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Orientation et programmation du ministère de l’intérieur
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de l’intérieur.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le ministre, je profite d’être élu en cette assemblée pour manifester mon opposition à votre politique sans crainte d’être démis de mes fonctions. Cela n’a malheureusement pas été le sort réservé à Éric Arella, directeur zonal de la police judiciaire de Marseille, qui a été limogé ce vendredi. Il était connu chez nous pour son professionnalisme et son intégrité. Vous avez coupé la tête d’un géant, et cela ne vous a pas grandi !
M. Stéphane Ravier. Vous persistez, puisque, dans la presse, vous menacez de sanctions les policiers manifestants. Vous ne réformez pas : vous détruisez un monument, avec des méthodes expéditives que des observateurs étrangers n’auraient pas tort de qualifier d’autoritaires et de peu démocratiques.
Mais revenons à ce projet de loi. Vous n’éradiquez pas les causes de l’insécurité ; vous vous contentez d’en gérer les conséquences. On ne lit rien d’une nouvelle stratégie en vue de rompre avec le délitement de l’autorité et l’augmentation de l’insécurité.
Le contexte est pourtant très dégradé. Nous restons sous la menace terroriste, incapables de localiser et d’expulser un imam islamiste, au point qu’il a dû s’expulser lui-même ! Nous sommes aussi impuissants devant la recrudescence des rodéos urbains et des refus d’obtempérer, mortels pour les agents et les passants.
On entend monter une détestable petite musique venue du Wokistan, dont les paroles affirment que la police tue sans que ce texte instaure de nouveaux grands principes pour la protéger. La présomption de légitime défense pour toutes les forces de l’ordre faisant usage de leur arme dans l’exercice de leurs fonctions eût été un symbole fort ; vous l’avez refusée.
De plus, la police municipale n’a, semble-t-il, pas sa place dans votre continuum de sécurité, alors qu’elle est l’ultime garante de l’ordre dans les communes reculées et que c’est quasi systématiquement elle qui intervient en premier sur le terrain. Il est totalement anachronique de parcourir ce texte, qui ne fait aucune mention des agents municipaux… Il conviendrait pourtant de leur accorder des compétences de police judiciaire et de généraliser le port d’armes de catégorie B1.
Vous avez évoqué la surreprésentation des étrangers dans les statistiques de la police et de la justice. En particulier, 55 % des délinquants interpellés à Marseille sont étrangers. Nous ne voyons aucune traduction dans ce texte du commencement d’un début de solution pour y remédier.
Vous qui aimez décloisonner, je pensais naïvement que vous comprendriez l’utilité de ne pas légiférer avec des œillères. Ce n’est pas pour rien que le classement des villes les plus sûres du monde donne Marseille et Nice derrière Bagdad et Tripoli (Mme Patricia Schillinger et M. Julien Bargeton s’esclaffent.), les villes, respectivement, d’Al-Qaïda et de Daech.
Après que l’insécurité aura gagné l’ensemble du territoire urbain, la répartition de l’immigration dans les campagnes, voulue par Emmanuel Macron, généralisera à n’en pas douter le grand ensauvagement. Un chercheur a évalué le coût financier de cette insécurité française à 69 milliards d’euros par an : un torrent de larmes et de sang dans un gouffre financier ! Ce phénomène national menace les Français dans leur intégrité physique, dans leur prospérité, dans leur cohésion.
Sachez à l’avenir vous en souvenir, monsieur le ministre, et ne plus vous tromper de cible en limogeant la racaille plutôt que ceux qui la combattent !
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays va accueillir de nombreux événements ces prochaines années, parmi lesquels les jeux Olympiques et la Coupe du monde de rugby, qui s’ajouteront aux défis habituels de la sécurité publique. Nous ne voulons pas revivre les polémiques de mai dernier autour de l’organisation de la finale de la ligue des champions au Stade de France. Il faut impérativement prévenir tout risque de fiasco.
Je rejoins donc la position des rapporteurs. Pour l’essentiel, ce texte va dans la bonne direction et répond à un certain nombre d’attentes du ministère de l’intérieur et de besoins de sécurité publique. Nous saluons les annonces et les ambitions du rapport et de la perspective budgétaire. Outre l’adaptation au monde numérique, il est tenu compte des problématiques d’ancrage local des forces de sécurité. Cela nécessite évidemment des moyens en personnel et en matériel. Nous y veillerons lors de l’examen des prochains budgets.
Surtout, ces nouvelles ressources devront tenir compte de la spécificité des enjeux locaux. On pense souvent aux zones urbanisées lorsqu’il est question de sécurité publique, mais le milieu rural ne doit pas être oublié. Nous saluons également les apports de notre commission concernant l’accessibilité des personnes en situation de handicap, d’autant que la France accuse toujours un retard en matière d’accessibilité universelle.
En revanche, la formation du personnel concourant à la sécurité intérieure du pays nous préoccupe particulièrement. Si la formation initiale est relativement étoffée, il n’en est pas toujours de même de la formation continue, trop souvent délaissée au cours de la carrière. Il y a encore à faire si nous souhaitons améliorer la performance des différents services.
Les travaux en cours de la mission d’information sur les moyens d’action et les méthodes d’intervention de la police et de la gendarmerie nous révèlent une marge importante de progression. De ce point de vue, nous émettons quelques réserves quant à la disposition de l’article 9 qui assouplit les conditions requises pour exercer les attributions attachées à la qualité d’officier de police judiciaire, notamment en supprimant la condition des trois années de service. Bien entendu, cela ne retirera rien à la formation initiale de l’agent, mais trois années de pratique lui seront enlevées, alors que chacun sait combien ces postes sont exigeants et que l’expérience est le pendant de la formation des agents. Un policier ou un gendarme doté de responsabilités, notamment en matière d’investigation, doit être expérimenté.
Nous nous interrogeons aussi sur la simplification de la procédure pénale. Le rapport annexe le souligne, il y a un sujet autour de la complexité procédurale de l’action pénale. Pour autant, nous croyons aussi que la simplification ne doit pas s’accompagner d’une dégradation de certains principes fondamentaux. L’encadrement procédural donne sa légitimité à l’action de l’État en matière de répression. C’est un moyen pour écarter l’arbitraire. De ce point de vue, il ne saurait être question de renoncer à des éléments de procédure uniquement parce que les policiers et les gendarmes ne sont plus en capacité de les respecter.
En revanche, simplifier notre droit jusqu’à renoncer à l’intervention d’un juge ne saurait être une réponse à un manque de moyens et de formation dans nos services.
La généralisation de l’amende forfaitaire délictuelle nous apparaissait comme une fausse bonne idée. Elle contribuait à marquer un net recul de l’action des juges comme du principe fondamental d’individualisation des peines. Je veux donc saluer la position qu’a retenue notre commission des lois en limitant très fortement ce dispositif.
J’ajouterai un élément sur la récente polémique ayant fait suite à la proposition de réforme de la police judiciaire (PJ). Les inquiétudes sont légitimes. Afin de mieux nous prononcer sur le projet de loi, nous aurions souhaité avoir connaissance des résultats des expérimentations qui ont été menées. Si, sur le fond, nous pourrions y être favorables, le manque de concertation aura été pénalisant sur la forme, même si vous avez fait, pas plus tard qu’hier, un pas dans le bon sens, monsieur le ministre.
Je conclurai en évoquant un sujet qui s’est invité dans ce projet de loi après l’adoption, par notre commission, d’un article visant notamment à renforcer la réponse pénale aux violences faites aux élus.
C’est une question très préoccupante. Nous observons ces derniers mois une forte recrudescence des incivilités et, surtout, des agressions envers les élus locaux. Nous avions déposé plusieurs amendements reprenant différentes propositions de loi déposées par mes collègues du groupe RDSE Nathalie Delattre et Éric Gold. Je regrette qu’ils aient pour la plupart été déclarés irrecevables en raison d’une approche restrictive du périmètre du projet de loi. Nous voulons redire notre mobilisation sur le sujet.
Toutes ces remarques n’enlèvent pas l’intérêt du projet de loi, que la quasi-majorité de notre groupe votera. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roger Karoutchi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
M. Roger Karoutchi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque Mme Assassi a fait tout à l’heure une référence cinématographique à Robocop ; pour ma part, j’évoquerai Les Quarantièmes rugissants. Ce film, monsieur le ministre, a exactement 40 ans. Il est de 1982, comme vous, si je puis me permettre… (Sourires.)
M. Christian Cambon. Joyeux anniversaire !
M. Roger Karoutchi. Dans ce film, l’acteur principal âgé de 40 ans également, le formidable Jacques Perrin, affronte des lames de fond.
En tant que ministre de l’intérieur, vous affrontez, vous aussi, une lame de fond : la course-poursuite entre, d’une part, l’État et les collectivités, qui essayent d’assurer la sécurité, et, d’autre part, la délinquance, qui se renforce, qui est de plus en plus violente, de plus en plus technique et de plus en plus difficile à maîtriser.
Nous avons voté dans cet hémicycle nombre de textes sur la sécurité, et nous avons l’impression que nous ne sommes jamais vainqueurs de cette course. Les délinquants ont de toujours plus de moyens, et ils améliorent leurs techniques, tandis que nous, respectant les règles et les lois, avons du mal à les contrecarrer.
Dans ce pays, nous n’avons jamais réussi à faire de la sécurité un droit fondamental. La sécurité n’est pas un droit fondamental en France. Elle ne revêt pas de qualité supralégislative. En réalité, aucun citoyen ne peut opposer son droit à la sécurité. Il existe bien une obligation de moyens, mais pas une obligation de résultat. C’est, en soi, une question extrêmement difficile.
Je ne reviendrai pas sur les excellents rapports de nos excellents rapporteurs. Je ne vous le cacherai pas, nous voterons naturellement ce texte dans sa version amendée par la commission des lois.
Peut-être pour la première fois l’État reprend-il la course. Peut-être peut-il, à la condition que de budget en budget, nous respections cette loi d’orientation, se donner les moyens de gagner contre les délinquants.
Monsieur le ministre de l’intérieur, vous avez de la chance de défendre à 40 ans de défendre un texte qui réunit tout de même une large majorité et qui va marquer les esprits. Vous avez cranté un certain nombre de sujets qui seront déterminants dans la lutte contre l’insécurité.
Permettez-moi quelques observations supplémentaires.
Ne le prenez pas mal, mais, alors que vous aviez changé l’image du ministre de l’intérieur auprès des forces de l’ordre – nombre de policiers ou de syndicats de police me disaient voilà six mois : « Les choses bougent. Nous sommes satisfaits. Nous disposons de moyens et d’équipements supplémentaires. Nous sommes reconnus. » –, le fait est que votre réforme de la police judiciaire a changé la donne. Vous avez formulé ces derniers jours, de même que M. le rapporteur, des propositions. Il faut que vous trouviez une solution, car ce n’est pas seulement l’affaire de la police judiciaire. C’est l’affaire de la police en général. Nous avons besoin, et vous avez besoin de la police de la République. Il n’y a pas d’État, pas de République sans police reconnue par les citoyens comme étant leur police, la police du peuple, la police de la République.
C’est pourquoi jamais personne dans mon camp politique ne se permettrait de critiquer l’action de la police ou de tenir les propos que nous avons pu entendre chez d’autres ; j’admets bien volontiers qu’en l’occurrence, il ne s’agit pas du groupe CRCE.
L’action de la police doit être soutenue si nous voulons avoir une chance que la sécurité, qui est un droit premier pour les citoyens, soit aussi quelque chose que chaque citoyen s’approprie. Vous pouvez jouer dans ce domaine un rôle essentiel, monsieur le ministre.
Vous avez indiqué que M. Dupond-Moretti, avec lequel je ne doute pas que vous parlez régulièrement, viendrait au Sénat pour évoquer les États généraux de la justice. Depuis des années, j’entends la police se plaindre que la justice ne la suivrait pas, d’où un certain découragement des forces de l’ordre, et la justice émettre des récriminations à l’encontre de la police. Parlons-nous franchement : à quand des États généraux de la police et de la justice, pas seulement entre les deux ministres, mais entre tous les syndicats et tous les acteurs concernés ? Les Français le méritent bien ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées des groupes UC et INDEP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Dany Wattebled. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Dany Wattebled. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans notre pays, les homicides sont en hausse. Les coups et blessures volontaires, ainsi que les violences sexuelles connaissent une très forte augmentation.
Ces constats, dressés par le ministère de l’intérieur pour l’année 2021, doivent nous alarmer. Qu’il s’agisse de délinquance du quotidien ou de grande criminalité, l’enjeu de la sécurité est majeur pour nos concitoyens.
Lors de sa réélection, le président Macron avait promis de renforcer la présence des forces de l’ordre sur le terrain. Le projet de loi trace un chemin pour y parvenir. Il y met les moyens, avec un budget en augmentation de plus de 20 % d’ici à 2027.
Bien qu’une telle trajectoire soit jugée peu crédible par le Conseil d’État, il est indispensable de juguler la progression de l’insécurité, qui brise la vie de certains de nos concitoyens et empoisonne celle des autres.
L’insécurité met en péril le pacte républicain. Elle nuit également au développement de notre économie et au rayonnement de notre pays. La France s’apprête en outre à accueillir de grands événements ; raison de plus pour que les forces de l’ordre disposent des moyens d’assurer l’ordre public.
Notre groupe est favorable à une telle augmentation budgétaire, ainsi qu’à celle des crédits de la justice. L’État doit être en mesure d’assurer ses missions régaliennes, qui sont les plus essentielles.
Les fonds prévus pour les forces de l’ordre serviront notamment à augmenter les effectifs ; il faut s’en réjouir. À cet égard, j’évoquerai plus particulièrement deux éléments.
Premièrement, sur le zonage des interventions en zone gendarmerie, il me semble très important que les forces de l’ordre connaissent le terrain et les habitants pour agir au mieux, au plus près de leurs casernes.
Deuxièmement, une réforme de la police judiciaire est sans doute nécessaire. Il me paraît toutefois indispensable que ses agents conservent leurs capacités d’enquête très spécifiques. Nous y serons attentifs.
Par ailleurs, la question des effectifs ne doit pas masquer celle des équipements et de la vétusté des installations. Il est grand temps d’inverser la tendance et d’engager la modernisation. C’est en bonne voie : le rapport annexé au projet de loi prend en compte ce besoin. Nous serons également attentifs à la mise en œuvre des mesures annoncées.
Au-delà des aspects programmatiques du rapport et des deux premiers articles, le projet de loi contient plusieurs dispositions de procédure pénale. Il était notamment question de généraliser l’amende forfaitaire à toutes les infractions punies d’un emprisonnement d’un an maximum.
Le Conseil d’État ayant indiqué dans son avis qu’une telle disposition ferait entrer dans ce périmètre plus de 3 400 infractions, la solution retenue par la commission nous paraît plus sage : une dizaine d’infractions supplémentaires pourront désormais faire l’objet de cette amende. Notre groupe est satisfait de ce ciblage beaucoup plus précis.
Nous sommes inquiets de constater la faiblesse des taux de recouvrement des amendes forfaitaires. Pour l’usage de stupéfiants, fer de lance de cette procédure, le taux était inférieur à 50 % en 2021. Dans ces conditions, il nous paraît important d’améliorer le recouvrement.
Le texte prévoit également la création des assistants d’enquête. Ces derniers seront chargés de réaliser les tâches administratives qui éloignent les policiers du terrain.
Mais la nécessité de telles évolutions est le symptôme d’un mal plus profond. Entre 2008 et 2022, le code de procédure pénale est passé de 1 700 articles à 2 400 articles. La complexification des procédures rend plus difficile le travail des policiers, des magistrats et des professionnels du droit. Elle crée également des risques pour nos concitoyens, qu’ils soient mis en cause ou victimes.
L’inflation normative doit être jugulée. Les procédures doivent être structurellement simplifiées. La fusion des cadres d’enquête pourrait y contribuer et les États généraux de la justice ont rappelé la nécessité de conduire une étude d’impact sur la faisabilité et l’opportunité d’une telle fusion. Il faut y procéder sans attendre.
Les mesures envisagées sont nécessaires. Notre groupe, comme beaucoup d’autres dans cet hémicycle, soutiendra l’adoption du projet de loi. Nos concitoyens demandent une action forte de l’État pour lutter contre l’insécurité. Le texte y contribue, mais il faudra continuer à agir. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP et sur des travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
M. Guy Benarroche. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’avenir, le rôle, l’organisation et les moyens du ministère de l’intérieur sont des sujets au cœur de notre pacte républicain, de notre organisation sociale, de la protection des citoyens et du respect des droits du justiciable.
Je ne surprendrai personne en exprimant au nom de mon groupe les craintes que les dispositions du présent projet de loi suscitent. C’est un mélange de Big Brother is watching you, des meilleurs passages de 1984 d’Orwell et du pire de Robocop : mystery shoppers, policiers « augmentés », robots d’accueil, drones aux frontières, numérisation à outrance… Tout cela à l’heure où l’illectronisme touche une immense partie de nos concitoyens et où les territoires se sentent de plus en plus éloignés de l’accès à un service public délivré par des êtres humains.
Nous nous devons – vous tous, mes chers collègues, mon groupe et moi – de mettre en action sans sobriété notre énergie et notre intelligence collective pour ce projet de loi.
Puisque le ministre rappelait hier, dans sa lettre envoyée à l’ensemble de la police judiciaire, que sa porte était « ouverte à toutes les propositions », nous avons voulu être force de proposition.
Notre vision et nos propositions sont issues d’une véritable réflexion d’équilibre. Elles pourraient se décliner en deux éléments principaux.
Le premier ne vous étonnera pas, monsieur le ministre : nous n’avons pas la même conception de la police, de la sécurité, de la protection, du maintien de l’ordre et de la tranquillité publique que celle que vous exposez et défendez dans ce texte.
Nous ne partageons pas non plus la position, que nous jugeons attentiste, des rapporteurs et de la majorité. Un exemple frappant est celui de l’amende forfaitaire, à laquelle nous sommes opposés. Non seulement cet outil connaît jusqu’à présent une application territoriale disparate, hétérogène et – oserais-je dire – éminemment concentrée sur certains quartiers, mais surtout, en plus de cette rupture de traitement territorial, la volonté du Gouvernement – légèrement restreinte par la commission – de l’étendre sans aucune véritable étude de son efficience actuelle est un pas de plus vers l’éloignement du juge.
Ce texte se fait ainsi l’écho des pires positionnements qui voudraient que la justice, garante de l’application du droit, soit un frein aux forces de l’ordre.
Cela nous amène à un élément fondamental : nous demandons que les femmes et les hommes dont le rôle est d’assurer notre sécurité et notre tranquillité soient traités avec humanité, respect et considération. Les conditions de travail de nos forces de l’ordre ne nous paraissent clairement pas au niveau des services que nous attendons d’elles. Nous devons veiller à diminuer leur souffrance au travail, en rendant à leurs métiers le sens qu’ils ont perdu. Notre soutien aux agents de l’État doit reposer sur la réalité retrouvée d’exercer un métier avec et pour leurs concitoyens.
Le besoin de sécurité des citoyens inclut la transparence de l’action de la police, une meilleure gestion des dérives, parfois violentes, une nouvelle vision de l’inspection générale de la police nationale (IGPN), mais aussi sur la transparence des données de la police, leur publication et leur transmission, entre autres aux élus.
Le besoin de sécurité des citoyens porte également sur la gestion des risques d’incendie, qui ont été amplifiés par l’inaction climatique du Gouvernement, condamné à plusieurs reprises en la matière. Pour notre part, nous proposerons des améliorations portant sur les services incendies.
Le besoin de sécurité des citoyens concerne aussi leur environnement. C’est pourquoi nous tracerons des pistes pour le développement d’une police environnementale.
Le besoin de sécurité des citoyens implique encore ce que le rapport appelle pudiquement « la transparence et l’exemplarité des forces de l’ordre ». Là encore, nous ferons de nombreuses propositions pour renouer la confiance que les citoyens doivent avoir dans leurs forces de l’ordre.
Nous vous remercions d’avance de ne pas amalgamer à des fins purement politiques nos positions avec de supposées idéologies anti-police ou antirépublicaines. Tout au contraire, nous prétendrons et nous chercherons à vous démontrer que nos propositions sont plus protectrices, non seulement des citoyens, mais également de tous les personnels des forces de l’ordre, tant physiquement que mentalement.
Monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, nous ne voulons pas de drones à nos frontières ni du « tout surveillance » dans la politique migratoire, y compris à l’intérieur de nos frontières européennes. Nous voulons une véritable réflexion sur les mouvements migratoires à l’échelon européen, mais aussi une refonte de nos politiques d’accueil.
Nous ne voulons ni d’une réforme de la police judiciaire qui déstabiliserait l’indépendance du travail des magistrats ni d’un projet qui entraîne le risque d’un affaiblissement de la lutte contre le grand banditisme en faisant perdre à la PJ sa spécialisation.
En rattachant les services de la PJ aux directions départementales de la police nationale (DDPN), en établissant des liens forts entre ces dernières et les préfets, ce projet crée une confusion entre les pouvoirs judiciaire et administratif.
Nous voulons une sanctuarisation des moyens propres de la PJ et de sa spécificité, une sanctuarisation de l’accès à la qualification d’OPJ, loin de sa dilution dans les autres forces de sécurité et d’une marginalisation des parquets dans la définition de la politique pénale.
Nous ne voulons pas vider les commissariats simplement pour mettre du bleu dans la rue et faire du chiffre via des amendes forfaitaires.
Nous voulons une réelle police de proximité, pacificatrice, liée à son territoire. Nous ne voulons pas de lanceurs de balles de défense (LBD), de drones, de gaz lacrymogène, de la technique de la nasse ou d’autres techniques d’interpellation dangereuses dans les doctrines de maintien de l’ordre et de contrôle de la population.
Depuis mon élection, j’observe, parfois avec surprise, souvent avec effroi, la dérive autoritaire de certains textes. La sécurité est l’enjeu de tous, mais les dérives sécuritaires semblent toujours venir des mêmes.
C’est pourquoi, monsieur le ministre, nous exprimerons notre vision par un grand nombre d’amendements, dont nous allons discuter et dont le sort scellera notre position finale à l’égard du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hussein Bourgi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Hussein Bourgi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est proposé a au moins deux vertus : d’une part, celle de répondre à une demande ancienne visant à doter nos services de police et de gendarmerie des moyens humains et matériels à la hauteur des missions qui leur sont confiés ; d’autre part, celle d’être un projet ambitieux assorti de moyens et d’objectifs importants.
Ces deux vertus étant relevées et saluées, je me focaliserai sur les points qui méritent un peu plus d’engagement et de précision de votre part, monsieur le ministre.
Si votre projet de loi et le rapport annexé listent les grandes orientations et les grandes trajectoires, cela manque parfois de précisions, notamment chiffrées. Nous formons le vœu que le débat parlementaire réponde à ces attentes et nous permette d’éclaircir des indications parfois vagues et floues.
Vous avez élaboré votre doctrine en matière de sécurité à partir du livre blanc de la sécurité intérieure et du Beauvau de la sécurité. À l’occasion de l’élaboration de ce continuum, vous avez voulu établir un partenariat renforcé avec les communes en matière de lutte contre l’insécurité.
Or, monsieur le ministre, les maires sont de plus en plus nombreux à déchanter. En effet, lorsqu’ils souhaitent s’équiper de caméras de vidéosurveillance par exemple – cela concerne un nombre de communes en forte croissance depuis les dernières élections municipales – et sollicitent la préfecture pour obtenir un cofinancement, on leur répond que l’enveloppe n’a pas évolué.
Lorsque ces mêmes maires prennent à leur compte les travaux d’aménagement de locaux de gendarmerie et de police, ces bureaux se trouvent malheureusement désertés au bout de quelques années – c’est le cas dans l’Hérault, par exemple à Frontignan – et les policiers sont transférés dans la commune voisine, en l’occurrence à Sète.
Dès lors, de plus en plus de maires s’interrogent et nous interrogent sur ces réalités. Ils ont le sentiment que le partenariat que vous leur avez proposé est parfois déséquilibré à leur détriment.
C’est la raison pour laquelle beaucoup d’entre eux ont accueilli avec circonspection, et même prudence l’annonce de la création de 200 nouvelles brigades de gendarmerie. Ils craignent une concurrence entre les territoires, entre ceux qui ont les moyens de mettre des locaux à disposition et les autres. Ils craignent de financer des locaux et de ne pas pouvoir offrir, à l’arrivée, le service attendu par les administrés. Qu’avez-vous à dire à ceux qui ont parfois le sentiment d’avoir conclu avec l’État un contrat léonin en matière de sécurité ?
Beaucoup de maires sont confrontés à la multiplication des infractions en matière de circulation et de stationnement dans les grands centres urbains. Des moyens techniques sont désormais disponibles, par le biais des systèmes de lecture automatisée des plaques d’immatriculation (Lapi), qui permettent un contrôle efficace et régulier des flux importants de véhicules. Néanmoins, en raison du cadre réglementaire en vigueur – vous le savez, monsieur le ministre –, le champ d’utilisation de ces outils reste limité.
C’est la raison pour laquelle, dans le respect des règles de protection des données personnelles, il est impératif de faire évoluer la réglementation pour permettre aux maires ou aux présidents d’intercommunalités de lutter plus efficacement contre les stationnements gênants sur les places réservées aux personnes à mobilité réduite (PMR), sur les plateformes de tramway ou sur les pistes cyclables, qui, malheureusement, occasionnent souvent des accidents corporels et, parfois, mortels.
Plusieurs maires de grandes villes, dont Michaël Delafosse, maire de Montpellier, vous ont écrit en ce sens. Ils attendent de votre part une réponse concernant l’évolution réglementaire ; je me permets de le préciser ici même si nous débordons du cadre législatif.
Vous avez annoncé votre volonté de doubler les effectifs de terrain en matière de police et de gendarmerie. Nous souscrivons tous à un tel objectif. Quand bien même il serait atteint, la question du traitement des procédures d’infraction qui seraient constatées demeurerait.
Dès lors, le risque de voir le stock de procédures en souffrance augmenter est réel, pour ne pas dire certain. Comment appréhendez-vous cette situation ? Que comptez-vous faire pour endiguer cette probabilité ?
Vous souhaitez permettre la prise de plainte et la déposition par le recours à la visioconférence. Pourquoi pas ? Nous n’y sommes pas opposés. Ce qui compte, ce n’est pas la manière dont on dépose plainte : préplainte, visioconférence, etc. L’important, c’est l’information du plaignant tout au long de la procédure. En la matière, les marges de progression sont réelles et sérieuses.
Je souligne une nouvelle fois l’intérêt que le groupe SER porte aux juridictions spécialisées en matière de violences conjugales et intrafamiliales. Peut-être le débat vous permettra-t-il de nous donner votre sentiment sur la question.
Monsieur le ministre, le texte étant expurgé des éléments clivants, nous formons le vœu que vous puissiez faire un pas dans notre direction, afin de témoigner de la considération que nous avons tous pour les gendarmes et les policiers et de l’intérêt que nous portons à la sécurité des Françaises et des Français. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)