branche vieillesse et des retraites.
Au-delà de la question du financement, nous sommes attachés à la valeur travail : ce n’est pas depuis les travées du groupe Union Centriste que l’on entendra un éloge de la paresse. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains. – Protestations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
C’est la raison pour laquelle il nous semble indispensable d’organiser dans les meilleurs délais un débat sur le travail et la rémunération des salariés. J’ai la conviction que les partenaires sociaux sont prêts à aborder cette discussion en responsabilité.
Un tel débat sur le travail nous permettra d’aborder dans la sérénité cette question essentielle – je le répète – de l’emploi des seniors : l’index seniors est un premier pas nécessaire, mais sera-t-il suffisant ? J’ai bien peur que la réussite de cette réforme ne passe par la possibilité donnée à toutes et à tous de s’épanouir dans leur emploi jusqu’à 64 ans.
Pour nous, un débat sur le travail est indispensable. Pour preuve, un sondage publié hier démontre combien les Françaises et les Français en viennent parfois à douter de l’importance du travail au lendemain de la crise de la covid-19. Je ne me résous pas à ce que 58 % des Français, contre 49 % en 2019, voient le travail comme une contrainte, quand 42 % seulement y voient un moyen de se réaliser – ils étaient 51 % à le penser en 2019. Ce recul est alarmant pour notre pays.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. La faute à la loi Travail !
M. Olivier Henno. Je refuse de compter parmi les déclinistes, mais reconnaissons que ce changement profond, s’il venait à durer, s’il était anthropologique, est un germe de déclin pour notre pays.
Ce débat sur le travail dans la société post-covid doit permettre d’approfondir de nombreux sujets : je pense évidemment au travail des seniors, à une augmentation des salaires à la veille du retour de l’inflation, conséquence peu surprenante du « quoi qu’il en coûte » et de l’injection massive d’argent public dans l’économie, à la pénibilité des métiers, à la question des métiers en tension et, enfin, à la formation tout au long de la vie, qui doit offrir à celles et à ceux qui en ont la volonté la possibilité de changer de métier.
Le bien-être et l’épanouissement au travail, voilà le défi auquel nous sommes collectivement confrontés.
Même si nous pensons qu’il faut aller plus loin en termes d’équité et de justice, nous faisons le pari qu’il y aura une réforme des retraites. Mais, au lendemain de son adoption, notre tissu social devra obligatoirement être recousu.
Comme l’a indiqué notre président hier, le groupe Union Centriste demande l’organisation d’une conférence sociale qui pourrait avoir pour objectif la refondation du paritarisme, afin de rétablir la confiance dans ce pays, qui s’est dégradée, une réflexion sur la rémunération des salariés et la place du travail dans nos vies.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, nous avons envie de débattre, d’aller au terme de cette discussion : c’est le rôle, la mission et la responsabilité du Sénat. Pour toutes les raisons que je viens d’énoncer, notre groupe ne votera pas cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dépôt d’une motion tendant à soumettre au référendum le projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 pose deux questions : faut-il un débat et faut-il une réforme ?
Faut-il un débat ? Pour mon groupe, la réponse est oui !
Nous savons combien la Constitution donne les moyens de faire passer un texte si le Gouvernement est déterminé à le faire. En l’espèce, hier après-midi, par la double voix des ministres présents au banc du Gouvernement, nous avons bien entendu que le compromis était souhaitable, mais aussi que la réforme était incontournable.
Les regards sont braqués sur le Sénat, assemblée, faut-il le démontrer, bien souvent sage. Quel que soit le style qui sera le nôtre, espérons qu’il soit au moins empreint de respect, car ce que nous avons vu à l’Assemblée nationale a choqué nombre de nos concitoyens.
Depuis des semaines, de nombreux groupes ont sans aucun doute beaucoup travaillé en amont de l’examen du texte pour tenter d’améliorer cette réforme des retraites.
Nous, membres du groupe RDSE, avons écouté syndicats et experts. La commission des affaires sociales a pris toute sa part de cette réflexion. Les sénateurs ont déposé plusieurs milliers d’amendements – certains groupes politiques par centaines – que notre administration a enregistrés jour et nuit.
Le renforcement des droits du Parlement est un combat que le Sénat a toujours mené à l’occasion de chacune des réformes constitutionnelles. Ne nous privons pas de ce droit d’examiner un texte fondamental, quand bien même il ne fait pas l’unanimité.
C’est le principe de base de notre démocratie : débattre. C’est aussi le principe du bicamérisme : améliorer pour avancer.
Mes chers collègues, doit-on prendre le risque de reculer devant les nécessaires mesures de retour à l’équilibre financier de notre système de retraite ?
Car, oui, le temps de la réforme est venu. Hier, les chiffres ont été rappelés par les rapporteurs : le système sera déficitaire à hauteur de 1,8 milliard d’euros dès 2023. Le déficit pourrait atteindre plus de 13 milliards d’euros en 2030.
La raison en est simple : notre système de retraite est solidaire, au point qu’il ne supporte pas l’allongement de l’espérance de vie. Il a le défaut de sa qualité : la solidarité intergénérationnelle qui est au cœur de notre pacte républicain. J’ajoute que le système par répartition est au cœur du pacte social.
Donc, oui, il faut mettre en œuvre une réforme rapidement, mais, bien entendu, pas à n’importe quel prix. Mon collègue Henri Cabanel l’a rappelé hier au cours de la discussion générale.
Le groupe RDSE a longtemps défendu une réforme systémique pour une retraite à points. Sans rancune face à l’abandon de ce projet un temps évoqué par le Président de la République, mon groupe ne rejette pas en bloc votre projet, monsieur le ministre, puisque, au fond, il ne fait qu’accélérer la réforme Touraine.
Néanmoins, si nous sommes ouverts au compromis, nous avons des attentes : les carrières longues, la revalorisation des droits des femmes, la compensation de l’engagement civique, la pénibilité et l’emploi des seniors, bien entendu.
Disons-le aussi, la participation des entreprises ayant engrangé des dividendes significatifs en pleine crise du pouvoir d’achat ne doit pas être écartée. Les montants distribués aux actionnaires revêtent une forme d’indécence quand on les confronte au besoin de financement de notre système de retraite. Une réforme acceptable et acceptée par tous doit reposer sur l’équité. C’est dans ce sens qu’il nous faut travailler ici, et c’est aussi pourquoi il nous faut entendre toutes les sensibilités et, bien sûr, écouter nos concitoyens qui s’inquiètent.
Mes chers collègues, parce que le Sénat doit jouer son rôle, le RDSE préfère le débat. Aussi, la grande majorité d’entre nous ne votera pas cette motion référendaire. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Emmanuel Capus applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Milon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dépôt d’une motion référendaire s’inscrirait dans une stratégie – je cite ses auteurs – « visant à combattre sans obstruer ».
Stratégie ou stratagème ? Nous sommes en droit de nous interroger…
En effet, les auteurs de la motion crient au scandale sur l’allongement de l’âge d’ouverture des droits à 64 ans, en expliquant que l’on pousse les Français à travailler plus longtemps. Mais n’est-ce pas la réforme Touraine, mes chers collègues, qui prévoit une durée de cotisation de 172 trimestres, soit 43 ans, pour bénéficier d’une retraite à taux plein ?