Mme la présidente. La parole est à M. Denis Bouad. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

M. Denis Bouad. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nombre de personnes de ma génération, je puis me souvenir du temps où le dérèglement climatique était avant tout un sujet porté par les scientifiques, qui nous alertaient sur les variations du climat à venir et leurs conséquences. À cette époque, il pouvait arriver que leur parole soit remise en cause…

Mes chers collègues, aujourd’hui, l’heure n’est plus à la prévision scientifique : le changement climatique est d’ores et déjà une réalité sur nos territoires. Cette réalité a un impact aujourd’hui, et ce sera encore plus le cas demain.

Face à ce phénomène, nos agriculteurs sont les premiers concernés. La ferme France est en première ligne. Que l’on parle de sécheresse, d’inondation, de gel ou de grêle, les aléas climatiques sont de plus en plus fréquents et intenses. J’ai l’habitude de dire que le risque aléatoire qui pesait naturellement sur les récoltes de nos agriculteurs se transforme d’année en année en un risque certain.

Nous en avons eu une nouvelle illustration avec le terrible gel du mois d’avril dernier. À la suite à cet épisode, j’ai passé trois jours aux côtés d’agriculteurs en détresse un peu partout dans mon département, le Gard.

Je ne puis qu’être en accord avec vous, monsieur le ministre, lorsque vous qualifiez cet événement de « plus grande catastrophe agroéconomique de ce début de siècle ». Malheureusement, derrière ces catastrophes agricoles, il y a des catastrophes humaines.

Monsieur le ministre, dans le cadre des traditionnelles questions d’actualité au Gouvernement, je vous interrogeais un peu après ces événements, au nom du groupe socialiste, sur le sujet de l’assurance récolte.

Dans ma question, je revenais sur trois points qui nous semblent particulièrement importants : un recours massif à la solidarité nationale au nom de notre souveraineté alimentaire ; une application maximale du règlement Omnibus pour une assurance plus attractive ; enfin, la création d’un pool d’assurances permettant la mutualisation des risques.

Comme l’a indiqué mon collègue Franck Montaugé, il est clair que le projet de loi qui nous est présenté répond à certaines attentes formulées avec constance par notre groupe. En cohérence avec les positions qui ont toujours été les nôtres, nous accorderons donc un vote favorable à ce projet de loi.

Pour autant, nous tenons à vous faire part, monsieur le ministre, de nos réserves et de nos points de vigilance.

Comme cela a déjà été dit, ce projet de loi renvoie nombre de décisions à de futures ordonnances. En ce sens, nos réserves concernent moins ce qui est inscrit dans le texte que ce qui, malheureusement, n’y figure pas. Nous espérons que vous saurez nous entendre, monsieur le ministre, car nous souhaitons la réussite de cette réforme, qui est indispensable pour sécuriser les agriculteurs français et préserver notre souveraineté alimentaire.

Néanmoins, pour atteindre cet objectif, certains sujets majeurs devront être traités.

Tout d’abord, il nous faut garantir le caractère universel de ce nouveau système. Chaque filière, chaque culture, chaque agriculteur doit avoir accès à un contrat d’assurance acceptable. Cette exigence doit faire partie du contrat d’engagement qui lie l’État et les assureurs dans le cadre de ce nouveau système à trois étages.

Bien entendu, cette question est liée à celle, plus globale, de l’attractivité de l’assurance multirisque climatique. Alors que cette dernière ne couvre aujourd’hui que 18 % de la surface agricole du pays, les niveaux de franchise et de subvention, ainsi que les différents seuils qui seront fixés par ordonnance, devront permettre d’accroître considérablement ce chiffre.

C’est seulement de cette manière que l’on pourra rendre l’agriculture française plus résiliente face au changement climatique, et le succès de cette réforme se mesurera très facilement en fonction de la hausse du nombre d’agriculteurs souscrivant à une assurance multirisque climatique.

En parallèle, plus le nombre d’assurés sera important, plus le risque sera dilué dans l’espace et plus le recours à la solidarité nationale et à la PAC sera massif.

Les conditions incitatives qui permettront de lancer le dispositif devront être garanties sur le long terme. Il s’agit d’éviter toute nouvelle désillusion pour nos agriculteurs et d’être en cohérence avec l’objectif affiché : sécuriser la ferme France sur le long terme.

Enfin, monsieur le ministre, quelle que soit leur culture et quelle que soit leur implantation géographique, les agriculteurs sont tous confrontés à une même problématique : la référence olympique – un véritable frein à l’assurance.

C’est pour cette raison que ce processus législatif doit impérativement s’accompagner d’un engagement de la France au sein des instances internationales, pour modifier en profondeur ce règlement issu des accords de Marrakech.

Monsieur le ministre, au cours des cinq dernières années, la quasi-totalité des agriculteurs de mon département a connu trois sinistres. La présidence française du Conseil de l’Union européenne doit nous permettre de porter avec force ce sujet au sein de l’Organisation mondiale du commerce. Nous devons à tout prix saisir cette occasion. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Rietmann. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Olivier Rietmann. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment accueillir ce texte autrement qu’avec bienveillance et ouverture ?

Il paraît inutile de revenir sur le bien-fondé du projet de loi, car il n’y a pas de débat : réformer les outils de gestion des risques climatiques est crucial pour l’avenir de nos agriculteurs, mais aussi pour la sécurité alimentaire de notre pays.

Si le sujet est suivi depuis des années par le Sénat, il est en revanche étonnant, voire regrettable, que le Gouvernement ait attendu le gel catastrophique du printemps dernier pour légiférer.

Dans la Haute-Saône comme dans d’autres départements, le souvenir du gel d’avril 2021 est encore dans tous les esprits. Celui-ci avait détruit la quasi-totalité des fleurs des cerisiers de Fougerolles, exaspérant les exploitants, qui, quelques mois plus tard, étaient touchés par des pluies discontinues faisant pourrir les fruits rescapés.

Le système actuel est à bout de souffle ; nous devons donc le réformer, dans la plus grande clarté, si nous voulons vraiment faire changer les choses.

C’est malheureusement cette clarté qui fait défaut au projet de loi, tel qu’il nous a été présenté par le Gouvernement.

Les demandes et les propositions qui sont aujourd’hui formulées par notre rapporteur, Laurent Duplomb, que je remercie de son travail exigeant et constructif, appellent de la part du Gouvernement, plus que des réponses : de vrais engagements.

Je voudrais revenir sur trois points en particulier.

Tout d’abord, il est clair que le régime actuel des calamités agricoles ne favorise pas les exploitants diversifiés, en raison du seuil de 13 % de pertes du produit brut de l’exploitation.

C’était d’ailleurs la situation rencontrée par les propriétaires des cerisiers haut-saônois, qui, de ce fait, n’avaient pas été indemnisés. Le système proposé par notre commission prend seulement en compte le taux de pertes de l’exploitant pour déterminer si l’indemnisation par l’État est mise en œuvre. Cela revient à supprimer le seuil de 13 %, ce qui est favorable à la diversification. Le dispositif proposé doit être pérennisé.

Ensuite, je veux revenir sur la reconnaissance de l’état de calamité agricole et le déclenchement de l’indemnisation dès que les pertes dépassent un certain seuil déterminé par décret.

Comme nombre de mes collègues sur ces travées, je souhaite, monsieur le ministre, que vous vous engagiez, pour les cinq premières années, à maintenir ce seuil à 30 % pour les prairies et les vergers. À défaut, nous manquerions notre cible et nous ne parviendrions pas à inciter réellement les agriculteurs à souscrire des contrats d’assurance.

Sur ce même volet, même si notre pouvoir d’initiative est presque nul, j’insiste, tout comme notre rapporteur et mes collègues, sur la nécessité de repenser la manière de calculer la moyenne de production des exploitants.

Le système de la moyenne olympique est dépassé, comme en attestent avec vigueur les dossiers sur lesquels je n’ai eu de cesse d’appeler votre attention ces derniers mois, monsieur le ministre. La présidence française du Conseil de l’Union européenne doit permettre de faire évoluer ce dossier éminent. Rappelons à ce propos que le règlement Omnibus n’est toujours pas appliqué dans sa totalité, ce qui prive les agriculteurs d’aides auxquelles ils ont droit.

Je souhaiterais enfin attirer votre attention sur une disposition importante introduite par notre rapporteur : la possibilité d’une contre-enquête sur le terrain pour vérifier le niveau estimé des pertes. Nous ne pouvons confier l’évaluation de ces dernières à des satellites sans qu’une contestation soit possible.

Le nouvel article 3 bis prévoit donc une voie de recours collective pour un certain nombre d’agriculteurs, dans une zone donnée, s’ils constatent que les pertes estimées sont minorées par rapport aux pertes réellement constatées.

Sans un engagement ferme du Gouvernement sur ces différents points, ce nouveau mécanisme sera vidé de sa substance, ce que nous voulons à tout prix éviter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Franck Menonville applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de lagriculture et de lalimentation. Je voudrais revenir sur quelques points soulevés par différents orateurs, de manière à éclairer les débats.

Tout d’abord, nombreux sont ceux qui ont demandé pourquoi un tel projet de loi était nécessaire.

Pour ma part, je fais totalement miens les propos de MM. Gremillet et Menonville, selon lesquels il s’agit d’un projet de loi historique. Je pense en effet que vous allez adopter le principal outil de pilotage des politiques agricoles depuis l’instauration de la politique agricole commune ; d’ailleurs, c’est ce que font aujourd’hui les Espagnols. Il nous faut donc absolument aller jusqu’au bout de cette réforme.

Certains nous accusent d’agir par opportunisme du fait des échéances électorales. Très sincèrement, s’il y a bien un ministre qui a passé de nombreuses heures à débattre avec vous de textes législatifs ô combien complexes – citons, parmi les plus récents, la loi visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Égalim 2 –, c’est bien moi !

Surtout, le travail sur l’assurance récolte a commencé il y a très longtemps. Retraçons-en les principales étapes. La résolution adoptée en 2016 par votre assemblée sur l’initiative de M. Henri Cabanel invitait simplement à financer l’assurance récolte au sein du second pilier de la PAC ; autrement dit, les agriculteurs financeraient les agriculteurs !

Quant à la proposition de loi déposée en 2015 par M. Lenoir, elle prévoyait que les agriculteurs seraient couverts par une sorte de réserve spéciale d’exploitation : là encore, les agriculteurs se financeraient mutuellement.

En somme, pendant de nombreuses années, on a cherché à améliorer le système existant, mais en disant aux agriculteurs que cette amélioration se ferait sans avoir recours à la solidarité nationale. Voilà la réalité !

Pour notre part, nous avons travaillé ardemment pour monter ce nouveau système en nous inspirant d’exemples étrangers, notamment du système espagnol, qui est fondé sur la solidarité nationale. C’est bien la priorité absolue de ce texte : le système ne peut fonctionner que si la solidarité nationale vient en complément des mécanismes assurantiels.

Cela m’amène à vous répondre, monsieur Segouin, sur la question du financement. J’ai toujours été très clair sur le passage de 300 millions d’euros à 600 millions d’euros. N’allez pas ensuite corriger vos propos : je l’ai répété à cette tribune il y a quelques minutes !

Les 300 millions d’euros actuels regroupent les fonds issus du second pilier de la PAC, de la contribution des agriculteurs et du budget national. Le passage à 600 millions d’euros proviendra pour une part modeste du second pilier, dont la contribution passera de 150 à 185 millions d’euros.

La question d’une contribution accrue par les agriculteurs pourra également se poser ; vous avez dit que c’était décidé, mais pour ma part je n’ai rien acté du tout ! Certes, certains agriculteurs le proposent, mais je ne me suis jamais exprimé sur ce point. Ce que j’ai toujours dit, en revanche, c’est que le complément de financement devait provenir de la solidarité nationale.

Précisons qu’il s’agit bien du budget général de l’État, en sus du budget de mon ministère : il ne convient pas simplement de ponctionner celui-ci au prix d’économies sur d’autres programmes. J’ai toujours été très clair sur ce point.

Vous avez également abordé la question de la solidarité nationale, messieurs Gay et Salmon, et j’ai vu M. le rapporteur esquisser à ces moments de vos discours un geste exprimant une réaction semblable à la mienne ! Vous avez affirmé que cette réforme serait impossible, car elle irait à l’encontre de je ne sais quelle idée que vous vous faites de la solidarité nationale.

Je vous montre que le fondement de ce projet de loi est de faire passer l’enveloppe de 300 millions d’euros à 600 millions d’euros, et vous parvenez tout de même à parler de désengagement de l’État : c’est absolument merveilleux ! (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)

Mieux encore, monsieur Salmon, vous affirmez que ce serait offrir la mainmise aux assureurs. Je vous ai pourtant déjà expliqué ici l’unique objet de l’article 7 de ce texte, que M. Segouin accuse d’ailleurs d’aller beaucoup trop loin : serrer la ceinture des assureurs. D’ailleurs, si ces derniers étaient contents de ce projet de loi, cela se saurait !

Je ne sais donc plus quoi faire pour réussir à vous contenter… Quand je vous dis que l’on va avoir recours à la solidarité nationale et serrer la ceinture des assureurs, j’entends les critiques constructives de M. Segouin, qui est dans son rôle, mais je réitère qu’il faut oser aller dans cette voie. En effet, si l’on ne contraint pas les assureurs, les agriculteurs ne bénéficieront pas de cette réforme, à l’encontre de l’objectif même de cette dernière.

Concernant la mise en œuvre de ce texte, j’ai toujours été opposé à l’idée de conditionner quoi que ce soit à la souscription d’une assurance : il faut agir par le biais d’incitations, non de conditions.

Quant à la moyenne olympique évoquée par MM. Montaugé et Bouad, ainsi que par M. le rapporteur, elle découle non pas de la législation européenne, mais de règles de l’OMC, ce qui crée encore plus de complexité.

Conformément à ce que j’ai toujours affirmé, l’année 2022 doit donc voir non seulement la finalisation de ce projet de loi et la mise en place de l’ensemble des dispositifs prévus, mais aussi l’ouverture à l’échelle internationale de discussions sur ce sujet, parce que l’on sait bien que, si de tels référentiels sont nécessaires, leur application peut en revanche se révéler très pénalisante dans certains territoires.

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture

Chapitre Ier

Dispositions modifiant le code rural et de la pêche maritime

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

Avant l’article 1er

Mme la présidente. L’amendement n° 92, présenté par M. Duplomb, au nom de la commission des affaires économiques, est ainsi libellé :

I. – Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Le présent article fixe les objectifs, la stratégie et la programmation financière et opérationnelle de l’intervention de l’État pour renforcer la résilience de l’agriculture française face au changement climatique par le biais d’une mobilisation d’un système universel de gestion des risques en agriculture pour la période 2023 à 2030.

Cette programmation, qui contribue à assurer la pérennité et la résilience des systèmes de production agricole dans un contexte d’accélération du changement climatique, en garantissant l’accès des agriculteurs à un système universel de gestion des risques climatiques en agriculture, vise trois objectifs :

1° Développer des dispositifs de prévention et de protection adaptés à toutes les cultures ;

2° Créer et mieux diffuser des produits d’assurance et des mécanismes d’indemnisation efficaces et complémentaires entre eux, en accompagnement de stratégies d’adaptation des filières et des bassins de production ;

3° Appliquer systématiquement un principe de solidarité nationale pour préserver la pérennité des cultures agricoles.

Les dépenses publiques prévisionnelles pour atteindre ces objectifs s’inscrivent dans la perspective d’une enveloppe annuelle de 600 millions d’euros par an sur la période 2023-2030.

II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigé :

Chapitre…

Programmation des interventions publiques pour promouvoir une meilleure résilience de l’agriculture française face au changement climatique par la mobilisation de divers outils de gestion des risques

La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Avant de présenter cet amendement, je voudrais revenir sur un point que vous avez omis de mentionner, monsieur le ministre.

Le Fonds national de gestion des risques en agriculture est déjà partiellement constitué à partir de la contribution versée par les agriculteurs avec leurs primes d’assurance. Cette contribution aurait normalement dû s’élever chaque année à 70 millions d’euros, mais seuls 60 millions d’euros allaient de fait à ce fonds : l’État prélevait 10 millions d’euros sans véritablement les rendre par la suite.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Rappelons aussi que, en 2015 – ce n’est pas si ancien ! – l’État a ponctionné ce même fonds de 255 millions d’euros ! (M. René-Paul Savary sexclame.)

Ce fonds s’est révélé excédentaire à de nombreuses reprises, mais l’État s’est fait chaque fois un malin plaisir de récupérer une très large partie de ces excédents. Dès lors, monsieur le ministre, s’il est vrai que le système ne fonctionnait plus, c’est la faute de tout le monde, mais en particulier de l’État !

Pour en venir à cet amendement, son objet découle de l’ambition que j’ai exposée dans la discussion générale : nous entendons faire de ce texte, qui visait à l’origine seulement à améliorer l’assurance récolte, un projet de loi d’orientation budgétaire. Dès lors, il nous a semblé important d’y faire figurer le montant de ce budget.

Cet amendement vise donc à introduire dans le texte un nouvel article avant l’article 1er ; outre les trois objectifs figurant déjà à l’article 1er bis, que je vous inviterai à supprimer par voie de conséquence, y sera clairement inscrit que le budget annuel prévisionnel sera de 600 millions d’euros.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Julien Denormandie, ministre. Je demanderai le retrait de cet amendement pour deux raisons, l’une de fond et l’autre de forme.

En premier lieu, sur le fond, un point me gêne dans votre amendement, monsieur le rapporteur : le montant de 600 millions d’euros que vous voulez ici inscrire dans le texte correspondrait aux sommes engagées à la fois pour les dispositifs d’assurance et pour les programmes de prévention et de protection.

Or, au vu des engagements que j’ai pris, on sera largement au-dessus de cette somme dès 2023, puisqu’il faut ajouter aux 600 millions d’euros annoncés pour l’assurance les investissements lancés dès aujourd’hui pour les matériels de prévention et de protection. Vous êtes donc moins-disant que le Gouvernement ! Je tenais à vous en informer, mais c’est évidemment à vous d’en décider.

En second lieu, formellement, une telle disposition relève à l’évidence des lois de finances.

Toutefois, je tiens surtout à redire, autant de fois qu’il sera nécessaire, que l’engagement que nous avons pris porte bien sur la somme que j’ai annoncée à M. Segouin il y a un instant. Il n’y a donc dans cet amendement que des choses que j’ai déjà dites !

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Raison de plus pour l’adopter !

M. Julien Denormandie, ministre. Votre amendement ne me pose aucun problème sur le fond, si ce n’est que je suis mieux-disant : les 600 millions d’euros que vous voulez inscrire ici seront inférieurs, dès 2023, à ce que je propose.

Enfin, je le répète, de telles dispositions relèvent de la loi de finances.

Le Gouvernement demande donc le retrait de cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Segouin, pour explication de vote.

M. Vincent Segouin. Monsieur le ministre, vous nous donnez la confirmation de ce que je disais tout à l’heure : rien n’est budgétisé, les 600 millions d’euros que vous annoncez ont été calculés au doigt mouillé !

Vous venez en effet de nous avouer que dépenser 600 millions d’euros serait beaucoup trop juste et qu’il faudrait bien plus pour la réforme que vous avez annoncée ; c’est tout à fait ce que je dénonçais !

En outre, vous ne m’avez apporté aucune réponse quant au fait que l’on gère ici l’argent public selon le principe du « quoi qu’il en coûte », sans avoir rien à faire, une fois de plus, du montant de la dette.

Mme la présidente. La parole est à M. Franck Montaugé, pour explication de vote.

M. Franck Montaugé. Nous recevons favorablement cet amendement, qui tend à offrir une perspective plus longue, en définissant un cadre d’objectifs pluriannuel.

Faire ainsi de ce texte un projet de loi d’orientation me paraît une excellente idée, qui nous permet de surcroît, en tant que parlementaires, de nous affranchir quelque peu des contraintes de l’article 40 de la Constitution. Cette affaire est loin d’être négligeable ! Cela nous place aussi en responsabilité. Nous avons tous à cœur de faire progresser l’agriculture et de protéger nos agriculteurs au regard des contraintes climatiques.

Mon groupe estime donc que cette proposition très concrète et pragmatique va dans le bon sens ; elle nous aidera à progresser collectivement.

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Laurent Duplomb, rapporteur. Monsieur le ministre, la somme que nous entendons inscrire ici dans le texte est prévisionnelle. Qui peut le plus peut le moins : si vous pouvez dépenser plus, nous vous en félicitons !

En outre, nous n’entendons pas présager des décisions gouvernementales. Nous nous en sommes tenus à 600 millions d’euros, parce que telle est la somme que le Président de la République a annoncée au festival des Terres de Jim et que vous l’avez citée vous-même une multitude de fois, que ce soit dans des interviews, à l’Assemblée nationale ou encore à l’instant dans la discussion générale.

Pour ne pas être frappés du couperet de l’article 40, qui nous menace continuellement, nous nous sommes bien gardés de dépasser cette somme. En revanche, si, à quelques semaines de l’élection présidentielle, vous annoncez davantage, nous sommes preneurs et nous disons banco !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre. En ce qui concerne l’article 40 de la Constitution, je n’y suis pour rien !

Monsieur Segouin, ce que vous avez déclaré quant au fait que la somme de 600 millions d’euros est inférieure aux dépenses prévues par le Gouvernement ne correspond pas à ce que j’ai expliqué dans mon avis sur cet amendement. Tel que celui-ci est rédigé, ladite somme couvrirait à la fois le financement de l’assurance récolte et les investissements menés au titre de la prévention et de la protection.

Près de 380 millions d’euros sont déjà engagés en 2021 et 2022 pour la prévention et la protection dans le cadre du plan France Relance. Il a en outre déjà été annoncé que 2,8 milliards d’euros seront investis dans l’agriculture au sein du plan France 2030. Évidemment, ces sommes seront, elles aussi, investies dans la prévention et la protection. C’est pour cette raison que nous serons au total très largement au-dessus de 600 millions d’euros, et non pas parce que nous aurions mal évalué le coût du mécanisme d’assurance récolte.

Enfin, monsieur le rapporteur, vous avez justement dit que cet amendement est de caractère indicatif et non normatif. Mais c’est à vous de décider de ce que vous voulez faire figurer dans ce texte.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 92.

(Lamendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l’article 1er.

Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 92
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article 1er bis (Texte non modifié par la commission)

Article 1er

(Non modifié)

Au début du chapitre Ier du titre VI du livre III du code rural et de la pêche maritime, il est ajouté un article L. 361-1 A ainsi rédigé :

« Art. L. 361-1 A. – Les exploitants agricoles subissant des pertes de récoltes ou de cultures liées à des dommages du fait d’aléas climatiques perçoivent, outre, le cas échéant, les indemnisations dues au titre des contrats d’assurance mentionnés à l’article L. 361-4, une indemnisation fondée sur la solidarité nationale dans les conditions précisées à l’article L. 361-4-1, s’ils n’ont pas souscrit d’autres contrats couvrant ces pertes. »

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Lahellec, sur l’article.

M. Gérard Lahellec. L’article 40 de la Constitution nous empêche une nouvelle fois de mener un débat de fond sur une question aussi essentielle que le modèle à retenir en matière de protection contre les risques climatiques et, par conséquent, de préservation de notre souveraineté alimentaire.

Nous avons pourtant véritablement besoin d’un système solidaire universel. Cela nécessiterait un régime public partagé d’assurance et de gestion des risques en agriculture, avec des sections spécifiques et des missions élargies, qui ne se limiteraient d’ailleurs pas aux seuls aléas climatiques.

À nos yeux, un tel dispositif prolongerait utilement le travail accompli ici par la commission des affaires économiques.

Un système solidaire de cette nature, destiné aux exploitations agricoles économiquement en difficulté, permettrait de porter à 100 % l’aide versée pour couvrir les pertes causées par des aléas climatiques. Il permettrait en outre de supprimer la mesure discriminatoire aux termes de laquelle les exploitants n’ayant pas souscrit d’assurance seraient pénalisés, alors même qu’ils rencontrent souvent des difficultés économiques.

Ces dispositifs ne sont malheureusement pas au rendez-vous. Permettez-moi donc, mes chers collègues, de regretter le risque inhérent à ces dispositions, qui consistent en fin de compte à laisser certains agriculteurs sur le bord de la route.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.

(Larticle 1er est adopté.)

Article 1er (Texte non modifié par la commission)
Dossier législatif : projet de loi d'orientation relative à une meilleure diffusion de l'assurance récolte en agriculture et portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Article additionnel après l'article 16 (priorité) - Amendement n° 103

Article 1er bis

(Non modifié)

Le 16° du I de l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime est complété par les mots : « et notamment, à ce titre, d’assurer la pérennité et la résilience des systèmes de production agricole dans un contexte d’accélération du changement climatique, en garantissant l’accès des agriculteurs à un système universel de gestion des risques climatiques en agriculture, par le développement de dispositifs de prévention et de protection adaptés, la diffusion de produits d’assurance et de mécanismes d’indemnisation efficaces et complémentaires entre eux, en accompagnement de stratégies d’adaptation des filières et des bassins de production, et l’application systématique d’un principe de solidarité nationale ».