Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. Nous nous rejoignons sur l’objectif de renforcer le puits de carbone forestier. C’est d’ailleurs ce que la commission des affaires économiques s’est attachée à faire aux articles 19 bis D et 19 bis F. Aussi, je pense que ces amendements sont satisfaits par les dispositions déjà prises, ainsi que par l’adoption de l’amendement n° 1419 rectifié.
S’agissant du plafonnement des prélèvements de bois dans le PNFB, celui-ci nous semble inapproprié, puisque l’enjeu est beaucoup plus large : il s’agit d’adapter ces prélèvements aux réalités de terrain, qui peuvent être différentes en fonction de nos régions, et donc des PRFB.
La commission demande donc le retrait de ces amendements ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Les amendements nos 813 rectifié, 936 rectifié et 1885 visent à introduire, dans le code forestier, une double disposition : maintenir ou renforcer le puits de carbone forestier et plafonner le niveau de prélèvements de bois à celui de 2019.
La stratégie nationale bas-carbone a inclus des scenarii chiffrés à l’horizon de 2050 et des indicateurs de résultats avec, dans les prélèvements qui découlent de l’application des plans de gestion agréés par l’État, un plafonnement national. Le plafonnement proposé par ces amendements n’aurait donc guère de sens opérationnel.
J’ajoute que, en associant les effets du puits forestier et l’augmentation du stockage des produits bois, nous activons aussi ce troisième levier de la substitution, qui doit nous permettre de répondre aux matériaux plus énergivores et aux énergies fossiles. Ce levier est incontournable pour la réduction des émissions dans les secteurs du bâtiment, du transport et de l’énergie. Le Gouvernement est donc défavorable à ces trois amendements.
S’agissant de l’amendement n° 1424, le Gouvernement en demande le retrait, car il est satisfait par l’article L. 121-1 du code forestier, qui dispose que l’État veille à l’« optimisation du stockage de carbone dans les bois et forêts, le bois et les produits fabriqués à partir de bois ». Le puits de carbone de la forêt et des produits bois y est donc déjà mentionné.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour explication de vote.
M. Fabien Gay. Vous voyez que, au détour d’un amendement, on fait beaucoup de politique…
J’entends ce que dit Mme la rapporteure pour avis, mais nous ne retirerons pas notre amendement, parce qu’il n’est pas du tout satisfait. Reconnaître la forêt comme puits de carbone a des conséquences ! Par exemple – nous avons eu le débat en commission –, aujourd’hui, en Amazonie française, 360 000 hectares sont menacés par des mines industrielles. Nous aurons ce débat dans quelques heures à propos du code minier. Aussi, si nous reconnaissons la forêt comme puits de carbone, il faut arrêter ces mines industrielles qui menacent l’Amazonie française. Vous le voyez, tout se tient !
De la même manière, si nous reconnaissons la forêt comme puits de carbone nécessaire, nous devrions avoir tout un débat, comme nous l’avons eu hier, sur les traités de libre-échange. On ne peut pas, d’un côté, déclarer ne pas cautionner la politique de Bolsonaro et, de l’autre, signer le Mercosur, qui participe à la déforestation.
Nous maintenons donc notre amendement, parce que, je le répète, il n’est pas du tout satisfait. Nous considérons qu’inscrire un tel dispositif dans le code forestier serait un gain écologique et social.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je voudrais soutenir notre rapporteure pour avis, pour deux raisons.
Tout d’abord, on se méprend : comme les hommes et les femmes, le stock de carbone se constitue au fil du temps. Et, comme la société, sans renouvellement, la forêt s’appauvrit. Aujourd’hui, le problème de nos forêts est qu’on a davantage d’arbres qui dépérissent ou qui sont prélevés que de jeunes pousses, que ce soit par plantation ou par régénération naturelle. Voilà le vrai débat !
Ensuite, comme l’a dit notre collègue Joël Labbé, sans jeunes de plants, on hypothèque les captations de carbone pour le futur.
Telles sont les raisons pour lesquelles je soutiens ardemment notre rapporteure pour avis. Il est essentiel d’en rester à la rédaction de la commission des affaires économiques.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour explication de vote.
M. Joël Labbé. Comme dans de nombreux domaines, on nage en plein paradoxe : la bonne volonté, la lucidité et les intentions sont là, mais on réfléchit à court terme. L’économie de la forêt devra passer par la mise en place de filières françaises et européennes pour aboutir au produit fini. Les prélèvements devront nécessairement être moindres.
Nous l’avons dit, la vieille forêt est beaucoup plus captatrice en carbone que la jeune. Or il faut trois, quatre, voire cinq générations pour y parvenir. On travaille pour les générations futures !
Nous discutons d’un projet de loi Climat et résilience. Or on ne peut aboutir à la résilience sans sobriété. Il faut revoir le logiciel de l’exploitation et cultiver la forêt au lieu de l’exploiter au maximum.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Il me semble que nous partageons tous ces notions de puits de carbone, mais ne brusquons pas les choses : elles sont en train de se faire naturellement.
Ne bloquons pas le marché de la forêt. Si on veut que la forêt appartienne à moins de propriétaires et soit mieux gérée, il faut impérativement qu’elle ait une certaine valeur. Quand on achète une forêt, c’est en fonction du bois qu’il y a sur la parcelle. Si on ne peut pas prélever le bois, personne ne l’achètera. Sans transaction, il n’y aura plus d’investissement, la forêt ne sera plus gérée, et on sera face au problème que soulève Daniel Gremillet. Si on veut bloquer le marché, il n’y a qu’à s’y prendre comme ça ! Interdire les plantations d’épicéas, par exemple, c’est rendre ce type de massif forestier invendable !
Si on veut arriver à ne plus avoir de plantations uniques au profit de forêts mosaïques, mieux vaut faire évoluer petit à petit les mentalités que de bloquer le marché, sinon le bois sera acheté ailleurs et on va déforester, ce qui serait contre-productif ! C’est la même chose pour la baisse de TVA qui a été proposée pour le bois d’appellation d’origine contrôlée : là aussi, c’est contre-productif !
La commission a su trouver le juste milieu : préserver les intérêts écologiques et les intérêts économiques. Il faut véritablement en rester là !
M. le président. Monsieur Moga, l’amendement n° 936 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Moga. Non, je le retire.
M. le président. L’amendement n° 936 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l’amendement n° 813 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
M. le président. L’amendement n° 1425, présenté par Mme M. Filleul, MM. J. Bigot, Montaugé et Kanner, Mme Bonnefoy, MM. Dagbert, Devinaz, Gillé, Houllegatte et Jacquin, Mmes Préville, Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy et Tissot, Mme G. Jourda et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 19 bis D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 121-5 du code forestier est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Ces documents de gestion peuvent prévoir exceptionnellement de laisser certaines surfaces, parcelles ou massifs, en libre évolution notamment pour des motifs d’ordre écologique, paysager, scientifique ou éducatif.
« La gestion sous forme de libre évolution peut être prévue par le propriétaire dans le cadre des obligations réelles environnementales mentionnées à l’article L. 132-3 du code de l’environnement. »
La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Cet amendement vise à consacrer, dans le code forestier, la possibilité de laisser des surfaces forestières en libre évolution, lesquelles peuvent jouer un rôle intéressant dans notre stratégie de lutte contre le réchauffement climatique. En effet, si l’exploitation économique des forêts a toute sa vocation pour la création de matériaux durables et d’énergie, elle empêche le plus souvent le vieillissement naturel des arbres. Or le stockage du carbone se réalise d’autant mieux que les arbres sont anciens, la décomposition du bois mort incorporant bien davantage de carbone dans le sol qu’elle n’en libère.
Par ailleurs, les arbres âgés, le bois mort sous toutes ses formes et les écosystèmes caractéristiques des forêts en libre évolution sont les supports de vie d’un quart de la biodiversité terrestre.
La libre évolution permet aussi de garder des témoins du fonctionnement originel des forêts et constitue un laboratoire précieux d’observation pour la connaissance du fonctionnement des écosystèmes forestiers, notamment dans le cadre du changement climatique.
Pour ces raisons, nous souhaitons consacrer cette possibilité dans le code forestier pour faire de la libre évolution un véritable mode de gestion exceptionnel appliqué soit à des petites surfaces constituant des îlots de sénescence, soit à des parcelles entières.
La libre évolution doit demeurer une faculté. Il ne s’agit pas de la rendre systématique dans certaines zones. En effet, l’intervention humaine peut s’avérer nécessaire pour veiller à la bonne santé écologique d’un territoire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. Les propriétaires ont toute latitude pour mettre en œuvre la libre évolution. Bon nombre d’entre eux le font déjà. Dans les grandes forêts, les stations forestières ne sont pas toutes les mêmes : régénération naturelle, plantations, libre évolution… On trouve d’ailleurs beaucoup de libre évolution dans les toutes petites parcelles non gérées qu’évoquait à l’instant M. Savary. De fait, elle est déjà largement pratiquée sur l’ensemble du territoire.
Par ailleurs, on ne connaît pas les conséquences réelles de la libre évolution sur la biodiversité et sur le puits de carbone. Il faut aussi prendre en compte les risques supplémentaires induits en termes d’incendies, de déséquilibres sylvo-cynégétiques ou de risques parasitaires. C’est la raison pour laquelle la commission des affaires économiques a demandé une évaluation de l’impact des forêts en libre évolution, notamment dans les aires protégées.
Pour ces raisons, madame la sénatrice, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. En l’état actuel du droit, il est tout à fait possible – et même souhaitable – d’intégrer une partie de libre évolution dans les documents de gestion durable. Il faut également toujours garder à l’esprit la notion de multifonctionnalité.
Nous devrions sans doute réfléchir à une révision de la fiscalité. Ce levier a pu être oublié en d’autres temps.
En ce qui concerne les obligations réelles environnementales et le souhait de certains propriétaires de s’inscrire dans une démarche environnementale de long terme, sachez qu’un séminaire technique se tiendra à l’automne prochain pour dresser un premier bilan et accompagner la massification du recours aux ORE, qui constituent un dispositif très intéressant.
En l’état, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Madame Filleul, l’amendement n° 1425 est-il maintenu ?
Mme Martine Filleul. Non, je le retire.
M. le président. L’amendement n° 1425 est retiré.
Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L’amendement n° 553 rectifié bis est présenté par MM. Corbisez, Cabanel, Gold, Guiol et Roux, Mme M. Carrère, M. Guérini, Mme Guillotin et MM. Requier et Bilhac.
L’amendement n° 1101 est présenté par M. Gay, Mme Varaillas et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste.
L’amendement n° 1426 est présenté par Mme M. Filleul, MM. J. Bigot, Montaugé et Kanner, Mme Bonnefoy, MM. Dagbert, Devinaz, Gillé, Houllegatte et Jacquin, Mmes Préville, Artigalas et Blatrix Contat, MM. Bouad, Cardon, Mérillou, Michau, Pla, Redon-Sarrazy et Tissot, Mme G. Jourda et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
L’amendement n° 1881 est présenté par MM. Labbé, Dantec, Salmon, Fernique et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Après l’article 19 bis D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code forestier est ainsi modifié :
1° La section 2 du chapitre IV du titre II du livre Ier est complétée par un article L. 124-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 124-5-1. – I. – Les coupes rases, définies comme les coupes d’un seul tenant de la totalité des arbres d’une parcelle sans régénération acquise, d’une surface supérieure à deux hectares, sont interdites, sauf autorisation délivrée par le représentant de l’État dans le département et pour les bois et forêts des particuliers, après avis du Centre national de la propriété forestière. L’autorisation est délivrée à condition que la coupe soit justifiée par une situation d’impasse sanitaire, définie par un état de santé des arbres fortement compromis et par une absence de régénération naturelle de qualité et suffisante. Le calcul des surfaces tient compte des coupes rases cumulées au cours des cinq dernières années sur des parcelles contiguës appartenant à un même propriétaire.
« II. – Un décret en Conseil d’État détermine les conditions dans lesquelles est délivrée l’autorisation mentionnée au I.
« III. – Les documents d’aménagement mentionnés à l’article L. 212-1 peuvent exceptionnellement autoriser des coupes rases selon les critères établis au I, auquel cas l’autorisation prévue n’est pas requise. » ;
2° Au premier alinéa de l’article L. 124-6, les mots : « d’une surface supérieure à un seuil arrêté par la même autorité dans les mêmes conditions » sont remplacés par les mots : « encadrée selon les modalités prévues par l’article L. 124-5-1 ».
3° Le deuxième alinéa de l’article L. 312-5 est complété par les mots : « sans préjudice de l’article L. 124-5-1 » ;
4° Au dernier alinéa de l’article L. 312-11, après la référence : « L. 124-5 », est insérée la référence : « , L. 124-5-1 ».
La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour présenter l’amendement n° 553 rectifié bis.
M. Jean-Pierre Corbisez. Les coupes rases ne tiennent pas compte de l’écosystème forestier ni de l’âge de maturité des arbres. Cette pratique se répand dans les forêts dites de « feuillus », diversifiées, avec plusieurs essences et des âges d’arbre différents, et donc plus résilientes au changement climatique, malheureusement dans le seul but de les convertir en plantations monospécifiques de résineux. Les forêts plantées après coupe rase sont moins résilientes face au dérèglement climatique, aux incendies ou encore à la prolifération d’insectes.
Cet amendement vise à interdire les coupes rases des bois et forêts qui ne font pas actuellement l’objet d’une définition au sein du code forestier. Elles seraient ainsi définies « comme les coupes d’un seul tenant de la totalité des arbres d’une parcelle sans régénération acquise, d’une surface supérieure à deux hectares ». Elles seraient interdites, sauf « autorisation délivrée par le représentant de l’État dans le département et pour les bois et forêts des particuliers, après avis du Centre national de la propriété forestière », et ne seraient autorisées qu’en cas d’impasse sanitaire.
M. le président. La parole est à M. Fabien Gay, pour présenter l’amendement n° 1101.
M. Fabien Gay. Cet amendement vise à interdire la coupe rase, qui consiste à abattre la totalité des arbres d’une parcelle d’une exploitation forestière.
Aujourd’hui, la coupe rase, ou coupe à blanc, est une technique qui ne tient pas compte des limites et des fragilités du couvert forestier français et qui a des effets dévastateurs sur l’écosystème, les sols et les paysages.
La coupe rase entraîne une perturbation anormale et brutale de l’écosystème forestier, accroît le risque d’une mauvaise régénération des essences – si précieuse – et la compaction et parfois l’érosion des sols, ce qui nuit à la bonne régénération naturelle et au bon ancrage des arbres plantés.
Enfin, cette pratique forestière peut conduire à une modification profonde et brutale des mécanismes de ruissellement et du cycle de l’eau, ce qui se traduit par une pollution ou dégradation des cours d’eau, localement et en aval.
M. le président. La parole est à Mme Martine Filleul, pour présenter l’amendement n° 1426.
Mme Martine Filleul. Les sénateurs du groupe socialiste proposent d’interdire les coupes rases d’un seul tenant d’une surface supérieure à deux hectares, sauf autorisation du préfet de département et du CNPF.
La pratique des coupes rases constitue un véritable préjudice pour le stock carbone contenu dans les sols forestiers. Elle doit, à ce titre, être interdite.
Une récente étude, publiée par la Commission européenne en juin 2020, a révélé que la surface de forêt recollée par coupe rase avait augmenté de 49 % sur la période 2016-2018 par rapport à 2011-2015.
De même, le rapport des associations Fern et Canopée, avec qui nous avons travaillé sur l’élaboration de cet amendement, montre que les coupes rases représentent près de 14 % de la surface forestière française en 2016.
Ces chiffres doivent nous alarmer sur la nécessité d’endiguer ce phénomène afin de préserver notre surface forestière, dont le rôle est essentiel pour la régulation du CO2 au niveau atmosphérique. Les forêts, qui stockent plus de la moitié du carbone des terres émergées, doivent donc être protégées des coupes rases.
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour présenter l’amendement n° 1881.
M. Joël Labbé. Il faut rendre la forêt plus résiliente face au dérèglement climatique. Or les forêts plantées après une coupe rase sont moins résistantes aux événements extrêmes comme les tempêtes, les incendies et les proliférations d’insectes.
Certes, la coupe rase, suivie d’une nouvelle plantation, peut se justifier. Le dispositif proposé prévoit d’ailleurs une dérogation avec des critères sanitaires stricts pour distinguer les forêts objectivement dépérissantes en situation d’impasse.
Il s’agit d’un amendement équilibré. Il nous faut vraiment encadrer cette pratique qui augmente pour d’autres raisons que la seule arrivée à maturité de plantations d’arbres. Or le plan de relance du Gouvernement nous promet une accélération de la tendance en permettant de subventionner – avec de l’argent public ! – des pratiques qui consistent à détruire entièrement une forêt diversifiée, en parfaite santé, par coupe rase, puis à la remplacer par une autre plantation, généralement une monoculture de résineux.
L’industrialisation de la forêt se poursuit donc à rebours des enjeux sociétaux, environnementaux et économiques liés à ces milieux si précieux. Les choses ne peuvent pas se faire en claquant des doigts. Il faut une volonté politique. Les acteurs et les citoyens réclament cette réindustrialisation, notamment pour le bois de construction et pour le bois de meubles. Il est temps de travailler sur cette filière, qui a un beau passé et qui doit avoir un bel avenir. (Mme Esther Benbassa applaudit.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?
Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour avis. Ne nous trompons pas : l’évolution des coupes rases depuis 2016-2017 est en grande partie due au changement climatique et à une vulnérabilité croissante de nos arbres.
Le changement climatique n’est pas arrivé d’un coup. Ce phénomène se déroule dans le temps. Les sécheresses de ces dernières années ont affaibli des peuplements, qui dépérissent.
La commission des affaires économiques n’est pas favorable à l’interdiction de telle ou telle pratique sylvicole plutôt qu’une autre. Elles peuvent toutes être opportunes à un moment donné, sur une station donnée.
Nous souhaitons nous appuyer sur l’appréciation, la qualification des acteurs locaux : professionnels forestiers, élus… Ces derniers participent d’ailleurs de plus en plus aux stratégies locales de développement forestier.
Nos amendements crantent dans la loi, dans le code forestier, la préservation et la qualité des sols. Ce sont autant d’outils à la disposition des préfets et des CRPF pour contrôler et éviter, demain, les pratiques abusives.
Mes chers collègues, ne nous trompons pas de sujet : l’objectif de ce projet de loi Climat est bien de préserver la biodiversité et la richesse des sols, non d’interdire tel ou tel outil. Que ferons-nous sur une parcelle de plus de deux hectares en mono-essence de résineux et futaie régulière – soit l’archétype de ce que l’on ne veut pas ? Pourquoi ne pas la couper alors qu’on pourrait y replanter des essences adaptées, mélangées, plus aptes à résister au changement climatique ?
Nous ne voulons pas d’interdiction systématique, mais une plus grande vigilance des organismes de contrôle.
Pour toutes ces raisons, la commission demande le retrait de ces quatre amendements identiques ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Bérangère Abba, secrétaire d’État. Les coupes rases émeuvent, notamment pour le choc paysager qu’elles peuvent provoquer. Nous partageons tous ce sentiment. Personne ne veut ici accepter des pratiques irraisonnées et court-termistes.
Pour autant, nous ne devons pas nous laisser emporter par l’émotion : parfois, des causes sanitaires justifient ces coupes rases. Par ailleurs, si l’impact de cette pratique sur la biodiversité peut être avéré, il n’est pas absolu, notamment si des plantations ou des régénérations naturelles s’ensuivent pour leur donner un sens dans le temps.
Je partage le souci de vigilance des différents intervenants, mais appliquer un seuil au niveau national me semble prématuré. C’est la raison pour laquelle je demande le retrait de ces amendements ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je voudrais souligner une contradiction : en défendant l’amendement n° 1425, Mme Filleul expliquait qu’il fallait laisser les surfaces se développer naturellement. Mais quelles surfaces se développent naturellement sinon celles où il y a eu coupe rase ? Dans l’amendement suivant, vous ne voulez plus de coupe rase !
Il faut aussi faire attention à l’enjeu social. Les propriétaires font généralement ces coupes rases quand ils ont besoin d’argent, par exemple pour payer l’Ehpad du grand-père… Soyons attentifs : derrière ces coupes, on trouve des questions de gestion du patrimoine, d’héritage… Si on ne peut plus faire de coupes, ce petit patrimoine ne vaudra plus rien. Croyez-vous qu’un débardeur, en montagne, va monter pour tirer trois arbres ou que le marchand de bois va se déplacer s’il ne remplit pas un camion ?
Tous ces enjeux économiques, sociaux, écologiques doivent être pris en compte. Il y a un juste milieu à trouver en laissant les mentalités évoluer progressivement, surtout pas en posant des interdits qui bloqueraient le peu de gens qui sont encore de bonne volonté.
M. le président. La parole est à M. Daniel Salmon, pour explication de vote.
M. Daniel Salmon. L’amendement de notre groupe ne pose pas d’interdiction stricto sensu. Il s’agit d’un renversement pour assurer un contrôle sur ce qui est coupé.
Comme cela a été souligné, les coupes rases peuvent se justifier pour des raisons sanitaires ou quand la forêt est arrivée à maturité complète, mais il faut les encadrer. À défaut, on retrouvera ces grandes incompréhensions, ces débats sociétaux… La forêt est un patrimoine commun qu’il faut appréhender en tant que tel.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Corbisez. Je comprends l’intervention de M. Savary et son souci de l’intérêt social.
Madame la secrétaire d’État nous demande d’être vigilants et Mme la rapporteure pour avis de faire confiance au contrôle sur le terrain. Mais, pour être vigilant et procéder aux bons contrôles, mieux vaut disposer de bons éléments législatifs. C’est pour cette raison que je maintiens mon amendement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 553 rectifié bis, 1101, 1426 et 1881.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 1882, présenté par MM. Labbé, Dantec, Salmon, Fernique et les membres du groupe Écologiste - Solidarité et Territoires, est ainsi libellé :
Après l’article 19 bis D
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 124-5 du code forestier est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « département », sont insérés les mots : «, ou sur tout ou partie d’un parc naturel régional, » ;
b) Sont ajoutés les mots : « et du syndicat mixte de gestion du parc naturel régional si la coupe est comprise dans son périmètre » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « département », sont insérés les mots : « ou sur tout ou partie d’un parc naturel régional, » ;
b) Sont ajoutés les mots : « et le cas échéant du syndicat mixte de gestion du parc naturel régional » ;
3° Le troisième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « Le traitement de cette autorisation prend en compte le respect des caractéristiques paysagères et environnementales locales. »
La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Le football est à l’honneur en ce moment, et, même si nous ne suivons pas les matchs, parce que nous sommes au boulot, nous nous y intéressons. Quand une équipe attaque sans succès, elle se replie pour mieux réattaquer ; c’est ce que je fais avec cet amendement de repli (Sourires), que je n’ai pu défendre en commission tant les choses sont allées vite. Ce n’est pas un reproche, nous étions tenus d’avancer à marche forcée…
Je tiens à défendre cet amendement en séance, avec force. Il s’agit d’encadrer les coupes rases non plus de manière globale, mais en lien avec les associations de syndicats mixtes des parcs naturels régionaux.
Le code forestier permet aux préfets d’adapter le seuil d’autorisation des coupes d’un seul tenant, dites coupes rases, à un département, mais il ne permet pas de l’adapter à l’échelle d’un parc naturel régional (PNR). Cette incapacité d’adaptation aux enjeux spécifiques de ces territoires, pourtant particuliers sur le plan écologique et paysager, ne permet pas de répondre de manière efficace aux dynamiques identifiées dans les chartes de parcs, comme cela a été souligné lors de leur récente révision.
Les élus des parcs se sont souvent trouvés très démunis pour apporter une réponse à leur population sur la question des coupes rases. Cet amendement tend donc à permettre aux préfets de département de fixer, en lien avec les syndicats mixtes à l’échelle d’un PNR ou d’une partie de PNR, un seuil d’autorisation de coupe de bois et forêts, comme ils peuvent le faire aujourd’hui à l’échelle du département. Les parcs naturels régionaux disposent d’une charte qui permet de justifier les objectifs d’une telle mesure et de définir la zone sur laquelle elle doit être mise en œuvre.
Cet amendement vise également à inscrire dans la loi l’exigence de prise en compte des caractéristiques paysagères et environnementales du territoire. Il a été travaillé avec la Fédération nationale des parcs naturels régionaux – ces parcs sont des territoires exemplaires, des territoires d’exception qui doivent nous tirer vers le haut.