Sommaire
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio, M. Loïc Hervé.
2. Lutte contre le dérèglement climatique. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Adoption, par scrutin public n° 148, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique
Suspension et reprise de la séance
3. Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
4. Prévention d’actes de terrorisme et renseignement. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois
5. Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère
6. Prévention d’actes de terrorisme et renseignement. – Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
M. Pierre Ouzoulias, rapporteur pour avis de la commission de la culture
PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 53 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 100 rectifié de M. Ludovic Haye. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 20 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié de Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Retrait.
Amendement n° 89 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 45 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 102 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 54 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.
L’article demeure supprimé.
Article additionnel après l’article 4 bis
Amendement n° 35 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 87 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 9 rectifié de Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Retrait.
Amendement n° 10 rectifié de Mme Alexandra Borchio Fontimp. – Retrait.
Amendement n° 103 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 99 rectifié bis de M. Ludovic Haye. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 6 bis
Amendement n° 36 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 92 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Articles additionnels avant l’article 7
Amendement n° 42 de M. Yannick Vaugrenard. – Rejet.
Amendement n° 43 de M. Yannick Vaugrenard. – Rejet.
Amendement n° 67 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 39 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 69 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 68 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 104 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 40 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.
Amendement n° 23 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 41 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 44 de M. Yannick Vaugrenard. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 7
Amendement n° 70 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 97 de Mme Nathalie Goulet. – Retrait.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
Amendement n° 47 de M. Yannick Vaugrenard. – Rejet.
Amendement n° 72 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 73 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 55 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 56 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 24 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Amendement n° 27 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 90 du Gouvernement. – Rejet.
Amendement n° 57 de M. Jean-Yves Leconte. – Retrait.
Amendement n° 75 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 76 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 59 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 58 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article.
Amendement n° 79 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 60 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Amendement n° 107 du Gouvernement. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 80 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 61 de M. Jean-Yves Leconte. – Rejet.
Adoption de l’article.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 32 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 83 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 86 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 62 rectifié de M. Jean-Yves Leconte. – Rectification.
Réserve de l’article 16.
Suspension et reprise de la séance
Articles 16 bis et 17 – Adoption.
Amendement n° 48 de M. Yannick Vaugrenard. – Rejet.
Amendement n° 84 de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 31 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 49 de M. Yannick Vaugrenard. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 62 rectifié bis de M. Jean-Yves Leconte. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l’article 17 bis
Amendement n° 50 de M. Yannick Vaugrenard. – Rejet.
Amendement n° 51 de M. Yannick Vaugrenard. – Rejet.
Articles 17 ter A (nouveau) et 17 ter – Adoption.
Article additionnel après l’article 17 ter
Amendement n° 34 rectifié de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Amendement n° 91 rectifié de Mme Esther Benbassa. – Rejet.
Amendement n° 33 de Mme Éliane Assassi. – Rejet.
Adoption de l’article.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères
Amendement n° 106 de la commission. – Adoption par scrutin public n° 149.
Amendement n° 101 rectifié de M. Ludovic Haye. – Rejet.
Amendement n° 63 rectifié de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet par scrutin public n° 151.
Amendements identiques nos 4 rectifié de Mme Nathalie Delattre et 96 rectifié bis de Mme Catherine Morin-Desailly (suite). – Rejet, par scrutin public n° 152, des deux amendements.
Adoption, par scrutin public n° 153, de l’article modifié.
Adoption, par scrutin public n° 154, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
Nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
compte rendu intégral
Présidence de M. Gérard Larcher
Secrétaires :
Mme Jacqueline Eustache-Brinio,
M. Loïc Hervé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Lutte contre le dérèglement climatique
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote des groupes et le vote par scrutin public sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (projet n° 551, texte de la commission n° 667, rapport n° 666, avis nos 634, 635, 649 et 650).
Avant de passer au vote, je vais donner la parole à celles et ceux de nos collègues qui ont été inscrits pour expliquer leur vote. Le temps de parole imparti est de sept minutes pour chaque groupe et de trois minutes pour un sénateur n’appartenant à aucun groupe.
Vote sur l’ensemble
M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
M. Ronan Dantec. Monsieur le président, madame la ministre, mesdames, messieurs les rapporteurs, le patron du Programme alimentaire mondial (PAM) a, cette semaine, alerté sur la très grave sécheresse qui frappe actuellement Madagascar, entraînant la première famine sur le continent africain depuis longtemps, sans qu’aucune guerre ou conflit n’en soit à l’origine.
Cette situation n’est liée qu’à plusieurs années de sécheresse consécutives, ce qui fait dire à la directrice de la branche locale du PAM qu’il s’agit de la première famine totalement due au réchauffement climatique.
Il n’y a donc pas d’autre solution : pour utiliser un terme malheureusement très galvaudé, l’« urgence de l’action » s’impose à nous. Les décisions que nous prenons aujourd’hui, dont les effets se feront pleinement sentir dans dix ans, sont essentielles. Si nous voulons avoir une chance de stabiliser le climat, il nous faut massivement réduire nos émissions de gaz à effet de serre dès 2030. C’est la feuille de route que nous fixe la communauté scientifique.
L’Europe est aujourd’hui le seul continent à prendre réellement ses responsabilités, avec l’adoption, par le Conseil européen, d’un objectif de réduction de 55 % des émissions en 2030.
Cet objectif ambitieux nécessite une mutation importante de nos économies, une transition qui doit notamment être financée par le New Green Deal. Établi au niveau européen, il doit maintenant être décliné au niveau des États membres.
C’est notre feuille de route, mes chers collègues, comme le Sénat l’a rappelé au début de l’examen des amendements en adoptant une disposition commune à la plupart des groupes politiques. Ce vote a été un moment important pour affirmer notre adhésion à l’objectif de lutte contre le dérèglement climatique.
Le Sénat a beaucoup travaillé sur ce projet de loi. Je veux rendre hommage aux différents rapporteurs, qui ont tous beaucoup œuvré : plus de 2 000 amendements ont été examinés, dont ceux du groupe écologiste, adossés à notre vraie « loi climat » – ce projet, totalement quantifié, montre comment la France pourrait tenir l’objectif européen de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Au total, 44 de nos amendements ont été adoptés, dont certains sont réellement ambitieux. Je tiens à en remercier les rapporteurs et le Sénat dans son ensemble.
Pour autant, il est clair que le texte, après modification par notre assemblée, ne respecte toujours pas – pas plus que le projet de loi initial – l’objectif européen.
Un rapide calcul à partir des avis du Boston Consulting Group ou du Haut Conseil pour le climat donne toujours un résultat compris entre 30 % et 35 % de réduction en 2030. On est loin de l’objectif de 55 %, et c’est extrêmement problématique.
Lors de la conférence de Glasgow, et dans la logique du mécanisme de l’accord de Paris prévoyant tous les cinq ans une réévaluation des engagements – ces derniers étant actuellement très insuffisants –, la communauté mondiale et, en particulier, les très grands émetteurs que sont la Chine et les États-Unis, devra prendre de nouveaux engagements pour crédibiliser une trajectoire en dessous des 2 degrés de réchauffement, proche de 1,5 degré.
C’est une négociation difficile – je pourrais vous en parler longuement pour la suivre depuis quinze ans –, où s’établissent des rapports de force ayant de nombreuses conséquences économiques pour chacun.
Avec son objectif de réduction de 55 % des émissions de gaz à effet de serre, l’Europe se présente en position de force. Toutefois, madame la ministre, si cet objectif européen ne donne pas lieu à des déclinaisons nationales, notamment en France, pays garant de l’application de l’accord de Paris, notre capacité à imposer un effort à l’échelle mondiale s’effrite. Les négociateurs internationaux scrutent tout, y compris nos débats au Sénat. L’insuffisante ambition de ce texte est donc malheureusement, aujourd’hui, un élément de fragilisation dans la négociation internationale.
Le groupe écologiste ne peut que voter contre le projet de loi, tel qu’issu de nos travaux, en ce qu’il n’est pas à la hauteur de notre responsabilité internationale.
En sept minutes – et il ne m’en reste que trois –, je n’ai évidemment pas le temps d’analyser les avancées et les reculs présents dans ce texte. J’insisterai donc sur quelques points seulement.
D’abord, nous avons rappelé, comme nous l’avions fait par le passé, qu’avec 50 % des émissions de gaz à effet de serre liés à la vie quotidienne, il sera impossible de tenir les engagements sans la mobilisation des collectivités territoriales. Or, si l’État leur a confié des compétences ces dernières années, notamment à travers les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), il ne leur a accordé aucun financement à ce titre. Le milliard d’euros que nous avons voté représente tout simplement le financement par l’État d’une compétence attribuée aux collectivités territoriales. J’espère que cette mesure, qui a valeur de signal, sera conservée.
Nous avons par ailleurs une stratégie assez cohérente pour encourager le transfert modal de l’avion vers le rail par le signal-prix, comme l’a souligné le rapporteur Philippe Tabarot en commission, avec notamment l’application d’une TVA à 5,5 % sur les billets de train ou le maintien de la taxe de solidarité sur les billets d’avion, la taxe « Chirac ». C’est là un point très important : cette taxe ne doit en aucun cas être remplacée par le système d’échange de quotas d’émission européen ou mondial Corsia.
Je mentionnerai également, sans avoir le temps de les énumérer, les signaux intéressants qui sont envoyés en matière de développement d’une filière photovoltaïque française.
Inversement, il y a le refus, très clair, de limiter la publicité, sous l’angle non seulement des gaspillages de papier ou d’énergie qu’elle représente, mais aussi, plus largement, des désirs qu’elle suscite pour des produits pourtant incompatibles avec notre trajectoire en matière d’émission de CO2.
C’est aussi une offensive forte lancée contre l’éolien terrestre, et même offshore. Le rapporteur pour avis Daniel Gremillet nous a fixé un objectif de 50 gigawatts de capacité installée à l’horizon 2050, avec un droit de véto des communes riveraines sur le domaine public maritime. C’est totalement impossible, voire, si je peux me permettre, contradictoire ou absurde.
M. Daniel Gremillet. Pas du tout !
M. Ronan Dantec. Notons enfin – un classique du Sénat – le refus d’engager les efforts nécessaires en matière de modification des pratiques agricoles, notamment par la réduction du recours aux engrais azotés, très émetteurs de CO2. (Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, le conteste.)
Madame la ministre, nous avons besoin de vous entendre sur la suite, de mieux vous comprendre – et, à travers vous, le Gouvernement. Cette loi étant insuffisante par rapport à nos propres engagements, il va falloir se remettre très vite à l’ouvrage.
Ce texte est d’abord une occasion manquée. Vous n’avez pas respecté les conclusions de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) que vous aviez mandatée pour trouver des consensus au sein de la société et établir des compromis. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Que faisons-nous maintenant ?
Il nous faudra revenir sur le sujet, cela ne fait pas de doute, avant la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie, prévue en 2023. Mais nous avons d’ores et déjà la perspective d’une commission mixte paritaire (CMP). Je vous ferai donc une proposition très simple, madame la ministre : en CMP, gardez ce que l’Assemblée nationale a décidé de mieux pour le climat et ce que le Sénat a décidé de mieux pour le climat. Nous n’atteindrons toujours pas l’objectif d’une réduction de 55 % des émissions, mais nous aurons progressé ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST et sur des travées du groupe SER.)
M. Roger Karoutchi. J’ignorais que la ministre siégeait à la commission mixte paritaire…
M. le président. La parole est à M. Frédéric Marchand, pour le groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Frédéric Marchand. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous y voilà ! Après deux semaines de débats riches et passionnés, nous sommes arrivés au terme de l’examen de ce projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
La résilience, mes chers collègues, c’est certainement Boris Cyrulnik, dont les travaux font autorité en la matière, qui en parle le mieux : « Le malheur n’est jamais pur, pas plus que le bonheur. Un mot permet d’organiser notre manière de comprendre le mystère de ceux qui s’en sont sortis. C’est celui de résilience, qui désigne la capacité à réussir, à vivre, à se développer en dépit de l’adversité ».
L’adversité est devant nous, mes chers collègues, et nous devons y faire face avant qu’il ne soit trop tard. Si nous voulons être capables de réussir, de vivre et de nous développer, nous devons ne plus attendre et ne plus nous payer de mots. Il faut agir, agir et encore agir !
En effet, alors que nous débattions de ce projet de loi, le sixième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a fuité dans la presse. Les experts s’y alarment des impacts dévastateurs que le réchauffement aura sur notre planète dès les prochaines décennies. Ils rappellent l’urgence d’une action politique ambitieuse et résolue en faveur du climat, face aux conséquences irréversibles d’une attitude attentiste.
Le rapport apporte aussi une note d’espoir. Il affirme que l’humanité peut encore changer le cours des choses, à condition d’opérer une « transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux ».
Mais nous savons tous, et nos débats sont là pour en attester, que cette radicalité ne peut être obtenue sans l’adhésion massive de nos concitoyens, au risque d’échouer lamentablement et de se retrouver dans le mur. Méfions-nous de celles et ceux qui appellent au grand dérangement, comme d’autres avant eux à de grands bonds en avant ; ils mènent à l’autoritarisme et à la misère collective.
Soyons donc clairs, nets et précis. Admettons que la France prend toute sa part dans la démarche, y compris en étant moteur des autres parties prenantes. Depuis 2017, elle mène une action résolue, concrète et ambitieuse, qui lui permet de s’affirmer comme un leader de la lutte contre le réchauffement climatique dans le monde.
Nous allons souvent plus loin que ce que certains, qui ont la mémoire courte, proposaient en 2017… Durant le quinquennat – les faits sont têtus –, plusieurs mesures significatives ont été prises : 30 milliards d’euros à la transition écologique dans le cadre du plan France relance ; l’inscription dans la loi de la neutralité carbone d’ici à 2050 ; la mise en place d’un plan Biodiversité doté de 600 millions d’euros et portant 90 mesures, parmi lesquelles figure l’interdiction de la plupart des produits plastiques à usage unique ; l’arrêt du projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, la fermeture de la centrale de Fessenheim et l’abandon du projet Montagne d’or en Guyane.
Le présent projet de loi, je le disais le 14 juin dernier, nous adresse un double défi : conjuguer démocratie participative et démocratie représentative, d’une part ; accélérer la transition écologique, d’autre part.
Nous ne croyons pas à une écologie qui viendrait simplement d’en haut. C’est ce qui a inspiré la création de la Convention citoyenne pour le climat, dont l’essentiel des propositions est traduit dans ce projet de loi.
Avec ce texte, l’ambition affichée est de mettre un terme à un ensemble de pratiques incompatibles avec nos ambitions climatiques : la fin de l’étalement urbain sans limite, l’interdiction de la mise en location des passoires thermiques, l’interdiction des vols domestiques pour lesquels il existe une alternative moins émettrice en CO2 pour un temps de trajet inférieur à 2 heures 30, la régulation de la circulation des voitures les plus polluantes dans nos grandes villes.
Mais ne nous y trompons pas, l’ampleur du défi, rappelée par le GIEC, rend toute solution nationale largement insuffisante. La réponse ne pourra être qu’européenne et internationale.
La France, à nouveau, prend toute sa part. Elle montre l’exemple et entraîne ses partenaires européens, en promouvant une action internationale dans nos relations bilatérales comme multilatérales.
Ce texte, je le disais en ouverture de mon propos, a fait l’objet d’un examen minutieux et approfondi dans nos commissions respectives et en séance.
Le mérite premier en revient aux présidents de commission et aux rapporteurs, qui ont réalisé un travail remarquable et remarqué, dans un souci réel d’écoute, et ce même si nous ne partageons pas toutes leurs conclusions et propositions. Mais c’est aussi la force de la démocratie que de pouvoir confronter, dans un climat apaisé, points de vue et propositions.
Oui, nous ne partageons pas toutes les options retenues par le Sénat, considérant qu’elles ne sont pas les plus à même de répondre aux enjeux qui sont face à nous.
Nous pourrions ainsi évoquer le refus du Sénat de basculer vers le dispositif du « Oui pub », les ambiguïtés manifestes de la majorité sénatoriale dès lors que l’on parle d’énergies renouvelables décarbonées, le manque de volonté patent pour mettre en place les zones à faibles émissions (ZFE), la baisse de TVA à 5,5 % pour les transports collectifs de voyageurs alors que, comme chacun le sait, la véritable problématique se situe ailleurs, certains sujets liés à l’artificialisation des sols sur lesquels les contradictions sont nombreuses, la question des engrais azotés et, bien évidemment, la position retenue au fameux article 32.
Nous ne sommes pas d’accord sur tout et nous avons, à l’occasion de la présentation d’amendements, fait entendre que nous pouvions tendre vers davantage de volontarisme.
Ces amendements ont connu des fortunes diverses. Je tiens néanmoins à saluer la volonté des rapporteurs d’expliquer encore et encore, sans dogmatisme aucun, le pourquoi des avis défavorables exprimés. Nous avons entendu ces explications, même si nous ne les avons pas toujours comprises.
Nombre de collègues, à droite et à gauche de notre hémicycle, ont regretté le manque d’ambition du texte.
Bien au contraire, ce projet de loi se fonde sur la confiance envers nos concitoyens et sur la responsabilisation des acteurs de la société. Ces éléments sont les préalables de l’appropriation des enjeux écologiques par l’ensemble de la société.
Avec ce texte, nous faisons le pari du bon sens des Français. Une série de dispositifs les concerne, en tant que consommateurs, usagers de la route, propriétaires de logement, clients de la restauration collective, dirigeants d’entreprises. Les mécanismes d’incitation, d’expérimentation, d’éducation et de formation visent à ce que leurs comportements évoluent progressivement vers un plus grand respect de l’environnement.
L’architecture du projet de loi tend donc à la responsabilisation des acteurs. Pour chaque thématique, et dans tous les secteurs concernés, les citoyens, les acteurs économiques et sociaux disposent d’une feuille de route de décarbonation, soit sous forme de mesures contraignantes appliquées dès la promulgation de la loi, soit après expérimentation. Les objectifs à atteindre sont donc connus de chacun, même si, pour une large partie d’entre eux, les modalités sont à débattre.
La volonté politique portée par ce texte est très clairement exprimée. Elle concilie écologie, préoccupations sociales et économie de manière pragmatique, afin de répondre aux défis cruciaux de notre temps.
Députés et sénateurs connaissent désormais le chemin à suivre pour atteindre les objectifs que nous savons communs. Et parce que nous ne sommes pas d’accord sur tout, mais que nous reconnaissons la qualité du travail accompli et certaines ouvertures qui ont pu être faites, le groupe RDPI s’abstiendra sur le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les conclusions du pré-rapport du GIEC sont d’une grande clarté : nos niveaux actuels d’adaptation seront insuffisants pour contrer les menaces – événements extrêmes, stress hydrique, maladies, déclin des cultures de base et de la valeur nutritionnelle des aliments… On y souligne également que l’humanité ne pourra se remettre d’un changement climatique majeur, même si ce constat n’est pas inéluctable. Il est encore possible de transformer radicalement les comportements à tous les niveaux : individus, communautés, entreprises, institutions et gouvernements.
Mais avons-nous le même niveau de lecture de ces données ? Faisons-nous confiance à nos experts ? Nous avons, depuis des mois, reçu de très nombreuses sollicitations sur ce projet de loi. L’adhésion n’est pas là. Les résistances sont fortes. Pourtant, une part croissante de nos concitoyens prend toute la mesure de l’ampleur du défi.
J’entends et je souscris aux arguments selon lesquels la France ne peut, à elle seule, assumer la charge de la lutte contre le changement climatique et se placer systématiquement en situation de subir la concurrence déloyale, car de l’économie dépend également notre survie. Je le dis souvent dans cet hémicycle, l’échelle européenne doit être pleinement mobilisée et privilégiée.
Mais la France doit prendre ses responsabilités. C’était le sens des amendements symboliques qui ont été votés en préambule de nos débats.
Notre rôle premier, en tant qu’élus, est de sensibiliser, de convaincre et d’accompagner pour déclencher l’acceptation sociale. La loi ne peut pas tout et tel n’est pas son rôle. Le taux d’abstention lors des élections départementales et régionales démontre que l’adhésion à nos projets politiques n’est pas acquise.
Les démarches vertueuses doivent être encouragées. Les dispositions du projet de loi relatives à l’amélioration de l’information du consommateur sont bienvenues. L’existence de pratiques commerciales trompeuses en matière environnementale prouve que l’intérêt des citoyens se tourne davantage vers les biens et services les plus respectueux de l’environnement.
L’encadrement de la publicité deviendra superflu dès lors que les consommateurs s’orienteront spontanément vers de tels produits. À cet égard, nous sommes satisfaits du transfert au préfet du pouvoir de police en matière de publicité, car de nombreuses communes rurales ne pouvaient assumer cette charge.
L’accompagnement des ménages modestes, mais aussi des classes moyennes, en matière de transports est également primordial dans un contexte d’extension des restrictions à la circulation. Le Sénat a fait œuvre utile par la mise en place d’un prêt à taux zéro pour l’acquisition de véhicules et de poids lourds peu polluants, l’établissement d’un taux de TVA à 5,5 % pour les billets de train ou encore l’instauration d’un dispositif de fixation d’un prix plancher pour certains billets d’avion.
Le titre relatif au logement constitue notre plus grande déception. La massification de la rénovation énergétique des bâtiments est compromise. Les dates retenues pour qualifier d’indécentes les passoires énergétiques ne permettront pas de suivre la trajectoire vers un parc de logements aux normes bâtiment basse consommation (BBC), en 2050 et donc d’atteindre la neutralité carbone.
S’agissant de l’agriculture, il faut temporiser : si elle représente un quart de nos émissions de gaz à effet de serre, elle constitue également un point central en raison du processus de captation de dioxyde de carbone par le sol.
Il ne peut y avoir de lutte contre le réchauffement climatique sans les agriculteurs. Je tiens ainsi à saluer toutes les mesures destinées à valoriser les produits locaux, durables et de qualité, renforcées par le Sénat.
Mais l’urgence est avant tout de récompenser les bonnes pratiques et d’assurer le partage de la valeur, c’est-à-dire un revenu correct pour les agriculteurs. À défaut, les investissements de ces derniers pour l’agroécologie risquent de les pénaliser.
Je me réjouis de l’adoption de l’amendement de Franck Montaugé, avec qui j’ai beaucoup travaillé sur ce sujet, inscrivant dans la loi la reconnaissance et la valorisation des externalités positives de l’agriculture, notamment en matière de services environnementaux et d’aménagement du territoire.
Dans un texte comprenant un titre entier dédié à l’artificialisation des sols, je regrette que la protection des terres agricoles n’ait pas été approfondie. J’avais déposé un amendement, déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution, visant à sacraliser la vocation agricole des terres qui ont bénéficié, à ce titre, d’aides publiques locales, nationales, voire européennes. Cet amendement visait tout simplement à ce qu’une étude de terrain soit menée par le département ou l’établissement public de coopération intercommunale (EPCI) pour saisir l’opportunité d’un périmètre de protection et de mise en valeur des espaces agricoles et naturels périurbains (PPEANP).
Vous cautionnez donc collectivement, mes chers collègues, que des terres agricoles irriguées, par exemple, grâce à des financements publics, soient urbanisées. Je ne comprends pas cette contradiction : tout le monde est d’accord pour défendre l’agriculture, mais personne ne veut graver dans le marbre la protection durable des terres agricoles.
En ce qui concerne le droit pénal de l’environnement, le Gouvernement est passé à côté de la réforme d’ampleur qui aurait dû aboutir à sa simplification et, ainsi, à sa pleine effectivité. Le choix a été d’opérer par petites touches de complexité supplémentaire sans créer, comme le recommandaient de nombreux juristes, un véritable délit de mise en danger de l’environnement et un délit générique visant à sanctionner l’ensemble des atteintes à l’environnement.
Le caractère durable de ces atteintes, exigé par les articles 67 et 68 du projet de loi, rend ces délits inapplicables. Quant à la reconnaissance de l’écocide au niveau international, nous serons vigilants.
Si nos idéaux se confrontent aux réalités d’une économie mondialisée, ne laissons pas cette dernière les briser définitivement. La solution est sans nul doute dans la concertation et le compromis démocratique. Malgré les critiques acerbes qui ont été exprimées ici et là, l’expérience de la Convention citoyenne pour le climat doit être étudiée et perfectionnée. Cela n’enlèvera rien à la légitimité de la démocratie représentative ; bien au contraire, cela la confortera dans ce qu’elle a de plus noble : la représentation de l’intérêt général.
Certes, c’est une méthode complexe. Mais il est primordial de la développer. Car, in fine, c’est l’acceptabilité qui est visée.
Je regrette que les limites de l’exercice n’aient pas été fixées dès le départ. Il était illusoire de faire croire aux participants que toutes les préconisations seraient suivies en l’état. C’est nier le débat parlementaire, essentiel dans le processus, et c’est susciter des frustrations.
Pour conclure, après ces deux semaines de débats, il me vient surtout à l’esprit un dessin de Xavier Gorce de 2017. On y voit l’un des pingouins affirmer : « C’était mieux avant. » Lorsque l’autre lui demande : « Quand ? », il répond : « Quand je croyais que ce serait mieux après. » (Sourires.)
Mes chers collègues, pour que le monde soit mieux après, les efforts doivent être engagés dès maintenant. Ce texte manque d’audace et d’ambition, raison pour laquelle je m’abstiendrai, comme la majorité de mon groupe. L’avenir appartient aux femmes et aux hommes qui doivent assumer leurs choix. Et aujourd’hui, ces choix ne sont pas à la hauteur des enjeux. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE, ainsi que sur plusieurs travées du groupe GEST et du groupe SER.)
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour le groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
M. Fabien Gay. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il est déjà minuit pour notre planète, pour l’humain, pour le vivant.
Le vieux monde est en train de s’écrouler, la planète se dégrade chaque jour de façon irrémédiable, les espèces disparaissent par centaines chaque année, des populations entières voient leur habitat en danger, voire dévasté, et malgré cela nous regardons ailleurs.
Les catastrophes climatiques ne sont plus des phénomènes isolés et lointains. Elles nous touchent plus vite, plus fort et plus souvent, mais nous continuons de regarder ailleurs.
Selon les experts du GIEC, lorsque les enfants nés cette année auront 30 ans, le monde sera déjà irrémédiablement dégradé, soumis aux pénuries d’eau, aux exodes, à la malnutrition et à l’extinction des espèces.
En 2050, que diront nos enfants et petits-enfants de nous ? Que diront-ils de notre inaction climatique, alors que nous savions et que nous n’avons rien fait ou si peu ?
Nous refusons d’accepter le changement vital qui s’impose à nous, changement de mode de pensée, de mode de vie et, surtout, de ce système capitaliste qui épuise l’humain, le vivant, les ressources et la planète au profit de quelques-uns et au détriment du plus grand nombre.
À la place, on nous dit que le chemin est long, qu’il faut maintenir nos efforts. Ces derniers ressemblent à de petits sparadraps avec lesquels on tenterait d’arrêter une hémorragie massive.
Nous sommes pourtant la dernière génération de femmes et hommes politiques à pouvoir agir avant qu’il ne soit trop tard pour les limites planétaires, dont certaines ont déjà été franchies. Malheureusement, ce projet loi n’est pas à la hauteur. Il est même déjà obsolète.
Il est minuit et quart et, en cette heure tardive, comme toujours, madame la ministre, avec les membres du Gouvernement, vous n’avez voulu écouter que vous-mêmes et vos peurs d’une rupture radicale, pourtant nécessaire. Vous ignorez celles et ceux qui se mobilisent : les associations, les syndicats, la jeunesse, jusqu’aux membres de la Convention citoyenne pour le climat que vous aviez missionnés. Les propositions qu’ils ont construites, y mettant du temps, de la réflexion, de l’énergie, mais aussi de l’espoir, vous les piétinez avec ce texte !
Le mot d’ordre des débats sur ce projet de loi fut l’évitement. Nous avons échangé des heures sur l’agriculture, mais vous avez réussi l’exploit d’éviter les sujets du revenu paysan et de la politique agricole commune (PAC). Le régime qui, au sein de cette PAC, rend possible l’utilisation des pesticides sera rétribué au même montant que l’agriculture biologique.
La suppression des aides au maintien en agriculture biologique ne sera pas compensée (M. Laurent Duplomb se récrie.) et les aides au développement des protéines végétales ne seront pas suffisantes pour mettre fin aux importations de soja, destinées à l’alimentation des élevages industriels.
M. Laurent Duplomb. Avec le goulag, c’était mieux !
M. Fabien Gay. Que dire, enfin, de l’attentisme interminable face au fléau des engrais azotés ?
Nous avons discuté des heures sur les repas bio ou végétariens, alors que se multiplient les accords de libre-échange mortifères, responsables de l’augmentation du trafic de marchandises, de la déforestation, du dumping social et écologique. Vous les maintenez sans sourciller et évitez, une fois encore, de vous confronter à cette question.
Ensuite, vous avez évité de prendre en compte les engagements internationaux de la France en fixant un objectif de diminution de 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030, alors que l’Union européenne s’est récemment engagée à diminuer ces mêmes émissions de 55 % à la même échéance pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Certes, des amendements visant à rehausser l’ambition générale du projet de loi ont été adoptés, portant ainsi l’objectif de réduction des émissions de CO2 de 40 % à 55 % d’ici à 2030. Toutefois, selon le Haut Conseil pour le climat, ce texte n’engage aucun changement structurel nécessaire. En outre, une proportion élevée de ses dispositions voit sa portée réduite par un périmètre d’application limité. Le constat est sans appel : en l’état des mesures prises, la France n’atteindra pas ses objectifs.
De la même manière, nous nous sommes émus des problématiques de partage des usages de l’eau, car nous savons que le stress hydrique est une donnée incontournable. Dans le même temps, le Gouvernement a accepté, voire orchestré, la privatisation de l’eau potable en France avec l’affaire Suez-Véolia.
En ce qui concerne les entreprises et les banques, le Gouvernement et la majorité sénatoriale restent dans le déni. Pourtant, un rapport conjoint des Amis de la Terre France et d’Oxfam souligne l’absence d’engagement des établissements bancaires dans la transition énergétique. Pire, ces derniers soutiennent à hauteur de 100 milliards de dollars les entreprises actives dans les énergies fossiles. Il n’y a rien dans ce texte qui les contraigne à tendre vers la décarbonation de leurs activités.
Enfin, et surtout, vous avez évité un élément fondamental : la justice sociale. Alors que les inégalités explosent, vous ignorez toujours les plus précaires, ceux qui seront les plus touchés par les crises à venir.
Tout le monde attend que nous mêlions justice climatique et justice sociale. Nos concitoyens se soucient de l’état de la planète et aimeraient pouvoir la préserver. La transition doit donc être accessible à toutes et à tous.
L’évitement a été total, du début à la fin, la commission déclarant même nos amendements irrecevables. Conséquence : aucun débat sur le travail et le partage du temps de travail ; rien sur le partage de la valeur ajoutée, en particulier dans l’agroalimentaire ; refus de taxer les transactions financières et de déployer les moyens propres à combattre la déforestation importée. (M. Pascal Martin, rapporteur, proteste.)
En ce qui concerne le logement, seuls des objectifs à très long terme ont été fixés, alors que la rénovation des bâtiments est fondamentale. Rien non plus sur le service public ferroviaire et les trains d’équilibre du territoire (TET). Et la liste est encore longue…
Il faut reconnaître que le Sénat, sur certains points, a amélioré le texte initial : publicité pour les véhicules polluants, intégration des impacts sociaux et du respect des droits humains dans l’affichage environnemental, réduction de la TVA sur les billets de train à 5,5 % et exclusion d’entreprises qui ne satisfont pas à l’obligation d’établir un plan de vigilance de certains marchés.
Toutefois, certains reculs sont inacceptables, comme en matière de zones à faibles émissions, alors que les morts prématurées liées à la pollution de l’air ne sont plus contestables. Et que dire de la gestion des installations de fret qui pourront être externalisées, actant un peu plus la casse de SNCF Réseau ?
Il n’est plus possible de croire que, sans remise en cause du dogme de la concurrence libre et non faussée, ainsi que de l’idée d’un monde sans limites, nous puissions répondre aux enjeux climatiques et environnementaux. Oui, un texte qui porte l’ambition d’un changement de société doit mettre au cœur du débat les biens communs et le service public. Nous avons réussi l’exploit de parler d’énergie pendant des heures alors même que vous vous apprêtez à démanteler et privatiser une partie des activités d’EDF.
Pour conclure, il est déjà minuit trente pour la planète. Votre « coup de com’ » visait à vouloir tout changer pour que, finalement, rien ne change. Nous voterons contre ce texte. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et SER, ainsi que sur des travées du groupe GEST.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Longeot, pour le groupe Union Centriste. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Jean-François Longeot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier les membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable pour leur engagement, en particulier ses rapporteurs, qui n’ont pas ménagé leurs efforts ces derniers mois.
Je remercie également les rapporteurs des commissions saisies pour avis pour le travail collectif et complémentaire réalisé en bonne intelligence.
Madame la ministre, nous voilà à la fin du marathon sénatorial qui a commencé pour vous en juin dernier, avec la présentation des propositions de la Convention citoyenne pour le climat dont ce texte est la traduction législative.
À cet égard, permettez-moi une parenthèse : si la Convention citoyenne a démontré que certaines formes de démocratie directe ou participative pouvaient trouver une place dans la Ve République, elle n’a jamais eu vocation à se substituer au pouvoir législatif. Le Parlement a ainsi démontré qu’il n’abandonnerait pas son pouvoir de proposition et son droit d’amendement. (Applaudissements sur les travées des groupes UC et Les Républicains.)
Le texte qui nous arrivait de l’Assemblée nationale nous semblait manquer d’ambition et de pragmatisme. Nous doutions même de son effet climatique, tant il passait à côté de nos engagements européens rehaussés en décembre dernier. Nous regrettions aussi que ce projet de loi soit paradoxalement bavard sur des points de détail et muet sur des secteurs essentiels pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Les travaux de la Convention citoyenne pour le climat montraient les mêmes angles morts, comme l’a souligné le rapport Tirole-Blanchard : « Les recommandations de la CCC ne suffiront certainement pas pour atteindre l’objectif de réduction des émissions de 55 % d’ici à 2030, notamment parce qu’elles n’abordent pas les questions centrales que sont le mix électrique et la tarification du carbone. » Il est donc logique que le présent projet de loi reflète ces faiblesses originelles.
Nous pourrons dès lors nous pencher autant que nous le souhaitons sur la question des échantillons commerciaux, des avions publicitaires ou demander pléthore de rapports. Pour ma part, je pense qu’il est temps d’agir sur les principaux leviers qui nous permettront de rehausser l’effet climatique du projet de loi et, plus généralement, d’engager notre pays sur la voie de la neutralité carbone.
Dans cette optique, je tiens à saluer les nombreux apports du Sénat, qui s’articulent autour de trois ambitions.
Premièrement, supprimer les angles morts du texte. Je salue l’inscription dans le projet de loi de l’objectif de doublement des parts modales du fret ferroviaire et fluvial et la concrétisation de cette ambition via la diminution de la TVA à 5,5 % sur les billets de train.
Je salue également l’impulsion bienvenue pour nos forêts : il nous fallait optimiser leur rôle de puits de carbone, sachant qu’elles absorbent chaque année en France plus de 11 % de nos émissions de gaz à effet de serre.
Deuxièmement, concilier économie, écologie et justice sociale. Je pense à la logique selon laquelle les aides à la rénovation énergétique doivent être davantage attribuées en fonction des revenus et non uniquement de la performance de la rénovation et au rétablissement du taux de TVA à 5,5 % sur les travaux de rénovation énergétique dans le logement social.
Selon moi, la rénovation des bâtiments illustre le chemin heureux de la transition écologique et soulève davantage d’opportunités que de menaces en créant des emplois non délocalisables, en réduisant les émissions polluantes et en améliorant la santé des populations.
Troisièmement, défendre une écologie territoriale et pragmatique. Nous avons choisi de confier la prise de décision en priorité aux collectivités territoriales, car nous savons les élus locaux responsables. Nous avons décliné au niveau des schémas de cohérence territoriale (SCoT) l’objectif de « zéro artificialisation nette » des sols, prévu un droit d’option pour les 200 communes littorales concernées par le recul du trait de côte et dynamisé la politique alimentaire territoriale.
Mes chers collègues, le Sénat a démontré son ambition écologique. Il n’est pas une assemblée ringarde qui passe à côté des grands défis de son temps.
Par l’adoption d’un amendement portant article additionnel avant l’article 1er A, nous avons manifesté notre ambition commune et transpartisane d’aller au bout des engagements climatiques de la France. Notre pays, qui ne représente que 1 % de la population mondiale, n’aura qu’une incidence directe faible sur la lutte contre la transition écologique, mais je suis convaincu qu’il peut avoir une influence indirecte considérable.
« Ce que Paris conseille, l’Europe le médite ; ce que Paris commence, l’Europe le continue », disait Victor Hugo. En amont de la COP26 et de la présidence française de l’Union européenne, notre pays peut donner une impulsion climatique ambitieuse à ses partenaires européens – impulsion qui se retrouverait demain dans les accords commerciaux, par exemple en ce qui concerne la tarification carbone. C’est tout l’enjeu de cet amendement qui tend à réaffirmer les engagements climatiques européens et internationaux de la France, déposé par la plupart des groupes politiques du Sénat, à commencer par le groupe Union Centriste.
Plus globalement, le groupe UC a pris toute sa part dans ce débat. Nous nous réjouissons d’avoir fait adopter en séance des amendements d’importance. Nous avons ainsi fait entrer dans le code minier la notion de « gestion minière durable », acté la création d’un schéma directeur des itinéraires cyclables, inscrit le principe d’une modulation de l’écotaxe pour les poids lourds à faibles émissions ou encore fait adopter un principe de dérogation aux règles de la commande publique pour développer la rénovation énergétique des bâtiments publics.
Fort de ces apports concrets, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce projet de loi, tel qu’il a été amendé par notre Haute Assemblée. Madame la ministre, je vous le dis avec une certaine solennité : nous souhaitons vraiment que la commission mixte paritaire soit conclusive. (Applaudissements sur les travées du groupe UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Joël Bigot, pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Joël Bigot. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voilà au bout de ce marathon législatif qui s’est déroulé à un rythme effréné. Nous avions, en tout et pour tout, quinze jours pour changer la donne et rehausser les ambitions de ce projet de loi.
La voie fut étroite pour le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, même allié sur bon nombre de sujets aux autres groupes de gauche, entre une majorité présidentielle et un Gouvernement qui persistaient à amoindrir, voire à dénaturer les travaux éclairés de la Convention citoyenne pour le climat et une droite sénatoriale qui tentait vainement de se verdir, arc-boutée sur un savant discours construit autour de l’« écologie punitive » – belle trouvaille rhétorique pour justifier l’immobilisme. (M. Antoine Lefèvre proteste.)
Pourtant, mes chers collègues, le contexte dans lequel se sont déroulés nos débats aurait dû nous convaincre de la responsabilité écologique qui nous incombe : la canicule à Paris, les dérèglements climatiques récurrents, les fuites du nouveau rapport du GIEC anticipant des « retombées climatiques cataclysmiques » ou encore le rapport Tirole-Blanchard qui souligne la « menace existentielle » que fait peser le réchauffement climatique.
Les signes annonciateurs sont là et nous continuons de disserter sur l’autorégulation des agents économiques, de multiplier les expérimentations sans définir de trajectoires claires, de ne pas entendre ce que nous disent les citoyens formés par les meilleurs experts que compte notre pays.
À force de surplace, de communication, d’aveuglement devant les conséquences réelles du changement climatique, devant ce temps que nous laissons filer, nous construisons des usines à gaz et organisons notre propre impuissance, comme avec le démantèlement d’EDF, par exemple, au lieu de nous attaquer vraiment à la réduction des gaz à effet de serre.
Comment voulons-nous revivifier notre démocratie si nous nous condamnons à l’inaction ? Lorsque le Gouvernement abaisse la stratégie nationale bas-carbone (SNBC), nous n’assumons pas notre leadership écologique, apparu au précédent quinquennat avec l’accord de Paris.
Et pourtant, le ferment du nouvel universalisme français du XXIe siècle consiste bien à lier l’écologie à la justice sociale. Le GIEC nous y invite : « Nous avons besoin d’une transformation radicale des processus et des comportements à tous les niveaux : individus, communautés, entreprises, institutions et Gouvernement […] Nous devons redéfinir notre mode de vie et de consommation ».
Ce projet de loi y participe-t-il ? Malheureusement non, ou trop fébrilement.
Mes chers collègues, il ne s’agit d’être non pas alarmistes, mais réalistes. Nous ne pouvons que regretter que le Sénat, dans sa majorité, n’ait pas encore terminé sa mue écologique. Trop de vieux réflexes, trop de certitudes nous confinent encore à l’insécurité écologique. Si bien que toute une jeunesse, touchée par la faiblesse générale de nos débats, appelle aujourd’hui à ce que l’ensemble de la classe politique soit formée aux enjeux climatiques, tout comme le furent les 150 citoyens tirés au sort.
Pour notre part, malgré les nombreux amendements que nous avons déposés et défendus, nous n’avons pas réussi à convaincre la majorité sénatoriale de corriger ce projet de loi d’affichage, parcellaire et insuffisant au regard de nos objectifs pour rester en deçà de 1,5 degré.
Nous pouvons tout de même nous réjouir de l’adoption de quelques-unes des propositions que nous semons depuis bientôt cinq ans – la patience a du bon. Je pense à l’introduction de critères sociaux dans l’affichage environnemental, au renforcement du contrôle des engagements des publicitaires et à l’introduction des objectifs de développement durable (ODD) dans les principes de l’achat public, aux mesures relatives à la pollution des sols, traduction des propositions de la commission d’enquête sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols, dont Gisèle Jourda était rapportrice, et de la proposition de loi visant à réformer le régime des catastrophes naturelles, portée par Nicole Bonnefoy.
Nous avons également obtenu quelques avancées au titre III comme la création d’un prêt à taux zéro pour l’achat d’un véhicule propre afin d’alléger le reste à charge des ménages modestes et la réduction du taux de TVA pour le transport ferroviaire de voyageurs.
En outre, comme l’a souligné notre collègue Henri Cabanel, la Haute Assemblée a approuvé la reconnaissance, chère à Franck Montaugé, des externalités positives de l’agriculture et le développement des services environnementaux et d’aménagement des territoires ruraux. Il s’agit d’une avancée très importante, au même titre que l’introduction dans notre politique en faveur de l’agriculture et de l’alimentation de la nécessité de préserver nos agriculteurs de la concurrence déloyale des produits importés ne respectant pas les normes imposées par la réglementation européenne.
Toutefois, au regard des avis défavorables émis par le Gouvernement, il est à craindre que ces quelques acquis ne résistent pas à la commission mixte paritaire…
Par ailleurs, nos critiques sur l’absence de justice sociale demeurent fondées après deux semaines de débat. On ne trouve rien dans ce texte sur la résilience sociale. N’oublions pas que le mouvement des gilets jaunes est né d’une augmentation de la taxe carbone et qu’il a conduit au gel de la trajectoire de la contribution carbone en 2019.
Sans évaluation des impacts sociaux des mesures prises en termes de pouvoir d’achat et d’emplois, la transition écologique est condamnée à échouer, faute d’acceptabilité sociale.
Notre proposition de garantie emploi vert, qui a reçu un avis défavorable, aurait permis la conversion écologique de notre modèle économique. Vous avez préféré reculer face au e-commerce et favoriser la casse sociale et environnementale. Nier la dimension solidaire de la transition écologique ne fera que renforcer les inégalités face au réchauffement climatique.
Je terminerai par une illustration très concrète de nos débats, qui démontre nos difficultés, en tant que groupe de l’opposition, à faire valoir le réalisme écologique : d’un côté, le Gouvernement refuse d’élargir l’interdiction, prévue à l’article 36, des vols réguliers de moins de deux heures trente aux vols effectués en jet privé, car cela « remettrait en cause la liberté d’aller et venir » selon Mme Wargon – ne touchons surtout pas aux ultraprivilégiés ! – alors qu’il s’agit de défendre l’intérêt général et nos enfants ;…
Mme Sophie Primas. Quelle caricature !
M. Joël Bigot. … de l’autre, la droite de cet hémicycle, tout en repoussant l’interdiction de location des logements classés F, crée un nouveau congé pour travaux de rénovation énergétique des logements – pour le coup, ce n’est pas une caricature ! –, ce qui permet d’expulser plus facilement un locataire sous motif de rénovation d’un bâtiment.
Voilà l’écueil politique, les paradoxes de la communication et l’inertie auxquels nous sommes confrontés au moment d’enclencher la transition écologique et solidaire. Si le projet de loi contient des petits pas, il constitue un terrible aveu d’impuissance climatique et un véritable échec pour le Gouvernement.
Alors que la Convention citoyenne pour le climat fut une très belle réussite démocratique, nous ne pouvons que regretter la faiblesse de sa traduction législative. Pour toutes ces raisons, nous voterons contre le texte qui nous est proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe SER, ainsi que sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, Saint-Exupéry disait que nous empruntions la terre à nos enfants. S’il parlait assurément de la nature, il parlait surtout de la cité tout entière. Face aux intérêts court-termistes de quelques-uns, il nous invite à voir la transmission dans le temps long et à protéger ce qui fait notre bien commun.
Si l’écologie nous concerne tous, la vague notion de climat et résilience en titre de ce projet de loi annonçait déjà un contenu conforme à un prêt-à-penser bien éloigné d’une clairvoyance écologique nouvelle. Confondre écologie et climat, c’est déjà laisser libre cours à l’idéologie qui fait de la taxation l’alpha et l’oméga d’un écologisme aussi punitif qu’inefficace.
Ce projet de loi reflète le « en même temps » progressiste, friand de contradictions. Ce texte se contente de mesures néfastes ou de surface. Je pense en particulier aux éoliennes, véritable totem sacré de l’écolo-boboïsme : elles polluent nos sols avec des milliers de mètres cubes de béton, tuent nos oiseaux et font fuir la faune ; elles ont un bilan carbone déplorable, ruinent des milieux de vie, défigurent les contours poétiques de nos paysages. Dans les Bouches-du-Rhône, le projet d’implantation de ces horreurs au pied de la merveilleuse montagne Sainte-Victoire, si chère à Cézanne et à tous les amoureux de ce que la nature nous a offert de plus beau, est un véritable crime !
Avec les parcs éoliens et solaires terrestres ou offshore, vous industrialisez et défigurez nos paysages, vous généralisez le retour aux centrales à gaz et à charbon pour un bilan écologique négatif.
Il est donc important d’autoriser les maires à refuser l’implantation d’éoliennes sur leur commune. C’est ce qu’a fait le Sénat, dans sa grande sagesse – nous ne pouvons que nous en réjouir.
Notre assemblée a aussi supprimé la notion de crime d’écocide, laquelle aurait pu se retourner contre votre chantier de forage d’éoliennes offshore en baie de Saint-Brieuc, madame la ministre.
Autre totem exubérant : les repas végétariens hebdomadaires dans les cantines, dont la généralisation a été supprimée par le Sénat. Le syndicat Culture Viande nous explique que 70 % du poulet servi dans les cantines sont importés de l’étranger, mais tant pis si nos écoliers sont nourris avec de la viande brésilienne : l’important, c’est qu’ils mangent un menu végétarien par semaine !
Sans nouveauté, on constate surtout à quel point la question cruciale de l’environnement est instrumentalisée par des idéologues, qui parlent de planter des arbres, mais s’acharnent surtout à couper nos racines.
M. Guy Benarroche. Cela suffit !
M. Stéphane Ravier. Pour œuvrer en faveur de l’environnement, nous devons protéger nos producteurs locaux, favoriser les circuits courts, revoir notre place dans la mondialisation.
L’écologie ne s’impose pas selon les codes d’un exercice bureaucratique. Cette responsabilité s’exerce localement, dans le quotidien de chacun.
Je pense d’ailleurs qu’il existe encore un bon sens local, puisque je ne vois toujours aucune éolienne de 150 mètres de haut dans le jardin du Luxembourg ni de panneaux solaires sur le toit du Sénat ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Grand. Vous brassez suffisamment de vent !
M. Guy Benarroche. Ce serait une bonne idée !
M. Stéphane Ravier. Comme alternative à la mondialisation écologiquement désastreuse, nous proposons une écologie de la vie, enracinée et locale, incitative, respectueuse de l’homme et de l’intégrité, notamment visuelle, de la biodiversité.
En vue d’y contribuer, je voterai les modifications positives apportées par les sénateurs, portant la parole des élus locaux sur ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 14 juin dernier, nous étions réunis ici même pour débuter l’examen de ce projet de loi.
Au nom de mon groupe, j’avais exprimé notre regret face au manque d’ambition de ce texte non seulement au regard de la volonté affichée et des engagements pris par le Président de la République devant la Convention citoyenne pour le climat, mais aussi du décalage avec le projet de loi de révision constitutionnelle, qui vise à placer au plus haut la question environnementale.
Avec d’autres groupes, nous avons rédigé et voté un amendement tendant à imposer à la France de respecter la trajectoire définie par les accords de Paris et la future répartition des efforts négociée au niveau européen en termes d’émissions de CO2.
Il s’agissait tout simplement de rappeler au Gouvernement ses obligations, alors que de nombreux observateurs et acteurs – Haut Conseil pour le climat, organisations non gouvernementales (ONG) et parlementaires – s’inquiètent.
Plusieurs milliers d’amendements et des dizaines d’heures de débat plus tard, force est de constater que les échanges ont été riches. Chacun a pu défendre ses positions, souvent avec conviction, parfois avec sensibilité, mais toujours avec beaucoup de sobriété, sans sombrer dans la caricature ou les clichés habituels en ce genre de circonstances. La raison est simple : individuellement et collectivement, nous partageons désormais une certitude, celle de l’urgence d’agir pour le climat.
Bien sûr, la France ne réglera pas à elle seule cette question essentielle, pour nous-mêmes et nos enfants. Toutefois, en tant que grande puissance et en raison de ce qu’elle représente dans le concert international des nations, elle peut et doit y contribuer.
Ce projet de loi nous permet d’apporter une touche supplémentaire. Sous l’impulsion tant de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable que de la commission des affaires économiques – dont je salue les présidents respectifs, Jean-François Longeot et Sophie Primas –, le Sénat a grandement bonifié ce texte.
Avec le sens des responsabilités qui caractérise la Haute Assemblée, nous nous sommes imprégnés de ce texte, nous en avons décortiqué le moindre mot, chaque article, chaque titre. Qu’il me soit permis de saluer le travail fourni par les différents rapporteurs, qui ont su trouver sur de nombreux sujets un équilibre parfois subtil, entre raison, ambition et tentation de suppression. Les multiples auditions et contributions ont exigé des rapporteurs un fort investissement. Je les en remercie au nom de chacun d’entre nous.
Certains considéreront sans doute que nous ne sommes pas allés assez loin ou assez vite ; d’autres penseront le contraire, comme nous l’avons constaté au cours des débats ou encore à l’instant même, à travers les interventions des orateurs qui m’ont précédé.
Cela signifie sans doute que la voie empruntée est la bonne, avec du bon sens et du pragmatisme, sans idéologie ni dogme. J’en veux pour preuve les avancées à tous les titres : affichage environnemental, encadrement de la publicité, certification de la neutralité carbone, impact des livraisons, économie sociale et solidaire, commande publique, cycle de vie, pollution des eaux et continuité écologique, forêt, éolien terrestre et en mer, hydroélectricité, méthanisation, taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), verdissement du parc de poids lourds, TVA à 5,5 % sur le transport ferroviaire, compensation carbone pour l’aérien, transport de marchandises, véhicules particuliers et entreprises, vélos, ZFE, recul du trait de côte, aires protégées, qualité de l’air, rénovation performante des bâtiments, pollution des sols, catastrophes naturelles, restauration collective, produits locaux et de qualité, souveraineté alimentaire, déforestation importée…
Cette liste n’est pas exhaustive. Elle illustre incontestablement l’importante contribution des sénatrices et des sénateurs, quel que soit leur groupe politique d’origine – au cours de ces quinze jours de débat, tous les groupes ont d’ailleurs vu certains de leurs amendements être adoptés.
En réalité, nous ne faisons qu’accompagner la prise de conscience et les réalisations de tous les acteurs engagés – associations, entreprises, agriculteurs, collectivités locales, fédérations et syndicats professionnels.
Chaque jour qui passe apporte son lot de nouvelles encourageantes : une économie qui se dirige à grands pas vers la décarbonation, le glissement des énergies fossiles vers les énergies renouvelables, des investissements vertueux et responsables…
De façon irréversible, les enjeux « climat » sont désormais intégrés à tous les niveaux de la société et par chacun de nos concitoyens – je m’en réjouis. Engagé sur ces sujets depuis toujours, je peux attester de cette évolution rapide et positive.
Restons lucides cependant : beaucoup reste à faire pour modifier la trajectoire. Mais nous sommes confiants en la capacité de l’homme à accélérer le mouvement amorcé depuis plusieurs années. Nous ne souhaitons pas céder au catastrophisme ou au déclinisme de certains, parce que nous avons intimement besoin d’une « Espérance ». Je crois en l’instinct de survie de notre espèce. Nous saurons ensemble protéger le vivant et faire preuve d’altruisme. J’ai foi en notre humanité.
Madame la ministre, avec Bérangère Abba, Jean-Baptiste Djebbari, Emmanuelle Wargon et Julien Denormandie, qui se sont succédé au banc du Gouvernement, vous avez pu mesurer notre implication et notre volonté, affichée à plusieurs reprises, d’aboutir à une commission mixte paritaire conclusive qui intégrerait l’essentiel de nos apports à ce texte, que notre groupe votera. Il s’agirait d’un signal fort, à quelques encablures de la COP26 de Glasgow et de la présidence française de l’Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur des travées du groupe UC – M. Franck Menonville applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle, pour le groupe Les Indépendants – République et Territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, une fois de plus, le Sénat est arrivé au bout d’un projet de loi « XXL » en y apportant sa touche territoriale.
Plus de 4 200 amendements ont été discutés, des dizaines d’articles ont été ajoutés ou réécrits, en commission et en séance publique. Nous avons réussi à inscrire ce texte dans le concret afin de favoriser une transition réaliste et équilibrée.
Mon groupe tient à saluer le travail remarquable accompli par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en particulier par son président et ses rapporteurs.
Si l’on en croit les discours indignés des adeptes de la décroissance, le Gouvernement aurait déçu les ambitions de la Convention citoyenne pour le climat. Je pense plutôt que le politique a été suffisamment pragmatique pour ne pas reprendre sans filtre toutes les mesures, de bon sens ou non, élaborées par les « 150 ».
En se plongeant dans les centaines de pages du dispositif législatif, un autre diagnostic s’impose : la bien-pensance et la bureaucratie ont trouvé de nombreux terrains d’entente.
Il faut le dire clairement : ce texte est une mine d’or pour tous les administrateurs convaincus que la complexification des normes et l’alourdissement des charges sont les gages d’une action publique vertueuse.
Bien naïf qui croirait que de simples citoyens, confrontés tous les jours à une administration tatillonne, ont pu élaborer des solutions si complexes et si procédurières aux problèmes climatiques sans l’aide bienveillante des fonctionnaires de l’hôtel de Roquelaure.
Les huit parties de ce texte traitent de sujets aussi divers qu’importants. Ainsi, nos débats nous ont conduits de la rénovation des bâtiments à l’écocide en passant par les transports, la publicité, les énergies et l’agriculture. Mais, de manière récurrente, nous avons eu l’impression de passer à côté de sujets primordiaux.
Comment fixer un objectif ambitieux de diminution des émissions de gaz à effet de serre sans se pencher d’un peu plus près sur l’avenir de notre mix énergétique et en se contentant d’évoquer du bout des lèvres la question du nucléaire ? C’est pourtant l’une des clés du problème.
Des sujets comme l’hydrogène ou le transport fluvial auraient également mérité un examen plus approfondi.
Les sénateurs du groupe Les Indépendants – République et Territoires ont fait preuve de vigilance et ont déposé de nombreux amendements, que ce soit en commission ou en séance publique, dont beaucoup ont été adoptés. Ces dispositions traduisent la vision libérale et pragmatique de l’écologie que notre groupe défend depuis sa création.
Il est impératif de conjuguer les dimensions environnementale, économique et sociale pour œuvrer à une transition efficace, rapide et juste, à la fois pour les citoyens et pour les territoires.
Nous avons défendu une vision de l’agriculture alliant des rémunérations dignes de ce nom aux impératifs écologiques. Il faut absolument trouver un consensus dans ce domaine. Arrêtons les surtranspositions et l’autoflagellation ! Sachons reconnaître que notre agriculture est l’une des plus propres et l’une des meilleures du monde. À écouter les intégristes en tout genre, nous finirons par importer n’importe quoi en matière d’alimentation.
M. Rémy Pointereau. C’est vrai !
M. Gérard Longuet. Ça, c’est dit !
M. Pierre Médevielle. De même, nous avons soutenu le développement des bioliquides et des biocarburants, ainsi que le stockage dans le secteur des énergies renouvelables. Ce sont là autant de sujets essentiels pour l’avenir de la France et même de la planète.
Malgré la densité de ce texte, je tiens à revenir sur quelques sujets majeurs dont notre attention ne doit pas être détournée.
La question de l’énergie nucléaire n’a été qu’effleurée. Or nous pensons que le nucléaire est essentiel à notre bouquet énergétique…
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
M. Pierre Médevielle. …, qu’il sécurise notre approvisionnement et que la France doit continuer à innover dans ce domaine. (Mme Vanina Paoli-Gagin acquiesce.)
Le nucléaire sert d’appui aux innovations dans le champ des énergies renouvelables, au stockage de ces dernières et à leur intégration dans notre mix énergétique.
La problématique du littoral, qui m’est chère, a fait l’objet de discussions intéressantes. En tant que membre du Conservatoire du littoral, j’insiste une nouvelle fois sur l’extraordinaire importance de celui-ci pour l’ensemble du territoire national. (Mme la ministre opine.) Sa protection est notre devoir, tant sa place pour la préservation de la biodiversité et l’équilibre des espèces est primordiale.
Le volet « transports » a été un sujet de réflexions particulièrement intenses. Arrêtons de pénaliser nos propres PME dans le secteur du transport routier de marchandises : il est important de leur donner le temps nécessaire à la transition tout en les accompagnant réellement.
Notre transition doit nous permettre de rester compétitifs : elle ne doit pas détruire nos emplois et notre système économique.
M. Emmanuel Capus. Très bien !
M. Pierre Médevielle. Enfin, la stratégie nationale de lutte contre l’artificialisation des sols illustre, d’une part, le manque de réalisme que traduit parfois ce texte et, d’autre part, l’écart entre l’objectif affiché et les moyens déployés pour l’atteindre.
Pas un seul Français ne se réjouit que notre pays se bétonne à vue d’œil ; mais aucun ne comprendrait que son logement ou son emploi soit soumis à l’application très stricte de règles émises depuis Paris.
Sur ce sujet encore, le Sénat a été force de proposition pour assouplir la mise en œuvre territoriale de la stratégie nationale.
Nous imaginons à peine les contraintes que ce texte risque de faire peser sur le développement de nos territoires, et tout particulièrement de la ruralité, dans les années à venir. Surtout, nous risquons de leur imposer une double peine : non seulement nous les contraindrons dans leur développement, mais nous pénaliserons davantage les territoires vertueux, qui ont peu artificialisé au cours des dernières années.
Les élus de notre groupe ont formulé des propositions afin d’apporter des solutions à ces problèmes.
En matière de transition écologique comme dans de nombreux autres domaines, les solutions ne seront efficaces que si elles sont territorialisées. Cela étant, le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dit « projet de loi 3DS », nous fournira l’occasion d’approfondir ces débats.
Le dérèglement climatique est une réalité de tous les jours dans nos territoires, dans le mien, dans le vôtre. Chaque saison se modifie, les sécheresses s’accentuent, les pluies sont désormais diluviennes et nous devons nous adapter rapidement. Mais on ne mènera pas cette adaptation en reculant : c’est pourquoi nous devons trouver des solutions ambitieuses, audacieuses et novatrices. Ces dernières n’auront de sens que si nous travaillons à l’échelle européenne, puis mondiale.
Le chemin est encore long, le défi est immense et nous n’avons d’autre choix que de le relever.
Pour toutes ces raisons, les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires voteront ce texte à l’unanimité et poursuivront le travail de la transition, en espérant une commission mixte paritaire conclusive ! (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP, ainsi que sur des travées du groupe UC et au banc des commissions.)
M. le président. Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 148 :
Nombre de votants | 347 |
Nombre de suffrages exprimés | 293 |
Pour l’adoption | 193 |
Contre | 100 |
Le Sénat a adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP ainsi que sur des travées des groupes RDSE, UC et Les Républicains.)
La parole est à Mme la ministre.
Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer ceux qui ont eu l’initiative de ce projet de loi…
M. Jean-François Husson. Celles et ceux ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Barbara Pompili, ministre. Tout à fait : celles et ceux qui en ont eu l’initiative !
En effet, ce texte a été précédé d’un exercice démocratique inédit. Cette initiative est certainement perfectible, et nous devrons en tirer des leçons, mais elle a eu le mérite d’essayer de répondre au désarroi d’un certain nombre de nos concitoyens qui souhaitent participer à l’exercice de la démocratie, que nous devons tous chercher à réinventer.
Les 150 membres de la Convention citoyenne pour le climat ont déployé beaucoup d’énergie. Ils ont consacré beaucoup de leur temps à ce travail, beaucoup de weekends, qu’ils n’ont pas passés en famille… (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Et nous ?
M. Rémy Pointereau. Et nous alors ?
Mme Barbara Pompili, ministre. Ils ont également pris sur leur temps de travail pour prendre part à cette entreprise, et ce de manière bénévole.
Leur contribution s’est traduite par un certain nombre de décisions et de mesures, prises notamment dans le cadre du présent texte, lequel a ensuite été confié à la représentation nationale.
Certains, moi comprise, exprimaient des réserves à cet égard ; ils redoutaient d’éventuels conflits de légitimité ou encore une opposition entre cette logique et celle de la démocratie représentative. Aujourd’hui, ils peuvent être rassurés : chacun a fait sa part du travail et la démocratie représentative a joué son rôle, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat.
M. Marc-Philippe Daubresse. Vous êtes bien la seule à être rassurée !
Mme Barbara Pompili, ministre. Sur le fond, je rappelle que ce projet de loi s’inscrit dans un ensemble beaucoup plus vaste ; c’est précisément pourquoi un certain nombre de sujets n’y figurent pas. Il vient après d’autres textes, notamment la loi d’orientation des mobilités (LOM)…
M. Fabien Gay. Parlons du ferroviaire !
Mme Barbara Pompili, ministre. … qui, pour sa part, avait fait l’objet d’assises, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire ou encore une précédente loi relative à l’énergie et au climat.
Ce texte s’inscrit également dans un processus de relance de notre machine économique. (M. Fabien Gay manifeste son exaspération.) Ainsi, le plan de relance bénéficie aux entreprises, aux différents secteurs émetteurs de gaz à effet de serre comme aux filières que nous voulons faire émerger, tout en consacrant 30 milliards d’euros à la transition écologique.
Bref, il s’agit d’un ensemble ; voilà pourquoi, si l’on ne regarde que lui, le présent texte peut sembler frustrant. Tous les enjeux n’y sont pas abordés, précisément parce que certains d’entre eux sont traités ailleurs.
De même, notre politique de transition énergétique est encadrée par des procédures. Nous disposons d’une programmation pluriannuelle de l’énergie…
M. Fabien Gay. Pour démanteler EDF !
Mme Barbara Pompili, ministre. … qui fera elle-même l’objet d’un projet de loi, lequel sera étudié en 2023 ou en 2024.
J’y insiste, ce texte s’inscrit dans un processus global. Cela étant – j’ai pu entendre certaines observations à ce propos et je tiens à y répondre –, nous avons veillé à éviter les erreurs du passé.
On a trop souvent pensé la transition écologique sans tenir compte de ce qu’il y a dans son sillage, sans faire suffisamment attention aux retombées des mesures prises, qu’il s’agisse des territoires ou de nos concitoyens. Or, le but de ce texte, c’est précisément de faire entrer l’écologie dans la vie quotidienne des gens et d’apporter des solutions à tout le monde. Voilà pourquoi toutes ses dispositions, sans exception, sont assorties de mesures d’accompagnement, notamment à destination des personnes les plus en difficulté.
Je salue également le travail très fourni accompli par les rapporteurs et les présidents des deux commissions qui se sont principalement penchées sur ce texte. Ce travail a donné lieu à de nombreux échanges et à un véritable dialogue.
Bien sûr, nonobstant ces salutations républicaines, des désaccords persistent entre nous. Mais je vois au moins une raison de me réjouir : sur aucune travée je n’ai entendu remettre en question l’urgence à agir pour la transition écologique en général. C’est un immense progrès.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cela fait vingt ans que je travaille sur ces questions ; cela fait vingt ans que je suis engagée pour l’écologie. Or ce basculement est récent et, je le répète, c’est un point extrêmement positif, que je salue avec force.
Vous en conviendrez tous : il est facile d’énoncer des vérités générales ou de déposer un amendement autour duquel tout le monde s’accorde. Mais, en règle générale, si une disposition fait l’unanimité, c’est parce qu’elle n’est somme toute pas très contraignante… C’est très bien d’affirmer par voie d’amendement qu’il faut respecter les règles, mais, ensuite, il faut entrer dans le dur pour assurer la mise en application ; et, bizarrement, cela devient plus difficile !
Certains disent que ce projet de loi est une coquille vide, qu’il n’a pas beaucoup de substance. Mais il se heurte quand même à de très nombreuses oppositions : pour d’autres, à l’évidence, ce peu de substance, c’est encore trop. D’une certaine manière, comme le disaient certains orateurs, nous sommes donc sans doute dans le vrai.
Nous avons d’importants désaccords – ils ont été entérinés –, notamment sur des questions de fond, qu’il s’agisse des ZFE, de l’artificialisation, de la continuité écologique des cours d’eau, des énergies renouvelables, de la publicité, du crime d’écocide ou d’autres sujets encore.
Je souhaite que l’on revienne sur ces différents points en commission mixte paritaire. Nous verrons comment elle se déroulera. Quoi qu’il en soit, nous devons à tous nos concitoyens de garder une très haute ambition pour ce texte et j’y serai extrêmement attentive dans les semaines à venir.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures quarante-cinq, est reprise à seize heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
3
Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que des candidatures pour siéger au sein de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets ont été publiées.
Ces candidatures seront ratifiées si la présidence n’a pas reçu d’opposition dans le délai d’une heure prévu par notre règlement.
4
Prévention d’actes de terrorisme et renseignement
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (projet n° 672, texte de la commission n° 695, rapport n° 694, avis nos 690 et 685).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, il y a près de quatre ans, le Sénat adoptait la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT ».
Il s’agissait, en 2017, de sortir de l’état d’urgence, qui n’avait pas vocation à constituer un état permanent. Il s’agissait aussi de maintenir un niveau extrêmement exigeant de sécurité pour les Français, dans un contexte marqué par une menace terroriste prégnante.
À cette fin, la loi SILT, entrée en vigueur le 1er novembre 2017, a permis le déploiement d’outils nouveaux, mais adaptés, garantissant un équilibre entre efficacité de l’action antiterroriste et préservation des libertés.
C’est cet équilibre, atteint par l’adoption de la loi relative au renseignement du 24 juillet 2015 et de la loi SILT précitée, que prolonge le projet de loi dont nous allons débattre aujourd’hui.
Il s’agit pour nous d’amplifier les moyens de la lutte antiterroriste tout en renforçant les garanties entourant la mise en œuvre des dispositifs opérationnels, dans le strict respect des principes constitutionnels.
La mobilisation du Gouvernement pour lutter contre le terrorisme est constante. Depuis 2017, et à la demande du Président de la République, le Gouvernement a œuvré avec une très grande détermination au renforcement des dispositifs de lutte contre la menace terroriste.
Nous l’avons fait en continuant, avec le soutien du Parlement, à augmenter les moyens mis à la disposition des services spécialisés dans la lutte antiterroriste, notamment les services de renseignement. Au total, 1 000 postes y ont été créés depuis 2017. En parallèle, les budgets d’investissement et de fonctionnement des services ont fait l’objet d’un effort financier sans précédent.
En effet, la lutte contre le terrorisme exige de nous une mobilisation totale. Sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, avec l’engagement de l’ensemble des forces de sécurité et des services de renseignement, avec l’appui de la justice, nous menons ce combat sans relâche.
Nous ne renoncerons jamais à traquer ces ennemis de la République, qui attaquent par la terreur notre mode de vie et nos valeurs : la laïcité, la liberté d’expression, la liberté de conscience – et je n’oublie pas non plus les droits des femmes.
Respect de l’équilibre initial, recherche du plus large consensus, efficacité opérationnelle, détermination dans la lutte contre le terrorisme : tel est le sens du texte qui vous est soumis aujourd’hui.
Ce projet de loi n’est pas un point de bascule, bien au contraire : il s’inscrit dans une dynamique dont nous vous avons régulièrement rendu compte. À cet égard, je tiens à saluer les membres de nos services de renseignement, nos policiers et nos gendarmes, qui, chaque jour, accomplissent un travail exceptionnel pour identifier les menaces, suivre les individus dangereux et mettre en échec leurs projets meurtriers.
Ainsi, depuis 2017, quelque 14 attentats terroristes islamistes ont été perpétrés sur le territoire national – 3 en 2017, 3 en 2018, 1 en 2019, 6 en 2020, 1 en 2021. Ils ont causé 25 morts et 83 blessés. J’ai bien sûr une pensée pour chacune de ces victimes. Dans le même temps, 36 attentats ont été déjoués par nos services, dont 3 encore en 2021.
Grâce à la loi SILT, ces services ont continué à disposer, après la fin de l’état d’urgence, d’un cadre législatif efficace et adapté à leur action. L’autorité administrative – préfet ou ministre de l’intérieur selon les cas – s’est vue reconnaître des compétences nouvelles, strictement proportionnées à l’état de la menace et toujours placées sous le contrôle du juge. À ce titre, le seul but de notre action est de prévenir des actes de terrorisme.
Ainsi, il est possible de mettre en place des périmètres de protection, afin d’assurer la sécurité d’un lieu ou d’un événement ; de procéder à la fermeture des lieux de culte où se tiennent ou circulent des propos ou théories incitant à la commission ou faisant l’apologie d’actes de terrorisme ; d’édicter, à l’encontre d’individus présentant un niveau de menace caractérisée pour la sécurité et l’ordre publics, des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, et ce depuis le 1er novembre 2017 ; ou encore de solliciter du juge judiciaire l’autorisation de procéder à la visite domiciliaire d’un lieu fréquenté par de tels individus et à des saisies.
J’insiste sur la manière dont ces outils nouveaux ont été employés. Au 28 juin 2021, quelque 618 périmètres de protection ont été mis en place, dont 1 en vigueur à ce jour, et 8 lieux de culte ont été fermés. Dans le même temps, 463 Micas ont été notifiées ; je précise que 75 d’entre elles sont actives à ce jour. Enfin, 482 visites domiciliaires ont été réalisées, dont 305 depuis l’attentat contre Samuel Paty, et 256 saisies ont été effectuées. Ces mesures ont toujours été utilisées de manière ciblée, sous le contrôle du juge.
Le Parlement a bien été informé sans délai de la mise en œuvre de chacune de ces mesures, conformément aux exigences fixées par le législateur en 2017. Il a également été rendu destinataire, chaque année, d’un rapport d’évaluation sur la mise en œuvre de la loi.
De la même manière, le Gouvernement a fait un usage raisonné de la technique dite « de l’algorithme ». Ainsi, depuis 2015, trois traitements automatisés ont été autorisés par le Premier ministre, après avis favorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR.
La délégation parlementaire au renseignement a été rendue destinataire d’éléments classés « confidentiel défense », qui décrivent la nature de l’apport opérationnel de ces traitements automatisés. En mars dernier, elle a également été invitée à visiter les locaux et les services de la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI.
Il n’est pas possible de détailler les résultats obtenus au moyen de ces algorithmes, pour la simple et bonne raison qu’ils sont protégés par le secret de la défense nationale.
On peut néanmoins relever, comme le souligne l’étude d’impact de ce projet de loi, que cette technique de renseignement a notamment permis de détecter des contacts entre des individus porteurs d’une menace terroriste – il s’agit là d’un point fondamental ; d’obtenir des informations sur la localisation d’individus en lien avec cette menace ; de mettre au jour les comportements de personnes connues des services de renseignement et exigeant des investigations plus approfondies ; enfin, d’améliorer la connaissance des services sur la manière dont procèdent les acteurs de la mouvance terroriste.
Les mesures dont le présent texte prolonge l’application constituent donc des outils opérationnels indispensables pour les services spécialisés dans la lutte contre le terrorisme.
Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est pour des raisons d’efficacité que je vous présente aujourd’hui ce projet de loi. Il est indispensable à l’activité des femmes et des hommes qui luttent chaque jour contre la menace terroriste et à qui je rends une nouvelle fois hommage. Il concilie les moyens opérationnels au service de la lutte antiterroriste et les garanties au service des libertés individuelles.
Au nom du Gouvernement, je tiens également à remercier les membres de la commission des lois du Sénat, ceux de la délégation parlementaire au renseignement et ceux de la mission commune d’information sur l’évaluation de la loi Renseignement de la qualité du travail accompli depuis plusieurs mois avec le Gouvernement.
Ce travail commun est mené au profit de l’intérêt général et je souhaite bien entendu qu’il se poursuive : face à ces questions, il est fondamental que nous puissions agir ensemble, en responsabilité ! (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous voici réunis pour examiner les suites à donner à la loi SILT.
Je le rappelle à mon tour : faute d’intervention du législateur, plusieurs dispositions du code de la sécurité intérieure arrivent à échéance en 2021, après avoir été prorogées de sept mois par la loi du 24 décembre 2020.
Sont notamment concernées les dispositions introduites par la loi SILT pour prendre le relais du régime de l’état d’urgence, à commencer par les articles 1er à 4 de ce texte, qui ont instauré des mesures de police administrative inspirées de l’état d’urgence : périmètres de protection, fermeture des lieux de culte, mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, visites domiciliaires et saisies.
Parce qu’il s’agit de mesures fortement attentatoires aux libertés, le législateur a prévu un contrôle parlementaire renforcé, ainsi qu’une date de caducité de ces dispositions. Initialement fixé au 31 décembre 2020, ce terme a été reporté au 31 juillet 2021.
À ce titre, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui procède à divers ajustements. Il limite la durée de mise en place des périmètres de protection, élargit la mesure de fermeture administrative des lieux de culte en permettant la fermeture des locaux annexes et autorise la saisie des supports informatiques lorsque, à l’occasion d’une visite domiciliaire, la personne fait obstacle à l’accès aux données concernées ou à leur copie.
Pour ce qui concerne les Micas, ce projet de loi donne notamment au ministre de l’intérieur le droit d’exiger un justificatif de domicile ou de permettre le prononcé d’une interdiction de paraître.
Mes chers collègues, en décembre 2020, nous avions déjà proposé de pérenniser ces dispositions, plutôt que de les proroger. Le Sénat avait alors adopté la plupart des ajustements proposés, qui reprennent des recommandations formulées par notre commission.
Aussi, nous ne pouvons que souscrire à la pérennisation de ces dispositions, tout en regrettant que l’on ait perdu tant de temps : le Sénat avait proposé, peu ou prou, 80 % des mesures que le Gouvernement présente aujourd’hui !
Plus complexe est la question des modalités de sortie de détention des personnes condamnées pour actes de terrorisme. En tout, elle concerne environ 80 personnes par an pendant trois ans, qui, lors de leur élargissement, ne bénéficieraient pas de mesures d’accompagnement.
Face à cet enjeu, le Parlement a adopté, le 27 juillet 2020, une loi instaurant des mesures de sûreté, qui visait avant tout à introduire une nouvelle mesure judiciaire de suivi et de surveillance post-sentencielle.
Le Conseil constitutionnel, saisi a priori, a toutefois jugé que la mesure envisagée n’était ni adaptée ni proportionnée et l’a donc déclarée inconstitutionnelle.
Nous sommes d’accord sur le constat : les dispositifs existants ne permettent pas d’assurer un suivi satisfaisant de ce public, qui représente pourtant une menace majeure pour notre société – le parquet national antiterroriste nous l’a confirmé.
En la matière, deux voies existent : le Gouvernement propose d’allonger la durée des Micas à deux ans, tout en instaurant une mesure de sûreté judiciaire plus légère ; nous proposons au contraire de concentrer l’essentiel du dispositif sur la mesure judiciaire.
Ce dispositif répond à une démarche d’« ensemblier » et nous permet d’atteindre à la fois un objectif de réadaptation sociale et un objectif de surveillance de l’individu Si cette solution nous paraît meilleure, c’est d’abord et avant tout parce que nous préférons à des réponses administratives une réponse judiciaire, offrant davantage de garanties tant du point de vue des personnes concernées qu’au regard aux exigences du débat contradictoire.
La mesure que nous proposons constitue la reprise de la proposition de loi de François-Noël Buffet adoptée par le Sénat le 25 mai dernier ; elle répond – je le disais – à une démarche d’ensemblier et adapte le dispositif adopté par le Parlement en juillet 2020 pour répondre point par point aux objections soulevées par le Conseil constitutionnel.
Elle nous semble d’autant plus pertinente que les Sages ont déjà déclaré qu’étendre d’un à deux ans la durée des Micas serait inconstitutionnel, et ce « quelle que soit la gravité de la menace » – d’où le débat que nous avons avec le Gouvernement.
Voilà pour l’essentiel. J’ajouterai un mot sur l’article 6, qui traite du problème de la transmission de données psychiatriques : le Gouvernement souhaite une transmission assez large, y compris à tous les services de sécurité intérieure. Nous avons volontairement restreint, pour des raisons d’équilibre, la portée de cet article, mais sommes prêts à trouver un compromis dans le cadre de la discussion d’amendements.
Pour ce qui concerne enfin l’article 18, qui encadre la possibilité pour les services de l’État d’utiliser un dispositif de brouillage des ondes émises par des drones malveillants, il nous a semblé que la base légale proposée était tout à fait pertinente.
Nous sommes donc sur une ligne de crête ; l’emprunter nécessite, s’agissant d’un texte des plus sensibles, de procéder avec prudence et de trouver la bonne mesure entre liberté et autorité. Nous ne pourrons donc pas accepter les amendements dont les dispositions soit se heurteraient à un risque d’inconstitutionnalité, soit, au contraire, seraient trop laxistes, à un moment où la menace terroriste pèse plus que jamais sur notre pays.
Voilà pour la partie du projet de loi relative à la prévention d’actes de terrorisme ; c’est ma collègue Agnès Canayer qui abordera la partie afférente au renseignement.
5
Souhaits de bienvenue à une délégation étrangère
M. le président. Madame la ministre, mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, de Mme Iliana Iotova, vice-présidente de la République de Bulgarie, et de Son Excellence M. Nikolay Milkov, ambassadeur de Bulgarie. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre déléguée chargée de la citoyenneté, se lèvent.)
En visite en France, Mme Iliana Iotova a été reçue cette après-midi par le groupe d’amitié France-Bulgarie. Elle est accompagnée par notre collègue Loïc Hervé, qui est le président de cette instance.
Les relations bilatérales entre la France et la Bulgarie ont des racines historiques profondes. Ainsi Victor Hugo, qui siégea dans cet hémicycle, défendit-il la cause du peuple bulgare dans son combat pour la liberté et l’indépendance à l’époque de l’occupation ottomane.
Depuis lors, les liens ont été encore renforcés par l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne et à la communauté francophone, dans laquelle elle prend une part active.
Nos deux groupes d’amitié travaillent ensemble à une relation toujours plus proche entre le Sénat et le Parlement bulgare. Qu’ils soient assurés de notre plein soutien.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à Mme Iliana Iotova la plus cordiale bienvenue au Sénat de la République française ! (Applaudissements prolongés.)
6
Prévention d’actes de terrorisme et renseignement
Suite de la discussion en procédure accélérée et adoption d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
Discussion générale (suite)
Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 24 juillet 2015 fixait pour la première fois le cadre légal de l’action des agents de la communauté du renseignement français. Notre rapporteur Philippe Bas affirmait, à l’occasion des débats parlementaires, qu’elle était « le signe de la maturité de notre démocratie ».
Cette maturité repose sur un subtil équilibre entre la recherche de l’efficacité des services de renseignement, qui sont essentiels à la défense de notre souveraineté, et la protection des droits et libertés constitutionnels, au premier rang desquels se situe la protection de la vie privée.
Six ans plus tard, il convient de consolider cet équilibre, afin de faire face à une double évolution : d’une part, celle de la menace qui pèse sur la sécurité intérieure et la défense de notre pays ; d’autre part, celle qui est liée à l’essor des nouvelles technologies.
Les derniers attentats, ceux de Conflans-Sainte-Honorine et de Rambouillet par exemple, ont montré que le risque terroriste évoluait vers un « djihadisme d’atmosphère », comme le qualifie Gilles Kepel, nécessitant de nouvelles méthodes pour détecter les « signaux faibles » du passage à l’acte. S’y ajoute une menace exogène persistante et la montée en puissance de certaines mouvances contestataires, via l’exacerbation d’actions subversives violentes.
Par ailleurs, les nouvelles techniques de communication, comme la 5G ou les communications satellitaires, imposent de doter les services de la communauté du renseignement français des moyens adaptés à l’évolution des pratiques des terroristes et des criminels.
Si le caractère contraint des délais encadrant l’examen de ce texte nous paraît regrettable, il est justifié par une double menace juridique.
Le terme de l’expérimentation du recours aux algorithmes a tout d’abord été reporté au 31 décembre 2021, ce qui risque de priver les services du renseignement d’une technique prometteuse. Limité à la finalité de la lutte contre le terrorisme, le traitement automatisé des données de connexion a montré tout son potentiel.
C’est pourquoi nous vous proposerons de pérenniser cette technique dans son principe, tout en limitant son extension aux URL à une expérimentation d’une durée de quatre ans, à l’issue de laquelle nous espérons avoir davantage de recul sur son utilisation. Le rapport sur les algorithmes promis au Parlement avant demain fait toujours défaut, ce qui n’aide pas à éclairer nos travaux.
L’autre menace juridique qui pèse sur les techniques de renseignement provient directement de l’application des normes européennes ! L’arrêt La Quadrature du Net de la Cour de justice de l’Union européenne du 6 octobre 2020, ainsi que celui du Conseil d’État, French Data Network, qui en tire les conséquences, fragilise le système de conservation généralisée et indifférenciée des données de trafic et de localisation.
Les articles 15 et 16 du projet de loi, profitant du « chemin de crête » tracé par le Conseil d’État, précisent et encadrent la conservation de ces données. Ils la conditionnent à une « menace grave, actuelle et prévisible » et limitent l’utilisation des données à la sauvegarde de la sécurité nationale et à la lutte contre la criminalité grave.
Bien que les dispositions visées risquent de réduire les capacités d’enquête des autorités judicaires en cas d’infractions pénales ordinaires, je vous propose d’adopter ces articles qui maintiennent les capacités opérationnelles des services de renseignement.
Néanmoins, afin d’en atténuer l’impact, je vous soumettrai un amendement visant à préciser que les données de trafic et de localisation peuvent être utilisées pour la recherche des auteurs d’actes de criminalité et de délinquance grave.
Le corollaire de l’extension des moyens des services de renseignement est le renforcement du contrôle.
Le secret qui entoure naturellement le travail quotidien des agents des services de renseignement, auquel je veux rendre hommage pour leur dévouement et pour la protection qu’ils nous garantissent, est souvent source de fantasmes. Ces services sont pourtant soumis à de nombreux contrôles, par ailleurs renforcés dans ce texte : contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, dont les pouvoirs seront dorénavant contraignants, en vertu de l’article 16 ; contrôle de la délégation parlementaire au renseignement, dont les capacités de surveillance sont élargies.
Quant à la difficile question de l’accès aux archives intéressant la défense nationale, elle a fait l’objet d’échanges nombreux entre les commissions des lois, de la défense et des affaires culturelles du Sénat.
Le choix est fait, à l’article 19, d’une large ouverture des archives intéressant la défense nationale, mais, en contrepartie, le même article crée certaines exceptions au délai de cinquante ans prévu pour les documents d’une particulière sensibilité et dont la communication prématurée serait de nature à nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation.
À condition – nous y insisterons – que les services détenteurs de ces documents sensibles fassent leur inventaire dans des délais raccourcis, l’équilibre entre la protection du secret-défense et le libre accès aux archives est, selon nous, assuré par ce texte.
Mes chers collègues, je vous demanderai de soutenir ce texte qui, par l’équilibre trouvé en commission des lois, renforcera les deux piliers de notre République que sont la liberté et la sécurité. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis. (Applaudissements sur des travées du groupe UC.)
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’est saisie pour avis des articles 7 à 19 du présent projet de loi.
Ces articles concernent les services de renseignement, les techniques d’investigation qu’ils peuvent utiliser, la lutte contre les drones présentant une menace, ainsi que les archives intéressant la défense nationale.
Le contexte sécuritaire national reste marqué par le terrorisme, et le continuum sécurité-défense constitue toujours un enjeu crucial pour la sécurité de nos concitoyens, quoique la menace soit plus endogène que par le passé.
Nos armées affrontent sans relâche une menace terroriste globale. La fin annoncée de Barkhane, sur laquelle nous aurions aimé avoir des indications lors du débat qui a eu lieu ici même, ne signifie pas la fin de toute présence militaire au Sahel. L’opération Chammal se poursuit, ainsi que, sur notre territoire, l’opération Sentinelle.
Si le terrorisme constitue la première des menaces, nos services ne cessent de faire face également aux agissements de puissances étrangères de plus en plus décomplexées, qui utilisent tous les moyens fournis par les nouvelles technologies et par le cyber.
Dans ce contexte, il était important que les services de renseignement, ceux du ministère des armées comme ceux des autres ministères, continuent de disposer des moyens les plus efficaces et les plus performants pour mener leur action.
La création d’un régime des interceptions satellitaires, la possibilité de solliciter les opérateurs de télécommunications en matière d’IMSI catching, afin de s’adapter à la 5G, ou encore l’extension des algorithmes aux URL, permettront ainsi aux services de rester dans la course technologique.
Par ailleurs, nous nous félicitons de la possibilité nouvelle de brouiller les drones menaçants. En effet, cette menace est loin d’être théorique. La gendarmerie nationale est d’ailleurs en pointe sur ce sujet.
Il fallait en outre, pour encadrer cette évolution, des règles juridiques répondant à deux nécessités : premièrement, la continuité avec le cadre fixé par la loi du 24 juillet 2015, car les services ont formé leurs agents à ce cadre et ont désormais besoin de stabilité ; deuxièmement, des garanties suffisantes pour que les libertés, en particulier la vie privée, ne subissent pas d’atteinte excessive.
Le projet de loi, nous semble-t-il, répond bien à ces deux exigences, et les modifications introduites par la commission des lois consolident encore cet équilibre.
Concernant les interceptions satellitaires, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a souhaité, en concertation avec la commission des lois, restreindre l’expérimentation aux services du premier cercle.
Il s’agit en effet d’une technologie à large spectre et pour le moment très expérimentale ; d’où la nécessité d’encadrer et de centraliser son usage autant que possible. Il sera toujours temps ensuite de l’ouvrir à d’autres services – je pense en particulier à la gendarmerie nationale, qui pourrait à l’avenir en avoir besoin.
Grâce aux amendements adoptés à l’Assemblée nationale, le projet de loi renforce par ailleurs les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement, la DPR. Ainsi se trouve conservée la proportionnalité entre les pouvoirs des services et l’étendue du contrôle parlementaire, qui constitue un élément clé de notre système.
À cet égard, notre commission a souhaité enrichir le texte par deux amendements tendant à renforcer la protection du secret de la défense nationale pour ce qui concerne les travaux de la DPR et ceux de la commission de vérification des fonds spéciaux, la CVFS.
Quant au nouveau régime de communication des archives, enfin, nous avons conscience qu’il suscite des débats, mais l’équilibre atteint nous semble solide.
Je rappelle notamment que le réexamen des délais de communicabilité est très fréquent dans les services d’archives. Un tel réexamen a par exemple eu lieu sans aucune difficulté dans le sillage de la promulgation de la loi de 2008, alors que les systèmes d’information archivistique n’étaient pas aussi performants qu’aujourd’hui. La modification des informations relatives à la communicabilité de documents d’archives s’effectue désormais en temps réel et toujours au profit de l’usager.
Sous réserve de ces remarques et des amendements qui ont été adoptés par la commission des lois lors de l’élaboration de son texte, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a approuvé le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Pierre Ouzoulias, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous devons à la Révolution française le principe selon lequel les archives, leur gestion et leur communication sont des éléments constitutifs de l’État de droit, de la citoyenneté démocratique et de la construction de la mémoire de la Nation.
Dans un rapport rendu au Premier ministre en 1996, Guy Braibant décrivait ainsi ces relations : « Il n’y a pas d’Histoire sans archives […] ; il n’y a pas d’Administration sans archives […] ; il n’y a pas de République sans archives. »
Pourtant, l’application de ces sages principes a toujours été empêchée par les réticences, les obstructions et les dissimulations d’administrations qui se considéraient comme les seules propriétaires des actes publics qu’elles produisaient et qui s’arrogeaient la licence de décider de leur publicité.
Les lois de 1978 sur l’accès aux documents administratifs et de 1979 sur les archives ont eu pour objet d’organiser les droits des citoyens à connaître de leur administration au présent et dans le temps.
La loi de 2008 a conforté ces dispositifs. Portée par le gouvernement de l’époque, elle a bénéficié des travaux et des apports essentiels de la commission des lois du Sénat et de son rapporteur, le sénateur René Garrec,…
Mme Nathalie Goulet. Tout à fait !
M. Pierre Ouzoulias, rapporteur pour avis. … ainsi que de la commission de la culture de la Haute Assemblée, sur l’initiative de la sénatrice Catherine Morin-Desailly.
Cette loi de 2008 réaffirme le principe fondamental de la libre communication des archives publiques, auquel ne peuvent être opposées que des dérogations consenties et garanties par le législateur. Dans la pratique, elle confère au ministère de la culture une mission interministérielle de coordination, de contrôle et de promotion des politiques publiques des archives.
Cet édifice législatif a été ébranlé en 2011 et en 2020 par deux instructions générales interministérielles qui ont imposé, sous la forme administrative subalterne de l’arrêté, la prééminence du code pénal sur le code du patrimoine et qui ont organisé l’incommunicabilité de documents produits voilà plus de cinquante ans parce qu’ils étaient classés au titre du secret de la défense nationale.
Ainsi, des documents qui étaient librement disponibles ont dû faire l’objet de procédures de déclassification pour être de nouveau accessibles.
Examinant un recours déposé auprès du Conseil d’État contre cette obligation de déclassification préalable, le rapporteur public a considéré que cet arrêté était illégal. Selon lui, la communication des documents classés de plus de cinquante ans est organisée par le seul code du patrimoine ; ceux-ci sont donc communicables de plein droit à l’expiration de ce délai.
Néanmoins, il considère que, exceptionnellement, les administrations peuvent ne pas autoriser leur divulgation quand celle-ci représente « une menace grave pour la sécurité nationale ».
Comme le rapporteur du Conseil d’État, je regrette que des moyens humains très considérables aient été consacrés à la déclassification d’environ un million de pièces, que des travaux d’historiens aient été entravés et que des domaines entiers de la recherche historique aient été délaissés à la suite d’une analyse juridique aussi peu assurée.
Persistant à arguer de la nécessité d’une harmonisation législative entre le code du patrimoine et le code pénal, le Gouvernement a quelque peu cavalièrement introduit dans le présent projet de loi l’article 19, qui institue un nouveau régime dérogatoire pour certains des documents déjà soumis au délai d’incommunicabilité de cinquante ans.
Peut-être eût-il été de bonne politique d’attendre la décision du Conseil d’État et de ne pas légiférer dans l’extrême urgence alors que le rapporteur public considère que l’administration peut toujours appliquer les dispositions du code du patrimoine « à la lumière de l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation ».
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Pierre Ouzoulias, rapporteur pour avis. Par ailleurs, notre commission regrette que le Conseil supérieur des archives et la Commission d’accès aux documents administratifs n’aient pas été consultés sur cette révision importante de la loi de 2008.
À l’unanimité de ses membres, la commission de la culture du Sénat a exprimé ses fortes réticences à voter en l’état un article qui révise le principe de la loi de 2008 en faisant porter sur les lecteurs et les services des archives la charge de la détermination de la communicabilité des documents.
La commission de la culture a formulé plusieurs propositions, dans le respect du principe constitutionnel de sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, pour que les administrations réalisent le récolement de leurs fonds en fonction des nouvelles normes de communication et en informent les usagers des archives. Nous regrettons que ces propositions n’aient pas été entendues.
Aussi notre commission en restera-t-elle à l’opposition exprimée par tous ses membres. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – M. Laurent Lafon applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Benbassa, MM. Gontard, Benarroche, Dantec, Dossus, Fernique et Labbé, Mme de Marco, M. Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon, Mme Taillé-Polian et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, d’une motion n° 5.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement adopté par la commission des lois le 16 juin 2021 (n° 695).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la motion.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires tient tout d’abord à affirmer, face au présent texte, son sentiment premier, à savoir une grande inquiétude. Nous remarquons en effet que, depuis quelques années maintenant, la France est le théâtre d’une succession de lois sécuritaires, qui se veulent antiterroristes, mais qui sont surtout liberticides.
Ces lois ont toutes pour objet de faire entrer dans notre droit commun un certain nombre de mesures qui, si l’on pouvait entendre leur légitimité en temps de danger imminent pour la sécurité intérieure, juste après les attentats par exemple, n’ont pourtant rien à faire dans le quotidien des Français.
Cette observation se vérifie particulièrement sous ce quinquennat : au motif de la crise sanitaire, puis au nom de la « sécurité globale » et de la lutte contre de prétendus « séparatismes », ce gouvernement a constamment diminué, petit bout par petit bout, les libertés individuelles des Français.
Oui, lutter efficacement contre la menace terroriste est un objectif que nous visons tous. Mais cela ne peut se faire au prix de l’affaiblissement des droits et libertés garantis par notre Constitution.
Cette longue suite de textes liberticides aboutit aujourd’hui à ce projet de loi.
Venons-en donc aux faits. La présente motion vise à déclarer irrecevable le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement en raison des risques d’irrecevabilité constitutionnelle que présentent certaines de ses dispositions portant atteinte à la liberté d’aller et de venir, au secret des correspondances, au secret professionnel, à la vie privée et familiale de nos concitoyens – autant de libertés que nous nous devons, nous, législateurs, de ne pas mettre en péril par la loi.
En premier lieu, ce projet de loi reprend, dans son article 5, des dispositions précédemment censurées par le Conseil constitutionnel.
En effet, la loi n° 2020-1023 du 10 août 2020, dite « Mesures de sûreté », a fait l’objet d’une large censure de la part du juge constitutionnel dans sa décision n° 2020-805 DC du 7 août 2020, au motif que ces mesures contrevenaient à la liberté d’aller et de venir, au droit au respect de la vie privée et au droit de mener une vie familiale normale d’une manière qui n’était ni adaptée ni proportionnée à l’objectif de prévention d’actes terroristes.
Il n’est pas concevable que le Parlement introduise de nouveau dans un projet de loi une disposition précédemment jugée attentatoire aux libertés individuelles et écartée par le Conseil constitutionnel.
En second lieu, la pérennisation des dispositions de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ou loi SILT, prévue aux articles 1er à 4 du projet de loi, revient à introduire dans notre ordre juridique des mesures liberticides exorbitantes du droit commun, telles que la perquisition administrative, l’assignation à résidence, les périmètres de protection.
La récurrence des états d’urgence, la prorogation de ces mesures, puis leur pérennisation, ont pour effet de limiter nos libertés publiques individuelles sous couvert des impératifs de sécurité de nos concitoyens. Mais que protègent-elles réellement, ces mesures qui affaiblissent tant les libertés des Français ?
Le recours intensif à des procédures administratives, jugées plus rapides que les procédures judiciaires, doit nous alerter : de telles procédures contournent le contrôle du juge judiciaire, garant des libertés individuelles conformément à l’article 66 de la Constitution. Cette déjudiciarisation en marche doit, là encore, sérieusement nous alerter.
En troisième lieu, la surveillance généralisée des URL prévue aux articles 13 et 14 porte une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée, pourtant reconnu comme principe à valeur constitutionnelle depuis la décision n° 99-416 DC du Conseil constitutionnel en date du 23 juillet 1999.
La Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, estime en ce sens que le recueil des URL est susceptible de faire apparaître des informations relatives au contenu des éléments consultés ou aux correspondances échangées.
Sur l’ensemble des dispositifs qui concernent le déploiement des mesures de renseignement, une procédure de validation par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement a été instituée, sans aucun caractère contraignant.
Le Premier ministre peut ainsi toujours déroger à l’avis de cette commission, ce qui nous semble problématique. La préservation d’un strict équilibre entre la sécurité publique, la protection des intérêts fondamentaux de la Nation et le respect de la vie privée nécessite des garanties, ainsi que le contrôle par une autorité indépendante du pouvoir politique.
Enfin, les restrictions à l’accès aux archives prévues à l’article 19 du présent texte contreviennent au droit d’accès aux documents administratifs, pourtant consacré par la décision n° 2020-334 QPC – question prioritaire de constitutionnalité – du Conseil constitutionnel en vertu de l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La défense nationale ne peut justifier que l’on entrave le travail des chercheurs.
Observons tout de même que la majorité sénatoriale avait déjà tenté de réécrire les dispositifs les plus liberticides de la loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés. Cela n’a pas empêché leur censure par le Conseil constitutionnel. De tels procédés témoignent de l’intention d’affichage politique qui préside seule à l’écriture de ces lois sécuritaires, laquelle se fait en dépit de toute réflexion sur leur validité juridique.
Ce projet de loi avait initialement pour objet de renforcer l’arsenal pénal pour répondre à l’enjeu sécuritaire du terrorisme. Mais il perd de vue cet objet et tombe dans le piège où ont sombré toutes les précédentes lois attentatoires aux libertés individuelles.
Comme nous le déplorons régulièrement devant ce type de textes, force est de constater qu’aucune réflexion de fond n’est encore menée quant au problème réel que représente la radicalisation, particulièrement en détention.
Face à la menace terroriste, la réponse législative se démultiplie, au rythme de plus d’une loi par an depuis dix ans. L’efficacité des dispositifs votés est parfois hypothétique, alors qu’ils rognent sans ménagement les libertés fondamentales. Cette accumulation de lois sécuritaires complique le travail de l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire.
Une telle loi n’est ni opportune ni proportionnée, tant au regard des besoins des services de renseignement que, plus encore, du point de vue de son efficience en matière de réduction du risque terroriste. L’objectif politique est manifestement de « cranter » les thématiques régaliennes avant la présidentielle, la sécurité étant devenue un thème omniprésent dans le débat public.
Inscrire dans notre droit commun des procédures d’exception affaiblit peu à peu notre État de droit ; nous ne saurions en être complices.
Ainsi, en application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires invite le Sénat à déclarer irrecevable le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, adopté par la commission des lois le 16 juin 2021. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST. – Mme Éliane Assassi et M. Pierre Laurent applaudissent également.)
M. le président. Personne ne demande la parole contre la motion ?…
Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Nos collègues écologistes souhaitent que le Sénat déclare irrecevable ce projet de loi.
Je rappelle que nous débattons de ces sujets pour la quatrième fois et que j’ai eu l’occasion de remettre deux rapports au nom de la commission des lois sur la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, la loi SILT, qui a pris le relais des dispositions d’état d’urgence. Je rappelle également que le Parlement a contrôlé, semaine après semaine, l’application de ces dispositifs.
S’agissant des articles 1 à 4 de ce texte, les dispositions issues de la loi SILT ont déjà été déclarées conformes à la Constitution par le truchement de questions prioritaires de constitutionnalité. Chaque fois, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositifs conformes à la Constitution, dans des limites claires, qui ont été reprises dans la loi.
En ce qui concerne l’article 5 et la mesure de sûreté qu’il porte, Mme Benbassa évoque une mesure « liberticide ».
Cette disposition fait suite à la déclaration d’inconstitutionnalité qui a frappé une proposition de loi déposée par la présidente de la commission des lois de l’Assemblée nationale.
Toutefois, le Conseil constitutionnel a fait valoir non pas qu’une mesure de sûreté serait inconstitutionnelle par principe, mais que celle-ci, telle qu’elle était présentée, n’était pas proportionnée ; il a, en outre, tracé le cadre qui lui permettrait de la valider, dans un équilibre bien compris.
Cela a motivé une réponse de la part du président de la commission des lois du Sénat, François-Noël Buffet, qui a élaboré une proposition de loi répondant point par point au cadre fixé par le Conseil constitutionnel, et strictement inscrite dans ses limites. On ne peut donc que rejeter l’argumentation de notre collègue.
En ce qui concerne l’extension des algorithmes aux URL, Agnès Canayer vient d’indiquer dans son propos introductif que la commission avait bien pris en compte le risque pouvant en résulter pour ce qui concerne les atteintes portées à la vie privée. C’est la raison pour laquelle elle propose, par amendement, la mise en œuvre d’une expérimentation.
Enfin, s’agissant de l’article 19, que nos collègues rapporteurs pour avis ont évoqué, nous aurons l’occasion d’échanger abondamment à son sujet. Nous avons trouvé un équilibre qui nous semble judicieux et qui ne porte pas non plus atteinte aux principes constitutionnels.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission émet un avis défavorable sur cette motion.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée auprès du ministre de l’intérieur, chargée de la citoyenneté. L’avis du Gouvernement sera évidemment défavorable, pour les motifs que j’ai exposés en discussion générale, mais également en raison des grands enjeux que vient de rappeler M. le rapporteur.
Il est absolument fondamental de poursuivre la discussion autour de ce sujet important et urgent qu’est la lutte contre le terrorisme, son actualisation et la manière d’atteindre l’objectif que nous partageons, me semble-t-il.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 5, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, d’une motion n° 16.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, après engagement de la procédure accélérée, et modifiée par la commission des lois du Sénat, relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (n° 695, 2020-2021).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 7, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, au préalable, je souhaite être très claire sur un point : le Gouvernement et la majorité sénatoriale de droite n’ont pas le monopole du souci de la sécurité, comme nous n’avons pas, à gauche, celui de la protection des libertés. Tâchons de ne pas considérer ceux qui critiquent le texte comme des ennemis de la sécurité et ceux qui ne souhaitent pas l’améliorer comme des ennemis de la liberté !
Qui ne souhaite pas prévenir les actes de terrorisme dans notre pays ? Personne. Il est nécessaire de rappeler ici que les crimes odieux qui nous ont endeuillés ces dernières années en France sont des actes commis pour la quasi-totalité au nom d’un islamisme politique qui alimente la peur et attise la haine de l’autre pour propager les idéologies les plus mortifères.
À partir du 8 septembre prochain se tiendra le procès des quatorze accusés des attentats qui ont frappé Paris et Saint-Denis le 13 novembre 2015, dont le seul membre encore en vie des commandos. Ce procès viendra réveiller des blessures profondes pour les familles endeuillées et pour notre pays.
Dans ce cadre, et en parallèle à l’action nécessaire à mener, il est de la responsabilité du politique, et plus encore des acteurs issus de la gauche progressiste, de se montrer rassurant, en réaffirmant certaines valeurs et en éclairant les débats.
Il m’est aujourd’hui difficile de constater que, s’agissant de certains débats politiques, ma formation est contrainte d’expliquer en quoi les idées progressistes qui l’animent sont à l’exact opposé de cet obscurantisme au service duquel évoluent les terroristes qui portent atteinte à notre Nation.
Mes chers collègues, madame la ministre, nous partageons la même intransigeance issue du même constat : nos concitoyennes et nos concitoyens ont le droit de vivre en paix sur notre territoire.
Nous divergeons, en revanche, sur la réponse à apporter à cette menace terroriste. Votre vision n’est pas nouvelle : la philosophie qui la sous-tend a traversé toutes les lois antiterroristes établies au moins depuis 1986. Plusieurs gouvernements se sont succédé sans s’interroger sur les vraies réponses à apporter à cette menace diffuse.
Certes, depuis quelques années, les actes de terrorisme commis en France n’ont plus forcément de lien direct avec la mouvance djihadiste à l’étranger, à l’image de l’attentat de Rambouillet. Nous avons affaire à des terroristes isolés, sans affiliation, et indétectables, ainsi que l’a expliqué M. le ministre Darmanin dans sa présentation du projet à l’Assemblée nationale.
Nous partageons ce constat, mais nous n’en tirons pas les mêmes conclusions. Celui-ci soulève tout d’abord une interrogation que je vous soumets : les attentats diffus que nous connaissons ces dernières années ne sont-ils pas, pour certains, des passages à l’acte d’individus dont la folie se cristallise sur la haine de l’autre que véhicule le terrorisme islamiste ?
Un début de réponse à ce phénomène est amorcé avec l’article 6 de ce projet de loi mettant en œuvre une perméabilité dans la communication des informations sur des individus faisant l’objet de mesures de soins psychiatriques sans consentement.
Cette extension du nombre de personnes ayant accès à une information médicale contrevient au principe du droit au respect à la vie privée et au secret des informations médicales. En outre, comme le dénoncent des syndicats, parmi lesquels le Syndicat de la magistrature, « ces dispositions ne font finalement qu’entériner des pratiques d’un autre âge reposant sur l’idée qu’un fou est par nature dangereux ».
Si, selon vous, cette nouvelle menace diffuse doit aboutir à un système de surveillance et de répression plus fin, plus complet et plus dur, cela nous semble, pour notre part, être un leurre, d’abord, parce qu’il sert le modèle de ceux qui réfutent notre État de droit, ensuite, parce que ce système est inefficace.
Concernant les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, que vous souhaitez pérenniser, au moment de leur mise en œuvre et des premiers débats parlementaires, l’ancien juge antiterroriste, Marc Trévidic, s’exprimait en ces termes : « Face à des jeunes qui sont tangents, […] si vous défoncez leur porte à quatre heures du matin, si vous les assignez à résidence [ou ici à commune] pendant des mois », au départ pour trois mois renouvelables et jusqu’à douze puis vingt-quatre mois avec ce texte, cela « a pour conséquence que certains perdent leur boulot. »
Il ajoutait : « Expliquez-moi en quoi ils sont moins dangereux ensuite ? Tout homme sensé comprend que l’on attise le feu avec de telles méthodes. On tape n’importe qui, n’importe comment. »
Comme l’ont illustré les travaux de la commission des lois du Sénat, qui s’est attachée une fois de plus à un rôle de correctrice de la loi, le texte présenté par le Gouvernement avait la particularité de cumuler un nombre remarquable de risques d’inconstitutionnalités.
Sur les mesures administratives, pourquoi le Gouvernement persiste-t-il, notamment, à porter la durée maximale des Micas de douze à vingt-quatre mois, alors même que le Conseil d’État n’a pas retenu cette disposition, estimant qu’elle soulève une difficulté d’ordre constitutionnel, sans que son efficacité soit suffisamment établie ?
Une inconstitutionnalité plus lourde encore pèse sur les mesures de sûreté : le Gouvernement a repris à son compte, sous un habillage de réinsertion, le dispositif porté par Yaël Braun-Pivet, lequel avait été censuré presque intégralement par le Conseil constitutionnel en août 2020.
Le 4 mai dernier, le président de notre commission des lois, François-Noël Buffet, réécrivait lui aussi ces dispositifs en les épurant des points qui avaient motivé les réserves du Conseil constitutionnel.
Aucune de ces réécritures ne nous convainc, puisque l’économie générale des dispositifs est conservée et porte atteinte à notre État de droit, en cherchant à aiguiser davantage notre arsenal répressif par de douteux motifs visant la dangerosité supposée de certains individus ayant déjà purgé leur peine, indépendamment de la commission d’infractions.
Il faut tout de même rappeler que la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale de 2016, dite « loi Urvoas », s’était attaquée aux dispositifs d’aménagement de peine pour les détenus coupables d’infractions terroristes, réduisant au maximum les remises de peine et conduisant finalement à un problème de sorties sèches.
C’est ce problème que vous cherchez à résoudre depuis maintenant plus d’un an, et vous semblez être dans l’impasse. En effet, une fois la peine purgée, que faire de ces personnes ? Instaurer une sorte de peine après la peine avec les nombreuses mesures de sûreté que vous souhaitez mettre en œuvre, c’est faire l’aveu de l’échec de notre système pénitentiaire et du traitement de ces condamnés.
De la détention au suivi post-carcéral, en passant par la répression, rien, dans le système que vous venez consolider, ne peut éviter actes de terrorisme ou récidives.
En outre, le système de pseudo-prévention que vous imaginez n’est ni efficient ni souhaitable pour notre démocratie.
Une fois encore, vous vous inscrivez dans les pas du gouvernement précédent, qui avait fait beaucoup de mal avec sa loi relative au renseignement de 2015, en promouvant ce qui ressemble à une « loi Renseignement II », contenant l’extension du champ des activités du renseignement et la légalisation de techniques de surveillance intrusives, tout en maintenant à distance l’autorité judiciaire.
Avec l’ensemble de ces techniques, le Gouvernement se dote d’un arsenal de surveillance de masse. Or nos concitoyennes et concitoyens n’entendent pas renoncer à leur liberté individuelle, non plus qu’échanger leur vie privée contre un illusoire État sécuritaire sans faille.
Enfin, sur le texte même, nous désapprouvons l’article 19 relatif au droit d’accès aux archives publiques, sur la forme, parce qu’il s’agit d’un cavalier législatif, comme sur le fond. Cet article entrave l’accès aux archives et menace la recherche sur notre histoire contemporaine et, de ce fait, le droit d’accéder à sa vérité. Cela pose question quant à la logique qui préside à ce type de mesures.
Rappelons, comme l’a fait dans son avis la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, que l’accès aux archives est un droit reconnu dès la Révolution à tout citoyen, fondé sur l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui a valeur constitutionnelle et qui dispose que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
En défendant cette motion de rejet préalable, l’objectif du groupe CRCE est, avant tout, de lutter contre d’idée que la technique ne serait pas politique. En effet, la technique est bien politique, et il convient de remettre le débat sur le terrain des valeurs.
La lutte contre le terrorisme ne sera efficace et effective que lorsque nous commencerons par traiter non ses symptômes, mais ses causes. De nombreuses questions restent, selon nous, en suspens pour traiter sérieusement le sujet.
Quel bilan tirons-nous de toutes les lois antiterroristes votées ces dernières années ? Leur échec flagrant ne doit-il pas nous inviter à revisiter la méthode engagée ? La prévention ne devrait-elle pas prendre le pas sur la répression, la déflation carcérale sur l’inflation carcérale et la police de proximité, de prévention et de dissuasion sur la police uniquement répressive ?
Nous répétons inlassablement notre attachement à ce modèle de police républicaine, car nous sommes persuadés que le renseignement français sortirait grandi d’une coopération renforcée avec des policiers, au plus proche de nos concitoyens.
Enfin, au niveau diplomatique, ne faudrait-il pas cesser tout échange avec des pays dont l’attitude envers les factions terroristes est parfois trouble ?
À jeter en pâture nos libertés publiques, notre pays ne sortira pas grandi, et notre sécurité collective ne se trouvera aucunement renforcée. Ce que veulent nos ennemis obscurantistes, c’est le recul de nos démocraties, la mise à mal de nos droits et de nos libertés publiques, pour revenir à cet état primitif de la loi du plus fort.
La France doit se ressaisir et rester fidèle aux idéaux qu’elle porte depuis le siècle des Lumières, en renonçant au chemin de la surenchère sécuritaire. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Le Rudulier, contre la motion.
M. Stéphane Le Rudulier. Le groupe Les Républicains souhaite tout naturellement examiner le projet de loi soumis à notre assemblée, et cela pour trois raisons essentielles.
La première tient à la nécessité de faire preuve de responsabilité vis-à-vis de nos concitoyens à l’heure où les mesures de la loi SILT, dont la pérennisation est prévue à l’article 1er du présent texte, arrivent à expiration le 31 juillet 2021. Ces mesures de police administrative ont fait la preuve de leur efficacité, et nous sommes dans l’obligation de les inscrire dans la loi.
La deuxième raison repose sur le fait que la commission des lois a fait des propositions constructives, qui nous semblent seules susceptibles d’assurer au texte la robustesse juridique dont il a besoin et que nous entendons soutenir avec ferveur et détermination en séance.
C’est, en particulier, le cas du dispositif de suivi des personnes condamnées pour des actes de terrorisme ayant purgé leur peine, initialement proposé par notre président François-Noël Buffet. Chacun ici peut mesurer l’importance et la portée de ce sujet.
La troisième et dernière raison tient à l’exigence de donner aux différents acteurs de la communauté du renseignement les moyens de lutter efficacement contre les menaces renouvelées ou émergentes auxquelles notre pays doit faire face demain et dans les années à venir.
Pour l’ensemble de ces raisons, notre groupe votera contre la motion tendant à opposer la question préalable présentée par nos collègues communistes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Mme Assassi souhaite opposer la question préalable à ce texte, c’est-à-dire en reporter la discussion, alors que celle-ci nous paraît essentielle.
Si nous partageons un certain nombre de constats qu’elle expose, à notre sens, les mesures qu’il contient, même imparfaites, doivent être discutées et adoptées ici au Sénat, parce que ce texte apporte un certain nombre de solutions et des moyens importants pour lutter contre le terrorisme et pour défendre notre sécurité intérieure.
Tout d’abord, il pérennise des dispositions du code de sécurité intérieure, comme les Micas, dont la validité arriverait sinon à terme en 2021. Il introduit également certains dispositifs, même si nous ne sommes pas d’accord, concernant la sortie des personnes condamnées qui sont actuellement en détention ; il s’agit, on le voit bien, d’un enjeu fort.
Enfin, il donne à nos services de renseignements des moyens pour faire face à l’évolution de la menace et au progrès des nouvelles technologies. Il est vital que nos services de renseignement puissent anticiper cette nouvelle menace et nous en protéger ; c’est pourquoi nous leur donnons les moyens d’agir grâce à ces nouveaux dispositifs.
Pour toutes ces raisons, et parce qu’il me paraît important que le Sénat soit responsable, c’est-à-dire discute et adopte ces dispositions, nous émettons un avis défavorable sur cette motion visant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement sera évidemment défavorable à cette motion, pour l’ensemble de raisons que j’ai évoquées précédemment.
Pour répondre plus précisément aux propos tenus lors de la présentation de cette motion, nous considérons que ce texte est d’abord nécessaire et utile pour les femmes et les hommes qui travaillent dans les services de sécurité intérieure et dans les services de renseignement. Il est issu d’un travail concret avec les acteurs de terrain, d’échanges avec les services, avec la DGSI, avec le parquet national antiterroriste, que votre commission a également longuement auditionnés.
Ce texte est absolument nécessaire et présente un équilibre entre la préservation des libertés et les éléments dont nous avons besoin pour mieux lutter contre le terrorisme au quotidien de manière efficace.
Il respecte la totalité des règles constitutionnelles. Les décisions prises le sont sous le contrôle du juge, dans le respect le plus scrupuleux de nos libertés. Nous avons donc trouvé un équilibre. Il s’agit d’un texte efficace, loin des caricatures – je suis obligé de le dire ! – qui en ont été faites lors de la présentation de cette motion.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 16, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
(La motion n’est pas adoptée.)
Discussion générale (suite)
M. Ludovic Haye. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est un texte non de circonstance, mais de fond, préparé depuis plusieurs mois et élaboré à partir d’une double nécessité.
D’une part, il s’agit de l’échéance prochaine de cinq mesures, auxquelles il avait été conféré un caractère expérimental au sein de la loi Renseignement de 2015 et de la loi SILT de 2017 et dont le terme a été repoussé par l’adoption d’une loi à la fin de l’année dernière.
D’autre part, ces mesures sont utiles pour faire face à une menace terroriste persistant à un niveau élevé sur le territoire national et présentant un caractère endogène et évolutif. Cet état de fait impose que les services de renseignement et les forces de sécurité disposent de moyens opérationnels et d’un cadre juridique adapté à la réalisation de leurs missions, notamment au regard des évolutions et des usages technologiques.
À partir de ce constat, assez largement partagé sur ces travées, me semble-t-il, se pose la question du choix des moyens juridiques à mettre en œuvre. L’utilité opérationnelle de certaines mesures ne saurait éluder la nécessité de s’assurer que celles-ci concilient efficacité dans la poursuite de l’objectif de prévention des atteintes à l’ordre public et respect des droits et des libertés.
Le projet de loi opère à ce titre plusieurs choix opportuns, dont certains suscitent une convergence dans cet hémicycle.
Il propose tout d’abord de pérenniser les cinq mesures précitées au regard de leur utilité démontrée et de leur mise en œuvre équilibrée, relevée notamment dans les rapports d’information parlementaires, dont celui de la mission pluraliste de la Haute Assemblée.
Il fait ensuite plusieurs ajustements, en tenant compte des équilibres en matière de droits et de libertés. Certains d’entre eux sont rendus nécessaires pour des raisons opérationnelles, et la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, et le Conseil d’État n’ont pas émis d’objection à leur endroit.
C’est le cas de la technique expérimentale de captation des communications satellitaires, de l’extension aux URL de la technique des algorithmes pour détecter les signaux faibles, ou encore de la faculté de recourir à des dispositifs de brouillage radioélectrique à l’encontre de drones présentant une menace.
D’autres dispositions viennent, enfin, tirer les conséquences de récentes décisions, comme l’arrêt French Data Network rendu en avril dernier par le Conseil d’État, appuyé sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne sur la conservation des données de connexion.
Cette décision, par les limites qu’elle pose aux États membres, suscite la crainte d’un affaiblissement de nos capacités de lutte contre la délinquance ne relevant pas de la criminalité grave. Nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen d’un amendement des rapporteurs qui tend utilement à préciser cette notion.
Je m’arrêterai enfin un instant sur un point, au regard des positions qui viennent d’être exprimées en présentation des motions : le texte prévoit d’accroître un certain nombre de garanties en matière de sécurité intérieure et de renseignement, avec le renforcement de l’encadrement des modalités de transmission des informations entre services et aux services de renseignement et celui des garanties procédurales entourant la mise en œuvre des algorithmes ou encore celui du contrôle de la CNCTR, notamment par la généralisation du caractère suspensif des avis de cette instance.
Enfin, il affirme le contrôle parlementaire au travers, notamment, des prérogatives dont jouit la délégation parlementaire au renseignement.
L’ensemble de ces garanties affermies, ainsi que les différents dispositifs précités, a été confirmé lors de l’examen en commission, et je salue le travail de nos rapporteurs, qui nous permet aujourd’hui de constater une convergence sur un certain nombre de points.
Je dois toutefois évoquer une divergence s’agissant du suivi des personnes condamnées pour terrorisme sortant de détention, qui ne relève que d’un désaccord de méthode pour répondre à un constat partagé par le Gouvernement et les rapporteurs : il est nécessaire de renforcer ce suivi au regard des insuffisances du droit en vigueur, notamment de la durée trop faible des Micas.
Au double dispositif d’allongement de la durée maximale cumulée des mesures de police administrative que constituent les Micas, d’une part, et de la création d’une mesure judiciaire de réinsertion, d’autre part, les rapporteurs préfèrent donc une unique mesure judiciaire intégrant à la fois les finalités de réinsertion et de surveillance.
Ces deux propositions concurrentes nous imposent de choisir la moins risquée du point de vue constitutionnel et nous enjoignent donc au parti pris. Au regard de la censure du Conseil constitutionnel intervenue l’été dernier à propos d’une mesure judiciaire comportant un nombre d’obligations proche de la mesure retenue par la commission, il apparaît que le risque constitutionnel existe et pèse également sur cette version.
Enfin, nos débats s’achèveront par l’examen du régime de communicabilité des archives classifiées à l’article 19, une disposition qui a fait l’objet d’un certain nombre de modifications à l’Assemblée nationale pour en limiter les effets de bord.
Au-delà du cadre législatif, il semble important de mener une réflexion qui relève de l’organisation de l’État sur la qualité des personnes qui seront désignées pour apprécier le prolongement, au-delà de cinquante ans, de l’incommunicabilité des documents relevant des exceptions visées par le projet de loi.
Nos débats pourront continuer de clarifier certains points, et le groupe RDPI votera en faveur de ce projet de loi, qui vise à répondre à un enjeu de sécurité nationale dans la conciliation des différents principes en présence. (M. François Patriat applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre.
Mme Nathalie Delattre. Monsieur le président, madame la ministre déléguée, mes chers collègues, voilà un sujet qui, depuis quelques années, nous réunit trop souvent. Les problématiques liées au terrorisme et, par conséquent, au renseignement, s’inscrivent désormais comme des préoccupations quotidiennes pour nos concitoyens, donc pour de nombreux services administratifs et judiciaires.
Naturellement, le législateur s’implique pleinement, lui aussi, dans la lutte contre ce fléau barbare. Dès 2017, la loi SILT était venue introduire de manière temporaire dans notre droit diverses mesures inspirées des dispositions de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence.
Depuis lors, il nous revient, malheureusement, la tâche de pérenniser ces dispositifs, donc de nous confronter à une difficulté fondamentale : maintenir le respect et l’équilibre entre État de droit et libertés individuelles.
Bien entendu, le Conseil constitutionnel est là pour y veiller ; il l’a encore montré récemment dans sa décision du 7 août 2020 par laquelle il a censuré le dispositif adopté par notre Parlement cet été, lequel introduisait une nouvelle mesure judiciaire de suivi, à leur sortie de détention, des individus condamnés pour des faits de terrorisme.
Aussi, certaines dispositions du projet de loi examiné ce jour répondent à cette censure des juges. Je veux, à ce titre, saluer le travail du Sénat, qui s’est montré particulièrement réactif en adoptant, dès le 25 mai 2021, la proposition de loi renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention.
Pour faire fructifier efficacement ce travail parlementaire, il est évident que cette proposition doit s’intégrer au nouveau texte ; c’est ce que s’est attaché à faire notre commission, en proposant une nouvelle et bienvenue rédaction de l’article 5.
Plus largement, les autres dispositions du projet sont, pour la plupart, attendues et nécessaires.
En ce qui concerne le volet « terrorisme », le législateur s’était montré précautionneux lors de l’examen de la loi SILT, en adoptant des mesures temporaires, d’application limitée au 31 décembre 2020. Ce délai a dû être prorogé au 31 juillet 2021, mais il n’était pas possible de reporter cette pérennisation inlassablement, sauf à renoncer à ce que notre droit bénéficie d’une forme de stabilité.
Ce projet de loi permet ainsi d’aller au-delà de cette date, en ne retenant plus de limitation dans le temps, avec l’espoir qu’une telle disposition ne soit pas attentatoire aux garanties constitutionnelles exigées.
Cependant, les ajustements apportés par notre commission des lois devraient contribuer à atteindre l’équilibre espéré. Je pense en particulier à l’article 1er bis, qui a été introduit lors de l’examen du texte par l’Assemblée nationale et que la commission a amendé, en intégrant certaines réserves d’interprétation formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 29 mars 2018.
Concernant le volet renseignement, ce projet de loi ajuste ou modifie un certain nombre de mécanismes institués par la loi du 24 juillet 2015.
Comme cela a déjà été souligné, il apparaît nécessaire, d’une part, de travailler à un meilleur encadrement de l’exploitation et de la transmission de renseignements entre services et aux services, et, d’autre part, d’œuvrer pour adapter les moyens de nos services de renseignement aux nouvelles formes de menaces toujours plus diffuses.
Enfin, ce projet de loi aborde un point délicat : la classification des archives. En effet, l’article 19 modifie le régime d’accès aux archives classées secret-défense en allongeant potentiellement au-delà de cinquante ans le délai pendant lequel ces archives peuvent ne pas être accessibles, notamment aux chercheurs, aux historiennes et historiens, et, plus généralement, aux citoyens.
Cette disposition pourrait créer dans notre droit l’un de ces déséquilibres que nous nous efforçons justement d’éviter. Aussi le groupe RDSE soutiendra-t-il plusieurs amendements que j’ai présentés, afin d’offrir des solutions face à ce que nous considérons, au côté du rapporteur public, comme un dysfonctionnement anachronique.
Il est indispensable que ces amendements recueillent votre assentiment, mes chers collègues, pour ne pas déséquilibrer notre droit.
Tout en demeurant vigilant quant au sort qui sera réservé à ces amendements, le groupe RDSE se montrera favorable à ce texte. (MM. François Patriat et Henri Cabanel applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on peut considérer que le projet de loi dont nous débattons cette après-midi comporte quatre volets.
Le premier réexamine les dispositions des lois SILT et Renseignement concernant les algorithmes, celles-ci n’ayant été adoptées qu’à titre expérimental et provisoire.
Un deuxième volet prévoit d’actualiser la loi Renseignement en tenant compte des évolutions technologiques, en particulier la mise en œuvre prochaine des réseaux téléphoniques par satellite et de la 5G, mais aussi du besoin d’algorithmes traitant les URL. Le projet de loi prend également acte de la nécessité d’améliorer la régulation des échanges entre les services de renseignement et les autres administrations.
Le troisième volet tire les conséquences de la décision de la CJUE concernant les obligations de conservation des données de connexion faites aux opérateurs.
Enfin, dans un quatrième volet, auquel nous ne souscrivons pas, ce texte dote d’une base légale les nouvelles contraintes de déclassification d’archives prévues par la loi de 2008.
Si nos rapporteurs ont amélioré le texte sur un certain nombre de points, beaucoup reste à faire.
Avant d’entrer dans le détail, je souhaite, au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, saluer la mémoire de ceux qui ont été frappés par le terrorisme au cours des dernières années. Je tiens de nouveau à exprimer notre compassion pour ces personnes, mais aussi pour leurs familles et leurs proches, et à saluer ceux qui, en France et à l’étranger, sont mobilisés au quotidien pour la sécurité des Français.
Nous leur devons, au moment de voter la loi, d’être déterminés et fidèles à nos valeurs. Cela suppose des textes clairs, des budgets qui donnent les moyens d’agir, ainsi qu’un cadre respectant les libertés individuelles et les principes de l’État de droit. Telle sera notre boussole au cours de l’examen de ce texte.
Votée à l’automne 2017, la loi SILT rend possibles les visites domiciliaires, la définition de périmètres de protection et l’exercice de mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. Si de telles dispositions peuvent être utiles lorsque l’usage en est proportionné, elles n’en sont pas moins exorbitantes du point de vue du droit commun.
C’est pourquoi nous souhaitons que ces mesures restent provisoires et que leur prorogation soit soumise au vote du Parlement autant de fois que nécessaire.
Nous savons que, au cours des cinq prochaines années, quelque 164 personnes condamnées pour terrorisme sortiront de prison. Dans de telles circonstances, nous considérons qu’il est nécessaire, pour l’heure, de maintenir ces mesures.
Quoi qu’il en soit, nous saisirons le Conseil constitutionnel, afin de nous assurer de la conformité à notre loi fondamentale du texte qui sera voté par le Parlement.
J’en viens au renseignement. Bien que j’aie voté en 2015 contre le projet de loi prévoyant la création de la CNCTR, j’ai pu constater, depuis lors, que le fonctionnement de cette instance, de même que celui du GIC, le Groupement interministériel de contrôle, avait contribué à faire entrer le contrôle démocratique au sein des services de renseignement. De fait – il faut s’en féliciter –, depuis la loi du 24 juillet 2015, un tel contrôle est réellement effectué au sein de ces services.
Pour assurer l’évolution nécessaire des dispositifs prévus par cette loi, il était indispensable de prendre en compte les progrès technologiques récents et d’adapter un certain nombre de dispositions aux nouvelles technologies, ainsi qu’aux nouvelles possibilités d’action qui en découlent. Grâce à nos rapporteurs, l’usage des algorithmes ne sera toutefois étendu aux URL qu’à titre expérimental.
Nous devons également veiller – c’est l’objet de l’article 7 – à un meilleur contrôle des échanges entre services.
Dans ce texte, nous tirons par ailleurs les conséquences de la jurisprudence de la CJUE concernant la conservation des données de connexion.
À cet égard, madame la ministre, permettez-moi d’en appeler à votre vigilance : je ne suis pas certain que le Gouvernement ait pleinement pris la mesure des effets que ces modifications emporteront quant à la conduite des enquêtes judiciaires ou à la capacité des parquets de lutter contre la délinquance et contre la criminalité organisée.
J’estime de plus que nous n’avons pas suffisamment étudié la manière dont nos partenaires européens ont transposé ces contraintes.
En tout état de cause, il sera sans doute nécessaire d’amender sensiblement le dispositif pour en assurer la stabilité. Nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 15.
En ce qui concerne l’article 19, nous affirmons et nous affirmerons que la Nation a besoin d’écrire son histoire, donc d’accéder aux archives de l’État. Restons fidèles à cette boussole que constitue la loi de 2008 ! Ne revenons pas en arrière : ce serait mettre en péril notre capacité d’écrire notre histoire et de l’assumer. Nous soutiendrons résolument un certain nombre d’amendements en ce sens.
Soucieux que notre pays dispose d’un arsenal permettant de faire face, dans le respect du droit, aux risques actuels, nous soutiendrons certaines dispositions de ce texte tout en proposant un certain nombre d’améliorations.
Nous serons aussi particulièrement vigilants sur la question des archives.
Enfin, comme je l’ai indiqué, nous soumettrons le texte adopté par le Parlement au Conseil constitutionnel, afin de nous assurer de sa conformité à notre loi fondamentale. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
(M. Georges Patient remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Georges Patient
vice-président
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voici le cinquième texte en cinq mois sur la sécurité intérieure ! Cette inflation législative bien française prouve deux choses : la première, c’est que la menace dans notre pays est grave et actuelle ; la seconde, c’est que nos gouvernements sont incapables d’anticiper et d’agir.
Nous constatons une fragmentation des mesures sécuritaires dans plusieurs textes, chacun prenant isolément sa part par le petit bout de sa lorgnette, sans vision politique cohérente.
En refusant de comprendre la dynamique de l’histoire qui s’applique à notre temps, vous courez après la réalité avec le boulet de l’idéologie du « vivre ensemble » accroché au pied. Mais la réalité s’emballe dans un cycle destructeur, sans que vous puissiez l’arrêter.
Souvenons-nous de l’islamiste Mickaël Harpon, qui a égorgé ou poignardé à mort quatre de ses collègues policiers en octobre 2019. Rappelons qu’il était informaticien à la direction des renseignements de la préfecture de police de Paris et qu’il était « habilité secret-défense »…
Si le Gouvernement ne comprend pas le problème global de l’immigration-islamisation, les Français continueront à en payer le prix du sang.
Vous nous demandez aujourd’hui d’étendre les prérogatives des services de renseignement, quand eux-mêmes sont gangrénés de l’intérieur par un ennemi infiltré !
Nous pourrons toujours renseigner plus et mieux, mais nous n’arrêterons pas la dynamique d’islamisation tant que celle-ci sera alimentée par une déferlante migratoire, une démographie conquérante et un rejet de notre modèle français.
Pour protéger nos compatriotes, notre arsenal de défense et de renseignement doit utiliser des outils modernes. C’est pourquoi je suis favorable à l’interception satellitaire des communications, à l’adaptation à la 5G de l’interception de télécommunications par IMSI catcher, à l’extension du champ d’application des algorithmes aux adresses des pages internet et au brouillage des ondes pour la lutte anti-drones.
Cependant, moins vous ciblez l’islamisme comme ennemi principal, plus vous retirez de libertés à chaque citoyen.
À l’origine exogène à notre France, l’islamisme devient par l’immigration massive et le rejet de toute assimilation une menace endogène. Plus d’immigration, c’est plus d’islamisme, et plus d’islamisme, même sans attentat, c’est moins de libertés.
En faisant reculer les libertés de tous, vous ne contraignez nullement ceux qui se mettent en dehors des règles et des lois à s’y soumettre. Dans ce texte, il n’y a toujours rien sur le renforcement des obligations de quitter le territoire français, toujours rien sur le suivi de longue durée des terroristes et des radicalisés et toujours rien sur le fichage des mineurs islamistes.
Pourtant, sur ce dernier point, il faut rappeler que les quatre derniers projets d’attentats déjoués par la DGSI depuis la fin octobre 2000 ont tous été fomentés par des individus mineurs de 15 à 17 ans ou ayant tout juste atteint leur dix-huitième anniversaire.
Quand on pense que la jeunesse d’aujourd’hui forme le pays de demain, on se demande si capter des URL suffira à faire en sorte que la France reste la France, que la France reste française. Mes chers collègues, puisse cette réflexion générale vous guider pendant l’examen de ce projet de loi, avec une détermination proportionnelle à l’urgence.
M. le président. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « je ne connais rien de plus servile, de plus méprisable, de plus lâche, de plus borné qu’un terroriste » disait l’auteur des Mémoires d’outre-tombe, notre célèbre Chateaubriand. Face aux terroristes, nous devons être d’une détermination sans faille.
Le terrorisme menace et frappe notre territoire avec intensité depuis plusieurs années. Permettez-moi de rendre hommage à la mémoire de Stéphanie Monfermé, tombée sous les coups d’un islamiste à Rambouillet, ainsi qu’à tous nos compatriotes victimes du terrorisme et à leurs familles.
Nous savons que les forces de l’ordre, notamment les services de renseignement, sont pleinement mobilisées, pour lutter tant contre les organisations terroristes que contre ce que l’on appelle « les loups solitaires ».
Cette lutte de tous les instants nécessite des dispositifs et des technologies en perpétuelle évolution. Nombre de ces outils peuvent être attentatoires aux libertés : nous devons donc être particulièrement vigilants quant à leur emploi.
Le Parlement a ainsi veillé à encadrer strictement plusieurs mesures récemment introduites dans notre droit, comme les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte ou encore les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas.
Sans l’adoption d’une nouvelle loi, ces dispositifs qui se sont révélés utiles pour prévenir la menace terroriste deviendraient caducs. Nous pensons qu’il est pertinent de les pérenniser en procédant à quelques ajustements. Si la sécurité de nos concitoyens est une priorité, elle ne doit pas être obtenue en faisant peser une menace sur leurs libertés.
La commission du Sénat a eu le courage de proposer une solution d’équilibre pour l’extension du champ de la surveillance aux adresses URL : celles-ci pourront être collectées et traitées tant par les algorithmes de détection que par les recueils de données en temps réel. Un tel traitement permettra aux services non seulement de savoir à quels sites se sont connectés les suspects, mais aussi de connaître les contenus auxquels ceux-ci ont accédé.
Ces données donneront un avantage certain aux services de renseignement, mais leur recueil fait peser un risque majeur sur la liberté des Français. C’est pourquoi le Conseil constitutionnel et, après lui, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement et la CNIL se sont opposés à leur exploitation.
Nous croyons donc qu’il est sage, comme le prévoit le texte voté par la commission, de s’assurer préalablement des conséquences de l’application de ces dispositions, dans le cadre d’une expérimentation temporaire.
Le texte prévoit en outre d’autres dispositions destinées à améliorer les capacités de nos services de renseignement, telles que les interceptions de communications satellitaires ou encore l’échange de renseignements entre services, selon une procédure qui en permet la traçabilité.
Au-delà de la détection, ce projet de loi introduit également des mesures destinées à prévenir la récidive terroriste et à favoriser la réinsertion. Celles-ci permettront d’assurer sur plusieurs années la prise en charge sanitaire et sociale des personnes condamnées pour terrorisme qui en ont besoin, mais aussi d’améliorer leur suivi.
Ces nouvelles possibilités tant techniques que juridiques ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel : les moyens financiers sont incontournables.
La prévention du terrorisme et de la récidive, la sécurité et la justice sont des sujets essentiels pour nos concitoyens. Les services de l’État, particulièrement lorsqu’ils sont aussi régaliens que les services de sécurité, doivent disposer du budget nécessaire au bon accomplissement de leur mission.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires soutiendra donc l’adoption de ce projet de loi, en demandant au Gouvernement de continuer son effort budgétaire dans ces domaines.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a soumis au Parlement, le mercredi 28 avril dernier, un nouveau projet de loi antiterroriste. Alors que nous entamons son examen, je tiens à indiquer d’emblée que celui-ci, à l’image du quinquennat, est le symbole d’un affaiblissement des libertés individuelles.
Il reprend en effet certaines dispositions de la loi SILT, ainsi que des mesures du régime de l’état d’urgence, telles que la fermeture des lieux de culte, la perquisition administrative ou les saisies informatiques, en prévoyant même un durcissement de certaines d’entre elles.
Parmi ces mesures, je citerai les Micas, ou mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, dont il faut tout d’abord rappeler qu’elles sont prononcées non pas par un juge, mais par le ministère de l’intérieur.
Nous ne saurions suffisamment le répéter : cette déjudiciarisation en marche suscite une opposition ferme de notre part. Où allons-nous si le principal garde-fou qu’est le juge est de plus en plus souvent dessaisi de sa mission de protection des droits et libertés fondamentales ?
Ces mesures administratives, qui constituent l’équivalent des assignations à résidence prises dans le cadre de l’état d’urgence, ne devaient normalement être expérimentées que jusqu’au 31 juillet prochain. Or voilà que le présent projet de loi prévoit leur pérennisation dans notre droit pénal !
Nombre de défenseurs des libertés publiques sonnent l’alarme lorsque de telles mesures temporaires justifiées par une situation de crise sont intégrées dans le droit commun. Cette crainte est légitime : allons-nous instituer une société qui vit dans un état d’urgence permanent ?
Ce projet de loi fait également réapparaître les mesures de sûreté judiciaire. Rappelons tout de même que, à l’été dernier, le Conseil constitutionnel avait censuré une loi émanant du parti présidentiel qui visait à renforcer les mesures de sûreté prises à l’encontre des détenus condamnés pour des actes terroristes et sortant de prison.
Un tel régime d’application rétroactive porte une atteinte excessive aux droits et libertés garantis par la Constitution, alors même que le droit commun prévoit déjà toute une série de mesures permettant d’assurer un suivi post-détention.
Enfin, et surtout, ce texte fait courir le grave risque d’une surveillance de masse de la population. Boîtes noires algorithmiques, dispositif IMSI catcher, captage des données de communications satellitaires, recueil des URL : tout y est. En 2015, c’était le gouvernement Valls qui avait imaginé un cadre juridique ouvrant la voie aux boîtes noires algorithmiques…
Nous connaissons toutefois les failles de ce système de surveillance. De nombreux spécialistes ont d’ailleurs jugé sévèrement cette initiative. Citons simplement Patrick Calvar, ancien numéro un de la DGSI, qui évoquait dès le début de l’année 2018 la « puissance toute relative des renseignements, même avec des moyens ».
Mes chers collègues, nous devons nous poser la question suivante : jusqu’où irons-nous ? Sommes-nous prêts à continuer de réduire, loi sécuritaire après loi sécuritaire, la protection des libertés individuelles des Français ?
Aux yeux du groupe Écologie – Solidarité et Territoires, ce texte, qui tend à endiguer la menace terroriste, pourtant bien réelle et même parfois en ébullition, ne protège, en réalité, ni les Français ni leurs libertés. Ainsi, parce que ce projet de loi aboutit à l’introduction de mesures liberticides dans notre droit commun, nous voterons contre.
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi, cela a déjà été dit, intervient à la suite de multiples lois sécuritaires dérogatoires au droit commun, votées sans véritable évaluation préalable des dispositifs existants, de leur nécessité ni d’ailleurs de leur efficacité.
Il s’agit de pérenniser des dispositifs issus de la loi SILT de 2017, notamment les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance. Semblables à des assignations à résidence et à des perquisitions contrôlées par l’administration, ces dispositifs contournent la procédure judiciaire et les droits de la défense et emportent des conséquences particulièrement lourdes pour les personnes visées, jugées sur des motifs d’ailleurs flous de dangerosité.
En pérennisant ces mesures, le Gouvernement fait donc le choix d’opérer un tournant radical en matière de police administrative, inspiré par un principe de précaution incompatible avec nos principes démocratiques fondés sur un droit pénal d’interprétation stricte.
Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste affirme avec détermination la nécessité de combattre le terrorisme. Notre République doit se doter de moyens à sa hauteur pour assurer un cadre de vie serein sur son territoire, mais cela ne doit en aucun cas se faire au détriment de la protection des libertés individuelles.
En 2015, j’avais suivi de près l’examen de la première loi Renseignement, au cours duquel j’étais déjà intervenue : on nous garantissait alors que les techniques introduites le seraient uniquement à titre expérimental et sans pérennisation tacite…
Qu’en est-il aujourd’hui ? Des expérimentations dont aucun bilan n’a été effectué sont désormais pérennisées, et à celles-ci s’ajoutent plusieurs nouvelles dispositions. Le texte prévoit par exemple d’étendre la surveillance algorithmique aux URL, alors même que trois algorithmes sont d’ores et déjà utilisés pour la détection de comportements suspects prédéfinis.
Pourtant, malheureusement, 58 des 59 attentats déjoués en France l’ont été par le biais du renseignement humain. La question de l’efficacité du renseignement automatisé demeure donc pertinente. (Mme Nathalie Goulet approuve.)
Le texte prévoit aussi l’extension des relations avec les opérateurs de communications électroniques, qu’il s’agisse de l’usage des IMSI catcher à la faveur du déploiement de la 5G ou de l’interception des données satellitaires de proximité. Ce dernier dispositif permet un véritable chalutage des données personnelles qui revient, de fait, à placer sous surveillance l’ensemble de la population.
Mis en œuvre sur décision du Premier ministre, il est placé sous un contrôle qui reste à la marge de la CNCTR et sous celui, encore plus résiduel, de la délégation parlementaire au renseignement.
Comme à l’accoutumée pour ce type de texte très attentatoire aux libertés publiques, la commission des lois a toutefois joué son rôle de défenseur des libertés et droits fondamentaux en corrigeant le projet de loi pour anticiper les éventuelles censures constitutionnelles, s’agissant notamment des Micas, ou encore des mesures de rétention de sûreté.
Je continue cependant de m’étonner de la persistance de la logique qui préside à cette inflation législative, celle-ci n’ayant pas fait les preuves de son efficacité.
Mes chers collègues, les attentats terroristes de ces dernières années ont eu lieu sous le régime de ces mesures. Ne conviendrait-il pas à présent de faire le point sur notre stratégie en matière de lutte réelle contre le terrorisme ?
Ces trente dernières années, 16 lois ont été adoptées contre le terrorisme ; s’y ajoutent 32 lois visant à lutter contre la délinquance. Force est de constater que la plupart de ces textes s’attachent davantage à réduire nos libertés sous couvert de sûreté qu’à enrayer véritablement le terrorisme.
Ainsi, le problème perdure, alors que d’autres méthodes existent – ma collègue Éliane Assassi en a esquissé les contours en défendant notre motion tendant à opposer la question préalable. Elles reposent non pas uniquement sur le recours à des outils algorithmiques insensés, mais sur le renforcement du renseignement humain.
La tension entre liberté et sécurité a toujours existé. L’équilibre entre ces deux impératifs est fragile. La complexité de cette question et la nature même des activités de renseignement appellent un débat de fond, à la hauteur de l’enjeu. Un tel débat est nécessaire pour préserver cet équilibre et ne jamais tomber ni d’un côté ni de l’autre de cette ligne de crête.
Or l’engagement de la procédure accélérée ne le permet pas, pas plus – vous en conviendrez – que la présente période de pré-renouvellement présidentiel, durant laquelle nous légiférons pourtant.
Nous continuerons donc à nous opposer à cette surenchère sécuritaire, car nous sommes convaincus que, en l’état, celle-ci vise davantage à réduire les libertés qu’à s’attaquer véritablement à la menace terroriste qui pèse sur notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord rendre un hommage sincère aux rapporteurs, qui ont travaillé avec une diligence extrême sur un texte difficile, pour lequel le Parlement, singulièrement le Sénat, se trouve, si j’ose dire, « dans la seringue », par l’effet cumulé de décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et du Conseil d’État et d’une disposition votée à titre provisoire dont le délai de validité expire.
Nous voilà donc contraints de décider de mesures multiples et importantes sans avoir eu le temps de les expertiser, et ce d’autant plus que le rapport sur les algorithmes, qui devait être remis au Parlement, le sera postérieurement à nos débats, ce qui, évidemment, ne contribuera pas à les éclairer.
Or ce texte est loin d’être anodin. Si l’on écoute nos collègues, en particulier notre excellent rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, tout est sous contrôle.
Il est vrai que les articles qui concernent l’utilisation des algorithmes – l’article 12 –, des drones – l’article 18 –, de la captation satellitaire et de la 5G sont indispensables à la lutte contre le terrorisme et à la protection de notre pays et de ses armées en dehors de nos frontières.
En revanche, les dispositions relatives à la captation et à la conservation des données suscitent un débat légitime. Pour avoir assisté à la quasi-totalité des auditions, il m’apparaît clairement que certains aspects de ce texte posent question.
Il en est ainsi de l’article 15 concernant les données de connexion. Celui-ci privera les procureurs de moyens pour les affaires qui ne seraient pas « graves » au sens de l’arrêt du Conseil d’État, mais qui peuvent être liées à la criminalité organisée ou aux trafics en tous genres, y compris d’êtres humains, qui sont les maillons d’une délinquance grave.
Les rapporteurs se souviennent, et je puis en témoigner, que le désarroi mêlé d’incompréhension des procureurs a créé un véritable malaise lors des auditions. S’agissant des dispositions de l’article 15, plus qu’un fossé, c’est un véritable abîme qui sépare la version officielle des services et le ressenti des procureurs.
Sur ce sujet du renseignement, on ne peut rester insensible aux alertes de La Quadrature du Net et d’autres associations qui sont désormais reconnues. Au reste, le Conseil constitutionnel rend quasiment une décision de censure par an depuis 2015 – le 23 juillet 2015, le 21 octobre 2016, le 4 août 2017 –, et à ces décisions se sont ajoutés l’arrêt de la Cour de justice l’Union européenne et la décision du Conseil d’État du 21 avril 2021, sans compter des recours pendants portant précisément sur l’article 15 à venir.
Enfin, la question qui se pose et qui a été très justement relevée lors d’une table ronde organisée le 10 juin dernier par les commissions des lois et des affaires européennes du Sénat, est celle de la souveraineté, madame la ministre.
Face à ce que l’on pourrait assimiler à un gouvernement des juges, puisque nous légiférons sous la contrainte de décisions de justice, la question est non pas « que reste-t-il de nos amours ? », mais plutôt « que reste-t-il de notre souveraineté ? ». La question est politique, et elle est cruciale.
Dans son arrêt du 6 octobre 2020, la Cour de justice de l’Europe de l’Union européenne a répondu à des questions préjudicielles. Ces décisions doivent maintenant être appliquées dans l’ensemble des pays européens.
Tirant les conséquences de la position de la Cour de justice de l’Union européenne sur la conservation des données, la Cour constitutionnelle belge a annulé purement et simplement les dispositions concernées.
Au Royaume-Uni, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ayant été rendue avant le 31 décembre 2020, elle devrait être appliquée en vertu de l’accord de retrait signé en 2018. Mais, à ce jour, cette décision n’est toujours pas appliquée par cet État, et nous ignorons si elle le sera.
En Allemagne, le tribunal administratif fédéral a porté, en 2019, une question préjudicielle devant la Cour de justice de l’Union européenne sur la loi allemande de 2015. L’affaire est actuellement pendante.
Cela signifie, madame la ministre, que, au moment où l’on a besoin d’union autour de la politique de renseignement et de la lutte contre le terrorisme, au niveau européen, par un effet cumulé, la décision de la Cour de justice de l’Union européenne favorisera des positions différentes dans chacun des pays et chez chacun de nos voisins. Ces différences poseront évidemment de très nombreuses difficultés.
De même, il faut rappeler qu’il n’existe pas de réglementation des activités des services secrets dans le droit de l’Union européenne, en dehors des questions relatives aux obligations de stockage et de transfert des données pour les fournisseurs de télécommunications privés.
Il serait donc probablement nécessaire de cultiver un peu plus d’harmonie et de politique. C’était en tout cas l’une des conclusions de la table ronde organisée dans le cadre des travaux menés conjointement par la commission des affaires européennes et par la commission des lois. Je vous y renvoie, car ils présentent un intérêt majeur.
J’ajouterai un mot sur l’article 7, qui concerne le renseignement financier et le service Tracfin, dont on ne dira jamais assez l’importance. L’exemple récent d’un ressortissant libanais, condamné pour blanchiment au profit des cartels colombiens et extradé vers les États-Unis, dont les services savaient, eux, qu’il finançait le Hezbollah, montre qu’il nous reste des efforts à accomplir.
Enfin, en ce qui concerne la souveraineté et les algorithmes, madame la ministre, j’aimerais vous poser plusieurs questions, notamment techniques. Je suppose en effet que, pour des raisons de souveraineté, nous produisons ces algorithmes nous-mêmes et ne les achetons pas « sur étagère ».
Pourriez-vous nous indiquer où en est le contrat avec Palantir, une société qui, en plus de fournir des technologies à la direction générale de la sécurité intérieure, la DGSI, travaille aussi avec la National Security Agency, la NSA, ce qui n’a rien de rassurant ?
Ce contrat a été renouvelé récemment, faute d’une solution de rechange française, alors même que le Président de la République, Emmanuel Macron, a plaidé pour une souveraineté numérique européenne face à la domination des États-Unis et de la Chine. Plus l’on donnera des moyens de contrôle à ces pays et moins l’on gardera de souveraineté. Et moins l’on aura de contrôle sur ces nouveaux outils de captation et de sécurité sur les stockages, plus l’on fragilisera notre souveraineté au profit des États-Unis, ce qui ne me semble pas être de très bonne politique.
Où en est le programme d’architecture de traitement et d’exploitation massive de l’information multisources, ou Artemis, qui devait lui aussi être développé avec l’aide du Gouvernement français ? Collecter et stocker les données exige des conditions drastiques de sécurité d’utilisation et de stockage, comme nous l’avons constaté lors des auditions que nous avons menées.
Ces questions sont récurrentes et ne sauraient trouver une réponse satisfaisante dans un débat de fin de session, tenu par des délais impératifs qui brident le travail parlementaire et nous réduisent au rôle de chambre d’enregistrement. Il est extrêmement dommage que ce type de sujet ne fasse pas l’objet de discussions plus longues, mobilisant les expertises nécessaires, comme beaucoup d’entre nous l’ont déjà souligné.
Notre groupe votera néanmoins ce texte, en conscience, en regrettant, madame la ministre, de ne pas avoir eu accès au rapport qui nous avait été promis.
Je ne crois pas que ce projet de loi soit le grand soir de la lutte contre le terrorisme. C’est un texte d’ajustement, qui pose néanmoins un certain nombre de questions ; madame la ministre, même si vous n’avez pas été très attentive à mes propos, j’espère en tout cas que vous pourrez répondre à celle que je vous ai posée sur la société Palantir. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco.
Mme Catherine Di Folco. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons ce jour le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, adopté le 2 juin dernier à l’Assemblée nationale.
Ce texte traite de la protection des Français face à la menace terroriste, du maintien de la compétitivité de nos services de renseignement au niveau international, du renforcement du contrôle parlementaire sur les services de renseignement et de l’accès aux documents d’archives classés secret-défense, afin notamment de favoriser le travail de recherche des archivistes et historiens.
Je n’aborderai pas tous ces thèmes, laissant à ma collègue Chantal Deseyne le soin de s’exprimer sur le volet relatif au renseignement, en sa qualité de membre de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Je souhaite, pour ma part, mettre l’accent sur plusieurs dispositions introduites par les deux rapporteurs de la commission des lois, qui sont experts en la matière, Agnès Canayer, membre de la délégation parlementaire au renseignement, et Marc-Philippe Daubresse, qui assure depuis trois ans le suivi et l’évaluation de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme.
Il s’agit donc du quatorzième texte en lien avec la sécurité et le terrorisme que le Parlement examine depuis les attentats qui ont sauvagement meurtri notre pays, en 2015 et en 2016. L’état d’urgence, instauré sur l’ensemble du territoire pour faire face à la menace terroriste élevée, a été prorogé à deux reprises.
Afin d’en sortir, car, par définition, ce n’est pas un régime permanent, la loi visant à renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ou loi SILT, est entrée en vigueur en novembre 2017. Elle a permis l’expérimentation de quatre mesures exceptionnelles de police administrative dans le droit commun, afin de mieux prévenir les actes de terrorisme : les périmètres de protection, la fermeture de lieux de culte, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, ou Micas, les visites domiciliaires et les saisies.
Ces mesures ont-elles montré leur efficacité ? Sans aucun doute. De plus, il est établi qu’elles ont fait l’objet d’une mise en œuvre raisonnée et proportionnée.
Ainsi, entre le 1er novembre 2017 et le 30 avril 2021, quelque 612 périmètres de protection ont été établis, 8 lieux de culte ont fait l’objet d’une fermeture administrative, 444 Micas ont été prononcées, 462 visites domiciliaires ont été réalisées, donnant lieu à 244 saisies. Enfin, 57 visites domiciliaires ont fait l’objet de poursuites judiciaires, dont 30 pour des faits de terrorisme.
Ces dispositions ont été prorogées en décembre 2020 pour sept mois, alors que la commission des lois du Sénat avait, à l’époque, proposé de les pérenniser, comme M. le rapporteur l’a rappelé.
Aussi, nous ne pouvons que souscrire à l’article 1er, tout en regrettant amèrement que, une fois de plus, le Gouvernement et les députés n’aient pas accordé de crédit au travail du Sénat, retardant ainsi inutilement ces mesures tout à fait justifiées.
Tout au long de l’examen du texte issu de l’Assemblée nationale, les rapporteurs ont veillé à assurer un équilibre entre les mesures de sécurité et le respect de l’État de droit et des libertés constitutionnelles. Ils ont également pris en compte les multiples réserves du Conseil constitutionnel sur plusieurs volets. C’est notamment le cas de la loi du 10 août 2020 instaurant un régime de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, qui a été largement censurée.
Or nous savons que 162 personnes condamnées pour actes de terrorisme devraient sortir de prison dans les quatre prochaines années. Il est donc nécessaire que puissent leur être imposées des mesures de surveillance et d’accompagnement à la réinsertion. En effet, comme le soulignait notre collègue Muriel Jourda, dans son rapport sur la proposition de loi de François-Noël Buffet renforçant le suivi des condamnés terroristes sortant de détention, les outils juridiques actuels ne sont pas satisfaisants.
Ainsi, les rapporteurs ont introduit, à l’article 5, cette proposition de loi que nous avons votée en mai dernier et qui crée une mesure judiciaire de suivi et de surveillance. Celle-ci semble constituer une voie juridiquement plus adaptée que la proposition initiale du Gouvernement.
En effet, cette mesure est prononcée par un juge, à l’issue d’une procédure contradictoire ; elle offre des possibilités de surveillance plus longues et plus contraignantes et permet d’associer aux obligations de surveillance des mesures sociales visant à favoriser la réinsertion de la personne.
Elle reprend le principe du dispositif adopté par le Parlement en juillet 2020, tout en y apportant les aménagements nécessaires pour répondre aux objections du Conseil constitutionnel.
Par ailleurs, bien qu’ils approuvent différents ajustements du régime des Micas, les rapporteurs n’ont pas accepté l’allongement de leur durée à deux ans pour les personnes condamnées pour terrorisme sortant de détention.
Ils estiment en effet que le risque constitutionnel est fort, se référant ainsi à la décision du 29 mars 2018, dans laquelle le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, une QPC, a considéré que « compte tenu de leur rigueur, les Micas ne sauraient excéder, de manière continue ou non, une durée totale de douze mois ».
Les rapporteurs ont également souhaité encadrer davantage le dispositif des périmètres de protection, en introduisant une autre réserve d’interprétation du Conseil constitutionnel, qui concerne la faculté pour les forces de l’ordre d’en contrôler l’accès, de procéder à des palpations de sécurité et de fouiller les bagages. Ils ont donc précisé que ces vérifications ne peuvent se fonder que sur des critères excluant toute discrimination, de quelque nature que ce soit, entre les personnes.
Je terminerai par la question de l’accès aux informations relatives aux hospitalisations sans consentement des personnes inscrites au fichier de traitement des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste, le FSPRT.
Le Gouvernement prévoyait d’étendre de façon assez large la possibilité de communiquer ces informations aux représentants de l’État et à plusieurs services de renseignement. Les rapporteurs ont jugé que la diffusion de ces données devait être plus strictement encadrée et ont souhaité la limiter aux préfets et aux seuls agents placés sous leur autorité et spécialement désignés à cette fin.
Madame la ministre, nous regrettons une nouvelle fois les délais contraints imposés au Parlement pour examiner ce texte très technique et complexe, en raison de la nécessité de l’adopter avant le 31 juillet 2021, date à laquelle les mesures de l’article 1er arriveront à expiration.
Toutefois, je tiens à souligner la qualité du travail des rapporteurs, qui ont enrichi le texte tout en respectant l’équilibre entre mesures efficaces de lutte antiterroriste, respect des libertés fondamentales et conformité constitutionnelle.
La commission des lois a suivi ses rapporteurs, ainsi que les rapporteurs pour avis, et elle a approuvé leurs propositions mesurées, efficaces et pragmatiques.
Cependant, à la lecture des amendements déposés par le Gouvernement, je constate une fois encore que vous faites fi des apports du Sénat, en voulant rétablir en grande partie le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. Qu’en est-il du respect du débat parlementaire si, dès la première lecture à la chambre haute, aucune discussion n’est possible ?
L’enjeu de ce texte est majeur. Il faut renforcer notre arsenal législatif pour assurer la protection de nos concitoyens qui aspirent à vivre dans un État de droit, en toute sécurité. Ne l’oublions pas dans nos débats ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord avoir une pensée particulière pour celles et ceux qui, dans le cadre de nos lois de renseignement, sont chargés au quotidien de l’application des mesures que nous votons.
Il y a aussi les agents, souvent anonymes, qui œuvrent au sein des services de la sécurité intérieure et extérieure. Déjà, ils ont permis d’éviter de nombreux attentats sur notre sol. Ils vont parfois jusqu’à risquer leur vie pour protéger la nôtre : qu’ils soient ici remerciés de leur efficacité et de leur sang-froid.
Nous en faisons le constat, depuis 2015, le terrorisme a évolué, passant d’une menace projetée des zones djihadistes à des agressions inspirées par la propagande, pour prendre désormais la forme d’une autonomisation totale de la menace, avec des acteurs isolés, au profil psychologique instable. Les causes et les risques ont changé, et les moyens d’efficacité ont évolué. Nous devons donc nous adapter. Nous y sommes !
Les évolutions technologiques permanentes entraîneront une nécessaire modification des contrôles. Ainsi, si l’utilisation des algorithmes se révèle encore plus indispensable qu’en 2015, il est nécessaire désormais d’utiliser les URL pour une plus grande efficacité.
Sur ces sujets sensibles, la confiance est certes nécessaire, mais le contrôle démocratique l’est tout autant. Il arrive que nous soyons sur une ligne de crête entre liberté et sécurité, d’où la nécessité de considérer que la confiance n’exclut ni l’attention ni le contrôle.
Ce que je veux souligner à présent ne concerne ni le Gouvernement ni ceux qui l’ont précédé. Cependant, ce serait une erreur, mes chers collègues, de considérer que notre pays ne courrait plus jamais aucun risque totalitaire ou extrémiste.
Certes, dans cette hypothèse, le bicamérisme peut nous protéger, tout comme la délégation parlementaire au renseignement, la commission de vérification des fonds spéciaux, ou encore la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui est une autorité indépendante. Ne craignons donc pas de renforcer les prérogatives de ces instances, qui représenteront en toutes circonstances une assurance finale de contrôle démocratique.
Dans le prolongement de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, les adaptations proposées apparaissent globalement logiques, car elles cherchent l’efficacité par l’adaptabilité. Nous devons cependant toujours être sourcilleux sur nos libertés fondamentales. C’est en ce sens que le Sénat et nous-mêmes jouons notre rôle, en faisant preuve d’attention et en étant source de propositions.
À ce titre, je veux soumettre à votre sagacité deux sujets de vigilance, dont le premier concerne les échanges entre les services français et étrangers. Nous savons combien ceux-ci sont essentiels dans la lutte contre le terrorisme. Il serait néanmoins logique qu’il y ait un contrôle a posteriori de ces échanges et que celui-ci soit exercé par une autorité indépendante, telle que la CNCTR.
La plupart des pays européens le font, mais la France reste en retard. Les arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme, le 25 mai dernier, devraient nous inciter fortement à revoir notre point de vue. En l’occurrence, il serait préférable d’anticiper une probable condamnation par la Cour européenne des droits de l’homme.
Le second point de vigilance porte sur la possibilité de voir le Conseil constitutionnel remettre en cause l’allongement des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas, ce qui, de plus, retarderait la mise en œuvre rapide de la loi. Le Conseil d’État a émis des réserves. Il serait bon que le Gouvernement en tienne compte.
Ce texte est nécessaire, comme son évolution le sera probablement aussi dans l’avenir. Notre assemblée et nous-mêmes souhaitons apporter des améliorations de précision et de précaution. Sur un tel sujet, le systématisme partisan n’est pas de mise. Nos concitoyens souhaitent associer protection, liberté et responsabilité.
C’est le sens, vous l’aurez compris, mes chers collègues, de mon propos et de notre démarche. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Chantal Deseyne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Chantal Deseyne. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est pour notre pays d’une importance toute particulière. Il concerne, au premier rang, non seulement la sécurité des Français, mais aussi notre souveraineté.
Le cyberespace a renouvelé en profondeur les modes d’action du renseignement. Cyberattaques, cyberespionnage, cyberguerres justifient une adaptation des règles de la sécurité nationale.
La lutte contre le terrorisme demeure une priorité majeure. Les statistiques sur les techniques de renseignement relevant de la surveillance intérieure montrent que la prévention du terrorisme a motivé plus de 40 % des demandes soumises à l’examen de la CNCTR.
La nécessité de répondre aux menaces et aux attentats terroristes a conduit le législateur à doter les services de renseignement de moyens d’investigation sophistiqués. La mise en œuvre de ces techniques par les services de renseignement est définie de manière précise dans le code de la sécurité intérieure.
Pour garantir sa légitimité, le renseignement doit non seulement convaincre de son efficacité, mais aussi déroger le moins possible aux valeurs démocratiques, ce qui suppose le respect de plusieurs principes fondamentaux, comme la séparation des pouvoirs, le respect des règles de droit et la protection des libertés fondamentales.
Ainsi, l’actuelle montée en puissance du renseignement doit s’accompagner du renforcement des contrôles qui pèsent sur la communauté du renseignement, au titre de l’indispensable exigence démocratique.
Plusieurs évolutions législatives sont à l’œuvre.
L’article 6 étend la possibilité de communication des informations relatives à l’admission d’une personne en soins psychiatriques aux seuls préfets et agents placés sous leur responsabilité, lorsque celle-ci représente une menace grave pour la sécurité et l’ordre public, en raison de sa radicalisation à caractère terroriste.
L’article 8 autorise la conservation des renseignements collectés jusqu’à cinq ans, à des fins de recherche et de développement, dans la perspective de permettre l’élaboration d’outils d’intelligence artificielle. Il prévoit la pérennisation de la technique de l’algorithme, qui permet l’identification précoce des menaces en se fondant sur l’analyse de l’ensemble de l’activité numérique de la population, pour repérer les comportements susceptibles de constituer un risque.
Durant l’année écoulée, la CNCTR a constaté une augmentation des demandes d’accès aux données de connexion, conjuguée à une baisse des autres demandes, notamment celles qui sont relatives aux techniques les plus intrusives. Ce projet de loi prévoit d’intégrer aux données traitées par l’algorithme les noms de domaines consultés par les internautes.
De la même façon, la surveillance en temps réel est étendue aux adresses complètes de ressources sur internet. La commission des lois du Sénat a considéré que cette extension ne saurait être inscrite de manière pérenne dans le droit, mais qu’elle pouvait être autorisée dans le cadre d’une expérimentation jusqu’au 31 juillet 2025.
En raison du déploiement de nouvelles constellations satellitaires et du développement d’une offre étrangère de communication, l’article 11 autorise les services de renseignement, à titre expérimental, à intercepter par le biais d’un dispositif de captation de proximité les correspondances transitant par la voie satellitaire.
Les prérogatives de la délégation parlementaire au renseignement sont renforcées. Les amendements adoptés par la commission des lois visent à prévoir que les recommandations et observations formulées par la délégation seront présentées au président de chaque assemblée.
Les avancées proposées par ce texte sont nombreuses. Elles se justifient par le fait qu’il nous faut adapter le monde du renseignement aux évolutions technologiques dont se servent nos ennemis.
Depuis la vague d’attentats de 2015, la menace d’une attaque projetée depuis l’étranger a laissé place à une menace plus diffuse, celle d’un terrorisme endogène.
Jean-François Ricard, premier procureur du parquet national antiterroriste, expliquait lors d’une table ronde au Sénat que le travail effectué dans les enquêtes à caractère terroriste à partir des données de connexion représentait 80 % de l’activité des agents, dans le cas d’un attentat ou d’une association de malfaiteurs.
Face à cette évolution, le rôle de la CNCTR est primordial. En 2020, la commission a rendu 262 avis défavorables, soit 0,8 % du nombre d’avis rendus. Je souhaite rappeler que, comme les années précédentes, le Premier ministre n’a accordé aucune autorisation après un avis défavorable de la commission.
Parallèlement, ce projet de loi prévoit de renforcer le rôle de la CNCTR avec la mise en œuvre de nouvelles dispositions. Ce texte est indispensable pour ceux qui, au sein des services secrets, travaillent à défendre les intérêts de la France et de ses ressortissants, partout où ils pourraient être menacés.
Avant que nous ne commencions l’examen des articles, je tiens à rendre hommage à ces femmes et ces hommes qui, dans le secret, travaillent à la protection des Français et de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement
Chapitre Ier
Dispositions renforçant la prévention d’actes de terrorisme
Article 1er
(Non modifié)
Le II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme est abrogé.
M. le président. L’amendement n° 53, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
À la fin du II de l’article 5 de la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, la date : « 31 juillet 2021 » est remplacée par la date : « 31 décembre 2024 ».
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Contrairement à ce qui a été dit lors de son examen en commission, la présente disposition, que nous déposons de nouveau en séance, tend non pas à conserver le caractère expérimental des mesures issues de la loi SILT, dont les rapports de contrôle parlementaire de l’Assemblée nationale et du Sénat ont présenté un bilan mitigé, mais bien à maintenir leur nature exceptionnelle.
Nous tirons ainsi les leçons des mesures que le Sénat s’est lui-même appliqué à suivre et à préconiser dans le cadre de la crise sanitaire qui a bousculé nos libertés publiques.
Au moment où nous sortons progressivement du régime de l’état d’urgence sanitaire contre l’épidémie de covid-19, l’honneur revient au Sénat d’avoir rappelé que la création de tout régime d’exception doit être limitée dans le temps, ce qui a conduit le Parlement à en fixer le terme au 31 décembre 2021. C’est l’une des leçons essentielles concernant les libertés publiques que le législateur devra retenir.
En matière de législation d’exception, l’expérience montre qu’il existe une forme de paresse démocratique à introduire des dispositions dérogatoires au droit commun d’abord de manière expérimentale, pour les pérenniser ensuite, puis à en étendre le champ d’application au gré des circonstances.
L’article 44 du projet de loi confortant les principes de la République, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale et par le Sénat, en témoigne de nouveau : il propose d’élargir le champ d’application de la fermeture des lieux de culte à partir d’autres fondements que le régime légal et provisoire d’exception et qui sont d’une gravité moindre.
Pérenniser des mesures extrêmement dérogatoires au droit commun est un processus dont nous savons par avance qu’il conduit à rogner davantage le champ des libertés publiques. Conscients de cette dérive, nous souhaitons maintenir le caractère exceptionnel des articles 1er à 4 de la loi du 30 octobre 2017.
Ces mesures directement extraites du régime de l’état d’urgence accroissent de manière significative les pouvoirs de l’autorité administrative, avec pour seule finalité la lutte contre le terrorisme.
Après avoir pris en considération leur caractère expérimental, et à la suite des interventions ultérieures du législateur, qui a limité strictement leur champ d’application, le Conseil constitutionnel a jugé que ces mesures assuraient une conciliation qui n’était pas manifestement déséquilibrée entre, d’une part, la préservation de l’ordre public, et, d’autre part le respect des libertés fondamentales. En effet, elles ne sont que momentanées.
Par ailleurs, dans l’exercice de ses pouvoirs de contrôle, le Parlement a constaté que ces dispositions présentaient un intérêt en matière de prévention des actes de terrorisme et que, si leur appropriation par l’autorité de police administrative s’est révélée inadéquate à plusieurs reprises au moment de leur entrée en vigueur, leur utilisation actuelle semble mesurée et proportionnée.
Il n’en demeure pas moins que ces mesures sont dérogatoires au droit commun, car elles affectent très clairement la liberté d’aller et venir, la liberté de culte, le droit au respect de la vie privée et familiale et l’inviolabilité du domicile, dans un contexte sécuritaire d’anticipation d’un danger potentiel.
En conséquence, parallèlement au contrôle parlementaire renforcé qui permet à l’Assemblée nationale et au Sénat d’assurer leur mission de contrôle, ces mesures doivent demeurer exceptionnelles et subordonnées à un vote régulier du Parlement. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, mon cher collègue !
M. Jean-Yves Leconte. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. M. Leconte relance le débat que nous avons déjà eu, je le rappelle, à la fin de l’année dernière.
La question était de savoir s’il fallait pérenniser ou proroger la mesure. La majorité du Sénat s’est prononcée clairement pour une pérennisation immédiate ; la majorité de l’Assemblée nationale s’est prononcée pour une prolongation, dans l’attente d’une pérennisation. Le débat a donc déjà été tranché, même si l’on peut toujours le remettre sur la table.
Sur le fond, comme je l’ai indiqué lors de l’examen de la motion relative à l’exception d’irrecevabilité, le Conseil constitutionnel a clairement établi, en réponse à une QPC, que les quatre mesures fondamentales concernant le périmètre de protection, la fermeture des lieux de culte, les visites domiciliaires et les Micas étaient efficaces.
En outre, les deux rapports que j’ai remis à la commission des lois démontrent cette efficacité. Par conséquent, il n’y a aucune raison d’adopter cet amendement.
La commission émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Cet amendement vise à proroger la clause de caducité des mesures issues de la loi SILT.
Si cela correspondait au souhait initial du Gouvernement, ces mesures qui devaient expirer le 31 décembre 2020 n’ont été prorogées par le Parlement que jusqu’au 31 juillet 2021. Désormais, la pérennisation des mesures issues de la loi SILT nous paraît indispensable, moyennant les adaptations que le Gouvernement vous propose d’adopter.
Cette pérennisation n’empêchera pas le Parlement d’exercer un contrôle très étroit, de la même manière qu’il a pu le faire jusqu’à présent, puisque le Gouvernement lui transmet les mesures prises dans ce cadre, sans délai, et lui remet un rapport annuel sur leur mise en œuvre.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote sur l’article.
Mme Éliane Assassi. Nous voterons contre cet article 1er, qui pérennise les mesures de police administrative de la loi SILT de 2017. La commission des lois l’a adopté sans modification, puisqu’elle recommandait déjà dans ses travaux de pérenniser ces mesures, au moment où le Gouvernement avait décidé de les proroger, sous couvert de crise sanitaire, en décembre dernier.
Je veux rappeler que le groupe CRCE s’était opposé à la loi SILT, qui est venue pérenniser un certain nombre de dispositifs issus de l’état d’urgence sécuritaire, déclenché à la suite des attentats de 2015.
Cet article du projet de loi instaure donc définitivement la possibilité d’instaurer des périmètres de protection, les fermetures administratives de lieux de de culte et les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les fameuses Micas.
Ces dernières mesures administratives sont sans doute les plus graves. Elles peuvent être prononcées à l’encontre des personnes dont le comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre public, notamment.
Comme nous l’avons déjà dit lors de la discussion générale, entériner les Micas consisterait, selon nous, à acter un changement de paradigme dans les mesures de police administrative, en se fondant non plus sur la commission d’une infraction, mais sur la suspicion de la commission probable de cette infraction.
Or les conséquences de ces dispositifs peuvent être très lourdes pour les personnes visées, qui sont jugées potentiellement dangereuses sur des critères extrêmement flous. Il s’agit là d’un tournant assez radical. Nous déplorons cette mesure, comme tous les défenseurs des libertés, depuis les associations de défense jusqu’aux magistrats eux-mêmes, quels qu’ils soient.
En outre, en 2018, à l’Assemblée générale des Nations Unies, plusieurs États se sont inquiétés du manque de respect des droits humains dans le cadre de la lutte contre le terrorisme en France. Ils ont insisté sur la nécessité de mettre en place un mécanisme indépendant de suivi. Or il n’en a rien été.
Pour toutes ces raisons, mon groupe votera pour la suppression de l’article 1er.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 1er bis
L’article L. 226-1 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° A (nouveau) Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « La mise en œuvre de ces vérifications ne peut se fonder que sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. » ;
1° Le quatrième alinéa est ainsi modifié :
a) (nouveau) À la première phrase, après le mot : « responsabilité », sont insérés les mots : « et le contrôle effectif » ;
b) À la dernière phrase, après le mot : « autorité », sont insérés les mots : « et le contrôle effectif et continu » ;
2° La seconde phrase du dernier alinéa est ainsi rédigée : « L’arrêté peut être renouvelé une fois, pour une durée ne pouvant excéder un mois, par le représentant de l’État dans le département ou, à Paris, le préfet de police, lorsque les conditions prévues au premier alinéa continuent d’être réunies. » – (Adopté.)
Article 2
Le chapitre VII du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 227-1 est ainsi modifié :
a) Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
b) Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Peuvent également faire l’objet d’une mesure de fermeture, selon les modalités prévues aux deux derniers alinéas du I, des locaux gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale gestionnaire du lieu de culte dont la fermeture est prononcée sur le fondement du même I, qui accueillent habituellement des réunions publiques, et dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils seraient utilisés aux mêmes fins pour faire échec à l’exécution de cette mesure. La fermeture de ces locaux prend fin à l’expiration de la mesure de fermeture du lieu de culte. » ;
2° À l’article L. 227-2, les mots : « d’un lieu de culte » sont supprimés.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 19 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 64 est présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 19.
Mme Michelle Gréaume. L’article 2 prévoit l’élargissement des mesures de fermeture des lieux de culte instaurées par la loi SILT et pérennisées par l’article 1er du présent projet de loi. Il s’agit donc d’une déclinaison et d’un renforcement des mesures instituées en 2017.
L’article prévoit ainsi la fermeture des locaux dépendant du lieu de culte fermé et dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils seraient utilisés pour faire échec à l’exécution de cette mesure.
Les motifs sont flous et viennent alimenter une police administrative de suspicion.
En effet, le champ d’application très large de la mesure dépasse l’objectif de prévention et de lutte contre le terrorisme, et la notion de « locaux dépendant du lieu de culte » apparaît bien trop imprécise et susceptible de porter atteinte à la liberté du culte et à la liberté associative, d’autant plus si l’on considère que tous les dispositifs du projet de loi Séparatisme qui s’inscrivent exactement dans la même logique sont quasiment adoptés.
En outre, l’administration dispose déjà du pouvoir de dissoudre toute association incitant à la commission d’actes de terrorisme ou de fermer tout lieu constituant une menace pour l’ordre ou la sécurité publique.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons, mes chers collègues, à adopter cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 64.
Mme Esther Benbassa. Le présent article 2 prévoit l’élargissement de l’article L. 227-1 du code de la sécurité intérieure concernant les mesures de fermeture des lieux de culte.
Cette disposition renforce les mesures d’une loi particulièrement délicate en matière de liberté d’exercice du culte, le but étant d’autoriser la fermeture des locaux dépendant du lieu de culte fermé dont il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils seraient utilisés pour faire échec à l’exécution de cette mesure.
Il ressort de la rédaction de ce dispositif que le champ d’application de cette mesure est trop large, en ce qu’il dépasse l’objectif de prévention et de lutte contre le terrorisme, et que, par ailleurs, la notion de « locaux dépendant du lieu de culte » reste beaucoup trop floue.
Les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires estiment que cet article n’est pas compatible avec les principes de sécurité juridique et d’intelligibilité de la loi.
Nous rappelons, en outre, que l’administration dispose déjà du pouvoir de dissoudre toute association incitant à la commission d’actes de terrorisme ou de fermer tout lieu constituant une menace pour l’ordre ou la sécurité publique.
Dès lors, nous doutons de l’intérêt d’une telle mesure, qui paraît à la fois abusive et superfétatoire.
Pour toutes ces raisons, nous proposons la suppression de l’article 2, qui est susceptible de porter atteinte à la liberté du culte et à la liberté associative.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Ces deux amendements de suppression sont, par définition, contraires à la position de la commission, qui, lors du dernier débat que nous avons eu sur la question, avait proposé d’élargir les fermetures non seulement aux lieux de culte, mais aussi aux associations ou à des organismes ayant des liens, en particulier financiers, avec ces derniers.
Ainsi que je l’ai signalé dans deux rapports, ces propositions répondaient notamment aux remarques formulées par les préfets qui avaient constaté, dans les départements, des phénomènes de radicalisation ailleurs que dans les lieux de culte.
Bien sûr, tout cela doit être encadré. C’est d’ailleurs ce qui a été fait dans le cadre du présent projet de loi.
Cependant, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. La disposition qu’il est proposé de supprimer nous paraît nécessaire pour assurer le caractère effectif de la mesure de fermeture des lieux de culte, telle qu’elle est aujourd’hui prévue par l’article L. 227-1 du code de sécurité intérieure et telle qu’elle a d’ailleurs été validée par le juge constitutionnel.
Les associations gestionnaires de culte disposent, dans la plupart des cas, de lieux dépendant du lieu de culte, que cette dépendance soit géographique ou qu’elle soit organique.
Par suite, en cas de fermeture du seul lieu de culte, ces locaux peuvent être utilisés pour contourner la mesure, afin d’y organiser le culte avec le risque que les propos, les théories et les idéologies à l’origine de la fermeture initiale y soient diffusés, faisant ainsi échec à l’exécution concrète de la mesure de fermeture prévue.
Par conséquent, il nous semble nécessaire de permettre la fermeture des locaux lorsqu’il existe des raisons sérieuses de penser qu’ils seraient employés pour faire obstacle à la mesure de fermeture prononcée à titre principal.
D’ailleurs, le Conseil d’État a reconnu, dans son avis sur le projet de loi, que cette disposition paraissait adaptée au but recherché, tout en satisfaisant les critères de nécessité et de proportionnalité, ce qui conserve intact l’équilibre entre la prévention des atteintes à l’ordre public et la nécessaire préservation des libertés religieuses.
Dans ces conditions, le Gouvernement est défavorable à ces amendements.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 19 et 64.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 100 rectifié, présenté par M. Haye et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 5, première phrase
Remplacer les mots :
gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale gestionnaire du lieu de culte dont la fermeture est prononcée sur le fondement du même I, qui accueillent habituellement des réunions publiques,
par les mots :
dépendant du lieu de culte dont la fermeture est prononcée sur le fondement du même I
II. – Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
2° À l’article L. 227-2, après le mot : « culte », sont insérés les mots : « ou d’un lieu en dépendant ».
La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Cet amendement a pour objet de rétablir la rédaction de l’article 2 dans sa version adoptée par l’Assemblée nationale. En effet, la modification opérée en commission paraît procéder d’une vision à la fois trop large et trop restrictive de la notion de « locaux annexes au lieu de culte concerné ».
Ainsi, le fait de viser tous les lieux gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne gestionnaire du lieu de culte dont la fermeture est prononcée conduirait à permettre la fermeture de locaux ne présentant aucun lien avec le motif de fermeture du lieu de culte. Cette portée du dispositif, sans lien avec la lutte contre le terrorisme, est, par nature, disproportionnée.
À l’inverse, la mention « qui accueillent habituellement des réunions publiques » est, à nos yeux, un peu trop restrictive, car elle aurait pour effet d’exclure de nombreux locaux utilisés pour contourner la fermeture administrative, tels que les bibliothèques, les locaux associatifs destinés à l’accueil des enfants ou encore les centres culturels, qui n’accueillent pas habituellement de réunions publiques.
Le rétablissement de l’article 2 dans sa rédaction initiale permettra d’empêcher les contournements d’une mesure de fermeture d’un lieu de culte, tout en garantissant la proportionnalité de la disposition.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission sera bien sûr défavorable à cet amendement, qui tend à rétablir le texte initial issu des travaux de l’Assemblée nationale.
Cher collègue, si je puis être d’accord avec vous pour d’autres amendements, je considère, contrairement à vous, que la rédaction initiale du présent article est imprécise.
Je rappelle que le Conseil constitutionnel a fondé sa censure de l’article 24 de la loi Sécurité globale sur le caractère insuffisamment clair et précis de l’expression « policiers en opération ».
De notre point de vue, la rédaction proposée par la commission est beaucoup plus précise que celle qui nous est parvenue de l’Assemblée nationale : elle fait référence aux « locaux gérés, exploités ou financés, directement ou indirectement, par une personne physique ou morale gestionnaire du lieu de culte dont la fermeture est prononcée ». On en revient au motif principal de la fermeture, seul support juridique sur lequel nous pouvons nous appuyer.
Pour des questions de fond comme pour des raisons juridiques, l’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Comme M. le sénateur Ludovic Haye l’a indiqué, il nous semble indispensable de rétablir l’article dans sa version adoptée précédemment.
Avec tout le respect que m’inspirent les éminents travaux de la commission des lois du Sénat, les modifications que cette dernière a apportées au présent texte nous semblent rendre à la fois trop larges et trop restrictifs les critères permettant la fermeture des locaux.
En effet, le critère de gestion, d’exploitation ou de financement ne nous semble pas correspondre aux situations à traiter, puisque la fermeture concernerait alors des établissements qui ne présentent aucun lien direct avec le risque de terrorisme qu’il s’agit de prévenir.
La mention des seuls « lieux accueillant des réunions publiques » nous paraît quant à elle trop restrictive, parce qu’elle exclut plusieurs lieux dépendant du lieu de culte dont la fermeture devrait pouvoir être autorisée.
Nous estimons que le présent amendement vise à répondre parfaitement aux situations qui doivent être traitées sur le terrain et présente des garanties accrues et fermes sur le plan constitutionnel.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Nous nous interrogeons sur les lieux dans lesquels des personnes auraient élu domicile, mais, conscients qu’une disposition qui les viserait donnerait tout de suite lieu à des détournements, nous n’avons pas présenté d’amendement sur cet article.
Il faudra cependant prendre en compte cette difficulté, même si nous n’avons pas réussi à trouver le moyen de la dépasser.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur l’article.
Mme Nathalie Goulet. L’article 2 me paraît très important. Je pense surtout à la mention des « liens directs ou indirects », qui a manqué à plusieurs reprises à nos collègues de la commission des finances, notamment s’agissant des financements.
Cet article leur permettra de s’y référer et, ainsi, de poursuivre les financements irréguliers et les financements des associations terroristes partout où elles agissent. Je m’en réjouis !
Je voterai évidemment l’article dans la version de notre commission.
M. le président. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
I. – Le chapitre VIII du titre II du livre II du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 228-2 est ainsi modifié :
a) Au 3°, après le mot : « Déclarer », sont insérés les mots : « et justifier de » et le mot : « et » est remplacé par les mots : « ainsi que de » ;
b) Après le même 3°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’obligation prévue au 1° du présent article peut être assortie d’une interdiction de paraître dans un ou plusieurs lieux déterminés se trouvant à l’intérieur du périmètre géographique mentionné au même 1° et dans lesquels se tient un événement exposé, par son ampleur ou ses circonstances particulières, à un risque de menace terroriste. Cette interdiction tient compte de la vie familiale et professionnelle de la personne intéressée. Sa durée est strictement limitée à celle de l’événement, dans la limite de trente jours. Sauf urgence dûment justifiée, elle doit être notifiée à la personne concernée au moins quarante-huit heures avant son entrée en vigueur. » ;
c) (Supprimé)
d) Après le sixième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de saisine d’un tribunal territorialement incompétent, le délai de jugement de soixante-douze heures court à compter de l’enregistrement de la requête par le tribunal auquel celle-ci a été renvoyée. La mesure en cours demeure en vigueur jusqu’à l’expiration de ce délai, pour une durée maximale de sept jours à compter de son terme initial. La décision de renouvellement ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande. » ;
e) Aux première et dernière phrases du dernier alinéa, le mot : « sixième » est remplacé par le mot : « septième » ;
2° L’article L. 228-4 est ainsi modifié :
a) Au 1°, après le mot : « Déclarer », sont insérés les mots : « et justifier de » et le mot : « et » est remplacé par les mots : « ainsi que de » ;
b) (Supprimé)
c) Avant le dernier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de saisine d’un tribunal territorialement incompétent, le délai de jugement de soixante-douze heures court à compter de l’enregistrement de la requête par le tribunal auquel celle-ci a été renvoyée. La mesure en cours demeure en vigueur jusqu’à l’expiration de ce délai, pour une durée maximale de sept jours à compter de son terme initial. La décision de renouvellement ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande. » ;
3° L’article L. 228-5 est ainsi modifié :
aa) (nouveau) Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Cette obligation tient compte de la vie familiale de la personne intéressée. » ;
a) (Supprimé)
b) Après le troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas de saisine d’un tribunal territorialement incompétent, le délai de jugement de soixante-douze heures court à compter de l’enregistrement de la requête par le tribunal auquel celle-ci a été renvoyée. La mesure en cours demeure en vigueur jusqu’à l’expiration de ce délai, pour une durée maximale de sept jours à compter de son terme initial. La décision de renouvellement ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande. » ;
c) (Supprimé)
4° Après la première phrase de l’article L. 228-6, est insérée une phrase ainsi rédigée : « La définition des obligations prononcées sur le fondement de ces articles tient compte, dans le respect des principes de nécessité et de proportionnalité, des obligations déjà prescrites par l’autorité judiciaire. »
II. – (Non modifié) Les mesures prononcées sur le fondement des articles L. 228-1 à L. 228-5 du code de la sécurité intérieure qui sont en cours à la date de promulgation de la présente loi et dont le terme survient moins de sept jours après cette promulgation demeurent en vigueur pour une durée de sept jours à compter de ce terme si le ministre de l’intérieur a procédé, au plus tard le lendemain de la publication de la présente loi, à la notification de leur renouvellement selon la procédure prévue aux huitième et neuvième alinéas de l’article L. 228-2, aux septième et avant-dernier alinéas de l’article L. 228-4 et aux quatrième et cinquième alinéas de l’article L. 228-5 du même code.
M. le président. L’amendement n° 20, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Dans la même logique que précédemment, nous proposons de supprimer l’article 3, qui procède à un renforcement du régime des mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, les Micas. Déjà très attentatoires aux libertés publiques, celles-ci avaient été mises en place à titre expérimental et avec clause de rendez-vous, justement à cause de leur caractère particulièrement exorbitant du droit commun.
Les Micas sont mises en œuvre par le ministre de l’intérieur, après information du procureur de la République, à l’encontre de « toute personne à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d’une particulière gravité pour la sécurité et l’ordre publics ». Ces motifs sont particulièrement imprécis, difficiles à établir et à contrôler.
Il s’agit en fait de la légalisation de ce que l’on appelle une « menace pressentie ». En effet, une personne faisant l’objet d’une Micas peut se voir imposer des restrictions importantes de liberté : assignation géographique et obligation de pointage auprès des services de police, interdiction de paraître dans certains lieux et signalement de tout déplacement à l’extérieur du périmètre défini.
Dans les deux cas, le ministre de l’intérieur peut également prononcer une interdiction d’entrer en relation avec une ou plusieurs personnes.
Jusqu’à aujourd’hui, la durée des Micas est strictement encadrée, puisque celles-ci ne sont renouvelables que dans la limite d’une durée cumulée de douze mois et que, au-delà de six mois, des éléments nouveaux ou complémentaires sont requis pour les prolonger.
Prétendant que, pour des profils présentant une dangerosité élevée, la limite de douze mois se révèle inadaptée, le Gouvernement souhaite, au travers de son amendement n° 89, rétablir le texte voté à l’Assemblée nationale, qui prévoyait un possible allongement à une durée de vingt-quatre mois, en précisant que, si le Conseil constitutionnel a fait de la limitation à douze mois l’un des éléments du bilan de la constitutionnalité de la Micas, il n’a pas été saisi de la différence objective de situation entre les personnes radicalisées n’ayant pas été condamnées et celles qui ont fait l’objet d’une condamnation.
Rappelons cependant, mes chers collègues, que le Conseil constitutionnel, dans le commentaire de cette même décision, a estimé que, quelle que soit la gravité de la menace qui la justifie, une telle mesure de police administrative ne peut se prolonger aussi longtemps que dure cette menace – c’était assez clair.
Par conséquent, nous proposons la suppression de cet article et nous nous prononcerons contre l’amendement du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je remercie Pierre Laurent d’avoir fait la promotion de la position de la commission des lois, en s’opposant, dans son argumentation, à la rédaction du Gouvernement.
Nous avons proposé de conserver, à l’article 3, un certain nombre de dispositions relatives aux Micas, mais aussi de supprimer l’allongement de leur durée, pour les raisons constitutionnelles que notre collègue vient d’évoquer.
La commission est, par principe, défavorable à cet amendement de suppression, mais elle a pris en compte la préoccupation de M. Laurent.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Monsieur le rapporteur, je prends acte de la position de la commission, qui refuse l’allongement du délai.
Il n’empêche que l’article 3 pérennise les Micas. Or, comme je l’ai démontré, celles-ci sont exorbitantes du droit commun, raison pour laquelle elles avaient été mises en place à titre expérimental, avec clause de rendez-vous.
Vous êtes en train d’acter l’entrée dans le droit commun d’une disposition exorbitante du droit commun !
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. Allizard et Bascher, Mmes Belrhiti, Bonfanti-Dossat et V. Boyer, MM. Burgoa et Charon, Mmes Chauvin, Deromedi et Garriaud-Maylam, M. Genet, Mmes Goy-Chavent, Gruny et Lassarade, MM. Le Rudulier, Lefèvre, Meurant, Savin, Sido, H. Leroy et Tabarot et Mme Joseph, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À l’article L. 228-1, la seconde occurrence du mot : « et » est remplacée par le mot : « ou » ;
La parole est à Mme Marie-Christine Chauvin.
Mme Marie-Christine Chauvin. Je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 7 rectifié est retiré.
L’amendement n° 89, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rétablir le c dans la rédaction suivante :
c) Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation à la durée totale cumulée de douze mois prévue à l’alinéa précédent, lorsque ces obligations sont prononcées dans un délai de six mois à compter de la libération d’une personne condamnée à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour l’une des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exception de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, et si les conditions prévues à l’article L. 228-1 du présent code continuent d’être réunies, la durée totale cumulée de ces obligations peut atteindre vingt-quatre mois. Pour les douze premiers mois de leur mise en œuvre, les obligations sont renouvelées dans les conditions prévues à l’alinéa précédent ; au-delà d’une durée cumulée de douze mois, chaque renouvellement, d’une durée maximale de trois mois, est subordonné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires. » ;
II. – Alinéa 12
Rétablir le b dans la rédaction suivante :
b) Après le cinquième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation à la durée totale cumulée de douze mois prévue à l’alinéa précédent, lorsque ces obligations sont prononcées dans un délai de six mois à compter de la libération d’une personne condamnée à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour l’une des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exception de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, et si les conditions prévues à l’article L. 228-1 du présent code continuent d’être réunies, la durée totale cumulée de ces obligations peut atteindre vingt-quatre mois. Pour les douze premiers mois de leur mise en œuvre, les obligations sont renouvelées dans les conditions prévues à l’alinéa précédent ; au-delà d’une durée cumulée de douze mois, chaque renouvellement, d’une durée maximale de six mois, est subordonné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires. » ;
III. – Alinéa 17
Rétablir le a dans la rédaction suivante :
a) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation à la durée totale cumulée de douze mois prévue à l’alinéa précédent, lorsque ces obligations sont prononcées dans un délai de six mois à compter de la libération d’une personne condamnée à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour l’une des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exception de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, et si les conditions prévues à l’article L. 228-1 du présent code continuent d’être réunies, la durée totale cumulée de ces obligations peut atteindre vingt-quatre mois. Pour les douze premiers mois de leur mise en œuvre, les obligations sont renouvelées dans les conditions prévues à l’alinéa précédent ; au-delà d’une durée cumulée de douze mois, chaque renouvellement, d’une durée maximale de six mois, est subordonné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires. » ;
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie par avance de m’excuser si je suis un peu longue, mais je tiens à vous fournir des explications exhaustives.
Vous le savez, 188 condamnés terroristes islamistes vont sortir de détention d’ici à 2025. Nombre d’entre eux demeurent ancrés dans une idéologie radicale.
Ces individus forment le haut du spectre des objectifs des services de renseignement et présentent des enjeux sécuritaires multiples à leur sortie de détention : prosélytisme, menaces à court terme représentées par des profils impulsifs, menaces à moyen ou à long terme relatives à des projets d’attentats, tentatives de redéploiement vers les zones dites « de djihad » à l’étranger.
L’expérience acquise au cours des dernières années nous permet aujourd’hui d’affirmer que le placement sous Micas constitue pour ces profils un outil particulièrement utile et adapté.
Il permet de faciliter la surveillance d’individus qui sortent de prison, d’observer leurs relations habituelles volontaires, et non pas les relations imposées qu’implique la détention, leur pratique religieuse, leur activité sur les réseaux sociaux, leurs efforts de réinsertion, etc., là où la mise en place d’une surveillance physique ou technique à temps plein se révélerait difficile, en raison notamment des ressources humaines qu’elle induirait.
Toutefois, pour ces profils qui représentent une dangerosité élevée, la limite de douze mois se révèle inadaptée, comme nous avons pu en débattre lors de mon audition.
Un certain nombre de Micas est d’ores et déjà arrivé à échéance – il en a ainsi été de 19 d’entre elles depuis 2017 –, alors même que les services sont en mesure de justifier de la persistance de la menace constituée par le comportement des individus concernés.
C’est la raison pour laquelle le projet du Gouvernement qui a été voté l’Assemblée nationale prévoyait, dans des conditions strictement encadrées, un allongement à une durée de deux ans.
Votre commission des lois a souhaité supprimer cette possibilité, lui préférant un dispositif judiciaire qui reprend certaines obligations des Micas, comme l’interdiction de paraître ou l’interdiction de fréquenter certaines personnes. Cette solution ne semble pas convaincante à nos yeux, pour deux raisons principales.
Premièrement, il nous semble que cette solution priverait les autorités de la réactivité nécessaire pour assurer le suivi des sortants de détention.
L’expérience a en effet montré que les sorties de détention sont parfois décidées quelques heures seulement avant la sortie, ce qui ne place pas toujours l’autorité judiciaire en mesure de prononcer une mesure judiciaire, quand la Micas peut être prise par le ministre de l’intérieur en quelques heures seulement.
Deuxièmement, la solution que vous proposez nous semble de nature à fragiliser fortement le recours à la Micas telle qu’elle est pratiquée actuellement et pourrait in fine aboutir à une situation paradoxale, dans laquelle les personnes radicalisées qui ne seraient jamais passées à l’acte feraient l’objet d’un suivi plus strict que celles qui ont déjà été condamnées pour des faits de terrorisme.
Pour ces raisons, le Gouvernement souhaite pouvoir rétablir la possibilité d’un allongement de la durée des Micas à vingt-quatre mois, telle qu’elle était proposée dans le projet de loi initial et qu’elle a été votée par l’Assemblée nationale. Je rappelle que cet allongement est encadré par des garanties fortes, qui permettent de sécuriser la mesure sur le plan constitutionnel.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les éléments que le Gouvernement souhaitait porter à la connaissance de votre assemblée pour que vous puissiez vous prononcer sur ce sujet qui, comme vous le savez, est particulièrement important pour la sécurité du pays.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je répète, madame la ministre, que vous ne nous avez pas convaincus. En effet, l’argumentation que vous venez de développer n’est pas pertinente.
D’une part, pour les raisons que notre collègue Pierre Laurent a évoquées tout à l’heure et que nous avons nous-mêmes abordées en commission, le risque constitutionnel est réel.
Dans la décision QPC du 29 mars 2018, le Conseil constitutionnel estime que les Micas, compte tenu de leur rigueur, ne sauraient, « sans méconnaître les exigences constitutionnelles précitées, excéder, de manière continue ou non, une durée totale cumulée de douze mois ». D’après le commentaire que le Conseil fait de cette décision, quelle que soit la gravité de la menace qui la justifie, une telle mesure de police administrative ne peut se prolonger aussi longtemps que dure cette menace.
Autrement dit, si nous sommes parfaitement conscients de l’existence de menaces particulièrement graves, nous affirmons, pour notre part, que le risque constitutionnel est patent.
Nous disons par ailleurs, conformément à la position constante de la commission, que les mesures de suivi judiciaire présentent plusieurs avantages : elles sont prononcées par un juge, offrent des possibilités de surveillance plus longues et potentiellement plus contraignantes et des garanties plus importantes pour les individus concernés. Cet équilibre est important, en ce qu’il permet d’associer aux mesures de surveillance des mesures sociales visant à favoriser la réinsertion de la personne.
Madame la ministre, vous opposez surveillance administrative et mesure judiciaire, mais rien n’empêche qu’une Micas accompagne, la première année, une mesure de sûreté qui serait prononcée conformément à la proposition de loi du président de la commission François-Noël Buffet.
Les développements auxquels vous venez de procéder ne constituent donc pas une argumentation pertinente. Aussi, nous le réaffirmons clairement : la commission est défavorable à cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 45, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Roger, Temal, Todeschini, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 21
Insérer huit alinéas ainsi rédigés :
…° Il est ajouté un article L. 228-… ainsi rédigé :
« Art. L. 228-…. – Le juge des libertés et de la détention de Paris peut être saisi, à tout moment, aux fins de statuer, à bref délai, sur la mainlevée immédiate d’une mesure de sûreté prévue aux articles 706-53-13 à 706-53-19 du code de procédure pénale et à l’article 131-36-1 du code pénal, lorsque celle-ci est incompatible avec le prononcé d’une des obligations prévues aux articles L. 228-2 à L. 228-7 du présent code à l’égard de toute personne mentionnée à l’article L. 228-1.
« La saisine peut être formée par :
« 1° La personne faisant l’objet d’une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance et d’une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion ;
« 2° Les titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur si la personne est mineure ;
« 3° Son conjoint, son concubin, la personne avec laquelle elle est liée par un pacte civil de solidarité ;
« 4° Le procureur de la République.
« Le juge des libertés et de la détention peut également se saisir d’office, à tout moment. »
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Comme vient de l’indiquer notre rapporteur, une même personne peut être soumise à la fois à des mesures administratives et à des mesures judiciaires. La conjugaison de ces deux obligations pose parfois des problèmes de cohérence. Il peut ainsi être complexe de paraître à tel et tel endroit.
Nous proposons une solution qui permettrait de recourir au juge des libertés et de la détention, le JLD, pour traiter au cas par cas les situations issues d’obligations qui pourraient sembler incompatibles entre elles, afin que le JLD puisse décider la mainlevée de certaines parties des obligations s’imposant à une personne qui aurait du mal à remplir l’ensemble d’entre elles.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Notre collègue Jean-Yves Leconte pose une vraie question : celle du conflit qui peut exister entre les obligations relevant respectivement des Micas et des mesures de sûreté. Il prévoit une possibilité de saisine spécifique du juge des libertés et de la détention, aux fins d’ordonner la mainlevée de la mesure judiciaire.
Cher collègue, connaissant la cohérence dont vous faites toujours preuve et que je respecte beaucoup, je suis très surpris par votre proposition.
En effet, il est tout de même étrange qu’une mesure administrative prenne la priorité sur une mesure judiciaire, alors que, comme je l’ai indiqué, les mesures judiciaires que nous proposons à l’article 5 présentent plusieurs avantages : elles sont prononcées par un juge, elles offrent des possibilités de surveillance plus longue et des garanties plus importantes pour les individus concernés et permettent d’associer aux mesures de surveillance des mesures sociales visant à favoriser la réinsertion.
En conséquence, si vous soulevez une vraie question, je ne pense pas que la solution que vous proposez soit la bonne.
L’avis de la commission est donc défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Je prends note de votre remarque, monsieur le rapporteur, mais j’invite malgré tout le Sénat à voter cet amendement. Le JLD pourrait examiner l’ensemble des contraintes qui s’appliqueraient à la personne et prononcer une décision qui concernerait soit la mesure judiciaire, soit la mesure administrative.
Votre remarque est fondée, mais il faut trouver un moyen de résoudre cette difficulté. On ne peut laisser sans réponse ce problème, qui est réel et qui a été maintes fois évoqué lors de nos auditions.
Je propose donc d’adopter l’amendement tel qu’il est. Certes, il n’est pas parfait, mais nous pourrons profiter de la navette pour améliorer son dispositif.
M. le président. L’amendement n° 102, présenté par M. Daubresse et Mme Canayer, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 22
1° Remplacer les mots :
huitième et neuvième
par les mots :
septième et huitième
2° Remplacer le mot :
septième
par le mot :
sixième
3° Remplacer les mots :
quatrième et cinquième
par les mots :
troisième et quatrième
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(L’article 3 est adopté.)
Article 4
(Non modifié)
Après le premier alinéa du I de l’article L. 229-5 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l’occupant des lieux ou son représentant mentionné au troisième alinéa de l’article L. 229-2 fait obstacle à l’accès aux données contenues dans tout système informatique ou équipement terminal présent sur les lieux de la visite, mention en est faite au procès-verbal prévu au même article L. 229-2. Il peut alors être procédé à la saisie de ces supports, dans les conditions prévues au présent I. » – (Adopté.)
Article 4 bis
(Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 54, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
L’article L. 229-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° À la deuxième phrase du septième alinéa, les mots : « ou les témoins » sont supprimés ;
2° Le huitième alinéa est complété par trois phrases ainsi rédigées : « Cette copie préserve l’anonymat des témoins mentionnés au troisième alinéa du présent article. L’identité et l’adresse des témoins sont inscrites dans un autre procès-verbal signé par les intéressés et versé dans un dossier distinct du dossier de la procédure. Il en est fait mention dans l’original du procès-verbal ainsi que dans la copie de ce document. »
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. L’article 4 bis a été inséré par l’Assemblée nationale dans le projet de loi, afin de répondre à une réelle difficulté, soulevée par les juges des libertés et de la détention : lorsqu’une perquisition domiciliaire est menée en l’absence de l’occupant des lieux ou de son représentant, il peut être difficile de trouver deux témoins acceptant que leur nom figure au procès-verbal, ou PV. Les témoins peuvent alors souhaiter être anonymisés, par crainte légitime de représailles.
Notre commission a supprimé l’article 4 bis, considérant que celui-ci, tel qu’il avait été voté, posait de réelles difficultés, dans la mesure où il contrevenait au respect des droits de la défense.
Nous ne pouvons cependant pas faire comme s’il n’existait pas de problème s’agissant de la protection des témoins pouvant être amenés à observer une visite domiciliaire.
C’est la raison pour laquelle nous proposons cette rédaction, qui nous semble répondre à la fois à la préoccupation exprimée à l’Assemblée nationale et à celle qui a conduit notre rapporteur à proposer la suppression de l’article 4 bis lors de l’examen en commission.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je suis parfaitement conscient que M. Leconte soulève une fois de plus un véritable problème, mais je pense que la solution qu’il préconise ne nous permet pas d’en sortir et serait peut-être pire que le mal.
La présence de témoins au cours d’une visite domiciliaire constitue une garantie essentielle du respect des droits de la défense et, d’ailleurs, du droit à un recours juridictionnel effectif.
Si l’on anonymisait les témoins dans le procès-verbal, l’occupant des lieux ne disposerait plus d’aucun moyen de vérifier que ces témoins existent effectivement et que la visite domiciliaire a été effectuée dans le respect des prescriptions légales.
M. Leconte propose que la copie du procès-verbal de la visite transmise à l’occupant des lieux ne mentionne pas l’identité des témoins et que celle-ci soit malgré tout consignée dans un PV distinct, dont le procès-verbal de la visite domiciliaire mentionnerait l’existence, sans qu’il soit possible à l’occupant des lieux d’y accéder.
Le problème serait le même : comment l’occupant pourrait-il s’assurer de l’existence et de la régularité de ce second procès-verbal, puisqu’il n’est pas prévu qu’il puisse y accéder ? Cette solution ne serait pas tenable juridiquement.
Je le répète, laisser le texte tel quel ferait peser un vrai risque constitutionnel sur le dispositif des visites domiciliaires, ce qui priverait le Gouvernement d’un outil qui me semble important.
Par conséquent, et même si je suis conscient que nous n’apportons pas une solution totalement satisfaisante, je souhaiterais que M. Leconte retirât son amendement. À défaut, j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Nous sommes tout à fait d’accord avec l’argumentaire exposé par M. le rapporteur.
Tout d’abord, la présence de deux témoins lors de la visite domiciliaire en l’absence de la personne concernée est l’une des conditions de la régularité de la mesure. En effet, la copie du procès-verbal des visites domiciliaires et de saisie est transmise à l’occupant des lieux, pour que celui-ci puisse utilement, si d’aventure il le souhaite, exercer un recours.
Ensuite, en l’absence de précisions sur l’identité des témoins qui auraient assisté à la visite domiciliaire, la personne n’est pas placée dans les conditions qui lui permettent d’apprécier la régularité de la mesure et, le cas échéant, de faire valoir ses droits.
Pour ces raisons, l’anonymisation totale des témoins, sans aucune possibilité de voir leur identité révélée en cas de contestation, ne nous paraît pas possible.
Le Gouvernement est donc également défavorable à cet amendement.
M. Jean-Yves Leconte. Je retire l’amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 54 est retiré.
En conséquence, l’article 4 bis demeure supprimé.
Article additionnel après l’article 4 bis
M. le président. L’amendement n° 35, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 4 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conséquences sur les personnes détenues mises en cause dans des affaires de terrorisme islamiste ou celles écrouées pour des faits de droit commun et repérées par l’administration et par les services de renseignement comme étant susceptibles de radicalisation, de :
- l’isolement et des quartiers spécifiques ;
- la réduction des aménagements de peine depuis la législation antiterroriste de 2016 ;
- l’accès aux activités de réinsertion.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Au travers de cet amendement, que nous avons souhaité insérer avant l’article 5 relatif aux mesures de sécurité, nous souhaitons engager la discussion sur les autres méthodes possibles en matière de lutte antiterroriste et de gestion des condamnés pour terrorisme.
Pour ce faire, nous souhaitons que le Gouvernement remette au Parlement un rapport concernant les personnes détenues mises en cause dans des affaires de terrorisme islamique ou celles qui ont été écrouées pour des faits de droit commun et repérées par l’administration et les services de renseignement comme étant susceptibles de radicalisation.
Ce rapport porterait sur les conséquences sur ces personnes de l’isolement et des quartiers spécifiques, de la réduction des aménagements de peine depuis la législation antiterroriste de 2016 et de l’accès aux activités de réinsertion.
Comme l’explique l’Observatoire international des prisons, les aménagements de peine, pourtant gages de réinsertion, sont, en matière de terrorisme, quasi inexistants.
Alors qu’ils étaient déjà rarement prononcés, la législation antiterroriste de 2016 est venue durcir les conditions d’octroi de certains de ces aménagements et en supprimer purement et simplement d’autres. In fine, c’est toute la philosophie de l’aménagement de peine, donc de la préparation à la sortie, qui est remise en cause.
En outre, à partir de 2016, six quartiers d’évaluation de la radicalisation ont été mis en place sur tout le territoire. À la suite des évaluations menées, les personnes ancrées dans un processus de radicalisation violente et présentant une forte imprégnation idéologique et prosélyte sont affectées en quartier de prise en charge de la radicalisation, étanche du reste de la détention. Une telle situation concerne 15 % des détenus des quartiers d’évaluation de la radicalisation.
Face à tout ce dispositif, dont les rouages semblent pourtant bien huilés, on nous propose aujourd’hui de déterminer un nouveau niveau de dangerosité et les mesures de sûreté appropriées, lorsque ces personnes ne seront plus écrouées. Nous nous interrogeons donc sur la pertinence de ces quartiers.
Enfin, même si nous en débattrons en septembre prochain lors de l’examen du projet de loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, la question se pose : l’accès aux activités de réinsertion est-il effectif ? Tel n’est pas de l’avis de la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté.
Aussi, plutôt que de faire de la surenchère sécuritaire pénale, il s’agirait peut-être de faire le point sur la méthode engagée pour lutter efficacement contre la récidive, en prenant le temps de réfléchir à la réinsertion de ces individus, plutôt qu’à leur exclusion.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Cet amendement vise la remise d’un rapport au Parlement. Nous y sommes par nature défavorables. D’autres outils existent pour étudier les questions que se pose à juste titre notre collègue.
Je m’en tiens donc à la jurisprudence constante de notre commission et j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 35.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 5
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° (nouveau) L’article 230-19 est complété par un 19° ainsi rédigé :
« 19° Les obligations ou interdictions prévues au 5° de l’article 132-44 du code pénal et aux 8°, 9°, 12° à 14° et 19° de l’article 132-45 du même code prononcées dans le cadre d’une mesure de sûreté applicable aux auteurs d’infractions terroristes prévue à l’article 706-25-16 du présent code. » ;
2° Le titre XV du livre IV est ainsi modifié :
a) (nouveau) À l’intitulé, les mots : « et du jugement des » sont remplacés par les mots : « , du jugement et des mesures de sûreté en matière d’ » ;
b) (nouveau) Au quatrième alinéa de l’article 706-16, la référence : « à l’article 706-25-7 » est remplacée par les références : « aux articles 706-25-7 et 706-25-19 » ;
c) (nouveau) L’article 706-17 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Les mesures de sûreté prévues à la section 5 du présent titre sont ordonnées sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste par la juridiction régionale de la rétention de sûreté de Paris ou, en ce qui concerne les mineurs, par le tribunal pour enfants de Paris. » ;
d) (nouveau) Au premier alinéa de l’article 706-22-1, après la référence : « 706-17 », sont insérés les mots : « et les personnes astreintes aux obligations prévues à l’article 706-25-16 » ;
e) Est ajoutée une section 5 ainsi rédigée :
« Section 5
« Mesure de sûreté applicable aux auteurs d’infractions terroristes
« Art. 706-25-16. – I. – Lorsqu’une personne a été condamnée à une peine privative de liberté d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, et qu’il est établi, à l’issue d’un réexamen de sa situation intervenant à la fin de l’exécution de sa peine, qu’elle présente une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut, sur réquisitions du procureur de la République et dans les conditions prévues à la présente section, ordonner à son encontre une mesure de sûreté comportant une ou plusieurs des obligations mentionnées à l’article 132-44 du code pénal et aux 1°, 12°, 13°, 14° et 20° de l’article 132-45 du même code.
« II. – Lorsque les obligations mentionnées au I susceptibles d’être imposées à la personne faisant l’objet d’une mesure de sûreté en application du même I apparaissent insuffisantes pour prévenir sa récidive, la juridiction régionale de la rétention de sûreté peut également, par une décision spécialement motivée au regard de sa situation, de sa personnalité et de son extrême dangerosité, la soumettre à une ou plusieurs des obligations prévues aux 2°, 8°, 9° et 19° de l’article 132-45 du code pénal.
« III. – La mesure de sûreté prévue au I ne peut pas être ordonnée à l’encontre des personnes libérées avant la publication de la loi n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
« IV. – La mesure prévue au I ne peut être ordonnée que :
« 1° Si les obligations imposées dans le cadre de l’inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes apparaissent insuffisantes pour prévenir la commission des infractions mentionnées au premier alinéa du même I ;
« 2° Et si cette mesure apparaît strictement nécessaire pour prévenir la récidive.
« La mesure de sûreté prévue audit I n’est pas applicable si la personne a été condamnée à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis simple en application de l’article 132-29 du code pénal, à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis probatoire en application de l’article 132-40 du même code, sauf si le sursis probatoire a été révoqué en totalité en application de l’article 132-47 dudit code, à un suivi socio-judiciaire en application de l’article 421-8 du même code ou si elle fait l’objet d’une mesure de surveillance judiciaire prévue à l’article 723-29 du présent code, d’une mesure de surveillance de sûreté prévue à l’article 706-53-19 ou d’une rétention de sûreté prévue à l’article 706-53-13.
« Art. 706-25-17. – La situation des personnes détenues susceptibles de faire l’objet de la mesure de sûreté prévue à l’article 706-25-16 est examinée, sur réquisitions du procureur de la République, au moins trois mois avant la date prévue pour leur libération par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10, afin d’évaluer leur dangerosité et leur probabilité de récidive.
« À cette fin, la commission demande le placement de la personne concernée, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues aux fins d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.
« À l’issue de cette période, la commission adresse à la juridiction régionale de la rétention de sûreté et à la personne concernée un avis motivé sur la pertinence de prononcer la mesure mentionnée à l’article 706-25-16 au vu des critères définis au I du même article 706-25-16.
« Art. 706-25-18. – La mesure de sûreté prévue à l’article 706-25-16 est prononcée, avant la date prévue pour la libération du condamné, par un jugement rendu après un débat contradictoire au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office. La décision doit être spécialement motivée au regard des conclusions de l’évaluation et de l’avis mentionnés à l’article 706-25-17, ainsi que des conditions mentionnées au V de l’article 706-25-16.
« La juridiction régionale de la rétention de sûreté ne peut prononcer la mesure prévue au même article 706-25-16 qu’après avoir vérifié que la personne a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge adaptée à sa personnalité et à sa situation, de nature à favoriser sa réinsertion.
« Le jugement précise les obligations auxquelles le condamné est tenu ainsi que la durée de celles-ci.
« La décision est exécutoire immédiatement à l’issue de la libération.
« La juridiction régionale de la rétention de sûreté peut, sur réquisitions du procureur de la République ou à la demande de la personne concernée, selon les modalités prévues à l’article 706-53-17 et, le cas échéant, après avis du procureur de la République, modifier les mesures de sûreté ou ordonner leur mainlevée. Cette compétence s’exerce sans préjudice de la possibilité, pour le juge de l’application des peines, d’adapter à tout moment les obligations de la mesure de sûreté.
« Art. 706-25-19. – La mesure de sûreté prévue à l’article 706-25-16 est prononcée pour une durée maximale d’un an.
« À l’issue de cette période, elle peut être renouvelée pour la même durée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté, sur réquisitions du procureur de la République et après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, dès lors que des éléments actuels et circonstanciés permettent d’établir que les conditions prévues au I du même article 706-25-16 continuent d’être réunies.
« La durée totale de la mesure ne peut excéder trois ans ou, lorsque le condamné est mineur, deux ans. Cette limite est portée à cinq ans ou, lorsque le condamné est mineur, à trois ans, lorsque la personne a été condamnée à une peine d’emprisonnement supérieure ou égale à dix ans.
« Art. 706-25-20. – Les décisions de la juridiction régionale de la rétention de sûreté prévues à la présente section sont prises après avis du juge de l’application des peines compétent en application du premier alinéa de l’article 706-22-1. Elles peuvent faire l’objet des recours prévus aux deux derniers alinéas de l’article 706-53-15.
« Art. 706-25-21. – La mesure prévue à l’article 706-25-16 et les obligations y afférentes sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution.
« Si la détention excède une durée de six mois, la reprise de la mesure et d’une ou de plusieurs des obligations prévues au même article 706-25-16 doit être confirmée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté au plus tard dans un délai de trois mois après la cessation de la détention, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la mesure.
« Art. 706-25-22. – Le fait pour la personne soumise à une mesure de sûreté en application de l’article 706-25-16 de ne pas respecter les obligations auxquelles elle est astreinte est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
« Art. 706-25-23. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et les modalités d’application de la présente section. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 21 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 65 est présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 21.
Mme Cécile Cukierman. Avec cet article 5, nous abordons l’un des grands enjeux de ce texte : que faire des personnes condamnées pour terrorisme, une fois une fois leur peine purgée ?
C’est le législateur majoritaire qui s’est mis dans l’impasse, dès 2016, en limitant drastiquement les possibilités d’obtenir des aménagements de peine pour ces détenus. Ces dispositions ont inévitablement conduit à l’existence de « sorties sèches », qui inquiètent tant, aujourd’hui, le Gouvernement, les parlementaires et, plus largement, la population dans son ensemble.
Cet article tend à aménager le dispositif de régime de sûreté à l’encontre des détenus condamnés pour des actes de terrorisme et sortant de prison, voté l’été dernier et jugé non conforme à la Constitution dans la décision du Conseil constitutionnel du 10 août 2020. Ce dernier a en effet jugé que le dispositif retenu portait, en l’état de sa rédaction, une atteinte qui n’était ni adaptée ni proportionnée aux droits et libertés constitutionnellement garantis.
Selon nous, renforcer ainsi l’arsenal judiciaire antiterroriste, qui, rappelons-le, est déjà l’un des plus complets et des plus stricts au monde, diminue l’État de droit en France.
Telle est la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 65.
Mme Esther Benbassa. Cet article est probablement celui qui cristallise le plus d’oppositions. Il reprend en effet les dispositions de la proposition de loi instaurant des mesures de sûreté à l’encontre des auteurs d’infractions terroristes à l’issue de leur peine, qui a été censurée par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 août 2020.
Auparavant, le Conseil d’État s’était également interrogé sur l’utilité d’une telle mesure de sûreté. On peut ainsi lire, dans son avis du 23 juin 2020 : « La surveillance judiciaire de personnes dangereuses condamnées pour crime ou délit permet l’application de presque toutes les mesures de la proposition de loi ».
En effet, de nombreuses mesures de notre code pénal permettent d’ores et déjà d’assurer un suivi post-détention. On peut notamment citer le suivi socio-judiciaire prévu aux articles 131-36-1 à 131-36-8 du code pénal, la mesure de surveillance judiciaire prévue aux articles 723-29 et suivants du code de procédure pénale, ou encore le suivi post-libération prévu à l’article 721-2 du code de procédure pénale.
Si notre groupe prend très au sérieux la nécessité de prévenir la commission d’actes à caractère terroriste, la gravité de ces actes ne dispense pas d’apprécier la stricte nécessité des mesures prévues. Or, en l’état, la présente disposition, par ailleurs d’application rétroactive, je le souligne, porte une atteinte excessive aux libertés individuelles.
C’est en tout cas l’avis du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, qui s’oppose à la mise en place de cette nouvelle mesure de sûreté. Nous regrettons également que ne soit pas prise en compte la situation des prisonniers de droit commun qui se radicalisent au cours de leur détention.
Pour toutes ces raisons, nous demandons la suppression du présent article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. La commission est bien évidemment défavorable à ces deux amendements de suppression, qui sont contraires à sa position.
En effet, tout l’équilibre de la position prise par la commission des lois repose sur une mesure judiciaire forte de sûreté, qui reprend, je l’ai dit, la proposition de loi de M. Buffet et intègre complètement, madame Benbassa, la censure du Conseil constitutionnel de la proposition de loi que vous venez d’évoquer.
M. Buffet a repris tous les attendus de cette décision, qui remonte à l’année dernière. Celle-ci ne s’opposait pas, par principe, à la mesure de sûreté, mais elle demandait que celle-ci soit encadrée. L’ensemble des critères posés par le Conseil constitutionnel sont remplis par la proposition de loi de M. Buffet, qui constitue l’article 5 du texte que nous examinons aujourd’hui.
Je suis donc défavorable à ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21 et 65.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 87, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Le titre XV du livre IV du code de procédure pénale est complété par une section 5 ainsi rédigée :
« Section 5
« De la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion
« Art. 706-25-16. – I. – Lorsqu’une personne a été condamnée à une peine privative de liberté, non assortie du sursis, d’une durée supérieure ou égale à cinq ans pour une ou plusieurs des infractions mentionnées aux articles 421-1 à 421-6 du code pénal, à l’exclusion de celles définies aux articles 421-2-5 et 421-2-5-1 du même code, ou d’une durée supérieure ou égale à trois ans lorsque l’infraction a été commise en état de récidive légale, et qu’il est établi, à l’issue d’un réexamen de sa situation intervenant à la fin de l’exécution de sa peine, que cette personne présente une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive et par une adhésion persistante à une idéologie ou à des thèses incitant à la commission d’actes de terrorisme, faisant ainsi obstacle à sa réinsertion, le tribunal de l’application des peines de Paris peut, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste, ordonner, aux seules fins de prévenir la récidive et d’assurer la réinsertion, une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion.
« La décision définit les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative, psychologique ou psychiatrique destinée à permettre la réinsertion de la personne concernée et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté. Cette prise en charge peut, le cas échéant, intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté.
« Elle peut imposer à la personne concernée d’exercer une activité professionnelle ou de suivre un enseignement ou une formation professionnelle ; elle peut également lui interdire de se livrer à l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise.
« La décision précise les conditions dans lesquelles la personne concernée doit communiquer au service pénitentiaire d’insertion et de probation les renseignements ou documents de nature à permettre le contrôle de ses moyens d’existence et de l’exécution de ses obligations et répondre aux convocations du juge de l’application des peines ou du service pénitentiaire d’insertion et de probation. Elle peut aussi l’astreindre à établir sa résidence en un lieu déterminé.
« Les obligations auxquelles la personne concernée est astreinte sont mises en œuvre par le juge de l’application des peines du tribunal judiciaire de Paris, assisté du service pénitentiaire d’insertion et de probation, le cas échéant avec le concours des organismes habilités à cet effet.
« II. – Le tribunal de l’application des peines de Paris ne peut prononcer la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion qu’après s’être assuré que la personne condamnée a été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, de mesures de nature à favoriser sa réinsertion.
« III. – La mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion prévue au I peut être ordonnée pour une durée maximale d’un an. À l’issue de cette durée, la mesure peut être renouvelée sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste par le tribunal de l’application des peines de Paris, après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10, pour au plus la même durée, périodes de suspension comprises, dans la limite de cinq ans ou, lorsque le condamné est mineur, dans la limite de trois ans. Chaque renouvellement est subordonné à l’existence d’éléments nouveaux ou complémentaires qui le justifient précisément.
« IV. – La mesure prévue au I ne peut être ordonnée que si elle apparaît strictement nécessaire pour prévenir la récidive et assurer la réinsertion de la personne concernée. Elle n’est pas applicable si la personne a été condamnée à un suivi socio-judiciaire en application de l’article 421-8 du code pénal ou si elle fait l’objet d’une mesure de surveillance judiciaire prévue à l’article 723-29 du présent code, d’une mesure de surveillance de sûreté prévue à l’article 706-53-19 ou d’une rétention de sûreté prévue à l’article 706-53-13.
« Art. 706-25-17. – La situation des personnes détenues susceptibles de faire l’objet de la mesure prévue à l’article 706-25-16 est examinée, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste, au moins trois mois avant la date prévue pour leur libération par la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté prévue à l’article 763-10, afin d’évaluer leur dangerosité et leur capacité à se réinsérer.
« À cette fin, la commission pluridisciplinaire mentionnée au premier alinéa du présent article demande le placement de la personne concernée, pour une durée d’au moins six semaines, dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues, aux fins notamment d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité.
« À l’issue de cette période, la commission adresse au tribunal de l’application des peines de Paris et à la personne concernée un avis motivé sur la pertinence de prononcer la mesure mentionnée à l’article 706-25-16 au regard des critères définis au I du même article 706-25-16.
« Art. 706-25-18. – La décision prévue à l’article 706-25-16 est prise, avant la date prévue pour la libération du condamné, par un jugement rendu après un débat contradictoire et, si le condamné le demande, public, au cours duquel le condamné est assisté par un avocat choisi ou commis d’office. Elle doit être spécialement motivée au regard des conclusions de l’évaluation et de l’avis mentionnés à l’article 706-25-17 ainsi que des conditions prévues aux II et IV de l’article 706-25-16.
« Le jugement précise les obligations auxquelles le condamné est tenu ainsi que la durée de celles-ci.
« La décision est exécutoire immédiatement à l’issue de la libération du condamné.
« Le tribunal de l’application des peines de Paris peut, sur réquisitions du procureur de la République antiterroriste ou à la demande de la personne concernée, selon les modalités prévues à l’article 706-53-17 et, le cas échéant, après avis du procureur de la République antiterroriste, modifier la mesure ou ordonner sa mainlevée. Cette compétence s’exerce sans préjudice de la possibilité, pour le juge de l’application des peines, d’adapter à tout moment les obligations auxquelles le condamné est tenu.
« Art. 706-25-19. – Les décisions du tribunal de l’application des peines de Paris prévues à la présente section peuvent faire l’objet du recours prévu au second alinéa de l’article 712-1.
« Art. 706-25-20. – Les obligations prévues à l’article 706-25-16 sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution.
« Si la détention excède une durée de six mois, la reprise d’une ou de plusieurs des obligations prévues au même article 706-25-16 doit être confirmée par le tribunal de l’application des peines de Paris dans un délai de trois mois à compter de la cessation de la détention, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la mesure.
« Art. 706-25-21. – Le fait pour la personne soumise à une mesure prise en application de l’article 706-25-16 de ne pas respecter les obligations auxquelles elle est astreinte est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
« Art. 706-25-22. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et les modalités d’application de la présente section. »
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Dans la continuité de l’amendement du Gouvernement que j’ai présenté tout à l’heure, l’amendement n° 87 a pour objet de rétablir la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion dans la version adoptée en première lecture.
Afin d’assurer le suivi et la prise en charge de ces individus, le Gouvernement propose un double dispositif : d’une part, la prolongation de la durée des Micas, les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance, à vingt-quatre mois, afin d’assurer le contrôle et la surveillance de ces personnes ; d’autre part, la création d’une mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, afin de favoriser la réinsertion et de prévenir la récidive d’actes de terrorisme.
Votre commission a jugé utile de réécrire intégralement l’article 5 du projet de loi, en créant une mesure judiciaire de sûreté mixte, qui comprend, d’une part, des obligations destinées à la réinsertion, comparables à celles qui étaient prévues dans le projet de loi du Gouvernement, et, d’autre part, des obligations destinées à assurer la surveillance de la personne, qui se rapprochent de celles qui étaient prévues par les Micas dans leur objet.
Toutefois, le dispositif proposé par le Gouvernement paraît plus à même de répondre aux défis qui sont posés par la sortie de détention de ces personnes.
Il permet en effet de faire coexister deux mesures aux buts distincts, mais complémentaires : assurer, d’une part, la surveillance de ces personnes, par le prononcé d’obligations et d’interdictions strictes, et, d’autre part, leur réinsertion, grâce à une prise en charge resserrée par des acteurs spécialisés de la réinsertion.
Ce dispositif permet aussi une meilleure articulation avec les Micas, en évitant toute superposition des mesures administratives avec la mesure de sûreté judiciaire.
Il conduit ainsi à renforcer la constitutionnalité de ces dispositions, qui doivent pouvoir être mises en œuvre au plus vite. Je rappelle à cet égard que le Conseil d’État a constaté que le dispositif proposé répondait aux exigences posées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 7 août 2020.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement souhaite le rétablissement de la mesure judiciaire de prévention de la récidive terroriste et de réinsertion, dans la version adoptée par l’Assemblée nationale en première lecture le 2 juin 2021.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Nous sommes au cœur du débat qui nous oppose depuis le début, même si nous sommes d’accord avec de nombreux points de ce texte.
Nous avons deux visions différentes. Je l’ai dit, nous estimons que la position du Gouvernement concernant l’allongement d’un an des Micas entraîne un risque constitutionnel.
Je le redis, il est tout à fait possible d’avoir une mesure de sûreté et de prononcer, en même temps, la première année, une Micas permettant des mesures de surveillance plus efficientes et plus réactives, vous l’avez dit et je ne le conteste pas.
En toute cohérence, le Gouvernement souhaite rétablir son texte, et la commission souhaite que le Sénat se rallie à sa position, soit la mesure de sûreté exposée dans la proposition de loi Buffet.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. Allizard et Bascher, Mmes Belrhiti, Bonfanti-Dossat et V. Boyer, MM. Burgoa et Charon, Mmes Chauvin, Deromedi, Garnier et Garriaud-Maylam, M. Genet, Mmes Goy-Chavent, Gruny et Lassarade, MM. Le Rudulier, Lefèvre, Meurant, Savin, Sido, H. Leroy et Tabarot et Mme Joseph, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Après le mot :
légale
insérer les mots :
, ou a été prise en charge dans un quartier d’isolement en raison de sa radicalisation ou a été évaluée comme s’étant radicalisée au cours de sa détention pour une ou des infractions de droit commun,
La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié est retiré.
L’amendement n° 10 rectifié, présenté par Mme Borchio Fontimp, MM. Allizard et Bascher, Mmes Belrhiti, Bonfanti-Dossat et V. Boyer, MM. Burgoa et Charon, Mmes Chauvin, Deromedi et Garriaud-Maylam, M. Genet, Mmes Goy-Chavent, Gruny et Lassarade, MM. Le Rudulier, Lefèvre, Meurant, Savin, Sido, C. Vial, H. Leroy et Tabarot et Mme Joseph, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Supprimer les mots :
une probabilité très élevée de récidive et par
La parole est à Mme Alexandra Borchio Fontimp.
Mme Alexandra Borchio Fontimp. Je le retire également, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié est retiré.
L’amendement n° 103, présenté par M. Daubresse et Mme Canayer, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 23, seconde phrase
Remplacer la référence :
V
par la référence :
IV
La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 5, modifié.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
Après l’article L. 3211-12-6 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 3211-12-7 ainsi rédigé :
« Art. L. 3211-12-7. – Aux seules fins d’assurer le suivi d’une personne qui représente une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics en raison de sa radicalisation à caractère terroriste, le représentant de l’État dans le département et, à Paris, le préfet de police, ainsi que les agents placés sous son autorité qu’il désigne à cette fin peuvent, lorsque la personne fait l’objet d’une mesure de soins psychiatriques sans consentement, se voir communiquer les données d’identification de cette personne et les données relatives à sa situation administrative portées à la connaissance du représentant de l’État dans le département d’hospitalisation ou, à Paris, du préfet de police en application des articles L. 3212-5, L. 3212-8 et L. 3213-9 du présent code et de l’article 706-135 du code de procédure pénale, lorsque ces données sont strictement nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. Ces mêmes données ne peuvent être communiquées lorsqu’elles sont antérieures de plus de trois ans à la date de levée de la mesure de soins sans consentement. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 22 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 66 est présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Michelle Gréaume, pour présenter l’amendement n° 22.
Mme Michelle Gréaume. L’article 6 autorise la communication aux préfets et à certains services de renseignements des données à caractère personnel issues du fichier relatif au suivi des personnes en soins psychiatriques sans consentement, lorsqu’un patient représente une menace grave pour la sécurité et l’ordre publics en raison de « sa radicalisation à caractère terroriste ».
Le décret du 6 mai 2019 autorise déjà l’interconnexion de ce fichier OPCI web avec le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste. Une telle extension du nombre de personnes ayant accès à une information médicale contrevient aux principes du droit, au respect de la vie privée et au secret des informations médicales.
Comme l’indique le Syndicat de la magistrature, la lutte antiterroriste, dotée d’un arsenal législatif pléthorique, continue à servir de prétexte à la création de toutes sortes de dispositifs exorbitants tels que le fichage et le traçage des personnes atteintes de troubles mentaux, sans qu’aucune corrélation ait été établie entre radicalisation à caractère terroriste et troubles psychiatriques.
Dans la droite ligne des textes sur les responsabilités pénales et des mouvements de l’opinion publique sur le sujet, ce texte vient entériner l’idée que même les fous doivent être jugés, et même plus sévèrement si leur passage à l’acte vient se cristalliser autour de la question du terrorisme islamique.
Pour notre part, nous pensons que ce débat n’est pas à la hauteur de l’enjeu. Nous reviendrons sur ce sujet lorsque le Gouvernement nous présentera la proposition de loi relative à la responsabilité pénale.
Pour l’heure, mes chers collègues, nous vous proposons de supprimer cet article, dont la teneur doit être éclairée par des travaux pluralistes, qui sont pour l’instant inexistants.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 66.
Mme Esther Benbassa. Le présent article tend à élargir au préfet et à certains services de renseignement l’accès aux informations relatives aux personnes admises en soins psychiatriques, et ce sans leur consentement.
Rappelons tout de même que, à l’heure actuelle, seul le préfet de département est aujourd’hui autorisé à opérer une hospitalisation. Par cet élargissement, il s’agit d’assurer le suivi d’une personne représentant une menace grave pour la sécurité et l’ordre public.
Comme je l’ai indiqué précédemment, nul ne peut dans cet hémicycle prétendre ne pas prendre au sérieux la menace terroriste. Il s’agit bien évidemment d’une cause nationale, qui requiert la mise en place de tous les moyens nécessaires à sa réussite, dans le respect des libertés fondamentales et dans la limite d’une atteinte injustifiée au droit des personnes.
En l’occurrence, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires estime que la lutte antiterroriste ne doit pas servir de prétexte au fichage et au traçage des personnes atteintes de troubles psychiatriques.
Tout d’abord, le secret médical a toute son importance et ne saurait être rogné par une énième loi sécuritaire. Ensuite, les phénomènes de radicalité violente sont compliqués et protéiformes. Nous affirmons donc fermement que ces dispositifs de contrôle stigmatisants n’ont pas leur place dans notre société. Rien ne justifie cette mesure.
Par conséquent, nous demandons la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Ces deux amendements visant à supprimer l’article, la commission, qui a tracé une autre voie, y sera par définition défavorable.
Sur le fond, il existe une part minoritaire de personnes radicalisées présentant un risque terroriste et souffrant de troubles mentaux. Au cours de nos auditions, les estimations données ont varié de 15 % à 20 %.
Pour assurer leur suivi dans les meilleures conditions, il nous paraît nécessaire que les préfets des lieux de résidence, ainsi que les agents qui sont placés sous leur autorité, puissent avoir connaissance des entrées et des sorties. Le code de la santé publique permet d’ailleurs déjà aux préfets des départements d’hospitalisation de le faire. L’extension aux préfets des départements de résidence semble aller de soi.
Pour autant, je connais l’argument, soulevé d’ailleurs par la CNIL, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, selon lequel le partage d’informations et les interconnexions de fichiers portent atteinte au secret professionnel. C’est la raison pour laquelle la position de la commission a été non pas d’être favorable à l’article tel qu’il était rédigé initialement, mais de l’encadrer. Pour autant, on ne peut le supprimer totalement.
La commission est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je suis bien évidemment défavorable à ces amendements, et ce pour une raison très simple.
La commission des lois et la commission des affaires sociales ont fait un travail sur l’expertise psychiatrique et les difficultés liées au contrôle de ces hospitalisations, complètes ou non. Voilà quinze jours, au cours d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement, j’ai interrogé M. le garde des sceaux sur ce point.
En effet, depuis 2019, il n’y a plus de collecte de données des personnes ayant fait l’objet soit d’un non-lieu, soit d’un classement sans suite pour cause d’irresponsabilité, pour ce qui concerne des faits d’une gravité certaine. Nous parlons d’environ 18 000 personnes.
Pour toutes ces raisons, il est vraiment important de donner compétence au préfet et de disposer de ces informations. Cela répond d’ailleurs aux préconisations non seulement du rapport de notre collègue Jean Sol, mais aussi du rapport rendu par Philippe Houillon et Dominique Raimbourg sur l’irresponsabilité pénale.
Je ne voterai donc pas ces amendements
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 22 et 66.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 88 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 98 rectifié bis est présenté par MM. Haye, Richard, Mohamed Soilihi, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
, ainsi que les agents placés sous son autorité qu’il désigne à cette fin
par les mots :
ainsi que ceux des services de renseignement mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 du code de la sécurité intérieure désignés à cette fin par un décret en Conseil d’État
La parole est à Mme la ministre déléguée, pour présenter l’amendement n° 88.
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Cet amendement vise à rétablir la possibilité, pour les services de renseignement, d’être destinataires des informations d’identification et de situation administrative de l’individu.
Dans la mesure où le dispositif envisagé a pour objectif le seul suivi des personnes présentant une menace terroriste, ainsi que des troubles psychologiques ou psychiatriques, il nous semble indispensable que les services de renseignement puissent être destinataires de telles informations. Cela permet la prévention des passages à l’acte terroriste des personnes radicalisées présentant de tels troubles.
Ce dispositif s’inscrit dans le cadre de la prévention des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, dans lequel figure la question de la prévention du terrorisme.
L’absence de communication aux services de renseignement pourrait conduire à nuire à cet objectif. Surtout, le dispositif de communication envisagé comporte plusieurs garanties.
Tout d’abord, les finalités de cet échange d’informations sont limitées au seul sujet d’une personne qui présente une menace grave pour la sécurité et l’ordre public, à raison de sa radicalisation à caractère terroriste.
Ensuite, outre le préfet, la communication se limite à une partie des services de renseignement : les services spécialisés ou « premier cercle », et seuls certains services du second cercle désignés par décret en Conseil d’État.
Enfin, les échanges sont limités dans le temps, dans la mesure où les informations transmises ne peuvent porter sur des faits antérieurs de plus de trois ans à compter de la date de levée de la mesure de soins sans consentement.
M. le président. La parole est à M. Ludovic Haye, pour présenter l’amendement n° 98 rectifié bis.
M. Ludovic Haye. Afin de garantir la finalité de prévention des passages à l’acte terroriste des personnes radicalisées et présentant des troubles psychiatriques, cet amendement à rétablir la faculté d’accès des services du premier cercle, qui sont des services spécialisés, et des seuls services du second cercle, désignés par décret en Conseil d’État, aux informations sur les hospitalisations sans consentement.
Il vise à présenter un certain nombre de garanties, qui viennent d’être développées par Mme la ministre, et le Conseil d’État n’a pas émis de réserves sur l’accès des services de renseignement à ces informations.
En outre, les modalités de cet accès ont été resserrées par l’Assemblée nationale.
M. le président. L’amendement n° 99 rectifié bis, présenté par MM. Haye, Richard, Mohamed Soilihi, Bargeton, Buis et Dennemont, Mmes Duranton et Evrard, MM. Gattolin et Hassani, Mme Havet, MM. Iacovelli, Kulimoetoke, Lévrier, Marchand, Patient et Patriat, Mme Phinera-Horth, MM. Rambaud et Rohfritsch, Mme Schillinger, MM. Théophile, Yung et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
, ainsi que les agents placés sous son autorité qu’il désigne à cette fin
par les mots :
ainsi que ceux des services de renseignement mentionnés aux articles L. 811-2 et L. 811-4 du code de la sécurité intérieure désignés à cette fin par un décret en Conseil d’État et qui exercent une mission de renseignement à titre principal
La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Il s’agit d’un amendement de repli. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Ces dispositions rouvrent les questions suivantes : jusqu’où faut-il aller ? Comment peut-on encadrer pour garantir l’équilibre entre le respect des libertés et du secret professionnel et l’efficacité dans la lutte contre le terrorisme, notamment s’il s’agit de personnes atteintes de troubles psychiatriques.
Notre collègue Nathalie Goulet a eu tout à fait raison de souligner l’important travail qui a été mené par la commission des lois sur un autre sujet, très lié à notre discussion.
Je ne puis être favorable aux amendements identiques nos 88 et 98 rectifié bis, dans la mesure où le nombre de services autorisés est très large. Or il ne s’agit pas d’un débat anodin. Nous évoquons en effet des notions fondamentales, en particulier l’accès à un certain nombre de données relevant de la psychiatrie.
Pour autant, l’argumentation développée par Mme la ministre et M. Haye est pertinente. Toutefois, j’estime qu’il convient d’en rester aux personnes des services secrets exerçant à titre principal, soit le second cercle exerçant à titre principal. Tel est l’objet de l’amendement de repli n° 99 rectifié bis.
Pour montrer que nous sommes aussi soucieux d’efficacité, je serai favorable à l’amendement de repli de M. Haye et défavorable aux deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 99 rectifié bis ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 88 et 98 rectifié bis.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Article 6 bis
Après le mot : « application », la fin du second alinéa de l’article L. 22-10-1 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigée : « des mesures administratives prises en application du présent titre et des dispositifs judiciaires préventifs mis en œuvre aux fins de lutter contre le terrorisme. » – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 6 bis
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 36, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 6 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’efficacité de toutes les lois dites antiterroristes en France depuis la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, ainsi que leurs conséquences sur les libertés et droits fondamentaux.
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Avec cet amendement, nous souhaitons, au moment de clore les débats sur la partie de ce texte relative à l’antiterrorisme, poursuivre une réflexion que nous avons avancée dans la discussion générale.
Après plus de trente ans de législations antiterroristes, il est nécessaire de dresser un bilan sérieux des dispositifs à l’œuvre, afin d’évaluer, d’une part, leur efficacité en matière de lutte antiterroriste, et, d’autre part, les conséquences sur les libertés et droits fondamentaux de l’accumulation de ces lois.
Le 9 septembre 1986, voilà maintenant trente ans, la France se dotait de sa première législation en matière de lutte antiterroriste. À l’époque, cette loi instituait un régime dérogatoire au droit commun, en créant un corps spécialisé de magistrats. Depuis lors, de nombreuses réformes ont conduit à la mise en œuvre d’un régime procédural dérogatoire en matière d’enquêtes, ainsi qu’à la création de nouvelles infractions terroristes.
À la suite des attentats du 13 novembre 2015, le conseil des ministres a adopté un décret déclarant l’état d’urgence. En à peine deux ans, cet état d’urgence a été prorogé six fois, deux de ces prorogations ayant largement renforcé les dispositions de la loi.
La loi relative au renseignement a été adoptée le 24 juillet 2015 et la loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, le 3 juillet 2016.
En juillet 2017, le président Macron nous promettait une unique loi sur le sujet, laquelle venait entériner des dispositifs issus directement de l’état d’urgence et de son régime exorbitant du droit commun. Cela se poursuit aujourd’hui avec cette nouvelle loi et ces nouveaux dispositifs.
Ce texte va de nouveau très loin, comme l’ont souligné, dans une note d’alerte, les signataires du réseau Antiterrorisme, droits et libertés : « Le Gouvernement a perdu la boussole des principes de l’État de droit, en se réjouissant de l’hybridation des logiques administratives et judiciaires, et en considérant comme totalement superflu le principe selon lequel on ne saurait priver une personne de sa liberté que sur la base d’une infraction pénale précise, et strictement définie. »
Que l’on partage ou non ces appréciations, nous pouvons tous nous accorder, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, sur la nécessité de faire un bilan.
Il s’agit non pas de produire un rapport, car je sais que le Sénat n’est pas favorable à cette pratique, mais d’évaluer sérieusement trente années de lois antiterroristes. Sont-elles efficaces en matière de lutte antiterroriste ? Quels sont leurs effets s’agissant de l’évolution de notre État de droit ? Le Parlement s’honorerait à mener ce travail à bien.
M. le président. L’amendement n° 92 rectifié, présenté par Mmes Benbassa et Taillé-Polian, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’article 6 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’efficacité de toutes les lois antiterroristes en France depuis la loi n° 86-1020 du 9 septembre 1986 relative à la lutte contre le terrorisme, ainsi que leurs conséquences sur les droits et libertés fondamentaux.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Depuis 1986, les gouvernements successifs ont proposé des dizaines de textes dédiés à la lutte contre le terrorisme. Or jamais leur efficacité n’a été évaluée en termes de résultats.
Ces dernières années ont été particulièrement marquées par le déploiement d’un arsenal pénal significatif : loi relative au renseignement, prorogation de l’état d’urgence, loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, dite « loi SILT », loi pour une sécurité globale préservant les libertés, sans parler du présent projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
La question de la sécurité de nos concitoyens mérite d’être portée à la connaissance de chacun dans le débat public, et cela dans un souci de respect de la démocratie et de la transparence.
De plus, dès lors qu’il intègre dans le droit commun des mesures qui suscitent l’inquiétude des associations de défense des libertés publiques, ce texte, tout comme ceux qui l’ont précédé, doit faire l’objet d’une expertise quant à ses conséquences relatives au respect de nos libertés fondamentales.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Je rappelle à nos collègues que, dans le cadre de la loi SILT, qui n’était pas pérennisée définitivement, des rapports ont été réalisés sous le contrôle du Parlement, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Je vous en ai d’ailleurs remis deux.
Une fois que les lois sont votées, il est possible de les évaluer dans le détail et d’obtenir des informations régulières en matière de terrorisme et de renseignement.
Je suis donc défavorable à cette demande de rapport ; je le redis, nous disposons d’autres outils pour répondre à la préoccupation que vous exprimez.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Monsieur le rapporteur, si des rapports ont déjà été remis sur cette question, comme vous le rappelez, c’est bien que de tels documents peuvent être utiles pour établir un état des lieux sur des sujets aussi importants. Pourquoi perdraient-ils maintenant tout intérêt, alors qu’il s’agit d’une problématique qui soulève des interrogations quant à l’évolution de notre État de droit ?
Il serait judicieux de savoir où nous en étions en 1986, afin de mieux cerner dans quel État de droit nous vivions à l’époque et de déterminer dans quel État de droit nous vivons aujourd’hui. Il importe d’évaluer tout cela sérieusement.
Chaque fois que l’on nous propose de nouvelles mesures, on nous annonce qu’elles serviront à lutter contre le terrorisme, mais ces politiques ne sont jamais évaluées.
Sur des questions aussi importantes et aussi fondamentales – ce sont d’ailleurs des sujets sur lesquels le Sénat travaille sérieusement depuis longtemps –, la remise d’un rapport me paraît extrêmement utile, même si, moi non plus, je ne suis pas fan des rapports à tout propos.
Quoi qu’il en soit, même si nous ne votons pas cet amendement, le travail d’évaluation devra absolument être mené.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur. Monsieur Laurent, pourquoi y a-t-il eu des rapports sur la loi SILT ? Tout simplement parce qu’elle n’était pas définitive : une expérimentation était prévue afin de déterminer si elle devait ou non être pérennisée. Pour reprendre les mots du président Bas, comme dans le film Mission impossible, la loi SILT pouvait s’autodétruire à la fin.
C’est le rapport d’évaluation qui nous a permis de savoir si nous voulions ou non aller plus loin, chacun défendant bien sûr sa position sur ce point.
En tout état de cause, je suis d’accord avec vous, il est nécessaire de disposer d’évaluations, mais pas sous la forme d’un rapport.
D’une part, vous le savez parfaitement, les rapporteurs ont, après le vote de chaque loi, la mission de contrôler et d’évaluer les dispositifs mis en œuvre. Les rapporteurs de ce projet de loi continueront donc à suivre et à évaluer le parcours de ce texte, naturellement. D’autre part, nos groupes respectifs disposent d’outils et peuvent demander la création d’une mission d’information ou d’une commission d’enquête en cas de besoin ou face à un problème spécifique.
Voilà pourquoi la commission maintient sa position défavorable aux demandes de rapport.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. S’agissant de la lutte contre la radicalisation, nous n’avons jamais obtenu aucune évaluation de l’ensemble des programmes.
En revanche, il y a eu des contrôles continus sur l’état d’urgence et sur la loi SILT. Nous avons également obtenu de haute lutte le rapport budgétaire de politique transversale.
L’orange budgétaire de politique transversale nous donne des évaluations, qui sont notamment liées au financement de l’ensemble des politiques de lutte antiterroriste. Mieux vaudrait le renforcer, d’autant que l’argent demeure la clé d’une bonne partie de nos politiques publiques. Ce document de politique transversale est remarquablement réalisé et éclaire réellement les évaluations desdites politiques.
Je ne voterai donc pas ces amendements.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 92 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Chapitre II
Dispositions relatives au renseignement
Articles additionnels avant l’article 7
M. le président. L’amendement n° 42, présenté par MM. Vaugrenard et Leconte, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article L. 811-1 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un article L. 811-… ainsi rédigé :
« Art. L. 811-…. – Dans le respect du droit et des conventions internationales auxquelles la France est partie, le Premier ministre fixe des orientations relatives aux échanges entre les services spécialisés de renseignement et des services étrangers ou des organismes internationaux. »
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Les échanges de renseignements avec des services étrangers n’ont pas été inclus dans le cadre de la loi du 24 juillet 2015, ce qui n’est pas étonnant, puisque ce texte suivait des événements terribles.
Ce volet nécessite aujourd’hui d’être abordé et encadré, comme le demandent la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, dans son rapport d’activité de 2018, et la délégation parlementaire au renseignement, dans son rapport d’activité 2019-2020.
La prévention des menaces communes auxquelles sont confrontés la France et ses alliés justifie pleinement la nécessité d’une coopération poussée entre les services de renseignement de ces différents pays. Il apparaît donc nécessaire de fixer un cadre à cette activité.
La délégation parlementaire au renseignement avait estimé nécessaire en 2020 que cette réflexion soit lancée dans la perspective de l’examen du présent projet de loi, estimant qu’une réflexion était engagée dès lors que l’absence d’encadrement des échanges de renseignements étrangers pouvait constituer une source de fragilité juridique.
Le Gouvernement s’était alors dit prêt à envisager un cadre réglementaire plus formalisé de ces échanges, notamment pour améliorer les conditions dans lesquelles les contacts avec les services partenaires étrangers sont établis.
Une charte visant à introduire un certain nombre de protocoles dans ces échanges serait en cours de rédaction. Qu’en est-il, madame la ministre ?
Finalement, le projet de loi qui nous a été soumis reste curieusement silencieux sur ce sujet. Aucun débat, par ailleurs, n’a eu lieu à l’Assemblée nationale. Le Président de la République, lors de son discours pour le lancement du Collège du renseignement en Europe, le 5 mars 2019, s’étonnait pourtant que, en France, « les coopérations entre services sont parfois inconnues des décideurs eux-mêmes ».
Nous considérons donc qu’il n’est pas judicieux d’éviter d’aborder cette question, alors que nombre de nos partenaires l’ont fait et ont expressément encadré ces échanges, sans que cela puisse porter atteinte à la règle du tiers service.
Cet amendement vise par ailleurs à traduire les préoccupations et les exigences de la Cour européenne des droits de l’homme. Nous regrettons que la réflexion promise n’ait pu avoir lieu en amont de ce projet de loi. Un véritable débat aurait pourtant été légitime.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement tend à poser la question des échanges avec les services étrangers. C’est un sujet délicat, qui fait l’objet d’un contentieux devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Certes, ce point n’est pas intégré dans le projet de loi, hormis dans le fameux article 17 ter, ajouté à l’Assemblée nationale, qui vise à prévoir que la CNCTR pourra rendre un avis sur les échanges d’informations avec les services étrangers quand ils concernent une personne de nationalité française.
En l’état, nous avons souhaité qu’une concertation puisse être menée avec le Gouvernement, pour trouver le meilleur moyen de mieux contrôler ces échanges.
Toute évolution législative paraît à ce stade prématurée, et le président Buffet a émis l’idée que la délégation parlementaire au renseignement pourrait se saisir de ce thème pour trouver des pistes d’évolutions possibles.
Par ailleurs, la définition d’orientations par le Premier ministre ne pose pas de problème. Ce qui pose des difficultés, à la fois juridiques et techniques, c’est qu’elles soient communicables.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Les dispositions des amendements nos 42 et 43 font écho toutes deux à deux décisions très récentes de la Cour européenne des droits de l’homme relatives aux législations britannique et suédoise.
Ces décisions appellent un examen minutieux pour mesurer leur implication sur la loi française, qui est très différente des lois de ces deux pays. La Cour se prononcera dans quelques mois sur notre législation. Il nous semble dès lors prématuré de tirer des conséquences dans notre droit de cette récente jurisprudence, qui ne concerne pas le droit français.
Je souligne, au demeurant, que les dispositions de l’amendement n° 42 n’ont pas de portée normative. Il appartient en tout état de cause au Premier ministre, qui détermine et qui conduit la politique de la Nation, dispose de l’administration et est responsable de la défense nationale, de définir les orientations générales relatives à l’activité des services de renseignement et aux échanges avec leurs partenaires étrangers.
Les dispositions de l’amendement n° 43, quant à elles, posent une double difficulté.
D’une part, cet amendement vise à supprimer la règle dite « du tiers service », garantissant qu’un renseignement reçu d’un service étranger n’est accessible à nul autre qu’à celui qui l’a reçu. Or cette règle est la clé de voûte sans laquelle les services de renseignement ne peuvent développer de partenariat avec les services de renseignement étrangers.
D’autre part, cette disposition n’exclut pas que le rapport annuel à la délégation parlementaire au renseignement, la DPR, relatif aux échanges avec les services étrangers, comporte des informations sur les opérations en cours. Or cela serait directement contraire à la séparation des pouvoirs, comme le rappelle d’ailleurs avec constance le Conseil constitutionnel.
Je suis donc défavorable à ces deux amendements.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Les amendements de M. Vaugrenard me paraissent plutôt intéressants. On nous dit que ce serait prématuré. J’ai plutôt tendance à croire que c’est urgent !
L’évolution des législations antiterroristes est très rapide dans nombre de pays étrangers. La définition de la lutte antiterroriste est très évolutive selon les pays, voire très extensive dans certains d’entre eux… L’encadrement des coopérations entre services me semble donc au contraire une question extrêmement brûlante.
Je ne sais pas si nous sommes juridiquement mûrs pour avancer, mais, avec ces amendements, M. Vaugrenard a le mérite de pointer la nécessité d’évoluer rapidement sur ces questions.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote.
M. Yannick Vaugrenard. Je ferai remarquer à Mme la ministre que je n’ai pas encore défendu l’amendement n° 43, dont nous aurons tout le loisir de discuter ensuite.
En ce qui concerne l’amendement n° 42, j’attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait que la quasi-totalité des pays européens organise aujourd’hui des contrôles a posteriori de ce qui se passe entre leurs propres services et les services étrangers. Les États-Unis, par exemple, ont une commission parlementaire spécifique du renseignement composée uniquement de parlementaires. Celle-ci contrôle a posteriori l’ensemble des informations transmises entre les services américains et les services étrangers.
Il est donc urgent non pas d’attendre, mais d’intervenir, car nous sommes en retard !
De surcroît, nous savons que, après l’arrêt du 25 mai de la Cour européenne des droits de l’homme, la France, pays des droits de l’homme, risquerait d’être condamnée, ce qui serait gênant. N’attendons donc pas et votons cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Il est quelque peu étonnant de nous répondre qu’il faut attendre. En effet, c’est un sujet que nous avions déjà évoqué à l’automne dernier, lors de l’examen d’un texte visant à proroger des mesures relatives à la loi SILT et au renseignement, dans le cadre duquel nous avions proposé d’adopter des dispositions pour encadrer certains échanges.
Depuis lors, la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, a rendu un arrêt posant clairement les choses en matière d’encadrement des échanges avec les services étrangers, ce qui soulève deux difficultés.
Tout d’abord, s’il s’agit de transfert d’informations vers l’étranger, il devient nécessaire d’assurer la protection des citoyens français et des personnes qui habitent en France, et d’encadrer cette protection.
Ensuite, a contrario, si les services étrangers alliés ont des informations à nous transmettre qui nous seraient utiles et que nous n’encadrons pas les échanges, il est possible qu’ils ne puissent pas nous les communiquer parce qu’ils sont eux-mêmes soumis à une réglementation ne les autorisant pas à le faire si l’échange n’est pas encadré.
Encadrer l’échange des informations avec les services étrangers est donc une question de sécurité. Attendre d’être allé dans le mur pour légiférer, ce n’est pas sérieux ! Il est absolument indispensable de commencer à le faire, même si c’est compliqué.
Le président de la commission des lois a indiqué qu’il y aurait du travail sur le sujet, mais nous le savions depuis plusieurs mois. Procrastiner plus longtemps mettrait en difficulté nos services, qui pourraient de ne pas recevoir d’informations d’autres pays, faute d’un encadrement suffisant.
M. le président. L’amendement n° 43, présenté par MM. Vaugrenard et Leconte, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au 4° , les mots : « à l’exclusion » sont remplacés par les mots : « y compris » et les mots :« ou qui pourraient donner connaissance à la commission, directement ou indirectement, de l’identité des sources des services spécialisés de renseignement » sont remplacés par les mots : « dans le cadre des orientations fixées par le Premier ministre » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Elle remet un rapport annuel à la délégation parlementaire au renseignement relatif aux échanges avec les services étrangers. »
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Grâce à cet amendement, qui n’est pas un amendement de repli, le Gouvernement peut encore s’en tirer avec les honneurs…
Il s’agit de disposer d’un rapport – rassurez-vous, mes chers collègues, ce n’est pas un rapport sénatorial ! – faisant état d’un contrôle a posteriori des activités de coopération des services de renseignement français avec les services étrangers.
En effet, la France est en retard sur les autres États occidentaux possédant des services de renseignement reconnus. Les États-Unis, le Royaume-Uni, la Belgique, la Suisse, le Danemark, les Pays-Bas ou encore la Norvège sont dotés d’un contrôle spécifique, sans que cela nuise à leurs activités de coopération, ni au principe du tiers service.
La CEDH, dans son arrêt Big Brother Watch du 13 septembre 2018, considère d’ailleurs que « le transfert d’informations à des partenaires de renseignement étrangers doit également être soumis à un contrôle indépendant », ce que son arrêt du 25 mai dernier a confirmé plus de trois ans après.
Il apparaîtrait donc judicieux d’étendre les compétences de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui pourra ainsi vérifier le respect des orientations prises par le Premier ministre en la matière.
Il reviendrait à la CNCTR de remettre à la délégation parlementaire au renseignement un rapport annuel sur ces échanges entre les services français et les services étrangers.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement est la conséquence de l’amendement précédent visant les orientations prises par le Premier ministre.
Ce sujet nécessite d’être travaillé en amont et réfléchi, eu égard aux conséquences, notamment sur le plan international et européen. Il importe également d’attendre les effets de la jurisprudence sur la législation française.
Enfin, vous souhaitez que la CNCTR remette un rapport annuel à la DPR. Il est clair que ce travail devra être réalisé en lien avec la CNCTR.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Ce sera un avis défavorable, comme je l’ai indiqué précédemment. Monsieur Vaugrenard, je vous prie d’ailleurs de bien vouloir m’excuser d’avoir anticipé mon raisonnement et d’avoir émis un avis défavorable en amont de la présentation de cet amendement.
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote.
M. Yannick Vaugrenard. Madame la ministre, j’attire votre attention sur les déclarations du Président de la République : le 5 mars 2019, celui-ci soulignait que « les coopérations entre services sont parfois inconnues des décideurs eux-mêmes ».
C’est la raison pour laquelle j’ai demandé que le Premier ministre fixe les orientations relatives aux échanges entre les services spécialisés de renseignement et les services étrangers ou les organismes internationaux.
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 43.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 7
I. – L’article L. 822-3 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, est ajoutée la mention : « I. – » ;
b) À la première phrase, les mots : « ou extraits » sont remplacés par les mots : « , extraits ou transmis » ;
c) La seconde phrase est supprimée ;
2° Après le même premier alinéa, sont insérés sept alinéas ainsi rédigés :
« Lorsqu’un service spécialisé de renseignement mentionné à l’article L. 811-2 ou un service désigné par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4 obtient, à la suite de la mise en œuvre d’une technique mentionnée au titre V du présent livre, des renseignements utiles à la poursuite d’une finalité différente de celle qui a en a justifié le recueil, il peut les transcrire ou les extraire pour le seul exercice de ses missions dans la limite des finalités mentionnées à l’article L. 811-3.
« II. – Sous réserve du deuxième alinéa et des 1° et 2° du présent II, un service spécialisé de renseignement mentionné à l’article L. 811-2 ou un service désigné par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4 peut transmettre à un autre de ces services les renseignements collectés, extraits ou transcrits dont il dispose, si cette transmission est strictement nécessaire à l’exercice des missions du service destinataire dans la limite des finalités mentionnées à l’article L. 811-3.
« Sont subordonnées à une autorisation préalable du Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, délivrée dans les conditions prévues aux articles L. 821-1 à L. 821-4 :
« 1° Les transmissions de renseignements collectés, lorsqu’elles poursuivent une finalité différente de celle qui en a justifié le recueil ;
« 2° Les transmissions de renseignements collectés, extraits ou transcrits qui sont issus de la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement à laquelle le service destinataire n’aurait pu recourir au titre de la finalité motivant la transmission.
« Ces transmissions sont sans effet sur la durée de conservation de chacun des renseignements collectés, qui court à compter de la date de leur recueil. À l’issue de cette durée, chaque service procède à la destruction des renseignements, selon les modalités définies à l’article L. 822-4.
« Le responsable de chaque service spécialisé de renseignement mentionné à l’article L. 811-2 ou de chaque service désigné par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4 désigne un agent chargé de veiller, sous son contrôle, au respect de l’application du présent II. Cet agent est informé par ses homologues dans les autres services de la destruction, dans les conditions fixées à l’avant-dernier alinéa du présent II, des renseignements que le service auprès duquel il a été placé a été autorisé à recueillir. Il rend compte sans délai au responsable du service auprès duquel il est placé de toute difficulté dans l’application du présent II. » ;
3° Le second alinéa est ainsi modifié :
a) Au début, est ajoutée la mention : « III. – » ;
b) À la fin, les mots : « de ces finalités » sont remplacés par les mots : « des finalités mentionnées au I » ;
4° Il est ajouté un IV ainsi rédigé :
« IV. – Les opérations mentionnées aux I à III sont soumises au contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. »
II. – L’article L. 822-4 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :
« Art. L. 822-4. – Les opérations de destruction des renseignements collectés mentionnées à l’article L. 822-2, les transcriptions et les extractions mentionnées au I de l’article L. 822-3 ainsi que les transmissions mentionnées au II du même article L. 822-3 sont effectuées par des agents individuellement désignés et habilités. Elles font l’objet de relevés tenus à la disposition de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, qui précisent :
« 1° S’agissant des transcriptions ou des extractions, si elles ont été effectuées pour une finalité différente de celle qui en a justifié le recueil ;
« 2° S’agissant des transmissions, leur nature, leur date et leur finalité ainsi que les services qui en ont été destinataires.
« Lorsque les transcriptions, les extractions ou les transmissions poursuivent une finalité différente de celle au titre de laquelle les renseignements ont été recueillis, les relevés sont immédiatement transmis à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. »
III. – (Non modifié) Au 2° de l’article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure, les mots : « et extractions » sont remplacés par les mots : « , extractions et transmissions ».
IV. – (Non modifié) L’article L. 854-6 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Un service spécialisé de renseignement mentionné à l’article L. 811-2 peut, dans les conditions définies aux quatre premiers alinéas du II de l’article L. 822-3, transmettre tout renseignement transcrit ou extrait à un autre de ces services ou à un service désigné par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4. » ;
1° bis Au troisième alinéa, les mots : « au même article » sont remplacés par les mots : « à l’article » ;
2° Le dernier alinéa est ainsi rédigé :
« Les opérations de destruction des renseignements collectés, les transcriptions, les extractions et les transmissions sont effectuées dans les conditions prévues à l’article L. 822-4. »
V. – À la troisième phrase du premier alinéa de l’article L. 854-9 du code de la sécurité intérieure, les mots : « et extractions » sont remplacés par les mots : « , extractions et transmissions » et la seconde occurrence des mots : « mentionnés à » est remplacée par les mots : « réalisés en application de ».
VI. – (Non modifié) Au 3° de l’article L. 833-6 du code de la sécurité intérieure, les mots : « ou la destruction » sont remplacés par les mots : « , la destruction » et, après le mot : « collectés », sont insérés les mots : « ou leur transmission entre services ».
VII. – L’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :
« Art. L. 863-2. – Les autorités administratives mentionnées au I de l’article 1er de l’ordonnance n° 2005-1516 du 8 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives peuvent transmettre aux services spécialisés de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 du présent code et aux services désignés par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4, de leur propre initiative ou sur requête d’un de ces services, toute information, même couverte par un secret protégé par la loi, strictement nécessaire à l’accomplissement des missions de ce service et susceptible de concourir à la défense et à la promotion des intérêts fondamentaux de la Nation mentionnés à l’article L. 811-3. Lorsque l’une de ces mêmes autorités refuse de transmettre une information au service la sollicitant à cette fin, elle doit lui en indiquer les raisons.
« Les informations mentionnées au premier alinéa du présent article sont détruites dès lors qu’elles ne sont pas ou plus nécessaires à l’accomplissement des missions du service auquel elles ont été transmises.
« Les conditions dans lesquelles la traçabilité des transmissions mentionnées au même premier alinéa est assurée au moyen des traitements de données à caractère personnel mis en œuvre par les autorités administratives mentionnées audit premier alinéa sont fixées par décret.
« Toute personne qui en est rendue destinataire est tenue au secret professionnel, dans les conditions et sous les peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal.
« L’agent mentionné au dernier alinéa du II de l’article L. 822-3 du présent code est chargé d’assurer une traçabilité de ces transmissions et de veiller au respect de l’application du présent article. »
VIII. – (Non modifié) A. – L’article L. 135 S du livre des procédures fiscales est abrogé.
B. – L’article 22 de la loi n° 2007-1824 du 25 décembre 2007 de finances rectificative pour 2007 est abrogé.
IX. – (Non modifié) La loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est ainsi modifiée :
1° L’article 48 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le premier alinéa ne s’applique pas à l’information selon laquelle des données à caractère personnel ont été transmises en application du premier alinéa de l’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure. » ;
2° Le dernier alinéa de l’article 49 est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Le premier alinéa ne s’applique pas :
« 1° Lorsque les données à caractère personnel sont conservées sous une forme excluant manifestement tout risque d’atteinte à la vie privée et à la protection des données des personnes concernées, pendant une durée n’excédant pas celle nécessaire aux seules finalités d’établissement de statistiques ou de réalisation de recherches scientifiques ou historiques ;
« 2° À l’information selon laquelle des données à caractère personnel ont été transmises en application du premier alinéa de l’article L. 863-2 du code de la sécurité intérieure. »
M. le président. L’amendement n° 67, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent article acte la fin du principe selon lequel les renseignements ne peuvent être utilisés pour des finalités autres que celles qui motivent la procédure de surveillance. En effet, il prévoit la transmission de renseignements entre services et étend par là même la communication d’informations aux services de renseignement.
Disons-le clairement, cet article est attentatoire aux libertés publiques. En permettant à des services de contourner les restrictions quant à l’usage de dispositifs de surveillance, la fin de ce principe de finalisation contrevient au droit au respect de la vie privée. De même, l’absence de contrôle préalable aux mesures de surveillance est problématique.
L’article 7 s’inscrit, de ce fait, dans la longue liste de dispositions poussant à la déjudiciarisation du contrôle en matière de sécurité intérieure. C’est pourquoi il interroge fortement quant à la traçabilité et à la durée de conservation de ces informations une fois transmises.
L’équilibre à trouver entre maintien de l’ordre public et respect des libertés publiques n’est pas atteint. Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires propose donc la suppression du présent article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Pour la première fois, cet article tend à poser des règles relatives à la transmission de renseignements entre services de renseignement et aux services de renseignement.
Il fixe un cadre précis sur ces transmissions de renseignements. Surtout, il vise à introduire des contrôles renforcés, qu’il s’agisse des contrôles internes ou externes. Supprimer cet article reviendrait donc à supprimer tous les contrôles.
Voilà pourquoi j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 39, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 9 à 11
Remplacer ces alinéas par un alinéa ainsi rédigé :
« Ces transmissions sont subordonnées à une autorisation du Premier ministre après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement dans les conditions prévues aux articles L. 821-1 à L. 821-4.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Bien que le principe de la transmission d’informations entre services de renseignement soit inscrit dans le droit en vigueur, il n’est toujours pas sécurisé juridiquement, en l’absence de publication du décret d’application devant en préciser les modalités et conditions.
En outre, il n’existe pas de dispositions particulières intéressant les renseignements pouvant être transmis au sein d’un même service.
L’absence de publication des mesures réglementaires est regrettable, même si l’on considère que le simple dialogue entre services de renseignement n’a pas à être spécifiquement encadré.
Cet amendement vise donc, dans l’esprit de l’article 7, à aller plus loin dans ce domaine, en prévoyant un meilleur encadrement et contrôle par la CNCTR des échanges entre services de renseignement.
M. le président. L’amendement n° 69, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
1° Alinéa 9
Après le mot :
avis
insérer le mot :
conforme
2° Remplacer la référence :
L. 821-4
par la référence :
L. 821-3
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. En ce qui concerne la transmission d’un service à un autre des données de renseignement collectées, il est regrettable que l’avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement ne soit pas un avis conforme.
Au regard des techniques utilisées, particulièrement intrusives, il est essentiel qu’une autorité indépendante donne un avis contraignant. La Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, a d’ailleurs souligné cette nécessité. Renforcer le contrôle de la CNCTR, afin de le rendre effectif, est primordial pour qu’elle dépasse son rôle de faire-valoir des décisions de l’exécutif.
Compte tenu du caractère extrêmement attentatoire aux libertés et à la vie privée des pouvoirs qui seraient donnés aux services, des garanties doivent être prévues, afin de protéger les libertés individuelles de nos concitoyens.
C’est pourquoi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires souhaite rendre l’avis de la CNCTR conforme.
M. le président. L’amendement n° 68, présenté par Mme Benbassa et M. Benarroche, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 11
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les transmissions de renseignements collectés, extraits ou transcrits à des services de renseignements étrangers.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Les interceptions de masse réalisées par les services secrets danois sur les communications électroniques transitant par ce pays montrent qu’il est urgent d’assurer un contrôle démocratique sur les échanges de données avec les services de renseignement étrangers.
Dans son arrêt Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni, rendu public le 25 mai dernier, la Cour européenne des droits de l’homme précise les conditions dans lesquelles les interceptions de masse réalisées par les services secrets sont acceptables à ses yeux.
À l’aune de cet arrêt, une condition majeure n’est pas remplie par la France en raison de l’absence totale de contrôle, qu’il soit politique ou juridique, de l’échange de données avec les services de renseignement étrangers.
Un tel vide législatif interroge. Qui contrôle la conformité au droit des échanges entre la communauté française du renseignement et ses partenaires étrangers ? Qui s’assure que sont respectées les libertés individuelles de nos concitoyens ? Ni le Parlement ni l’autorité judiciaire ou, a minima, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement n’ont de droit de regard sur ces sujets.
La crainte soulevée ici est celle de voir les services de renseignement français contourner avec l’appui de leurs homologues étrangers les règles régissant les interceptions en France.
Le présent amendement du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires vise donc à combler un angle mort de la réglementation encadrant les services de renseignement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. M. Leconte nous propose d’aller plus loin et de subordonner l’ensemble des transmissions de renseignements entre services à une autorisation du Premier ministre après avis de la CNCTR. Or il importe de maintenir une certaine fluidité dans l’échange des renseignements.
L’article 7 est un article d’équilibre. Il vise à encadrer un certain nombre d’échanges, notamment pour les renseignements utilisés avec une finalité différente de celle pour laquelle ils ont été autorisés, ainsi que la transmission de renseignements à des services qui n’auraient pu y avoir accès parce qu’ils n’ont pas accès à la technique ayant permis d’obtenir ces renseignements.
De surcroît, l’article 7 vise à encadrer très fortement les contrôles.
D’une part, il permet d’encadrer les contrôles internes, chaque service devant habiliter un agent chargé de veiller au respect des dispositions législatives et d’assurer la traçabilité des renseignements ainsi échangés. Les renseignements sont détruits dès lors qu’ils n’ont plus d’utilité effective.
D’autre part, il permet d’encadrer les contrôles externes par la CNCTR pour les échanges ne nécessitant pas une autorisation du Premier ministre : les transmissions de renseignements feraient l’objet de relevés tenus à la disposition, voire directement transmis à la CNCTR.
Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à l’amendement n° 39.
Quant à l’amendement n° 69, présenté par Mme Benbassa, nous pensons qu’il est satisfait, puisque l’article 16 du projet de loi prévoit que la CNCTR a un pouvoir contraignant et que ses avis lient le Premier ministre. Si ce dernier passait outre son avis, le Conseil d’État serait saisi automatiquement et devrait se prononcer dans les vingt-quatre heures.
L’avis de la commission est donc défavorable.
Enfin, l’adoption de l’amendement n° 68 visant les échanges avec des services étrangers – un sujet qui, je le répète, doit faire l’objet d’une réflexion plus globale – porterait atteinte à la règle du tiers service, évoqué précédemment par Mme la ministre, qui est la base du renseignement entre services étrangers, et à laquelle on ne saurait porter atteinte, au risque d’une perte d’efficacité.
Mon avis est donc également défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. J’émettrai le même avis que Mme le rapporteur, pour les mêmes raisons.
S’agissant de l’amendement n° 68, le récent arrêt de la CEDH que vous avez cité, madame la sénatrice Benbassa, concerne la législation britannique. Il nous semble donc prématuré d’en tirer des conséquences pour notre projet de loi, qui est très différent, d’autant que celui-ci sera également examiné dans les prochains mois par la Cour ; nous ne savons pas, au préalable, ce qu’elle en dira.
Au demeurant, nous considérons que vous donnez une portée excessive à l’arrêt Big Brother Watch. Pour ce qui est de la transmission de renseignements à un service étranger partenaire, la Cour de Strasbourg n’impose nullement une autorisation préalable par une autorité indépendante. Nous ne sommes donc pas d’accord avec les fondements mêmes de cet amendement.
Par conséquent, l’avis du Gouvernement est défavorable sur les trois amendements.
M. le président. L’amendement n° 104, présenté par Mme Canayer et M. Daubresse, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
Alinéa 27
Remplacer les mots :
quatre premiers
par les mots :
premier, deuxième et quatrième
La parole est à Mme le rapporteur.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 40, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 34
Supprimer les mots :
, même couverte par un secret protégé par la loi,
II. – Après l’alinéa 34
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les informations mentionnées au premier alinéa du présent article couvertes par un secret protégé par la loi sont transmises préalablement à la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement qui autorise leur communication au service intéressé.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 40 est retiré.
L’amendement n° 23, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 34
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Toute transmission d’information, telle que précédemment écrite, fait l’objet d’une autorisation préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, sollicitée par le service intéressé.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. J’ai bien entendu les éléments de réponse donnés par Mme le rapporteur sur les amendements précédents.
Cependant, parallèlement aux garanties indispensables qui sont contenues dans l’article 7, il nous paraît légitime de prévoir dans ce nouveau système de transmission un contrôle préalable de la CNCTR. Cela semble d’autant plus indispensable au regard des informations transmises, qui peuvent être couvertes par un secret protégé par la loi.
Cet amendement vise donc à garantir que le dispositif mis en place par cet article est nécessaire et proportionné aux intérêts en jeu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement est contraire à la position de la commission, que j’ai déjà exposée.
La CNCTR est une autorité administrative indépendante chargée de contrôler avant tout les techniques de renseignement, et non les informations transmises aux services de renseignement.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 41, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mmes S. Robert et de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda et MM. Roger, Temal, Todeschini, M. Vallet et Vallini, est ainsi libellé :
Alinéa 35
Compléter cet alinéa par les mots :
et au plus tard dans un délai de six mois.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. L’alinéa 35 de l’article 7 le précise, des informations qui peuvent être soumises au secret professionnel et qui sont parfois très intrusives pour les personnes qu’elles visent, « sont détruites dès lors qu’elles ne sont pas ou plus nécessaires à l’accomplissement des missions du service auquel elles ont été transmises ».
Cette disposition ne nous semblant pas assez précise, nous proposons d’ajouter les mots : « et au plus tard dans un délai de six mois ».
En effet, nous considérons que les services de renseignement ne doivent demander à une administration des informations sensibles pouvant être soumises au secret professionnel que si celles-ci sont nécessaires, et pas dans un but de stockage ; si tel est le cas, ces informations doivent être traitées rapidement.
Nous avons estimé qu’un délai de trois mois était trop court. Il nous semble raisonnable de poser le principe d’un délai de conservation maximum de six mois.
Nous nous inscrivons en la matière dans le droit fil de la jurisprudence, ainsi que des réflexions formulées en 2015 par Jean-Jacques Hyest, lequel avait souligné à plusieurs reprises, je m’en souviens très bien, qu’il était essentiel que des informations sensibles transmises aux services de renseignement soient rapidement traitées et ne fassent pas l’objet d’un stockage.
Prévoir des délais courts pour le traitement d’informations utiles est une garantie d’efficacité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Je ne suis pas convaincue qu’un délai de six mois soit gage d’efficacité. Les enquêtes en cours peuvent en effet dépasser ce délai et nécessiter la maîtrise d’un certain nombre de données.
J’ajoute que toutes les informations transmises aux services de renseignement ne sont pas forcément des données brutes, qui, elles, pourraient justifier un délai de traitement plus court.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 44, présenté par MM. Vaugrenard et Leconte, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Concernant les échanges avec les services étrangers, le Gouvernement remet un rapport au Parlement avant le 31 décembre 2022 afin de travailler à la définition d’un cadre légal sur ces échanges et de se conformer aux exigences européennes.
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. L’examen de ce projet de loi était l’occasion de traduire en droit la réflexion promise sur l’encadrement juridique des échanges entre les services de renseignement français et ceux de nos partenaires étrangers.
Nous considérons qu’il s’agit en quelque sorte de l’angle mort du projet de loi et avons déposé des amendements visant à remédier à cette situation, en proposant un encadrement de ces échanges sous la tutelle du Premier ministre et un contrôle a posteriori de la CNCTR.
Je ne reviendrai pas sur les arguments précédemment développés, qui sont résumés dans l’objet de cet amendement. Mais nous avons pris bonne note que l’argument unique que vous nous avez opposé était la nécessité d’une réflexion préalable sur ce sujet.
C’est précisément ce que nous proposons au travers de cet amendement, qui a pour objet que le Gouvernement remette au Parlement un rapport avant la fin de l’année, afin que cette réflexion puisse être véritablement engagée.
J’ajoute, pour conclure, que le tiers service existe entre les services français eux-mêmes, de même qu’au sein des services spéciaux de l’ensemble des services de renseignement partenaires : cela n’empêche pas un contrôle a posteriori des contacts et des échanges existant entre ces services et les services étrangers.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Je ne reviendrai pas sur le raisonnement relatif aux échanges entre services de renseignement.
La commission est tout à fait défavorable aux demandes de rapport, compte tenu du peu d’efficacité de ce type de contrôle.
Mon avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Cet article est important, car il permet de progresser en termes d’organisation des échanges entre services de renseignement, ce qui est positif.
Nous aurions souhaité un meilleur encadrement sur plusieurs points, dans le cadre des échanges avec les services étrangers ou avec des administrations – j’ajoute qu’un certain nombre d’administrations, qui ne sont pas des services de renseignement, utilisent aussi des techniques de renseignement.
Compte tenu du dispositif prévu, on peut obtenir des informations dans le cadre d’échanges entre services, notamment avec une administration ou une autorité administrative indépendante utilisant des techniques de renseignement – on peut citer les services fiscaux ou la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la Hadopi –, sans pour autant qu’il y ait de contrôle direct de la CNCTR.
Une réflexion doit être menée pour que la CNCTR soit réellement une Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement compétente pour l’ensemble des administrations, et pas seulement les services de renseignement, dès lors que sont utilisées des techniques de renseignement.
Si l’on veut assurer la crédibilité totale du dispositif de contrôle des techniques de renseignement, il convient d’envisager un périmètre un peu plus large pour la CNCTR, pour éviter les « trous dans la raquette » que l’on constate dans les échanges d’informations entre administrations et qui peuvent subsister malgré l’article 7.
Ce sujet est sensible, puisque, cela a été dit, un décret visant à organiser les échanges entre services, qui a été prévu depuis longtemps par la loi, n’a jamais été pris. Nous avons donc encore quelques progrès à réaliser, même si l’article 7 va dans le bon sens.
M. le président. Je mets aux voix l’article 7, modifié.
(L’article 7 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 7
M. le président. L’amendement n° 70, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le IV de l’article 19 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés est ainsi modifié :
1° Après le mot : « traitement », la fin de l’alinéa est ainsi rédigée : « est soumis aux modalités de contrôles prévues au second alinéa du présent IV. » ;
2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« La conformité de ces traitements est contrôlée, en coopération avec la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, par un ou plusieurs membres de la Commission nationale de l’informatique et des libertés désignés par le président parmi les membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d’État, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes. Le contrôle est effectué dans des conditions permettant d’en assurer la confidentialité. Les conclusions du contrôle sont remises au seul ministre compétent. Les conditions de mise en œuvre de cette procédure sont précisées par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent amendement, inspiré du travail de nos collègues de l’ancien groupe Écologie, Démocratie et Territoires, vise à élargir les compétences de la CNIL à l’ensemble des fichiers échappant à son contrôle.
Il existe aujourd’hui treize fichiers ayant trait à la sûreté nationale sur lesquels aucun contrôle n’est exercé par la CNIL. La préservation d’un strict équilibre entre la sécurité publique, la protection des intérêts fondamentaux de la Nation et le respect de la vie privée nécessite des garanties et le contrôle d’une autorité indépendante du pouvoir politique.
Tel est le sens des décisions rendues par la Cour de justice de l’Union européenne, la CJUE, dans les affaires Privacy International, La Quadrature du Net, French Data Network et Ordre des barreaux francophones et germanophone. Elles enjoignent d’apporter une garantie supplémentaire à nos concitoyens, afin que les protections de la loi Informatique et libertés soient pleinement appliquées.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande une modalité de contrôle renforcée de la CNIL.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La France a fait le choix d’un contrôle par une autorité administrative indépendante spécifique, la CNCTR. Un contrôle supplémentaire exercé par la CNIL ne paraît pas nécessaire.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je voudrais ajouter que ces fichiers de souveraineté n’échappent pas au droit. Ils font l’objet de formalités préalables à leur création, qui permettent à la CNIL et au Conseil d’État de se prononcer sur la conformité aux grands principes de la protection des données des conditions de leur mise en œuvre.
En pratique, l’avis que la CNIL donne sur le projet de texte autorisant le traitement lui permet aussi d’apprécier les caractéristiques du fichier et leur conformité à la loi Informatique et libertés.
La CNIL s’assure ainsi, en particulier, que les catégories de données collectées, la désignation des accédants et des destinataires de ces données, ainsi que les éventuelles interconnexions, soient adéquates, nécessaires et proportionnées aux finalités du fichier.
Enfin, il est inexact de prétendre que la mise en œuvre de ces fichiers, une fois autorisée dans les conditions que j’ai rappelées, échapperait à tout contrôle. Les modalités de collecte des données conservées dans ces fichiers de souveraineté font l’objet d’un contrôle dédié au titre de la mise en œuvre de techniques de renseignement, sous l’égide de la CNCTR.
La CNIL est très régulièrement amenée, par des contrôles ciblés effectués sur ces fichiers au sein même des locaux des services de renseignement, à s’assurer de l’existence, de la pertinence et de la proportionnalité des données concernant toute personne qui l’a saisie à cette fin au titre du droit d’accès indirect.
Ce contrôle permet d’ailleurs d’obtenir, le cas échéant, l’effacement des données qui auraient été irrégulièrement collectées. Je rappelle que nous avons eu, voilà quelques mois, le débat sur la question des « fichiers liberté » ici même, au Sénat.
Le régime aménagé pour ces fichiers de souveraineté permet de concilier les impératifs liés à la sûreté de l’État et les droits des personnes concernées. Introduire un pouvoir de contrôle général, de surcroît a posteriori, de la CNIL sur ces fichiers n’est donc ni souhaitable, ni efficace, ni nécessaire pour assurer le plein respect des principes de protection des données à caractère personnel.
Le Gouvernement est donc défavorable à cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 97, présenté par Mme N. Goulet, est ainsi libellé :
Après l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le 4° de l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure est complété par les mots : « et de son financement ».
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Lors des différentes auditions que la commission a menées pour préparer son rapport, la directrice de Tracfin nous avait indiqué ne rencontrer aucun problème pour obtenir l’application des mesures prévues à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure dans le cadre du suivi du financement du terrorisme.
Néanmoins, les moyens évoluent, et le financement du terrorisme est une cause extrêmement importante qui prend des formes multiples, comme je l’ai souligné lors de mon intervention dans la discussion générale. D’où le présent amendement. Comme je lui demandais si elle voyait une objection à ce que ce texte soit précisé, la directrice de Tracfin avait d’ailleurs répondu par la négative.
J’y insiste, le financement du terrorisme est un sujet à part entière, qui doit faire l’objet de toute l’attention de notre assemblée, ainsi que d’un traitement via les techniques du renseignement. À ce titre, il doit être soumis aux dispositions de l’article L. 811-3 du code précité.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Tout en comprenant l’enjeu fort et essentiel que représentent la prévention du financement du terrorisme et la mention explicite du rôle de Tracfin, la commission considère que la précision proposée n’est pas utile.
Par ailleurs, les listes peuvent avoir des effets contraires à l’objectif, en limitant le champ d’action au lieu de l’étendre.
Mon avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Marlène Schiappa, ministre déléguée. Je souscris tout à fait à l’exposé de Mme le rapporteur. Une telle disposition pourrait même être contre-productive.
L’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure énumère d’ores et déjà de manière exhaustive les intérêts fondamentaux de la Nation, parmi lesquels figure, bien évidemment, la prévention du terrorisme.
Même si elle n’est pas explicitement mentionnée, la lutte contre ce fléau dans toutes ses composantes est concernée, y compris le financement du terrorisme. Nous souhaitons mettre en garde contre les effets pervers de l’adoption d’un tel amendement.
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
Mme Nathalie Goulet. Je retire mon amendement, monsieur le président !
M. le président. L’amendement n° 97 est retiré.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Vincent Delahaye.)
PRÉSIDENCE DE M. Vincent Delahaye
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du texte de la commission.
Article 8
I. – L’article L. 822-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° À la fin du 1° du I, les mots : « et pour les paroles captées en application de l’article L. 853-1 » sont supprimés ;
2° Il est ajouté un III ainsi rédigé :
« III. – Aux seules fins de recherche et de développement en matière de capacités techniques de recueil et d’exploitation des renseignements et à l’exclusion de toute utilisation pour la surveillance des personnes concernées, les services spécialisés de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 peuvent conserver au-delà des durées prévues au présent article les renseignements mentionnés au I du présent article. Cette conservation est opérée dans la mesure strictement nécessaire à l’acquisition des connaissances suffisantes pour développer, améliorer et valider les capacités techniques de recueil et d’exploitation.
« Les renseignements mentionnés au premier alinéa du présent III sont conservés de manière à n’être accessibles dans les locaux des services mentionnés au même premier alinéa qu’aux seuls agents des services mentionnés audit premier alinéa spécialement habilités à cet effet et exclusivement affectés à cette mission, dans des conditions ne faisant plus apparaître les motifs et les finalités pour lesquels ils ont été collectés et ne permettant pas de rechercher l’identité des personnes concernées. Ils sont également accessibles, dans les mêmes conditions, aux agents du service du ministère de la défense mentionné à l’article L. 2371-2 du code de la défense spécialement habilités à cet effet.
« Les paramètres techniques applicables à chaque programme de recherche afin de garantir le respect des conditions prévues aux deux premiers alinéas du présent III ainsi que toute évolution substantielle de ces paramètres sont soumis à une autorisation préalable du Premier ministre, délivrée après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
« Les renseignements mentionnés au premier alinéa du présent III sont détruits dès que leur conservation n’est plus indispensable à la validation de capacités techniques de recueil et d’exploitation mentionnées au même premier alinéa, et au plus tard cinq ans après leur recueil.
« La Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement veille à ce que la mise en œuvre des programmes de recherche respecte les conditions prévues au présent III. Elle peut adresser, à tout moment, au Premier ministre une recommandation tendant à la suspension ou l’interruption d’un programme de recherche dont elle estime qu’il ne respecte plus ces conditions. »
II. – (Non modifié) Après l’article L. 822-2 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un article L. 822-2-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 822-2-1. – Le service du Premier ministre mentionné aux articles L. 851-1, L. 851-3, L. 851-4, L. 851-6 et L. 852-1 peut conserver, dans les conditions prévues au III de l’article L. 822-2 et avec l’accord du ou des services pour lesquels ces renseignements ont été collectés, les renseignements mentionnés au I du même article L. 822-2 dont il organise la centralisation et qui ne sont accessibles qu’à ses agents spécialement habilités à cette fin. »
III. – Après le mot : « livre », la fin du 2° de l’article L. 833-2 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigée : « et aux dispositifs de traçabilité des renseignements collectés et aux locaux où sont centralisés ces renseignements en application de l’article L. 822-1 ainsi qu’aux renseignements mentionnés au III de l’article L. 822-2 ; ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 25 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 71 est présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 25.
Mme Éliane Assassi. L’article 8 met en place un régime autonome de conservation des données aux fins de recherche et de développement. Le groupe CRCE y est opposé.
Même si le Gouvernement assure que les données conservées et exploitées à des fins de recherche et développement ont vocation à être anonymisées, et que, ainsi, cette mesure n’aura aucun impact sur les particuliers, nous n’en avons aucune certitude. D’ailleurs, cet article n’en apporte pas la garantie.
Comme le note La Quadrature du Net, prenant l’exemple de la National Security Agency, la NSA, et des sociétés privées comme Palantir, l’article 8 autorise la conservation jusqu’à cinq ans de toutes les informations obtenues dans le cadre d’opérations de renseignement.
En théorie, les informations ainsi conservées ne pourront plus être exploitées qu’à des fins de recherche et de développement d’outils de renseignements divers. Mais cette évolution permettra surtout de supprimer toutes les limitations de durée pour des dizaines de milliers de fadettes, c’est-à-dire de factures téléphoniques détaillées, d’écoutes téléphoniques, d’images de surveillance, d’analyses réseau, etc.
En outre, une fois ces données stockées pour des motifs de recherche et de développement, nous pouvons redouter qu’une future loi n’autorise l’exploitation de ces données dans un but de renseignement. Quasiment toutes les lois sécuritaires ont été élaborées de la sorte, en deux temps.
C’est la raison pour laquelle nous présentons cet amendement de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 71.
Mme Esther Benbassa. L’allongement de la durée de conservation des données personnelles à des fins de recherche et développement apparaît problématique : aucune précision n’est donnée sur cette finalité. Nous sommes assez dubitatifs quant à l’utilité d’étudier ces données à caractère personnel. En revanche, la crainte d’un détournement de ces données subsiste.
En l’occurrence, le Conseil d’État pointe le risque d’un « détournement à des fins de surveillance » des données, si celles-ci ne sont pas « matériellement et informatiquement cloisonnées ».
Le principe même d’une conservation indiscriminée des données personnelles est donc préjudiciable. La conservation de données inutiles et sensibles sans un contrôle autre que celui de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, la CNCTR, fait peser une menace disproportionnée pour la vie privée de nos concitoyennes et concitoyens.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’article 8 prévoit des instruments utiles pour faire de la recherche et développement et permettre aux services de renseignement d’avoir toujours une longueur d’avance, notamment en matière d’intelligence artificielle.
Cet article 8 fixe aussi un certain nombre de bornes. Ainsi, les données ne peuvent pas être utilisées pour rechercher l’identité des personnes, et elles seront détruites en l’absence d’utilité.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 25 et 71.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 47, présenté par MM. Vaugrenard et Leconte, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…° Après le 1° du I, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« …° Soixante jours à compter de leur recueil pour les paroles et les images captées en application de l’article L. 853-1 ; »
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Le code de la sécurité intérieure prévoit des durées maximales de conservation différentes pour les données collectées, d’une part, par les dispositifs de captation de paroles, et, d’autre part, par ceux de captation d’images, respectivement fixées à trente jours et cent vingt jours.
Ainsi, un mois après le recueil, les services de renseignement sont contraints de supprimer l’audio et de garder certaines vidéos qui sont muettes, ce qui les rend difficilement exploitables.
Pour échapper à cet écueil, l’Assemblée nationale a harmonisé, en première lecture, les durées maximales de conservation en les alignant sur la durée la plus élevée, soit cent vingt jours.
Or, comme le précise la délégation parlementaire au renseignement, la DPR, dans son dernier rapport, « l’augmentation de trente à cent vingt jours de la durée de conservation des enregistrements sonores, […] serait, de l’avis de la délégation, susceptible d’être jugée disproportionnée par le Conseil constitutionnel. C’est pourquoi il lui apparaît plus raisonnable d’envisager une durée intermédiaire de soixante jours. »
Par conséquent, le présent amendement tend à réduire la durée de conservation proposée par l’Assemblée nationale pour cette technique de renseignement spécifique, sans préjudice de l’alignement des durées de conservation qui répond à une difficulté rencontrée par les services.
En outre, cette nouvelle durée, plus raisonnable, permettrait d’éviter une censure du Conseil constitutionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’alignement des durées de conservation vise à éviter les fameuses vidéos muettes, qui n’ont pas de véritable efficacité.
Néanmoins, le délai de cent vingt jours est proportionné, eu égard au renforcement des contrôles de la CNCTR à l’article 16, ce qui n’était pas le cas au préalable. En outre, toute donnée qui ne sera plus utilisée pourra être détruite.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 72, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 4, au début
Insérer les mots :
À titre expérimental, pour une durée de deux ans à compter de l’entrée en vigueur de la loi n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement,
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement de repli vise à limiter les effets du présent article en le bornant dans le temps, afin de permettre à la représentation nationale d’en évaluer les conséquences et l’efficacité.
Outre la question de la conservation des données, le principe même de la validation de la conservation massive de données à des fins de recherche et de développement pose des difficultés sur le fond. C’est d’autant plus vrai que le mécanisme de contrôle prévu paraît largement insuffisant.
La CNCTR dispose uniquement de la possibilité d’adresser une recommandation au Premier ministre tendant à la suspension d’un programme de recherche, lorsqu’elle estime qu’il ne respecte plus les conditions posées dans le texte. Mais à ce moment du processus, le mal sera déjà fait.
Voilà pourquoi nous estimons que ce dispositif doit faire l’objet d’un encadrement dans la durée et que le Parlement doit se saisir de nouveau du sujet à l’extinction de cette période expérimentale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La mise en place d’une telle expérimentation n’est pas utile, car la conservation des données aux fins de recherche est bien cadrée.
Une durée de cinq ans est nécessaire pour mettre en place cette recherche et pour donner aux services de recherche et développement les moyens de trouver des solutions.
De toute façon, chaque nouvelle technique de renseignement doit être autorisée par le législateur et pourra elle-même faire l’objet d’une expérimentation.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 73, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Le stockage de ces données est matériellement et informatiquement cloisonné afin d’empêcher leur utilisation à des fins de surveillance.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. L’article 8 du projet de loi instaure un régime autonome de conservation des renseignements pour les besoins de la recherche et du développement en matière de capacités techniques de recueil et d’exploitation des renseignements. Ces données devront être conservées pendant une durée de cinq ans ; elles seront stockées dans un lieu et resteront exploitables.
Cette disposition pose problème.
Tout d’abord, il est impossible de garantir un cloisonnement parfait des données informatiques, lesquelles, du fait de leur exposition, pourront toujours faire l’objet d’un piratage.
En outre, comme le relève le Syndicat de la magistrature, des interrogations subsistent sur la possibilité que ces données soient indirectement utilisées à des fins de surveillance.
Afin d’éviter tout risque, le présent amendement tend à préciser que ces données doivent être stockées de manière cloisonnée, conformément aux recommandations de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR).
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous pensons que cet amendement est satisfait par le texte existant. L’article précise bien que les données sont conservées uniquement à des fins de recherche et développement, à l’exclusion de toute utilisation pour la surveillance des personnes. Seuls des personnels spécifiquement dédiés et habilités pourront utiliser ces données.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 55, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Remplacer les mots :
dans des conditions
par les mots :
dans un registre anonymisé dans lequel est inscrite la date de leur recueillement et
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Nous proposons, par cet amendement, de renforcer la traçabilité des renseignements conservés pour les besoins de la recherche et du développement des techniques de collecte, d’extraction et de transcription mises en œuvre par les services, afin que la CNCTR soit en capacité d’exercer pleinement le contrôle sur la durée de conservation de tels renseignements, cette durée pouvant aller jusqu’à cinq ans après leur recueil.
À cette fin, il paraît nécessaire, en l’absence de décret d’application, de prévoir un registre faisant apparaître la date de recueil pour assurer leur destruction en tout état de cause à l’échéance fixée par l’article 8 du projet de loi.
Ce type de registre me semble également utile dans le cadre de la collecte des renseignements et de leur exploitation bien comprise.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous ne pensons pas que la mise en place d’un registre anonymisé permettra d’atteindre le but des auteurs de l’amendement, qui nous paraît déjà satisfait par le cadre actuel.
Les données collectées sont anonymisées et la date de leur recueil y est intégrée. Un registre spécifique ne permettra pas de renforcer le contrôle par la CNCTR, qui peut effectuer un tel contrôle à tout moment. En outre, comme nous l’avons déjà dit, les données non utilisées peuvent être détruites.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 56, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 6
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque le programme de recherche et de développement mentionné au présent III recourt à des traitements algorithmiques, il définit clairement les modalités et les critères pris en compte pour son déploiement.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Avec cet amendement, nous reprenons à notre compte une recommandation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui, sans mésestimer les garanties prévues à l’article 8 du projet de loi, préconise de prévoir des précautions supplémentaires lorsque les programmes de recherche et de développement portent sur des techniques mises en œuvre au moyen d’un traitement algorithmique.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement tend à préciser les modalités et les critères de déploiement des programmes de recherche ayant recours aux algorithmes.
Il nous paraît satisfait par l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure, qui prévoit que la CNCTR émet un avis sur la demande d’autorisation relative au traitement automatisé et sur les paramètres de détection retenus.
L’avis est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 24, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer le mot :
cinq
par le mot :
deux
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Notre amendement de suppression de l’article 8 n’ayant pas été adopté, nous proposons cet amendement de repli, car nous sommes tenaces ! Nous sommes surtout convaincus du caractère dangereux de cet article.
Cet amendement vise tout simplement à réduire les délais de conservation des données recueillies à des fins de recherche et développement. Nous souhaitons que les données n’ayant aucun lien avec une quelconque menace terroriste ne puissent pas être utilisées au-delà d’une durée de deux ans.
Le délai de cinq années proposé par le Gouvernement apparaît bien trop long lorsque les informations ne permettent pas d’identifier les signaux faibles d’une éventuelle menace terroriste.
Nous proposons donc que ces données ne soient plus utilisées deux ans après leur recueil et qu’elles soient automatiquement détruites. Nous souhaitons avoir sur ce sujet un avis argumenté de Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La durée de cinq ans prévue à l’article 8 est un maximum. Les données conservées peuvent être détruites si elles ne sont plus indispensables à la validation des capacités techniques de recueil et d’exploitation, sous le contrôle de la CNCTR.
Une durée de deux ans nous paraît trop courte pour faire de la recherche et du développement sur des techniques complexes.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, ministre. Madame la sénatrice, s’il était adopté, cet amendement, qui vise à réduire à deux ans la durée de conservation des données, ne permettrait pas d’atteindre l’objectif du texte et réduirait très fortement la capacité des services à développer des outils d’enquête pertinents.
Par ailleurs, la durée de cinq ans apparaît proportionnée au regard des nombreuses garanties qui entourent cette conservation. J’insiste en particulier sur le fait que les données conservées à des fins de recherche et de développement ne permettront pas de connaître l’identité des personnes ou les finalités du recueil.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Je remercie d’abord la présidente Assassi d’avoir demandé à Mme la ministre une explication circonstanciée sur son dernier amendement. Si Mme la rapporteure apporte des explications à nos différentes objections, force est de constater que le Gouvernement, quant à lui, ne fait pas beaucoup d’efforts pour répondre à nos interrogations et à nos inquiétudes. Le présent article, même si nous en comprenons l’utilité, mérite pourtant d’être sérieusement encadré.
J’y insiste, toutes les inquiétudes qui s’expriment sur cet article méritent des réponses. Les « avis défavorable » à répétition ne suffisent pas à les calmer, d’autant moins que cet article remet en cause l’un des principes fondamentaux appliqué jusqu’à présent en matière de conservation des données recueillies par des techniques de renseignement et que ce n’est pas la première fois dans ce projet de loi.
Jusqu’à présent, on ne prévoyait pas systématiquement la durée de conservation la plus longue, car les données que l’on pense utiles doivent être exploitées rapidement.
Nous comprenons l’utilité de cet article, mais la manière dont le Gouvernement l’a défendu n’apaise pas nos inquiétudes sur les risques qu’il présente. Nos amendements visaient à y répondre en encadrant correctement l’article 8.
M. le président. Je mets aux voix l’article 8.
(L’article 8 est adopté.)
Article 9
(Non modifié)
Le chapitre III du titre V du livre VIII du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 853-2 est ainsi modifié :
a) Le I est ainsi rédigé :
« I. – Dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du présent livre, peut être autorisée, lorsque les renseignements ne peuvent être recueillis par un autre moyen légalement autorisé, l’utilisation de dispositifs techniques permettant d’accéder à des données informatiques stockées dans un système informatique, de les enregistrer, de les conserver et de les transmettre, et permettant d’accéder à ces mêmes données informatiques, de les enregistrer, de les conserver et de les transmettre, telles qu’elles s’affichent sur un écran pour l’utilisateur d’un système de traitement automatisé de données, telles qu’il les y introduit par saisie de caractères ou telles qu’elles sont reçues et émises par des périphériques. » ;
b) La première phrase du II est ainsi rédigée : « Par dérogation à l’article L. 821-4, l’autorisation de mise en œuvre de la technique mentionnée au I du présent article est délivrée pour une durée maximale de deux mois. » ;
2° À la seconde phrase du premier alinéa du I de l’article L. 853-3, la référence : « au 1° du I de » est remplacée par le mot : « à ». – (Adopté.)
Article 10
I. – L’article L. 871-3 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Les mots : « l’exploitant public, les autres exploitants de réseaux publics de communications électroniques et les autres fournisseurs de services de communications électroniques autorisés » sont remplacés par les mots : « les exploitants de réseaux ouverts au public de communications électroniques et les fournisseurs de services de communications électroniques au public » ;
2° Après la deuxième occurrence du mot : « livre », la fin de la phrase est ainsi rédigée : « , de la section 3 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code de procédure pénale relatives aux interceptions de correspondances émises par la voie des télécommunications ordonnées par l’autorité judiciaire et des sections 5 et 6 du chapitre II du titre XXV du livre IV du même code. »
II. – À l’article L. 871-6 du code de la sécurité intérieure, la référence : « et L. 852-1 » est remplacée par les références : « , L. 851-6, L. 852-1 et L. 853-2 » et le mot : « télécommunications » est remplacé par les mots : « communications électroniques ».
III. – À l’article L. 871-7 du code de la sécurité intérieure, la référence : « et L. 852-1 » est remplacée par les références : « , L. 851-6, L. 852-1 et L. 853-2 ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 26 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 74 est présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 26.
M. Pierre Ouzoulias. L’article 10 porte sur le dispositif que, en bon français, on appelle des intercepteurs de numéros de l’usager de téléphonie mobile, les IMSI catching.
On le comprend bien, il s’agit d’installer partout sur le territoire des antennes factices permettant de recueillir la totalité des données de connexion des usagers de téléphonie mobile. Le projet de loi vise à adapter cette technique de captation générale des informations à la nouvelle technologie de la 5G, dans laquelle les identifiants des terminaux deviennent temporaires.
Madame la ministre, on constate que ce que d’aucuns nous présentent comme un progrès vous contraint à transformer vos techniques de renseignement. Ce n’est donc sans doute pas un progrès pour tout le monde…
Comme l’a dit très justement la CNIL, cette technique s’apparente à un chalutage de données non discriminantes : toutes les données de tous les citoyens sont contrôlées, peuvent être stockées et utilisées à des fins statistiques.
Nous pensons qu’un tel dispositif est fortement attentatoire aux libertés individuelles. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 74.
Mme Esther Benbassa. Cet article prévoit l’extension de l’utilisation de la technique de renseignement appelée IMSI catching. Cette technique utilise un appareil de surveillance pour intercepter le trafic des communications mobiles, récupérer des informations à distance ou pister les mouvements des terminaux.
Son utilisation inquiète les défenseurs de la vie privée, car ce dispositif n’est pas conçu pour les écoutes ciblées. Tous les téléphones situés à proximité de cette fausse antenne sont trompés par ce dispositif. En 2014, l’ancien Premier ministre Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’intérieur, l’avait lui-même reconnu lors de l’examen du projet de loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme : « Il ne faudrait pas que les technologies prévues pour intercepter les communications d’individus que l’on a intérêt à surveiller permettent, du même coup, d’écouter d’autres personnes qui ne devraient pas l’être. »
Si cette technique est pour l’instant réservée à certaines procédures judiciaires concernant des infractions graves à la loi pénale, elle risque d’entraîner une surveillance de masse du fait de la récolte de renseignements qui ne sont pas liés à une menace terroriste. Elle est donc particulièrement attentatoire aux libertés et à la vie privée des personnes. La CNIL s’était d’ailleurs inquiétée de son utilisation, prévue dans l’avant-projet de loi sur le renseignement de 2015.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires jugeant cette technique très intrusive, ce qui justifie, selon lui, qu’elle ne soit utilisée qu’à titre exceptionnel, il demande la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Tout d’abord, je précise que l’article 10 ne crée pas une nouvelle technique de renseignement : l’IMSI catching existe à l’article L. 851-6 du code de la sécurité intérieure.
Ensuite, cette technique ne peut être utilisée partout. En effet, elle est contingentée et, surtout, subsidiaire : il n’est possible d’y avoir recours qu’en l’absence de toute autre technique de renseignement permettant d’obtenir le même résultat.
L’article 10 autorise simplement la réquisition des opérateurs, notamment par les services de renseignement et par les services d’enquêtes judiciaires, dans le cadre de l’utilisation de la 5G. Il permet de donner à nos services de renseignement les moyens d’être en phase avec les nouvelles technologies et de répondre au danger que représente l’utilisation de celles-ci par les terroristes.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 26 et 74.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 10.
(L’article 10 est adopté.)
Article 11
I. – Le livre VIII du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au 1° du I de l’article L. 822-2, la référence : « et L. 852-2 » est remplacée par les références : « , L. 852-2 et L. 852-3 » ;
2° Le chapitre II du titre V est complété par un article L. 852-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 852-3. – I. – Dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du présent livre et pour les seules finalités prévues aux 1°, 2°, 4° et 6° de l’article L. 811-3, peut être autorisée l’utilisation, par les services spécialisés de renseignement, d’un appareil ou d’un dispositif technique mentionné au 1° de l’article 226-3 du code pénal afin d’intercepter des correspondances émises ou reçues par la voie satellitaire, lorsque cette interception ne peut être mise en œuvre sur le fondement du I de l’article L. 852-1 du présent code, pour des raisons techniques ou pour des motifs de confidentialité faisant obstacle au concours des opérateurs ou des personnes mentionnés à l’article L. 851-1. Les correspondances interceptées dans ce cadre sont détruites dès qu’il apparaît qu’elles sont sans lien avec la personne concernée par l’autorisation, et au plus tard au terme du délai prévu au 1° du I de l’article L. 822-2.
« II. – Par dérogation à l’article L. 821-4, l’autorisation est délivrée pour une durée maximale de trente jours, renouvelable dans les mêmes conditions de durée. Elle vaut autorisation de recueil des informations ou documents mentionnés à l’article L. 851-1 associés à l’exécution de l’interception et à son exploitation.
« III. – Un service du Premier ministre organise la centralisation des correspondances interceptées et des informations ou documents recueillis en application des I et II du présent article. Cette centralisation intervient dès l’interception des communications, sauf impossibilité technique. Dans ce cas, les données collectées font l’objet d’un chiffrement dès leur collecte et jusqu’à leur centralisation effective au sein du service du Premier ministre mentionné au présent alinéa. La demande prévue à l’article L. 821-2 précise les motifs faisant obstacle à la centralisation immédiate des correspondances interceptées.
« Les opérations de transcription et d’extraction des communications interceptées, auxquelles la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement dispose d’un accès permanent, complet, direct et immédiat, sont effectuées au sein du service du Premier ministre mentionné au premier alinéa du présent III.
« IV. – Le nombre maximal des autorisations d’interception en vigueur simultanément est arrêté par le Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. La décision fixant ce contingent et sa répartition entre les ministres mentionnés au premier alinéa de l’article L. 821-2 ainsi que le nombre d’autorisations d’interception délivrées sont portés à la connaissance de la commission.
« V. – (Supprimé) ».
II. – (Non modifié) Le I est applicable jusqu’au 31 juillet 2025.
Le Gouvernement adresse au Parlement un rapport d’évaluation sur l’application de ces dispositions au plus tard six mois avant cette échéance.
M. le président. L’amendement n° 27, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Avec cet amendement, nous nous opposons à l’expérimentation pour une durée de quatre ans de l’interception des communications empruntant la voie satellitaire.
D’une part, l’expérimentation de cette nouvelle technique risque de conduire au recueil d’informations qui ne concernent ni la mesure ni la prévention d’actes terroristes, compte tenu du champ d’interception des communications rendu possible.
Nous estimons que cet article ne présente pas de garanties suffisantes permettant d’empêcher le recueil de données sensibles et personnelles de citoyens qui ne seraient pas visés par l’interception des conversations, non plus que le viol de leur vie intime.
En effet, le périmètre d’interception des données est élargi à tous, sans distinction. Or la mise en œuvre de mesures de filtrage en amont pour empêcher toute intrusion serait plus respectueuse de la vie privée des personnes qui ne sont pas visées par la recherche de renseignements.
Nous ne sommes pas forcément opposés à une expérimentation de cette technique afin de prévenir les actes terroristes, mais nous vous alertons sur les risques élevés d’intrusion et d’atteinte à la vie privée. Le manque de mesures préventives afin d’empêcher toute atteinte de ce type est inquiétant.
Pourquoi ne pas prendre le temps de poursuivre l’expérimentation de ce dispositif afin qu’il ne conduise pas à l’instauration d’une surveillance de masse, laquelle serait contraire à l’objectif du texte et source d’inquiétude pour la population ?
D’autre part, il apparaît évident que cette expérimentation, comme toutes les autres avant elle en matière de renseignement et de sécurité intérieure, finira par être pérennisée. Comme le relève l’Observatoire des libertés et du numérique, une fois des expérimentations et des mesures liberticides mises en œuvre, il n’y a jamais de retour en arrière plus favorable aux libertés, quand bien même des demandes légitimes et mesurées sont faites : augmentation des pouvoirs de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, contrôle des échanges avec les services étrangers, réel pouvoir de contrôle parlementaire, véritable possibilité de contestation individuelle.
Pour toutes ces raisons, nous vous invitons à supprimer cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Nous sommes opposés à la suppression de cet article, car nous pensons qu’il est essentiel de donner, là aussi, aux services de renseignement les moyens de faire face à la nouvelle technologie que représente le déploiement des constellations satellitaires – on annonce d’ici à 2025 au moins trois constellations nouvelles : le projet Starlink, le projet OneWeb et celui d’Amazon.
Il est nécessaire de mettre en place une expérimentation, telle que celle qui est prévue à l’article 11.
Enfin, contrairement à ce que vous dites, ma chère collègue, le texte prévoit des mesures d’encadrement et de contrôle.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 90, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4, première phrase
Après le mot :
renseignement
insérer les mots :
et les services mentionnés à l’article L. 811-4 désignés, au regard de leurs missions, par un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement,
La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre. La commission des lois du Sénat a adopté un amendement visant à restreindre la technique expérimentale d’interception des correspondances par voie satellitaire aux seuls services de renseignement dits du « premier cercle ».
Sur le fond, cette restriction n’apparaît pas souhaitable, et ce pour deux raisons.
D’une part, limiter la technique aux seuls services du premier cercle apparaît contradictoire avec l’objectif même de la modification législative envisagée, qui consiste non pas à ajouter un nouvel outil à l’arsenal des services de renseignement, mais uniquement à combler le déficit opérationnel qui pourrait résulter du changement technologique induit par l’émergence des terminaux de communications satellitaires.
Les services appartenant au second cercle de renseignement sont également susceptibles de subir les conséquences néfastes du déport de certaines communications vers les moyens satellitaires. Il est donc indispensable que leur soit également ouverte la possibilité de recourir à cette technique.
Cela ne fera pas obstacle à ce que, dans la pratique, pour des questions à la fois de coût et de technique, la mise en œuvre effective des interceptions soit effectuée par les services du premier cercle, pour le compte des services du second cercle.
D’autre part, d’un point de vue constitutionnel, le seul fait que le service demandeur de la mise en œuvre d’une telle technique soit un service du second cercle n’est pas de nature à majorer l’atteinte à la vie privée.
Le service du second cercle pourrait de toute façon accéder à une interception de sécurité classique pour les finalités considérées. Par ailleurs, sa demande est soumise à l’avis de la CNCTR et est autorisée par le Premier ministre. L’ensemble des opérations postérieures à la demande sont prises en charge par les services du premier cercle et par le groupement interministériel de contrôle (GIC).
Le service du second cercle dispose seulement du résultat final, c’est-à-dire les communications émises ou reçues par la cible, objet de la demande.
Le présent amendement vise donc à réintroduire la possibilité de désigner les services de renseignement du second cercle comme bénéficiaires potentiels de cette nouvelle technique de recueil de renseignements.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission des lois a limité le recours à la technique des interceptions satellitaires aux services du premier cercle. Nous pensons que ce sont les services les plus spécialisés qui utiliseront le plus ces techniques, lesquelles n’en sont aujourd’hui qu’au stade de l’expérimentation.
Comme vous l’avez dit, madame la ministre, les services du second cercle pourront bénéficier de ces interceptions par la transmission de renseignements. Il ne nous paraît donc pas opportun, à ce stade, de leur ouvrir l’interception des communications satellitaires, alors que nous avons très peu de visibilité sur ces expérimentations.
M. le président. L’amendement n° 57, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Un lien avec la personne concernée par l’autorisation est établi lorsqu’il est utile à la poursuite de l’une des seules finalités mentionnées au présent I.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Par cet amendement, nous souhaitons apporter une précision utile sur le champ de l’expérimentation d’une technique qui est encore en voie de développement.
L’article 11 autorise, à titre expérimental, les services de renseignement à intercepter, par le biais d’un appareil ou d’un dispositif technique, des correspondances émises ou reçues par voie satellitaire, lorsque des raisons pratiques ou de confidentialité font obstacle au concours des opérateurs.
Ce type de technique de renseignement est susceptible de permettre la collecte systématique et automatique de données concernant des personnes pouvant n’avoir aucun lien autre qu’une proximité géographique avec la personne visée par les services.
Certes, l’article 11 précise que les correspondances interceptées seront détruites en l’absence de lien apparent avec la cible recherchée. Néanmoins, il subsiste le lien géographique. Il convient donc de circonscrire précisément la nature de ce lien, afin de permettre à la CNCTR d’assurer un contrôle effectif, si nécessaire, lorsqu’elle sera amenée à accéder aux opérations de transcription et d’extraction des communications interceptées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’amendement est satisfait par la rédaction de l’article, qui circonscrit déjà le recours à ces techniques d’interception aux seules finalités prévues à l’article L. 811-3 du code de la sécurité intérieure, lesquelles sont déjà bien définies. L’article encadre donc déjà bien la mise en œuvre de l’expérimentation.
La commission demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Leconte, l’amendement n° 57 est-il maintenu ?
M. Jean-Yves Leconte. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 57 est retiré.
L’amendement n° 75, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Remplacer l’année :
2025
par l’année :
2022
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent article prévoit l’expérimentation pour une durée de quatre ans de l’interception des communications empruntant la voie satellitaire.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires émet un certain nombre de réserves sur cette nouvelle technique, notamment parce qu’elle risque de conduire au recueil d’informations n’ayant pas directement trait à la prévention d’actes terroristes.
En outre, selon le Conseil d’État, si l’étude d’impact déjà réalisée justifie de manière convaincante la nécessité de procéder à cette expérimentation, elle ne comporte pour autant aucune précision sur ses modalités d’évaluation ou sur les critères d’appréciation au regard desquels elle sera jugée.
Prenant acte de l’avis rendu par le Conseil d’État, les auteurs de cet amendement estiment que, sans enrichissement de l’étude d’impact sur ce point de la part du Gouvernement, l’expérimentation ne saurait aller au-delà du prochain renouvellement de la majorité parlementaire, qui, le cas échéant, pourra de nouveau se prononcer sur son maintien.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’avis est défavorable. Une expérimentation d’un an nous paraît trop courte, eu égard à la complexité technique des interceptions satellitaires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 76, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
Le Gouvernement adresse au Parlement un rapport d’évaluation d’étape sur l’application de ces dispositions avant leur échéance. À l’expiration de ce délai, si aucun rapport n’a été remis, l’autorisation est suspendue jusqu’à ce que le rapport soit adressé au Parlement.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Il est un problème récurrent que nous, parlementaires, connaissons tous ici : nous étudions, modifions et votons une loi sur le renseignement à laquelle nous accolons des demandes de rapport. Les mois passent, les années parfois, et aucun rapport ne nous est remis par le Gouvernement.
Cet amendement vise donc à renforcer le pouvoir de contrôle parlementaire s’agissant de l’évaluation des résultats de l’expérimentation prévue au présent article.
Afin de pallier le problème précité de non-transmission des rapports prévus dans la loi en matière de renseignement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires propose de mettre en place une obligation d’adresser au Parlement un rapport d’étape avant l’échéance des mesures prévues par le présent article. En l’absence de transmission de ce rapport, l’expérimentation serait automatiquement suspendue et ne pourrait reprendre qu’une fois le rapport transmis au Parlement.
M. le président. L’amendement n° 59, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
Le Gouvernement adresse au Parlement un rapport d’évaluation d’étape sur l’application de ces dispositions au plus tard le 31 décembre 2023 et un rapport d’évaluation définitif au plus tard six mois avant le terme fixé pour la fin de leur application.
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter cet amendement, qui tend lui aussi à prévoir la remise d’un rapport !
M. Jean-Yves Leconte. Pas tout à fait, monsieur le président : une fois n’est pas coutume, c’est le texte de la commission qui prévoit la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement !
Nous le savons, ce n’est pas parce qu’une mesure est prévue par la loi qu’elle est mise en œuvre. Ainsi, alors que nous sommes en train d’examiner le présent projet de loi, nous attendons toujours le rapport sur les algorithmes.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé les amendements nos 59 et 58.
Le premier vise à prévoir la remise au Parlement d’un rapport d’étape afin que nous soyons assurés de disposer au moins de quelques informations avant la fin de l’expérimentation.
Le second tend à préciser un certain nombre de points que nous souhaitons voir explicitement figurer dans le rapport qui est prévu – je le répète ! – non pas dans notre amendement, mais dans le texte de la commission.
M. le président. L’amendement n° 58, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Compléter cet alinéa par une phrase ainsi rédigée :
Ce rapport précise le nombre de communications interceptées sans rapport avec la cible visée ainsi que l’évaluation des obstacles juridiques, techniques ou opérationnels ayant empêché le recours au régime des interceptions de sécurité de droit commun du I de l’article L. 852-1 du code de la sécurité intérieure.
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’amendement n° 76 de Mme Benbassa tend à prévoir la remise par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sous peine de suspension de l’expérimentation.
Le Sénat n’est pas favorable, vous le savez, aux demandes de rapports. Les députés en ont prévu un dans le cadre de cette expérimentation, mais les rapports ne sont pas effectifs : on attend toujours celui sur les algorithmes – vous l’avez fait remarquer, chère collègue.
Nous comprenons la logique de l’amendement. Cependant, un rapport est peu contraignant. En outre, un rapport purement formel ne nous permettrait pas d’exercer un véritable contrôle et d’atteindre l’objectif que vous évoquez.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
De même, elle émet un avis défavorable à la demande d’un rapport d’étape de M. Leconte : une telle mesure ne serait pas non plus effective. De toute façon, la délégation parlementaire au renseignement (DPR) pourra exercer un contrôle sur la mise en œuvre de l’expérimentation des interceptions satellitaires.
Enfin, la commission est défavorable à l’amendement n° 58, qui vise à préciser le contenu du rapport : ces éléments sont déjà définis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, ministre. Les amendements nos 76 et 59 sont en partie satisfaits puisque le texte prévoit déjà la remise d’un rapport au Parlement, non pas à la fin de l’expérimentation, mais six mois avant, afin précisément d’éclairer le législateur.
Ce délai de six mois permettra d’apprécier les résultats de l’expérimentation au plus proche de son échéance et mettra ainsi le Gouvernement en mesure de donner au Parlement une vision la plus complète possible, avant qu’il ne soit amené à se prononcer sur une éventuelle pérennisation de la technique.
Par ailleurs, j’indique que, au-delà de la remise d’un rapport, le Parlement, notamment sa délégation au renseignement, dispose de prérogatives de contrôle qui lui permettront, s’il le souhaite, d’interroger le Gouvernement sur la mise en œuvre de cette technique, sans attendre l’issue de l’expérimentation.
L’article 17 bis du projet de loi tel qu’il résulte des travaux de la commission des lois permet à ce titre à la DPR d’assurer le suivi des enjeux d’actualité et des défis futurs qui se rapportent à la politique publique du renseignement.
Enfin, le Gouvernement est défavorable à la seconde partie de l’amendement n° 76, puisque la non-remise d’un rapport au Parlement ne saurait conditionner l’interruption de l’expérimentation sans entraîner d’importantes conséquences opérationnelles.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable sur ces deux amendements, ainsi que sur l’amendement n° 58.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur l’article.
Mme Nathalie Goulet. Madame la ministre, je suis absolument de l’avis de la commission et du Gouvernement sur le sujet du contrôle, mais il faut tout de même que le Parlement puisse exercer ses droits. Or ce dernier ne parvient pas toujours à obtenir des réponses à ses questions, le Gouvernement ne répondant pas ses demandes. Ainsi, le rapport sur l’expérimentation des algorithmes nous sera remis après notre débat d’aujourd’hui !
Par conséquent, nous souhaitons que le Gouvernement s’engage à apporter des réponses aux questions du Sénat, qu’il s’agisse de celles de la délégation parlementaire au renseignement, de celles de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ou de celles de la commission des finances. Le caractère aléatoire des réponses du Gouvernement sur ces sujets nous pose problème. La confiance n’excluant pas le contrôle, je comprends les auteurs des amendements tendant à instaurer ces contrôles.
Certes, le texte prévoit la remise d’un rapport six mois avant la fin de l’expérimentation. Certes, nous pouvons compter sur la délégation parlementaire au renseignement ainsi que sur la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Le débat budgétaire à venir nous permettra également de soulever des questions, mais encore faut-il que le Gouvernement s’engage à nous donner les informations demandées !
Le rapport sur les algorithmes devait nous être remis, mais il ne l’a pas été. Nous nous trouvons donc aujourd’hui démunis et privés d’éléments qui auraient pu nous servir au cours de ce débat important.
Je voterai pour cet article, mais je souhaite que le Gouvernement s’engage formellement à nous fournir les renseignements que nous lui demandons, au moment où nous les lui demandons.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. Je suis dans le même état d’esprit que Mme Goulet.
Je suis quelque peu étonné de la réponse de Mme la ministre, qui nous dit que si le rapport n’est pas remis à temps, cela aura des conséquences opérationnelles. Pour les éviter, elle n’est pas favorable à mon amendement.
Mais enfin, dès lors que ce rapport est prévu dans le texte, c’est bien pour que le Parlement contrôle, sur ce sujet, la manière dont le Gouvernement fait usage de l’habilitation qui lui est donnée ! Le contrôle parlementaire n’est pas inutile, indépendamment de toutes les contraintes opérationnelles !
Je souscris au principe de l’article 11, mais il faudrait que, sans préjudice des contraintes opérationnelles, le Gouvernement accepte de fournir un minimum d’informations au Parlement. Nous faisons tout de même preuve de beaucoup de bonne volonté, puisque nous acceptons un certain nombre de nouvelles expérimentations, alors même que le rapport portant sur les précédentes ne nous a pas encore été transmis !
M. le président. Je mets aux voix l’article 11.
(L’article 11 est adopté.)
Article 12
(Non modifié)
La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement est ainsi modifiée :
1° L’article 24 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « , 25 » est supprimée ;
b) Au dernier alinéa, les mots : « les articles 25 et » sont remplacés par les mots : « l’article » ;
2° L’article 25 est abrogé.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 29 rectifié est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 77 est présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre Laurent, pour présenter l’amendement n° 29 rectifié.
M. Pierre Laurent. L’article 12 du présent projet de loi prévoit l’abrogation de l’article 25 de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Cet article mettait en œuvre l’expérimentation des « boîtes noires » jusqu’au 31 décembre 2021 et prévoyait la transmission aux parlementaires, avant le 30 juin 2021, d’un rapport gouvernemental sur l’application de cette disposition.
Cette date est arrivée, mais nous sommes au regret de constater l’absence d’évaluation précise et détaillée de ces mesures : aucun chiffre, aucun bilan, positif ou négatif, de l’utilisation des algorithmes contenus dans ces « boîtes noires » ne nous a été communiqué. Ainsi, le rôle du Parlement est une nouvelle fois entravé.
Cet article pérennise, de manière tacite, l’utilisation de ces « boîtes noires », auxquelles nous sommes opposés. En outre, ce dispositif, couplé à l’article 13, qui étend aux URL le champ du contrôle des algorithmes, nourrit le projet d’une société de la surveillance, en déployant des techniques de renseignement extrêmement intrusives, alors qu’aucune évaluation transparente n’est fournie au Parlement.
Pour ces raisons, nous souhaitons la suppression de cet article.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 77.
Mme Esther Benbassa. Nous le savons, les « boîtes noires » algorithmiques examinent, de manière indifférenciée, toutes les données gérées par les réseaux, y compris des données à caractère personnel.
La CNIL le rappelle, une telle technique porte une atteinte particulièrement forte à la vie privée des individus et au droit à la protection des données à caractère personnel. Elle dénonce le caractère généralisé, à l’ensemble de la population, de cette pratique.
Par ailleurs, de tels dispositifs sont techniquement faillibles ; en outre, les biais de conception des algorithmes ont des effets pervers relevés par les experts et bien documentés.
Enfin, en l’état, l’étude d’impact ne permet pas de conclure à la nécessité de pérenniser le dispositif – le Conseil d’État le relève également –, car elle comporte très peu d’indications sur la mesure de l’efficacité opérationnelle de la technique couverte par le secret de la défense nationale.
Dès lors, il est à craindre que le secret de la défense nationale ne soit invoqué pour écarter toute évaluation sérieuse du dispositif, laquelle risquerait d’invalider la pertinence des algorithmes.
Aussi le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande-t-il, au travers du présent amendement, la suppression de cet article ; une telle surveillance est, par sa simple existence, préjudiciable à la liberté d’information et d’expression.
Les journalistes et les chercheurs pourraient être les premiers à modifier leur mode de travail, afin de ne pas faire l’objet d’une surveillance. Compte tenu des risques que ces mesures font peser sur les libertés fondamentales et en l’absence de toute démonstration de leur efficacité et de leur proportionnalité, nous nous opposons à leur maintien.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission est opposée à la suppression des algorithmes et donc favorable à leur pérennisation.
Nous regrettons également que le rapport prévu n’ait pas été remis à temps, car il aurait permis d’éclairer nos travaux. Néanmoins, de nombreux contrôles sont conduits sur cette technique couverte par le secret-défense. La délégation parlementaire au renseignement a fait son travail ; la CNCTR exerce un contrôle permanent sur les algorithmes, lesquels ne portent, jusqu’à présent, que sur les données de connexion, qui sont anonymes.
Il existe donc, on le voit, des contrôles, sans compter les contrôles internes, qui sont menés de manière précise. Cette technique nous paraît prometteuse et nous pensons qu’il faut la pérenniser.
Pour toutes ces raisons, la commission a émis un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, ministre. La pérennisation du dispositif des algorithmes est nécessaire pour trois raisons.
En premier lieu, ce dispositif est pertinent. Contrairement à ce que l’on entend trop souvent, il s’agit non d’un système de surveillance, mais d’un outil de détection, qui permet de mieux cibler, le cas échéant, une surveillance. Il joue donc un rôle indispensable, en raison de la nature même de l’évolution de la menace terroriste. En effet, celle-ci est de plus en plus endogène, elle se développe en marge des réseaux terroristes structurés, à distance et par voie numérique ; elle est par conséquent très difficile à détecter.
Isoler certaines signatures électroniques sur internet constitue donc un complément naturel du travail ciblé sur les groupes, les réseaux et les individus terroristes, mais aussi du travail de renseignement humain conduit par nos services. Ce travail est central, mais il ne permet pas de tout couvrir. L’expérimentation a ainsi permis de comprendre que l’extension du dispositif aux URL renforcerait l’efficacité de la surveillance.
En deuxième lieu, l’algorithme est utile et efficace. Le Gouvernement l’a précisément expliqué dans l’étude d’impact qu’il a adjointe au projet de loi. Par ailleurs, le Parlement a reçu un rapport non confidentiel sur l’application du dispositif et la délégation parlementaire au renseignement a reçu une information détaillée couverte, elle, par le secret de la défense nationale. Ainsi, vous le savez, le dispositif a permis de détecter des individus liés à une menace terroriste et de déterminer les liens qui existent entre eux, ainsi que leur localisation ; il a amélioré la connaissance des services sur la manière de procéder des individus appartenant à la mouvance terroriste.
En troisième lieu, le dispositif est proportionné. Trois algorithmes sont autorisés : ils ont donné lieu à 1 739 alertes au cours de l’année 2020. Le taux d’alerte est donc très mesuré. Non, les services ne surveillent pas en masse ; non, ils ne sont pas noyés sous les alertes. Le dispositif est proportionné grâce également aux garanties qui entourent l’ensemble du processus : les algorithmes sont réservés à la prévention du terrorisme, leurs paramètres et leur mise en œuvre sont contrôlés, de part en part, par la CNCTR et sont soumis à l’autorisation du Premier ministre.
Par ailleurs, les données sont gérées par le Groupement interministériel de contrôle et ne sont pas accessibles aux services de renseignement. Ces derniers doivent obtenir l’autorisation du Premier ministre, après avis de la CNCTR, pour lever l’anonymat des données issues d’une alerte.
Enfin, le projet de loi prévoit de nouvelles garanties, dont la destruction immédiate de toute donnée non nécessaire, ainsi que la limitation aux services du premier cercle.
La suppression de ces algorithmes conduirait à se priver volontairement d’un système efficace, adapté et encadré, permettant de détecter la menace terroriste. Plusieurs de nos grands partenaires disposent de ce système, souvent dans des conditions beaucoup moins encadrées.
Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je ne voterai pas les amendements de suppression, parce que j’ai lu avec attention le rapport de la CNCTR.
Néanmoins, madame la ministre, j’ai interrogé, lors de la discussion générale, votre collègue, Mme Schiappa, sur les algorithmes, notamment sur le contrat avec Palantir, la société américaine avec laquelle la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) a renouvelé un contrat. L’examen de l’article 12 me donne l’occasion de vous interroger à votre tour, madame la ministre.
J’aimerais avoir une réponse du Gouvernement sur ce sujet, car si les algorithmes sont extrêmement importants, il s’agit néanmoins d’outils de souveraineté. Il est donc crucial que l’on puisse les produire en France et qu’ils bénéficient de toute la sécurité possible.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Comme ma collègue la sénatrice Goulet, je pense que les garanties que nous donne le Gouvernement sont valables, à condition que vous soyez garante, madame la ministre, de notre souveraineté numérique. Or ce n’est pas le cas et vous le savez : votre ministère utilise les services de Microsoft.
Quelles garanties pouvez-vous nous donner que les normes que vous venez de nous présenter seront strictement respectées par les opérateurs américains ? Tout ce que vous nous présentez est juste, intéressant et logique, mais, malheureusement, la France n’est pas souveraine d’un point de vue numérique. Nous sommes donc tributaires de puissances extérieures pour traiter les informations.
Vous me permettrez de déplorer cette situation et d’émettre de fortes réserves : des puissances extérieures – les États-Unis, mais aussi la Chine – auront la capacité de capter ces données, qui sont essentielles et qui permettraient de ficher toute la population française. Or nous ne le voulons pas !
Je suis désolé de vous le dire, mais, pour nous, le modèle chinois n’est pas une référence… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 29 rectifié et 77.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 12.
(L’article 12 est adopté.)
Article 13
I. – L’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les mots : « il peut être imposé aux opérateurs et aux personnes mentionnés à l’article L. 851-1 la mise en œuvre sur leurs réseaux de » sont remplacés par les mots : « à la demande des services spécialisés de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2, peuvent être autorisés, sur les données transitant par les réseaux des opérateurs et des personnes mentionnés à l’article L. 851-1, des » ;
b) Au deuxième alinéa, après la référence : « L. 851-1 », sont insérés les mots : « ainsi que les adresses complètes de ressources utilisées sur internet » et la seconde occurrence des mots : « ou documents » est remplacée par les mots : « , documents ou adresses » ;
2° Au III, les mots : « pour cette mise en œuvre » sont supprimés ;
3° Le IV est ainsi modifié :
a) Après la seconde occurrence du mot : « délai », la fin de la seconde phrase est supprimée ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Les données non détectées par les traitements comme susceptibles de révéler une menace à caractère terroriste sont détruites immédiatement. » ;
4° Sont ajoutés des VI et VII ainsi rédigés :
« VI. – Un service du Premier ministre est seul habilité à exécuter les traitements et opérations mis en œuvre sur le fondement des I et IV, sous le contrôle de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
« VII. – Le traitement automatisé des adresses complètes de ressources utilisées sur internet est autorisé jusqu’au 31 juillet 2025. »
II. – (Non modifié) Le Gouvernement adresse au Parlement, au plus tard le 31 juillet 2024, un rapport sur l’application de l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 28 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 78 est présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour présenter l’amendement n° 28.
M. Pierre Ouzoulias. Je vous rassure, mes chers collègues, j’aime toujours autant la cuisine chinoise… (Sourires.)
Cet article prévoit la possibilité pour ces fameuses « boîtes noires » de traiter ce que l’on appelle en mauvais français les « URL », c’est-à-dire les données d’identification des pages des sites internet.
Le Conseil d’État vous a fait remarquer, madame la ministre, que cette disposition « ouvre […] un champ nouveau d’investigation potentiellement attentatoire à la protection de la vie privée ». Selon le Gouvernement, le traitement des URL ne permet pas de connaître précisément les informations consultées. Je ne le crois pas et je vais donner un seul exemple, celui d’une adresse internet que j’ai prise un peu au hasard : xavierbertrand2022.eu. (Rires.) Cette URL donne des indications, je pense, sur les préférences politiques de la personne qui consulte le site correspondant !
Il y a donc là un risque important ; cet outil rend possible une collecte d’informations pouvant donner lieu – j’en parlais précédemment – à un fichage politique des personnes qui consultent ces sites.
Par ailleurs, nous raisonnons dans ce débat dans le cadre d’un système qui respecte, peu ou prou, l’État de droit, mais imaginez, mes chers collègues, que, à la suite d’une élection, notamment présidentielle, ce ne soit plus le cas ; imaginez qu’un gouvernement, moins favorable aux libertés individuelles, se saisisse de cette technique pour faire un fichage complet de la population !
Il faut donc réellement faire attention à ce que nous faisons, parce que nous pouvons donner des outils extrêmement dangereux de contrôle de la population à des gouvernements qui auraient des intentions moins légitimes que les vôtres, madame la ministre.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 78.
Mme Esther Benbassa. La CNIL estime que le recueil des URL est susceptible de faire apparaître des informations relatives au contenu des éléments consultés ou aux correspondances, ce qui porterait atteinte à la protection de la vie privée : on pourrait ainsi connaître l’orientation sexuelle ou l’état de santé d’une personne, par exemple. Selon elle, une telle extension aurait dû être précédée d’une phase expérimentale, mais elle n’a pas été suivie, sur ce point, par le Gouvernement.
Le Syndicat de la magistrature a également alerté le Parlement sur la mise en place de ce système d’investigation : « l’extension des données traitées par les algorithmes, qui jusqu’ici ne concernaient que les données de trafic et de connexion de téléphonie, aux adresses complètes internet met en place un domaine nouveau d’investigation, plus attentatoire à la protection de la vie privée et des données personnelles. »
Plus généralement, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires exprime des craintes sur les risques de surveillance généralisée de la population et déplore que le législateur soit tenu d’inscrire définitivement un tel dispositif dans un projet de loi sans disposer d’évaluation précise dans une étude d’impact.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission est opposée à la suppression de l’extension des algorithmes aux URL.
Certes, nous avons encore un certain nombre d’interrogations et nous disposons de peu de recul et de visibilité sur l’application de cette technique aux données mixtes, entre données de connexion et données de contenu, que sont les URL. Certes, cette technique est un peu plus intrusive dans la vie privée.
C’est pour cela que nous souhaitons que le recueil des URL se fasse à titre expérimental, pendant une période de quatre ans, afin de nous permettre d’avoir une vision plus éclairée à cette échéance. L’interdiction du dispositif nous paraît inutile.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, ministre. L’extension des algorithmes aux URL répond à un besoin opérationnel clairement identifié lors de l’expérimentation conduite sur le fondement de la loi précitée de 2015.
Les algorithmes mis en œuvre ont fourni aux services des indications précieuses ; il en a d’ailleurs été rendu compte à la délégation parlementaire au renseignement.
Pourquoi avons-nous besoin des URL ? Les individus que les algorithmes visent à détecter utilisent massivement les moyens de communication électroniques et ils utilisent beaucoup plus internet que la téléphonie classique. Même les individus peu formés aux techniques clandestines savent qu’il est beaucoup plus sûr d’utiliser les applications chiffrées sur internet que leur forfait téléphonique classique.
Il ne m’est pas possible de vous détailler les utilisations dans lesquelles ces URL sont nécessaires sans compromettre nos algorithmes, mais je peux néanmoins prendre un exemple qui me paraît très parlant : Al-Qaïda ou le groupe État islamique mettent en ligne des modes d’emploi très précis pour réaliser un explosif, faire dérailler un train ou encore produire des armes biologiques. Cette propagande se trouve aujourd’hui sur des sites de plus en plus clandestins, du fait de la lutte qui est exercée contre la diffusion de tels didacticiels. Un algorithme fondé en partie – je dis bien : « en partie » – sur la consultation ou sur le téléchargement de ces vidéos est envisageable et démontre l’intérêt de disposer de ce type de données.
Cette extension doit être encadrée et elle l’est. Je le rappelle, ces algorithmes sont maniés par le groupement interministériel de contrôle, dont le rôle central est inscrit dans le projet de loi. Les services de renseignement n’ont accès à aucune de ces données. La CNCTR contrôle l’architecture et les paramètres des algorithmes proposés, leur fonctionnement et leurs résultats et elle intervient à chaque étape du processus : en cas de renouvellement de l’algorithme, lors d’une demande de levée d’anonymat d’une donnée qui a produit une alerte ou même dans le cadre de son droit permanent d’accès à toute information, comme aux locaux des services.
Le texte renforce encore ces garanties en réduisant au strict nécessaire la durée de conservation des données et en limitant au premier cercle le maniement de cette technique, laquelle n’est ouverte, je le rappelle, qu’en matière de lutte contre le terrorisme.
J’espère avoir démontré que le traitement des URL par les algorithmes ne va pas à l’encontre de la protection de la vie privée et des données personnelles des citoyens.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Esther Benbassa. Mais enfin, nous sommes au Parlement, nous avons tout de même le droit de débattre, même si cela vous fatigue !
Madame la ministre, je suis étonnée de la manière dont vous parlez de la collecte des URL et des algorithmes. Imaginez-vous les dégâts que provoquera cette expérimentation de quatre ans ! Toutes les lois que vous faites, sur des sujets de plus en plus techniques, n’ont pas permis d’endiguer le problème du terrorisme ! Je ne sais pas quel est le but du présent texte, qui est quelque peu cosmétique. Il a été réécrit en commission ; tout est prêt, le Sénat demeure silencieux parce que tout a déjà été fait.
Franchement, vous vous moquez de nous ! Pensez-vous réellement qu’un tri sera fait entre les informations relatives à la vie privée des gens et les sites consultés par les terroristes ? Nous connaissons tous internet, nous savons l’utiliser : vous nous racontez vraiment des histoires, auxquelles, j’en suis sûre, vous ne croyez pas vous-même…
Il faut faire attention et parler avec plus d’intérêt et de conviction de ce genre de choses. Je ne citerai pas tous les livres qui décrivent un monde orwellien, vous en avez lu vous-même. Faisons simplement plus attention à ne pas maquiller ces dispositifs en outils de lutte contre le terrorisme. Le terrorisme a d’autres modes de fonctionnement : les armes sont achetées chez des vendeurs d’armes, dans certains réseaux ; pas sur internet.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 28 et 78.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 79, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Cet amendement de repli tend à supprimer la disposition spécifique permettant de recueillir les adresses complètes – les URL – de ressources utilisées sur internet.
Le recueil des URL pourrait porter atteinte à la vie privée des personnes, en ce qu’il pourrait faire apparaître des informations relatives au contenu des éléments consultés ou aux correspondances d’ordre privé ; cela a été dit.
Il n’est aucunement démontré que cette surveillance accrue des Français constitue un moyen efficace de lutte contre le terrorisme, qui est l’objet principal du présent projet de loi. En aucun cas le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne saurait accepter une telle disposition. C’est pourquoi il demande la suppression de cet alinéa.
M. le président. L’amendement n° 60, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Après le mot :
internet
insérer les mots :
à l’exclusion de celles pouvant figurer au sein de contenus de correspondances électroniques
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Nous n’avons aucun doute, pour notre part, sur l’utilité de l’exploitation des URL, dès lors que leur utilisation est correctement encadrée. J’ajoute qu’il serait paradoxal de s’y opposer totalement, car cela reviendrait à accepter qu’Amazon le fasse tout en empêchant l’État de le faire de manière encadrée. En outre, je ne suis pas certain que, selon la manière dont on se connecte, que cette donnée soit si facilement détectable.
Cela dit, une URL est un lien hypertexte. Elle peut être considérée comme une donnée de connexion, et nous comprenons que l’algorithme travaille sur les données de connexion, mais elle peut également être intégrée au contenu d’une correspondance ou d’un SMS, non comme donnée de connexion, mais dans le cœur du message ou d’une page. Dans ce cas, il faut considérer que ce n’est pas une donnée de connexion.
C’est la raison pour laquelle nous présentons cet amendement de précision, qui vise à empêcher l’exploitation des données des correspondances. Leur exploitation méconnaîtrait la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui a distingué strictement les données de contenu, dans lesquelles peuvent se trouver des liens hypertextes, des données de connexion.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 79.
Sur l’amendement n° 60, la commission souhaite entendre l’avis du Gouvernement. Nous avons considéré que les URL étaient les adresses complètes de ressources utilisées sur internet, figurant dans la barre d’adresse du navigateur. Cela exclurait donc les adresses référencées dans le corps du courrier électronique. Est-ce bien le cas ?
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, ministre. En aucun cas l’algorithme n’accède au contenu des communications des individus. Il est donc tout à fait inutile de prévoir que les URL figurant dans le contenu des correspondances électroniques ne puissent être traitées par l’algorithme. Cela laisserait d’ailleurs penser, tout à fait à tort, que les autres données figurant dans le contenu de ces correspondances pourraient l’être, ce qui est radicalement exclu par la loi.
Votre amendement n° 60 étant satisfait, monsieur le sénateur Leconte, le Gouvernement vous invite à le retirer ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
Par ailleurs, le Gouvernement a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 79.
M. le président. Monsieur Leconte, l’amendement n° 60 est-il maintenu ?
M. Jean-Yves Leconte. Je vous remercie de votre réponse, madame la ministre, mais, si cela va peut-être sans dire, cela va encore mieux en le disant…
Nous maintenons donc notre amendement.
M. le président. L’amendement n° 107, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Florence Parly, ministre. La commission des lois du Sénat a souhaité donner un caractère expérimental à la disposition qui étend, à l’ensemble des URL, les traitements algorithmiques prévus à l’article L. 851-3 du code de la sécurité intérieure.
Le présent amendement a pour objet de supprimer ce caractère expérimental, qui est inutile à plusieurs titres.
D’abord, la technique de l’algorithme a d’ores et déjà donné lieu à une expérimentation, qui a été prolongée à plusieurs reprises. Nous disposons désormais du recul suffisant et de tous les enseignements utiles pour perfectionner cet outil. Je le rappelle, les algorithmes sont indispensables pour la détection de la menace terroriste, nous en avons parlé ; plusieurs États européens y ont recours. L’efficacité de ces outils sera d’autant plus grande que ceux-ci pourront concrètement traiter, au-delà des seules données téléphoniques, les données internet. Je l’ai indiqué, je le répète, chacun le sait, c’est par internet que passe aujourd’hui l’essentiel des communications.
La loi permet déjà, en principe, de traiter les données internet, mais, en pratique, les algorithmes ne peuvent pas distinguer entre les URL qui sont de pures données de connexion et celles qui sont des données mixtes, c’est-à-dire qui révèlent indirectement une partie du contenu de la communication.
Comme l’a indiqué la CNCTR dans sa délibération sur le projet de loi, les URL qui sont des données mixtes ne sont pas porteuses par elles-mêmes du contenu, sur lequel elles ne donnent jamais que des indices très limités. Le surcroît d’atteintes à la vie privée est donc extrêmement réduit, d’autant que le dispositif est entouré de très nombreuses garanties.
Par ailleurs, il n’est pas exact de penser que seule la nature expérimentale de la mesure lui donnerait un caractère proportionné. Le Conseil constitutionnel ne l’a d’ailleurs nullement pris en compte pour valider, en 2015, l’article L. 851-1 du code de la sécurité intérieure. Nous renforçons encore substantiellement les garanties qui entourent la mise en œuvre de l’algorithme.
Seul un nombre très résiduel de données peut, finalement, être transmis aux services de renseignement, uniquement à ceux du premier cercle et à l’issue d’une procédure très contrôlée faisant intervenir plusieurs autorisations du Premier ministre, qui ne peuvent elles-mêmes être exécutées qu’avec l’accord de la CNCTR.
Enfin, le Parlement dispose de nombreux leviers pour demander des comptes au Gouvernement sur la mise en œuvre des algorithmes. Sans revenir sur les prérogatives substantielles de la délégation parlementaire au renseignement, je rappelle que le Gouvernement devra remettre un rapport au Parlement, au plus tard le 31 juillet 2024 sur le sujet spécifique de l’extension à toutes les URL.
Il appartiendra alors aux membres du Parlement d’en tirer les conséquences en prenant les initiatives, y compris législatives, qu’il jugera appropriées.
En matière de lutte contre le terrorisme, le Parlement doit doter les services de renseignement des outils efficaces, c’est-à-dire proportionnés et stables, qui permettent une action dans la durée. Tel est l’objectif du présent amendement que vous propose le Gouvernement, éclairé par l’expérimentation des quatre années qui s’achèvent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Cet amendement ayant été déposé tardivement, il n’a pu être examiné par la commission des lois. Néanmoins, il est contraire à la position de cette dernière puisqu’il vise à supprimer le caractère expérimental du traitement algorithmique des URL.
Je rappelle que, en aucun cas, nous ne remettons en cause la technique des algorithmes, que nous avons pérennisée. Toutefois, nous nous posons un certain nombre de questions sur l’extension aux URL qui sont des données mixtes, dont le traitement pourrait porter une atteinte plus importante aux libertés individuelles. La DPR avait été particulièrement claire sur ce point.
Le renforcement des garanties prévues par cet article, qui ne fait que retranscrire l’existant, est nécessaire, ses dispositions n’étant pas suffisantes.
Les algorithmes permettent d’effectuer une surveillance de masse, donc indifférenciée, de l’ensemble de la population. Ce type de surveillance est justifiée, mais doit être particulièrement encadrée, ne serait-ce que pour assurer la conformité du dispositif au droit constitutionnel et au droit européen.
Par ailleurs, le faible niveau de développement des algorithmes – autant que nous puissions en juger – incite à prévoir une expérimentation et un nouveau rendez-vous devant le Parlement afin de lui permettre d’évaluer la qualité des résultats obtenus, notamment à la suite de l’extension aux URL, sur laquelle nous ne disposons pas de recul.
Je rappelle que la remise d’un rapport au Parlement par le Gouvernement est toujours aléatoire, le rapport prévu sur les algorithmes ne nous ayant, à ce jour, toujours pas été transmis.
Pour l’ensemble de ces raisons, afin de garantir la protection des libertés et le contrôle de l’efficacité des techniques de surveillance de masse, la commission des lois souhaite que l’extension aux URL, qui ne remet pas en cause le principe des algorithmes, soit expérimentale.
La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Permettez-moi de revenir un instant sur vos propos, madame la ministre.
Ce ne sont pas les algorithmes qui collectent l’information. Cette dernière est collectée de façon extrêmement large, puis traitée par les algorithmes, qui en extraient les signaux faibles intéressant les services de renseignement.
Pour que ces algorithmes fonctionnent et puissent capter des signaux statistiquement faibles, la collecte doit être la plus large possible ; c’est une évidence. Il faut un tamis à petites mailles pour recueillir des informations extrêmement ténues.
Vous nous dites, madame la ministre, que le Gouvernement est en capacité de préserver les libertés individuelles en encadrant très strictement le recueil de ces données. Alors que les Gafam collectent ces données, qu’ils les traitent via des algorithmes dans les mêmes conditions, pourquoi ne leur imposez-vous pas les mesures juridiques d’encadrement que vous nous présentez ici ? Pourquoi soumettez-vous les données des renseignements à un contrôle juridique dont vous exonérez les Gafam ?
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Il me semble que nous allons trop loin ; nous l’avons d’ailleurs dit durant la discussion générale.
L’objectif premier de ce projet de loi est la lutte contre le terrorisme : c’est le seul qui doit nous guider ce soir. Nous devons tout mettre en œuvre – moyens techniques, technologiques, mais aussi et surtout, humains – pour réellement lutter contre la menace terroriste, mais ne faisons pas croire à nos concitoyens que nous parviendrons à l’endiguer dans notre pays uniquement grâce à des moyens techniques et technologiques.
Par cet amendement, madame la ministre, vous proposez de supprimer l’expérimentation prévue pendant une période donnée d’une mesure attentatoire à la liberté individuelle. Le groupe communiste républicain citoyen et écologiste partage l’avis de la commission sur cet amendement, qu’il ne votera pas.
Nous le disons depuis longtemps, cela fait maintenant de nombreuses années que nous accumulons les lois, chacune étant censée être plus performante que la précédente, afin de lutter contre le terrorisme.
Malheureusement, je le redis – et je suis la première à le déplorer –, l’accumulation de ces lois ne mène à rien, car les terroristes, c’est une évidence, s’adaptent et anticipent. Ainsi, pensez-vous sincèrement que, après l’adoption du présent projet de loi, les terroristes se rendront sur internet sans aucune protection, qu’on pourra collecter leurs données et rapidement remonter jusqu’à eux ? Mais dans quel monde vivez-vous ?
Oui, la menace terroriste est réelle et elle est intelligente.
L’alinéa que vous entendez supprimer prévoit une expérimentation destinée à nous permettre d’évaluer si la mesure en question est efficace ou non pour lutter contre le terrorisme et si elle justifie une remise en cause de nos libertés individuelles, au nom de la liberté collective.
En refusant cette expérimentation, vous refusez cet équilibre. Par conséquent, je le répète, nous voterons contre votre amendement.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Mme Cukierman a pratiquement tout dit.
Notre article est équilibré, car il concilie à la fois utilisation, limitation et contrôle des algorithmes. C’est le moins que nous puissions faire sur ce type de mesure. Le Parlement est déjà plutôt dépourvu en matière de contrôle : nous attendons en vain des rapports, sans qu’il n’y ait de sanction ou de conséquence. Nous avons de plus en plus de difficultés à exercer notre mission de contrôle parlementaire.
Avec cette expérimentation, la commission des lois nous offre un équilibre parfait : on accepte le principe, mais on le limite dans la durée pour en assurer l’efficacité.
Le groupe Union Centriste soutiendra évidemment la position de la commission des lois contre l’amendement du Gouvernement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 13.
(L’article 13 est adopté.)
Article 14
(Non modifié)
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° La première phrase du I de l’article L. 851-2 est complétée par les mots : « , ainsi que des adresses complètes de ressources sur internet utilisées par cette personne » ;
2° Au 2° du I de l’article L. 822-2, après le mot : « pour », sont insérés les mots : « les adresses complètes de ressources sur internet recueillies par la mise en œuvre de la technique prévue à l’article L. 851-2 et pour ».
M. le président. L’amendement n° 80, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent article prévoit, comme le précédent, la collecte et le traitement des données des opérateurs de télécommunication à des fins de renseignement.
Il prévoit spécifiquement l’extension du champ du recueil des données de connexion aux adresses internet complètes, c’est-à-dire les URL, et de ce fait des possibilités d’investigation. Nous craignons que cette mesure ne soit encore plus attentatoire à la protection de la vie privée et des données personnelles.
Selon un avis rendu par la CNIL, le recueil des URL est susceptible de faire apparaître des informations sur le contenu des ressources consultées ou figurant dans les correspondances.
Le Conseil constitutionnel a par ailleurs considéré que les données conservées et traitées par les opérateurs de communication électronique et susceptibles d’être recueillies par les services de renseignement « ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications ».
De ce fait, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande la suppression de l’article 14, qui, une fois de plus, va dans le sens d’une pérennisation des « boîtes noires », sans prévoir de bilan pour les parlementaires.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, ministre. Je ne répéterai pas ce que j’ai dit précédemment sur les URL données mixtes. J’indique juste que l’adoption de cet amendement pourrait paradoxalement laisser penser, de façon tout à fait trompeuse, que l’ensemble des autres données figurant dans le contenu des correspondances électroniques peut être traité par la détection en temps réel (DTR), ce qui est radicalement exclu.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 61, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
à l’exclusion de celles pouvant figurer au sein de contenus de correspondances électroniques
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Cet amendement, qui suscite les mêmes préoccupations que celles que nous avons précédemment évoquées, tend à établir une distinction, pour la technique de recueil en temps réel des données de connexion, entre les liens hypertextes qui sont des données de connexion et les liens hypertextes contenus dans les correspondances.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, pour les mêmes raisons que précédemment.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 14.
(L’article 14 est adopté.)
Article 15
I. – L’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° À la fin du premier alinéa du II, les mots : « anonyme toute donnée relative au trafic, sous réserve des dispositions des III, IV, V et VI » sont remplacés par les mots : « anonymes, sous réserve des II bis à VI, les données relatives aux communications électroniques » ;
2° Après le même II, il est inséré un II bis ainsi rédigé :
« II bis. – Les opérateurs de communications électroniques sont tenus de conserver :
« 1° Pour les besoins des procédures pénales, de la prévention des menaces contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les informations relatives à l’identité civile de l’utilisateur, jusqu’à l’expiration d’un délai de cinq ans à compter de la fin de validité de son contrat ;
« 2° Pour les mêmes finalités que celles énoncées au 1°, les autres informations fournies par l’utilisateur lors de la souscription d’un contrat ou de la création d’un compte ainsi que les informations relatives au paiement, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la fin de validité de son contrat ou de la clôture de son compte ;
« 3° Pour les besoins de la lutte contre la criminalité grave, de la prévention des menaces graves contre la sécurité publique et de la sauvegarde de la sécurité nationale, les données techniques permettant d’identifier la source de la connexion ou celles relatives aux équipements terminaux utilisés, jusqu’à l’expiration d’un délai d’un an à compter de la connexion ou de l’utilisation des équipements terminaux. » ;
3° Le III est ainsi rédigé :
« III. – Pour des motifs tenant à la sauvegarde de la sécurité nationale, lorsqu’est constatée une menace grave, actuelle ou prévisible, contre cette dernière, le Premier ministre peut enjoindre aux opérateurs de communications électroniques de conserver, pour une durée d’un an, certaines catégories de données de trafic, en complément de celles mentionnées au 3° du II bis, et de données de localisation précisées par décret en Conseil d’État.
« L’injonction du Premier ministre, qui prend la forme d’un décret dont la durée d’application ne peut excéder un an, peut être renouvelée si les conditions prévues pour son édiction continuent d’être réunies. Son expiration est sans incidence sur la durée de conservation des données mentionnées au premier alinéa du présent III. » ;
4° Après le même III, il est inséré un III bis ainsi rédigé :
« III bis. – Les données conservées par les opérateurs en application du III peuvent faire l’objet d’une injonction de conservation rapide par les autorités disposant, en vertu de la loi, d’un accès aux données relatives aux communications électroniques à des fins de prévention et de répression de la criminalité grave et des autres manquements graves aux règles dont elles ont la charge d’assurer le respect, afin d’y accéder. » ;
5° À la première phrase du V, les mots : « et sous réserve des nécessités des enquêtes judiciaires » sont supprimés ;
6° Le VI est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, les références : « III, IV et V » sont remplacées par les références : « II bis à V » ;
b) Après le deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et de l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, détermine, selon l’activité des opérateurs et la nature des communications, les informations et catégories de données conservées en application des II bis et III ainsi que les modalités de compensation des surcoûts identifiables et spécifiques des prestations assurées à ce titre, à la demande de l’État, par les opérateurs. »
II. – (Non modifié) Le II de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, les mots : « Les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I » sont remplacés par les mots : « Dans les conditions fixées aux II bis, III et III bis de l’article L. 34-1 du code des postes et des communications électroniques, les personnes mentionnées aux 1 et 2 du I du présent article » ;
2° Les troisième et avant-dernier alinéas sont supprimés.
III. – (Non modifié) L’article L. 2321-3 du code de la défense est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, la référence : « III » est remplacée par la référence : « II bis » ;
2° Au dernier alinéa, la référence : « III » est remplacée par la référence : « VI ».
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 30 est présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 81 est présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cathy Apourceau-Poly, pour présenter l’amendement n° 30.
Mme Cathy Apourceau-Poly. Cet article a été ajouté par le Gouvernement par lettre rectificative du 12 mai 2021 et prévoit la mise en œuvre de la solution suggérée par le Conseil d’État dans sa décision French Data Network du 21 avril 2021. Nous considérons sa rédaction largement en deçà du cadre fixé par le Conseil d’État.
En effet, cet article ne modifie qu’à la marge le système existant, qui oblige les opérateurs à conserver pendant un an l’ensemble des données de connexion des populations, alors que ce système a été jugé en grande partie inconventionnel par la Cour de justice de l’Union européenne dans sa décision La Quadrature du Net du 6 octobre 2020.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour présenter l’amendement n° 81.
Mme Esther Benbassa. Cet article instaure une surveillance de masse, a priori autorisée à titre exceptionnel, mais qui sera systématisée en pratique. Ainsi, sur injonction du Premier ministre, l’ensemble des opérateurs internet et de téléphonie auront l’obligation de conserver pendant un an les données de connexion généralisées et indifférenciées d’une partie de la population.
Ces mesures de surveillance sont disproportionnées, car elles autorisent le placement sous surveillance de vastes franges de la population française, pour des motifs très larges et imprécis, et ce sans aucun contrôle judiciaire.
La conservation généralisée et indifférenciée de certaines données de trafic et de localisation peut être imposée sur injonction du Premier ministre, pour une durée maximale d’un an, renouvelable à l’issue d’un réexamen de l’état des menaces pesant sur la sécurité nationale. Seul est prévu un recours devant le Conseil d’État, après l’injonction.
En tout état de cause, cette mesure fait l’objet d’un contrôle insuffisant et viole les obligations fixées par la Cour de justice de l’Union européenne, qui exige, dans son arrêt du 21 décembre 2016, le contrôle du juge en amont ou d’une autorité administrative indépendante dotée d’un pouvoir contraignant.
Le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires demande par conséquent la suppression de cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’article 15 porte sur la conservation des données de connexion. Certes, il emprunte le chemin de crête tracé par le Conseil d’État, en application de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne. Le président de la CJUE a déclaré que la décision du Conseil d’État était conforme à celui de la Cour de justice.
Le dispositif n’est pas parfait, mais il sauvegarde l’essentiel, en particulier pour les services de renseignement.
Nous sommes donc défavorables à sa suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 30 et 81.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 93 rectifié est présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 105 est présenté par Mme Canayer et M. Daubresse, au nom de la commission des lois.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
I. – Alinéa 7
Après le mot :
criminalité
insérer les mots :
et la délinquance
II. – Alinéa 12
Après le mot :
criminalité
insérer les mots :
et de la délinquance
La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour présenter l’amendement n° 93 rectifié.
M. Jean-Yves Leconte. Cet article est très important, car il tire les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, qui interdit de continuer à demander aux opérateurs de téléphonie de conserver les données de connexion.
Les enquêtes judiciaires donnent lieu tous les ans à deux millions de réquisitions portant sur des données de connexion. Quatre enquêtes judiciaires sur cinq sont concernées par cette procédure, qui est remise en cause par l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne.
Préoccupés par le manque d’outils permettant de poursuivre les enquêtes et par la faible robustesse des dispositions du Gouvernement, nous essayons, à travers cet amendement, d’améliorer quelque peu le dispositif. Nous proposons ainsi d’étendre ces dispositions, réservées aux besoins de la lutte contre la criminalité grave, à la délinquance grave.
Permettez-moi de vous faire part de deux réflexions sur l’article 15.
L’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne concerne non pas uniquement la France, mais bien tous les pays européens. Or on nous demande de tirer les conséquences de cet arrêt sans avoir effectué d’étude sérieuse sur la manière dont sont conduites les enquêtes judiciaires dans l’ensemble des pays européens, qui sont soumis à la même contrainte. Comment peut-on tirer les conséquences de cet arrêt sans aucune étude d’impact sérieuse sur ce sujet ? La Conférence nationale des procureurs de la République a marqué son inquiétude réelle sur ce point.
Nous essayons, dans la mesure du possible, d’améliorer le texte, mais ce ne sera probablement pas suffisant. Il est possible qu’un certain nombre d’enquêtes soient fragilisées par le manque de robustesse des dispositions telles qu’elles sont proposées par le Gouvernement.
Il me semble que le droit européen, lorsqu’il pose problème à de nombreux États européens, doit être changé. La sécurité nationale ne relève pas des compétences de l’Union européenne, aussi la Cour de justice juge-t-elle en se fondant sur ce dont elle dispose, à savoir le droit européen, lequel est d’abord constitué de régulations économiques et du règlement général sur la protection des données (RGPD). Il est assez normal qu’on en arrive là, car elle ne prend pas en compte la sécurité nationale.
M. le président. Il faut conclure, cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. Il nous faut donc réfléchir à la manière de faire évoluer le droit européen sur ce sujet. Aujourd’hui, il est insuffisant. Cet amendement vise à améliorer la situation.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur, pour présenter l’amendement n° 105 et donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 93 rectifié.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’article 15 sur la conservation des données de connexion emprunte une voie faible et bien bornée par l’arrêt de la CJUE et par la décision du Conseil d’État.
Néanmoins, lors des auditions, une difficulté réelle est apparue pour les enquêtes de police judiciaire diligentées par les procureurs de la République. Ces derniers ne pourront plus recourir à des réquisitions de données de connexion dans le cadre d’enquêtes liées à la criminalité ordinaire. En effet, le dispositif mis en place par l’article 15 se limite à la criminalité grave.
C’est la raison pour laquelle il nous a paru important de mieux définir la notion de criminalité grave et d’étendre les dispositions de cet article à la délinquance grave. Tel est le sens de l’amendement que je vous propose. Je remercie d’ailleurs M. Leconte d’avoir rendu son amendement identique au mien. Cette extension constituera un moindre mal pour les enquêtes judiciaires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 93 rectifié et 105.
(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote sur l’article.
M. Jean-Yves Leconte. L’article 15 est réellement très important. Je ne pense pas que nous ayons épuisé le sujet, malgré nos efforts pour tenter de tenir compte de l’arrêt de la CJUE, compte tenu du droit européen tel qu’il est aujourd’hui.
Ce dispositif n’est pas très robuste : il prévoit une intervention du Premier ministre auprès du pouvoir judiciaire, ce qui pose un problème de séparation des pouvoirs !
Finalement, tout le monde tente de faire au mieux, mais le résultat n’est pas génial. Pour parvenir à améliorer le dispositif, il nous faut regarder ce que font nos partenaires européens, soumis aux mêmes contraintes, et probablement nous interroger sur une extension des compétences européennes à la sécurité nationale.
On touche, en effet, au paradoxe suivant : parce que nous avons voulu priver l’Union européenne de toute compétence en matière de sécurité nationale, l’Union européenne nous pose problème in fine. Il faudrait donc donner des compétences dans ce domaine à l’Union européenne afin de renforcer notre souveraineté. Comme sur de nombreux sujets de la construction européenne, il faut accepter d’aller plus loin ensemble.
Je ne pense pas que l’article 15 soit réellement la panacée, mais c’est ce qu’on peut faire de mieux en l’état actuel du droit européen. Ce dernier n’est pas un droit divin ; on peut le modifier si on le souhaite. Nombreux sont nos partenaires européens qui font face à la même difficulté que nous, tous veulent lutter contre la criminalité organisée. Il est donc indispensable d’adopter des dispositions pour permettre les enquêtes.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote sur l’article.
Mme Nathalie Goulet. La Belgique a purement et simplement annulé les dispositions de sa loi du 29 mai 2016. De son côté, le Royaume-Uni, bien qu’il soit tenu par cette décision, n’a pas l’intention de l’appliquer. Enfin, l’Allemagne a actuellement une affaire pendante.
Je tenais à soulever ces questions de souveraineté et de droit européen auprès de Mme la ministre, telles qu’elles ont été débattues, le 10 juin dernier, lors d’une table ronde organisée par la commission des affaires européennes et la commission des lois du Sénat.
Il faut que le politique reprenne la main sur les dispositions relatives au terrorisme, car il nous faut être sur la même ligne que nos voisins européens. On ne peut pas avancer en ordre dispersé sur ces questions très importantes.
M. le président. Je mets aux voix l’article 15, modifié.
(L’article 15 est adopté.)
Article 16
(Non modifié)
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° L’article L. 821-1 est ainsi modifié :
a) Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l’autorisation est délivrée après un avis défavorable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement, le Conseil d’État est immédiatement saisi par le président de la commission ou, à défaut, par l’un des membres de la commission parmi ceux mentionnés aux 2° et 3° de l’article L. 831-1 du présent code. La formation spécialisée mentionnée à l’article L. 773-2 du code de justice administrative, le président de la formation restreinte mentionnée au même article L. 773-2 ou le membre qu’il délègue statue dans un délai de vingt-quatre heures à compter de cette saisine. La décision d’autorisation du Premier ministre ne peut être exécutée avant que le Conseil d’État ait statué, sauf en cas d’urgence dûment justifiée et si le Premier ministre a ordonné sa mise en œuvre immédiate. » ;
b) Au début du second alinéa, les mots : « Ces techniques » sont remplacés par les mots : « Les techniques de recueil de renseignement » ;
2° L’article L. 821-5 est abrogé ;
3° L’article L. 821-7 est ainsi modifié :
a) La dernière phrase du premier alinéa est supprimée ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le caractère d’urgence mentionné à la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article L. 821-1 ne peut être invoqué pour les autorisations concernant l’une des personnes mentionnées au premier alinéa du présent article ou ses véhicules, ses bureaux ou ses domiciles. » ;
4° L’article L. 833-9 est ainsi modifié :
a) Le 5° est abrogé ;
b) Le 6° devient le 5° ;
5° Le II de l’article L. 851-2 est abrogé ;
6° Le V de l’article L. 851-3 est ainsi rédigé :
« V. – Le caractère d’urgence mentionné à la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article L. 821-1 ne peut être invoqué pour les autorisations délivrées sur le fondement des I et II du présent article. » ;
7° Après le IV de l’article L. 853-1, il est inséré un IV bis ainsi rédigé :
« IV bis. – Le caractère d’urgence mentionné à la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article L. 821-1 ne peut être invoqué que si l’autorisation prévue au présent article a été délivrée au titre du 1°, du 4° ou du a du 5° de l’article L. 811-3. » ;
8° Après le IV de l’article L. 853-2, il est inséré un IV bis ainsi rédigé :
« IV bis. – Le caractère d’urgence mentionné à la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article L. 821-1 ne peut être invoqué que si l’autorisation prévue au présent article a été délivrée au titre du 1°, du 4° ou du a du 5° de l’article L. 811-3. » ;
9° Le second alinéa du III de l’article L. 853-3 est ainsi rédigé :
« Le caractère d’urgence mentionné à la dernière phrase du deuxième alinéa de l’article L. 821-1 ne peut être invoqué que si l’autorisation prévue au présent article a été délivrée au titre du 1°, du 4° ou du a du 5° de l’article L. 811-3. Lorsque l’introduction mentionnée au I du présent article porte sur un lieu privé à usage d’habitation, le caractère d’urgence ne peut être invoqué que si l’autorisation a été délivrée au titre du 4° de l’article L. 811-3. »
M. le président. L’amendement n° 32, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…) Au premier alinéa, après le mot : « avis » , il est inséré le mot : « conforme » ;
La parole est à M. Pierre Laurent.
M. Pierre Laurent. Cet amendement vise à prévoir que l’avis du Premier ministre doit être conforme à celui qui est rendu par la CNCTR.
Selon la CNIL, l’article 16, tel qu’il est rédigé, permet formellement au Premier ministre d’autoriser la mise en œuvre immédiate d’une technique de renseignement, même après un avis défavorable de la CNCTR.
Nous recommandons donc qu’il soit interdit au Premier ministre, sauf dans certains cas d’urgence absolue, d’autoriser la mise en œuvre d’une telle technique après un avis défavorable de la CNCTR.
Le Conseil d’État avait par ailleurs exigé, dans son arrêt du 21 avril 2021, un contrôle préalable par une autorité administrative indépendante dotée d’un pouvoir d’avis conforme ou par une juridiction.
En outre, la Cour européenne des droits de l’homme a rendu, le 25 mai, un arrêt Big Brother Watch et autres c. Royaume-Uni, dans lequel elle exige que les activités d’interception en masse soient soumises à l’autorisation d’une autorité indépendante dès le départ, dès la définition de l’objet et de l’étendue de l’opération.
Sur le fondement de ces recommandations, nous proposons que le projet de loi prévoie un avis conforme de la CNCTR, lequel avis deviendrait ainsi contraignant pour la mise en œuvre, sur le territoire national, d’une technique de renseignement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, qui est satisfait en pratique.
En effet, l’article 16 prévoit un recours systématique devant le Conseil d’État en cas de refus du Premier ministre de suivre l’avis de la CNCTR.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 83, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Alinéa 4, dernière phrase
Supprimer les mots :
, sauf en cas d’urgence dûment justifiée et si le Premier ministre a ordonné sa mise en œuvre immédiate
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Alors que l’arrêt du 6 octobre 2020 de la Cour de justice de l’Union européenne et celui du Conseil d’État du 21 avril 2021 allaient tous deux dans le sens d’un contrôle préalable par une autorité administrative indépendante dotée d’un pouvoir d’avis conforme ou une juridiction en matière de surveillance et de renseignement, le présent article, encore une fois, ne confère pas d’avis contraignant à l’avis du CNCTR.
Comme cela a été dit précédemment, en cas d’urgence dûment justifiée et si le Premier ministre a ordonné la mise en œuvre immédiate de la technique autorisée, il est possible de passer outre le caractère suspensif de la saisine du Conseil d’État.
Afin de renfoncer le contrôle préalable, le présent amendement tend à mettre fin à la mise en œuvre de la technique de renseignement tant que le Conseil d’État n’a pas statué sur sa légalité. Cet amendement vise à supprimer la possibilité de passer outre cette garantie procédurale essentielle.
Il s’agit ici de mettre notre droit interne en conformité avec l’arrêt de la CJUE précité, qui permet la conservation généralisée et indifférenciée des données de connexion autres que les adresses IP « aux seules fins de sauvegarde de la sécurité nationale lorsqu’un État est confronté à une menace grave pour la sécurité nationale qui s’avère réelle et actuelle ou prévisible, sur injonction d’une autorité publique, soumise à un contrôle effectif d’une juridiction ou d’une autorité administrative indépendante ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Même avis : défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 86, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Les personnes concernées par les mesures prévues au présent article sont informées de leur fin une fois les mesures levées. » ;
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent amendement tend à mettre en place un droit d’information des personnes concernées par les mesures prévues à l’article 16. En effet, quand une personne fait l’objet de mesures de surveillance, elle n’est pas avertie lorsqu’il y est mis fin.
L’objectif du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires est donc de renforcer le droit d’information en matière de surveillance, car nous estimons qu’il est tout à fait normal que l’intéressé soit au fait de la situation dans laquelle il se trouve à l’égard du renseignement.
Le présent amendement vise donc à faire en sorte que les personnes concernées soient informées le moment venu de la levée des mesures dont elles font l’objet.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, qu’elle juge potentiellement dangereux.
En effet, une personne peut faire l’objet d’autres techniques de renseignement à l’issue de la levée d’une première mesure de surveillance. Dans ce cas, il est inutile de l’en informer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 62 rectifié, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Le précédent alinéa s’applique sans préjudice des dispositions de l’article L. 773-7 du code de la justice administrative. » ;
La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Nous sommes favorables au principe de l’article 16, qui vient renforcer le contrôle préalable de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement sur le territoire national, en conférant un caractère contraignant à ses avis, tout en ménageant une exception en cas d’urgence.
Toutefois, il nous paraît nécessaire d’articuler strictement les prérogatives constitutionnelles de l’exécutif et les pouvoirs de contrôle dont est dotée la CNCTR – autorité administrative indépendante –, combinés avec le recours éventuel au Conseil d’État en cas de désaccord avec le Premier ministre.
Le recours à la procédure d’urgence soulève des interrogations légitimes, en particulier au regard de l’existence d’un réel contrôle a posteriori.
Nous avons bien conscience qu’il n’est pas possible de limiter les conditions dans lesquelles l’urgence pourrait être invoquée par le Premier ministre ou de lui imposer un avis conforme en vertu des articles 20 et 21 de la Constitution, s’agissant en outre d’une matière relevant de la police administrative. Il importe néanmoins de rappeler que, en tout état de cause, dans l’hypothèse où le Conseil d’État, saisi par la CNCTR, jugerait que la technique de renseignement a été mise en œuvre sans urgence suffisamment caractérisée, il pourra, en application de l’article L. 773-7 du code de justice administrative, annuler l’autorisation délivrée par le Premier ministre et ordonner la destruction des renseignements irrégulièrement collectés.
Nous proposons donc, par cet amendement, de rappeler que la procédure prévue à l’article 16 s’appliquera sans préjudice des dispositions de l’article L. 773-7 du code de justice administrative.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’amendement paraît satisfait et la précision superfétatoire. Je demande donc son retrait ; à défaut, l’avis sera défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, ministre. Pour ma part, je comprends les motivations des auteurs de l’amendement. Celui-ci pourrait, me semble-t-il, être adopté sous réserve d’une précision complémentaire.
Ainsi, monsieur le sénateur Leconte, vous proposez de faire référence à l’article L. 773-7 du code de justice administrative. Cette mention paraît insuffisante ; il conviendrait plutôt de renvoyer aux conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du même code.
Votre amendement pourrait être complété en ce sens.
Je le dis, car, si cette proposition n’est peut-être pas totalement aboutie, l’intention est tout à fait louable.
Sous réserve d’une telle rectification, l’avis est favorable.
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Monsieur le président, je demande une suspension de quelques minutes pour examiner cette proposition.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt, est reprise à vingt-trois heures vingt-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Mes chers collègues, je vous propose de réserver le vote de l’amendement n° 62 rectifié et de l’article 16, dans l’attente que soit effectuée la rectification suggérée par le Gouvernement.
Article 16 bis
Le livre VIII du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1°(nouveau) À la seconde phrase du dernier alinéa de l’article L. 832-3, après la référence : « L. 821-2 », sont insérés les mots : « et sur les avis rendus dans le cadre de la dernière phrase du premier alinéa du I de l’article L. 853-3 du code de la sécurité intérieure » ;
2° Le premier alinéa du I de l’article L. 853-3 est ainsi modifié :
a) À la seconde phrase, les mots : « l’autorisation ne peut être donnée » sont remplacés par les mots : « la mise en place et l’utilisation de ces dispositifs ne peuvent être autorisées » ;
b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « La maintenance et le retrait de ces mêmes dispositifs peuvent être autorisés après avis exprès rendu dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 832-3. » – (Adopté.)
Article 17
La section 8 du chapitre II du titre XXV du livre IV du code de procédure pénale est complétée par un article 706-105-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-105-1. – I. – Par dérogation à l’article 11, le procureur de la République de Paris peut, pour les procédures d’enquête ou d’instruction entrant dans le champ d’application de l’article 706-72-1, communiquer aux services de l’État mentionnés au second alinéa de l’article L. 2321-2 du code de la défense, de sa propre initiative ou à la demande de ces services, des éléments de toute nature figurant dans ces procédures et nécessaires à l’exercice de leur mission en matière de sécurité et de défense des systèmes d’information. Si la procédure fait l’objet d’une information, cette communication ne peut intervenir que sur avis favorable du juge d’instruction.
« Le juge d’instruction peut également procéder à cette communication, dans les mêmes conditions et pour les mêmes finalités que celles mentionnées au premier alinéa du présent I, pour les procédures d’information dont il est saisi, après avoir recueilli l’avis du procureur de la République de Paris.
« II. – Par dérogation à l’article 11, le procureur de la République de Paris peut, pour les procédures d’enquête ou d’instruction relevant de la compétence des juridictions mentionnées au dernier alinéa de l’article 706-75 et portant sur les infractions mentionnées aux 3°, 5°, 12° et 13° de l’article 706-73 ainsi que sur le blanchiment de ces infractions, communiquer aux services spécialisés de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure ainsi qu’aux services mentionnés à l’article L. 811-4 du même code désignés, au regard de leurs missions, par décret en Conseil d’État, de sa propre initiative ou à la demande de ces services, des éléments de toute nature figurant dans ces procédures et nécessaires à l’exercice des missions de ces services au titre de la prévention de la criminalité et de la délinquance organisées. Si la procédure fait l’objet d’une information, cette communication ne peut intervenir que sur avis favorable du juge d’instruction.
« Le juge d’instruction peut également procéder à cette communication, dans les mêmes conditions et pour les mêmes finalités que celles mentionnées au premier alinéa du présent II, pour les procédures d’information dont il est saisi, après avoir recueilli l’avis du procureur de la République de Paris.
« III. – Les informations communiquées en application du présent article ne peuvent faire l’objet d’un échange avec des services de renseignement étrangers ou avec des organismes internationaux compétents dans le domaine du renseignement.
« Sauf si l’information porte sur une condamnation prononcée publiquement, toute personne qui en est destinataire est tenue au secret professionnel, dans les conditions et sous les peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal. » – (Adopté.)
Article 17 bis
L’article 6 nonies de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) Après le mot : « renseignement », la fin de la première phrase du deuxième alinéa est ainsi rédigée : « , évalue la politique publique en ce domaine et assure un suivi des enjeux d’actualité et des défis futurs qui s’y rapportent. » ;
b) Après le 6°, il est inséré un 7° ainsi rédigé :
« 7° Sur une base semestrielle, la liste des rapports de l’inspection des services de renseignement ainsi que des rapports des services d’inspection générale des ministères portant sur les services de renseignement qui relèvent de leur compétence, produits au cours du semestre précédent. » ;
c) L’avant-dernier alinéa est ainsi rédigé :
« La délégation peut, dans la limite de son besoin d’en connaître, solliciter du Premier ministre la communication de tout ou partie des rapports mentionnés au 7° du présent I ainsi que de tout autre document, information et élément d’appréciation nécessaire à l’accomplissement de sa mission. » ;
2° Le III est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est remplacé par neuf alinéas ainsi rédigés :
« III. – La délégation peut entendre :
« 1° Le Premier ministre ;
« 2° Les membres du Gouvernement et leur directeur de cabinet ;
« 3° Le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale ;
« 4° Le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme ;
« 5° Le directeur de l’Académie du renseignement ;
« 6° Les directeurs en fonction des services mentionnés au I, accompagnés des collaborateurs de leur choix en fonction de l’ordre du jour de la délégation, ainsi que toute personne placée auprès de ces directeurs et occupant un emploi pourvu en conseil des ministres ;
« 7° Toute personne exerçant des fonctions de direction au sein des services mentionnés au même I ou du service du Premier ministre mentionné à l’article L. 851-1 du code de la sécurité intérieure, en présence de sa hiérarchie, sauf si celle-ci y renonce ;
« 8° Les directeurs des autres administrations centrales ayant à connaître des activités des services de renseignement. » ;
b) Le deuxième alinéa est supprimé ;
c) Au début du troisième alinéa, le mot : « Elle » est remplacé par les mots : « La délégation » ;
d) Après le même troisième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sans préjudice du dernier alinéa du I du présent article, la délégation peut inviter le coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme à lui présenter chaque année le plan national d’orientation du renseignement. » ;
3° (nouveau) À la seconde phrase du second alinéa du VI, le mot : « transmet » est remplacé par le mot : « présente ».
M. le président. L’amendement n° 48, présenté par MM. Vaugrenard et Leconte, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 3
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
…) Le 6° est ainsi rédigé :
« 6° Les recommandations et observations que la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement adresse au Premier ministre en application des articles L. 833-6 et L. 855-1 C du même code ; »
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Dans son dernier rapport, la délégation parlementaire au renseignement a formulé plusieurs recommandations visant à améliorer son information et, donc, à renforcer ses pouvoirs de contrôle. Elle propose ainsi d’être informée des recommandations adressées par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement à l’exécutif tendant à l’interruption de la mise en œuvre d’une technique de renseignement et à la destruction des renseignements collectés en cas d’irrégularité constatée.
Il est effectivement essentiel pour la DPR de disposer, chaque année, d’un bilan des recommandations adressées par l’autorité administrative indépendante, et ce afin de savoir si des techniques de renseignement ont été accordées, mises en œuvre ou exploitées en méconnaissance du code de la sécurité intérieure. Les membres de la délégation, en leur qualité de législateurs et au regard de leur mission de contrôle de la politique publique du renseignement, doivent avoir accès à ces éléments. Ainsi, ils peuvent être tenus informés d’éventuels contournements du cadre juridique qu’ils ont posé et, le cas échéant, apporter les modifications législatives nécessaires.
J’insiste sur le fait que cette recommandation a recueilli l’unanimité au sein de la délégation parlementaire au renseignement.
Dans le bilan demandé, il ne sera fait mention d’aucun élément permettant aux membres de la délégation de connaître d’une opération en cours ou d’une méthode opérationnelle. Il s’agira essentiellement de préciser les services, les techniques de renseignement et les finalités concernés par lesdites recommandations.
Pour rappel, les membres de la délégation, de même que les fonctionnaires composant son secrétariat, sont habilités au niveau « secret-défense ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. L’article 17 bis est le fruit d’un compromis porté par la délégation parlementaire au renseignement sur l’extension de ses pouvoirs de contrôle et de surveillance.
S’il était adopté, votre amendement, monsieur Vaugrenard, imposerait de communiquer à ses membres des informations sur des opérations en cours, ce qui semble poser un certain nombre de problèmes.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 84, présenté par Mme Benbassa, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 5
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Aux fins de mener ces missions sus-citées, la délégation peut donner des instructions générales aux services de renseignement, notamment en ce qui concerne les stratégies d’alliance avec d’autres services de renseignement. » ;
II. – Après l’alinéa 7
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…° La première phrase du premier alinéa du II est ainsi modifiée :
a) Les mots : « quatre députés et de quatre sénateurs » sont remplacés par les mots : « dix députés et de dix sénateurs » ;
b) Sont ajoutés les mots : « , les groupes d’opposition et minoritaires doivent être représentés » ;
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Le présent amendement, inspiré du travail mené sur le sujet à l’Assemblée nationale, tend à modifier la composition de la délégation parlementaire au renseignement et à renforcer ses prérogatives.
La délégation parlementaire au renseignement n’est actuellement composée que de quatre députés et quatre sénateurs, dont les présidents des commissions permanentes chargées des affaires de sécurité intérieure et de défense, qui en sont membres de droit. Par le présent amendement, nous souhaitons donc renforcer son effectif et le porter de huit à vingt membres, afin d’accroître le pluralisme politique de cet organe et de permettre la représentation des groupes minoritaires et de l’opposition.
Pour gagner en effectivité, la délégation parlementaire au renseignement doit également disposer d’un pouvoir d’injonction renforcé et être en mesure de donner des instructions générales aux services de renseignement.
Tel est l’objet du présent amendement.
M. le président. L’amendement n° 31 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
I. – Après l’alinéa 7
Insérer trois alinéas ainsi rédigé :
…° Le II est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa, les mots : « quatre députés et de quatre sénateurs » sont remplacés par les mots : « vingt-et-un députés et de vingt-et-un sénateurs » ;
b) La première phrase du second alinéa est complétée par les mots : « , chaque groupe d’opposition et minoritaire devant disposer de droit d’un membre » ;
II. – Après l’alinéa 18
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
« …° Tout agent des services de renseignement ;
« …° Les membres du collège de la Commission nationale du contrôle des techniques de renseignement. » ;
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Nous estimons nous aussi que la délégation parlementaire au renseignement n’est pas à même, telle qu’elle est actuellement composée, de remplir pleinement sa mission.
Je rappelle que cette délégation, commune à l’Assemblée nationale et au Sénat, est composée de seulement quatre députés et quatre sénateurs. La faiblesse de son effectif et le fait que les présidents des commissions permanentes chargées des affaires de sécurité intérieure et de défense en soient membres de droit privent effectivement l’opposition et les groupes minoritaires, dans les faits, d’une représentation.
Il nous paraît donc impératif d’étendre la composition de la délégation parlementaire au renseignement, d’une part, pour renforcer le caractère démocratique de cet organe et, d’autre part, pour gagner en effectivité du contrôle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La composition de la délégation parlementaire au renseignement paraît aujourd’hui équilibrée, avec quatre députés et quatre sénateurs, et cette délégation est ouverte à tous les groupes – majorité et opposition – dans les deux assemblées. Il ne paraît pas opportun de remettre en cause cet équilibre. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 84.
De même, elle est défavorable à l’amendement n° 31, qui, en outre, vise à transformer la délégation en commission chargée du renseignement. Ce n’est pas l’objectif qui a été retenu !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 49, présenté par MM. Vaugrenard et Leconte, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
b) Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« La délégation entend le Premier ministre, chaque année, sur le réexamen périodique de l’existence d’une menace pour la sécurité nationale justifiant la conservation généralisée des données de connexion. » ;
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Pour répondre aux exigences de la Cour de justice de l’Union européenne, le Conseil d’État, dans sa décision du 21 avril 2021, a imposé au Gouvernement de procéder, sous le contrôle du juge administratif, à un réexamen périodique de l’existence d’une menace pour la sécurité nationale afin de justifier la conservation généralisée des données de connexion imposée aux opérateurs par le droit français.
Voilà six ans, le Parlement avait prévu une disposition permettant à la délégation parlementaire au renseignement d’auditionner, chaque semestre, le Premier ministre sur l’application des dispositions de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. En première lecture, curieusement, l’Assemblée nationale a supprimé cette disposition.
Il serait néanmoins utile de la remplacer par une audition annuelle du Premier ministre sur le réexamen périodique de l’état de la menace, qui sous-tend le maintien de la conservation généralisée des données de connexion, comme l’exigent la CJUE et le Conseil d’État. Il importe, en effet, qu’un contrôle parlementaire puisse s’exercer sur le sujet et que l’exécutif motive sa position.
À ce titre, il est proposé que la délégation parlementaire au renseignement, seule instance bicamérale habilitée à connaître d’informations classifiées – je répète que ses membres et son secrétariat sont habilités au niveau « secret-défense » –, puisse s’enquérir de l’évolution de la menace à l’occasion d’une audition annuelle du chef du Gouvernement, couverte par le secret de la défense nationale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Il est défavorable. Cette audition annuelle du Premier ministre ne paraît pas essentielle et, de toute façon, la délégation a aujourd’hui la possibilité d’auditionner tous les ministres, dont le Premier ministre, quand elle le souhaite.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 17 bis.
(L’article 17 bis est adopté.)
Article 16 (suite)
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 62 rectifié bis, présenté par MM. Leconte et Vaugrenard, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et ainsi libellé :
Après l’alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’il est saisi en application de l’alinéa précédent, le Conseil d’État statue dans les conditions prévues au chapitre III bis du titre VII du livre VII du code de justice administrative. » ;
Quel est l’avis de la commission sur cet amendement ainsi rectifié ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Favorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 16, modifié.
(L’article 16 est adopté.)
Articles additionnels après l’article 17 bis
M. le président. L’amendement n° 50, présenté par MM. Vaugrenard et Leconte, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 17 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 833-6 du code de la sécurité intérieure est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Chaque année, la commission adresse un bilan de ses recommandations à la délégation parlementaire au renseignement. »
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Il s’agit d’un amendement de coordination avec l’amendement n° 48 présenté à l’article 17 bis.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 51, présenté par MM. Vaugrenard et Leconte, Mme S. Robert, M. Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Todeschini, Roger et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Marie et Sueur, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. Temal, M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 17 bis
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa du I de l’article L. 861-3 du code de la sécurité intérieure est complété par les mots : « ainsi que la délégation parlementaire au renseignement ».
La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Dans la même logique que précédemment, il s’agit de poursuivre l’amélioration de l’information et, en conséquence, le renforcement du pouvoir de contrôle de la délégation parlementaire au renseignement, en lui permettant d’être destinataire des saisines du procureur de la République par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
Ce dispositif d’alerte, mis en place dans le cadre de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, n’a jamais trouvé à s’appliquer jusqu’à présent. Néanmoins, une telle disposition apporterait de la cohérence au renforcement des pouvoirs de contrôle de la politique publique du renseignement par la délégation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. De nouveau, l’adoption de cet amendement obligerait à transmettre à la délégation parlementaire au renseignement des informations sur les opérations en cours, ce qui n’est pas envisageable.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 51.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Article 17 ter A (nouveau)
Le second alinéa du VI de l’article 154 de la loi n° 2001-1275 du 28 décembre 2001 de finances pour 2002 est ainsi rédigé :
« Le rapport est présenté, par le président de la commission, aux membres de la délégation parlementaire au renseignement qui ne sont pas membres de la commission, ainsi qu’au président du Sénat, au président de l’Assemblée nationale et aux présidents et rapporteurs généraux des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat chargées des finances, autorisés à cet effet à connaître ès qualités des informations du rapport protégées au titre de l’article 413-9 du code pénal. Le rapport est également remis au Président de la République et au Premier ministre. » – (Adopté.)
Article 17 ter
(Non modifié)
Le premier alinéa de l’article L. 854-9 du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° À la première phrase, les mots : « délais prévus » sont remplacés par les mots : « conditions prévues » ;
2° Après la même première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Lorsque l’autorisation mentionnée au V de l’article L. 854-2 est délivrée après un avis défavorable de la commission, la procédure prévue au deuxième alinéa de l’article L. 821-1 est applicable. » ;
3° Au début de la deuxième phrase, le mot : « Elle » est remplacé par les mots : « La commission ». – (Adopté.)
Article additionnel après l’article 17 ter
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 34 rectifié, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Après l’article 17 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les moyens affectés au renseignement humain, en particulier à l’échelle territoriale et sur les formations dispensées aux agents de renseignement.
La parole est à Mme Michelle Gréaume.
Mme Michelle Gréaume. Nous souhaitons que, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remette au Parlement un rapport sur les moyens affectés au renseignement humain, en particulier à l’échelon territorial, et sur les formations dispensées aux agents de renseignement.
La remise de ce rapport permettrait d’envisager un renforcement du renseignement humain, plutôt que de miser sur un renseignement complètement automatisé, avec l’avènement, au travers du présent projet de loi, de techniques intrusives et nuisibles à la protection des données personnelles.
On pourrait notamment établir que, depuis 2002, les policiers subissent la politique du chiffre, une politique exacerbée du fait de l’état d’urgence et axée sur le tout-sécuritaire.
Or leur rôle est aussi de travailler au plus près de la population, pour prévenir et lutter contre les crimes, les délits, mais aussi toute forme de radicalisation, en récupérant les renseignements à la source et en collaborant avec nos services de renseignement.
M. le président. L’amendement n° 91 rectifié, présenté par Mmes Benbassa et Taillé-Polian, M. Benarroche et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’article 17 ter
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les moyens affectés au renseignement humain, en particulier à l’échelle territoriale et sur les formations dispensées aux agents de renseignement.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Au moment où le Gouvernement souhaite faire de la surveillance technologique une priorité en misant sur des moyens numériques de surveillance et de collecte de données, il est important de valoriser le renseignement humain.
Aujourd’hui, nous observons une nette progression des nouvelles technologies, avec la montée en puissance de métiers liés à la cybersécurité, la surveillance des télécommunications, la cyber-infiltration ou encore la mise en œuvre d’anonymisation via les crypto-monnaies.
Pourtant, selon un article du Monde de 2019, 58 des 59 attentats déjoués entre 2013 et 2019 l’ont été grâce au renseignement humain. Si, à l’ère numérique, le rôle des nouvelles technologies au service de la lutte antiterroriste est important, ces dernières ne doivent pas justifier l’extension de la surveillance de masse.
Certes, les outils de surveillance apportent une aide au renseignement français, mais l’intervention humaine est décisive et c’est elle qui permet de déjouer des projets terroristes.
De plus, si dans son rapport de mai 2020, intitulé Les moyens de la lutte contre le terrorisme, la Cour des comptes faisait état de l’augmentation par direction et par service des effectifs du Service central du renseignement territorial, des antennes du renseignement territorial et des cellules de renseignement départementales, nous ne disposons actuellement, en tant que parlementaires, d’aucune information précise sur les moyens affectés au renseignement humain et à la lutte antiterroriste.
Cet amendement vise à rappeler l’importance capitale du renseignement humain à l’échelon territorial pour déjouer les projets d’attentat. L’établissement d’un rapport sur ce sujet permettrait d’avoir une connaissance réelle des effectifs exclusivement consacrés à la lutte contre le terrorisme et des missions précises qui leur sont assignées.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission est défavorable à ces deux amendements portant demande de rapport au Parlement. Je précise que la délégation parlementaire au renseignement établit chaque année un rapport. Jeudi prochain, sera d’ailleurs rendu le rapport sur le renseignement territorial, qui sera en grande partie public et consultable par tous les parlementaires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 91 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Chapitre III
Dispositions relatives à la lutte contre les aéronefs circulant sans personne à bord et présentant une menace
Article 18
(Non modifié)
L’article L. 33-3-1 du code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° Au I, les mots : « appareils de communications électroniques » sont remplacés par les mots : « équipements radioélectriques ou des appareils intégrant des équipements radioélectriques » ;
2° Le II est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’utilisation par les services de l’État de dispositifs destinés à rendre inopérant l’équipement radioélectrique d’un aéronef circulant sans personne à bord est autorisée, en cas de menace imminente, pour les besoins de l’ordre public, de la défense et de la sécurité nationales ou du service public de la justice ou afin de prévenir le survol d’une zone en violation d’une interdiction prononcée dans les conditions prévues au premier alinéa de l’article L. 6211-4 du code des transports. Un décret en Conseil d’État détermine les modalités de mise en œuvre de ces dispositifs, afin de garantir leur nécessité et leur proportionnalité au regard des finalités poursuivies, ainsi que les autorités compétentes pour y procéder. »
M. le président. L’amendement n° 33, présenté par Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. L’article 18 du projet de loi prévoit la création d’une base légale permettant l’usage de dispositifs de brouillage afin de lutter contre les drones malveillants qui pourraient constituer une menace contre les personnes ou les biens, « pour les besoins de l’ordre public, de la défense et de la sécurité nationales ou du service public de la justice ou afin de prévenir le survol d’une zone en violation d’une interdiction temporaire […] ».
Il s’agit, ni plus ni moins, de légaliser les brouilleurs que l’article L. 33–3–1 du code des postes et des communications électroniques interdisait jusqu’à présent, sauf à titre dérogatoire, et ce, d’ailleurs, uniquement pour les téléphones portables.
Après avoir tenté d’instaurer un cadre légal pour son propre usage de drones afin de surveiller les populations, avant d’être désavoué par le Conseil constitutionnel, le Gouvernement prévoit aujourd’hui un cadre de non-utilisation pour les citoyens.
On pense à certaines finalités politiques, notamment à la lecture du rapport de la commission des lois, qui apporte quelques explicitations. Je le cite : « Compte tenu du nombre élevé de survols illicites de zones interdites (dont des centrales nucléaires ou des prisons) constatés chaque année et de l’utilisation connue de drones sur les théâtres d’opérations extérieures, il est nécessaire de se doter d’un cadre légal permettant l’usage de dispositifs de brouillage par les services de l’État. »
Cet article pose également la question de l’étendue des brouillages. Le Commissariat aux communications électroniques de défense et l’Agence nationale des fréquences s’en assureront sans doute, mais il y a fort à craindre que les opérations ponctuelles de brouillage n’aient un effet, même réduit, sur les fréquences tierces. Cela nous renvoie, une fois de plus, à la question de l’équilibre – délicat, mais pourtant indispensable à trouver – entre libertés individuelles et protections collectives.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Marc-Philippe Daubresse, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Jusqu’à présent, madame Cukierman, je comprenais les positions de votre groupe ; elles étaient cohérentes avec vos positions précédentes. Mais quand vous affirmez que le Gouvernement instaure « un cadre de non-utilisation pour les citoyens », alors que nous parlons de drones malveillants…
Effectivement, la commission des lois a établi un rapport, dans lequel on peut lire que 335 survols illicites ont été relevés par le ministère de l’intérieur et 54 par le ministère de la justice en 2019. Que fera-t-on si, demain, on assiste à l’irruption d’un drone lors de la Coupe du monde de rugby ou des jeux Olympiques ? On a bien vu récemment un ULM atterrir dans un stade de football !
Il faut donc un cadre légal et le projet de loi propose un encadrement strict : le brouillage ne peut être utilisé que par les services de l’État, en cas de menace imminente et pour certaines finalités seulement – dont la prévention du survol de zones d’interdiction temporaire.
L’équilibre atteint est tout à fait acceptable, entre protection des libertés publiques et lutte contre les drones malveillants. J’émets donc un avis défavorable sur l’amendement n° 33.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 18.
(L’article 18 est adopté.)
Chapitre IV
Dispositions relatives aux archives intéressant la défense nationale
Article 19
I. – L’article L. 213-2 du code du patrimoine est ainsi modifié :
1° Le I est ainsi modifié :
a) À la première phrase du premier alinéa du 3°, après le mot : « nationale », sont insérés les mots : « et ayant pour ce motif fait l’objet d’une mesure de classification mentionnée à l’article 413-9 du code pénal ou portant atteinte » et sont ajoutés les mots : « du présent I » ;
b) Le second alinéa du même 3° est remplacé par six alinéas ainsi rédigés :
« Ce délai est prolongé pour les documents dont la communication porte atteinte aux intérêts mentionnés au premier alinéa du présent 3° et qui :
« a) Sont relatifs aux caractéristiques techniques des installations militaires, des installations et ouvrages nucléaires civils, des barrages hydrauliques de grande hauteur, des locaux des missions diplomatiques et consulaires françaises et des installations utilisées pour la détention des personnes, jusqu’à la date, constatée par un acte publié, de fin de l’affectation à ces usages de ces infrastructures ou d’infrastructures présentant des caractéristiques similaires ;
« b) Sont relatifs à la conception technique et aux procédures d’emploi des matériels de guerre et matériels assimilés mentionnés au second alinéa de l’article L. 2335-2 du code de la défense, désignés par un arrêté du ministre de la défense révisé chaque année, jusqu’à la fin de leur emploi par les forces armées et les formations rattachées mentionnées à l’article L. 3211-1-1 du même code ;
« c) Révèlent des procédures opérationnelles ou des capacités techniques des services de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure, jusqu’à la date de la perte de leur valeur opérationnelle ;
« c bis) Révèlent des procédures opérationnelles ou des capacités techniques de certains services de renseignement mentionnés à l’article L. 811-4 du même code désignés par décret en Conseil d’État, jusqu’à la date de la perte de leur valeur opérationnelle. Un décret en Conseil d’État définit les services de renseignement concernés, qui exercent une mission de renseignement à titre principal, par le présent c bis ;
« d) Sont relatifs à l’organisation, à la mise en œuvre et à la protection des moyens de la dissuasion nucléaire, jusqu’à la date de la perte de leur valeur opérationnelle ; »
c) La première phrase du second alinéa du 5° est ainsi rédigée : « Les mêmes délais s’appliquent aux documents dont la communication est de nature à porter atteinte à la sécurité de personnes nommément désignées ou facilement identifiables impliquées dans des activités de renseignement, que ces documents aient fait ou ne fassent pas l’objet d’une mesure de classification. » ;
2° Au II, après le mot : « nucléaires, », il est inséré le mot : « radiologiques, » ;
3° Il est ajouté un III ainsi rédigé :
« III. – Toute mesure de classification mentionnée à l’article 413-9 du code pénal prend automatiquement fin à la date à laquelle le document qui en a fait l’objet devient communicable de plein droit en application du présent chapitre.
« Par exception, les mesures de classification dont font l’objet, le cas échéant, les documents mentionnés au 4° du I du présent article prennent automatiquement fin dès l’expiration des délais prévus au 3° du même I. »
I bis (nouveau). – Le chapitre III du titre Ier du livre II du code du patrimoine est ainsi modifié :
1° Après l’article L. 213-3, il est inséré un article L. 213-3-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 213-3-1. – Les services publics d’archives informent les usagers par tout moyen approprié des délais de communicabilité des archives qu’ils conservent et de la faculté de demander un accès anticipé à ces archives conformément à la procédure prévue à l’article L. 213-3. » ;
2° À l’article L. 213-7, la référence : « L. 213-3 » est remplacée par la référence : « L. 213-3-1 ».
II. – Les règles de communicabilité prévues au I ne sont pas applicables aux documents n’ayant pas fait l’objet d’une mesure de classification ou ayant fait l’objet d’une mesure formelle de déclassification et pour lesquels le délai de cinquante ans prévu au 3° du I de l’article L. 213-2 du code du patrimoine, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, a expiré avant l’entrée en vigueur du présent article. Elles ne sont pas applicables non plus aux fonds ou parties de fonds d’archives publiques ayant fait l’objet, avant l’entrée en vigueur du présent article, d’une ouverture anticipée conformément au II de l’article L. 213-3 du code du patrimoine.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Olivier Cigolotti, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est consciente que le nouveau régime de communication des documents d’archives suscite des débats. L’équilibre atteint lui paraît néanmoins solide.
Permettez-moi, monsieur le président, de rappeler quelques éléments.
La mesure transitoire prévue à l’article 19 du projet de loi n’entend pas mettre un terme à la communication des documents d’archives aujourd’hui librement accessibles. Dès lors, une fois la loi promulguée, il appartiendra au service d’archive d’identifier les documents.
De plus, tous les services publics d’archive disposent aujourd’hui – ce n’était pas le cas en 2008 – de systèmes d’information archivistiques permettant une gestion optimale, car automatisée, de la collecte et de la communication des documents.
Par ailleurs, les administrations des archives ont d’ores et déjà entrepris, parallèlement à nos travaux parlementaires en cours, des repérages permettant d’identifier, notamment par le biais de leur description ou de l’identité de leurs producteurs, les fonds d’archives dont les critères de communicabilité seront susceptibles d’être modifiés par le présent texte.
Enfin, il nous semble que l’opération sera neutre pour l’usager, puisque les documents pouvant potentiellement relever des nouvelles catégories ne lui étaient déjà pas immédiatement accessibles.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, sur l’article.
M. Pierre Laurent. L’article 19 du projet de loi a effectivement provoqué la colère et l’émoi de toute la communauté scientifique et culturelle ayant recours aux archives.
Cet article, dont la présence dans un texte consacré au renseignement et à la lutte contre le terrorisme pose déjà question en soi, soulève un grave problème. Contrairement à ce que vient d’indiquer le rapporteur pour avis, il porte clairement atteinte au principe fondamental, consacré par la loi du 15 juillet 2008 relative aux archives, de libre communicabilité des archives publiques et d’accès de plein droit au-delà d’une période de cinquante ans.
Selon le Gouvernement, la communicabilité de plein droit n’est pas remise en cause, car la loi prévoyait déjà une prolongation du délai pour certaines archives sensibles. Cette argumentation est trompeuse et masque le problème que pose réellement l’article 19.
La loi protège déjà les archives les plus sensibles, notamment celles qui, dans le domaine du secret-défense, concernent le nucléaire. Il n’y a donc nul besoin, comme le prétend faussement votre ministère, madame Parly, d’ajouter quoi que ce soit au droit existant en la matière.
En revanche, l’article 19 étend les restrictions au-delà des dispositions actuelles de la loi. S’il était adopté en l’état, il organiserait une fermeture inédite des archives, en modifiant l’accès aux archives, en allongeant les délais de communication au-delà de cinquante ans, sans limites et, surtout, sur le fondement d’une autorisation administrative. C’est une remise en cause du rôle du Parlement !
D’ailleurs, s’il y avait eu un doute à l’issue du débat de l’Assemblée nationale, l’avis rendu par le rapporteur public au Conseil d’État, M. Alexandre Lallet, suffirait à balayer toute ambiguïté. En audience publique, celui-ci a rappelé que seul le délai de cinquante ans est constitutionnel et que toute restriction à ce délai pose un grave problème.
La seule manière d’apporter des garanties dans le cadre de cet article 19 est d’y indiquer clairement les critères précis qui pourraient, en raison d’une menace grave pour la sécurité nationale, appeler un allongement de délai. Tel est le sens de l’amendement que nous défendrons. D’autres seront présentés – sur les délais glissants, sur les temps de communication, etc. –, mais, en vérité, ce qu’il faut faire, c’est préciser dans la loi les critères justifiant un allongement de délai !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l’article.
M. Jean-Pierre Sueur. Nous avons beaucoup travaillé avec des universitaires et de nombreux historiens spécialistes des archives : cet article fait l’unanimité contre lui.
Madame la ministre, cinq amendements identiques ont été déposés par des sénateurs appartenant à cinq groupes différents – c’est un signe ! Nous avons travaillé ensemble. Tel qu’il est actuellement rédigé, cet article est grave et lourd de conséquences. S’il n’était pas modifié, il aurait des conséquences sur le vote du groupe socialiste sur l’ensemble du texte.
L’alinéa 5 prévoit la prorogation du délai de cinquante ans préalable à la communication de plein droit des documents dont la communication porte atteinte au secret de la défense nationale. Mais pour combien de temps ? Est-ce perpétuel ? L’article ne fixe aucune limite !
En outre, les a, b, c, c bis et d, aux alinéas suivants, déclinent un grand nombre de conditions pour l’accès aux documents concernés. Nous ne pouvons les accepter. Il est ainsi prévu que les documents qui relèvent de procédures opérationnelles ne peuvent être communiqués avant « la date de la perte de leur valeur opérationnelle ». Mais qu’est-ce que la « perte de la valeur opérationnelle » ? Et qui en décide ?
La réalité, madame la ministre, c’est que le pouvoir exécutif, ou l’un de ses représentants, décidera souverainement si l’on peut ou non accéder à tel ou tel document.
Je me souviens du vote de la grande loi de 2008 relative aux archives (Mmes Catherine Morin-Desailly et Nathalie Goulet marquent leur approbation) et du discours de Robert Badinter. Je me souviens de l’unité du Sénat, lorsqu’il a fixé le délai de cinquante ans. Bien entendu, l’intérêt majeur de la France commande certaines restrictions dans certains cas, mais nous proposons que celles-ci aient une durée limitée. Madame la ministre, c’est là une question fondamentale.
Quant à vous, mes chers collègues, je vous exhorte à ne pas accepter cet article en l’état, qui plus est dans un texte sans rapport avec la question des archives. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER, GEST. – M. Gilbert Favreau applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, sur l’article.
Mme Catherine Morin-Desailly. Ayant été rapporteure pour avis de la loi de 2008 au nom de la commission des affaires culturelles, aux côtés de René Garrec, rapporteur de la commission des lois, je ne peux qu’aller dans le sens de mes collègues.
Je regrette la manière subreptice dont l’article 19 a été introduit dans ce projet de loi, sans avis du ministère de la culture. Celui-ci est pourtant désigné comme ministère de référence par la loi de 2008. Ce n’est pas sans poser certaines questions.
Je déplore que le texte de modernisation et d’équilibre voté en 2008, qui prenait en compte les impératifs de sécurité nationale et prévoyait un régime d’exception, soit aujourd’hui battu en brèche. C’est un recul historique du principe de libre communicabilité des archives publiques !
Comme l’ont affirmé mes collègues, les associations de chercheurs, d’historiens et les services publics d’archives s’émeuvent du nouveau dispositif qui sera mis en place. Ils prennent certes acte de l’avancée importante que constitue la déclassification automatique des documents d’archives publiques à l’expiration des délais prévus par le code du patrimoine. Mais, en définitive, cette avancée ne fait que mettre fin à une pratique notoirement illégale : la fermeture de l’accès aux archives publiques – j’en veux pour preuve les récentes conclusions du rapporteur public du Conseil d’État.
En réalité, l’article 19, tel qu’il est rédigé, prévoit un allongement inédit du délai de communication d’un certain nombre de documents d’archives, avec toute la complexité que cela induit. Surtout, il tend à inverser la logique de la loi de 2008 : un mécanisme administratif prend l’ascendant sur ce qu’avait défini le législateur.
Quant aux délais glissants introduits dans le texte, ils dénaturent le régime de communicabilité en vigueur, ce qui présente divers risques : impossibilité d’accès aux documents, indétermination des délais, complexification du travail des archivistes, etc. Bref, l’article est susceptible de provoquer de nombreux effets particulièrement négatifs.
M. le président. Il faut conclure !
Mme Catherine Morin-Desailly. Sur le fondement de plusieurs principes, la loi de 2008 visait non seulement à organiser soigneusement le régime des exceptions, mais aussi à confier au ministère de la culture le soin d’organiser une coordination interministérielle. Or la ministre de la culture n’est toujours pas intervenue sur ce sujet ; j’aurais aimé que l’on puisse l’entendre.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, sur l’article.
Mme Esther Benbassa. Je constate que plusieurs groupes politiques ont présenté des amendements identiques afin de proposer une rédaction de l’article qui satisfasse les premières personnes concernées, à savoir les historiens, les chercheurs et les archivistes. L’intérêt de ces amendements est de faciliter le travail de ces personnes, qui contribuent à notre mémoire collective, en sanctuarisant l’accès aux archives publiques.
Et voilà que la majorité sénatoriale et le Gouvernement ne souhaitent pas aller dans ce sens ! Étant moi-même chercheuse et historienne, je ne peux que le regretter. Le privilège des démocraties, c’est de laisser leurs historiens écrire le passé, en regardant le présent. Il n’existe pas, à ma connaissance, d’historiens désireux d’écrire des livres qui compromettent la sûreté nationale de leur pays…
J’ajoute que l’on n’entre pas dans les services d’archives les mains dans les poches. L’identité des personnes qui s’y rendent est vérifiée, de même que leur inscription ou leur fonction d’enseignement dans une université ou un centre de recherche. Quant aux étudiants, ils doivent démontrer qu’ils rédigent une thèse – ce ne sont pas les terroristes qui fréquentent les archives !
Je ne comprends donc pas pourquoi cet article figure dans ce texte ; il n’y a pas sa place. L’accès aux archives publiques est un droit constitutionnellement garanti à l’article XV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; le principe de base est celui de la libre communicabilité des archives publiques. Dès lors, ces restrictions ne font pas du tout honneur à notre pays, à la recherche et à la science !
M. le président. Il faut conclure !
Mme Esther Benbassa. Nous ne pouvons pas nous satisfaire de la rédaction actuelle de cet article. Nous regrettons, une fois de plus, que le Gouvernement et la majorité sénatoriale ne s’interrogent pas sur leur positionnement alors que ces amendements sont le fruit d’une démarche transpartisane !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, sur l’article.
M. Pierre Ouzoulias. Après m’être exprimé précédemment au nom de la commission de la culture, permettez-moi maintenant de vous faire part de mon opinion personnelle, en qualité d’ancien conservateur du patrimoine. Les archives, c’est d’abord notre patrimoine historique ; il est essentiel de s’en souvenir.
Je défendrai ici un point de vue pratique. Mes chers collègues, mettez-vous dans la peau d’un historien qui souhaite consulter des documents archivés il y a plus de cinquante ans – il peut s’agir de documents classés ou non classés, conformément aux dispositions que vous voulez introduire dans le code du patrimoine.
Le service d’archives publiques consulté va alors s’adresser au service héritier du service émetteur des documents demandés, à la fois pour s’assurer que ces derniers entrent dans l’une des quatre catégories prévues et pour vérifier, entre autres, si un arrêté de désaffectation du monument a été pris, auquel cas le délai d’incommunicabilité a un point de départ « flottant ». Ce n’est qu’au terme de cette procédure qu’un chercheur obtient une réponse à sa demande.
Lors des auditions que nous avons menées, les services d’archives nous ont fait part de leur crainte que les services émetteurs des documents ne répondent pas aux demandes dont ils sont saisis. Ces services ne cherchent pas spécialement à cacher quoi que ce soit, mais ils ne sont tout simplement pas en l’état de connaître exactement les documents qu’ils possèdent.
Le Service historique de la défense (SHD) gère remarquablement bien ses archives. Il est en mesure de dire, sur les 660 000 documents classés voilà plus de cinquante, combien peuvent entrer dans ces catégories – environ 60 000 à l’heure actuelle.
Madame la ministre, pouvez-vous, au nom du Gouvernement, prendre l’engagement que tous les ministères qui n’ont pas encore versé leurs archives aux Archives nationales réalisent un travail similaire à celui qui a été admirablement accompli par le SHD sur l’analyse et le récolement précis de ses archives ? Certains de ces ministères détiennent des archives de la Seconde Guerre mondiale qui n’ont pas encore été récolées ! (Mme Esther Benbassa s’exclame.)
M. le président. Mes chers collègues, il est bientôt minuit : je vous propose de prolonger notre séance afin d’achever l’examen de ce texte.
Il n’y a pas d’observations ?…
Il en est ainsi décidé.
Je suis saisi de neuf amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 106, présenté par Mme Canayer et M. Daubresse, au nom de la commission des lois, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 3
Remplacer les mots :
après le mot : « nationale », sont insérés les mots : «
par les mots :
le mot : « nationale, » est remplacé par les mots : « nationale
II. – Alinéa 6
1° Remplacer le mot :
hauteur
par le mot :
dimension
2° Après les deux occurrences du mot :
infrastructures
insérer les mots :
ou parties d’infrastructures
III. – Alinéa 9
1° Première phrase
Après le mot :
État
insérer les mots :
qui exercent une mission de renseignement à titre principal
2° Seconde phrase
Supprimer les mots :
, qui exercent une mission de renseignement à titre principal,
IV. – Alinéa 20
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
II. – Les règles de communicabilité prévues au I ne sont pas applicables :
1° Aux documents n’ayant pas fait l’objet d’une mesure de classification ou ayant fait l’objet d’une mesure formelle de déclassification et pour lesquels le délai de cinquante ans prévu au 3° du I de l’article L. 213-2 du code du patrimoine, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, a expiré avant l’entrée en vigueur du présent article ;
2° Aux fonds ou parties de fonds d’archives publiques ayant fait l’objet, avant l’entrée en vigueur du présent article, d’une ouverture anticipée conformément au II de l’article L. 213-3 du code du patrimoine.
La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La commission des lois a considéré que l’article 19, tel qu’il est rédigé, permet un équilibre substantiel entre le code du patrimoine et le code pénal – on voit bien aujourd’hui qu’un conflit existe entre ces deux textes.
La communication des documents classés « secret-défense », qu’elle soit expressément autorisée ou qu’elle soit de plein droit à l’expiration d’un délai de cinquante ans, est non pas réduite aux seuls chercheurs et historiens, mais bien ouverte à tout le monde.
Le dispositif, tel qu’il est envisagé, prévoit une communication de plein droit au bout de cinquante ans. Il contrevient à l’instruction générale interministérielle 1300, dont le rapporteur public du Conseil d’État a démontré récemment les limites et dont il souhaite l’annulation. Quoi qu’il en soit, cette instruction n’aura plus d’effet lors de l’application du texte.
Dès lors, les documents concernés sont communicables de plein droit après cinquante ans, sauf ceux qui relèvent de l’une des quatre catégories fixées à l’article 19. Pour celles-ci, une communicabilité glissante est prévue, soit en fonction de la perte de valeur opérationnelle des documents, soit par effet d’un acte les déclassant ou venant reconnaître qu’ils ne présentent plus d’utilité pour les forces armées, notamment en ce qui concerne le matériel de guerre. Ces documents pourront être communiqués au fil de l’eau dès lors qu’ils ne répondent plus aux objectifs.
Ce qui importe, c’est que l’inventaire et le récolement soient réalisés régulièrement, que les documents archivés soient mis à jour. Cela permet de s’assurer qu’ils entrent toujours dans les catégories protégées. Ce travail d’inventaire est nécessaire, mais les services d’archives publiques devront s’engager à limiter les documents protégés – ils représentent environ 10 % des archives intéressant la défense nationale.
Pour ces raisons, la commission considère que le dispositif prévu à l’article 19 est satisfaisant et équilibré, sous réserve de l’adoption de l’amendement n° 106.
Cet amendement vise à procéder à plusieurs améliorations rédactionnelles, à préciser les documents relatifs aux caractéristiques techniques de certains bâtiments protégés par l’article, en y intégrant ceux qui sont relatifs aux barrages hydrauliques de grande dimension, et à prévoir la communicabilité de ces documents en cas de désaffectation partielle d’un bâtiment.
M. le président. Les cinq amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 6 rectifié bis est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Gold, Mme Guillotin et MM. Requier et Roux.
L’amendement n° 37 est présenté par Mme Assassi, M. P. Laurent, Mme Cukierman et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 52 rectifié est présenté par M. Sueur, Mme S. Robert, MM. Temal, Leconte, Vaugrenard et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Antiste, Assouline, Bourgi et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Lepage, MM. Lozach, Magner et Marie, Mme Monier, M. Stanzione, Mme Van Heghe, MM. Todeschini et Roger, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 85 est présenté par Mme Benbassa, MM. Dossus, Benarroche et Dantec, Mme de Marco, MM. Fernique, Gontard, Labbé et Parigi, Mme Poncet Monge, M. Salmon et Mme Taillé-Polian.
L’amendement n° 94 rectifié bis est présenté par Mme Morin-Desailly, M. Détraigne, Mmes Billon et Férat et MM. Le Nay, J.M. Arnaud, Moga et Delcros.
Ces cinq amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 5 à 10
Remplacer ces alinéas par sept alinéas ainsi rédigés :
« Si, à l’issue du délai défini au premier alinéa du présent 3°, la divulgation des informations contenues dans un document représente une menace grave pour la sécurité nationale, ce délai peut être prolongé pour les seuls documents :
« a) Relatifs aux caractéristiques techniques des installations militaires, des installations et ouvrages nucléaires civils, des barrages hydrauliques de grande dimension, des locaux des missions diplomatiques et consulaires françaises et des installations utilisées pour la détention des personnes, lorsque ces infrastructures ou parties d’infrastructures demeurent affectées à ces usages et qu’il n’existe pas d’infrastructures en service présentant des caractéristiques similaires ;
« b) Relatifs à la conception technique et aux procédures d’emploi des matériels de guerre et matériels assimilés mentionnés au second alinéa de l’article L. 2335-2 du code de la défense, désignés par un arrêté du ministre de la défense révisé chaque année, lorsque les forces armées et les formations rattachées mentionnées à l’article L. 3211-1-1 du même code continuent de les employer ;
« c) Révélant des procédures opérationnelles ou des capacités techniques des services de renseignement mentionnés à l’article L. 811-2 du code de la sécurité intérieure, lorsqu’elles conservent leur valeur opérationnelle ;
« d) Révélant des procédures opérationnelles ou des capacités techniques de certains services de renseignement mentionnés à l’article L. 811-4 du même code désignés par décret en Conseil d’État, lorsqu’elles conservent leur valeur opérationnelle. Un décret en Conseil d’État définit les services concernés, qui exercent une mission de renseignement à titre principal, par le présent d ;
« e) Relatifs à l’organisation, à la mise en œuvre et à la protection des moyens de la dissuasion nucléaire, lorsqu’elles conservent leur valeur opérationnelle.
« Cette prolongation est accordée pour une période de dix ans renouvelable par l’administration des archives, à la demande de l’autorité dont émane le document et, lorsque le document fait l’objet d’une mesure de classification mentionnée à l’article 413-9 du code pénal, après avis de l’autorité mentionnée à l’article L. 2312-1 du code de la défense. » ;
La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour présenter l’amendement n° 6 rectifié bis.
Mme Nathalie Delattre. L’article 19 fixe le régime juridique de la communicabilité applicable aux archives intéressant la défense nationale, en posant comme principe que « toute mesure de classification […] prend automatiquement fin à la date à laquelle le document qui en a fait l’objet devient communicable de plein droit ».
Surtout, cet article aménage des exceptions pour lesquelles l’accès à ces archives, au-delà d’un délai de cinquante ans, pourrait demeurer restreint, sans que la loi ne définisse clairement quand et comment serait finalement levée cette restriction.
Bien entendu, nous comprenons l’impératif lié à la défense nationale dans la mesure où les documents concernés sont d’une particulière sensibilité et où leur communication prématurée pourrait être de nature à nuire aux intérêts fondamentaux de la Nation. Toutefois, le dispositif retenu ne propose pas les garanties attendues permettant aux archivistes, aux historiens, aux chercheurs et aux universitaires d’être en mesure d’exercer leur métier, au service de la mémoire collective.
L’allongement du délai d’incommunicabilité au-delà de cinquante ans – ce délai n’est pas marginal – est insuffisamment encadré, le nombre de documents visés n’étant pas précisé. En outre, l’application de cet article posera d’évidentes difficultés aux archivistes, qui devront apprécier quels documents ont conservé ou non leur valeur opérationnelle.
Aussi, cet amendement vise à prévoir que la prolongation de la durée d’incommunicabilité doit avoir un caractère exceptionnel et être justifiée par une menace grave pour la sécurité nationale en cas de divulgation des documents. Son adoption contraindra l’administration à apporter des éléments suffisants pour justifier la prolongation de la durée d’incommunicabilité, laquelle sera limitée à un délai standardisé de dix ans, susceptible d’autant de renouvellements que nécessaire.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour présenter l’amendement n° 37.
M. Pierre Laurent. Madame la rapporteure, reprenant les arguments du Gouvernement, vous soutenez que cet article assure un équilibre entre les dispositions du code du patrimoine et celles du code pénal. Or vous déséquilibrez profondément la loi de 2008, en inversant l’ordre des facteurs !
Si nous ne définissons pas de manière précise les critères susceptibles d’appeler une prolongation du délai de communicabilité, une masse d’archives considérable sera soumise à une procédure inverse, au terme de laquelle les chercheurs seront contraints de demander l’accès aux documents désirés sans que soit connu avec précision le délai de prolongation. Et, comme l’a dit mon collègue Jean-Pierre Sueur, l’autorisation de communication des documents concernés sera laissée à la discrétion d’une autorité administrative.
Cela constitue une mise en cause grave du principe de communication de plein droit des archives publiques à l’expiration d’un délai de cinquante ans, comme l’a rappelé avec force le rapporteur public du Conseil d’État, dans ses récentes conclusions. Nous la contestons et nous pensons que la rédaction actuelle de l’article n’apporte pas les garanties suffisantes.
Les amendements déposés par les différents groupes visent tous, de façon convergente, à clarifier les choses et à donner de réelles garanties de travail aux chercheurs.
Si l’accès aux archives était entravé, un historien tel que Jean-Noël Jeanneney, président du Prix du Sénat du livre d’histoire, avec qui nous étions dans les jardins du Luxembourg voilà quelques jours, n’aurait jamais pu écrire son magnifique livre sur l’attentat du Petit-Clamart.
La rédaction de ce livre a nécessairement impliqué que son auteur accède à des archives. Or si nous adoptions cet article, sans modification, beaucoup d’historiens ne pourraient plus accomplir leur travail dans de bonnes conditions.
Ne tournons pas le dos à la communauté des historiens, des archivistes et des scientifiques et corrigeons, tant qu’il en est encore temps, l’article 19 !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour présenter l’amendement n° 52 rectifié.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, vous connaissez notre grand attachement à la recherche ; je pense que vous le partagez ; vous connaissez les universités. Si cet article présenté par le Gouvernement était adopté, vous porteriez la responsabilité du préjudice qu’il provoquerait pendant très longtemps.
Il est encore temps, ce soir, d’accepter ce qui est proposé par cinq sénateurs, au nom de cinq groupes politiques différents, sans compter tous nos collègues qui, sans avoir déposé d’amendements, sont attachés à ce que nous défendons.
Comme l’a dit Pierre Laurent, nous aurions pu reprendre dans l’exposé des motifs ce qu’a dit le rapporteur public du Conseil d’État, le 16 juin dernier. Ses conclusions sont lumineuses : ne vous ont-elles pas d’ailleurs incitée à la réflexion, madame la ministre ?
Le dispositif que nous proposons est très simple : nous suggérons d’ouvrir la communicabilité des archives concernées à l’expiration d’un délai de cinquante ans – c’est le droit commun –, sauf si leur divulgation présente à titre exceptionnel une menace grave pour la sécurité nationale. Nous demandons que la prorogation du délai d’incommunicabilité soit justifiée et qu’elle n’excède pas dix ans, sauf nouvelle prorogation. Nous proposons donc un processus responsable !
Nous ne nions pas que la sécurité nationale puisse faire obstacle à la communication de certains documents. En revanche, nous ne souhaitons ouvrir la porte ni à des mesures qui seraient totalement discrétionnaires, ni à la fermeture des dossiers pour la recherche scientifique, ni à des dispositions qui seraient contraires à la loi de 2008. Nous avons défendu cette loi avec passion, elle est aimée de toute la communauté des historiens.
Madame la ministre, j’espère de tout cœur que nous allons vous convaincre.
M. le président. La parole est à M. Thomas Dossus, pour présenter l’amendement n° 85.
M. Thomas Dossus. L’accès aux archives dépasse le seul cadre du travail historique, c’est un enjeu démocratique. Les archives du monde d’hier permettent de comprendre celui d’aujourd’hui et de bâtir celui de demain. En la matière, notre Constitution est claire. L’article XV de la Déclaration des droits de l’homme proclame : « La Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration. »
Ce principe à valeur constitutionnelle se heurte à la préservation des intérêts fondamentaux de l’État, mais l’équilibre entre ces deux nécessités a été réalisé par les deux grandes lois relatives aux archives, celle de 1979 et celle de 2008.
Le législateur a posé un principe simple : les archives sont communicables de plein droit au bout de cinquante ans, hormis les plus sensibles, notamment celles qui sont liées au nucléaire. Or ce consensus a été récemment remis en cause, tout d’abord par l’instruction générale interministérielle 1300, qui a contraint à une déclassification, c’est-à-dire à une décision administrative, avant que les archives ne deviennent pleinement communicables, puis par le présent article du projet de loi.
Le Gouvernement et la commission pensent que cet article permet d’ouvrir largement l’accès à des archives intéressant la défense nationale, alors que, au contraire, il prévoit de nouvelles exceptions à la communicabilité des archives, sans délai maximum, dans des domaines aussi variés que les barrages hydroélectriques ou les procédures des services de renseignement.
Le Conseil d’État, lors d’une audience du 16 juin 2021, a reconnu par la parole de son rapporteur public que l’instruction générale interministérielle 1300, et par conséquent le présent article, n’étaient que des subterfuges destinés à entraver les travaux historiques, notamment sur la guerre d’Algérie. Il a aussi déclaré que la nécessité de déclassification était une invention pouvant occasionner des surcoûts significatifs pour le contribuable.
L’article 19, en l’état, est inacceptable pour le travail historique, pour les relations entre les citoyens et leur histoire et pour la respectabilité de notre République. Comment, en effet, justifier la présence d’un article qui limite autant l’accès à des pans importants de notre histoire collective, dans un texte ayant pour objectif de lutter contre le terrorisme ?
Cet amendement est le fruit d’une discussion avec des historiens non seulement respectueux des principes constitutionnels et de l’esprit des lois de 1979 et de 2008, mais aussi soucieux de protéger les intérêts fondamentaux de l’État. Il est le reflet d’une position d’équilibre transpartisane et consensuelle.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour présenter l’amendement n° 94 rectifié bis.
Mme Catherine Morin-Desailly. Un déséquilibre a bien été introduit par rapport à la loi de 2008 dans la mesure où l’article 19 est préjudiciable au principe de communicabilité des archives.
Le présent amendement vise à encadrer le nouveau mécanisme, en précisant que la prolongation du délai d’incommunicabilité doit présenter un caractère exceptionnel et être justifiée par le fait que la divulgation des informations contenues dans le document présente une menace grave pour la sécurité nationale.
Par ailleurs, l’amendement tend à imposer à l’administration d’apporter des éléments suffisants pour justifier la nécessité de prolonger la durée d’incommunicabilité et à prévoir, dans un but de simplification, un délai de prolongation standardisé de dix ans. Ce délai est susceptible de prorogations d’une durée similaire, en considération de la sensibilité du document.
Il ne s’agit en aucun cas d’ignorer les impératifs de défense nationale ; nous sommes d’ailleurs favorables à l’élargissement du régime de dérogations. Seulement, le mécanisme, tel qu’il est prévu, ne va pas dans le bon sens. Aussi, nous aimerions inverser le système envisagé.
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 3 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Gold, Mme Guillotin et MM. Guiol, Requier et Roux.
L’amendement n° 95 rectifié bis est présenté par Mme Morin-Desailly, M. Détraigne, Mmes Billon et Férat et MM. Le Nay, Levi, J.M. Arnaud, Moga et Delcros.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 5
Après le mot :
prolongé
insérer les mots :
, sans pouvoir excéder cent ans à compter de la date du document ou du document le plus récent inclus dans le dossier,
La parole est à Mme Véronique Guillotin, pour présenter l’amendement n° 3 rectifié.
Mme Véronique Guillotin. J’appelle votre attention sur l’une des principales difficultés auxquelles se heurtent les chercheurs dans l’accès aux archives : lorsqu’un refus de communication ne paraît pas justifié, la démarche contentieuse pour obtenir l’annulation de la décision de refus est particulièrement longue. Il faut d’abord saisir la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), avant, ensuite, de saisir le juge administratif d’un recours en annulation.
La durée de cette procédure a pour conséquence de faire obstacle à la réalisation des travaux de recherche, en particulier pour les étudiants de master ou les doctorants. Ces derniers doivent effectuer leurs recherches dans un temps limité, parfois de quelques mois à peine. Et les réformes du calendrier universitaire n’ont pas arrangé les choses : les étudiants doivent le plus souvent réaliser leurs travaux de recherche dans la précipitation parce qu’ils doivent les rendre avant l’été, et non plus après, comme c’était encore le cas voilà quelques années.
Le présent amendement vise expressément à prévoir que le juge compétent peut être saisi en référé d’un refus de communication, ce qui permettra d’obtenir une décision rapide et donc de lever l’aléa du délai. Ce recours permettrait en outre de contraindre l’administration à communiquer les documents, dans le cas où la CADA aurait émis un avis favorable sur la demande de communication.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour présenter l’amendement n° 95 rectifié bis.
Mme Catherine Morin-Desailly. Il est défendu, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 101 rectifié, présenté par M. Haye et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Alinéa 9, première phrase
Remplacer les mots :
mentionnés à l’article L. 811-4 du même code désignés par décret en Conseil d’État
par les mots :
désignés par le décret en Conseil d’État prévu à l’article L. 811-4 du même code
La parole est à M. Ludovic Haye.
M. Ludovic Haye. Le présent amendement vise à rectifier une apparente redondance au sein de l’article 19, relatif au régime de communicabilité des archives classifiées.
En effet, pour désigner les services de renseignement du second cercle, l’alinéa 9 de l’article renvoie aux « services de renseignement mentionnés à l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure désignés par décret en Conseil d’État ». En outre, afin de circonscrire le champ des services du second cercle visés par le dispositif, il précise qu’« un décret en Conseil d’État définit les services de renseignement concernés ».
Ce décret permet de limiter le champ d’application de la disposition en ce qui concerne les services du second cercle. En revanche, la première phrase de l’alinéa 9, dans sa rédaction actuelle, semble redondante avec l’article L. 811-4 du code de la sécurité intérieure – lui-même renvoie à un décret en Conseil d’État l’établissement de la liste de ces services.
Le présent amendement vise donc à clarifier le dispositif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. La prorogation du délai proposée ne concerne que les documents qui présentent une menace grave pour la sécurité nationale. Nous pensons que ce n’est pas pertinent, car c’est trop restrictif. La protection doit s’appliquer aussi à des documents qui permettent à la France d’avoir un avantage stratégique sur d’autres pays ; je pense notamment aux études réalisées sur des techniques.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est totalement flou, cela recouvre n’importe quoi ! (Mme Esther Benbassa proteste également.)
Mme Agnès Canayer, rapporteur. C’est flou dans un sens, comme dans l’autre… (Nouvelles exclamations à gauche.)
De même, le système qui renvoie les documents concernés à un examen tous les dix ans nous semble être trop rigide et surtout moins favorable que le système qui est actuellement prévu. Ce dernier est glissant, ce qui permet de rendre communicables des documents à l’expiration d’un délai de deux ans, trois ans, quatre ans, voire dix-neuf ou vingt ans, et donc pas uniquement à une date butoir. À notre avis, ce système est plus favorable à la communication des archives.
En ce qui concerne les barrages hydrauliques de grande dimension, nous sommes d’accord.
Je vous rappelle qu’il existe un régime de communication anticipée : il autorise les chercheurs qui le souhaitent à demander la communication de documents encore protégés. Cette procédure est très efficace.
Sur l’initiative de la commission des affaires culturelles, l’obligation d’informer les chercheurs des délais de communicabilité des documents et la possibilité de demander un accès anticipé aux archives ont été introduites dans le texte.
Pour ces raisons, la commission émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 6 rectifié bis, 37, 52 rectifié, 85 et 94 rectifié bis.
Les amendements nos 3 rectifié et 95 rectifié bis n’ont pas pour objet la Commission d’accès aux documents administratifs. (Mme Nathalie Delattre s’exclame.) Je pense que ce ne sont pas les bons amendements qui ont été présentés !
Quoi qu’il en soit, les amendements nos 3 rectifié et 95 rectifié bis tendent à instaurer un délai maximal de cent ans à compter duquel l’ensemble des documents intéressant la défense nationale seraient communiqués.
Ces dispositions sont contraires à la position de la commission. En effet, le contrôle de proportionnalité exercé par le juge doit être entier : il doit permettre de peser le pour et le contre, entre les intérêts du demandeur qui souhaite accéder à ces documents et la préservation de notre souveraineté.
Un contrôle trop rapide du juge aurait pour conséquence de faire attendre la décision de juridiction, ce qui ne serait pas efficace. Dans le cas contraire, le délai retenu serait trop long. Aussi, nous émettons un avis défavorable.
Mme Esther Benbassa. Quelle honte !
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Enfin, nous sommes favorables à l’amendement n° 101 rectifié, qui vise à apporter des améliorations rédactionnelles.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Florence Parly, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, avec cet article, nous abordons une question extrêmement importante, qui a été traitée avec tout le sérieux qu’elle mérite.
Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas vrai !
Mme Florence Parly, ministre. Avant de répondre point par point aux différents arguments avancés par les uns et les autres, je tiens à vous dire que nous avons un objectif commun. Sur l’ensemble de ces travées comme au banc du Gouvernement, nous souhaitons tous faciliter l’accès de nos concitoyens aux archives classifiées de plus de cinquante ans.
Les mesures de classification dont ces archives font l’objet prendront donc automatiquement fin à l’échéance de ce délai. En outre, le fait qu’un tampon de déclassification n’ait pas été apposé sur le document ne sera plus un obstacle. (Mme Esther Benbassa proteste.)
Madame Benbassa, avant même que je ne commence mon explication, vous affirmez qu’elle n’a pas de sens : laissez-moi au moins finir mon propos !
Mme Esther Benbassa. C’est de la langue de bois !
Mme Florence Parly, ministre. Je peux tout aussi bien m’arrêter de parler !
Comme l’ont relevé un certain nombre d’entre vous, au-delà des aspects législatifs, il faut tenir compte des dimensions pratiques de l’accessibilité des archives : il s’agit plus précisément de classer et d’ordonner ces documents afin que les chercheurs, notamment les historiens, et les citoyens puissent y accéder.
Nous avons donc bien en commun ces deux objectifs : d’une part, élaborer un système législatif en ce sens et, d’autre part, mettre concrètement ces archives à la disposition de tous ceux qui souhaitent les consulter.
Néanmoins – ce point a également été rappelé –, il faut garantir la protection des archives les plus sensibles tant qu’elle est nécessaire à la sauvegarde des intérêts fondamentaux de l’État. Ce n’est pas simplement moi qui le dis, c’est la Constitution qui l’exige.
Le rapporteur public l’a effectivement souligné devant le Conseil d’État, tout en résumant les grandes lignes de la loi de 2008. On a rappelé qu’il s’agissait d’une grande loi, et c’est tout à fait juste, mais elle ne ménage pas une conciliation équilibrée entre le droit d’accès aux archives et la nécessité constitutionnelle de protéger les intérêts fondamentaux de la Nation.
M. Guy Benarroche. Sur quels éléments vous basez-vous ?
Mme Florence Parly, ministre. Dans certains cas très particuliers, l’expiration du délai de cinquante ans ne met pas fin à la sensibilité des documents et donc à la nécessité de différer leur communication.
C’est en lien étroit avec le ministère de la culture et avec les historiens que ce travail a été conduit, après une concertation très approfondie… (Protestations sur les travées des groupes SER et GEST.) Ces constats vous ennuient peut-être ; mais je vous décris simplement le processus suivi pour l’élaboration de ce travail !
Je ne prétends pas que toute la communauté des historiens y souscrit. Je vous demande simplement d’entendre qu’un large panel d’historiens y a participé : l’association Josette-et-Maurice-Audin (M. Thomas Dossus proteste vivement) ; l’association des archivistes français ; l’association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche…
M. Pierre Ouzoulias. Ils sont contre !
Mme Esther Benbassa. Donnez les noms !
Mme Florence Parly, ministre. C’est un simple constat : la concertation a eu lieu. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Je ne dis pas que la communauté des historiens ne compte pas d’opinions dissidentes ; je rappelle simplement que cette concertation a été menée avec sérieux, sous l’égide du ministère de la culture.
Il a fallu mettre au point un système légal permettant de concilier ces différents objectifs. C’est dans cette perspective que nous avons essayé d’identifier, en les circonscrivant au mieux, quatre nouvelles catégories de documents pour lesquelles il n’est pas possible de fixer par avance un délai au-delà duquel toute sensibilité aurait disparu.
D’ailleurs, je n’ai pas le sentiment que vous-mêmes contestiez cette impossibilité : comme le texte du Gouvernement, les amendements présentés tendent à prolonger autant que nécessaire l’incommunicabilité de certains documents.
Toutefois, alors que le Gouvernement défend l’instauration d’un délai glissant, qui expire automatiquement au moment où le document considéré perd sa sensibilité, ces amendements visent à mettre en œuvre une prolongation expresse du délai d’incommunicabilité par tranches de dix années. Monsieur Sueur, je pense résumer fidèlement les dispositions que vous proposez.
Je comprends tout à fait cette démarche : il s’agit de répondre à un certain nombre de craintes, que je vais tenter de lever méthodiquement, l’une après l’autre.
Tout d’abord, la prolongation de la durée d’incommunicabilité restera exceptionnelle : ce qui le garantit, c’est le caractère ciblé et résiduel des catégories de documents pour lesquelles une prolongation sera possible.
La définition de ces catégories a été calibrée au plus près des besoins, dans le cadre du processus de consultation et de concertation que je viens d’évoquer, qui a d’ailleurs conduit à des évolutions du texte. Je puis vous le garantir : le texte initial du Gouvernement était très différent de celui que nous avons tout compte fait soumis au Parlement. C’est aussi la preuve que certaines opinions et préoccupations ont été prises en compte.
Ensuite, vous semblez penser qu’une prolongation du délai d’incommunicabilité par tranches de dix ans serait plus favorable aux historiens qu’un délai visant à protéger le document le temps strictement nécessaire à la préservation de la sécurité nationale – c’est bien de cela que nous parlons.
Or, en vertu de ces amendements, ce délai pourrait être renouvelé sans limites et, surtout, les chercheurs obtiendraient moins de garanties : même pour un document ayant perdu sa sensibilité, il faudrait attendre l’expiration du délai de dix ans avant que la communication ne soit permise. À l’inverse, en vertu du texte que le Gouvernement vous propose, le document deviendra communicable à l’instant même où il perdra sa sensibilité.
Ainsi, pour ce qui concerne les armes ou les équipements, c’est tous les ans que le Gouvernement actualisera la liste des documents accessibles ; quant aux bâtiments, leurs archives deviendront communicables dès leur désaffectation.
En parallèle, certains ont mis en cause la constitutionnalité de l’article 19, au motif que les cas de prolongation envisagés ne sont pas limités aux documents dont la divulgation représenterait une menace grave pour la sécurité nationale.
Sur ce point aussi, je vais m’efforcer de vous assurer. Le Conseil d’État n’a émis aucun doute sur la constitutionnalité de ces dispositions ; si certains commentateurs ont cru déceler des opinions contraires dans les conclusions prononcées voilà deux semaines au contentieux, devant le Conseil d’État, je peux vous affirmer que leurs interprétations sont tout à fait inexactes. Au contraire, ces conclusions insistent sur le fait que l’article 19 opère une conciliation entre les enjeux de communicabilité et les principes constitutionnels.
Pour terminer – j’ai conscience de parler longuement –, j’insisterai sur deux conséquences délicates qu’entraînerait l’adoption de vos amendements.
Ces dispositions contraindraient les administrations à identifier a priori tous les documents devant bénéficier d’une prolongation de leur incommunicabilité. Or ceux qui fréquentent les archives le savent : souvent, les bordereaux de versement ne sont pas renseignés pièce par pièce. Quant aux documents qui restent détenus par les services qui les ont produits et qui sont également des archives publiques, ils n’ont vraisemblablement jamais fait l’objet d’un quelconque inventaire.
Cela signifie qu’il faudra rechercher, puis passer en revue l’ensemble des documents susceptibles de bénéficier d’une prolongation à l’issue du délai de cinquante ans. J’ajoute qu’il faudrait reprendre ce travail tous les dix ans. Vous le comprenez : pour les services, cette tâche immense ne pourrait pas être menée à bien sans des renforts humains considérables. Une telle mécanique risquerait fort de s’enrayer, au détriment des chercheurs et des historiens.
Ainsi, le système que vous proposez est très lourd et pourrait lui-même se révéler imparfait : des documents sensibles échapperaient inévitablement à cette revue et nous n’aurions aucune corde de rappel pour éviter leur diffusion, aux conséquences potentiellement graves.
Je le dis avec une certaine solennité : toutes ces raisons pratiques, invoquées par les trois services d’archives de l’État, méritent votre attention.
Je le répète, nous avons des objectifs communs, mais, selon moi, les dispositions des amendements identiques nos 6 rectifié bis, 37, 52 rectifié, 85 et 94 rectifié bis ne permettent pas de les atteindre de manière satisfaisante. J’y suis donc défavorable, de même qu’aux amendements identiques nos 3 rectifié et 95 rectifié bis.
En revanche, je suis favorable à l’amendement n° 106, sous réserve de l’adoption de l’amendement n° 101 rectifié.
M. le président. La parole est à M. Laurent Lafon, pour explication de vote.
M. Laurent Lafon. Madame la ministre, ce qui était à craindre finit par se produire : on voit bien qu’il n’y a pas de consensus sur l’article 19.
Pour les raisons que vous avez invoquées, deux logiques s’affrontent sur le sujet à la fois complexe et sensible des archives : d’une part, la nécessité de préserver la sécurité nationale ; de l’autre, l’enjeu démocratique de l’accès aux archives et, à travers elles, à notre histoire.
À mon sens, on ne peut pas aborder un tel sujet de cette manière. Cet article n’a pas grand-chose à voir avec le texte dans lequel il est inscrit, ce qui trahit une forme de précipitation. D’ailleurs, il me semble que vous avez consacré plus de temps à cette série d’amendements qu’aux dix-huit premiers articles : cela prouve bien qu’il y a débat et que l’article 19 n’est pas un article d’équilibre. Or, sur un sujet d’une telle sensibilité et d’une telle complexité, on ne peut pas avancer sereinement si l’on ne trouve pas un équilibre.
On connaît la cause de cette précipitation : un recours impose au Conseil d’État de se prononcer sur cette question et vous avez souhaité – c’est bien entendu votre droit – trouver une solution normative en empruntant le premier véhicule législatif qui se présentait. Mais, je le répète, en abordant le sujet ainsi, on ne pourra pas clore le débat.
S’il est voté en l’état, cet article n’apaisera pas les craintes des historiens et d’un certain nombre de sénateurs ici présents. Selon toute vraisemblance, nous serons donc de nouveau confrontés à cette question assez rapidement, faute d’avoir trouvé une solution permettant de conjuguer les deux contraintes que vous avez énoncées.
À cet égard, les rapporteurs des trois commissions concernées ont accompli un travail de qualité, dont le but était précisément de trouver une voie de passage, en partant du constat que cette rédaction de l’article 19 n’était pas satisfaisante. Nous avons fini par dégager une solution d’équilibre, même si – je le reconnais – la commission de la culture n’était pas complètement satisfaite de la nouvelle rédaction proposée. Je regrette que cette solution d’équilibre ne soit pas présentée ce soir !
M. le président. La parole est à M. Olivier Paccaud, pour explication de vote.
M. Olivier Paccaud. Madame la ministre, à la suite de M. Lafon, permettez-moi d’exprimer une opinion « dissidente » – c’est le terme que vous avez employé et j’avoue qu’il m’a un peu choqué –, en tant que citoyen et en tant qu’agrégé d’histoire.
Les démocraties les plus matures et les plus solides sont celles qui n’ont pas peur de regarder leur passé en face. Parfois, il peut effectivement se révéler nécessaire d’instaurer un délai de communicabilité des archives ; parfois, la sagesse l’impose ; mais la loi de 2008 me semble tout à fait satisfaisante.
En revanche, l’article 19 me pose beaucoup de problèmes et, à titre personnel, je ne le voterai pas, car j’en suis intimement convaincu : tout ce qui, en compliquant l’accès aux archives, rend opaque ou fissure le miroir dans lequel doit se regarder une nation est dangereux pour celle-ci ! (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Esther Benbassa. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Madame la ministre, je vais être de nouveau très technique.
Vous affirmez que les catégories introduites par ce nouveau régime dérogatoire ne concernent que des documents classifiés ; or ce n’est pas ce que je lis dans ce texte.
Je ne prendrai qu’un seul exemple : les plans du barrage de Bort-les-Orgues, que je connais un peu et qui n’est pas désaffecté – je vous rassure : cet ouvrage retient toujours la Dordogne ! (Sourires) –, sont aujourd’hui disponibles aux archives départementales de la Corrèze et du Cantal. Je les ai même téléchargés avant de me rendre en séance. Est-ce que, du fait de ce projet de loi, je risque une sanction pénale en divulguant ces plans ? Il faut que vous nous répondiez sur ce point.
En effet, des documents non classifiés, qui étaient jusqu’à présent disponibles, cesseront d’être communicables. Dans quelle situation se trouveront les chercheurs qui, après les avoir utilisés, ne pourront plus les publier alors qu’ils étayent leur travail scientifique ? C’est une question fondamentale.
Par ailleurs, contrairement à ce que vous avancez, le rapporteur public du Conseil d’État a clairement indiqué que, selon lui, il n’y avait pas de primauté du code pénal sur le code du patrimoine. Il estime que, en l’état, la loi de 2008 est satisfaisante et que vos services peuvent protéger la sécurité nationale sur la base des principes constitutionnels.
Ce que vous proposent la commission de la culture et les auteurs de ces amendements, c’est ni plus ni moins que le système américain : je ne crois pas que les États-Unis facilitent la divulgation des secrets de leur défense nationale ! C’est d’ailleurs le système que vous nous indiquez dans votre étude d’impact. Aux États-Unis, ces documents sont librement consultables après un certain délai ; ensuite, c’est aux administrations d’indiquer aux chercheurs et aux lecteurs ce qui est communicable de plein droit et ce qui ne l’est pas.
Je ne comprends pas pourquoi nous ne pourrions pas adopter le même système, ou plutôt je le comprends trop bien, car vous nous avez donné la réponse : vous nous dites qu’aujourd’hui les services d’archives sont dans l’incapacité d’informer précisément le lecteur sur la communicabilité des documents. C’est là tout le problème de l’article 19 !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour explication de vote.
Mme Nathalie Delattre. Madame la ministre, comme l’a dit M. Lafon, il nous faut arbitrer entre deux mécanismes.
Si nous pouvons admettre que votre texte initial n’exige pas d’être entièrement refondu, force est de constater qu’il ne fait pas consensus pour autant. De votre côté, vous pouvez le reconnaître : il est inconcevable de ne prévoir aucune limite de temps pour les situations exceptionnelles. Si nous adoptions ce projet de loi en l’état, certains documents pourraient n’être jamais déclassifiés : les chercheurs comme les simples citoyens pourraient ne jamais y accéder.
Madame la rapporteure, je tiens par ailleurs à vous présenter mes excuses : nous avons inversé l’ordre de présentation de nos amendements et défendu l’amendement n° 4 rectifié, qui a pour objet la CADA, au lieu de l’amendement n° 3 rectifié, qui est un amendement de repli.
Cela étant, vous auriez au moins pu ouvrir la voie à un accord autour de cet amendement de repli : ce n’est pas le cas. De notre côté, nous considérons que la version proposée par la commission des lois n’est pas satisfaisante. Aussi, les membres de notre groupe ne voteront pas votre amendement. Nous resterons sur nos positions, qui, ce soir, semblent faire consensus.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent, pour explication de vote.
M. Pierre Laurent. Madame la ministre, vous nous appelez à traiter ce sujet avec sérieux : c’est ce que nous faisons, et le sérieux appelle la clarté !
Vous laissez entendre qu’un large panel d’historiens partage votre point de vue. Vous avez cité trois associations avec lesquelles vous avez mené une concertation : l’association des archivistes français, l’association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche et l’association Josette-et-Maurice-Audin.
J’ai sous les yeux le communiqué de presse que ces trois associations ont publié le 28 juin dernier, c’est-à-dire avant-hier. Je ne vous infligerai pas sa lecture exhaustive, car vous devez déjà en avoir pris connaissance. Mais, pour que tout le monde soit bien informé, y compris nos concitoyens qui nous écoutent, je vais en lire quatre extraits.
Premièrement, « le Sénat examine à partir de demain l’article 19 du projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement (PATR), qui est consacré aux archives. L’enjeu est considérable. C’est une fermeture sans précédent de l’accès aux archives publiques qui se dessine avec l’article 19. »
Deuxièmement, « contrairement à ce que soutient la direction des affaires juridiques du ministère des armées, l’immense majorité des historiens et des archivistes ne considèrent pas que le texte arrive à un bon équilibre ; ils pensent le contraire. »
Troisièmement, « nous le disons donc sans détour : nous sommes très inquiets des effets pratiques de ce texte et plus largement de ce qui se joue avec ce projet de loi. »
Quatrièmement et enfin, « les conclusions du rapporteur public devant le Conseil d’État doivent permettre d’amender le texte afin d’éviter que la loi ne soit la première loi de fermeture des archives de l’histoire et que ne soit créé un régime dérogatoire au droit commun pour les services de renseignement. » C’est exactement dans ce sens que nous vous proposons d’amender le présent texte !
Ainsi, l’immense majorité des historiens et des archivistes vous demandent de modifier ce projet de loi. C’est également la demande qui vous est faite sur nos travées. Nous devons le faire ce soir, en responsabilité. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Les rédacteurs de ce projet de loi invoquent la valeur opérationnelle des archives du monde du renseignement. Or cette formulation vague ferme de fait tout un pan des archives publiques.
Les renseignements français continuent d’employer certaines techniques développées par le Bureau central de renseignements et d’action (BCRA), à savoir les services secrets de la France libre du général de Gaulle. Il s’agit notamment des techniques d’interrogatoire ou de filature : ainsi, toutes les archives liées au monde, si vaste, du renseignement seront désormais fermées aux historiens.
De nombreux champs de l’histoire du pays ne peuvent donc plus être étudiés et il ne s’agit pas seulement de ces questions sensibles que sont la mémoire coloniale et la guerre d’Algérie. Peut-on, aujourd’hui, écrire une histoire des mouvements de la Résistance en France durant la Seconde Guerre mondiale sans consulter les archives des services secrets de la France libre ? C’est difficile !
Pourtant, le Président français Emmanuel Macron avait annoncé vouloir faciliter l’accès aux archives, après la remise du rapport de l’historien français Benjamin Stora consacré aux questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d’Algérie. Aujourd’hui, nous en sommes bien loin.
Madame la ministre, vous n’arrivez pas à concevoir que les archives du renseignement soient librement consultables passé le délai de cinquante ans. Y a-t-il, oui ou non, une volonté politique d’empêcher les historiens de faire l’histoire ?
Je tiens à vous le dire, avec tout le respect que j’ai pour vous : ce soir, la ministre de la culture aurait dû prendre place à vos côtés au banc du Gouvernement. En effet, cette affaire concerne non seulement l’armée, mais aussi et surtout la culture. Son absence est vraiment regrettable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la ministre, j’ai eu le même sentiment que Pierre Laurent en écoutant vos explications. J’ai reçu les représentants des associations que vous avez citées et j’ai lu leurs communiqués : vous ne pouvez pas faire dire à l’association Josette-et-Maurice-Audin l’exact contraire de ce qu’elle affirme.
Je vous l’assure : dans leur immense majorité, les professeurs d’histoire contemporaine désapprouvent ce texte. D’ailleurs, leur association le dit. De même, les archivistes ne sont pas d’accord. On peut prétendre le contraire – évidemment, aucune statistique n’est établie à cet égard –, mais nous avons lu ce que nous avons lu et nous avons entendu ce que nous avons entendu.
Madame la rapporteure, de votre côté, vous êtes revenue sur les critères de communicabilité des archives. À cet égard, je rappelle que les débats parlementaires permettent d’interpréter les lois. Vous soulignez qu’il faut prendre en compte les « concurrences dans les intérêts stratégiques ». J’ai déjà souligné que cette formule était floue. Je persiste et signe : elle sera bien pratique pour soustraire un certain nombre de documents à la consultation.
En outre, madame la ministre, vous paraissez surprise par notre proposition de prolonger le délai d’incommunicabilité en dix ans en dix ans. Mais notre système est beaucoup plus souple, beaucoup plus accommodant que le vôtre. Certes, vous rendrez peut-être tel ou tel document public en deux ans, voire en six mois : dix ans, en comparaison, cela peut sembler beaucoup. Mais vous n’ignorez pas que ce délai peut aussi être de quinze, vingt-cinq, trente-neuf ou soixante-dix-neuf ans, puisqu’il n’y a pas de limite. Aussi, votre argument ne tient pas.
Enfin, vous estimez que la loi de 2008 ne permet pas d’atteindre un bon équilibre entre le droit de consultation des archives et les principes constitutionnels. Je siégeais dans cet hémicycle lorsque nous avons voté ce texte et je me suis exprimé à la tribune. Relisez les comptes rendus des débats de 2008…
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Sueur. Relisez-les : c’est ahurissant de nous dire que, pendant treize ans, personne ne s’est aperçu que cette loi votée à une large majorité était inconstitutionnelle !
M. le président. Il est tard, mes chers collègues ; je vous invite à faire preuve de concision afin que nous puissions achever l’examen de ce texte.
La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour explication de vote.
Mme Catherine Morin-Desailly. Madame la ministre, sans doute le monde est-il devenu plus dangereux et la menace terroriste se fait-elle chaque jour plus pressante, ce qui nous oblige à prendre les dispositions adéquates – nous ne le nions pas. Aussi l’élargissement du champ des dérogations, qui vise des documents ultrasensibles, est-il bien sûr absolument légitime.
Mais c’est le « mécanisme inversé » que nous contestons. Nous voyons bien, en effet, quel déséquilibre il s’apprête à produire au détriment du droit constitutionnel d’accès aux archives publiques garanti à chaque citoyen.
Ce qui me trouble, voire me dérange, c’est que vous présentez comme une avancée importante ce mécanisme de déclassification automatique des documents d’archives publiques à l’expiration des délais prévus dans le code du patrimoine, quand on ne fait que revenir, par là, au texte de 2008. Autrement dit, on ne fait que mettre fin à des pratiques administratives notoirement illégales de fermeture de l’accès aux archives, pratiques qui ont justifié tous ces recours devant le Conseil d’État.
Je trouve assez incroyable, donc, que vous présentiez cette disposition comme une avancée… C’est tout à fait injuste ! Revenons à la réalité de ce qu’était la loi de 2008, s’il vous plaît ! (M. Pierre Laurent applaudit.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 106.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis du Gouvernement est favorable et que, si cet amendement était adopté, les amendements identiques n° 6 rectifié bis, 37, 52 rectifié, 85 et 94 rectifié bis deviendraient sans objet.
M. Jean-Pierre Sueur. Bien joué ! Un amendement rédactionnel va faire tomber tous nos amendements…
M. Pierre Laurent. C’est scandaleux !
M. le président. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 149 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 226 |
Contre | 118 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, les amendements identiques nos 6 rectifié bis, 37, 52 rectifié, 85 et 94 rectifié bis n’ont plus d’objet.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 3 rectifié et 95 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Mme Éliane Assassi. C’est insupportable ! Assumez vos absences !
M. le président. Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 150 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 58 |
Contre | 286 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’amendement n° 101 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 63 rectifié, présenté par M. Sueur, Mme S. Robert, MM. Leconte, Vaugrenard et Kanner, Mme de La Gontrie, MM. Antiste, Assouline, Bourgi et Durain, Mme Harribey, M. Kerrouche, Mme Lepage, MM. Lozach, Magner et Marie, Mme Monier, MM. Stanzione et Temal, Mme Van Heghe, MM. Todeschini et Roger, Mmes Carlotti, Conway-Mouret et G. Jourda, MM. M. Vallet, Vallini et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 15
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …. – Dans le cas où la Commission d’accès aux documents administratifs a, en application des dispositions de l’article L. 342-1 du code des relations entre le public et l’administration, donné un avis favorable à la communication d’un ou de plusieurs documents dont le délai de communicabilité est déterminé par le I du présent article, le juge compétent peut ordonner, y compris en référé, toutes mesures de nature à assurer la communication de ce ou de ces documents. »
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Je commencerai par saluer les as de la procédure ! À cette heure tardive, parce qu’un grand nombre de nos collègues sont absents, on organise un scrutin public sur un amendement dont le dispositif consiste essentiellement en une série de rectifications formelles. Et, nous dit-on, puisque cet amendement est adopté, notre amendement de fond, présenté par cinq groupes, tombe !
M. Guy Benarroche. C’est un déni de démocratie !
M. Jean-Pierre Sueur. C’est une façon de faire comme une autre. Mais, tant qu’à faire, mes chers collègues – ç’aurait eu plus d’allure –, vous auriez pu demander un scrutin public sur cet amendement de fond que nous avons passé tant de temps à rédiger. (Applaudissements sur des travées des groupes CRCE et GEST.)
M. Guillaume Gontard. C’est franchement scandaleux !
M. Jean-Pierre Sueur. J’en viens à l’amendement n° 63 rectifié : il est très simple.
Vous savez, mes chers collègues, que l’accès à un document peut s’apparenter à un parcours du combattant. Vous faites une première demande ; on vous refuse la communication. Vous faites une deuxième demande ; elle n’aboutit pas non plus. Saisissant donc la CADA, vous attendez qu’elle se prononce, ce qui prend un certain temps. Et vous gagnez devant la CADA – formidable ! Cette victoire vous permet de déposer un recours devant le juge administratif. Et il arrive, un an et demi ou deux ans après, que vous attendiez toujours la décision du tribunal administratif !
Nous proposons donc quelque chose de simple et pratique : que, dans ce genre de cas, le juge compétent puisse ordonner, y compris en référé, toutes mesures de nature à assurer la communication de ces documents, afin de donner plein effet aux décisions de la CADA. Cette disposition ne devrait vous poser aucun problème majeur, madame la ministre…
M. le président. Les deux amendements suivants sont identiques.
L’amendement n° 4 rectifié est présenté par Mme N. Delattre, MM. Artano, Bilhac et Cabanel, Mme M. Carrère, M. Gold, Mme Guillotin et MM. Guiol, Requier et Roux.
L’amendement n° 96 rectifié bis est présenté par Mme Morin-Desailly, M. Détraigne, Mmes Billon et Férat et MM. Le Nay, Levi, J.M. Arnaud et Delcros.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
…. – Dans le cas où la Commission d’accès aux documents administratifs a, en application des dispositions de l’article L. 342-1 du code des relations entre le public et l’administration, donné un avis favorable à la communication d’un ou de plusieurs documents dont le délai de communicabilité est déterminé par le présent article, le juge compétent peut ordonner, y compris en référé, toutes mesures de nature à assurer la communication de ce ou de ces documents.
La parole est à Mme Nathalie Delattre, pour présenter l’amendement n° 4 rectifié.
Mme Nathalie Delattre. Il est défendu.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour présenter l’amendement n° 96 rectifié bis.
Mme Catherine Morin-Desailly. Il est également défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Agnès Canayer, rapporteur. Avis défavorable sur ces trois amendements, en vertu des arguments précédemment exposés : le contrôle entier qu’exige ce genre de demandes ne pourra être effectué par la CADA.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pierre Ouzoulias, pour explication de vote.
M. Pierre Ouzoulias. Le Gouvernement n’a pas entendu la CADA à propos de ce dispositif. La commission de la culture du Sénat est la seule commission parlementaire, Assemblée nationale et Sénat confondus, à avoir entendu la CADA.
M. Laurent Lafon et Mme Catherine Morin-Desailly. Exactement !
M. Pierre Ouzoulias. La CADA nous a dit qu’aujourd’hui il n’y avait pas de contentieux en la matière, mais que demain sans doute il y en aurait, tout simplement parce que, comme vous l’avez expliqué, madame la ministre, certains services seront dans l’incapacité d’informer l’usager de la communicabilité des documents demandés.
La CADA craint – elle nous l’a dit très officiellement, par la voix de son président – de devenir l’antichambre de la consultation des archives. Pour les chercheurs, il s’agirait d’une régression aussi considérable que condamnable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 63 rectifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Protestations indignées sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’est vraiment n’importe quoi ! Pensez-vous vraiment que ce sera la révolution si le tribunal administratif peut se prononcer rapidement ?
Mme Éliane Assassi. À ce compte-là, finissons le texte demain !
M. Hussein Bourgi. Réveillez vos collègues pour qu’ils viennent voter !
M. le président. Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 151 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 118 |
Contre | 226 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix les amendements identiques nos 4 rectifié et 96 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains. (Exclamations sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST, où l’on martèle les pupitres.)
Mme Éliane Assassi. L’ordre du jour de nos travaux prévoyait la poursuite de nos débats sur ce texte demain, après les questions d’actualité au Gouvernement. Il est une heure du matin et les scrutins publics se multiplient pour une seule raison : l’absence des membres de la majorité sénatoriale !
Il me semblerait approprié, et conforme à l’ordre du jour sénatorial arrêté en conférence des présidents, qu’à cette heure tardive de la nuit la séance soit levée et que nous reprenions nos travaux, comme nous en étions convenus, demain à seize heures trente, avant l’examen du projet de loi de finances rectificative ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST. – Mme Catherine Morin-Desailly applaudit également.)
M. le président. À minuit, lorsque j’ai interrogé le Sénat, personne ne s’est opposé à ce que nous menions à son terme dès cette nuit l’examen de ce texte. Nous en avons décidé ainsi ; poursuivons, mes chers collègues. (Protestations sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme Catherine Morin-Desailly. Nous votons dans des conditions de précipitation inacceptables !
Article 19 (suite)
M. le président. Je mets donc aux voix les amendements identiques nos 4 rectifié et 96 rectifié bis.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 152 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 117 |
Contre | 227 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Je mets aux voix l’article 19, modifié.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 153 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 344 |
Pour l’adoption | 227 |
Contre | 117 |
Le Sénat a adopté.
Chapitre V
Dispositions relatives aux outre-mer
Article 20
(Non modifié)
Les articles 1er et 12 de la présente loi sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises. – (Adopté.)
Article 21
(Non modifié)
Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa des articles L. 285-1, L. 286-1, L. 287-1 et L. 288-1, la référence : « n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés » est remplacée par la référence : « n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » ;
2° Au premier alinéa des articles L. 895-1, L. 896-1, L. 897-1 et L. 898-1, la référence : « l’ordonnance n° 2018-1125 du 12 décembre 2018 prise en application de l’article 32 de la loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles et portant modification de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés et diverses dispositions concernant la protection des données à caractère personnel » est remplacée par la référence : « la loi n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement » ;
3° Au 2° des articles L. 895-1 et L. 896-1, après la référence : « L. 871-2, », est insérée la référence : « L. 871-3, ». – (Adopté.)
Article 22
(Non modifié)
Le premier alinéa de l’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : ». – (Adopté.)
Article 23
(Non modifié)
Le second alinéa du I de l’article L. 3844-1 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Après la référence : « L. 3211-12-2, », est insérée la référence : « L. 3211-12-7, » ;
2° Les mots : « version résultant de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 » sont remplacés par les mots : « rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement ». – (Adopté.)
Article 24
(Non modifié)
L’article 125 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 précitée est ainsi rédigé :
« La présente loi est applicable en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises, dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. » – (Adopté.)
Article 25
(Non modifié)
Après le mot : « résultant », la fin du premier alinéa du I de l’article 57 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée est ainsi rédigée : « de la loi n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. » – (Adopté.)
Article 26
(Non modifié)
Le code des postes et des communications électroniques est ainsi modifié :
1° À l’article L. 33-3-2, après le mot : « Nouvelle-Calédonie », sont insérés les mots : « , dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, » ;
2° Le premier alinéa de l’article L. 34-4 est complété par les mots : « dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement ». – (Adopté.)
Article 27
(Non modifié)
L’article L. 760-2 du code du patrimoine est ainsi modifié :
1° Au 1°, après la référence : « L. 213-1 », est insérée la référence : « , L. 213-3 » ;
2° Il est ajouté un 3° ainsi rédigé :
« 3° L’article L. 213-2 dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement. » – (Adopté.)
Article 28
(Non modifié)
À la fin de l’article L. 770-1 du code du patrimoine, la référence : « n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice » est remplacée par la référence : « n° … du … relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement ». – (Adopté.)
Article 29
(Non modifié)
La présente loi entre en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble du projet de loi, je donne la parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. J’avoue être insatisfaite, comme l’ensemble de mon groupe – nous ne sommes pas les seuls… –, à l’issue de ce débat sans relief, sauf peut-être sur l’article 19, à propos duquel un point de vue partagé par cinq groupes politiques a pu s’exprimer de façon argumentée. Cette discussion honore le Sénat, en dépit des scrutins publics demandés par la majorité sénatoriale, en minorité ce soir dans l’hémicycle.
Pour le reste, je dois dire que le peu d’explications données pour étayer le rejet de nos amendements comme de ceux d’autres groupes me semble révélateur des postures qui animent tant la commission des lois que le Gouvernement, protagonistes d’un affrontement de façade.
Sur le fond, en effet, l’une comme l’autre se retrouvent pour pérenniser des dispositifs issus de la loi renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme (SILT) de 2017 et consacrer une logique qui émergeait déjà dans la loi de juillet 2015 relative au renseignement : étendre le champ des activités du renseignement et du recours à des techniques de surveillance intrusives tout en maintenant à distance l’autorité judiciaire.
Ne nous méprenons pas – je l’ai dit en discussion générale –, le caractère très technique de ce texte cache mal les objectifs politiques qui le motivent.
Contrairement au Gouvernement et à la majorité sénatoriale, et parce que nous pensons qu’il faut traiter les causes et non les symptômes des crimes odieux commis au nom de l’islamisme politique, qui alimente la peur et attise la haine de l’autre pour propager les idéologies obscurantistes les plus mortifères, nous sommes convaincus, pour notre part, que notre État de droit doit être renforcé.
Nous avons soulevé un certain nombre de questions, sur lesquelles je ne reviens pas, mais force est de constater que nous n’avons pas obtenu de réponses. Votre refus obstiné de débattre sur des sujets d’importance capitale pour notre sécurité, mais aussi pour nos libertés publiques ne cesse et ne cessera de nous interroger ; croyez bien que nous continuerons à verser au débat d’autres propositions que celles que vous faites prospérer.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues : nous nous opposerons à ce texte.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Comme nous l’avons indiqué lors de la discussion générale, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain partage un certain nombre des objectifs de ce texte, en particulier ceux du volet sur le renseignement, lequel renforce ce qui a été fait en 2015.
En outre, nous comprenons que le contexte impose un certain nombre de mesures particulières, dont nous aurions toutefois souhaité, ainsi que nous l’avons fortement exprimé aujourd’hui, s’agissant des mesures issues de la loi SILT, qu’elles restent provisoires et qu’elles soient régulièrement validées et votées par le Parlement. Nous nous refusons à admettre que des mesures particulièrement intrusives pour les libertés individuelles soient ainsi pérennisées.
Par ailleurs, notre volonté de renforcer la délégation parlementaire au renseignement n’a pas été prise en compte, non plus que certains éléments essentiels pour normer les échanges avec les services étrangers. Il s’agit pourtant d’une nécessité afin de pouvoir poursuivre sereinement des échanges solides avec un certain nombre de partenaires étrangers qui ont, eux, fait cet effort de régulation. Nous aurons des problèmes, avec des services européens en particulier, lesquels sont tous soumis aux mêmes exigences de la Cour européenne des droits de l’homme.
Nous devrons sans doute revenir très rapidement sur l’article 15, car les dispositions que nous avons adoptées ne répondront probablement pas aux besoins des réquisitions judiciaires.
Enfin, à avoir tant fait voter les absents ce soir, nous ne permettons pas un accès aux archives dans des conditions correctes, nous ne permettons pas à la Nation d’écrire son histoire. C’est particulièrement problématique.
Pour toutes ces raisons, et compte tenu de la gravité du moment, nous nous abstiendrons sur ce texte.
Pour conclure, je ferai deux remarques.
Premièrement, la magie n’existe pas. Une technologie, quelle qu’elle soit, ne remplacera pas l’engagement et les moyens humains.
Deuxièmement, pour garantir que l’ensemble de ce texte s’inscrive dans notre État de droit et respecte notre loi fondamentale, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain saisira le Conseil constitutionnel lorsque ce projet de loi aura été définitivement adopté par le Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Ce débat est un peu décevant.
Nous avons bien compris que l’ensemble des mesures déléguées à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées étaient importantes et qu’il fallait absolument les adopter. Nous avons toutefois posé plusieurs questions sur notre souveraineté, sur la coordination avec les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne, sur le rôle du politique et sur la façon dont il faut aborder l’ensemble de ces sujets, ainsi que sur la société Palantir et sur les algorithmes, mais nous n’avons pas obtenu de réponses.
Nous avons bien compris également que ce texte ne serait pas le Grand Soir de la lutte contre le terrorisme, mais que les mesures qu’il prévoit sont nécessaires. Aussi la majorité du groupe Union Centriste le votera-t-il.
Il reste pourtant l’impression assez désagréable d’un débat bâclé, malgré le travail très important effectué par les rapporteurs en commission, dans des délais absolument insupportables, alors que nous étions dans la seringue : certaines mesures arrivent à expiration et d’autres sont contraintes par des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne ou du Conseil d’État.
L’impression que nous en arrivons à un gouvernement des juges est extrêmement désagréable pour les législateurs que nous sommes.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Di Folco, pour explication de vote.
Mme Catherine Di Folco. Six mois après un premier vote du Sénat en faveur de la pérennisation des mesures antiterroristes issues de la loi SILT, nous nous félicitons que le Gouvernement ait décidé de ne plus reculer sur ce sujet. C’est chose faite.
Par ailleurs, les propositions constructives de la commission des lois en matière de suivi des personnes condamnées pour des actes de terrorisme ont enrichi le texte qui sera adopté par le Sénat ce soir.
À cette occasion, nous regrettons que le Gouvernement ait maintenu ses positions au sujet des Micas et nous déplorons les risques constitutionnels relatifs à la possibilité d’allonger leur durée à deux ans.
En ce qui concerne la conservation des données de connexion sollicitées dans le cadre des enquêtes judiciaires, il nous semblait absolument nécessaire de ne pas les cantonner aux seuls faits de criminalité grave, au risque de mettre en péril nombre d’enquêtes menées au quotidien par nos policiers et nos gendarmes.
Le texte qui sera voté par le Sénat ce soir renforce les moyens des services de lutte contre les nouvelles menaces, tout en apportant des garanties supplémentaires.
Enfin, le dispositif adopté à l’instant à l’article 19 en matière d’archives publiques, sur proposition de Mme Canayer, nous semble concilier, dans la mesure du possible, protection du secret de la défense nationale et liberté de travail des chercheurs, historiens et archivistes.
Je remercie chaleureusement les rapporteurs du travail de qualité qu’ils ont réalisé, malgré la complexité et la technicité particulières de ce texte.
Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera ce projet de loi, tel qu’il a été modifié en première lecture par notre chambre.
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour explication de vote.
Mme Esther Benbassa. Je m’associe au communiqué du Conseil national des barreaux pour regretter l’absence totale de concertation préalable. Je dénonce le recours à la procédure accélérée, dont le Gouvernement a pris l’habitude. Tous deux privent le Parlement d’un véritable débat.
Je l’ai dit, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires s’inquiète de l’accumulation et de la pérennisation de lois d’exception. Il s’agit là du huitième texte de cette sorte depuis 2015 !
Nous déplorons de nouveau le manque de cohérence entre les mesures existantes, ainsi que l’absence de réels moyens de prévention de la radicalisation, particulièrement en détention, ce sujet n’étant jamais traité.
Enfin, je tire la sonnette d’alarme, avec la Ligue des droits de l’homme : ce projet de loi confirme toutes les craintes exprimées depuis 2015 par plusieurs organisations de défense et de promotion des droits humains, ainsi que d’avocats et d’universitaires, en matière d’atteintes à l’État de droit et de restriction des libertés. Il fait peser de nombreux risques sur les libertés individuelles et sur la protection de la vie privée. Le Gouvernement serait-il en train de perdre sa boussole s’agissant des principes de l’État de droit ?
Notre groupe est fermement opposé à cette dérive sécuritaire prétendument justifiée par la lutte contre le terrorisme – une juste cause, j’y insiste –, qui va à l’encontre de la jurisprudence constitutionnelle et de l’avis du Conseil d’État du 21 avril 2021, lequel tendait à concilier le respect du droit de l’Union européenne et l’efficacité de la lutte contre le terrorisme en France.
Les Français se demanderont en outre, en constatant la succession de scrutins publics destinés à dissimuler l’absentéisme des représentants de la Nation, s’il faut vraiment aller voter pour des absents. L’abstentionnisme a ses raisons, dirons-nous !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble du projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 154 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 278 |
Pour l’adoption | 251 |
Contre | 27 |
Le Sénat a adopté.
7
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 30 juin 2021 :
À quinze heures :
Questions d’actualité au Gouvernement.
À vingt et une heure :
Projet de loi de finances rectificative pour 2021, adopté par l’Assemblée nationale (texte n° 682, 2020-2021) ;
Clôture de la session ordinaire de 2020-2021.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 30 juin 2021, à une heure vingt.)
nomination de membres d’une éventuelle commission mixte paritaire
La liste des candidats désignés par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable pour faire partie de l’éventuelle commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a été publiée conformément à l’article 8 quater du règlement.
Aucune opposition ne s’étant manifestée dans le délai d’une heure prévu par l’article 8 quater du règlement, cette liste est ratifiée. Les représentants du Sénat à cette éventuelle commission mixte paritaire sont :
Titulaires : M. Jean-François Longeot, Mme Marta de Cidrac, M. Philippe Tabarot, Mme Sophie Primas, MM. Joël Bigot, Franck Montaugé et Frédéric Marchand ;
Suppléants : Mme Dominique Estrosi Sassone, MM. Daniel Gremillet, Didier Mandelli, Pascal Martin, Mme Martine Filleul, M. Jean-Pierre Corbisez et Mme Marie-Claude Varaillas.
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER