Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dominati. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dominati. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, les précédentes interventions mettent en lumière un premier succès du présent projet de loi : rarement un texte aura été aussi attendu et suscité un tel intérêt sur toutes les travées de cette assemblée.
Pourtant, ce n’était pas facile. Au cours du premier quinquennat, nous avons eu le sentiment que la sécurité n’était pas une priorité du gouvernement et du Président de la République. Monsieur le ministre, vous avez évoqué la crise du terrorisme et cette horrible année 2015, mais vous êtes le septième ministre de l’intérieur en sept ans.
Alors que ce ministère méritait des réformes et une attention particulières, les pouvoirs publics n’ont fait, pendant toutes ces années, que gérer une succession de crises.
Les crises se sont manifestées, chez les agents de l’État, avec des fréquences de plus en plus régulières, qui ont conduit à la publication du livre blanc de la sécurité intérieure, puis aux rencontres de Beauvau avant de donner lieu à une première version de la Lopmi, au mois de mars 2022, puis au texte que nous examinons aujourd’hui.
Celui-ci présente un intérêt particulier. Nous sommes au début d’une mandature et vous avez probablement su attirer l’attention du chef de l’État sur la nécessité de remettre la mission de sécurité au cœur du débat.
Quel est donc l’effort financier consenti, inscrit dans l’article 2 de cette loi d’orientation ? Comme vous l’avez souligné tout à l’heure, le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, présenté en 2009, prévoyait des crédits de 2,5 milliards d’euros sur cinq ans, quand la Lopmi en prévoit six fois plus.
À périmètre constant, les crédits de paiement avaient augmenté de 12 % sur la période 2013-2017 et de 17 % sur la période 2018-2022. C’est dire si l’effort financier pour les cinq ans à venir – une augmentation de l’ordre de 22 %, dont l’effort principal est réalisé en loi de finances pour 2023 – est plus que satisfaisant.
Cette Lopmi répond essentiellement à deux nécessités. La première est d’accompagner à la révolution numérique. À cet égard, l’effort de modernisation du ministère et des agents de sécurité sur le terrain est important.
La deuxième nécessité est le doublement des effectifs sur le terrain, qui ne doit évidemment pas s’effectuer au détriment du fonctionnement et de l’investissement. Cette dérive, constatée par le Sénat ces dernières années, a été corrigée, notamment grâce aux crédits du plan de relance liés au covid-19. Vous avez par ailleurs sécurisé la situation dans cette loi de programmation du ministère de l’intérieur.
C’est un ministère où il est difficile de mener des réformes. En réalité, aucune n’a pu y être menée depuis la crise du terrorisme, hormis celle du temps de travail, le « vendredi fort », qui aura occupé le ministère pendant près de cinq ans. Vous avez annoncé durant le quinquennat précédent l’abandon de cette réforme initiée par Bernard Cazeneuve. C’était censé être une bombe destinée à exploser lors de l’alternance ; finalement, les choses ne se sont pas passées comme prévu.
La réforme de la PJ est en cours. Elle n’est pas simple à appréhender. Comme tout le monde, nous écoutons les inquiétudes liées à la départementalisation ou au rapport quantitatif/qualitatif. Elle est initiée par le directeur général de la police judiciaire, qui a passé, je crois, vingt-neuf ans dans cette institution. Elle semble en partie répondre à la nécessité d’avoir de nouveau une seule personne, dans un lieu précis, pour incarner la fonction policière.
Enfin, une réforme pourtant annoncée régulièrement par les gouvernements successifs n’a pas du tout été abordée. Elle concerne la disparité entre la police nationale et la préfecture de police ; Paris, c’est le cœur du pays. MM. Castaner et Nunez étaient venus devant le Parlement annoncer qu’il s’agirait d’une réforme clé. Or on s’aperçoit que cette disparité demeure.
La loi d’orientation ne comprend aucune disposition pour le cœur du pays. Voilà quelques années – je tiens à le souligner en tant qu’élu parisien –, les représentants de toutes les sensibilités politiques étaient favorables à la défense de la police nationale. Bertrand Delanoë avait d’ailleurs annoncé souhaiter le maintien des choses en l’état. Aujourd’hui, tout le monde est pour une police municipale. Mais le texte ne prévoit rien à cet égard.
Monsieur le ministre, c’est un début. Continuez à mener des réformes dans ce ministère. C’est une nécessité. Trop de retard a été pris. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Cambon. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Leroy. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Henri Leroy. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà une réforme qui va dans le bon sens. En tant que partie prenante, comme parlementaire très engagé pour la sécurité de nos compatriotes, je voterai naturellement ce projet de loi.
Ce texte – c’est suffisamment rare pour être souligné – répond aux espoirs des forces de sécurité intérieure, aux attentes des élus locaux et nationaux qui avaient eu l’occasion de s’exprimer, notamment lors des nombreuses réunions du Beauvau de la sécurité. Je vous le dis en connaissance de cause, pour y avoir participé activement au titre du Sénat, avec notre collègue Jérôme Durain.
Notre mission consiste à contrôler l’action du Gouvernement et à participer à l’amélioration de la loi. Vous me permettrez donc de formuler deux réserves.
La première relève de la prudence. Ce texte est le fruit d’un long travail d’analyse et de concertation ; nous en convenons tous. Mais je vous demande ici solennellement de veiller à son application. Trop de textes votés restent lettre morte faute de décrets d’application pris dans un délai raisonnable, mais surtout faute de suivi concret sur le terrain. Or vous êtes un homme de terrain, monsieur le ministre !
M. Henri Leroy. Ma deuxième réserve porte sur le contenu du texte.
Lors de nos échanges en commission des lois, j’ai eu l’occasion de m’exprimer à ce sujet. Certes, vous engagez – judicieusement ! – la départementalisation de la police nationale. Mais vous oubliez l’idée, pourtant présente dans le Beauvau de la sécurité, de revoir la répartition territoriale des forces de sécurité intérieure.
C’est pourtant une attente forte, tant de certains élus que de nombreux acteurs silencieux du terrain ; elle relève d’une logique temporelle. La répartition actuelle date du siècle dernier. Depuis, la délinquance et la criminalité ne sont plus du tout les mêmes, quelle que soit la manière d’apprécier les choses.
Concrètement, cela consiste en une nouvelle répartition optimale des forces de sécurité intérieure sur le territoire, décidée en étroite collaboration avec les maires, en vue de faire face à l’hydre du XXIe siècle qu’est devenue la délinquance dans notre pays.
Mais alors, pourquoi un tel renoncement ? Pour des raisons qui ne peuvent être qu’à contre-pied de l’intérêt général. Pour, semblerait-il, apaiser des craintes corporatistes d’intérêts plutôt particuliers, voire sectoriels. Vous avez renoncé, parce que, comme le font trop souvent de nombreux décideurs, vous avez vraisemblablement cédé – c’est mon opinion – à la pression syndicale.
Monsieur le ministre, notre devoir à tous est d’assurer la sécurité des Français et de projeter les forces de sécurité intérieure dans l’avenir.
La situation est grave, très grave. Trop de territoires sont des territoires perdus, des territoires délaissés, des territoires sacrifiés de la République. Dorénavant, l’incivilité, la délinquance, le crime, la barbarie frappent partout, y compris dans cette France rurale et périphérique, cette douce France autrefois épargnée.
Prendre des mesures justes et efficaces se révèle parfois difficile, car cela implique de combattre les lobbys et les habitudes ; vous êtes en plein dedans. Mais c’est aussi à cela que l’on mesure la pertinence et l’importance d’une réforme.
Monsieur le ministre, montrez qu’à l’instar de vos illustres prédécesseurs Pierre Joxe et Charles Pasqua, votre détermination ne s’arrête pas à des questions matérielles, techniques, logistiques et humaines, et qu’elle intègre aussi la notion de stratégie organisationnelle et fonctionnelle.
Vous le savez parfaitement, la répartition territoriale est vraisemblablement l’une des clés les plus importantes de cette très attendue Lopmi. Repousser la question, c’est peut-être renoncer à l’espoir de voir les forces de sécurité intérieure prendre définitivement le dessus sur la délinquance et la criminalité en France.
Ne restons pas dans le fond du panier, derrière le Mexique ou la Malaisie, dans le classement des pays basé sur l’indice de criminalité Numbeo.
Ce texte est un premier grand pas. Ne vous y arrêtez pas ! Nous le devons à nos concitoyens ; nous le devons à nos forces de sécurité ; nous le devons à nos élus de première ligne, nos valeureux maires ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur et des outre-mer. Je souhaite remercier très sincèrement les différents orateurs qui se sont exprimés, pour leurs critiques comme pour leurs encouragements.
J’ai noté le soutien, si je peux le dire ainsi, de la majorité sénatoriale, mais aussi des groupes RDSE et Les Indépendants – République et Territoires. J’ai senti que le groupe SER se posait un certain nombre de questions et souhaitait que le Gouvernement soit à l’écoute et ouvert au dialogue ; c’est, je peux vous l’assurer, le cas. J’ai compris que les groupes CRCE et GEST étaient sur une position plus négative, mais j’essayerai de les convaincre au cours des débats. Connaissant un certain nombre d’interlocuteurs, je sais qu’il y a matière à avoir de vrais échanges intellectuels.
Beaucoup de choses ont été dites : certains ont fait part de leurs interrogations ; d’autres ont déploré des « manques ». Je note d’ores et déjà un paradoxe : les parlementaires réclament souvent des textes plus courts, mais s’offusquent quand un texte ne balaye pas l’intégralité du champ de la politique publique concernée. Je veux bien essayer de répondre à vos demandes, mais je n’ai pas forcément de baguette magique.
De la part des rapporteurs, avec lesquels il existe un certain continuum, puisque nous avons déjà travaillé ensemble sur la proposition de loi relative à la sécurité globale, j’ai entendu deux interrogations principales.
La première concerne la possibilité de déposer une plainte en visioconférence.
Il n’est, bien entendu, aucunement question pour le ministre de l’intérieur que je suis de remplacer à 100 % le réel par le numérique. J’y suis très attentif. Je serai favorable aux amendements, déposés notamment, me semble-t-il, par le groupe socialiste, visant à toujours laisser la possibilité aux gens d’avoir recours aux procédures papier. Comme je l’ai fait dans une autre fonction à propos du prélèvement de l’impôt à la source ou lorsque nous avons mis en place l’e-procuration, j’entends bien laisser la possibilité d’utiliser le papier, ce que l’on peut aussi appeler le « monde réel ».
C’est pourquoi j’ai été surpris par l’amendement que Marc-Philippe Daubresse a déposé en commission. Par ce projet de loi, nous entendons permettre le dépôt de plaintes en visioconférence. Les gens pourront prendre rendez-vous avec un officier de police judiciaire, qu’il soit gendarme ou policier, et déposer leur plainte de chez eux grâce à leur ordinateur, ce qui leur évitera de devoir se déplacer. C’est très important.
En effet, il n’est plus compréhensible aujourd’hui pour les gens de devoir passer deux à trois heures dans un commissariat pour déposer leur plainte, y compris pour des faits que l’on peut qualifier de « véniels », comme une dégradation de véhicule. Ce n’est pas vraiment le signe d’une police moderne, alors même que l’on peut payer ses impôts par internet ou que la télémédecine se développe.
La police serait donc le dernier service au monde où le papier serait toujours imprimé, avec des commissariats ressemblant à celui que l’on voit dans le film Pinot simple flic ! Nous devons accepter la modernisation de cette grande administration qu’est le ministère de l’intérieur.
Il est déjà possible – cela concerne uniquement les atteintes aux biens – de déposer des préplaintes en ligne. Cette procédure marche, puisqu’elle représente la moitié des dossiers traités par les policiers et les gendarmes. Nous ne sommes pas obligés d’imposer aux personnes souhaitant déposer une plainte de se rendre physiquement au commissariat ou à la brigade de gendarmerie.
Il faut passer de la préplainte en ligne à la plainte en ligne, tout en laissant à la personne le choix entre présence physique et procédure numérique.
Personne ne comprend qu’il faille prendre une demi-journée de congé pour déposer une plainte. Lors d’un récent déplacement dans un commissariat parisien, j’ai rencontré une dame qui a été obligée de le faire simplement pour déclarer le vol d’un Vélib’.
Chacun voit bien l’intérêt de ne pas encombrer les services de police, tout en libérant du temps pour nos concitoyens. Il s’agit finalement de nous permettre de nous concentrer sur les plaintes les plus graves, notamment les atteintes aux personnes. Je pense en particulier aux violences intrafamiliales, qui demandent beaucoup de temps et d’écoute.
Est-il vraiment nécessaire de passer trois heures au commissariat de Tourcoing parce qu’on a été victime d’un phishing destiné à nous inciter à envoyer de l’argent à l’étranger prétendument pour venir en aide à une petite-cousine ?
L’amendement proposé par Marc-Philippe Daubresse et adopté par la commission vise à limiter le dépôt de plainte par visioconférence aux atteintes aux biens. Il nous semble plus pertinent de discuter de l’ensemble des plaintes.
Ainsi, les plaintes qui nécessitent des examens médicaux ou un accompagnement psychologique ou relèvent de questions intimes impliquent évidemment une présence physique. Au demeurant, cela ne signifie pas que les victimes doivent obligatoirement se déplacer au commissariat. En effet, nous expérimentons l’« aller vers », comme pour la vaccination. Aujourd’hui, dans dix départements, des policiers et des gendarmes se rendent chez l’avocat, chez un membre de la famille ou un proche, au centre communal d’action sociale (CCAS) ou dans la commune, notamment en cas de violences intrafamiliales ou d’agression sexuelle, pour que la personne n’ait pas besoin de se déplacer.
Pour autant, nombre de plaintes, même lorsqu’elles sont constitutives d’atteintes aux personnes, peuvent tout à fait être déposées en visioconférence, sous certaines conditions. Je pense en particulier à l’identité numérique ; il faut être certain de l’identité de la personne qui dépose plainte.
Il me paraîtrait absurde que la police et la gendarmerie soient les seuls services publics à ne pas pouvoir utiliser le numérique pour simplifier la vie de nos concitoyens. Il est vrai que le ministère de l’intérieur passe souvent en dernier pour ce genre de choses. Il a tout de même été le dernier à pouvoir utiliser des drones en France. Nous avons finalement obtenu, cher Loïc Hervé, la possibilité d’en faire voler, mais seulement pour le renseignement, et pas en matière judiciaire.
La deuxième interrogation des rapporteurs concerne le réseau Radio du futur (RRF).
Le Gouvernement s’est astreint à déposer le moins d’amendements possible. J’ai moi-même été parlementaire, et je le redeviendrai sans doute, les fonctions ministérielles n’étant pas un contrat à durée indéterminée.
M. Loïc Hervé, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Celles de parlementaire non plus !
M. Gérald Darmanin, ministre. Effectivement, monsieur le rapporteur !
En tout cas, le Gouvernement n’a déposé que deux amendements sur ce texte.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Parce que le travail a été bien fait en commission !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je crois que c’est un signal positif et respectueux vis-à-vis du travail parlementaire.
L’un de ces deux amendements a été déposé à la demande de la commission des lois du Sénat : il vise justement à inscrire dans le projet de loi, dans le dur, comme l’on dit parfois, les dispositions relatives au déploiement du RRF.
J’en viens aux questions posées par les différents orateurs.
Mme Jourda et M. Leroy, que je remercie, de même que M. Durain, de sa participation au Beauvau de la sécurité, ont posé la question de la répartition entre la police et la gendarmerie.
Je sais bien que le sujet passionne tout le monde, notamment les sénateurs, surtout s’ils sont en campagne électorale. D’ailleurs, le département du Nord, qui est renouvelable, est en force, puisque quatre sénateurs le représentent dans l’hémicycle ce soir. Je profite de l’occasion pour vous rassurer : je ne suis pas candidat aux prochaines élections sénatoriales, même s’il est vrai que tout député rêve de devenir un jour sénateur ! (Sourires.)
M. Roger Karoutchi. Tout ministre aussi !
M. Gérald Darmanin, ministre. Certes, comme je suis grand électeur, tous les sénateurs du Nord m’ont souhaité mon anniversaire. (Nouveaux sourires.) Cela montre qu’ils tiennent bien leurs fichiers à jour. (Mêmes mouvements.)
M. Loïc Hervé, rapporteur. C’est la convergence des luttes !
M. Gérald Darmanin, ministre. Je les en remercie, parce que je sais que cela vient du cœur.
Blague à part, je sais que la question de la répartition entre la police et la gendarmerie se pose.
Il faut d’abord savoir que le cadre législatif est peu contraignant en la matière. Il me semble qu’un article du code général des collectivités territoriales fait référence à un seuil de 20 000 habitants, mais ce n’est aucunement une règle absolue, comme l’exemple de Libourne le montre.
Monsieur Leroy, ce ne sont pas les lobbys qui m’ont poussé à ne pas proposer de nouvelle répartition et à ne pas reprendre la proposition qui allait en ce sens. Soit dit en passant, il me semble qu’elle émanait plutôt du livre blanc que du Beauvau de la sécurité.
Les choses sont plus compliquées qu’il n’y paraît.
Par exemple, si nous entamions un débat sur une nouvelle répartition, cela entraînerait des discussions sociales particulièrement fortes au sein de l’administration du ministère. Comme vous le savez, les gendarmes dorment avec leur famille dans leur caserne, tandis que les policiers ne vivent pas au commissariat. Modifier la répartition suppose donc des projets immobiliers et un accompagnement social, ce qui nous demande des mois et des mois de travail. Nous aurons une discussion avec les collectivités.
Alors que la délinquance est forte et que le ministère de l’intérieur a pris beaucoup de retard sur un certain nombre de sujets, comme le cyber, la lutte contre le terrorisme ou encore la préparation des jeux Olympiques, il ne me semble pas prioritaire que l’énergie du ministre de l’intérieur et des membres de ses services se concentre sur la répartition territoriale entre police et gendarmerie.
À certains endroits, par exemple en outre-mer, nous devons nous poser cette question. Mais nous devons aussi choisir nos combats, parce qu’ils sont déjà nombreux ; je l’ai dit.
Ma première priorité est de lutter contre la délinquance. Les chiffres dévoilés ce matin montrent d’ailleurs que notre stratégie visant à accroître la présence sur la voie publique fonctionne. Les violences aux personnes ont baissé de 23 % par rapport à l’année dernière ; c’est la première fois en quatre ans qu’elles baissent.
Par ailleurs, est-ce que ce débat sur la répartition territoriale n’est pas un peu daté au regard des évolutions de la délinquance ? Poser la question n’est pas y répondre. Ne sommes-nous pas passés, dans un certain nombre de situations – le trafic de drogues ou d’armes, le dark web, etc. –, du territoire communal au territoire numérique ? Autre exemple, dans l’agglomération toulousaine, dont la population augmente de 15 000 habitants par an, certaines zones de transport sont de la compétence de la police, quand d’autres relèvent de la gendarmerie.
Devons-nous continuer de réfléchir par territoire ou appréhender les choses par type de délinquance ? On pourrait imaginer que la police ou la gendarmerie soit compétente pour l’intégralité des transports. Certaines rocades d’autoroute sont en zone police, d’autres en zone gendarmerie, ce qui peut paraître absurde. Poser la question n’est pas y répondre définitivement !
Dernier argument sur ce sujet, il faut bien laisser un peu de travail aux prochains ministres de l’intérieur… Plus sérieusement, il n’y a pas de conservatisme de ma part. Il y a une réflexion sur la hiérarchie des priorités et sur les évolutions de la délinquance.
J’en viens à la question de l’installation de nouvelles brigades de gendarmerie. Je veux d’abord vous dire mon étonnement, monsieur Bourgi, d’entendre que les élus étaient inquiets à ce sujet… Je n’ai pas encore vu de pétitions d’élus locaux pour demander qu’il y ait moins de brigades de gendarmerie ! (Sourires.) Je m’engage bien évidemment à ne pas installer de nouvelle brigade dans un département si les élus n’en veulent pas ! (Nouveaux sourires.)
Nous allons créer 200 nouvelles brigades de gendarmerie, et ce n’est pas une promesse en peau de lapin, comme on dit dans le Nord ! C’est la première fois qu’un ministre de l’intérieur propose une augmentation d’effectifs avec une quasi-parité entre police et gendarmerie : 52 % pour la police et 48 % pour la gendarmerie.
Nous prévoyons ainsi la création de 2 000 postes de gendarmes, dont une grande partie dès la loi de finances pour 2023. De ce fait, nous serons capables d’ouvrir de nouvelles brigades dans vos départements dès l’été prochain.
Comme nous l’avons fait dans le Nord et dans le Cher, nous réunirons tous les maires et parlementaires, le commandant du groupement de gendarmerie, le préfet et, quand ce sera possible, le ministre pour mettre les choses à plat : situation de la démographie, de la délinquance et des brigades de gendarmerie, projets de construction ou d’aménagements pour les années à venir, etc. Nous proposerons alors d’installer à tel ou tel endroit une ou des brigades, entre deux et quatre par département. Mais s’il faut en installer plus, nous le ferons.
Les élus auront ensuite trois ou quatre mois pour réfléchir et donner leur avis, en s’appuyant sur leurs associations. Tout le monde sera consulté. Des arbitrages seront alors opérés.
N’y voyez aucune forme de chantage de ma part, mais il est évident que si nous disposons de locaux disponibles, nous pourrons implanter ces brigades plus rapidement. L’État dispose lui-même de locaux vacants, par exemple d’anciennes casernes. Le ministère de l’intérieur est évidemment prêt à payer des rénovations et des aménagements. Mais je ne bouderai pas mon plaisir si des collectivités locales décident de soutenir l’implantation d’une brigade de gendarmerie sur leur territoire.
Nous discuterons de ce sujet lors de l’examen des amendements. Si certains d’entre eux me paraissent d’abord être des appels à la discussion, je veux vous redire que nous travaillerons de manière collective pour annoncer – ce sera en mars prochain en vue d’une installation effective l’été suivant – le lieu d’implantation des 200 nouvelles brigades.
Madame Assassi, je partage votre opinion sur la formation ; c’est d’ailleurs l’un des axes du texte.
Souvenez-vous tout de même que nous avons déjà augmenté de quatre mois la formation initiale des gardiens de la paix et des gendarmes ; elle est passée de huit mois à douze mois. C’est tout de même une amélioration substantielle.
En matière de formation continue, nous faisons face à deux problèmes : un manque de formateurs et un manque de temps pour les agents qui doivent se former.
C’est pourquoi le texte prévoit, pour la formation continue, la création de 750 postes de formateurs, dont 250 dans la gendarmerie et 500 dans la police nationale. Nous avons évidemment besoin de temps pour former les formateurs…
Aucun gouvernement n’a fourni autant d’efforts en matière de formation pour les forces de sécurité. C’est important – vous avez eu raison de le dire – pour aider les policiers et les gendarmes à être respectueux des lois de la République, mais également pour protéger leur propre action. Le Beauvau de la sécurité avait défini cet axe comme prioritaire. Les deux sénateurs qui y ont participé ont, me semble-t-il, pu traduire cette demande des forces de l’ordre.
L’autre problème en la matière, c’est le temps disponible pour se former. Souvent, les policiers et les gendarmes sont rappelés par leur service, alors qu’une formation est prévue pour eux. Le ministère doit encore, à ce jour, cinq semaines de congés payés aux gendarmes mobiles et aux CRS, parce que nous avons très souvent besoin d’eux, que ce soit pour un match de football, un renforcement de la police aux frontières, une manifestation du samedi, une attaque de l’ultragauche, etc. (Exclamations sur les travées du groupe GEST.) Il faut dire clairement les choses, mesdames, messieurs les sénateurs. Personne ici, j’imagine, ne se revendique de l’ultragauche ; ce n’est vraiment pas une attaque ad hominem.
Nous utilisons beaucoup les CRS et les gendarmes mobiles, et nous sommes contraints de rogner sur leurs congés et leurs formations pour parer au plus pressé, c’est-à-dire l’ordre public. J’ajoute que, dans ces conditions, ils assurent moins bien cette mission, puisqu’ils sont fatigués et pas assez formés… Le chat se mord la queue !
Quinze unités de forces mobiles avaient été supprimées. Nous en recréons onze, pas seulement pour mettre davantage de policiers et de gendarmes sur le terrain, mais aussi pour permettre aux agents de se reposer et de se former. C’est la règle des trois tiers : action, repos, formation.
J’ai déjà répondu à M. le rapporteur sur le dépôt de plaintes en ligne. Je pense vous avoir convaincue, madame la sénatrice. Vous le savez, il y a du bon sens à avoir dans l’utilisation de l’outil numérique par le ministère de l’intérieur.
La police technique et scientifique n’est pas véritablement une police au sens légal, puisque ses agents sont obligés de demander des réquisitions et des protocoles pour intervenir. Cela fait perdre un temps fou. Il faut faire confiance aux agents techniques, administratifs et scientifiques du ministère de l’intérieur ! Les services de police ne peuvent pas être les seuls à faire des protocoles entre eux avant d’intervenir ; c’est de la gabegie administrative. Il ne s’agit évidemment pas de laisser la police technique et scientifique sans contrôle.
Madame Assassi, vous m’avez enfin interpellé sur ma politique en faveur de la jeunesse. Mais la jeunesse est dans les forces de l’ordre ! Les élèves en formation pour devenir gardiens de la paix ou gendarmes ont 19 ans, 20 ans ou 21 ans. Et ce sont les enfants du peuple. Les enfants du CAC 40 deviennent rarement gardiens de la paix ; on peut le regretter, mais c’est ainsi. Je ne veux donc pas opposer les forces de l’ordre à la jeunesse.
Je veux remercier M. Durain de ses encouragements. Je comprends ses interrogations. Je suis notamment favorable à l’amendement qu’il a déposé en commission avec sa collègue rapporteure de la mission d’information sur l’organisation de la police judiciaire.
Je voudrais simplement apporter une correction sur un point, monsieur le sénateur : l’immigration n’a jamais fait partie de la première version de la Lopmi. Il y aura un texte dédié à ce sujet.
Madame Vérien a évoqué les 400 000 affaires de violences intrafamiliales. Nous doublons le nombre d’enquêteurs spécialisés. Les efforts que nous produisons en faveur de l’investigation leur sont largement destinés. Nous augmentons aussi le nombre d’assistants sociaux et l’aide psychologique.
J’ajoute – le sujet a aussi été évoqué par M. Bourgi – qu’à titre personnel, je suis favorable à la mise en place d’une juridiction spécialisée pour les violences intrafamiliales, comme cela existe en Espagne. La question relève évidemment de la compétence du ministère de la justice, mais le ministère de l’intérieur a une position très claire en faveur de telles juridictions. La Première ministre s’est également exprimée sur le sujet. En tout cas, les policiers et les gendarmes ont déjà produit beaucoup d’efforts ; ils doivent continuer. L’existence d’une juridiction spécialisée peut les y aider.
Je le précise, 30 % des victimes tombées sous les coups de leur conjoint – il s’agit très majoritairement de femmes – avaient déposé une plainte ou fait un signalement auprès de la police ou de la justice. En d’autres termes, si les services doivent encore s’améliorer et se former pour mieux accueillir la parole, cela ne suffira malheureusement pas pour résoudre le problème des violences intrafamiliales et mettre un terme à ce que nous appelons aujourd’hui les féminicides.
Le devoir d’alerte incombe aussi à d’autres pans de la société – je pense notamment au monde associatif ou aux personnels soignants – qui ne sont pas toujours au rendez-vous.
Nous pourrons naturellement en parler dans le cadre de votre rapport. Mais ne faisons pas comme si seuls les policiers et les gendarmes pourraient, par une meilleure formation, empêcher tous les féminicides. Ils pourront évidemment réduire au maximum le risque. Mais ce n’est pas l’alpha et l’oméga de la lutte contre les violences intrafamiliales, même si c’est évidemment très important.
Enfin, il n’y a pas de dispositions liées à l’ordre public dans le projet de loi, mais nous aurons certainement à en débattre en vue de la tenue des jeux Olympiques.
Monsieur Ravier n’est plus là, mais, de là où il est, il doit nous entendre. (Rires.)
Il semblait regretter qu’il n’y ait pas de dispositions relatives aux polices municipales dans cette Lopmi. Il a donc dû manquer le tome I de nos discussions, puisque le sujet faisait partie de la proposition de loi relative à la sécurité globale, dont nous avons débattu en 2020 et 2021. Ensuite, il n’a pas dû voir la décision du Conseil constitutionnel qui indiquait en substance que, si nous voulions aller plus loin dans les pouvoirs donnés aux polices municipales, il faudrait placer ces dernières sous l’autorité du procureur de la République. Je ne connais pas beaucoup de maires qui y soient favorables. S’il y a des volontaires, qu’ils n’hésitent pas à se manifester… L’autre option serait de changer la Constitution, mais cela ne relève pas d’un projet de loi ordinaire comme celui dont nous discutons aujourd’hui.
Au demeurant, la position de M. Ravier, qui voudrait donner plus de pouvoirs judiciaires aux polices municipales tout en refusant que la police judiciaire se réforme, me paraît un peu contradictoire sur le plan intellectuel…
J’ai déjà indiqué qu’il y aurait un texte spécifique sur l’immigration. J’espère que nous pourrons débattre sur le sujet avec M. Ravier.
Monsieur Karoutchi a évoqué, comme d’autres sénateurs, la réforme de la police nationale.
J’ai conscience des difficultés qui se posent et des interrogations des uns et des autres, comme pour toute réforme importante. Et celle-ci est tellement importante qu’elle avait été demandée pour la première fois par l’un de mes prédécesseurs, Pierre Joxe, lors de son deuxième passage au ministère de l’intérieur, c’est-à-dire à partir de 1988… Je rejoins M. Leroy, qui a souligné à juste titre combien Pierre Joxe fut un grand ministre de l’intérieur : il fut notamment le premier à regretter que la police nationale travaille en silo.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous me reprochez souvent de ne pas suffisamment écouter le Sénat. Et quand nous l’écoutons, vous nous reprochez d’aller trop vite et vous nous demandez pourquoi nous faisons telle ou telle réforme.
Monsieur Karoutchi, depuis vingt-cinq ans, il y a eu sept rapports, issus de majorités sénatoriales différentes, et, selon la règle consensuelle en cours à la Haute Assemblée, avec un président et un rapporteur de couleurs politiques distinctes. Tous préconisaient la réforme de la police nationale que nous mettons en place.
Le dernier en date a été remis par MM. Boutant, sénateur socialiste, et Grosdidier, du groupe Les Républicains. On peut y lire ceci : « Tandis que la gendarmerie nationale bénéficie d’une structure unifiée de commandement et d’un esprit de corps affirmé, la police nationale souffre de sa forte segmentation et d’un manque patent de cohésion qui pèsent, au quotidien, sur les agents comme sur l’efficacité des services. » Je ne dis pas autre chose. Les auteurs pointent encore, à l’échelon national comme à l’échelon territorial, « une organisation peu centralisée, éclatée entre plusieurs centres de commandement. »
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est ce à quoi nous remédions. La gendarmerie nationale, c’est un commandement et des filières spécialisées, les sections de recherche. Ces dernières rendent compte au général qui commande la région. La section spécialisée de police judiciaire est saisie par les magistrats, et ce depuis deux siècles. Les magistrats n’ont jamais dit que le fait de saisir les gendarmes – ils le font bien volontiers – était attentatoire à la séparation des pouvoirs.
Monsieur Dominati, la préfecture de police fonctionne avec une unité de commandement. Le préfet de police chapeaute tous les services de police dans une zone qui concentre – on peut le regretter – 35 % de la délinquance ; vous disiez que c’était le cœur de notre pays. Le directeur de la police judiciaire rend évidemment compte au préfet de police, mais, pour les enquêtes, c’est aux magistrats qu’il répond.
C’est la police nationale qui est l’exception à la règle, et non l’inverse. Certes, il y a des interrogations ; on peut toujours en discuter. Mais j’ai tout de même tendance à approuver les sept rapports sénatoriaux.
Monsieur Karoutchi, vous ne pouvez pas dire que les rapports parlementaires ne sont jamais suivis d’effets et regretter que des gens soient mécontents quand on les suit. S’il y a des inquiétudes, travaillons ensemble pour y répondre.
Monsieur Richard, le calendrier est clair. Il y a des élections professionnelles au début du mois de décembre. Vous comprenez bien que je ne peux pas discuter d’une réforme quand les syndicats sont en campagne. J’attends que les policiers élisent leurs représentants syndicaux.
Des expérimentations se sont déjà déroulées outre-mer. M. Thani Mohamed Soilihi, sénateur de Mayotte, pourrait peut-être témoigner du fait que la direction technique de la police nationale est désormais plus efficace. En Guyane, même le procureur général en convient. En Martinique et en Guadeloupe, c’est pareil. Je reviens de Savoie, où un syndicat de police vient de faire son congrès ; tout le monde considère que les choses s’y passent bien. Certes, il peut y avoir des difficultés ailleurs. Mais nous devons attendre le retour de ces expérimentations. J’ai demandé un rapport avec les contributions de l’inspection générale de l’administration, de l’inspection générale de la police nationale et de l’inspection générale des services judiciaires. Il y aura également un rapport du Sénat et un rapport de l’Assemblée nationale.
Le 15 décembre, je serai en possession de ces documents. Je demanderai aux syndicats de venir me voir. Nous discuterons de la réforme à ce moment-là, en amendant ce qui devra être amendé.
Mesdames, messieurs les sénateurs, on ne peut pas rester dans un monde où on ne se réfère qu’à Clemenceau ! Je ne serai évidemment jamais à la hauteur de ce grand personnage, pas même à la hauteur du petit doigt de l’orteil ou de la moustache, monsieur Karoutchi… (Sourires.)