Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Patrice Joly, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des finances a souhaité se saisir pour avis de ce projet de loi, eu égard aux enjeux budgétaires sous-jacents pour l’agriculture.
Le constat suivant est unanimement partagé : la multiplication des aléas climatiques nous oblige à repenser collectivement les dispositifs de soutien aux mesures d’indemnisation et, parallèlement, les pratiques agricoles elles-mêmes, selon une logique de prévention et d’adaptation.
L’indemnisation est l’objectif de ce projet de loi, dont je partage l’ambition générale.
En tant que rapporteur pour avis de la commission des finances et rapporteur spécial de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », je me suis intéressé au coût de cette réforme. Le Gouvernement a annoncé un doublement des moyens alloués à la gestion des risques climatiques en agriculture, qui passeraient de 300 millions à 600 millions d’euros par an dès l’année prochaine, sans davantage de précisions quant à la ventilation de cette enveloppe.
Le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) consacrera 185 millions d’euros en moyenne par an aux subventions à l’assurance multirisque climatique, contre 150 millions d’euros actuellement. Les agriculteurs contribueraient quant à eux davantage au financement du Fonds national de gestion des risques en agriculture via un doublement du taux de la contribution additionnelle qu’ils acquittent, le reste étant financé par l’État.
Toutefois, le projet de loi ne comporte aucune disposition fiscale ou budgétaire, les arbitrages sur le financement de la réforme étant renvoyés au projet de loi de finances pour 2023.
Je regrette vivement cet angle mort, qui ne permet pas d’apprécier pleinement la portée des dispositifs proposés.
Surtout, la détermination des quatre paramètres de la réforme, à savoir le taux de franchise et le taux de subvention par filière, le seuil d’intervention et le taux d’indemnisation par l’État par filière, seront définis par voie réglementaire, laissant peu de visibilité aux exploitants agricoles, comme le rappelait M. le rapporteur.
Ainsi la commission des finances a-t-elle adopté, de concert avec Laurent Duplomb, deux amendements visant à offrir davantage de garanties aux exploitants sur l’application des paramètres dans la durée et sur les conditions de détermination de ces paramètres. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Vincent Segouin applaudit également.)
M. Laurent Duplomb, rapporteur. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Claude Nougein, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur pour avis de la commission des finances, je me suis plus particulièrement intéressé aux articles 7 et 10 du projet de loi. En effet, ces articles traitent plus directement de la « mécanique » assurantielle, qui est au cœur des compétences de notre commission.
Je ne reviendrai pas sur l’article 10, qui traite d’un sujet plus transversal que la gestion des risques climatiques en agriculture.
Quant à l’article 7 du projet de loi, il constitue un élément central de la réforme de la gouvernance qui nous est proposée. Il habilite le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour mettre en place une structure de coopération entre les assureurs.
Eu égard aux difficultés structurelles de ce marché, le regroupement d’assureurs présente deux avantages majeurs, à savoir une meilleure connaissance et une mutualisation accrue des risques.
Si le principe me semble pertinent, ma critique porte sur la méthode choisie par le Gouvernement. En effet, l’article 7 ne définit même pas les grands principes d’un tel groupement. Il ne tranche pas la question de sa future architecture et prévoit une habilitation suffisamment large pour couvrir tous les scénarios possibles.
Les auditions que nous avons menées témoignent d’ailleurs du long chemin qu’il reste à parcourir pour que ce groupement voie le jour.
Si la méthode est contestable, c’est aussi parce qu’il est prévu, pour traiter un sujet aussi déterminant pour le succès de cette réforme, de recourir à des ordonnances, privant ainsi le Parlement d’un réel débat sur ce groupement. Certes, le sujet est technique, mais il procède aussi de choix politiques : quel degré de concurrence entre les assureurs faut-il instaurer sur ce marché ? Comment rendre ce marché attractif pour permettre l’arrivée de nouveaux acteurs et étoffer l’offre dont bénéficient les exploitants agricoles ?
Je m’étonne d’ailleurs que le Gouvernement ne soit pas capable de proposer un texte plus abouti, compte tenu des travaux de réflexion conduits avant le dépôt du projet de loi.
Par conséquent, la commission des finances a proposé, en accord avec M. le rapporteur au fond, Laurent Duplomb, plusieurs amendements visant à resserrer le champ de l’habilitation, afin que cet article ne constitue pas un blanc-seing. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Demande de priorité
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Monsieur le ministre, au vu du caractère chargé de l’actualité, nous vous remercions de votre présence et vous pardonnons bien volontiers vos quelques minutes de retard. Nous sommes attachés à la qualité du dialogue qui va s’engager.
Mes chers collègues, pour la clarté des débats, je demande, en application de l’alinéa 6 de l’article 44 du règlement, l’examen par priorité de l’amendement n° 103 de la commission des affaires économiques, dont la discussion est actuellement placée après celle de l’article 16. Nous souhaitons en effet que cet amendement soit examiné avant l’article 2 afin que nous puissions débattre dès ce moment avec M. le ministre des taux que nous proposons. Il nous semble que le sujet dont il est question a toute sa place au cœur du débat sur l’article 1er.
Mme la présidente. Je suis donc saisie, par la commission des affaires économiques, d’une demande de priorité portant sur l’amendement n° 103 tendant à insérer un article additionnel après l’article 16, afin qu’il soit examiné avant l’article 2.
Je rappelle que, aux termes de l’article 44, alinéa 6, du règlement du Sénat, lorsqu’elle est demandée par la commission saisie au fond, la priorité est de droit, sauf opposition du Gouvernement.
Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de priorité formulée par la commission ?
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Franck Menonville. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC.)
M. Franck Menonville. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la réforme de l’assurance récolte est très attendue. Les agriculteurs sont très régulièrement confrontés aux effets du changement climatique, dont la fréquence et l’intensité croissante fragilisent leurs revenus.
Le montant des dégâts causés par ces événements climatiques extrêmes entre 2016 et 2019 a été estimé à près de 2 milliards d’euros. L’épisode de gel d’avril 2021 a terminé de démontrer qu’il était nécessaire de refonder et de réformer nos outils de gestion de crise, en particulier nos outils assurantiels.
Notre système de gestion des risques est à bout de souffle. Il manque de lisibilité et surtout d’attractivité pour les agriculteurs.
Nous disposons, à ce jour, de trois outils. Le premier est l’assurance contre les pertes de récolte dite « multirisque climatique » (MRC) pour les cultures assurables. Le deuxième est l’assurance monorisque contre le risque de grêle et de tempête, qui comprend parfois une garantie complémentaire en cas de gel. Le troisième est l’indemnisation des calamités agricoles, laquelle repose sur un système de solidarité nationale pour les cultures considérées comme non assurables.
Or force est de constater que ces outils ne sont plus suffisamment adaptés aux besoins des exploitations actuelles et à l’exposition croissante de notre agriculture aux effets du réchauffement climatique. L’assurance MRC reste trop peu souscrite : seulement 18 % des exploitations françaises sont couvertes.
On constate aussi de grandes disparités entre les productions. Le champ d’application du régime d’indemnisation des calamités agricoles a, quant à lui, été considérablement réduit. Ainsi, hors prairies, 96 % des surfaces agricoles sont exclues du bénéfice du régime des calamités agricoles.
Le système assurantiel doit donc évoluer. Ce projet de loi vise à simplifier et à solidifier l’architecture financière des outils publics de gestion des risques en agriculture. Le Sénat est mobilisé depuis longtemps sur ce sujet. Deux propositions de loi et une proposition de résolution ont été adoptées ; une mission d’information et un groupe d’études, présidé par notre rapporteur, Laurent Duplomb, ont été constitués.
Ce projet de loi tend à généraliser la couverture de l’assurance multirisque climatique et à assurer une meilleure répartition de la prise en charge entre les acteurs. Il tend également à créer une complémentarité entre les calamités agricoles et le système assurantiel grâce à la mise en œuvre d’un système à trois étages.
Cette réforme doit permettre d’assurer la pérennité de l’offre assurantielle. La mise en place d’un pool d’assureurs basé sur la mutualisation des risques est le seul moyen d’équilibrer le système, et de garantir une offre raisonnable et adaptée. Ce dispositif est, à mon sens, la clé de voûte de cette réforme. Il permet de créer une offre solide, pérenne, cohérente et universelle.
Ce pool, grâce au partage d’informations, doit aussi permettre de proposer des offres plus adaptées, recouvrant plus de territoires et de cultures. Aucune culture ni aucun risque ne doit être exclu de l’offre assurantielle. Il ne faut pas non plus que la couverture de certains risques soit laissée à la seule liberté des assureurs. L’obligation d’adhérer à ce pool prend là toute son importance.
Le succès du dispositif passera par l’attractivité des offres assurantielles proposées, mais également par la pérennisation des soutiens européens. Je suis, sur ce point, totalement d’accord avec M. le rapporteur : nous devons exploiter au maximum les possibilités offertes par le règlement Omnibus.
L’acceptation de la réforme passera aussi par un fort niveau de garantie dans le temps des soutiens financiers de l’État, et donc de la solidarité nationale. L’État doit garantir et pérenniser son niveau d’aide, qui devrait doubler pour atteindre 600 millions par an.
Enfin, monsieur le ministre, permettez-moi de saluer votre engagement et votre volonté de mener à bien ce dossier. Il est question de l’avenir de notre agriculture, de sa résilience et de la résilience de nos exploitations. Il y va aussi du renforcement de notre souveraineté alimentaire.
Cependant, je suis bien conscient que la gestion des risques ne dépend pas seulement du dispositif assurantiel. Il repose également sur la constitution de stocks, sur l’épargne de précaution, sur une meilleure gestion de l’eau, ainsi que sur des évolutions techniques et technologiques. (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.
M. Fabien Gay. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, démarrages de végétation toujours plus précoces, gels destructeurs, grêle, puis canicules avec des températures supérieures à 40 degrés pendant plusieurs semaines, manque de précipitations, rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qui se succèdent, toujours plus alarmants : les aléas d’hier deviennent des risques récurrents aujourd’hui !
C’est pourquoi il est impératif de prendre la mesure des contraintes climatiques qui pèsent et pèseront sur l’ensemble de nos filières agricoles.
C’est cette unique question qui devrait guider les choix d’avenir en matière de prévention et de gestion des risques agricoles. Malheureusement, il n’en est rien. Ici, comme ailleurs, d’autres motivations priment : le marché, la concurrence, la financiarisation, le profit.
Alors que l’ensemble de la profession agricole bénéficiait des garanties minimales d’assurance publique contre les aléas climatiques exceptionnels, le choix a été fait d’affaiblir progressivement le Fonds national de garantie des calamités agricoles, créé en 1964, toujours avec cette même volonté de siphonner les moyens d’un fonds public pour assurer l’extension du secteur privé.
Pourtant, nous le savons, le système assurantiel privé est inefficace et inadapté pour répondre aux enjeux de notre siècle. Il ne survit que grâce aux fonds publics et ne répond pas aux besoins réels des agriculteurs.
Seulement 20 % des surfaces de cultures sont couvertes par un contrat « multirisque climatique récolte » ; ce taux s’élève à seulement 2,5 % pour les filières comme l’arboriculture et est quasi nul pour les prairies.
De plus, ces contrats, qui ne concernent presque aucune structure agricole familiale, ne permettent pas de compenser efficacement une part significative des pertes : problèmes d’estimations, franchises, seuils de déclenchement, complexité en tous genres !
Enfin, ils ne correspondent pas aux capacités financières de la majorité des exploitants familiaux : les assurances privées restent inaccessibles pour toutes les fermes qui ne dégagent que de très faibles revenus.
Le projet de loi dont nous débattons aujourd’hui prend donc la mauvaise direction puisqu’il tend à généraliser les assurances privées via un financement public supplémentaire prélevé sur le budget de la politique agricole commune.
Ce projet de loi, que vous présentez comme universel, laissera plusieurs agriculteurs sans couverture contre les risques. Non seulement vous privez nombreux d’entre eux du dispositif des « calamités agricoles », mais de surcroît vous pénalisez ceux qui n’auront pas souscrit à une assurance puisqu’ils seront moitié moins indemnisés par l’État et qu’ils ne le seront qu’en cas de pertes exceptionnelles.
De plus, vous excluez les productions essentielles, comme le maraîchage diversifié ou l’apiculture, qui ne sont pas assurables alors qu’elles sont en première ligne face au changement climatique, comme le souligne très justement la Confédération paysanne.
Le groupe CRCE est en désaccord avec la majorité de la commission des affaires économiques, qui a même prévu à l’article 3 ter une minoration de l’aide à l’installation si les candidats n’ont pas souscrit à une assurance ou s’ils n’ont pas réalisé un diagnostic de gestion des risques. Selon nous, il conviendrait au contraire de faciliter l’accès aux aides à l’installation !
Enfin, ce projet de loi acte encore un peu plus le retrait de l’État et donne une place centrale aux assureurs dans la gouvernance du nouveau dispositif. Certes, le système actuel présente de nombreux défauts et nécessite une vraie réforme.
Pour notre part, nous pensons qu’il faut définir un nouveau régime ambitieux capable de répondre aux enjeux et aux défis de demain. Nous devons bâtir un régime public, solidaire, mutualisé et couvrant de façon universelle tous les agriculteurs, ainsi que toutes les agricultures.
Ce régime devra disposer de moyens financiers spécifiques et adaptés reprenant l’intégralité des contributions – fonds publics nationaux et européens – déjà existantes, mais il devra aussi être doté de nouvelles ressources. Nous pourrions, par exemple, l’alimenter grâce à des prélèvements sur les revenus financiers des groupes de l’agroalimentaire, de la distribution, de l’industrie des phytosanitaires, des intrants, mais aussi des secteurs bancaires et assurantiels, qui spéculent sur les matières premières agricoles.
La gestion de ce régime devrait être confiée majoritairement aux représentants des professionnels agricoles eux-mêmes. De la sorte, les premiers bénéficiaires du système pourraient définir et adapter directement aux côtés de l’État les critères et les choix de gestion afin d’assurer la plus large couverture possible des pertes subies, tout en jouant un véritable rôle aussi bien en matière d’adaptation des systèmes agricoles aux risques encourus qu’en termes de prévention.
C’est pourquoi, malgré les avancées introduites par la commission des affaires économiques – je pense, en particulier, à la méthode d’évaluation des pertes, à la possibilité de contester celle-ci, ou à la faculté offerte au ministre de plafonner le montant des primes en cas de forte inflation de ces dernières –, nous ne voterons pas en faveur de ce projet de loi, sauf si nos amendements devaient être adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Pierre Louault applaudit également.)
M. Daniel Gremillet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce moment est quelque peu solennel puisque nous sommes en train de rebâtir l’édifice constitué il y a cinquante-huit ans, en 1964. Je le rappelle, car nous avons le devoir – cela a été parfaitement exprimé par notre rapporteur, et j’y reviendrai – d’être au rendez-vous, non seulement des agriculteurs, mais également de la sécurité et de la souveraineté alimentaires de notre pays. (M. Gérard Longuet opine.)
En 1964, on ne parlait pas encore du réchauffement climatique. Pourtant, depuis lors, nous avons connu nombre de situations de crise et d’événements climatiques, car l’agriculture est une activité en lien avec la nature. Quels que soient les gouvernements, durant les cinquante-huit dernières années, l’État a toujours été au rendez-vous aux côtés des paysans.
Nous étions pourtant, à cette époque, dans un schéma très fort. En 1964, on disait déjà aux agriculteurs qu’ils devaient alimenter le Fonds de gestion des calamités agricoles s’ils voulaient en bénéficier. Aucune personne n’alimentant financièrement le fonds ne pouvait prétendre à la solidarité de l’État, y compris par rapport aux dettes.
C’est un point fort. Nous sommes dans un schéma à trois étages : la responsabilité au quotidien de l’agriculteur, quel que soit le type de production ; la responsabilité de l’assureur, auprès de qui un contrat a été souscrit ; et la responsabilité de l’État, voire de l’Union européenne. Sur ce point, je rejoins les propos de M. le rapporteur.
Monsieur le ministre, nous sommes quelque peu frustrés. Certes, nous apprécions l’initiative prise par le Gouvernement de présenter ce texte, mais nous regrettons qu’il soit examiné à toute vitesse, d’autant que l’article 40 ne nous a pas permis de faire un travail approfondi. (M. le ministre s’en défend.) Si l’architecture du texte avait été différente, monsieur le ministre, le travail parlementaire aurait pu être plus complet !
Je tiens à insister sur ce point, car vous l’avez vous-même reconnu : l’opportunité d’un tel rendez-vous ne se présentera pas tous les six mois. C’est même une occasion qui ne nous sera pas offerte de sitôt ! Voilà pourquoi nous avons besoin de certitudes. Or les documents que vous nous avez transmis ne nous en apportent aucune ! (M. le rapporteur le confirme.)
Je remercie donc, ô combien, notre rapporteur du travail qu’il a réalisé, car ce sont les certitudes qu’il apporte, les engagements financiers qui seront pris, qui permettront aux trois étages de fonctionner.
Pour les deux premiers étages de ce dispositif – l’agriculteur et la partie assurantielle –, je ne me fais pas de souci, il y aura consensus. Mais la sécurité financière doit être inscrite sur le papier, un peu comme quand, à l’époque du traité de Rome, nous avions dit aux paysans : « Produisez et nous vous garantirons des revenus ! » C’est ce troisième étage de la fusée qui sera pérennisé aujourd’hui grâce au travail parlementaire. C’est une responsabilité dans le temps, en termes de fonctionnement, mais aussi pour notre sécurité et notre souveraineté alimentaires.
Je dirai également un mot des jeunes agriculteurs. Avec mes collègues, nous avions avancé en 2015 et en 2017 une idée à laquelle ils avaient été très favorables. À l’époque, lorsqu’on souhaitait bénéficier de la dotation jeunes agriculteurs (DJA), il fallait être soumis à la TVA. Je salue d’ailleurs une nouvelle fois le travail très intéressant de notre rapporteur, car il n’est pas illogique, si l’on veut bénéficier de l’argent public lorsque l’on s’engage dans la vie agricole, de participer aux trois étages de la fusée…
En conclusion, monsieur le ministre, j’espère que tout se passera bien en 2022.
Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques. Climatiquement ! (Sourires.)
M. Daniel Gremillet. Certaines compagnies ont en effet augmenté leurs primes d’assurance de 225 %. Un nombre important d’agriculteurs ne sont ainsi plus couverts. Il est urgent d’intervenir et de réagir.
Mon groupe apportera un soutien sans faille au travail réalisé par M. le rapporteur. Il s’agit véritablement de donner une ligne directrice à la production agricole et à la souveraineté alimentaire de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
6
Demande par une commission des prérogatives d’une commission d’enquête
Mme la présidente. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, la commission des affaires sociales demande au Sénat, en application de l’article 5 ter de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, de lui conférer les prérogatives attribuées aux commissions d’enquête, pour une durée de six mois, afin de mener sa mission d’information sur le contrôle des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes.
La conférence des présidents examinera cette demande lors de sa réunion de ce jour à dix-huit heures.
7
Outils de gestion des risques climatiques en agriculture
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des outils de gestion des risques climatiques en agriculture.
Discussion générale (suite)
Mme la présidente. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Daniel Salmon.
M. Daniel Salmon. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà près de trois ans que nous attendons un projet de loi pour renforcer l’indemnisation des agricultrices et des agriculteurs face aux aléas climatiques ! Je note, comme M. le rapporteur, que ce texte arrive opportunément à deux mois de l’élection présidentielle…
Ce projet, monsieur le ministre, a pourtant été promis dans cet hémicycle par votre prédécesseur, Didier Guillaume, le 21 juin 2019, quelques jours après des orages de grêle d’une violence inouïe dans la Drôme et dans l’Isère.
Un an plus tard, le 18 juin 2020, Didier Guillaume promettait une loi avant la fin de l’année. Il nous aura fallu attendre dix-huit mois de plus !
Sans doute avez-vous remis l’ouvrage sur le métier en prenant vos fonctions à l’été 2020, mais, après deux ans et demi de travaux, nous étions en droit d’attendre un meilleur projet que celui que vous soumettez aujourd’hui à notre examen !
Permettez-nous de penser qu’il ne fallait pas deux ans et demi pour mettre d’accord la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA, avec elle-même, et encore…
Pareil projet aurait dû être coconstruit avec l’ensemble des organisations syndicales et approuvé par elles. Nous ne nous étonnons pas, même si nous le regrettons, que vous ne cherchiez pas l’assentiment de la Confédération paysanne, mais nous sommes en revanche frappés de constater que même la Coordination rurale, le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef) et la Fédération nationale bovine s’inquiètent fortement de votre projet !
Celui-ci, dont le cœur sera défini via les décrets d’application, les ordonnances et les futures lois de finances, reste très flou. Il est très loin de prendre suffisamment en compte la recrudescence des aléas climatiques.
Le dérèglement climatique entraîne la multiplication et l’intensification des intempéries de grande ampleur, des inondations, des sécheresses ou des périodes de gel, qui bouleversent en profondeur tout notre système assurantiel.
Aujourd’hui, l’équilibre financier des assurances privées fonctionne grâce à tous ceux qui cotisent sans percevoir. Le risque climatique est d’une échelle bien différente et il peut toucher au même moment des départements entiers, voire tout le pays. Notre modèle assurantiel ne peut pas faire front ; les mécanismes d’abondement publics que sont la catastrophe naturelle et la calamité agricole sont aujourd’hui insuffisants et par trop lacunaires.
Ce qui est potentiellement dévastateur pour les biens immobiliers et mobiliers des Français l’est encore plus pour les agricultrices et agriculteurs, qui peuvent perdre en quelques heures ou en quelques jours une année de revenus.
De plus, le système assurantiel de l’agriculture est déjà défaillant. Le coût des assurances est beaucoup trop élevé pour la grande majorité des agriculteurs. Aujourd’hui, seuls 13 % d’entre eux disposent d’un contrat bien que le système soit déjà largement subventionné par l’État. Je rappelle qu’il a été abondé à hauteur de 150 millions d’euros l’an dernier.
Malgré le prix des contrats, malgré les subventions, le système est déficitaire avec un ratio annuel de sinistralité de 105 %. En d’autres termes, les assurances versent plus qu’elles ne touchent. De ce fait, elles n’hésitent pas à se retirer de certains territoires à risque ou à abandonner le marché après certains épisodes catastrophiques, comme le gel du printemps 2021.
Pour corriger cette faille structurelle du système, votre texte prévoit essentiellement de subventionner davantage les contrats d’assurance…
M. Daniel Salmon. Vous envisagez de quadrupler l’abondement de l’État en 2022 et vous espérez inciter au développement de ces contrats.
Comme beaucoup, nous craignons surtout les effets d’aubaine, notamment un renchérissement des assurances et une reconstitution des marges des assureurs, le tout au détriment des agriculteurs, qui ne seront toujours pas en mesure de se protéger, d’autant que le groupement d’assurance que vous souhaitez créer par ordonnance semble conduire droit à l’instauration d’un oligopole. (Nouvelles dénégations de M. le ministre.) Or n’est-ce pas la concurrence qui conduit souvent à une baisse des prix sur le marché ?
Le système de gouvernance que vous imaginez pour l’ensemble du secteur tend à accorder beaucoup trop de place aux assureurs, au préjudice de la représentation du monde agricole.
Vous créez, de surcroît, un régime à plusieurs vitesses en favorisant la prise en charge publique des agriculteurs assurés au détriment de ceux qui ne le sont pas. Cela ouvrira la voie à un désengagement de la solidarité nationale et fera reculer la protection des cultures non assurables, parmi lesquelles le maraîchage diversifié ou l’apiculture.
À ce stade, l’ensemble de votre dispositif devient vraiment contre-productif : au lieu de protéger les cultures diversifiées plus résilientes face aux aléas, il tend à protéger la monoculture au travers d’un système de calcul incitant toujours davantage à l’accroissement des rendements.
Pis encore, vous proposez de prélever des fonds sur le deuxième pilier de la PAC, au détriment du financement de l’agroécologie et des mesures environnementales, parachevant ainsi l’œuvre de sape du financement de l’agriculture biologique…
Vous l’aurez compris, comme le demande la majorité des organisations syndicales, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera contre votre projet de loi, qui, malgré les améliorations apportées par la commission des affaires économiques du Sénat, n’est rien d’autre qu’un cautère sur une jambe de bois.
Il ne réglera pas grand-chose et sera incapable de faire face à l’inévitable multiplication des aléas climatiques, laquelle engendrera des indemnisations plus importantes.
En raison des contraintes liées à l’article 40, nous n’avons pas pu amender ce texte pour défendre le projet d’assurance mutualiste que nous appelons de nos vœux, c’est-à-dire un projet largement financé par la solidarité nationale et gouverné par les agricultrices et les agriculteurs, ainsi que par la puissance publique !