M. Jean-Baptiste Lemoyne. Eh oui !
M. Alain Milon. Or la moyenne d’âge d’entrée sur le marché du travail est de 22 ans, et si je compte bien : 22 plus 43, c’est égal à 65. (Applaudissements sur des travées des groupes Les Républicains et RDPI.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Il a raison !
Mme Monique Lubin. Pas pour les ouvriers !
M. Alain Milon. Vous allez me répondre que les Français peuvent toujours partir à 62 ans. Oui, mais avec quelle pension ? N’ayant pas une retraite à taux plein, celle-ci subira une décote. C’est une machine à créer des retraités plus pauvres, et nous ne le voulons pas.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Alain Milon. Invoquer le référendum pour donner la parole au peuple sur un sujet qui le concerne directement témoignerait d’une volonté démocratique affirmée.
Tel est le synopsis, mais qu’en est-il vraiment, monsieur le président Kanner ? Pourquoi déposer une motion référendaire dont les chances d’aboutir semblent bien minces ? Pourquoi déposer une telle motion qui, si elle devait aller jusqu’à son terme, reviendrait à dessaisir le Parlement de son pouvoir de débattre, d’amender et, donc, d’améliorer un texte particulièrement important ?
En effet, à travers le prisme de la retraite, nous parlons de travail, d’égalité entre les hommes et les femmes, de justice sociale, de santé – sujet qui m’est cher –, de vieillissement. C’est donc un projet de société qui sous-tend ce texte, et il serait illusoire et bien naïf de penser qu’un référendum permettrait de répondre aux différents enjeux de la réforme des retraites.
Au nom d’un retour à une légitimité populaire qui s’exprimerait via un instrument de démocratie directe, la proposition de recourir au référendum revient à empêcher tout débat au fond.
Pour être pertinent et exprimer une réelle volonté populaire, le référendum doit porter sur des questions claires, précises, concises et limitées.
M. David Assouline. Comme le référendum sur la Constitution européenne ?
M. Alain Milon. La complexité des situations liées à la retraite permet-elle de répondre à ces exigences ? Le référendum ne risque-t-il pas de se muer en plébiscite entraînant une personnalisation extrême du débat, masquant les enjeux et cristallisant les tensions d’une société fracturée ?
Vous me permettrez de rappeler les propos du professeur Dominique Rousseau, lui-même déjà cité hier par notre collègue Éliane Assassi : « La démocratie a besoin d’institutions intermédiaires pour fonctionner sereinement et éviter une personnalisation excessive du pouvoir. Le référendum laisse penser que ces institutions sont un obstacle à la démocratie alors qu’elles sont précisément les instruments qui font passer de la barbarie à la civilisation. » (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et RDPI, ainsi qu’au banc des commissions. – Marques de scepticisme sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Bravo !
M. Alain Milon. C’est pourquoi je m’interroge sur cette volonté de s’automutiler.
Après des débats affligeants à l’Assemblée nationale – tout le monde l’a dit –, qui ont encore davantage assombri l’image des parlementaires et creusé le fossé entre élus et citoyens,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Il est déjà bien creusé !
M. Alain Milon. … il est particulièrement important, voire vital, pour la démocratie représentative que nous assumions notre mission, exprimions clairement nos positions et défendions nos opinions.
Les syndicats ont de ce point de vue, jusqu’à ce jour, fait preuve de responsabilité et joué leur rôle. Les élus politiques seraient-ils moins capables que les élus professionnels de remplir les obligations de leur mandat ? Je pose la question.
Je souhaite, j’espère et je suis persuadé que, tous ensemble dans cet hémicycle, nous saurons, avec détermination et conviction, faire évoluer ce texte, monsieur le ministre.
Cette réforme n’est peut-être pas proposée au bon moment. Il aurait fallu que le Gouvernement prenne en compte les propositions du Sénat beaucoup plus tôt.
M. René-Paul Savary, rapporteur. Eh oui !
M. Alain Milon. En effet, depuis 2019, la commission des affaires sociales du Sénat recommande l’adoption de la réforme paramétrique des retraites, afin de préserver la soutenabilité financière du système et, donc, sa pérennité pour les générations futures.
Nous devons agir pour ne pas laisser filer les déficits, qui s’élèveront, je vous le rappelle, à plus de 150 milliards d’euros cumulés pour les dix prochaines années. Et ces prévisions sont très optimistes, puisqu’elles se fondent sur un taux de chômage de 4,5 %.
Cette réforme est donc urgente.
Proposés par la majorité sénatoriale depuis plusieurs années, le report de l’âge légal de départ à la retraite et l’allongement de la durée de cotisation vont enfin être mis en œuvre.
Mais si nous partageons la philosophie globale du projet visant à garantir la pérennité de notre système, nous avons fait de nombreuses propositions pour améliorer la situation des Françaises et des Français, en particulier celle des seniors, des mères de famille et des enfants orphelins.
M. David Assouline. C’est totalement faux !
M. Alain Milon. Vous n’avez pas dû lire le rapport de nos collègues. Si vous l’aviez fait, vous sauriez que je dis la vérité !
M. David Assouline. Pas du tout !
M. Alain Milon. Nous souhaitons également promouvoir un système plus équitable à travers notamment la lutte contre la fraude et la participation de tous les salariés à l’effort du « travailler plus ». Nous aurons l’occasion d’y revenir en détail au cours de l’examen des articles et de nos discussions.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas renoncer à nous prononcer sur ce texte ; nous ne pouvons pas nous défausser.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains ne votera pas cette motion et consacrera le temps imparti à un débat argumenté, en nous appuyant sur le travail considérable réalisé par nos rapporteurs. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, UC et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le programme du candidat et futur Président de la République, Emmanuel Macron, comportait effectivement une mesure sur le report de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, il est vrai malgré tout que beaucoup ont voté pour lui afin de faire opposition au Rassemblement national.
M. Jean-Michel Houllegatte. Absolument !
M. Daniel Chasseing. Cela fait plusieurs années qu’à l’occasion de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale le Sénat vote un amendement tendant à la mise en place de cette mesure d’âge.
Évidemment, mes chers collègues, si les comptes de la branche retraite étaient en voie d’amélioration, il serait agréable à tous de renoncer à ce projet, qui, il faut bien le reconnaître, mobilise les syndicats, dont j’ai rencontré les principaux représentants dans mon département, et beaucoup de Français hostiles à la réforme.
Nous savons tous que les comptes de la branche retraite continueront de se dégrader. Ce constat est unanimement partagé – Alain Milon vient encore d’en parler : 14 milliards d’euros de déficit en 2030, et 26 milliards d’euros en 2040.
Comme je l’ai expliqué hier, les raisons en sont simples.
Il faut savoir qu’en 1970 il y avait 4 cotisants pour 1 retraité en France, mais que ce rapport n’était plus que de 2 pour 1 en 2000, puis de 1,7 pour 1 en 2020.
En 1970, l’espérance de vie moyenne des hommes était de 70 ans, celle des femmes de 76 ans. Elle s’élève désormais à 79 ans pour les hommes et à 86 ans pour les femmes.
En 1970 toujours, la France comptait 4 millions de retraités. Ils sont aujourd’hui 17 millions, et ils seront 21 millions en 2030.
Les générations futures risquent donc de ne plus pouvoir assumer financièrement les régimes de retraite par répartition mis en place en 1945 si l’on augmente les cotisations pour maintenir le pouvoir d’achat des retraités.
En outre, le dynamisme démographique, qui a longtemps été l’une des forces de la France, fléchit.
Les faits sont là. Nous devons débattre de ce texte pour équilibrer les comptes, tout en évitant de majorer le montant des cotisations. Il nous faut donc augmenter la durée du travail, certes le moins possible, afin de maintenir notre système actuel de retraite par répartition et la sécurité sociale.
Voilà aussi pourquoi j’aurais souhaité qu’en amont de l’examen de ce texte sur les retraites nous soit présenté un projet de loi Travail, qui aurait été élaboré après concertation avec les partenaires sociaux.
Il aurait permis aux personnes handicapées, aux invalides, à nos concitoyens concernés par des carrières longues et aux femmes de partir plus tôt à la retraite et de bénéficier d’une meilleure prise en compte des critères de pénibilité.
Je plaide pour une augmentation du nombre de trimestres accordés pour chaque enfant, un soutien à l’emploi des seniors, un cumul emploi-retraite accompagné de nouveaux droits, une meilleure prise en compte des aidants, une revalorisation des petites retraites, l’intégration des années d’apprentissage dans le calcul de la retraite, une valorisation de l’engagement associatif, et bien d’autres mesures que vous allez défendre, mes chers collègues, au travers des amendements que vous avez déposés sur ce texte.
Toutes ces questions me semblent relever de la compétence de la commission des affaires sociales du Sénat.
Je précise que j’ai moi-même déposé un amendement tendant à proposer une clause de revoyure en 2027, afin de dresser un bilan et, pourquoi pas, de prévoir de nouveaux modes de financement si la situation l’exigeait, ou, à l’inverse, de faire machine arrière si ce n’était pas le cas – même si cela m’étonnerait.
Pour en revenir à la motion référendaire, mes chers collègues, quelles questions envisagez-vous de poser à nos compatriotes ? Vous les interrogerez certainement sur le recul de l’âge légal de départ à la retraite, mais les questionnerez-vous sur la suppression de la loi Touraine votée durant le quinquennat de François Hollande, qui prévoyait 172 trimestres, soit 43 ans de cotisation pour une retraite complète ?
Je rappelle que, si nous nous en tenions au droit en vigueur, c’est-à-dire à cette loi Touraine, une personne née en 1971, qui entrerait sur le marché du travail à 21 ans, partirait avec une retraite à taux plein 43 ans plus tard, c’est-à-dire en 2035 à l’âge de 64 ans…
François Hollande a-t-il réalisé cette réforme pour brimer les Français ? Non ! Mais bien pour équilibrer les retraites.
Les Français savent bien qu’une réforme ne peut se résumer à une simple question fermée sur autant de projets essentiels pour nos concitoyens. Il est donc nécessaire d’avoir un véritable débat démocratique et le Sénat peut amender ce texte pour mieux tenir compte des situations particulières.
Par ailleurs, je le rappelle, aucun des précédents projets de réforme des retraites n’est passé par la voie du référendum. Nous souhaitons donc débattre, amender ce texte, pour aboutir à une réforme la plus juste possible.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires rejettera cette motion référendaire. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, UC et Les Républicains.)
M. Emmanuel Capus. Voilà !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gontard. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guillaume Gontard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen d’une motion référendaire – une première dans cet hémicycle depuis une décennie – est un moment d’une extrême gravité démocratique.
Nous, en tant que parlementaires, n’avons pas vocation à nous dessaisir de la mission de délibérer et de voter la loi que nous ont confiée les citoyennes et les citoyens. Si nous sommes favorables à une plus forte implication des citoyens dans la fabrique de la loi, le caractère binaire du référendum semble souvent peu compatible avec l’exercice complexe que sont la rédaction et le vote de la loi.
Alors, pourquoi déposer cette motion ?
Tout d’abord, parce que ce débat parlementaire est une farce. Le Gouvernement a choisi un véhicule législatif inadapté, jamais utilisé pour une réforme de cette ampleur, qui corsète le débat dans le temps et dans l’espace en interdisant de l’élargir au-delà des paramètres financiers, symbole s’il en est qu’à vos yeux le travail n’est qu’un coût.
Au moins, en son temps, Édouard Philippe avait eu le courage de proposer un véritable projet de loi et de défendre une vision. Nous contestions celle-ci, mais elle avait le mérite de proposer autre chose qu’une réforme de comptables en costume gris, destinée à faire payer aux travailleurs les cadeaux fiscaux offerts aux entreprises et aux plus aisés.
Le Sénat doit donc examiner – et c’est une délétère première historique – un texte qui n’a pas été voté par l’Assemblée nationale, qui doit absolument être examiné avant le 12 mars minuit, faute de quoi le carrosse redeviendra citrouille.
Mais – et nous sommes ici en Absurdie –, la citrouille peut tout de même faire l’objet d’un examen en commission mixte paritaire ou d’une adoption par ordonnance.
M. Roger Karoutchi. Eh oui !
M. Guillaume Gontard. La Ve République n’est jamais en reste pour piétiner le Parlement (M. Roger Karoutchi dodeline de la tête.), mais la présidence Macron a innové, comme aucune autre avant elle, dans la dérive autocratique d’un exécutif hors-sol, isolé dans sa tour d’ivoire.
Isolé ? Ou devrais-je plutôt dire assiégé. Non contents de mépriser le Parlement, de mépriser les partenaires sociaux et de lever contre vous un front social uni comme rarement, c’est le peuple de France tout entier que vous méprisez.
Depuis des mois, tous les sondages affichent une opposition ferme et constante, oscillant entre les deux tiers et les trois quarts de nos concitoyens.
Plus vous méprisez leur intelligence et invoquez le besoin de faire la pédagogie de votre réforme, plus les Français s’y opposent. Les manifestations enregistrent, semaine après semaine, des records de participation et les préavis de grève tombent, les uns après les autres, pour faire du 7 mars et de la prochaine semaine un moment illustre de l’histoire du mouvement social !
Alors que nous sortons à peine de la pandémie, alors que la guerre gronde aux frontières orientales de l’Europe, alors que l’inflation explose, alors que la crise climatique nous heurte plus fort que jamais au point de nous obliger à rationner l’eau source de toute vie, vous n’avez aucun scrupule à conduire le pays tout entier au blocage. Mais pour répondre à quel besoin ? Ou à quelle urgence ? Est-elle nécessaire en raison d’un agenda caché de vos négociations avec la Commission européenne ? Ou encore en raison de la seule fierté, mal placée, du Président de la République, qui considère que le barrage à l’extrême droite vaut adoubement de sa royale personne et qui n’a même pas pris la peine d’étudier la composition de la potion qu’il entend faire boire au pays et à laquelle il n’a visiblement pas compris grand-chose ?
Le retrait de ce texte s’impose. Cependant, pour vous éviter de perdre la face, nous vous proposons une solution de substitution : soumettez donc ce projet, dont vous êtes si fiers, à l’approbation des Françaises et des Français. Ils sont 70 % à le demander, 70 % à vouloir se prononcer sur cette réforme, 70 % à vouloir être maîtres de leur propre destin, 70 % à vouloir exprimer leur parfaite compréhension de votre projet, de ces prétendues mesures de justice, d’égalité femmes-hommes et de prise en compte de la pénibilité.
Tout à sa réélection, dont il ne cesse de se prévaloir abusivement, Emmanuel Macron, alors interrogé sur la possibilité d’avoir recours au référendum pour la réforme des retraites, déclarait le 11 avril dernier : « Je n’exclus pas le référendum pour quelque réforme que ce soit. Je l’ai dit, je suis pour le retrouver. Notre discussion me permet de clarifier des choses. » L’occasion est ici toute trouvée. Ce même Emmanuel Macron, qui en appelait au bon sens des Français, a l’occasion de leur faire réellement confiance.
Mes chers collègues, notre démocratie est malade. Il est inconcevable de trouver dans nos deux chambres une nette majorité pour un projet rejeté par la grande majorité de nos concitoyennes et de nos concitoyens. Notre représentativité est dramatique et notre légitimité est menacée.
Il convient, une fois n’est pas coutume, de nous dessaisir de cette réforme, de ne pas voter brutalement dans un déni de démocratie manifeste cette réforme bricolée dont personne ne veut. Nous avons besoin, comme le disait de Gaulle, de savoir ce qu’il en est dans les esprits et dans les cœurs. Mes chers collègues de droite, soyez gaullistes, n’ayez pas peur du peuple, votez cette motion référendaire ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Annie Le Houerou. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Annie Le Houerou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans un entretien au journal Le Monde, l’historien et sociologue Pierre Rosanvallon souligne que, si le Président de la République peut se prévaloir d’une légitimité procédurale née de son élection, il lui manque la légitimité sociale fondée sur l’intérêt général et la perception citoyenne.
Nombreux sont les Français et les Françaises qui ont utilisé le bulletin de vote Macron pour faire barrage à l’extrême droite et non pas pour soutenir sa réforme des retraites.
Le Président de la République ne peut se prévaloir d’une légitimité pour faire cette réforme, alors même que la France se soulève, qu’elle sera à l’arrêt le mardi 7 mars pour dire son opposition.
Cela a été rappelé, notre système de retraite est l’héritage de combats et de conquêtes sociales passées.
Rien ne justifie une telle obstination, renforcée par la droite sénatoriale : notre système actuel est excédentaire en 2022 et son évolution est contrôlée.
Le rapport du Conseil d’orientation des retraites l’affirme : il n’y a ni urgence ni nécessité.
Le déficit se résorbera grâce aux réformes entreprises pour stabiliser la part des retraites dans notre PIB.
Il existe non pas un dérapage des dépenses, mais la nécessité d’ajuster les recettes.
Nous avons des propositions réalistes en faveur d’un ajustement soutenable et équitable sans pour autant imposer deux ans de travail obligatoire pour toutes et tous !
La mobilisation inédite des Français et des Françaises exprime avec force et détermination qu’ils ne veulent pas travailler deux années de plus, alors que les conditions de travail les rendent incapables de poursuivre leur activité.
Votre réforme ne fait que des perdants, certains plus que d’autres, et les plus touchés sont les catégories populaires et les femmes.
Le Président de la République déclarait lui-même pendant la campagne présidentielle de 2017 : « Après plus de vingt ans de réformes successives, le problème des retraites n’est plus un problème financier. » Or voilà qu’aujourd’hui l’urgence financière justifie votre choix de recourir à un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale.
Venons-en donc à la forme.
Tous les Français sont concernés par les retraites. Vous affirmez que le Président a été élu en portant à leur connaissance cette réforme, mais vous omettez de rappeler que le troisième tour des élections nationales directes de 2022 ne vous a pas donné une majorité solide à l’Assemblée nationale pour la mener à bien et, par conséquent, nous examinons au Sénat un texte qui n’a pas été soumis à son vote.
Mme Annie Le Houerou. En restreignant le temps des débats au Parlement, en utilisant l’article 47-1 de la Constitution, vous avez vous-même créé les conditions de l’obstruction.
Comment pouvez-vous considérer la réforme des retraites comme une simple rectification budgétaire, qui n’a d’ailleurs que de faibles effets sur l’année 2023, alors que vous privez nos compatriotes concernés des deux meilleures années de leur retraite ?
L’usage de cette procédure d’urgence et le contenu du projet de loi sont contestés par le Conseil d’État et le seront bientôt par le Conseil constitutionnel. (Exclamations ironiques de M. Roger Karoutchi.)
Face à l’incapacité du Gouvernement à faire voter ce texte dans les deux chambres, soyez à l’écoute de l’opposition du peuple ! Je vous appelle à voter cette motion référendaire en vertu de l’article 11 de la Constitution pour que le peuple tranche.
Un référendum sur un sujet aussi essentiel que celui des retraites permettrait au Gouvernement de vérifier l’adhésion ou non du peuple français et à M. Macron de vérifier l’exactitude de son postulat quant à l’accord tacite donné par les Français à cette réforme.
Les Français et les Françaises veulent prendre leur retraite de leur vivant,…
M. Roger Karoutchi. S’ils sont morts, c’est plus difficile !
Mme Annie Le Houerou. … et nous les soutenons avec force.
Vous l’aurez compris, notre groupe Socialiste, Écologiste et Républicain soutiendra cette motion référendaire pour associer le peuple français à cette réforme de société.
Et j’invite la droite de cet hémicycle à s’y associer…
M. Roger Karoutchi. Restez calme !
Mme Annie Le Houerou. … en votant en faveur de cette motion et à s’en remettre au peuple, seul légitime à trancher nos débats dans le contexte de rejet qui s’exprime dans la rue avec une unité syndicale inédite. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, GEST et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Roger Karoutchi. Monsieur le ministre, soyez bref !
M. Olivier Dussopt, ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion. Monsieur le président, madame la présidente de la de la commission, madame la rapporteure générale, monsieur le rapporteur, sans surprise, le Gouvernement est défavorable à l’adoption de cette motion référendaire.
J’ai entendu trois questions. En guise de réponse, j’indiquerai quelle est, chaque fois, la position du Gouvernement.
La première question concerne la recevabilité. Nous avons évoqué ce sujet hier : cette réforme doit-elle s’inscrire dans le cadre d’un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale ?
Mme la rapporteure générale et moi-même avons apporté des éléments de réponse et rappelé que le cadre dans lequel nous nous inscrivons, tout comme les conséquences de cette réforme sur les comptes sociaux pour l’année 2023, rend à la fois légitime et recevable le recours à un texte de ce type.
Malgré tout – j’ouvre ici une parenthèse –, il est assez cocasse – si je puis me permettre cette expression – que le Gouvernement se voie reprocher d’avoir organisé une forme d’obstruction. Et ce pour deux raisons.
La première est que le temps de débat dont dispose le Parlement pour examiner cette réforme est supérieur à celui qui avait été prévu pour chacune des deux réformes précédentes.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. C’est le choix du Parlement !
M. Olivier Dussopt, ministre. Le choix du Sénat d’ouvrir un nombre de jours supplémentaires par rapport à l’Assemblée nationale vient illustrer ou conforter celui-ci.
La seconde raison est que, à ma connaissance, ce n’est pas le Gouvernement qui a déposé plus de 20 000 amendements à l’Assemblée nationale, dont certains constituaient des séries identiques. J’avais alors davantage hâte d’aborder les sujets de fond que d’examiner ces amendements identiques.
La deuxième question porte sur la légitimité ou l’intérêt de maintenir l’examen de la réforme des retraites, de travailler sur ces questions, dans le cadre du Parlement.
Je crois très fortement à la légitimité de la démocratie représentative et du Parlement pour débattre des retraites. J’y crois, parce que l’histoire récente nous a montré que toutes les réformes des retraites depuis 1981 ont été examinées par le Parlement.
Il n’existe qu’une légère différence avec celle qui a été mise en œuvre en 1981, que certains orateurs ont évoquée, puisqu’elle l’a été par voie d’ordonnance après que le Parlement eut habilité le gouvernement d’alors à le faire. Mais le Parlement a toujours été saisi de cette question des retraites et, ainsi, a pu accompagner, mettre en œuvre des progrès très substantiels pour l’ensemble des assurés.
Je ne prendrai qu’un exemple, évoqué notamment par le président Jean-Claude Requier, celui des carrières longues.
Dans un passé récent, celui des vingt dernières années, avant 2003, l’âge de départ à la retraite était fixé à 60 ans, la durée de cotisation requise était de 37,5 ans. Dans le système tel qu’il existait à l’époque, un assuré qui faisait des études – qui préparait une licence ou une maîtrise –, qui entrait sur le marché du travail à l’âge de 22,5 ans et qui travaillait exactement 37,5 ans, bénéficiait d’une retraite à taux plein à 60 ans. Or, dans le même temps, ses camarades de classe à l’école pouvaient commencer à travailler très tôt – à l’âge de 14, 15 ou 16 ans – et devaient aller jusqu’à 60 ans et ainsi cotiser 44, 45, 46 ans pour bénéficier d’une retraite à taux plein. (MM. David Assouline et Pierre Laurent se récrient.)
Mme Monique Lubin. C’est votre vision des choses !
M. Olivier Dussopt, ministre. La création du dispositif des carrières longues par la réforme de 2003 a apporté une première réponse à ces situations. Depuis lors, chaque réforme examinée, débattue et adoptée par le Parlement a permis de réduire cet écart de durée de cotisation à l’échelle d’une vie pour aboutir actuellement à une situation – ce sera encore plus vrai si cette réforme est adoptée – où l’écart de durée de cotisation requise sera finalement réduit à moins d’un an, parfois à quelques trimestres,…
M. David Assouline. C’est un nivellement par le bas !
M. Pierre Laurent. C’est une harmonisation par le bas !
M. Olivier Dussopt, ministre. … parce que la perfection en la matière n’existe pas, on le sait.
Ce seul exemple montre l’intérêt que le Parlement se saisisse de ces sujets, les creuse, les amende, les approfondisse et apporte des dispositions techniques qu’un examen par voie référendaire ne permettrait pas.
Enfin, la troisième question porte justement sur l’intérêt ou, plutôt, sur l’opportunité de soumettre ce débat et cette réforme a une question référendaire.
Comme plusieurs intervenants l’ont rappelé, la complexité du sujet – je l’indiquais hier dans ma réponse lors de la discussion générale – interdit cette démarche. En effet, aucune réponse binaire ne peut constituer une réponse à la question des retraites.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Et le traité constitutionnel européen ?