M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois de plus, le Sénat est arrivé au bout d’un projet de loi « XXL » en y apportant sa touche territoriale.
Plus de 4 200 amendements ont été discutés, des dizaines d’articles ont été ajoutés ou réécrits, en commission et en séance publique. Nous avons réussi à inscrire ce texte dans le concret afin de favoriser une transition réaliste et équilibrée.
Mon groupe tient à saluer le travail remarquable accompli par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en particulier par son président et ses rapporteurs.
Si l’on en croit les discours indignés des adeptes de la décroissance, le Gouvernement aurait déçu les ambitions de la Convention citoyenne pour le climat. Je pense plutôt que le politique a été suffisamment pragmatique pour ne pas reprendre sans filtre toutes les mesures, de bon sens ou non, élaborées par les « 150 ».
En se plongeant dans les centaines de pages du dispositif législatif, un autre diagnostic s’impose : la bien-pensance et la bureaucratie ont trouvé de nombreux terrains d’entente.
Il faut le dire clairement : ce texte est une mine d’or pour tous les administrateurs convaincus que la complexification des normes et l’alourdissement des charges sont les gages d’une action publique vertueuse.
Bien naïf qui croirait que de simples citoyens, confrontés tous les jours à une administration tatillonne, ont pu élaborer des solutions si complexes et si procédurières aux problèmes climatiques sans l’aide bienveillante des fonctionnaires de l’hôtel de Roquelaure.
Les huit parties de ce texte traitent de sujets aussi divers qu’importants. Ainsi, nos débats nous ont conduits de la rénovation des bâtiments à l’écocide en passant par les transports, la publicité, les énergies et l’agriculture. Mais, de manière récurrente, nous avons eu l’impression de passer à côté de sujets primordiaux.
Comment fixer un objectif ambitieux de diminution des émissions de gaz à effet de serre sans se pencher d’un peu plus près sur l’avenir de notre mix énergétique et en se contentant d’évoquer du bout des lèvres la question du nucléaire ? C’est pourtant l’une des clés du problème.
Des sujets comme l’hydrogène ou le transport fluvial auraient également mérité un examen plus approfondi.
Les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires ont fait preuve de vigilance et ont déposé de nombreux amendements, que ce soit en commission ou en séance publique, dont beaucoup ont été adoptés. Ces dispositions traduisent la vision libérale et pragmatique de l’écologie que notre groupe défend depuis sa création.
Il est impératif de conjuguer les dimensions environnementale, économique et sociale pour œuvrer à une transition efficace, rapide et juste, à la fois pour les citoyens et pour les territoires.
Nous avons défendu une vision de l’agriculture alliant des rémunérations dignes de ce nom aux impératifs écologiques. Il faut absolument trouver un consensus dans ce domaine. Arrêtons les surtranspositions et l’autoflagellation ! Sachons reconnaître que notre agriculture est l’une des plus propres et l’une des meilleures du monde. À écouter les intégristes en tout genre, nous finirons par importer n’importe quoi en matière d’alimentation.
M. Rémy Pointereau. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. Ça, c’est dit !
M. Pierre Médevielle. De même, nous avons soutenu le développement des bioliquides et des biocarburants, ainsi que le stockage dans le secteur des énergies renouvelables. Ce sont là autant de sujets essentiels pour l’avenir de la France et même de la planète.
Malgré la densité de ce texte, je tiens à revenir sur quelques sujets majeurs dont notre attention ne doit pas être détournée.
La question de l’énergie nucléaire n’a été qu’effleurée. Or nous pensons que le nucléaire est essentiel à notre bouquet énergétique…
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Pierre Médevielle. …, qu’il sécurise notre approvisionnement et que la France doit continuer à innover dans ce domaine. (Mme Vanina Paoli-Gagin acquiesce.)
Le nucléaire sert d’appui aux innovations dans le champ des énergies renouvelables, au stockage de ces dernières et à leur intégration dans notre mix énergétique.
La problématique du littoral, qui m’est chère, a fait l’objet de discussions intéressantes. En tant que membre du Conservatoire du littoral, j’insiste une nouvelle fois sur l’extraordinaire importance de celui-ci pour l’ensemble du territoire national. (Mme la ministre opine.) Sa protection est notre devoir, tant sa place pour la préservation de la biodiversité et l’équilibre des espèces est primordiale.
Le volet « transports » a été un sujet de réflexions particulièrement intenses. Arrêtons de pénaliser nos propres PME dans le secteur du transport routier de marchandises : il est important de leur donner le temps nécessaire à la transition tout en les accompagnant réellement.
Notre transition doit nous permettre de rester compétitifs : elle ne doit pas détruire nos emplois et notre système économique.
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. Pierre Médevielle. Enfin, la stratégie nationale de lutte contre l’artificialisation des sols illustre, d’une part, le manque de réalisme que traduit parfois ce texte et, d’autre part, l’écart entre l’objectif affiché et les moyens déployés pour l’atteindre.
Pas un seul Français ne se réjouit que notre pays se bétonne à vue d’œil ; mais aucun ne comprendrait que son logement ou son emploi soit soumis à l’application très stricte de règles émises depuis Paris.
Sur ce sujet encore, le Sénat a été force de proposition pour assouplir la mise en œuvre territoriale de la stratégie nationale.
Nous imaginons à peine les contraintes que ce texte risque de faire peser sur le développement de nos territoires, et tout particulièrement de la ruralité, dans les années à venir. Surtout, nous risquons de leur imposer une double peine : non seulement nous les contraindrons dans leur développement, mais nous pénaliserons davantage les territoires vertueux, qui ont peu artificialisé au cours des dernières années.
Les élus de notre groupe ont formulé des propositions afin d’apporter des solutions à ces problèmes.
En matière de transition écologique comme dans de nombreux autres domaines, les solutions ne seront efficaces que si elles sont territorialisées. Cela étant, le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit « projet de loi 3DS », nous fournira l’occasion d’approfondir ces débats.
Le dérèglement climatique est une réalité de tous les jours dans nos territoires, dans le mien, dans le vôtre. Chaque saison se modifie, les sécheresses s’accentuent, les pluies sont désormais diluviennes et nous devons nous adapter rapidement. Mais on ne mènera pas cette adaptation en reculant : c’est pourquoi nous devons trouver des solutions ambitieuses, audacieuses et novatrices. Ces dernières n’auront de sens que si nous travaillons à l’échelle européenne, puis mondiale.
Le chemin est encore long, le défi est immense et nous n’avons d’autre choix que de le relever.
Pour toutes ces raisons, les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce texte à l’unanimité et poursuivront le travail de la transition, en espérant une commission mixte paritaire conclusive ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 148 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 293 |
Pour l’adoption | 193 |
Contre | 100 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer ceux qui ont eu l’initiative de ce projet de loi…
M. Jean-François Husson. Celles et ceux ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Barbara Pompili, ministre. Tout à fait : celles et ceux qui en ont eu l’initiative !
En effet, ce texte a été précédé d’un exercice démocratique inédit. Cette initiative est certainement perfectible, et nous devrons en tirer des leçons, mais elle a eu le mérite d’essayer de répondre au désarroi d’un certain nombre de nos concitoyens qui souhaitent participer à l’exercice de la démocratie, que nous devons tous chercher à réinventer.
Les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat ont déployé beaucoup d’énergie. Ils ont consacré beaucoup de leur temps à ce travail, beaucoup de weekends, qu’ils n’ont pas passés en famille… (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Et nous ?
M. Rémy Pointereau. Et nous alors ?
Mme Barbara Pompili, ministre. Ils ont également pris sur leur temps de travail pour prendre part à cette entreprise, et ce de manière bénévole.
Leur contribution s’est traduite par un certain nombre de décisions et de mesures, prises notamment dans le cadre du présent texte, lequel a ensuite été confié à la représentation nationale.
Certains, moi comprise, exprimaient des réserves à cet égard ; ils redoutaient d’éventuels conflits de légitimité ou encore une opposition entre cette logique et celle de la démocratie représentative. Aujourd’hui, ils peuvent être rassurés : chacun a fait sa part du travail et la démocratie représentative a joué son rôle, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat.
M. Marc-Philippe Daubresse. Vous êtes bien la seule à être rassurée !
Mme Barbara Pompili, ministre. Sur le fond, je rappelle que ce projet de loi s’inscrit dans un ensemble beaucoup plus vaste ; c’est précisément pourquoi un certain nombre de sujets n’y figurent pas. Il vient après d’autres textes, notamment la loi d’orientation des mobilités (LOM)…
M. Fabien Gay. Parlons du ferroviaire !
Mme Barbara Pompili, ministre. … qui, pour sa part, avait fait l’objet d’assises, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ou encore une précédente loi relative à l’énergie et au climat.
Ce texte s’inscrit également dans un processus de relance de notre machine économique. (M. Fabien Gay manifeste son exaspération.) Ainsi, le plan de relance bénéficie aux entreprises, aux différents secteurs émetteurs de gaz à effet de serre comme aux filières que nous voulons faire émerger, tout en consacrant 30 milliards d’euros à la transition écologique.
Bref, il s’agit d’un ensemble ; voilà pourquoi, si l’on ne regarde que lui, le présent texte peut sembler frustrant. Tous les enjeux n’y sont pas abordés, précisément parce que certains d’entre eux sont traités ailleurs.
De même, notre politique de transition énergétique est encadrée par des procédures. Nous disposons d’une programmation pluriannuelle de l’énergie…
M. Fabien Gay. Pour démanteler EDF !
Mme Barbara Pompili, ministre. … qui fera elle-même l’objet d’un projet de loi, lequel sera étudié en 2023 ou en 2024.
J’y insiste, ce texte s’inscrit dans un processus global. Cela étant – j’ai pu entendre certaines observations à ce propos et je tiens à y répondre –, nous avons veillé à éviter les erreurs du passé.
On a trop souvent pensé la transition écologique sans tenir compte de ce qu’il y a dans son sillage, sans faire suffisamment attention aux retombées des mesures prises, qu’il s’agisse des territoires ou de nos concitoyens. Or, le but de ce texte, c’est précisément de faire entrer l’écologie dans la vie quotidienne des gens et d’apporter des solutions à tout le monde. Voilà pourquoi toutes ses dispositions, sans exception, sont assorties de mesures d’accompagnement, notamment à destination des personnes les plus en difficulté.
Je salue également le travail très fourni accompli par les rapporteurs et les présidents des deux commissions qui se sont principalement penchées sur ce texte. Ce travail a donné lieu à de nombreux échanges et à un véritable dialogue.
Bien sûr, nonobstant ces salutations républicaines, des désaccords persistent entre nous. Mais je vois au moins une raison de me réjouir : sur aucune travée je n’ai entendu remettre en question l’urgence à agir pour la transition écologique en général. C’est un immense progrès.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cela fait vingt ans que je travaille sur ces questions ; cela fait vingt ans que je suis engagée pour l’écologie. Or ce basculement est récent et, je le répète, c’est un point extrêmement positif, que je salue avec force.
Vous en conviendrez tous : il est facile d’énoncer des vérités générales ou de déposer un amendement autour duquel tout le monde s’accorde. Mais, en règle générale, si une disposition fait l’unanimité, c’est parce qu’elle n’est somme toute pas très contraignante… C’est très bien d’affirmer par voie d’amendement qu’il faut respecter les règles, mais, ensuite, il faut entrer dans le dur pour assurer la mise en application ; et, bizarrement, cela devient plus difficile !
Certains disent que ce projet de loi est une coquille vide, qu’il n’a pas beaucoup de substance. Mais il se heurte quand même à de très nombreuses oppositions : pour d’autres, à l’évidence, ce peu de substance, c’est encore trop. D’une certaine manière, comme le disaient certains orateurs, nous sommes donc sans doute dans le vrai.
Nous avons d’importants désaccords – ils ont été entérinés –, notamment sur des questions de fond, qu’il s’agisse des ZFE, de l’artificialisation, de la continuité écologique des cours d’eau, des énergies renouvelables, de la publicité, du crime d’écocide ou d’autres sujets encore.
Je souhaite que l’on revienne sur ces différents points en commission mixte paritaire. Nous verrons comment elle se déroulera. Quoi qu’il en soit, nous devons à tous nos concitoyens de garder une très haute ambition pour ce texte et j’y serai extrêmement attentive dans les semaines à venir.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Prévention d’actes de terrorisme et renseignement
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (projet n° 672, texte de la commission n° 695, rapport n° 694, avis nos 690 et 685).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a près de quatre ans, le Sénat adoptait la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT ».
Il s’agissait, en 2017, de sortir de l’état d’urgence, qui n’avait pas vocation à constituer un état permanent. Il s’agissait aussi de maintenir un niveau extrêmement exigeant de sécurité pour les Français, dans un contexte marqué par une menace terroriste prégnante.
À cette fin, la loi SILT, entrée en vigueur le 1er novembre 2017, a permis le déploiement d’outils nouveaux, mais adaptés, garantissant un équilibre entre efficacité de l’action antiterroriste et préservation des libertés.
C’est cet équilibre, atteint par l’adoption de la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015 et de la loi SILT précitée, que prolonge le projet de loi dont nous allons débattre aujourd’hui.
Il s’agit pour nous d’amplifier les moyens de la lutte antiterroriste tout en renforçant les garanties entourant la mise en œuvre des dispositifs opérationnels, dans le strict respect des principes constitutionnels.
La mobilisation du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme est constante. Depuis 2017, et à la demande du Président de la République, le Gouvernement a œuvré avec une très grande détermination au renforcement des dispositifs de lutte contre la menace terroriste.
Nous l’avons fait en continuant, avec le soutien du Parlement, à augmenter les moyens mis à la disposition des services spécialisés dans la lutte antiterroriste, notamment les services de renseignement. Au total, 1 000 postes y ont été créés depuis 2017. En parallèle, les budgets d’investissement et de fonctionnement des services ont fait l’objet d’un effort financier sans précédent.
En effet, la lutte contre le terrorisme exige de nous une mobilisation totale. Sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, avec l’engagement de l’ensemble des forces de sécurité et des services de renseignement, avec l’appui de la justice, nous menons ce combat sans relâche.
Nous ne renoncerons jamais à traquer ces ennemis de la République, qui attaquent par la terreur notre mode de vie et nos valeurs : la laïcité, la liberté d’expression, la liberté de conscience – et je n’oublie pas non plus les droits des femmes.
Respect de l’équilibre initial, recherche du plus large consensus, efficacité opérationnelle, détermination dans la lutte contre le terrorisme : tel est le sens du texte qui vous est soumis aujourd’hui.
Ce projet de loi n’est pas un point de bascule, bien au contraire : il s’inscrit dans une dynamique dont nous vous avons régulièrement rendu compte. À cet égard, je tiens à saluer les membres de nos services de renseignement, nos policiers et nos gendarmes, qui, chaque jour, accomplissent un travail exceptionnel pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et mettre en échec leurs projets meurtriers.
Ainsi, depuis 2017, quelque 14 attentats terroristes islamistes ont été perpétrés sur le territoire national – 3 en 2017, 3 en 2018, 1 en 2019, 6 en 2020, 1 en 2021. Ils ont causé 25 morts et 83 blessés. J’ai bien sûr une pensée pour chacune de ces victimes. Dans le même temps, 36 attentats ont été déjoués par nos services, dont 3 encore en 2021.
Grâce à la loi SILT, ces services ont continué à disposer, après la fin de l’état d’urgence, d’un cadre législatif efficace et adapté à leur action. L’autorité administrative – préfet ou ministre de l’intérieur selon les cas – s’est vue reconnaître des compétences nouvelles, strictement proportionnées à l’état de la menace et toujours placées sous le contrôle du juge. À ce titre, le seul but de notre action est de prévenir des actes de terrorisme.
Ainsi, il est possible de mettre en place des périmètres de protection, afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement ; de procéder à la fermeture des lieux de culte où se tiennent ou circulent des propos ou théories incitant à la commission ou faisant l’apologie d’actes de terrorisme ; d’édicter, à l’encontre d’individus présentant un niveau de menace caractérisée pour la sécurité et l’ordre publics, des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, et ce depuis le 1er novembre 2017 ; ou encore de solliciter du juge judiciaire l’autorisation de procéder à la visite domiciliaire d’un lieu fréquenté par de tels individus et à des saisies.
J’insiste sur la manière dont ces outils nouveaux ont été employés. Au 28 juin 2021, quelque 618 périmètres de protection ont été mis en place, dont 1 en vigueur à ce jour, et 8 lieux de culte ont été fermés. Dans le même temps, 463 Micas ont été notifiées ; je précise que 75 d’entre elles sont actives à ce jour. Enfin, 482 visites domiciliaires ont été réalisées, dont 305 depuis l’attentat contre Samuel Paty, et 256 saisies ont été effectuées. Ces mesures ont toujours été utilisées de manière ciblée, sous le contrôle du juge.
Le Parlement a bien été informé sans délai de la mise en œuvre de chacune de ces mesures, conformément aux exigences fixées par le législateur en 2017. Il a également été rendu destinataire, chaque année, d’un rapport d’évaluation sur la mise en œuvre de la loi.
De la même manière, le Gouvernement a fait un usage raisonné de la technique dite « de l’algorithme ». Ainsi, depuis 2015, trois traitements automatisés ont été autorisés par le Premier ministre, après avis favorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR.
La délégation parlementaire au renseignement a été rendue destinataire d’éléments classés « confidentiel défense », qui décrivent la nature de l’apport opérationnel de ces traitements automatisés. En mars dernier, elle a également été invitée à visiter les locaux et les services de la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI.
Il n’est pas possible de détailler les résultats obtenus au moyen de ces algorithmes, pour la simple et bonne raison qu’ils sont protégés par le secret de la défense nationale.
On peut néanmoins relever, comme le souligne l’étude d’impact de ce projet de loi, que cette technique de renseignement a notamment permis de détecter des contacts entre des individus porteurs d’une menace terroriste – il s’agit là d’un point fondamental ; d’obtenir des informations sur la localisation d’individus en lien avec cette menace ; de mettre au jour les comportements de personnes connues des services de renseignement et exigeant des investigations plus approfondies ; enfin, d’améliorer la connaissance des services sur la manière dont procèdent les acteurs de la mouvance terroriste.
Les mesures dont le présent texte prolonge l’application constituent donc des outils opérationnels indispensables pour les services spécialisés dans la lutte contre le terrorisme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est pour des raisons d’efficacité que je vous présente aujourd’hui ce projet de loi. Il est indispensable à l’activité des femmes et des hommes qui luttent chaque jour contre la menace terroriste et à qui je rends une nouvelle fois hommage. Il concilie les moyens opérationnels au service de la lutte antiterroriste et les garanties au service des libertés individuelles.
Au nom du Gouvernement, je tiens également à remercier les membres de la commission des lois du Sénat, ceux de la délégation parlementaire au renseignement et ceux de la mission commune d’information sur l’évaluation de la loi Renseignement de la qualité du travail accompli depuis plusieurs mois avec le Gouvernement.
Ce travail commun est mené au profit de l’intérêt général et je souhaite bien entendu qu’il se poursuive : face à ces questions, il est fondamental que nous puissions agir ensemble, en responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner les suites à donner à la loi SILT.
Je le rappelle à mon tour : faute d’intervention du législateur, plusieurs dispositions du code de la sécurité intérieure arrivent à échéance en 2021, après avoir été prorogées de sept mois par la loi du 24 décembre 2020.
Sont notamment concernées les dispositions introduites par la loi SILT pour prendre le relais du régime de l’état d’urgence, à commencer par les articles 1er à 4 de ce texte, qui ont instauré des mesures de police administrative inspirées de l’état d’urgence : périmètres de protection, fermeture des lieux de culte, mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, visites domiciliaires et saisies.
Parce qu’il s’agit de mesures fortement attentatoires aux libertés, le législateur a prévu un contrôle parlementaire renforcé, ainsi qu’une date de caducité de ces dispositions. Initialement fixé au 31 décembre 2020, ce terme a été reporté au 31 juillet 2021.
À ce titre, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui procède à divers ajustements. Il limite la durée de mise en place des périmètres de protection, élargit la mesure de fermeture administrative des lieux de culte en permettant la fermeture des locaux annexes et autorise la saisie des supports informatiques lorsque, à l’occasion d’une visite domiciliaire, la personne fait obstacle à l’accès aux données concernées ou à leur copie.
Pour ce qui concerne les Micas, ce projet de loi donne notamment au ministre de l’intérieur le droit d’exiger un justificatif de domicile ou de permettre le prononcé d’une interdiction de paraître.
Mes chers collègues, en décembre 2020, nous avions déjà proposé de pérenniser ces dispositions, plutôt que de les proroger. Le Sénat avait alors adopté la plupart des ajustements proposés, qui reprennent des recommandations formulées par notre commission.
Aussi, nous ne pouvons que souscrire à la pérennisation de ces dispositions, tout en regrettant que l’on ait perdu tant de temps : le Sénat avait proposé, peu ou prou, 80 % des mesures que le Gouvernement présente aujourd’hui !
Plus complexe est la question des modalités de sortie de détention des personnes condamnées pour actes de terrorisme. En tout, elle concerne environ 80 personnes par an pendant trois ans, qui, lors de leur élargissement, ne bénéficieraient pas de mesures d’accompagnement.
Face à cet enjeu, le Parlement a adopté, le 27 juillet 2020, une loi instaurant des mesures de sûreté, qui visait avant tout à introduire une nouvelle mesure judiciaire de suivi et de surveillance post-sentencielle.
Le Conseil constitutionnel, saisi a priori, a toutefois jugé que la mesure envisagée n’était ni adaptée ni proportionnée et l’a donc déclarée inconstitutionnelle.
Nous sommes d’accord sur le constat : les dispositifs existants ne permettent pas d’assurer un suivi satisfaisant de ce public, qui représente pourtant une menace majeure pour notre société – le parquet national antiterroriste nous l’a confirmé.
En la matière, deux voies existent : le Gouvernement propose d’allonger la durée des Micas à deux ans, tout en instaurant une mesure de sûreté judiciaire plus légère ; nous proposons au contraire de concentrer l’essentiel du dispositif sur la mesure judiciaire.
Ce dispositif répond à une démarche d’« ensemblier » et nous permet d’atteindre à la fois un objectif de réadaptation sociale et un objectif de surveillance de l’individu Si cette solution nous paraît meilleure, c’est d’abord et avant tout parce que nous préférons à des réponses administratives une réponse judiciaire, offrant davantage de garanties tant du point de vue des personnes concernées qu’au regard aux exigences du débat contradictoire.
La mesure que nous proposons constitue la reprise de la proposition de loi de François-Noël Buffet adoptée par le Sénat le 25 mai dernier ; elle répond – je le disais – à une démarche d’ensemblier et adapte le dispositif adopté par le Parlement en juillet 2020 pour répondre point par point aux objections soulevées par le Conseil constitutionnel.
Elle nous semble d’autant plus pertinente que les Sages ont déjà déclaré qu’étendre d’un à deux ans la durée des Micas serait inconstitutionnel, et ce « quelle que soit la gravité de la menace » – d’où le débat que nous avons avec le Gouvernement.
Voilà pour l’essentiel. J’ajouterai un mot sur l’article 6, qui traite du problème de la transmission de données psychiatriques : le Gouvernement souhaite une transmission assez large, y compris à tous les services de sécurité intérieure. Nous avons volontairement restreint, pour des raisons d’équilibre, la portée de cet article, mais sommes prêts à trouver un compromis dans le cadre de la discussion d’amendements.
Pour ce qui concerne enfin l’article 18, qui encadre la possibilité pour les services de l’État d’utiliser un dispositif de brouillage des ondes émises par des drones malveillants, il nous a semblé que la base légale proposée était tout à fait pertinente.
Nous sommes donc sur une ligne de crête ; l’emprunter nécessite, s’agissant d’un texte des plus sensibles, de procéder avec prudence et de trouver la bonne mesure entre liberté et autorité. Nous ne pourrons donc pas accepter les amendements dont les dispositions soit se heurteraient à un risque d’inconstitutionnalité, soit, au contraire, seraient trop laxistes, à un moment où la menace terroriste pèse plus que jamais sur notre pays.
Voilà pour la partie du projet de loi relative à la prévention d’actes de terrorisme ; c’est ma collègue Agnès Canayer qui abordera la partie afférente au renseignement.