Sommaire
Présidence de Mme Laurence Rossignol
Secrétaires :
Mmes Martine Filleul, Corinne Imbert.
2. Mises au point au sujet de votes
3. Accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi
Mme Jacky Deromedi, rapporteur de la commission des lois
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Mme Nadia Hai, ministre déléguée
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Rejet de l’article.
Amendement n° 2 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Rejet de l’article.
Amendement n° 3 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Rejet de l’article.
Mme Amélie de Montchalin, ministre
Rejet de l’article.
Rejet de l’article.
Amendement n° 4 de M. Jean-Pierre Sueur. – Rejet.
Rejet de l’article.
Rejet de l’article.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
4. Lutte contre l’indépendance fictive. – Rejet d’une proposition de loi
Discussion générale :
M. Olivier Jacquin, auteur de la proposition de loi
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des affaires sociales
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion
Clôture de la discussion générale.
Article 1er – Rejet par scrutin public n° 127.
Rejet, par scrutin public n° 128, de l’article.
Rejet, par scrutin public n° 129, de l’article.
Tous les articles ayant été rejetés, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Suspension et reprise de la séance
5. Protection sociale des assistants maternels et salariés des particuliers employeurs. – Discussion en procédure accélérée et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’article unique de la proposition de loi dans le texte de la commission.
6. Accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques. – Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Xavier Iacovelli, rapporteur de la commission des affaires sociales
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Bernard Jomier. – Adoption.
Amendement n° 2 de M. Bernard Jomier. – Retrait.
Amendement n° 3 de M. Bernard Jomier. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 4 rectifié de M. Dominique Théophile. – Retrait.
L’article demeure supprimé.
Article 5 (suppression maintenue)
Intitulé de la proposition de loi
Amendement n° 5 de la commission. – Adoption de l’amendement rédigeant l’intitulé.
Adoption de la proposition de loi dans le texte de la commission, modifié.
7. Mise au point au sujet de votes
Suspension et reprise de la séance
8. Gestion de la sortie de crise sanitaire. – Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi
Discussion générale :
M. Philippe Bas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission mixte paritaire.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Laurence Rossignol
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Martine Filleul,
Mme Corinne Imbert.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mises au point au sujet de votes
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Madame la présidente, mes collègues Nadine Bellurot, Céline Boulay-Espéronnier, Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Jean-François Husson, Ronan Le Gleut, Isabelle Raimond-Pavero, Stéphane Sautarel, Elsa Schalck et Cédric Vial souhaitaient s’abstenir sur le scrutin n° 126 portant sur l’article 4 de la proposition de loi pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal.
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner.
M. Patrick Kanner. Madame la présidente, je souhaite moi aussi faire une mise au point au sujet du scrutin n° 126.
Mes collègues David Assouline, Hussein Bourgi, Hélène Conway-Mouret, Michel Dagbert, Gilbert-Luc Devinaz, Martine Filleul, Jean-Michel Houllegatte, Victoire Jasmin, Bernard Jomier, Gisèle Jourda, Claudine Lepage, Jean-Jacques Lozach, Michelle Meunier, Laurence Rossignol, Rachid Temal et André Vallini souhaitaient voter pour et non s’abstenir.
Mon collègue Olivier Jacquin, quant à lui, souhaitait ne pas participer au vote.
Mme la présidente. Acte est donné de ces mises au point. Elles seront publiées au Journal officiel et figureront dans l’analyse politique du scrutin.
3
Accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises
Rejet d’une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises, présentée par Mme Hélène Conway-Mouret et plusieurs de ses collègues (proposition n° 311, résultat des travaux de la commission n° 606, rapport n° 605).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Hélène Conway-Mouret, auteure de la proposition de loi. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, permettez-moi dans un premier temps de me réjouir de voir deux ministres au banc. J’y vois là un signe très positif de l’attention que nous accordons, Parlement et exécutif, à notre jeunesse.
Je tiens également à remercier Mme la rapporteure Jacky Deromedi pour le travail qu’elle a réalisé et le dialogue que nous avons entretenu même si, malheureusement, celui-ci ne nous a pas permis de parvenir à un consensus, lequel aurait pourtant contribué à l’amélioration du texte.
Je le regrette vivement parce que l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est au cœur de notre projet républicain : l’égalité des chances et l’accès des jeunes à l’emploi, notamment des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale.
Ce texte s’inscrit pleinement parmi les priorités que notre groupe politique s’est fixées dans le cadre, à la fois de la mission en cours de notre collègue Monique Lubin sur la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse, et de la proposition de loi relative aux droits nouveaux dès dix-huit ans de notre collègue Rémi Cardon, que nous avons examinée en janvier dernier.
Le présent texte s’appuie sur les observations des acteurs de terrain avec lesquels j’ai l’habitude de travailler depuis de nombreuses années. Il part d’un constat : notre système scolaire est profondément inégalitaire, marqué par une reproduction sociale et économique des élites, non seulement dans l’administration, mais aussi dans notre tissu industriel et commercial.
Notre marché du travail est à son image : les employeurs s’attachent encore beaucoup au diplôme ou au concours d’entrée, qui détermine souvent le reste de la carrière. Or, premier obstacle, ceux-ci ne sont pas accessibles à tous. Deuxième obstacle, même les plus diplômés issus de certaines catégories sociales ont beaucoup de mal à s’insérer sur le marché du travail. J’en veux pour preuve que le taux d’emploi des diplômés âgés de 20 à 34 ans s’élevait à 74 % en France en 2017, contre 80 % pour la moyenne européenne.
La France est également l’un des pays membres de l’Union européenne comptant le plus de jeunes âgés de 15 à 29 ans n’ayant pas de travail ou ne suivant ni études ni formation.
La crise sanitaire que nous traversons a exacerbé les inégalités et a frappé durement notre jeunesse. Le taux de chômage des jeunes âgés de 18 à 25 ans a augmenté : il a atteint 21,8 % en 2020. Le taux d’emploi a reculé quatre fois plus pour cette catégorie d’âge que dans le reste de la population. Les conditions de vie des jeunes sont précaires : un jeune de moins de 25 ans sur cinq vit au-dessous du seuil de pauvreté.
L’éloignement géographique en milieu rural, dans les territoires d’outre-mer, ou le fait de vivre dans des quartiers prioritaires de la politique de la ville constituent aujourd’hui un barrage, notamment pour les familles les plus modestes. Ils contribuent de facto à la faible représentation des jeunes issus de ces territoires au sein des grandes écoles et des classes préparatoires, concentrées pour la plupart à Paris.
La haute fonction publique n’est pas à l’image de la société. La France est l’un des pays où la reproduction sociale des élites est la plus forte, ce qui concourt à une perception de plus en plus négative de la classe dirigeante, à l’égard de laquelle la défiance est grandissante.
Les enfants de cadres supérieurs représentent au moins la moitié des élèves des grandes écoles, voire parfois jusqu’à 70 % – notamment à l’ENA ou à Polytechnique –, alors qu’ils constituent à peine un quart de l’ensemble des jeunes de leur âge. On ne compte plus que 4 % d’enfants d’ouvriers à l’ENA, 2 % dans les écoles normales supérieures, et pratiquement aucun – 0,4 % – à Polytechnique, preuve, s’il en fallait une, que le système de formation des élites en France est socialement endogène.
Le mouvement des « gilets jaunes » a révélé ce sentiment de relégation d’une partie importante de la population. Pour rétablir la confiance, il faut, entre autres choses, étendre les possibilités d’accès aux plus hautes fonctions de l’administration et dans les entreprises et assurer dans ces milieux une plus grande représentativité de la société.
« L’ascenseur social n’est pas seulement en panne : il descend » analyse le sociologue Camille Peugny dans son livre intitulé Le Déclassement. Le système scolaire ne garantit plus toujours la réussite professionnelle ; il suscite chez de trop nombreux jeunes un sentiment de rejet ou d’abandon et chez nos diplômés un sentiment de frustration, voire un certain fatalisme, qui les conduit à ne même pas postuler aux emplois auxquels leurs études les ont préparés.
Les politiques dites « de la ville » ou « de la seconde chance » ne sont pas véritablement parvenues à briser le plafond de verre, malgré tous les efforts déployés par les gouvernements successifs – le président Kanner pourra en parler –, y compris celui auquel vous appartenez, mesdames les ministres, en dépit de la panoplie de mesures que vous proposez de mettre en œuvre.
Cette proposition de loi a pour seul objet de faciliter l’insertion de tous les jeunes sur le marché du travail, quels que soient leur milieu social et leur ancrage territorial. Nous nous adressons donc à la majorité d’entre eux.
Pour les jeunes, l’accès à l’emploi est source d’autonomie financière et d’accomplissement social. Pour l’État, la diversité sociale au sein des administrations et des entreprises est à la fois le gage que tous les talents sont mis au service de la France et un moyen de renforcer la cohésion de notre société.
Si cette proposition de loi prévoit en grande partie des mesures concrètes pour faciliter l’accès à notre administration et à nos entreprises, elle participe de fait à une politique active de lutte contre les discriminations.
S’il existe aujourd’hui plusieurs dispositifs de contrôle, aucun n’est destiné à accroître la mobilité sociale au sein de la fonction publique. C’est pourquoi nous prévoyons de créer une nouvelle autorité publique indépendante : l’Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique. Cette autorité serait chargée de veiller à ce que la fonction publique soit représentative de la diversité sociale, que ce soit par ses voies d’accès, ses modalités de promotion interne, ou encore par les garanties qu’elle apporte afin d’assurer un déroulement de carrière équitable entre les agents.
Nous n’avons pas d’outil exclusivement consacré à cet objectif, qui permettrait véritablement d’évaluer les mesures prises et qui nous conférerait, éventuellement, un pouvoir de contrôle. La population considère majoritairement que les politiques publiques mises en œuvre ne sont pas efficaces. Donnons-nous donc enfin les moyens de prouver qu’elles le sont, sur le fondement d’indicateurs et de critères fiables, et de rassembler toutes les données à cet égard dans un rapport que nous voulons annuel.
Dans certains quartiers, l’État n’est pas assez présent. Nous proposons que les fonctions de délégué du préfet dans les quartiers soient prioritairement occupées par des personnes ayant ou exerçant une activité professionnelle dans un quartier prioritaire de la politique de la ville. Ces délégués permettraient aux jeunes de se reconnaître dans les représentants de l’autorité de l’État. Ils serviraient également de relais des représentants auprès de leurs collègues, moins familiers de cet environnement.
Nous souhaitons promouvoir tous les talents en valorisant les personnes issues des zones urbaines et rurales. Nous faisons bien la promotion de la diversité sociale et territoriale dans ce texte, et non celle de la diversité au sens large.
Pour ce faire, nous nous donnons pour ambition de réhabiliter les diplômes obtenus dans les établissements scolaires situés dans des zones prioritaires et rurales. Il existe de nombreuses initiatives pour les jeunes des quartiers prioritaires, mais beaucoup moins pour les jeunes issus des milieux ruraux, qui sont mal informés et ne bénéficient pas du même accès aux filières préparatoires. Certains s’autocensurent et ne s’autorisent même pas à s’inscrire dans des établissements supérieurs. Beaucoup n’exercent pas pleinement leurs droits, parce qu’ils ne les connaissent pas. J’imagine que la création du label Cités de la jeunesse tend à y remédier.
Pour ceux qui n’ont pas appris les codes véhiculés par les meilleures écoles, la réussite aux concours, qui repose en grande partie sur une formation type que procure d’abord l’accès auxdites écoles, est problématique. Nombreux sont les jeunes issus des familles plus modestes qui réussissent les écrits, mais échouent aux oraux, car ils n’ont pas acquis les codes non écrits et pourtant requis. Les profils différents, en dehors des voies traditionnelles, semblent exclus d’office.
Nous proposons donc que, dans la mesure du possible, les jurys des épreuves orales des concours d’entrée dans la fonction publique de l’État soient composés d’au moins une personne issue de la société civile – associations, entreprises –, c’est-à-dire d’une personne n’appartenant pas au corps de recrutement.
Le Gouvernement a annoncé s’attaquer à la réforme de la haute fonction publique, notamment en remplaçant l’ENA par l’Institut du service public en janvier 2022. Or il ne suffit pas de changer un nom pour diversifier notre fonction publique : nous pouvons et devons la transformer aussi en démontrant que les candidats aux concours seront traités équitablement, et ce non pas en instaurant des quotas ou des filières particulières, mais en appliquant le principe d’égalité des chances grâce, notamment, à certaines des mesures que nous proposons.
Il existe, il est vrai, de nombreuses études qui analysent les discriminations. Selon le Défenseur des droits, près d’une personne sur deux considère que les discriminations sont fréquentes ou très fréquentes lors de la recherche d’emploi. Dans son rapport publié en juin 2020, Jacques Toubon soulignait également que les discriminations fondées sur l’origine sont importantes et leur nature systémique. Il écrivait alors que « les discriminations ne sont pas le résultat de logiques individuelles de quelques DRH » et que « c’est tout le système qui est en cause, un système qui reproduit les inégalités ».
Cette situation a des conséquences graves sur les parcours individuels et les groupes sociaux concernés et entame la confiance dans l’État et la cohésion de la société. C’est pourquoi il est urgent de lutter contre certaines formes de discrimination.
Le lieu d’origine est malheureusement encore trop souvent handicapant pour les candidats. Nous proposons de supprimer sa mention, après la disparition de celle du lieu de résidence. Dans la phase de recrutement, nous souhaitons que les candidats non retenus puissent, s’ils le demandent, obtenir des explications sur leur performance, afin d’éliminer les faiblesses identifiées lors d’un entretien d’embauche. Ces éléments d’appréciation seraient très utiles pour la préparation des futurs entretiens du candidat. Tel est l’objet de l’amendement que nous avons déposé, Jean-Pierre Sueur et moi-même, à l’article 6.
Madame la ministre de Montchalin, vous avez récemment souligné la nécessité absolue de casser l’entre-soi et les corporatismes et de lutter contre les inégalités de destin. Il me semble que cette proposition de loi va dans ce sens et qu’elle vise à atteindre les objectifs que vous avez fixés.
J’espère que ce texte recevra plus largement l’approbation de mes très honorables collègues qui, ce faisant, donneront encore une fois raison à Jean Jaurès, lorsqu’il disait qu’il convient d’aller vers l’idéal en passant par le réel, l’idéal d’une société égalitaire et le réel d’une intégration effective de tous les jeunes ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Jacky Deromedi, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi de Mme Hélène Conway-Mouret et des membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à favoriser l’accès des jeunes à la fonction publique et aux entreprises.
À l’heure où la jeunesse est particulièrement touchée par la crise sanitaire et les restrictions d’activité qui en découlent, nous ne pouvons qu’en partager l’objectif. Le Sénat conduit d’ailleurs actuellement trois missions d’information sur des sujets proches, ce qui démontre sa volonté de faire avancer ces questions.
Toutefois, l’examen de la présente proposition de loi a suscité diverses interrogations d’ordre à la fois constitutionnel et pratique, auxquelles les amendements déposés en commission, puis en séance, ne semblent pas répondre. Dans ces conditions, la commission des lois n’a pas pu adopter de texte.
La proposition de loi vise à compléter le droit existant par une série de mesures tendant, tout d’abord, à favoriser l’entrée des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale dans la fonction publique de l’État et, ensuite, à limiter les risques de discrimination à laquelle ils sont confrontés dans le monde de l’entreprise.
Il s’agirait ainsi de corriger des inégalités de parcours, dont de nombreux travaux conduits ces dernières années sur le thème de la diversité et de l’égalité des chances établissent la réalité.
L’article 1er est assez emblématique. Il prévoit notamment de réserver une proportion minimale de nominations aux emplois de la haute fonction publique de l’État, laissés à la décision du Gouvernement, à des personnes qui ont ou ont eu une expérience professionnelle d’au moins deux ans dans un quartier prioritaire de la politique de la ville.
Cette disposition s’inspire du dispositif des nominations équilibrées, qui oblige certains employeurs publics à nommer 40 % de personnes de chaque sexe dans les emplois supérieurs et de direction.
Toutefois, ce modèle est difficilement transposable dans notre cas en raison d’une difficulté d’ordre constitutionnel. En effet, les nominations par priorité de certaines catégories de personnes aux emplois publics sont contraires au principe d’égalité et à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. En droit français, l’introduction de quotas pour assurer l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes dans la vie politique et professionnelle a nécessité deux révisions constitutionnelles préalables.
Par ailleurs, cet article introduirait un nouveau critère de différenciation, l’expérience professionnelle dans un quartier prioritaire. Or le choix de ce critère soulève une interrogation : vise-t-il à enrichir les parcours des hauts fonctionnaires en les incitant à aller travailler dans un quartier prioritaire ou à favoriser la nomination de personnes issues de ces quartiers ?
Enfin, il semblerait que la valorisation des parcours des candidats dans les territoires et de leur expérience de vie ait davantage la faveur des représentants des associations que j’ai entendus.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission n’est pas favorable à l’article 1er, même amendé pour transformer le quota prévu en simple critère de priorisation.
L’article 3 a retenu l’attention de la commission, car il semble nécessaire de diversifier et de former les membres des jurys pour éviter les biais évaluatifs qui peuvent favoriser certains candidats au détriment d’autres, à compétences égales ou moindres.
Néanmoins, le fait d’imposer la présence obligatoire, dans chaque jury, de personnes extérieures à l’administration, et ce dans le respect de l’obligation de nomination équilibrée entre les femmes et les hommes déjà applicable, risque de donner lieu à de véritables casse-têtes pour les organisateurs.
D’un point de vue pratique, et au-delà du débat sur le profil des personnes à choisir, il paraît compliqué de recruter un nombre suffisant de personnes extérieures à l’administration ayant la disponibilité nécessaire pour siéger dans les très nombreux jurys organisés par l’État. À titre d’illustration, en 2018, plus de 41 000 postes de la fonction publique de l’État ont été ouverts par voie de concours externe, ce qui donne une idée du volume de concours à organiser et du nombre de jurys à constituer.
C’est donc pour une raison pratique cette fois-ci que la commission n’a pas adopté l’article 3. L’amendement du groupe socialiste tendant à prévoir que les jurys doivent comprendre non plus au moins 50 % de personnes extérieures à l’administration, mais une seule personne au minimum n’a pas modifié la position de la commission.
M. Jean-Pierre Sueur. Elle est rigide !
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. C’est une bonne pratique qui peut déjà être mise en œuvre et qui ne semble opportune que pour certaines épreuves. La généraliser rigidifierait à l’excès les règles de composition des jurys.
Par ailleurs, la commission n’est pas favorable aux mesures proposées pour les entreprises.
M. Stéphane Piednoir. Elle fait bien !
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. À l’article 5, l’ajout d’un vingt-sixième critère de discrimination en matière de droit du travail nous a semblé relever d’un niveau de précision qui n’est pas nécessaire : il est en effet déjà satisfait par les critères de l’origine et du lieu de résidence, réellement protecteurs.
À l’article 6, le fait d’obliger les entreprises à indiquer, à tout candidat refusé qui le demanderait, les motifs pour lesquels celui-ci n’a pas été embauché risque de faire naître un important contentieux prud’homal.
Cette obligation serait une charge administrative lourde pour les petites et moyennes entreprises, même si l’on en restreint le champ aux seuls candidats reçus en entretien et le demandant, comme le proposent les auteurs de l’un des amendements déposés. Cette disposition pourrait de surcroît se révéler contre-productive en ne suscitant qu’une motivation stéréotypée de la part des employeurs.
Quant à l’obligation pour les entreprises de plus de cinquante salariés de recueillir des données en vue de mettre des indicateurs sur l’égalité des chances à la disposition du comité social et économique, mesure prévue à l’article 7, elle soumettrait l’employeur à des règles de collecte et de conservation très contraignantes, sous le contrôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Il s’agirait en effet de données sensibles destinées à permettre l’évolution des salariés selon leur origine sociale, culturelle ou géographique.
Comme l’a relevé le président de la délégation sénatoriale aux entreprises, toutes ces mesures laissent en outre penser que les employeurs favoriseraient a priori les discriminations, alors que leurs difficultés actuelles à recruter les conduisent au contraire à diversifier les viviers de candidats.
À mon sens, les difficultés d’accès des jeunes à l’emploi résultent non pas de leur origine géographique, qu’ils soient issus de quartiers prioritaires de la politique de la ville ou de zones de revitalisation rurale, mais d’une inadéquation entre leur formation et les compétences recherchées par les employeurs.
En conclusion, la commission des lois estime que cette proposition de loi aborde de véritables problématiques, tout à fait dignes d’intérêt. L’objectif de favoriser l’emploi des jeunes, et spécifiquement l’emploi des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale, doit recueillir toute notre attention.
Cependant, les solutions proposées soulèvent des interrogations sur les plans à la fois juridique et pratique, que les amendements déposés n’ont malheureusement pas pu dissiper. La commission vous propose donc de ne pas adopter la proposition de loi.
Pour ma part, je pense, comme les auteurs de ce texte, que beaucoup reste encore à faire pour les jeunes, par exemple dans le secteur de l’apprentissage et de la formation en alternance. De nombreux jeunes pourraient ainsi s’épanouir en apprenant un métier et avoir des perspectives d’avenir. Je crois beaucoup à de telles formations, si possible dès l’âge de 14 ans, accompagnées de garanties en termes d’instruction générale. J’espère que nous aurons prochainement l’occasion de discuter d’un nouveau texte sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre de la transformation et de la fonction publiques. Madame la présidente, madame la ministre, chère Nadia, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, madame la sénatrice Hélène Conway-Mouret, mesdames, messieurs les sénateurs, notre fonction publique doit redevenir le symbole qu’elle a été durant près d’un siècle, c’est-à-dire un élément fondateur de notre ascenseur social républicain, un lieu de sens et de service de l’intérêt général.
Tous ceux qui aspirent à servir l’intérêt général, qu’ils soient dans les quartiers, en périphérie des villes ou au cœur de nos villages ruraux, doivent pouvoir avoir cette chance. Il est plus que jamais de notre responsabilité d’aller chercher ces talents partout en France et de les accompagner vers les concours de notre fonction publique.
Vous l’avez dit, madame la sénatrice, une partie de notre jeunesse ne croit plus en ses chances au sein de la République. Nous avons donc l’impérieuse responsabilité d’agir rapidement.
Ce constat, cette finalité, nous les partageons – je crois – sur toutes les travées de cette assemblée. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans cette perspective.
Vous le savez, le Gouvernement n’a pas attendu ce texte pour agir de façon déterminée en faveur de l’égalité des chances dès le plus jeune âge. La fonction publique doit prendre toute sa part afin de répondre à cette exigence fondamentale qui est au cœur de notre pacte républicain.
Dès mon arrivée à ce ministère, sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, j’ai fait du renforcement de l’égalité des chances pour l’accès des jeunes à la fonction publique une priorité.
C’est tout le sens du programme Talents du service public, présenté à l’institut régional d’administration de Nantes par le Président de la République en février dernier. C’est aussi toute l’ambition de l’action que nous conduisons pour améliorer l’attractivité de notre fonction publique auprès de notre jeunesse afin de faire émerger une nouvelle génération de talents.
Permettez-moi de détailler ces deux priorités, car elles sont au cœur de notre débat.
D’abord, le programme Talents du service public repose sur le principe qu’il nous appartient d’aller chercher les talents partout en France, dans les collèges, les lycées, les universités, de lutter contre les frustrations – vous avez employé ce terme à juste titre, madame la sénatrice – et l’autocensure qui minent leur ambition et d’accompagner toute notre jeunesse vers les concours de notre fonction publique.
Ce programme repose sur trois fondements.
Tout d’abord, la création des Cordées de service public mobilise les écoles de service public, ainsi que les collèges et les lycées du réseau des Cordées de la réussite pour accompagner des jeunes partout sur le territoire, y compris là où la méconnaissance des possibilités et l’autocensure des jeunes sont des freins. Nous développons le tutorat et le mentorat pour ouvrir l’accès aux postes de la fonction publique et accroître la connaissance de ces métiers.
Ensuite, la création de soixante-quatorze classes préparatoires dites « Talents du service public » partout en France, à Orléans, à Valenciennes, à Agen, dans l’ensemble des villes où se situent des centres universitaires, de Brest à Limoges, vise à préparer aux concours de la fonction publique.
Ces classes seront ouvertes aux boursiers les plus méritants de l’enseignement supérieur. Dès la rentrée 2021, ce sont 1 700 étudiants qui pourront ainsi les rejoindre. Par ailleurs, ces étudiants bénéficieront d’une bourse, dont le montant a été doublé et porté de 2 000 à 4 000 euros par an à la suite des dernières discussions budgétaires.
Avec la création de ces classes préparatoires en leur sein, les universités jouent un rôle majeur dans le renforcement du maillage territorial, au plus près de nos étudiants.
Les étudiants bénéficieront d’un accompagnement renforcé et, notamment, d’un tutorat effectué par des élèves d’écoles de service public et de jeunes fonctionnaires ou hauts fonctionnaires – on le sait, beaucoup des choses qu’il faut savoir pour réussir les concours ne s’apprennent pas dans les livres. Ils se verront également offrir des stages dans certaines administrations.
Enfin, nous ouvrons dès cette année une nouvelle voie d’accès aux concours de la fonction publique pour les élèves de ces classes préparatoires.
Cette nouvelle voie a été créée par l’ordonnance prise dans le cadre de l’article 59 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Elle verra le jour dès cette année, ce qui permettra à trente-cinq jeunes d’accéder à cinq écoles de formation de hauts fonctionnaires, après avoir subi des épreuves identiques à celles qu’auront passées les candidats aux concours externes.
Le programme Talents du service public fait directement écho à l’esprit qui a animé les auteurs de cette proposition de loi. Les outils sont déjà mis en place et opérationnels. Il me paraît important de laisser ces mesures porter leurs fruits avant de légiférer de nouveau sur ce sujet majeur – je partage votre position, madame la sénatrice Conway-Mouret – et de prendre un risque juridique inutile en superposant des dispositifs qui pourraient se télescoper.
Le deuxième axe de notre politique est le renforcement de l’attractivité de la fonction publique auprès des jeunes.
Beaucoup de jeunes peinent aujourd’hui à accéder à un emploi du fait de la crise sanitaire, ce qui a conduit le Gouvernement à lancer, l’été dernier, le plan « 1 jeune, 1 solution » dans lequel la fonction publique prend toute sa part.
Nous recruterons plus d’apprentis dans la fonction publique de l’État – nous venons de nous engager à en embaucher 15 000 dès cette année – et développons les stages – nous offrirons ainsi 43 000 stages en 2021 –, afin d’ouvrir de nouveaux chemins et de susciter de nouvelles vocations.
J’en viens au versant territorial de la fonction publique. À cet égard, je tiens à saluer l’engagement des sénateurs, notamment lors des discussions budgétaires de l’hiver dernier, en particulier celui de la rapporteure pour avis Catherine Di Folco, avec qui nous travaillons de manière étroite. Le Gouvernement a choisi d’aider les employeurs territoriaux à recruter des apprentis en les faisant bénéficier, à l’instar des entreprises du secteur privé, d’une aide financière de 3 000 euros. Cette aide ponctuelle vient d’ailleurs d’être prolongée par le Gouvernement jusqu’à la fin de l’année 2021.
Nous réfléchissons également, avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et les employeurs territoriaux, afin de trouver une équation budgétaire, de moyen et de long terme, adaptée aux besoins de ces employeurs.
Par ailleurs, l’État maintient son objectif de recruter 6 % d’apprentis en situation de handicap.
Pour accompagner ces mesures, j’ai par ailleurs lancé une ambitieuse campagne de communication, #Rejoinsleservicepublic, pour que plus aucun jeune Français âgé de 16 à 24 ans ne se dise : « La fonction publique, ce n’est pas pour moi ! »
Enfin, parce que la promotion de la diversité ne peut s’arrêter au stade du recrutement, la réforme de la haute fonction publique, que j’ai présentée hier devant votre commission des lois, place les questions de diversité, d’ouverture et d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au cœur de la gestion des carrières.
La création d’une direction interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État, qui comprendra un responsable de la diversité, chargé notamment d’assurer la diversité, entendue dans un sens très large comme une ambition d’ouverture à l’ensemble des talents de notre pays, permettra de promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et d’en faire une priorité de l’encadrement supérieur de l’État.
J’ai la conviction que l’ensemble de ces mesures permettront de susciter des vocations et de renouveler l’attractivité de notre fonction publique.
Vous le voyez, les objectifs de ce texte concordent largement avec l’ensemble des mesures prises par le Gouvernement ces derniers mois. Pour autant, nous nous heurtons avec cette proposition de loi à plusieurs obstacles juridiques. Le Gouvernement estime en effet que celle-ci comporte certaines dispositions qui pourraient entrer en collision avec les dispositifs que nous avons déjà mis en œuvre.
Si je partage les objectifs visés par le texte, j’y suis défavorable, car je ne souhaite pas que nous fragilisions la politique que nous avons engagée.
Je vous renouvelle mes remerciements, madame la sénatrice, pour le travail que vous avez fourni et pour votre engagement. Je me tiens à votre disposition, ainsi qu’à celle de l’ensemble des sénateurs, pour travailler ensemble sur le sujet. Je suis évidemment prête à vous associer au suivi et à l’évaluation des dispositifs actuellement mis en œuvre par le Gouvernement pour atteindre les mêmes objectifs que ceux que vous cherchez à atteindre.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Nadia Hai, ministre déléguée auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargée de la ville. Madame la présidente, madame la ministre, chère Amélie, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, madame la sénatrice Hélène Conway-Mouret, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous voici réunis pour discuter de la proposition de loi de Mme la sénatrice Hélène Conway-Mouret, qui traite de la lutte contre les discriminations et de l’égalité des chances.
Je connais votre engagement, madame Conway-Mouret. D’ailleurs, si nous avons un point commun, c’est bien celui-là ! En tant que parlementaire, je me suis engagée sur ces questions durant trois années et je le suis encore plus aujourd’hui, en ma qualité de ministre de la ville. Je connais donc les difficultés que rencontrent les jeunes des territoires fragiles ; elles n’ont pas changé, elles se sont même aggravées avec la crise sanitaire.
Dans les Bouches-du-Rhône et le Jura, voilà quelques jours, ou encore hier à Poitiers, j’ai effectué plusieurs déplacements sur le thème de la jeunesse et de la sortie de crise. J’ai écouté les jeunes, les habitants, les professionnels parler de leur quotidien dans les quartiers. Ce qui a été accompli depuis quatre ans commence à produire des effets perceptibles ; il nous faut redoubler d’efforts pour que la promesse républicaine soit tenue.
Nous nous devons d’avoir un projet ambitieux pour nos concitoyens, pour l’avenir des jeunes, notamment ceux qui résident dans les territoires fragiles.
Dès le mois de mai 2018, le Président de la République a exprimé sa conviction profonde : oui, la politique de la ville est avant tout une « politique de l’émancipation et de la dignité » pour des habitants qui cumulent difficultés sociales, économiques et éducatives et voient de ce fait leur réussite professionnelle et personnelle entravée.
C’est à cette même occasion que le Conseil présidentiel des villes a été créé par le Président de la République, avec l’objectif de réunir des personnalités issues des quartiers, qui officieraient comme « capteurs » afin de nourrir la réflexion sur la politique de la ville. C’est une instance avec laquelle j’échange régulièrement, notamment sur l’égalité des chances et l’émancipation.
Cette égalité des chances, mise en exergue dans la proposition de loi, est au cœur de l’action gouvernementale, que nous voulons éloignée des grands principes et au plus près des dures réalités que connaissent nos concitoyens dans les territoires fragiles. C’est tout l’enjeu de la mission qui incombe au ministère de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, regroupant, autour de la ministre Jacqueline Gourault, Joël Giraud, Cédric O et moi-même.
J’entends les regrets exprimés sur l’absence de textes législatifs sur l’égalité des chances. Mais agir dans ce domaine n’implique pas nécessairement de modifier notre arsenal législatif.
Ce qui nous semble aujourd’hui impératif, c’est la mise œuvre, avec des moyens nécessaires et ambitieux.
Ce qui nous semble aujourd’hui impératif, comme vient de l’évoquer ma collègue Amélie de Montchalin, c’est de casser les codes et les corps établis, de rendre accessible tout ce qui paraît inatteignable aux jeunes et, plus largement, aux habitants des territoires fragiles.
Comme vous le savez, dès 2017 et dès notre arrivée aux responsabilités, nous avons souhaité mettre un terme à la minoration, effective depuis plusieurs années, du budget de la politique de la ville. Celui-ci a même été accru au cours des trois dernières années.
Dans un contexte dégradé par la crise sanitaire, sociale et économique, nous avons engagé de véritables mesures en faveur de l’égalité des chances. Un agenda a été ouvert par le Président de la République ; il est mis en œuvre à travers des dispositions concrètes, au plus près des besoins de nos concitoyens, loin des discussions et des vœux pieux.
Pour faire de l’égalité des chances une réalité, nous avons posé plusieurs briques. Ma collègue Amélie de Montchalin a déjà détaillé ce qui concerne la fonction publique. Mes collègues Élisabeth Borne et Sarah El Haïry développent la pratique du mentorat sur tout le territoire national, à laquelle le ministère de la ville contribue depuis plusieurs années en accordant son soutien au tissu associatif.
La première brique posée dans le cadre de l’agenda fixé par le Président de la République l’a été en janvier dernier, avec la réunion à Grigny, sous la présidence du Premier ministre, du Comité interministériel à la ville (CIV), qui ne s’était pas réuni sous cette forme depuis huit ans.
Cette réunion a abouti à un renforcement sans précédent des moyens d’action de l’État en faveur des habitants des quartiers, notamment des jeunes, grâce à un effort financier supplémentaire de 3,3 milliards d’euros. Disons-le, c’est inédit !
Au-delà de cet accroissement budgétaire, il s’agit de mener une action forte et impactante afin de répondre aux besoins exprimés par les habitants en matière d’émancipation par l’éducation et par l’emploi, cette action s’intéressant, enfin, à l’attractivité et à l’image des quartiers. Soyons clairs, la lutte contre les discriminations n’a pas de couleur politique ; sa seule couleur, c’est l’action et, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, nous agissons !
Nous agissons en changeant de méthode pour accompagner au mieux les acteurs, et ce à partir d’un constat bien précis. Les discriminations à l’embauche existent-elles ? Oui ! Les discriminations dans l’évolution de carrière existent-elles ? Oui ! Notre arsenal législatif est-il suffisamment doté pour relever les manquements et appliquer des sanctions ? Oui ! Pour autant, doit-on rester inactif sur le sujet ? Évidemment, non !
Voilà pourquoi le Président de la République nous a exhortés, bien plus qu’à prendre des mesures, à revoir la méthode. Dans ce cadre, il nous semble opportun de partir des expériences du terrain, de travailler avec les acteurs et les élus locaux, territoire par territoire, pour construire des solutions au plus près de nos concitoyens.
Nous nous appuyons aussi sur le fait qu’il existe, en plus des discriminations, des inégalités de destin dès la naissance.
Il nous faut donc agir, en mettant en place un véritable accompagnement pour le développement de l’enfant dans un environnement sain et sécurisé. C’est le programme des 1 000 premiers jours, porté par mon collègue Adrien Taquet.
Il nous faut poursuivre en luttant contre le décrochage scolaire et en garantissant un parcours de qualité à chaque enfant de la République. C’est l’action que mène Jean-Michel Blanquer, notamment à travers le dédoublement des classes de grande section, CP et CE1 dans les établissements du réseau d’éducation prioritaire et du réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP et REP+) ou encore la création du label Cités éducatives, une démarche partenariale entre le ministère de la ville et celui de l’éducation nationale, qui conduira à la création de 200 cités d’ici à 2022.
Nous agissons aussi pour l’éducation et l’égalité des chances via le dispositif des Cordées de la réussite, notamment dans le service public, dispositif précédemment évoqué par ma collègue Amélie de Montchalin.
L’autre levier d’émancipation est évidemment l’emploi.
Dans ce domaine aussi, nous avons décidé de mettre en place de nouvelles méthodes en faveur de l’emploi dans nos territoires, grâce, notamment, aux Cités de l’emploi.
Vous avez raison, madame la sénatrice Conway-Mouret, les jeunes rencontrent des difficultés en matière d’insertion professionnelle dans les territoires fragiles, particulièrement dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Les Cités de l’emploi ont donc pour but de contribuer à trouver des candidats parmi les publics de ces quartiers, en fonction des besoins en recrutement et des compétences demandées, et de les accompagner vers l’insertion professionnelle. Il s’agit de mieux coordonner les acteurs de terrain afin de faciliter l’accès à la formation – Mme la rapporteure Jacky Deromedi l’a souligné –, à l’emploi et à la création d’activité. Entreprises, collectivités, services publics de l’emploi, services des préfectures, associations, médiateurs, éducateurs de rue : il faut associer tous ceux qui font la vie locale.
Pour atteindre nos objectifs en termes d’emploi, il nous faut également agir sur le soutien au développement économique et l’image des quartiers.
Cela passe bien sûr par le Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) que nous menons et intensifions avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), aux côtés des élus et des bailleurs.
Cela passe aussi par l’expérimentation du programme Quartiers productifs, qui vise à accompagner les collectivités locales dans la définition et la mise en œuvre de stratégies de développement économique dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations, l’Agence nationale de la cohésion des territoires, Bpifrance et l’ANRU. Nous souhaitons y développer des commerces de proximité, faciliter l’installation de nouvelles activités industrielles ou de services, qui permettront la création d’emplois au bénéfice des habitants de ces quartiers.
Toutes ces actions contribuent à accroître l’attractivité économique de nos quartiers et à restaurer leur image dégradée, laquelle entretient la discrimination liée au lieu de résidence.
J’ai également lancé, hier, le label Cités de la jeunesse pour traiter les problèmes, évoqués par Mme Conway-Mouret, de non-recours aux droits, par manque d’accès à l’information ou, parfois, aux dispositifs eux-mêmes. De nouveau, nous agissons dans ce domaine et je remercie Mme la sénatrice de l’avoir rappelé dans son propos liminaire.
De manière opérationnelle et concomitante, nous faisons évoluer les pratiques et les mentalités.
C’est le cas avec la création du Pacte avec les quartiers pour toutes les entreprises, le PaQte, ou le lancement de « La France, une chance », des programmes d’accompagnement pour toutes les entreprises et leurs salariés souhaitant œuvrer à une meilleure inclusion de nos concitoyens des territoires fragiles dans le monde économique. Notre objectif est de « faire avec » – avec les acteurs économiques, avec les élus –, de développer les bonnes pratiques ensemble.
Le PaQte, par exemple, est déployé opérationnellement dans 67 départements. Au total, plus de 2 200 entreprises se sont engagées, près de 30 000 collaborateurs ont été sensibilisés aux biais de recrutement, notamment en matière de discrimination.
Je pense également à la plateforme de stage de troisième, au parrainage et au mentorat, qui constituent un volet essentiel du programme PaQte, en permettant aux élèves qui, bien souvent, ne bénéficient pas des réseaux idoines, de trouver des stages de qualité.
La mise en œuvre de plans locaux de prévention et de lutte contre les discriminations participe également de notre action pour changer les mentalités au plus près des territoires. À titre d’exemple, le plan déployé par la ville de Vitrolles est de très bonne qualité, puisqu’il lie formation des agents, soutien aux victimes de discriminations, sensibilisation des jeunes et travail avec le tissu économique local.
Nous avons pour ambition de muscler ces plans locaux de prévention et de lutte contre les discriminations, de les articuler avec la plateforme de signalement des discriminations, en lien avec le Défenseur des droits, afin de favoriser l’accès aux droits. Nous allons également lancer une seconde vague de testing dans le courant de l’année 2021. Dans le même temps, nous avons élaboré un référentiel de bonnes pratiques pour la prévention et la lutte contre les discriminations au travail avec les associations, les organisations patronales et les ministères d’Élisabeth Borne et Elisabeth Moreno.
Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, l’égalité des chances ne se décrète pas. Elle se pense et se construit au plus près des territoires, avec les acteurs de terrain.
Notre projet d’égalité des chances, vous l’aurez compris, c’est une vision – permettre à chaque citoyen de prendre sa place dans la République – ; une méthode – coproduire des solutions avec les acteurs locaux, par la mobilisation de l’ensemble du Gouvernement – ; des résultats – avoir un effet réel et positif sur le quotidien des habitants et faire en sorte que ni l’origine ni le lieu de résidence ne déterminent le parcours scolaire ou encore le niveau d’ambition de nos jeunes.
Comme vous pouvez le constater, dans le prolongement de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine et de la loi du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, nous agissons concrètement pour lutter efficacement contre les discriminations, pour l’égalité des chances, pour offrir le meilleur avenir à ces jeunes, en y consacrant des moyens financiers à la hauteur de nos ambitions.
Les éléments contenus dans cette proposition de loi ne nous semblent pas opportuns à ce stade, mais nous serons ravis de pouvoir vous associer à l’ensemble des travaux que nous avons engagés depuis quatre ans avec les parlementaires de la majorité, que je remercie chaleureusement pour leur engagement à nos côtés et leur soutien en vue de répondre à cet enjeu, ô combien important.
Rappel au règlement
M. Jean-Pierre Sueur. Mon rappel au règlement porte sur l’organisation de nos travaux.
Mme la ministre Nadia Hai vient de parler d’égalité… Très beau sujet que l’égalité ! Mais nous assistons à un débat dans lequel le Gouvernement s’exprime durant vingt-cinq minutes pour vanter son action, quand nos interventions ne doivent pas excéder quelques minutes. C’est une certaine conception de l’égalité ! Je me permets, madame la présidente, de faire part de notre sentiment à cet égard. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
Mme la présidente. Vous connaissez suffisamment bien la Constitution pour savoir que le Gouvernement peut intervenir autant qu’il le souhaite et que le temps de parole des sénateurs est, lui, limité.
Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
Discussion générale (suite)
Mme Cécile Cukierman. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, tout va si bien, si l’on en croit les deux précédentes interventions, qu’il serait presque inutile de rappeler à cette tribune que la réalité, tout de même, est quelque peu différente…
La proposition de loi de nos collègues socialistes s’appuie effectivement sur plusieurs constats, avérés, ayant pour dénominateur commun la discrimination dans notre pays et l’inégalité d’accès, à travers le système scolaire français, à l’enseignement supérieur, la fonction publique et, plus globalement, la vie professionnelle.
Comme beaucoup ici, nous reconnaissons que l’ascenseur républicain est en panne. Il ne faut d’ailleurs pas idéaliser cet ascenseur républicain, qui n’a jamais été l’alpha et l’oméga pour corriger les inégalités sociales dans notre pays. On pourrait, sous un angle plus philosophique, s’interroger sur le rôle effectif du système éducatif dans une société aussi inégalitaire que la nôtre. Régulation, correction ou renversement des inégalités ? En définitive, l’école ne fait qu’accompagner la société, sans la transformer.
Bien évidemment, l’idée qui sous-tend la proposition de loi est qu’il est nécessaire de briser les différentes logiques à l’œuvre, lesquelles ont pour conséquence, malgré toutes les actions menées par le Gouvernement depuis quatre ans, qu’un nombre excessif de jeunes des quartiers populaires relevant de la politique de la ville ou des zones rurales rencontrent encore des difficultés pour accéder à un emploi de qualité, qualifié et pérenne.
Toutefois, les solutions proposées ne sont à nos yeux que des palliatifs. Mises en œuvre a posteriori, elles passent à côté du problème du fond. C’est plus en amont qu’il faut travailler, et de manière approfondie, cette question.
En tout cas, les politiques de discrimination positive, telles que les prévoit la proposition de loi, ne peuvent constituer l’essentiel de la lutte contre les discriminations. On se retrouve avec un texte qui s’éparpille entre différents sujets à traiter, avec de nouvelles mesures visant à gommer les injustices qui, si l’on n’y prend pas garde, pourraient conduire à une stigmatisation des jeunes concernés, au lieu d’un aplanissement des inégalités.
Vous nous avez beaucoup parlé d’égalité des chances, mesdames les ministres. Au sein du groupe CRCE, nous ne connaissons qu’une seule égalité : l’égalité républicaine. C’est sur elle que repose cette exigence politique d’un combat permanent contre les discriminations et les inégalités, cette volonté d’offrir à tous un même accès aux droits, indépendamment de la condition sociale ou du territoire d’origine. Droit à la formation, droit au travail : l’accès à tous ces droits ne peut être conditionné par la situation sociale de la famille dans laquelle on naît et l’on est éduqué, ni par le lieu où l’on grandit et où l’on vit.
C’est à cela qu’il faut s’attaquer !
Mesdames les ministres, on ne peut que regretter que vous ayez attendu quatre ans pour associer l’ensemble des parlementaires à l’élaboration des formidables mesures que vous venez de nous présenter. Si votre majorité a si bien travaillé, qu’elle continue ! Mais permettez-moi de vous dire que les inégalités qui existent dans notre pays se sont accrues très fortement au cours des quatre dernières années.
En l’état, et compte tenu de l’ensemble de ces éléments, nous nous abstiendrons sur la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Arnaud de Belenet.
M. Arnaud de Belenet. Madame la présidente, mesdames les ministres, chère Hélène Conway-Mouret, mes chers collègues, en matière de restriction des libertés publiques, les effets des mesures de confinement, puis de reconfinement prises pour endiguer l’épidémie de covid-19 ont été particulièrement brutaux pour les jeunes générations.
Ces mesures ont, sans aucun doute, accentué les inégalités de destin et le tribut économique de la crise sanitaire risque, hélas, d’être tout aussi lourd pour nos jeunes. Nécessaire pour sauvegarder le pouvoir d’achat des Français malgré une récession historique, l’envolée de la dette publique fera peser sur leurs épaules un fardeau qui nous engage toutes et tous, et à tous les niveaux – en particulier celui de l’emploi.
Dans ces conditions, nous ne pouvons qu’approuver le double objectif affiché dans la proposition de loi de notre collègue Hélène Conway-Mouret : tout d’abord, favoriser l’accès à la fonction publique de l’État des jeunes issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale ; ensuite, limiter les risques de discrimination dans l’accès de ces jeunes au monde de l’entreprise.
Transpartisanes, ces préoccupations rejoignent d’ailleurs celles de plusieurs missions d’information sénatoriales dont les travaux sont en cours. Elles font par ailleurs écho à un certain nombre de mesures prises par le Gouvernement. Je mentionnerai notamment la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique, précédemment évoquée, qui, portée par Olivier Dussopt, a occupé notre été 2019.
Il semble effectivement exister, en la matière, un paradoxe français : pays « égalitaire » grâce à des mécanismes massifs de redistribution sociofiscale, la France demeure un pays « injuste ». La faute à une institution scolaire qui ne joue plus pleinement son rôle ; la faute, aussi, à un marché du travail entravant la mobilité sociale.
L’école française est touchée par le déterminisme social. Seule la Hongrie affiche des résultats plus médiocres, si l’on en croit une récente étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), intitulée La France, les inégalités et l’ascenseur social. Celle-ci montre que, chez nous, les enfants d’enseignants ou de milieux privilégiés connaissent des parcours nettement plus favorables que ceux de familles modestes ou de zones géographiques défavorisées.
Le constat est malheureusement identique s’agissant du marché du travail. Dans une récente étude, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) constate ainsi que « toutes les catégories sociales ne présentent pas le même risque de chômage ». De fait, le taux d’emploi des descendants d’immigrés est inférieur de près de 9 points à celui des personnes sans lien avec l’immigration. Symétriquement, et sans surprise, l’écart sur le taux de chômage dépasse les 5 points.
C’est que le système français est ankylosé : il redistribue, afin d’empêcher à juste titre qu’aucun citoyen ne dégringole, mais il ne permet pas d’escalader les marches. Notre système protège les rentes, mais ne promeut pas l’égalité des chances.
La discrimination positive, fil conducteur du texte que nous examinons, permet-elle d’y remédier ? Les membres du groupe Union Centriste ne le pensent pas. Celle-ci fonctionne trop souvent comme un cautère sur une jambe de bois. Or on ne remplira pas la promesse républicaine à coups de rustines et de segmentation sociale.
Comme l’a rappelé le rapporteur Jacky Deromedi, dont je salue la qualité du travail, les mesures proposées dans le présent texte soulèvent plusieurs difficultés, d’ordre tout à la fois juridique et pratique.
Réserver à certaines catégories de personnes une proportion minimale des nominations aux emplois de la haute fonction publique de l’État – ces mesures figurent à l’article 1er – ne résisterait pas au principe constitutionnel d’égalité. En ce domaine, mieux vaudrait valoriser les parcours des candidats plutôt que de discriminer, fût-ce positivement.
Prévues par l’article 3, la diversification et la formation des membres siégeant dans les jurys de recrutement correspondent à de réels enjeux, nous n’en disconvenons pas. Cependant, rendre obligatoire la présence d’au moins 50 % de personnes extérieures à l’administration exposerait les organisateurs de ces concours à des contraintes vraisemblablement inextricables.
En fait de rigidités, signalons de la même façon les mesures enjoignant les entreprises, tantôt à justifier des motifs de non-embauche, tantôt à collecter des données personnelles devant permettre de constituer des indicateurs d’égalité des chances. Périlleuses sur le plan juridique, en matière contentieuse comme en matière de respect des libertés, ces mesures ne feraient qu’alimenter la société de défiance, en rendant tout employeur suspect par définition.
Je dirai un mot, enfin, sur l’article 4 et la création d’une Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique. Qui peut croire que l’instauration d’un énième comité, au demeurant dispendieux, serait à la hauteur des enjeux ? Quand il y a manque – ici d’égalité des chances –, les mots ne suffisent pas !
Mes chers collègues, les membres du groupe Union Centriste partagent pleinement les intentions des auteurs de cette proposition de loi. Rejoignant leur diagnostic, ils divergent néanmoins quant au remède, que le cadre fixé par le présent texte ne permettrait pas d’administrer. C’est pourquoi nous n’adopterons pas ce texte.
La France doit renouer avec la société de confiance, qui ouvre les voies de la réussite, scolaire et professionnelle, indépendamment des origines de chacun. Pour l’heure, elle n’y est malheureusement pas encore parvenue. Puissent les mesures évoquées par les membres du Gouvernement et les travaux du Sénat, passés et en cours, donner un meilleur accès des jeunes à la fonction publique et aux entreprises ! (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Voilà ce que l’on répond à Mme Hélène Conway-Mouret, qui vient de présenter, au prix d’un important travail, une série de propositions afin de faciliter l’accès des jeunes à l’emploi dans les quartiers en difficulté.
Dans ces quartiers, mes chers collègues, 31 % des personnes de moins de 30 ans sont au chômage, soit un jeune de moins de 30 ans sur trois. C’est énorme !
Comment ne pas voir la désespérance et le désarroi des jeunes de ce pays à la suite de la crise du covid, qu’ils soient étudiants ou apprentis, en formation ou réduits à la vacuité ? Ils se heurtent aux portes de Pôle emploi, mais y reviennent et repartent bredouilles… Qui peut nier tout cela ?
On nous dit : l’esprit de votre texte est très bien. Vive l’esprit ! Vive l’intention ! Mais nous avions proposé que l’un d’entre nous, membre du groupe socialiste, fût rapporteur et cela nous a été refusé. Il nous a été dit, monsieur le président de la commission des lois, que l’on ne confiait pas un rapport à un membre du groupe auquel appartient l’auteur du texte. Tant pis si cela a été démenti six minutes plus tard en commission – chacun voit ce à quoi je fais allusion. Vous avez donc nommé Mme Jacky Deromedi rapporteur…
Connaissant les aspérités du texte, dont plusieurs orateurs ont parlé et que nous ne contestons pas, nous avons déposé quatre amendements visant à apporter des modifications substantielles. Or j’ai appris que, au cours de la réunion de commission qui vient d’avoir lieu, à laquelle M. Patrick Kanner a assisté, ces quatre amendements ont été rejetés en moins de trente secondes.
M. Patrick Kanner. En quarante-cinq secondes !
M. Jean-Pierre Sueur. Vous saviez pourtant, madame le rapporteur, que ces quatre amendements permettraient d’aboutir à un texte très différent, qu’il était possible de surmonter un certain nombre de difficultés et, ainsi, de parvenir à retenir quelques dispositions, au moins, de la proposition de loi.
Vous rendez-vous compte, mes chers collègues ? Un texte est présenté au Sénat sur l’accès des jeunes des quartiers en difficulté à l’emploi, à la formation, à la fonction publique, à l’entreprise et, sous des flots d’éloquence, il n’aboutit à rien ! Ce n’est pas digne ! Ce n’est pas digne des jeunes concernés dans ces quartiers !
Mesdames les ministres, quand les groupes disposent d’un temps réservé, ce n’est pas pour écouter pendant vingt-cinq minutes un gouvernement se livrer à un numéro d’autosatisfaction. Toutes deux, vous nous avez dit : « Circulez, il n’y a rien à voir ! Avec tout ce que nous faisons, les problèmes vont être réglés. Votre proposition de loi est parfaitement inutile. » (Mme la ministre de la transformation et de la fonction publiques fait un signe de dénégation.)
Vous le constatez : une certaine colère sourd de nos rangs.
Madame le rapporteur, je sais que vous le savez : il aurait été possible de travailler ensemble pour que certaines de nos propositions soient adoptées.
C’est pourquoi mes collègues sont là, auprès de Mme Conway-Mouret : M. Kanner, M. Cardon, Mme Lubin, Mme Meunier, Mme Harribey, M. Fichet, Mme Filleul, Mme Artigalas, Mme Briquet. Nous prendrons la parole sur les articles pour défendre nos idées et nos projets en faveur de ces jeunes, car ce qui leur est proposé aujourd’hui est tout simplement humiliant. Après l’heure du couvre-feu, nous les voyons sur leurs mobylettes, sous-payés et sans statut, faire des livraisons pour Uber, encore Uber, toujours Uber ! Ce n’est pas digne. Nous tous parlerons pour défendre la cause des jeunes.
Même si ce texte n’est pas parfait – nous l’admettons –, nous avons fait ce qu’il fallait pour que certaines de ses dispositions puissent être adoptées. Or, une fois de plus, on nous dit : « Circulez, il n’y a rien à voir ! » Ce message n’est pas recevable pour la jeunesse de notre pays. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, les précédents orateurs l’ont rappelé : les difficultés que rencontrent les jeunes pour accéder au monde du travail préoccupent chacune et chacun d’entre nous, d’autant plus qu’elles se sont encore accentuées ces derniers mois.
Les chiffres interpellent : 24 % des jeunes ont subi une interruption de formation depuis le début de la crise sanitaire ; 21 % ont connu l’annulation d’un stage en entreprise, le développement du télétravail ayant empêché d’accueillir et d’encadrer des jeunes lors de leur première expérience professionnelle ; et 18 % ont connu un licenciement ou le non-renouvellement d’un contrat.
Nous, élus, le constatons au quotidien au fil de nos échanges et dans nos permanences : beaucoup d’étudiants et de lycéens galèrent pour trouver un stage, une alternance ou une formation qualifiante.
Nous sommes évidemment sensibles aux objectifs de cette proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises. Ce texte s’appuie sur des études récentes démontrant que les blocages de l’ascenseur social se situent au niveau de l’enseignement et du recrutement. Ce travail rejoint d’ailleurs les préoccupations du Sénat, qui mène actuellement trois missions d’information sur des thématiques similaires.
Toutefois, les mesures proposées se heurtent à un certain nombre d’obstacles.
Tout d’abord, je constate des difficultés d’ordre juridique. Les nominations par priorité de certaines catégories de personnes sont contraires au principe d’égalité : le Conseil constitutionnel en a jugé ainsi dans sa décision du 16 mars 2006.
Ensuite, certaines dispositions manquent de clarté ou sont imprécises : je pense à « l’expérience professionnelle dans un quartier prioritaire » comme critère de différenciation ou encore au « lieu d’origine » comme nouveau critère de discrimination en droit du travail.
Enfin, l’obligation nouvelle pour les entreprises de justifier les motifs de non-embauche auprès de tout candidat refusé pourrait engendrer beaucoup des contentieux devant les prud’hommes.
M. Stéphane Piednoir. Absolument !
M. Pierre-Jean Verzelen. Pour ces raisons, les élus du groupe Les Indépendants – République et Territoires ne voteront pas cette proposition de loi. Néanmoins, nous participerons au travail évoqué par M. Sueur.
Ce texte vise à élargir et à favoriser l’accès au monde du travail des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville et, de manière plus originale, des jeunes des zones de revitalisation rurale.
Nous en avons connus, des textes, des propositions, des actions en faveur des jeunes des quartiers prioritaires : cet effort est nécessaire. Il existe de véritables difficultés et il faut y répondre.
Ces difficultés, ces souffrances sont également réelles dans la ruralité : elles sont de nature différente, mais elles existent, même si l’on en parle beaucoup moins. Cette partie de la jeunesse est moins incarnée, moins représentée et moins défendue, tant et si bien que toute une partie de notre territoire et de nos jeunes ont l’impression – passez-moi l’expression – de ne pas faire partie du film.
Même si les résultats scolaires sont globalement bons dans les territoires ruraux, il faut continuer à mettre le paquet sur l’enseignement en maternelle et en primaire. Il faut encore et toujours développer l’accès à la culture. Il faut surtout défendre une ambition nationale pour aménager le territoire, améliorer les axes de communication et donc la mobilité.
La France, la jeunesse, l’accès au monde du travail ne peuvent pas se résumer à Paris et à quelques métropoles. C’est aussi cela, l’enjeu soulevé par cette proposition de loi !
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Benarroche.
M. Guy Benarroche. Mesdames les ministres, quel panégyrique de l’action gouvernementale ! Je vous ai bien entendues : le pragmatisme doit dépasser le politique. Sur cette base, vous posez des briques les unes après les autres. Mais sans réelle architecture politique globale, on ne peut pas construire une maison habitable ou un pays égalitaire !
Alors que la crise sanitaire de l’année dernière et le « quoi qu’il en coûte » qu’elle a inspiré bouleversent notre pays et son économie dans des proportions considérables, il est bon de garder en tête que les jeunes ont payé un lourd tribut.
Ne détournons pas les yeux des files d’attente devant les centres de distribution alimentaire, n’occultons pas les difficultés de santé mentale dont notre jeunesse souffre et va souffrir durablement.
C’est dans ce contexte que le présent texte nous est soumis : une incertitude grandissante des jeunes sur leur avenir au sein d’une société dont les contours flous et changeants ne laissent pas augurer d’un accueil digne de ce nom, d’une intégration et d’un épanouissement ; une inquiétude tenace sur leur présent ou leur avenir immédiat, liée notamment aux crises écologiques, sanitaires et sociales.
Aussi, cette proposition de loi, que je salue, a pour ambition de créer les conditions d’un meilleur accès des jeunes à la vie active et surtout de lever les obstacles souvent discriminatoires auxquels ils font face à l’entrée sur le marché du travail.
Le Gouvernement s’apprête à déposer des ordonnances visant à réformer la fonction publique, l’objectif étant de renforcer la confiance en l’État, de casser des schémas déterminés et d’organiser une plus grande mobilité des métiers : raison de plus pour soutenir le présent texte !
Cette proposition de loi ne prétend pas répondre à la totalité des enjeux : je regrette à la fois les réserves exprimées à son sujet et la position de la commission des lois.
La notion de quotas, je le sais, laisse souvent perplexes les décideurs de notre pays. En l’occurrence, elle a été partiellement corrigée dans le texte par voie d’amendement. Les critiques les plus farouches persistent à voir dans cette discrimination positive une injustice face à d’autres critères et un moyen d’écarter des personnes méritantes, mais ils occultent la réalité : il s’agit de faciliter l’accès aux postes à responsabilité de personnes ayant un autre regard et de nouvelles compétences.
L’exemple de la parité entre les femmes et les hommes, parité que nous peinons à appliquer plus largement dans les entreprises, dans les conseils d’administration, dans cet hémicycle même, mériterait pourtant d’être suivi.
Le désir de voir des femmes et des hommes de terrain accéder aux responsabilités dans la fonction publique s’exprime de plus en plus fortement. L’article 1er de cette proposition de loi, qui prévoit de réserver un certain nombre de postes à des personnes ayant déjà exercé des fonctions dans des quartiers prioritaires de la ville, semble donc très pertinent.
La recherche de talents doit s’étendre au-delà de Paris – l’administration n’est pas telle qu’on la caricature, ne voyant rien au-delà de Paris. Ainsi, l’article 2 modifie les conditions d’attribution des bourses, afin que les bacheliers des zones de revitalisation rurale puissent accéder à la catégorie d’élèves boursiers.
Quant à l’article 3, il prévoit d’agir sur ce qui, de l’aveu même de la commission, constitue un « enjeu identifié », à savoir la composition des jurys.
Les trois derniers articles portent sur l’appréhension du secteur privé à recruter des jeunes.
Je sais que notre commission doute fortement de l’intérêt d’inscrire un nouveau critère de discrimination : elle y voit une stigmatisation des employeurs, qui seraient « a priori discriminants », alors que ce n’est pas le cas. Je pense au contraire qu’une telle mesure permettrait d’envoyer un message fort sur la différence entre a priori et discrimination.
Je sais aussi que notre commission, à l’image de la majorité sénatoriale, voit dans la création d’un indicateur d’égalité des chances une nouvelle charge pour les entreprises. Mais pourquoi le refuser ? Un tel indicateur serait un outil de mesure de la performance comme un autre. Il permettrait d’informer l’entreprise sur les biais inconscients qui jouent lorsqu’elle recrute.
Cette proposition de loi va donc dans le bon sens. Elle vise à favoriser un large recrutement de tous les jeunes en permettant une valorisation des expériences dans la diversité de nos territoires et en sanctionnant les discriminations envers les personnes issues de certains d’entre eux. Aussi, les membres du groupe Écologiste – Solidarité et Territoires voteront ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch.
M. Teva Rohfritsch. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons ce matin, déposée par notre collègue Hélène Conway-Mouret, a le mérite de concentrer nos débats sur un sujet qui nous préoccupe tous : la jeunesse et son avenir.
La crise sanitaire que nous traversons n’a pas épargné nos jeunes. De Tahiti à l’Alsace, toute une série de ruptures scolaires, économiques, affectives et psychologiques ont été constatées. Ce virus a frappé nos vies et la société sans discernement.
Les propositions réunies dans le texte soumis à notre sagacité font pleinement écho aux objectifs politiques de notre groupe : offrir une chance à tous nos jeunes.
Au titre Ier de cette proposition de loi, notre collègue propose de faciliter l’accès à la fonction publique, notamment pour les jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale, grâce à la mise en place de quotas et à la création d’une Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique.
Indubitablement, nous faisons nôtres les objectifs des dispositions précitées ; mais les articles 1er à 4 posent diverses difficultés. Soit ils sont déjà satisfaits par l’arsenal juridique existant ; soit ils ne pourraient être constitutionnellement justifiés ; soit leur application poserait de réelles difficultés opérationnelles.
À titre d’exemple, l’article 1er prévoit de réserver une proportion minimale de nominations aux postes de délégués du préfet dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville à des personnes ayant déjà une expérience dans un tel quartier. Non seulement cette question relève du pouvoir réglementaire, mais, pour occuper de tels emplois, une expérience professionnelle dans ces quartiers est déjà exigée : elle est nécessaire pour une connaissance fine du terrain.
La création d’une nouvelle autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique est une idée intéressante. Néanmoins, les études et rapports qu’il est proposé de confier à cette instance sont, pour partie, déjà menés par le service statistique ministériel de la fonction publique, lequel présente les garanties d’indépendance souhaitées : cette proposition mériterait donc d’être approfondie.
Par ailleurs, des engagements forts ont été pris et des réformes sont en cours afin que notre fonction publique redevienne un élément fondateur de notre ascenseur social républicain, un lieu de sens et de service de l’intérêt général pour tous, que ce soit dans les villes, les campagnes, les quartiers prioritaires ou encore les outre-mer.
Je pense notamment à l’agenda en faveur de l’égalité des chances impulsé par Emmanuel Macron et mis en œuvre par sept ministres, rythmé par la réforme de la haute fonction publique.
Je pense également au lancement des Talents du service public, évoqués plus précisément par Mme Amélie de Montchalin. À titre d’exemple, l’île de la Réunion compte trois classes prépas Talents du service public, réunies sur deux sites : Saint-Denis et Le Tampon. Au total, soixante-dix jeunes sont ainsi formés pour accéder à la fonction publique.
Je pense aussi au lancement de la plateforme anti-discriminations, aux mesures annoncées lors du Comité interministériel à la ville de janvier dernier pour les quartiers prioritaires de la politique de la ville, avec plus de 3,3 milliards d’euros dédiés, ainsi qu’à la récente création du label Cités de la jeunesse par Mme Nadia Hai.
Ce texte propose également l’introduction d’un nouveau critère de discrimination lié au lieu d’origine. Il s’ajouterait à l’arsenal législatif déjà fondé sur vingt-cinq critères de discrimination. Commençons par garantir la pleine application des lois en vigueur : telle nous semble être la priorité.
L’obligation de motiver la non-embauche d’un candidat pourrait, cela a été dit, entraîner des contentieux prud’homaux. De surcroît, cette nouvelle disposition pourrait paradoxalement constituer un frein supplémentaire à l’embauche.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris : les objectifs de cette proposition de loi sont aussi les nôtres. Nous saluons le travail de notre rapporteur et nous remercions notre collègue Hélène Conway-Mouret, mais les mesures que je viens d’évoquer, quand elles ne sont pas déjà satisfaites, poseraient de réelles difficultés d’application. Pour ces raisons, les élus du groupe RDPI voteront contre cette proposition de loi.
Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.
Mme Maryse Carrère. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, réfléchir à un meilleur accès de nos jeunes à la fonction publique et à l’emploi, c’est avant tout penser les failles de notre méritocratie républicaine. C’est faire le constat de son échec. C’est se dire que, malgré les nombreux dispositifs qu’elle met en place, la France reste, parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), celui où l’origine sociale conditionne le plus l’avenir des enfants.
C’est constater que la mobilité sociale est à l’arrêt et que l’ascension sociale est devenue une anomalie. C’est également battre en brèche l’idée d’une égalité parfaite entre citoyens, grâce à laquelle la réussite est dictée non plus par notre origine, mais par nos efforts, ambition héritée de la Révolution française.
Pour autant, mettre fin aux politiques d’égalité des chances serait une erreur ; cesser d’y réfléchir aussi. À cet égard, je tiens à remercier l’auteure de cette proposition de loi.
C’est d’autant plus vrai que les crises, comme celle que nous vivons, frappent toujours davantage les plus démunis et aggravent les inégalités, notamment chez les jeunes.
J’en viens au présent texte. S’il soulève de bonnes questions, les réponses qu’il apporte ne permettront pas, malheureusement, de relever l’ensemble des défis auxquels nous faisons face.
Ainsi, l’article 1er prévoit de faciliter la nomination dans la haute fonction publique d’agents ayant travaillé dans les quartiers prioritaires. Ces dispositions permettraient-elles une réelle mise en valeur des jeunes des quartiers prioritaires ? Rien ne garantit que les agents qui pourraient être nommés à ces emplois soient issus de ces quartiers ou qu’ils auront une réelle appétence pour ces sujets.
L’article 2 porte sur le recrutement diversifié dans les concours et formations de la fonction publique. Je salue le fait que les zones de revitalisation rurale soient mises sur le même plan que les quartiers prioritaires. Longtemps, on a vu l’égalité des chances et l’ascenseur social sous le seul prisme des quartiers prioritaires et de la politique de la ville : je le regrette. L’erreur a été d’oublier de nombreux jeunes ruraux qui sont tout autant défavorisés.
Loin de moi l’idée d’opposer les uns aux autres, bien au contraire. À mon sens, il faut répondre de la même manière à ces problèmes, car ils sont identiques, que l’on habite dans une commune de 100 habitants dans les Hautes-Pyrénées ou dans un quartier relevant de la politique de la ville. C’est une question d’équité.
Néanmoins, le fait d’élargir l’accès à ces concours n’a de sens que si l’on transforme les pratiques en profondeur. Pour cela, il est indispensable de modifier le recrutement des membres des jurys. Cela permettra de mettre fin aux situations que l’on connaît actuellement et qui laissent peu de place aux profils différents au sein des jurys et donc parmi les candidats.
J’émets davantage de réserves sur les articles suivants, à commencer par l’article 4, qui prévoit la création d’une Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique. Ce que je crains, c’est un énième comité Théodule sans véritable pouvoir, incapable d’assumer les missions qui lui seront confiées, faute de moyens financiers et humains.
Si je comprends la volonté de prendre en compte le lieu d’origine comme facteur discriminatoire, il me semble que les vingt-cinq critères de discrimination déjà retenus sont suffisants.
Enfin, l’article 6 oblige toute entreprise à motiver son choix à la suite d’un entretien d’embauche. Je crains qu’une telle mesure ne soit inefficiente : chaque employeur pourra invoquer le motif qui lui plaira pour justifier le refus d’une candidature.
Pour conclure, si nous approuvons l’objectif de cette proposition de loi, il nous paraît indispensable de lutter dès le plus jeune âge contre les inégalités afin de réparer l’ascenseur social et de renouveler la promesse républicaine.
Sur ce texte, le groupe du RDSE se partagera entre votes favorables et abstentions. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE et sur des travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Stéphane Piednoir. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, malgré les multiples aides déployées durant la crise sanitaire et économique que nous traversons, la période actuelle – chacun en conviendra – est difficile pour tous. La cessation d’activité dans bon nombre de secteurs a lourdement pesé sur les trésoreries ; la conjoncture a reporté ou condamné nombre d’initiatives entrepreneuriales ; et les recrutements ont le plus souvent été gelés dans l’attente d’une meilleure visibilité sur l’avenir économique.
Au milieu de ce tableau assez sombre, les jeunes subissent de plein fouet autant les conséquences de ce ralentissement économique que le bouleversement du marché du travail. Ainsi, 37 % des étudiants salariés ont perdu leur emploi.
Pour leur insertion professionnelle, les étudiants, quelle que soit leur origine sociale, sont confrontés à une sorte d’effet ciseaux. D’une part, le marché du travail est profondément et sans doute durablement contracté ; de l’autre, ces jeunes risquent de voir leur niveau de qualification interrogé, en raison des nouvelles modalités d’enseignement auxquelles ils ont été confrontés durant les deux dernières années universitaires.
Dès lors, que peut-on attendre des pouvoirs publics ? Quelles réponses apporter à ces jeunes qui font leur entrée sur le marché de l’emploi ?
Ce que veulent ces jeunes, c’est concrétiser leurs études par un emploi correspondant à leurs aspirations et à la formation qu’ils ont choisie. C’est donc à la source – si je puis dire – qu’il faut intervenir, en permettant aux entreprises de se relancer, à leurs sites de production de retrouver une croissance salvatrice. Bref, il faut leur donner les moyens d’avoir des perspectives et d’envisager sereinement de nouvelles embauches. Cette dynamique vertueuse profitera inévitablement aux jeunes.
Sans renier la solidarité nationale dans notre pays, qui n’a vraiment pas à rougir à cet égard, le même raisonnement doit prévaloir pour l’insertion des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville : ils ont davantage besoin d’une dynamique globale que d’une commisération dévalorisante à leur endroit.
État moi-même issu d’un milieu modeste, je suis reconnaissant à l’État d’avoir aidé ma famille, via l’attribution de bourses, à subvenir à mes besoins durant mes études. En complément, j’ai exercé de bonne grâce différents petits boulots durant mes années universitaires et la plupart de mes vacances. La réussite est parfois à ce prix : elle n’en a que plus de saveur. La motivation contribue à en atténuer les contraintes.
En revanche, j’aurais très mal vécu d’avoir une sorte de passe-droit, de bénéficier d’une politique de quotas, comme on dit aujourd’hui en langage autorisé, pour accéder aux cursus auxquels j’aspirais et, pis, pour obtenir le concours de la fonction publique que je visais avec volonté. Et que dire du regard que mes collègues auraient porté sur moi ? Des commentaires du style : « Il a eu le concours sur les places réservées à son profil » ? La société française n’est pas constituée de castes, et c’est heureux.
La méritocratie, c’est l’école de la détermination ; c’est le droit de se frotter à tous, quelles que soient son origine sociale et ses conditions matérielles de vie. Mais c’est aussi, pour tous, l’acceptation du risque d’échouer dans son entreprise personnelle.
Cette méritocratie ne signifie pas que tous les enfants de milieux modestes ont un droit privilégié de réussir, qu’ils ont le droit d’imposer leur candidature face à d’autres qui présenteraient de meilleurs atouts et compétences.
À mon sens, les choses se jouent bien avant. J’ai eu l’occasion de l’éprouver, cette fois en tant qu’enseignant, en convainquant un étudiant qu’il était tout à fait capable de réussir compte tenu de ses résultats et de ses aptitudes confirmés, même s’il était le premier de sa famille à accéder aux études supérieures.
Le frein est ici : au sein des familles qui acceptent une dévalorisation consubstantielle à leur catégorie socioprofessionnelle. C’est le rôle des enseignants et des conseillers principaux d’éducation de convaincre ces élèves qu’ils ont droit aux mêmes études, aux mêmes débouchés, aux mêmes métiers tant qu’ils apportent la preuve de leurs qualités.
Nul besoin de quotas pour cette politique : il suffit de faire confiance aux professionnels qui conseillent nos jeunes et leurs familles au quotidien. Un large consensus me semble possible sur ce point.
En résumé, si je comprends l’objectif de cette proposition de loi, je n’approuve pas du tout ses dispositifs. En conséquence, comme l’ensemble de mes collègues du groupe Les Républicains, je voterai contre ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Bouloux. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Yves Bouloux. Madame la présidente, mesdames les ministres, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises.
Séduisant, cet intitulé prête à confusion à double titre. D’une part, il ne s’agit pas d’améliorer l’accès de l’ensemble des jeunes à l’emploi,…
M. Yves Bouloux. … mais simplement d’en privilégier quelques-uns.
M. Yves Bouloux. D’autre part, certaines des dispositions proposées ne visent pas spécifiquement les jeunes. En réalité, on nous demande d’introduire dans la loi une nouvelle discrimination positive en fonction, cette fois, non pas du sexe, mais du lieu de résidence. Sont ciblés les quartiers de la politique de la ville et les zones de revitalisation rurale.
L’existence d’inégalités de traitement ne fait pas débat. D’ailleurs, dans les territoires ruraux, les élus œuvrent quotidiennement pour combattre cette perte de chance.
On nous suggère notamment de réserver une proportion minimale de nominations aux emplois de la haute fonction publique de l’État. Quel est l’objectif ? Favoriser l’implantation dans ces territoires ou l’accès à ces emplois des personnes qui y résident ? Ne vaudrait-il pas mieux garantir un niveau d’enseignement minimal dans tous les territoires ?
L’égalité des chances est un objectif louable, mais on ne saurait la garantir au détriment de la compétence ou au prix de nouvelles inégalités. Les concours d’accès à la fonction publique n’ont-ils pas précisément pour objet de garantir l’égalité des chances ? Quoi qu’il en soit, une telle disposition exige une révision constitutionnelle.
L’article 4 crée une nouvelle autorité administrative indépendante (AAI) chargée de rassembler, d’analyser et de diffuser les informations et données relatives à la promotion de l’égalité des chances dans la fonction publique. Encore une AAI ! La multiplication des agences et autres autorités indépendantes entraîne bien des lourdeurs et des coûts. On peut se passer de telles instances, d’autant plus quand leur rôle se limite à compiler des données qui ne seront probablement jamais exploitées.
Pour faciliter l’accès des jeunes à l’entreprise, on nous propose d’ajouter le lieu d’origine à la liste des discriminations interdites ou encore d’obliger à mentionner le motif du refus d’embauche. Il s’agirait de nouvelles contraintes pour les entreprises, et pour quelle efficacité ? Favorisons l’implantation d’entreprises dans ces lieux oubliés : ainsi, l’embauche sera locale !
Vous l’aurez compris, si j’approuve l’objectif d’agir pour améliorer l’accès de ces jeunes au monde du travail, les moyens d’action méritent réflexion. Pour les raisons que je viens d’indiquer, les membres du groupe Les Républicains ne voteront pas ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre. (Protestations sur les travées du groupe SER.)
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à revenir brièvement sur un certain nombre de points.
Tout d’abord, mon ambition, comme celle des différents orateurs, est bien sûr de travailler dans un cadre strictement républicain : il s’agit de défendre le pacte républicain, en vertu duquel l’égalité des chances et surtout l’égalité des choix doivent être mises en œuvre concrètement. On ne saurait se contenter de clamer « République » : il faut déployer des outils concrets – je vais y revenir – pour que la promesse républicaine, socle de notre cohésion nationale, soit une réalité.
Nombre d’entre vous l’ont rappelé, la jeunesse a beaucoup souffert depuis dix-huit mois : nous en sommes pleinement conscients. Elle a souffert d’interruptions de formation ; elle a souffert de la raréfaction des stages. C’est pourquoi la fonction publique prend toute sa part dans le plan « 1 jeune, 1 solution ».
Je le répète : ce plan, c’est 43 000 offres de stages cette année et 49 000 autres en 2022 ; c’est 15 000 places d’apprentissage ; c’est une circulaire signée hier par le Premier ministre et par moi-même, relative à l’apprentissage et aux stages, qui s’applique à l’ensemble de la fonction publique de l’État ; c’est un travail partenarial rapproché avec la fonction publique territoriale.
En parallèle – certains orateurs l’ont souligné –, nous devons nous défaire de l’idée selon laquelle Paris serait un passage obligé. Nos territoires, nos universités et, plus largement, nos lieux de formation sont riches de leur diversité. Il n’est écrit nulle part dans le contrat républicain qu’il faudrait, comme au XIXe siècle, « monter à Paris ».
Si vous me permettez une référence littéraire, loin des Illusions perdues de Balzac, je préférerais voir venir le temps de la confiance retrouvée. Nous devons faire confiance aux professionnels de la formation et de l’enseignement supérieur dans l’ensemble du territoire.
Ces précisions étant apportées, je tiens à revenir sur deux points de mon intervention liminaire afin d’éviter toute ambiguïté.
Je peux vous le certifier : ni Nadia Hai ni moi n’éprouvons le moindre sentiment d’autosatisfaction.
Si nous vous avons présenté en détail un certain nombre de dispositifs, c’est parce que nous sommes extrêmement engagés et que nous savons qu’il n’existe pas de baguette magique, de solution toute faite, que les choses sont complexes et qu’il nous faut agir de manière large, en utilisant tous les leviers à notre disposition. Nous ne sommes absolument pas dans le fameux « circulez, il n’y a rien à voir ! » que certains ont pointé.
Si nous étions dans un tel état d’esprit, nous n’aurions pas pris le taureau par les cornes comme nous le faisons. Nous pensons qu’il faut privilégier l’action, beaucoup plus que les lois, les incantations, les signaux, les principes. La jeunesse de notre pays a trop souffert d’avoir été amenée à croire, sur ces questions essentielles de cohésion nationale et républicaine, que les grands principes et les grandes lois allaient tout faire.
Agir, c’est mettre en place du mentorat, du tutorat, des moyens de formation, c’est ouvrir des classes – concrètement, nous ouvrons 74 lieux où 1 700 jeunes vont pouvoir se former, à La Réunion et ailleurs – ; c’est sortir d’une logique de chiffres et de quotas pour créer des viviers.
Notre travail, madame Conway-Mouret, s’est fait en convergence, voire en concomitance, puisque l’habilitation que vous avez accordée au Gouvernement dans l’article 59 de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique lui permet, précisément, de prendre des mesures. Celles-ci sont législatives quand cela s’impose, mais beaucoup d’entre elles n’ont rien à voir avec la loi, elles sont concrètes. Quand la loi est nécessaire, nous l’avons activée par ordonnance.
Pour conclure, je tiens à vous remercier, monsieur le sénateur Piednoir, de votre témoignage. Notre pays a besoin de tels témoignages pour montrer que ce chemin existe.
Je vous affirme également que nous ne créerons aucun passe-droit. En tant que ministre de la fonction publique, je m’engage à donner des outils concrets à des jeunes méritants pour les aider à préparer des concours exigeants et sélectifs, c’est-à-dire du tutorat, du mentorat, une bourse de 4 000 euros par an – il s’agit de leur éviter d’avoir à occuper des petits boulots au lieu de préparer les concours –, ainsi qu’un accès au logement étudiant.
À Angers, ville chère à votre cœur, nous prévoyons ainsi d’ouvrir en 2022 l’une de ces classes Prépas Talents pour que la jeunesse du Maine-et-Loire entre dans cette dynamique avec tout l’accompagnement nécessaire. Je sais pouvoir compter sur votre soutien à ce projet.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Viviane Artigalas. Non, ce n’est pas possible !
Mme Monique Lubin. Et nous, quand nous exprimons-nous ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Vous allez pouvoir vous exprimer, madame la sénatrice, c’est le propre des débats démocratiques.
Nous avons évidemment réagi à l’expression « circulez, il n’y a rien à voir ! » Personne, dans cet hémicycle – et je vous ai tous écoutés avec beaucoup d’attention – n’a tenu ce type de propos, ni l’orateur d’un groupe ni, encore moins, un membre du Gouvernement.
« Qui peut nier les difficultés que rencontrent les jeunes dans nos quartiers ? » nous a demandé M. le sénateur Sueur. Personne, et certainement pas la ministre déléguée chargée de la ville que je suis.
M. le sénateur Sueur a rappelé à plusieurs reprises que le Gouvernement était intervenu durant vingt-cinq minutes, mais il semble qu’il ne nous ait pas écoutées (Vives exclamations sur les travées du groupe SER.).
Nous n’avons pas la prétention d’avoir résorbé en quatre ans des inégalités qui se creusent depuis des décennies, mais nous avons l’honnêteté de dire que l’arsenal législatif qui a été pensé avant notre arrivée aux responsabilités est suffisant. Je n’imagine pas, monsieur le sénateur Kanner, que vous puissiez considérer que la loi de 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté n’a pas été suffisamment pensée ! Les inégalités, je le répète, ne datent pas d’aujourd’hui.
Nous partageons, évidemment, les objectifs et l’esprit de cette proposition de loi, mais nous mettons en place les mesures nécessaires et, excusez du peu, nous y consacrons les moyens financiers et nous changeons de méthode. C’est bien cela qui nous différencie.
Je suis désolée de vous avoir éprouvé en détaillant les actions du Gouvernement, mais tel est le propre du débat démocratique. Amélie de Montchalin et moi-même étions encore parlementaires il y a peu et nous avons du respect pour les débats démocratiques. Le rôle de cette assemblée comme du Gouvernement est de permettre les échanges et les discussions, mais aussi l’évolution des mentalités. C’est ce travail que nous engageons à vos côtés.
Madame la sénatrice, nous accueillons tous ceux qui souhaitent travailler avec le Gouvernement sur la question de l’égalité des chances, qui nous tient à cœur, et œuvrer en faveur de l’ensemble de nos concitoyens sur tout le territoire. Nous ne réservons cette exclusivité à aucun groupe. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
M. Pascal Savoldelli. Le pluralisme par ordonnances, ce n’est pas terrible !
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises
TITRE Ier
Respect de la diversité sociale au sein de la fonction publique
Chapitre Ier
Une haute fonction publique représentative de la société française
Article 1er
I. – Après l’article 25 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État, il est inséré un article 25 bis ainsi rédigé :
« Art. 25 bis. – Pour les nominations aux emplois mentionnés au premier alinéa de l’article 25, un décret en Conseil d’État détermine une proportion minimale, qui ne peut être supérieure à 20 %, de nominations proposées à des personnes, appartenant ou non à l’administration, qui exercent ou ont exercé une activité professionnelle pendant au moins deux années dans un quartier prioritaire de la politique de la ville au sens de l’article 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, dans le respect de la parité. »
II. – Le titre III de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine est complété par un chapitre IV ainsi rédigé :
« CHAPITRE IV
« Des délégués du représentant de l’État dans le département dans les quartiers prioritaires de la ville
« Art. 14-1. – Un décret en Conseil d’État détermine une proportion minimale, qui ne peut être supérieure à 20 %, de nominations au poste de délégué du représentant de l’État dans le département dans les quartiers prioritaires de la ville proposées à des personnes, appartenant ou non à l’administration, qui exercent ou ont exercé une activité professionnelle pendant au moins deux années dans un quartier prioritaire de la politique de la ville au sens de l’article 5, dans le respect de la parité. »
Mme la présidente. L’amendement n° 1, présenté par M. Sueur, Mme Conway-Mouret, MM. Cardon et Tissot, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer les mots :
détermine une proportion minimale, qui ne peut être supérieure à 20 %, de nominations proposées à des
par les mots :
précise les conditions permettant de favoriser la nomination de
II. – Alinéa 6
Remplacer les mots :
détermine une proportion minimale, qui ne peut être supérieure à 20 %, de nominations
par les mots :
précise les conditions permettant de favoriser la nomination
La parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Comme vous, j’ai entendu au cours de la discussion générale parler de discrimination – serait-elle positive ? – ou d’inégalité à l’évocation de certaines des dispositions de cette proposition de loi, alors que l’objectif de ce texte est à l’opposé de ces concepts. Nul doute que si la commission avait adopté les amendements que nous proposons, ce débat aurait pris une tout autre forme.
Ce premier amendement vise, tout en conservant intacte l’ambition d’instaurer une haute fonction publique plus représentative de la société française, à clarifier la rédaction de l’article 1er.
Notre objectif n’est bien évidemment pas de fixer des quotas. Nous souhaitons simplement favoriser l’ouverture dans la haute fonction publique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. Cet amendement tend à remplacer la proportion minimale, fixée par décret en Conseil d’État et ne pouvant excéder 20 %, de nominations de personnes ayant ou ayant eu une expérience professionnelle de deux ans dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville par l’objectif plus général de favoriser la nomination de telles personnes.
Nous avons estimé que le critère retenu n’était pas opérant et qu’il conduirait à créer une nouvelle catégorie. De nombreux jeunes rencontrant également des difficultés sociales ailleurs sur le territoire seraient laissés de côté.
Par ailleurs, le risque constitutionnel ne semble pas écarté, puisque les nominations aux emplois publics doivent, avant toute chose, reposer sur les capacités et les talents.
Enfin, valoriser l’expérience dans un quartier prioritaire de la politique de la ville paraît tout à fait intéressant pour certaines nominations – pour un délégué du préfet dans un quartier prioritaire, cela semble même aller de soi –, mais il ne faudrait pas en faire un critère de priorisation systématique.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Cet amendement me semble bienvenu, la logique des quotas étant, vous le savez, contraire à un certain nombre de principes constitutionnels. L’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen prévoit un égal accès à l’emploi public de tous les citoyens sans autre distinction que leurs mérites et leurs talents. Il ne prévoit pas de quotas !
Permettez-moi de faire un point sur les mesures qui sont déjà dans les tuyaux dans le cadre de la réforme de la haute fonction publique que nous sommes en train de mettre en œuvre, car elles pourraient satisfaire votre amendement. Je présenterai l’ordonnance en conseil des ministres la semaine prochaine.
Nous ne pouvons pas, en raison de l’article 13 de la Constitution, contraindre la nomination aux emplois à discrétion du Gouvernement. En revanche, la réforme de la haute fonction publique que j’ai présentée hier devant la commission des lois prévoit la création d’une délégation interministérielle à l’encadrement supérieur de l’État, laquelle comprendra un responsable de la diversité et de l’ouverture en général.
L’objectif est de créer des viviers de profils beaucoup plus diversifiés, qui bénéficieront d’une formation adéquate afin de pouvoir accéder aux postes à responsabilités. Aujourd’hui, une partie de l’autocensure est le fait des personnes elles-mêmes, mais une autre peut être évitée par la délivrance d’un complément de formation.
La mécanique des viviers sera définie par décret en Conseil d’État. Ce décret présentera les lignes directrices de notre gestion interministérielle, lesquelles ont vocation à fixer une stratégie en matière de ressources humaines et d’identification des talents, afin de favoriser l’accès à des responsabilités de personnes qui n’y parviennent pas aujourd’hui.
Le poids du classement et les habitudes de nominations dans les grands corps imposent aujourd’hui, de fait, une limitation dans la mécanique des viviers. Le décret en Conseil d’État indiquera comment nous entendons favoriser des nominations plus diversifiées, selon une logique non pas de quotas, mais de viviers.
Ce que nous prévoyons ne correspond pas tout à fait à l’outil juridique que vous proposez, mais, dans les faits, d’ici à la fin de l’année 2022, une stratégie de gestion des ressources humaines claire sera mise en œuvre afin d’atteindre l’objectif que vous fixez et que nous partageons.
Je vous propose donc de retirer votre amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er n’est pas adopté.)
Chapitre II
Notre administration accessible à tous et à toutes
Article 2
I. – L’article L. 611-1 du code de l’éducation est ainsi modifié :
1° La seconde phrase de l’avant-dernier alinéa est ainsi rédigée : « Ces modalités assurent le recrutement d’étudiants titulaires du baccalauréat ou d’un diplôme équivalant obtenu au sein d’un établissement scolaire situé : » ;
2° Avant le dernier alinéa, sont insérés trois alinéas ainsi rédigés :
« – soit dans un quartier prioritaire de la politique de la ville au sens de l’article 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine ;
« – soit dans une zone de revitalisation rurale au sens de l’article 61 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire, en qualité d’élève bénéficiaire d’une bourse nationale de lycée.
« Ces modalités sont fixées par décret après avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche et, pour les formations conduisant au titre d’ingénieur, après avis de la commission des titres d’ingénieur. »
II. – Le 1° de l’article 19 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque l’obtention du baccalauréat ou de son équivalent est requise, les candidats bénéficient d’un aménagement des épreuves du concours précisé par voie réglementaire s’ils ont obtenu ce diplôme dans un établissement scolaire situé soit dans un quartier prioritaire de la politique de la ville au sens de l’article 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, soit dans une zone de revitalisation rurale au sens de l’article 61 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire en qualité d’élève bénéficiaire d’une bourse nationale de lycée ; ».
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article.
Mme Monique Lubin. En soutien à cet article, je rappellerai les difficultés que rencontrent en France les lycéens vivant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville et dans les zones de revitalisation rurale quand ils sont bénéficiaires d’une bourse nationale de lycée.
Ils souffrent d’être éloignés d’une information complète et incarnée pour leur orientation et sont, de manière plus générale, confrontés aux conséquences d’un éloignement culturel et symbolique. Par conséquent, ils sont notamment victimes d’autocensure et peinent à se projeter dans des études et des carrières professionnelles éloignées des possibilités offertes par leur territoire d’origine.
On sait que l’école en milieu rural est loin d’être un espace voué à l’échec scolaire. Les résultats des enquêtes menées révèlent surtout l’autocensure des élèves ou leur manque de confiance en eux, bien que leurs résultats scolaires soient, dans l’ensemble, tout à fait satisfaisants.
On sait, par ailleurs, que les jeunes habitant dans un quartier prioritaire de la politique de la ville redoublent plus souvent. Par exemple, dans les Pays de Loire, 24 % des élèves de sixième vivant dans un tel quartier ont au moins un an de retard, contre 9 % des jeunes résidant ailleurs. Après la troisième, les élèves vivant dans les quartiers prioritaires s’orientent plus souvent vers des filières professionnelles que les autres.
Enfin, les jeunes des territoires isolés ne bénéficient pas des mesures de compensation mises en place dans les centres urbains pour pallier les insuffisances de l’éducation nationale en matière de prise de parole, d’expression orale ou de gestion du stress par exemple. Ils ne bénéficient pas non plus du foisonnement de structures dans lesquelles s’investir et développer ce type de compétences ; or celles-ci font pourtant partie des attendus lors des études supérieures, puis, a fortiori, dans la vie professionnelle.
Conscients des inégalités en matière d’oralité, les lycéens ruraux s’estiment très largement démunis lors des premiers oraux, que ce soit pour intégrer une école ou une formation ou obtenir un stage.
Par conséquent, en matière d’orientation comme de résultats scolaires, les jeunes Français sont déterminés, pour partie, par leurs origines sociales et géographiques. Ce n’est pas un phénomène nouveau, mais la fracture se creuse entre les jeunes qui peuvent s’adapter aux standards du XXIe siècle et ceux qui rencontrent d’autant plus de difficultés à cocher toutes les cases que celles-ci se multiplient, générant angoisse et autocensure.
Madame la ministre, pour conclure, pourriez-vous définir ce qu’est un jeune « méritant » ? Y a-t-il, dans ce pays, un ordre naturel qui permettrait aux jeunes bien nés d’avoir accès à tout, quand les autres devraient être plus « méritants » ? (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.
M. Patrick Kanner. Invoqué, convoqué à tout bout de champ, le mot « République », répété à l’infini de manière abusive en ces temps de campagne parfois nauséabonde, perd de sa force dans l’esprit de beaucoup de nos concitoyens.
Les mots lassent et les actes manquent pour convaincre que la République mérite encore d’être notre idéal commun, le socle de notre identité. Pour lui redonner de la vigueur, il faut une action déterminée en faveur de l’égalité et, à la République sécuritaire qui est aujourd’hui manifestement le cap de ce gouvernement, son alpha et son oméga, je préfère la sécurité dans la République, avec son corollaire, l’équité.
L’équité, c’est, notamment, donner aux jeunes, quelles que soient leur origine et leur condition, la possibilité de s’insérer et l’assurance de pouvoir monter dans l’ascenseur social, lequel devient, pour beaucoup, une chimère.
L’égalité, c’est donner plus à ceux qui ont moins. C’est permettre à chacun d’accéder à la fonction publique et de se mettre au service de l’État, même lorsque l’on vient d’un quartier prioritaire ou d’une zone de revitalisation rurale. Tel est l’objet de l’article 2.
Ne jetons pas un voile pudique sur nos concours de la haute fonction publique. On les présente comme des modèles suprêmes d’égalité, mais chacun sait qu’ils sont en réalité accessibles à des publics triés sur le volet, possédant les codes et les clés d’entrée dans les meilleurs lycées et les meilleures classes préparatoires.
Les réussites potentielles des quelques transfuges de classe que vous avez évoquées, madame la ministre, ne doivent pas masquer cette réalité structurelle : il existe une forme de ruissellement du déclassement. (Mme la ministre fait un geste de dénégation.)
Le Gouvernement aurait pu saisir l’occasion du projet de loi confortant le respect des principes de la République et de lutte contre le séparatisme pour introduire des mesures de justice sociale : sur le logement, sur l’école, sur l’emploi. Il ne l’a pas fait.
Vous auriez pu alors changer de trottoir, c’est ce que nous proposons de faire : restaurer l’égalité républicaine dans l’accès aux emplois publics jusque dans les quartiers et les campagnes.
L’autosatisfaction dont vous avez fait preuve, même si vous le niez, est totalement décalée, quand on sait que votre première mesure en matière sociale dans ces quartiers a été la destruction de centaines de milliers d’emplois aidés.
Nous souffrons du manque de représentativité sociale de notre administration publique. La défiance et l’affaiblissement de la légitimité de l’État s’en nourrissent. Cette proposition de loi a un objectif : que la prise de conscience s’accompagne aussi de mesures concrètes dans l’esprit de l’article Ier de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui reste d’une modernité éclatante : « Les hommes – et les femmes ! – naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune. »
Le constat est aujourd’hui implacable, mesdames les ministres : les inégalités sociales ont progressé depuis votre arrivée au pouvoir. (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme la présidente. L’amendement n° 2, présenté par M. Sueur, Mme Conway-Mouret, MM. Cardon et Tissot, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer le mot :
assurent
par le mot :
favorisent
II. – Alinéas 7 et 8
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Isabelle Briquet.
Mme Isabelle Briquet. Cet amendement vise, tout en conservant intacte l’ambition du texte initial d’améliorer l’accès des jeunes à la fonction publique, à proposer une rédaction plus souple de l’article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. Cet amendement tend à modifier la rédaction de l’article 2 en ne conservant que sa partie relative aux modalités d’accès différencié dans les établissements d’enseignement supérieur pour les bacheliers des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale.
La loi du 24 décembre 2020 de programmation de la recherche pour les années 2021 à 2030 prévoit déjà que les établissements d’enseignement supérieur peuvent diversifier leur recrutement pour assurer une mixité sociale et géographique. Nous venons de voter ce texte, je vous propose donc d’attendre d’en voir les résultats avant de le modifier.
Les précisions apportées par l’article 2, même amendé, semblent, par ailleurs, être de nature réglementaire.
Enfin, le renvoi à un décret après avis du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) ne semble pas opportun, puisqu’il ne respecterait pas l’autonomie des établissements. Le texte actuel prévoit que les établissements fixent leurs modalités selon des objectifs arrêtés par les ministres de tutelle, ce qui semble préférable.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Ce qui est excessif étant insignifiant, je considère qu’un certain nombre de termes, voire d’anathèmes, sont inappropriés compte tenu de l’importance et du sérieux de notre débat.
Madame la sénatrice Lubin, vous m’avez interrogée sur la définition du mot « méritant ». Permettez-moi de revenir à ce que Mirabeau, Mounier et Champion de Cicé ont écrit dans l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 : l’accès à l’emploi public est ouvert à tous, « sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. » C’est bien pour cela que le programme que nous proposons s’appelle « Talents du service public ».
Nous savons tous en France ce qu’est un élève méritant. Le programme Talents du service public est ouvert à des élèves boursiers, sur le fondement d’un dossier et d’un entretien de motivation. C’est ce que l’on appelle le mérite, et cela nous semble être une définition à la fois compréhensible et républicaine, terme que j’assume, monsieur le président Kanner.
J’en viens à l’amendement lui-même.
Ce gouvernement croit au concours, qui est un élément méritocratique. Nous investissons d’ailleurs pour que 1 700 élèves s’y préparent dans de très bonnes conditions dès la rentrée de septembre 2021. Nous ne croyons pas que le mérite consiste à passer des épreuves aménagées. Au contraire, il s’agit de préparer des élèves afin qu’ils réussissent des concours sélectifs, qui leur donneront toute leur place et toute leur légitimité au service de l’intérêt général.
Je suis donc défavorable à cet amendement, même si sa rédaction est un peu plus cohérente avec notre cadre constitutionnel.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 2.
(L’article 2 n’est pas adopté.)
Article 3
I. – L’article 20 bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée est ainsi rétabli :
« Art. 20 bis. – Les membres des jurys et des comités de sélection constitués pour le recrutement ou la promotion des fonctionnaires de l’État sont composés d’au moins 50 % de personnes extérieures à l’administration. »
II. – Le VI de l’article L. 612-3 du code de l’éducation est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« L’instance chargée de l’examen des candidatures aux formations mentionnées au même premier alinéa comprend au moins une personne n’appartenant pas à l’établissement ou aux services de l’autorité académique.
« Les établissements mentionnés audit alinéa remettent un rapport annuel sur les recrutements effectués analysant les profils des candidats retenus et écartés, selon des modalités prévues par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur. Les rapports des établissements où l’admission est subordonnée à un concours de recrutement de la fonction publique sont transmis à l’Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique. »
III. – Le code de l’éducation est ainsi modifié :
1° L’article L. 681-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « L. 611-1, » est supprimée ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … pour un meilleur accès des jeunes dans les administrations et les entreprises, les articles L. 611-1 et L. 612-3. » ;
c) Au deuxième alinéa, la référence : « L. 612-3, » est supprimée ;
2° L’article L. 683-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « L. 611-1 » est remplacée par la référence : « L. 611-2 » ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sont applicables en Polynésie française, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … pour un meilleur accès des jeunes dans les administrations et les entreprises, les articles L. 611-1 et L. 612-3. » ;
c) Au deuxième alinéa, la référence : « L. 612-3, » est supprimée ;
3° L’article L. 684-1 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, la référence : « L. 611-1 » est remplacée par la référence : « L. 611-2 » ;
b) Après le même premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Sont applicables en Nouvelle-Calédonie, dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … pour un meilleur accès des jeunes dans les administrations et les entreprises, les articles L. 611-1 et L. 612-3. » ;
c) Au deuxième alinéa, la référence : « L. 612-3, » est supprimée.
IV. – Le I du présent article entre en vigueur le 1er janvier 2022.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, sur l’article.
Mme Viviane Artigalas. Je tiens à rappeler l’importance de la composition des jurys de concours pour la diversification des profils reçus.
Si l’on parle autant d’égalité des chances, c’est bien parce que nous sommes dans une société de plus en plus inégalitaire eu égard à ces concours. On parle de méritocratie, mais beaucoup de sociologues montrent bien que, quoi que l’on fasse, les plus méritants sont de plus en plus issus des classes favorisées. Nous constatons donc l’échec du concept de méritocratie que vous mettez en avant.
La société n’est plus la même, les inégalités s’accroissent, ce qui se voit particulièrement à l’oral des concours : les candidats issus des classes défavorisées n’ont pas les mêmes codes que les jurys, que ce soit en matière vestimentaire ou d’expression orale. Même si on les prépare, ils restent défavorisés par rapport à ceux qui maîtrisent ces codes. C’est pourquoi il me paraît important d’introduire dans ces jurys des personnes issues de la diversité afin de casser ce cercle vicieux.
L’argument selon lequel il serait difficile de trouver des personnes pour participer à ces jurys ne tient pas. Ayant été membre de jurys de concours, je puis vous dire que l’on trouve très facilement des gens pour en faire partie.
À vous écouter, on se dit que ces concours permettent surtout la reproduction des élites et des candidats issus des milieux favorisés. Restons entre nous et surtout que rien ne change ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. L’amendement n° 3, présenté par M. Sueur, Mme Conway-Mouret, MM. Cardon et Tissot, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Kerrouche, Leconte, Marie et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. 20 bis. – Les jurys et comités de sélection constitués pour le recrutement ou la promotion des fonctionnaires de l’État comprennent au moins une personne qui n’appartient pas à l’administration, dans la limite de 50 % de l’effectif global du jury ou du comité de sélection.
« Les modalités d’application sont définies par décret. »
La parole est à M. Jean-Luc Fichet.
M. Jean-Luc Fichet. Sans revenir sur l’objectif d’assurer une composition des jurys et des comités de sélection pour le recrutement ou la promotion des fonctionnaires de l’État plus représentative de la diversité de la société, cet amendement tend à prévoir un dispositif remanié.
Ces jurys ou comités de sélection comprendraient au moins une personne n’appartenant pas à l’administration, sans que ces personnes extérieures comptent pour plus de la moitié de l’effectif global. Les modalités de désignation de ces personnes extérieures et les épreuves auxquelles ce dispositif s’applique, par priorité les épreuves orales, seront fixées par décret.
Je précise que toutes les associations sont favorables à cette nouvelle disposition, à cette ouverture, y compris celles qui ont été auditionnées par le rapporteur. Cela rendrait justice à des candidats qui ont besoin d’être mieux représentés au sein des jurys et de se sentir mieux soutenus.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. Cet amendement vise à réduire la proportion de personnes extérieures à l’administration qui serait exigée dans la composition des jurys. La proportion de 50 % du panel serait remplacée par une personne au minimum, dans la limite de 50 % du jury.
Malgré tout, cette disposition resterait un facteur de complexification pour les organisateurs de concours. Elle devrait en outre être combinée avec le principe de nomination équilibrée de 40 % de personnes de chaque sexe.
Il semble préférable que cela reste une bonne pratique réservée à certaines épreuves, par exemple au grand oral.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Madame la sénatrice Artigalas, si vous considérez réellement que la ligne du Gouvernement est « restons entre nous et surtout que rien ne change », je vous invite à vous rapprocher des deux anciens Premiers ministres socialistes qui s’expriment ces derniers jours sur la réforme de la haute fonction publique que nous menons et qui semblent trouver que nous changeons trop et trop vite. Parfois, le conservatisme n’est pas là où certains l’imaginent !
Mmes Viviane Artigalas et Monique Lubin. Nous ne parlons pas de la même chose !
Mme Amélie de Montchalin, ministre. J’en viens à la composition des jurys. Depuis 2015, une circulaire, appliquée avec beaucoup d’exigence, précise d’ores et déjà que les autorités organisatrices des concours des trois versants de la fonction publique doivent diversifier la composition de leurs jurys en nommant obligatoirement des membres extérieurs à l’administration recruteuse.
Dans le cadre de la loi d’août 2019, nous avons clarifié la rédaction de la loi de 1983 qui fixe, comme vous savez, le statut et certains principes importants de la fonction publique, afin de garantir une composition équilibrée entre hommes et femmes des jurys. Une alternance à la présidence est également prévue de manière que, d’une cession à l’autre, l’exigence de parité s’applique.
Nous renouvelons également les membres des jurys pour que chacun d’entre eux n’exerce pas son mandat pendant plus de trois ou quatre sessions et nous les formons à un certain nombre de biais et de stéréotypes. Je porte cette action avec beaucoup de conviction, avec l’ensemble des écoles de service public et des organisateurs de concours.
L’enjeu, M. le sénateur de La Réunion le sait, est d’assurer l’ensemble des expériences et des regards, notamment des outre-mer, sur un certain nombre de recrutements, afin de garantir que ceux que nous recrutons sont pleinement formés aux missions qui vont être les leurs, mais également qu’ils sont recrutés pour leurs talents, leurs mérites et leurs vertus et qu’ils ne sont pas discriminés sur la base de stéréotypes.
Votre amendement me paraissant satisfait, je vous prie de bien vouloir le retirer.
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, pour explication de vote.
Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la ministre, nous anticipons un peu sur ce que vous entendez faire.
Ce que nous proposons ici, c’est que des personnes qui auront été formées sur le terrain, et qui n’auront donc pas besoin d’une formation particulière, siègent dans les jurys afin de permettre aux jeunes concernés de se reconnaître en elles et d’en être reconnues.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 3.
(L’article 3 n’est pas adopté.)
Chapitre III
Accompagner et évaluer l’égalité des chances dans la fonction publique d’État
Article 4
I. – Le chapitre IX bis de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 précitée est ainsi rétabli :
« CHAPITRE IX BIS
« Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique
« Art. 72. – Il est créé une Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique, autorité publique indépendante, placée auprès du ministre chargé de la fonction publique.
« Cette autorité rassemble, analyse et diffuse les informations et données relatives à la promotion de l’égalité des chances dans l’accès à la fonction publique, aux modalités de promotion du personnel au sein de l’administration, aux garanties permettant un déroulement de carrière équitable entre les agents, à la diversité sociale de la fonction publique ainsi qu’aux politiques menées en ce domaine. Elle réalise des travaux d’études, de recherche et d’évaluation.
« Les administrations de l’État lui communiquent les éléments qui lui sont nécessaires pour la poursuite de ses missions, sous réserve de l’application des dispositions législatives imposant une obligation de secret.
« Elle rend un avis consultatif et public sur les nominations prévues à l’article 25 de la présente loi.
« Elle élabore chaque année, à destination du Premier ministre et du Parlement, un rapport rendant compte de son activité et synthétisant les travaux d’études, de recherche et d’évaluation. Il comprend également des évaluations, des avis et des recommandations sur les politiques de promotion de l’égalité des chances appliquées dans les administrations publiques. Ce rapport est rendu public.
« L’autorité est composée de membres nommés par décret dont 50 %, appartenant ou non à l’administration, exercent ou ont exercé une activité professionnelle pendant au moins cinq années dans un quartier prioritaire de la politique de la ville au sens de l’article 5 de la loi n° 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine ou dans une zone de revitalisation rurale au sens de l’article 61 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire. »
II. – Un décret en Conseil d’État précise la composition, les missions et les modalités de fonctionnement de l’autorité instituée par le présent article.
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon, sur l’article.
M. Rémi Cardon. L’article 4 prévoit la création d’une nouvelle autorité publique indépendante afin de garantir une égalité des chances dans la fonction publique. Le concours n’est pas suffisant pour lutter contre les discriminations.
La presse a relayé hier le grand succès des concours d’accès aux écoles en 2021 : il y a eu moins d’autocensure, moins de frais de déplacement. Ces concours à distance semblent être une piste à envisager, au-delà de la crise sanitaire actuelle.
Malgré les programmes d’études intégrés dans les instituts d’études politiques et dans les autres facultés, trop d’élèves n’achèvent pas leurs études universitaires ; ils sont souvent issus du même milieu social, comme le montrent les études de Stéphane Béaud et de Michel Pialoux.
Tout cela nuit à la méritocratie qui vous est si chère, madame la ministre. Les avertissements en ce sens sont constants, comme en témoignent les rapports L’Horty en 2014 ou Rousselle en 2017 sur le manque de diversité dans les écoles, ou, plus récemment, le rapport Borloo en 2018.
Cette autorité indépendante posera un regard neuf sur la situation et pourra disposer de données sur le sujet, alors que, actuellement, les processus de recrutement dans le public comme dans le privé sont opaques. Nous avons besoin d’une publicisation et d’une évaluation plus fines, vous l’avez compris.
Il y a urgence : combien de rapports vous faudra-t-il pour comprendre qu’il faut agir en ce sens pour favoriser l’égalité des chances dans la fonction publique ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article.
Mme Monique Lubin. Parmi les obstacles auxquels les jeunes peuvent être confrontés pour accéder à la fonction publique, Yannick L’Horty, dans son rapport au Premier ministre, citait, dans le cadre d’un reflux des recrutements et d’une sélectivité accrue, la montée de la qualité moyenne des candidats en termes de niveau de diplômes, de qualifications ou d’expérience.
Les candidats semblent être de plus en plus surqualifiés pour occuper les postes proposés. En conséquence, les candidats qui ont le niveau de formation et de diplôme requis pour passer les concours sont évincés par ceux dont les diplômes et les niveaux de formation excèdent ceux qui sont demandés. Les moins qualifiés semblent donc finalement exclus de l’accès à l’emploi public.
La part des femmes, majoritaires parmi les fonctionnaires de catégorie C, décroît au fur et à mesure que l’on progresse dans la hiérarchie. De nombreux travaux soulignent ainsi que les inégalités sociales dans l’accès à l’emploi public se sont développées.
En particulier, les enfants d’agents publics sont surreprésentés dans les recrutements publics. Alors que les enfants de cadres du public représentent 2,6 % des actifs occupés, ils constituent 10 % des cadres de la fonction publique d’État, soit quatre fois plus. Un tiers des agents de la fonction publique d’État sont des enfants de fonctionnaires et cette proportion s’élève à mesure que l’on monte dans la hiérarchie.
Par ailleurs, selon les enquêtes sur l’emploi, et comme le souligne la direction générale de l’administration et de la fonction publique, les immigrés représentaient, en 2010, 5 % des agents de chacun des versants de la fonction publique, contre 10 % de la population dite « d’âge actif ».
Ces éléments chiffrés soulignent l’acuité qui caractérise l’enjeu de promotion de la mixité sociale au sein de la fonction publique et la nécessité de l’égalité des chances. Cet accès inégal à l’emploi public selon le sexe, l’origine, le lieu de résidence ou selon tout autre critère constitue un véritable paradoxe pour la fonction publique, dont la voie d’entrée de référence reste le concours – vous venez de le réaffirmer, madame la ministre –, organisé dans la plus stricte égalité des candidats.
Ce n’est pas un petit sujet, comme en atteste le principe constitutionnel d’égale admissibilité aux emplois publics, posé par l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. La mixité sociale et l’égalité des chances au sein de la fonction publique sont des enjeux indissociables du respect et de la vitalité du pacte républicain. Garantir leur existence relève d’une problématique extrêmement complexe, comme il nous est donné de le constater dans le cadre des auditions que nous menons au sein de la mission d’information sur la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse, dont je suis rapporteure.
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, sur l’article.
M. Marc Laménie. L’article 4 comme l’ensemble de cette proposition de loi ont le mérite de sensibiliser chacun à un certain nombre de problèmes, parmi lesquels celui que pointe l’intitulé du chapitre III, « Accompagner et évaluer l’égalité des chances dans la fonction publique d’État ».
De nombreux collègues se sont déjà exprimés sur la nécessité de faire respecter le principe d’égalité des chances, que ce soit dans les zones de revitalisation rurale ou dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il faut sensibiliser les jeunes, mais ce combat est déjà mené depuis de nombreuses années.
Le texte traite de l’accès à la fonction publique d’État, mais il faut y associer la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière.
Pour garantir l’accès aux concours, il est nécessaire de former les jeunes. À cet égard, l’éducation nationale est très engagée. Les enseignants jouent un rôle fondamental dès le premier cycle, puis au collège et au lycée.
Pour susciter des vocations, nous développons tous des expériences intéressantes, dans nos départements et territoires respectifs. Par exemple, sur un sujet dont on parle beaucoup, à savoir la défense des valeurs de la République et la connaissance des institutions, nous avons développé dans le département des Ardennes des classes de défense et de sécurité globale, au niveau du collège et du lycée.
Le département a la chance de compter encore un régiment, de sorte que, dans ces classes, les élèves se voient offrir un temps pour nouer des liens avec les militaires et explorer plus largement ceux qui lient l’armée à la Nation.
Les classes à option sapeur-pompier, qui existent au collège comme au lycée, peuvent également susciter des vocations.
Ce genre d’initiatives contribue à renforcer le lien que les jeunes peuvent entretenir avec tous les services de l’État qui œuvrent pour la sécurité intérieure, que ce soit la gendarmerie ou la police nationale, les sapeurs-pompiers ou les militaires.
Néanmoins, je suivrai l’avis de la commission des lois sur cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Michelle Meunier, sur l’article.
Mme Michelle Meunier. Le chapitre III a pour titre « Accompagner et évaluer l’égalité des chances dans la fonction publique d’État ». J’insisterai pour ma part sur l’enjeu que représente l’évaluation des politiques publiques.
En effet, comme vous le savez, le mérite républicain et la méritocratie, dont il est beaucoup question, s’arrêtent souvent aux portes des quartiers dits « prioritaires » de nos villes, en raison des barrières sociales et des disparités de moyens des services publics.
Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain sont attachés à interroger aussi longtemps que nécessaire les mécanismes qui empêchent de passer de l’égalité formelle, celle qui est inscrite aux frontons des écoles, collèges, lycées et mairies, à l’égalité réelle, telle qu’elle est vécue par ces jeunes dans leur accès au monde du travail.
Nous avons été à l’initiative de la création d’une mission d’information sur la politique en faveur de l’égalité des chances et de l’émancipation de la jeunesse, dont les travaux sont rapportés par notre collègue Monique Lubin.
Dans ce cadre, nous avons entendu hier Louis Schweitzer, président du Comité d’évaluation de la stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté, ancien président de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), et fin connaisseur des mécanismes de discrimination. Il a tenu des propos qui me sont revenus en écoutant vos interventions dans la discussion générale, mesdames les ministres, et la litanie des mesures que vous avez présentées.
Il a en effet dénoncé le « maquis des différents dispositifs et stratégies qui s’amoncellent » pour lutter contre la pauvreté et contre la discrimination, sans qu’aucune évaluation des politiques engagées ne soit formellement menée. C’est un maquis que l’on impose non seulement aux décideurs, mais aussi aux individus concernés.
L’article 4, s’il était adopté, permettrait de combler ce manque, en prévoyant dans la loi une mission d’évaluation de l’égalité des chances dans la fonction publique, confiée à une nouvelle autorité publique indépendante.
Mme la présidente. La parole est à M. Teva Rohfritsch, sur l’article.
M. Teva Rohfritsch. J’ai fait part dans la discussion générale de l’intérêt que le groupe RDPI porte à cette proposition de loi, qui nous semble néanmoins mériter d’être davantage travaillée.
En effet, encore faut-il s’entendre sur l’objectif de la création d’une Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique. Si nous sommes d’accord pour défendre l’égalité des chances, nous sommes surtout convaincus par les propos qu’a tenus Mme de Montchalin sur l’égalité des choix.
Je viens d’un territoire français situé à 16 000 kilomètres de la métropole, que je me permettrai de désigner comme un « quartier prioritaire de la ville très éloigné de la métropole » (QPVTEM), mais qui reste au sein de la République. Les jeunes de ce territoire doivent « monter à Paris » pour « faire leur prépa », c’est-à-dire préparer l’accès aux différents concours.
Qu’est-ce que le mérite ? Celui que nous appelons de nos vœux, dans les outre-mer comme dans les régions métropolitaines, c’est de passer les mêmes concours et de les réussir sans quotas.
Pour tenir la promesse républicaine, il est important d’aider les candidats de ces territoires à préparer ces concours et de faire en sorte que des talents puissent émerger. Les candidats issus des « QPVTEM » doivent pouvoir avoir la fierté de réussir les concours dans les mêmes conditions que tout le monde, afin qu’il ne leur soit jamais reproché dans la suite de leur carrière d’avoir bénéficié de quotas.
Le mérite, c’est le talent, et le talent ne doit pas être tiré vers le bas, à cause de dispositions particulières, telles que celles que ce texte propose. Je vous remercie au nom des Polynésiens, des Réunionnais, des Martiniquais, mais aussi des Bretons et des Alsaciens, de faire en sorte que cette promesse républicaine soit la même pour tous.
Nous sommes défavorables à cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Amélie de Montchalin, ministre. Je comprends qu’une mission d’information sénatoriale mène actuellement des travaux sur la politique en faveur de l’égalité des chances. J’imagine que d’autres travaux sont en cours. Cela montre l’intérêt que vous portez à ce sujet, mesdames, messieurs les sénateurs. Comme le Gouvernement, vous travaillez par étapes. Nous plaçons les briques les unes après les autres, et c’est aussi votre méthode.
L’article 4 pose plusieurs difficultés d’ordre différent. Premièrement, votre objectif de créer une Autorité pour l’égalité des chances dans la fonction publique, qui ne serait pas indépendante comme le serait une AAI nouvelle, me semble satisfait par les mesures que nous prenons.
En effet, la direction générale de l’administration de la fonction publique (DGAFP), dont j’ai l’honneur d’être la ministre, publie avec le Défenseur des droits, sur un rythme biannuel, un rapport relatif à la lutte contre les discriminations et à la prise en compte de la diversité de la société française dans la fonction publique, dont il couvre les trois versants. Celui qui paraîtra à l’été 2021, faisant suite à celui de 2019, présentera tous les éléments sur le testing et sur l’évolution des travaux de Yannick L’Horty, que nous continuons à financer, année après année, parce que nous pensons qu’il est utile de disposer de ce regard extérieur, d’une grande rigueur académique, pour alimenter nos travaux.
Toutes les données que produit le service statistique de la DGAFP sont rendues publiques. Je vous propose que la direction interministérielle du numérique (Dinum), également placée sous ma tutelle, travaille avec la DGAFP afin que le maximum de données soient accessibles en open data et facilement consultables sur des séries longues afin de permettre de suivre les évolutions en cours.
Selon moi, il est plus utile qu’une direction existante s’attelle à produire des données de qualité pour les Français que de créer une autorité indépendante, qui aggravera le démembrement de l’action publique et alourdira potentiellement les coûts.
Par ailleurs, je tiens à vous dire que l’ensemble des ministères des employeurs publics mène avec nous une démarche très volontariste sur le Label Diversité. Ce label permet à chacun de professionnaliser les procédures de recrutement pour être plus transparent et pour lutter contre les discriminations. Il fait l’objet d’un audit externe tous les deux ans. Nous pourrons mener avec les parlementaires un travail conjoint de suivi de l’évaluation de ce dispositif.
Enfin, dans le cadre de la loi de 2019, vous avez voté un mécanisme de signalement des actes de discrimination beaucoup plus fort que précédemment, puisque désormais il intervient systématiquement hors des hiérarchies, afin que chacun puisse faire remonter d’éventuelles difficultés liées à une situation de discrimination. Je m’assure d’avoir un suivi quantitatif et qualitatif de ce mécanisme pour être certaine qu’il fonctionne bien.
Pour toutes ces raisons, il me semble que les dispositions de cet article sont déjà satisfaites. Je m’engage à aller plus loin, comme nous en sommes convenus lors de nos échanges, madame la sénatrice, et je vous associerai pleinement à cette évolution, selon votre souhait, pour que nous disposions d’une meilleure photographie et d’une vision plus précise de la dynamique à l’œuvre afin de repérer puis de résorber les discriminations qui existeraient.
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, sur l’article.
Mme Hélène Conway-Mouret. Permettez-moi simplement de vous faire part de mes regrets, madame la ministre. Vous nous dites que des mesures qui satisferont l’objectif que nous visons seront mises en place. Nous ne pourrons que nous réjouir si cette proposition de loi vous a donné des idées, dans un esprit constructif.
Cependant, vous venez d’énumérer l’ensemble des entités qui travaillent déjà à fournir des statistiques et des rapports sur les discriminations, alors que nous proposons dans ce texte de créer une entité qui rassemblerait toutes les données existantes afin de produire un seul rapport plutôt qu’une multitude d’études.
Ainsi, le Gouvernement pourrait mesurer de manière annuelle ou biannuelle les progrès réalisés, ce qui aiderait à contrer le sentiment largement partagé selon lequel les mesures prises ne seraient pas suffisantes. En nous fixant un objectif statistique, nous pourrions prouver le contraire et voir l’évolution de la société. Par conséquent, il est dommage de rejeter la création de cet outil, qui n’existe pas aujourd’hui.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 n’est pas adopté.)
TITRE II
Accessibilité renforcée au marché du travail
Chapitre Ier
Accentuer la lutte contre les discriminations
Article 5
À l’article L. 1132-1 du code du travail, après le mot : « résidence », sont insérés les mots : « , de son lieu d’origine ».
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon, sur l’article.
M. Rémi Cardon. Nous souhaitons ajouter le lieu d’origine aux vingt-cinq motifs de discrimination qui figurent actuellement dans le code du travail. En effet, on constate que celui-ci peut servir à contourner les règles de non-discrimination liées à l’appartenance à une prétendue race ou parfois même à une Nation. Son ajout aux motifs mentionnés dans le code du travail permettra d’empêcher de manière plus fine les discriminations à l’embauche dont sont victimes une partie de nos concitoyens.
Ces Français subissent une véritable injustice. J’ai reçu de nombreux témoignages de jeunes qui vont jusqu’à modifier leur adresse postale sur leur CV pour avoir une chance d’obtenir un entretien d’embauche, car cette adresse peut constituer un frein.
Nous ne voulons pas encourager les saisines des conseils des prud’hommes ni créer une surcharge de travail pour les TPE-PME, comme vous nous le reprocherez certainement.
Nous voyons dans cette disposition une formidable opportunité de repenser le modèle de recrutement des entreprises. Voulons-nous des jeunes bien formés et motivés, issus d’un quartier modeste, ou bien un jeune dont le réseau familial a facilité l’embauche ? Nous ne pouvons pas ignorer ce sujet, qu’il se pose dans les quartiers populaires ou dans les zones plus rurales, puisque les sièges des entreprises tendent à s’éloigner.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 n’est pas adopté.)
Article 6
Après l’article L. 1221-8 du code du travail, il est inséré un article L. 1221-8-1 ainsi rédigé :
« Art. L.1221-8-1. – En cas de refus de recrutement d’un candidat, l’entreprise indique, par tout moyen et dans un délai raisonnable, les motifs de sa décision. »
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon, sur l’article.
M. Rémi Cardon. En cas de refus de recrutement, il est important que les jeunes, en particulier ceux qui sont issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville et des zones de revitalisation rurale, reçoivent une décision motivée de la part de l’entreprise. Elle leur permettra de connaître les aspects positifs et négatifs de leur candidature et de travailler leurs points faibles.
Pour éviter que l’on nous taxe d’idéalisme ou que l’on nous reproche de méconnaître la réalité du terrain, nous présenterons un amendement n° 4 qui aura pour objet de restreindre l’obligation faite aux entreprises de transmettre leur décision motivée aux candidats refusés qui auront été reçus en entretien et qui en auront fait la demande.
Mme la présidente. L’amendement n° 4, présenté par M. Sueur, Mme Conway-Mouret, MM. Cardon et Tissot, Mme de La Gontrie, MM. Durain, Kanner et Bourgi, Mme Harribey, MM. Leconte, Marie, Kerrouche et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. L. 1221-8-1. – En cas de refus de recrutement d’un candidat auditionné par les instances chargées des recrutements au sein de l’entreprise, celle-ci lui communique par écrit, s’il en fait la demande, les motifs de sa décision. »
La parole est à Mme Martine Filleul.
Mme Martine Filleul. Comme vient de le dire M. Cardon, cet amendement tend à préciser l’obligation faite à l’entreprise d’informer le candidat des motifs de son non-recrutement. Cette information devra se faire par écrit, ce qui ne constitue pas une charge importante pour l’entreprise, dès lors que le périmètre des candidats concernés a été restreint à ceux qui ont été reçus en entretien et qui en font la demande.
L’objectif de cet amendement est de faire progresser les candidats en leur permettant de savoir ce qui n’a pas fonctionné au cours de leur entretien. Il s’agit également de faire en sorte que l’entreprise soit partie prenante de manière positive dans le processus de recrutement.
Enfin, comme l’a dit M. Sueur, nous pensons que le débat aurait été différent si cet amendement avait réellement été intégré à la discussion et à la réflexion.
M. Patrick Kanner. Exactement !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Jacky Deromedi, rapporteur. Cet amendement vise à restreindre l’obligation pour les entreprises de justifier les non-embauches au seul cas où le candidat a été reçu en entretien et en fait la demande. Cette suggestion, qui tend à protéger les candidats, nous a été faite par l’Association française des managers de la diversité. Certains ne sont, en effet, pas prêts à entendre des critiques sur leur comportement en entretien.
En revanche, du point de vue de l’entreprise, si cette mesure réduit sans doute le volume de réponses à traiter, elle n’écarte pas le risque de contentieux devant les prud’hommes.
Les employeurs sont soumis à des obligations de non-discrimination qui sont pénalement sanctionnées. Ils ne doivent pas être considérés comme étant a priori discriminants, alors que leurs difficultés actuelles à recruter les conduisent au contraire à diversifier leurs viviers de candidats.
Une non-embauche est souvent liée à un manque d’« employabilité », justifié par des critères de formation ou de savoir-être. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nadia Hai, ministre déléguée. Cet amendement a pour objet de prévoir l’obligation pour les entreprises d’indiquer aux candidats les motifs ayant justifié le rejet de leur candidature. Je ne vous ferai pas l’affront, monsieur le sénateur, de vous accuser de faire preuve d’idéalisme.
Cela étant, le sénateur Piednoir nous ayant précédemment fait part de son témoignage, permettez-moi de vous faire part du mien.
Quand j’étais plus jeune, issue des quartiers prioritaires de la ville de Trappes, je recherchais un contrat en alternance et j’ai dû adresser une centaine de candidatures à des entreprises. Très sincèrement, je ne sais pas ce que cela aurait pu m’apporter de lire dans une lettre de refus une formule telle que : « Nous sommes au regret de vous annoncer que votre candidature n’a pas été retenue au motif que nous avons choisi un candidat ayant une expérience supérieure à la vôtre et liée directement à notre secteur d’activité. »
C’est pourquoi nous avons décidé d’agir autrement et de faire évoluer les pratiques existantes, en travaillant sur un référentiel qui vise à lutter contre les discriminations volontaires ou involontaires de la part des entreprises. Ce référentiel a été réalisé par le groupe de travail « Formation à la non-discrimination », qui se réunit régulièrement depuis le mois de juillet 2017, dans le cadre du groupe de dialogue interpartenaires sur la lutte contre les discriminations en entreprise que j’évoquais dans mon propos liminaire.
Je demande donc le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 6.
(L’article 6 n’est pas adopté.)
Chapitre II
Faciliter l’adaptation de nos entreprises à la diversité sociale
Article 7
Le code du travail est ainsi modifié :
1° Après le 5° de l’article L. 2312-8, il est inséré un 6° ainsi rédigé :
« 6° Les mesures prises en vue de promouvoir l’égalité des chances, notamment en matière de recrutement, de formation professionnelle et de promotion interne. » ;
2° L’article L. 2312-12 est complété par les mots : « , et toute proposition de nature à favoriser l’égalité des chances dans l’entreprise, en procédant à l’évaluation des dispositifs y concourant » ;
3° L’article L. 2312-17 est complété par un 4° ainsi rédigé :
« 4° Les actions favorisant l’égalité des chances dans la promotion et l’accès à l’emploi. » ;
4° La seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 2312-18 est complétée par les mots : « , et à l’égalité des chances dans la promotion et l’accès à l’emploi ».
Mme la présidente. La parole est à M. Rémi Cardon, sur l’article.
M. Rémi Cardon. Nous souhaitons ajouter aux missions du comité social et économique (CSE) la promotion de l’égalité des chances.
Le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes a remplacé, en 2013, l’Observatoire de la parité entre les femmes et les hommes, lui-même créé en 1995. En 2011, la loi Copé-Zimmermann a imposé un quota de femmes dans les conseils d’administration des entreprises. Alors que cela nous semblait difficile, voire impossible, nous avons collectivement été capables de mettre en avant l’égalité entre les femmes et les hommes. Pourquoi ne continuerions-nous pas en créant des indicateurs sur l’égalité des chances dans les entreprises ? Je ne prétends pas que de tels indicateurs soient faciles à mettre en œuvre, mais je les crois nécessaires.
Mes chers collègues, je demande de la transparence et des informations précises sur ces sujets, loin des radars de la politique, afin de comprendre comment notre société fonctionne. Cette mesure pourrait être symbolique, de mon point de vue.
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Lubin, sur l’article.
Mme Monique Lubin. Certains observateurs ont noté que la mise en place du CSE avait servi de révélateur du climat social propre à chaque entreprise. Là où les relations sont fondées sur la méfiance, les accords du CSE semblent défensifs ; à l’inverse, là où le dialogue social est davantage ancré, les accords créent de nouveaux droits, notamment en matière d’expertise.
Dans ce contexte, il nous a semblé judicieux d’élargir les attributions du CSE et de prévoir qu’il sera informé et consulté sur les mesures prises en vue de promouvoir l’égalité des chances, notamment en matière de recrutement, de formation professionnelle et de promotion interne.
Un de mes collègues a parlé de méritocratie et de talent. Il y a fort longtemps, je pensais que les femmes auraient les mêmes droits que les hommes en politique et qu’elles arriveraient à obtenir les mêmes mandats parce qu’elles étaient méritantes et parce qu’elles avaient du talent. J’étais même défavorable à la loi sur la parité.
Je vous laisse tirer les conclusions de cette expérience… Heureusement que cette loi a été votée, car sinon nous ne serions pas nombreuses dans cet hémicycle, et pourtant, Dieu sait si nous sommes talentueuses ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER. – M. Guy Benarroche applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, sur l’article.
Mme Hélène Conway-Mouret. L’ensemble des articles du texte ayant été rejetés, je tiens à remercier, avant que le débat ne s’arrête, l’ensemble des orateurs pour la qualité de leurs interventions.
On dit que le courage, c’est chercher la vérité et surtout la dire. Je pense que nous l’avons fait ce matin, en regardant en face la situation de grande précarité dans laquelle se trouve la jeunesse de notre pays, car ce constat fait consensus. Avec mon groupe politique, nous avons tenté d’y remédier en facilitant l’accès à l’emploi et en luttant en même temps contre les discriminations.
Il n’en reste pas moins que je regrette la succession de votes négatifs sur chacun des articles. Ils ont interdit au Sénat de pouvoir se prévaloir d’une réforme, certes modeste, mais qui aurait touché une partie de la société dont les difficultés devraient être au centre de nos préoccupations. Nous aurons à y revenir, je vous l’assure. Le Sénat est passé ce matin à côté d’une solution… (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. Je vais mettre aux voix l’article 7.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les sept articles qui la composent auraient été rejetés ; il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble du texte.
La parole est à M. Guy Benarroche, pour explication de vote sur l’article.
M. Guy Benarroche. J’ai eu l’immense honneur d’être en séance, hier soir, pour l’examen de la proposition de loi du groupe écologiste pour un élevage éthique, juste socialement et soucieux du bien-être animal. J’ai le privilège aujourd’hui de participer à l’examen de cette proposition de loi pour un meilleur accès des jeunes dans la fonction publique et les entreprises. J’ai toutefois l’impression que le même scénario se répète.
D’un côté, les membres du Gouvernement, les ministres se succèdent, entre hier soir, aujourd’hui, demain peut-être… Ils nous expliquent à quel point nos propositions de loi sont intéressantes et ont des objectifs louables, mais arguent que la réflexion, le travail, les briques posées petit à petit par le Gouvernement sont telles que nos propositions n’apportent finalement rien. Tout se passe comme si nous ne voyions pas la réalité de la situation au quotidien, comme si nous ne comprenions pas à quel point le Gouvernement répondait aux problèmes qui se posent devant nous.
Effectivement, nous n’avons pas la même vision et nous ne percevons pas le résultat de ces briques qui sont posées les unes à côté des autres sans qu’émerge une architecture plausible d’un point de vue politique.
D’un autre côté, la majorité du Sénat nous explique que le Gouvernement n’a pas les solutions, que nous ne les avons pas non plus, malgré nos objectifs et nos propositions tout à fait louables. En effet, selon cette majorité, aucune des solutions que nous pouvons proposer, même humblement, n’est adaptée à la réalité de la société. Tout nous échapperait. Hier, c’était l’Europe qui nous empêchait de prendre des décisions, en France, concernant l’élevage éthique. Aujourd’hui, la méritocratie et la réalité sociale nous empêcheraient de prendre les mesures nécessaires pour contribuer à rétablir l’égalité des chances.
Pour le récent sénateur que je suis, tout cela est quelque peu frustrant et gênant. Les propositions de loi que nous avons examinées, hier soir et aujourd’hui, n’ont pas pour ambition de résoudre le problème de l’élevage en France ni celui de l’égalité des chances.
Cependant, certaines mesures auraient permis d’avancer sur ces sujets, selon l’avis général qui s’est exprimé en dehors de cet hémicycle, et que partagent même certains sénateurs qui soutiennent le Gouvernement ou qui appartiennent à la majorité sénatoriale.
Le jeu parlementaire nous empêche d’avancer, ce que je trouve dommageable. C’est la raison pour laquelle le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires ne pouvant voter cette proposition de loi, il le fera avec le cœur, car il approuve un certain nombre des actions qu’elle prévoyait.
Mme la présidente. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
La parole est à M. Patrick Kanner, pour explication de vote sur l’article.
M. Patrick Kanner. Bientôt, nous n’aurons plus que deux minutes pour nous exprimer, la réforme de notre règlement risquant d’être adoptée par cette assemblée. Tel est le choix de la majorité du Sénat…
Mesdames les ministres, je tiens au moins à vous remercier pour ce débat. Notre texte est balayé, tout comme nos amendements, et nous n’avons pas de rapporteur. Dont acte. C’est le sort qui est réservé à l’opposition.
Cependant, nous avons voulu vous interpeller, et nous l’avons fait avec conscience, sur toutes les propositions intéressantes de ce texte. Je regrette, d’ailleurs, que Mme la rapporteure n’ait pas pu présenter, ou en tout cas soutenir, des amendements issus de sa propre majorité, alors qu’il me semble qu’elle y était plutôt favorable. Il aurait été intéressant que la droite sénatoriale puisse se prononcer au travers d’amendements sur un sujet aussi important que celui de l’égalité des chances et l’accès à la haute fonction publique, dans notre pays. Dont acte.
Nous avons néanmoins quelques motifs de satisfaction. Madame la ministre déléguée chargée de la ville, vous avez rappelé à deux ou trois reprises certaines mesures de la loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, texte que je connais bien, car j’étais au banc comme ministre pour la défendre.
Qu’on le veuille ou non, dans notre démocratie française et sous la Ve République, le poids de la loi permet de fixer le cap. Je tiens d’ailleurs à vous rappeler, et vous le savez certainement, que certains décrets d’application de ce texte n’ont toujours pas été pris par l’actuel Gouvernement, ce qui est dommageable.
Avançons donc ! Nous continuerons à exercer une vigilance permanente sur les questions d’égalité et même d’équité, car pour reprendre une expression précédemment utilisée, « l’équité, c’est donner plus à ceux qui ont moins ». L’ascenseur social ne peut pas être fermé, toujours et en permanence, aux mêmes jeunes dans ce pays. Tel est l’esprit dans lequel nous avons travaillé avec Mme Conway-Mouret. C’est cela aussi la promesse républicaine.
Nous sommes fiers d’avoir au moins pu permettre que ce débat se tienne ce matin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme la présidente. Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Roger Karoutchi.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Karoutchi
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Lutte contre l’indépendance fictive
Rejet d’une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, de la proposition de loi visant à lutter contre l’indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l’algorithme dans les relations contractuelles, présentée par M. Olivier Jacquin, Mme Monique Lubin, MM. Franck Montaugé, Didier Marie et plusieurs de leurs collègues (proposition n° 426, résultat des travaux de la commission n° 609, rapport n° 608).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Olivier Jacquin, auteur de la proposition de loi.
M. Olivier Jacquin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie mon groupe de me permettre de présenter ce texte aujourd’hui. Je remercie plus particulièrement Monique Lubin, qui s’exprimera en notre nom dans quelques minutes, et Jean-Luc Fichet de la qualité de son rapport, bien que les votes émis en commission ne soient pas en concordance avec les constats dressés.
Je tiens également à remercier le professeur de droit Stéphane Vernac et Me Jérôme Giusti pour leurs conseils avisés, ainsi qu’à saluer Brahim Ben Ali d’INV, l’Intersyndicale nationale VTC, Arthur Hay de la CGT livreurs et tous les travailleurs qui se lèvent dans ce combat.
Mes chers collègues, c’est la cinquième fois en moins de trois ans que nous nous retrouvons dans cet hémicycle pour débattre de la situation, qui se dégrade, de ces travailleurs. Nous avons ainsi examiné la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et la loi d’orientation des mobilités, dont les chartes facultatives ont été censurées à la suite de notre saisine du Conseil constitutionnel. Nous avons également débattu de ce sujet lors de l’examen de notre proposition de loi sur les coopératives et de l’intéressante proposition de loi communiste portée par Pascal Savoldelli. Par ailleurs, nos collègues Michel Forissier, Catherine Fournier et Frédérique Puissat ont publié un rapport sur ces travailleurs.
La présente proposition de loi a été déposée le 4 mars dernier, à la suite de la décision historique de la Cour de cassation du 4 mars 2020 requalifiant un chauffeur Uber en salarié et dénonçant avec force l’indépendance fictive des travailleurs des plateformes de travail. Notre État de droit fonctionne, malgré vos multiples tentatives de le contourner depuis 2017 en protégeant continuellement les plateformes plutôt que les travailleurs auxquelles elles font appel.
La preuve en est votre ordonnance sur le dialogue social du 21 avril dernier, qui désavoue le rapport Frouin, que vous aviez pourtant commandé, car il rejette l’idée d’un nouveau statut que vous lui suggériez.
Avec cette ordonnance, vous persévérez dans votre démarche visant à contourner le droit du travail en créant de facto un nouveau sous-statut de travailleur, entre salariat et indépendance, lequel institutionnalisera le travail pauvre, sans garantie de revenus et avec une protection sociale low cost. Vous vous centrez sur les seuls livreurs et chauffeurs de VTC et leur créez un système de représentation propre. Mais il existe un problème constitutionnel pointé par la mission Frouin et le Conseil d’État. En effet, dès lors que des entreprises, par exemple des autoentrepreneurs, s’entendent aux dépens de leur donneur d’ordre, il s’agit, dans le droit de la concurrence, d’une entente, d’un cartel, et c’est illégal.
Vous continuez de tergiverser, alors que la situation des ubérisés s’aggrave !
Rumel est mort le 4 mai à la porte de la Chapelle, Chahi à Sotteville-lès-Rouen le 6 mai, tous deux percutés par des véhicules. L’été dernier, des sans-papiers étaient en grève pour dénoncer les effroyables conditions de sous-traitance chez Frichti. Zola et Hugo n’auraient pu imaginer un tel retour au tâcheronnage dans leurs pires cauchemars.
Cela étant, nous ne refusons ni le progrès ni la réalité ! La technologie numérique a du bon et nous l’utilisons tous : Doctolib, BlaBlaCar, Le Bon Coin sont de parfaits exemples de plateformes qui ne posent pas les problèmes et questions des plateformes de travail.
Le cocktail de l’ubérisation contient deux ingrédients explosifs : le dévoiement du statut d’autoentrepreneur, déjà dénoncé par nos collègues Frédérique Puissat et Catherine Fournier dans leur intéressant rapport, et le management par l’algorithme, cette boîte noire sourde et aveugle du management 2.0, protégée par le secret de fabrication.
Ces deux ingrédients sont mis en réaction dans un contexte très favorable : l’aspiration générale à plus d’autonomie dans le travail, confondue avec la fable de l’indépendance que vous êtes nombreux à entretenir, et la situation permanente de la crise de l’emploi.
J’illustrerai les trois articles de ce texte par trois exemples de véritables travailleurs, qui permettent de démasquer ce cheval de Troie contre notre modèle social, car, oui, les quelques dizaines de milliers de livreurs et chauffeurs VTC sont l’arbre qui cache la forêt.
Pour ce qui concerne l’article 1er, j’évoquerai Alexandre, 32 ans, serveur. Par l’entremise de la plateforme Extracadabra, il est devenu autoentrepreneur au début de l’année 2020 pour le même employeur. S’il gagnait un peu plus les premiers mois, le confinement l’a laissé sans travail ni revenus, faute de cotisations et de satisfaire les critères permettant de bénéficier du fonds de soutien. Il est dans la misère et a entamé une procédure pour être requalifié en salarié. Il en a pour plusieurs années de procédures judiciaires pour, peut-être, un jour, aboutir.
C’est pour ces travailleurs abusés que nous proposons à l’article 1er une procédure de requalification par action de groupe, afin qu’un seul avocat puisse s’occuper d’un ensemble de contrats dupliqués et identiques et clarifier le paysage de ces plateformes de travail.
Si vous vous inquiétez des risques de chômage, soyez rassurés ! Just Eat, numéro trois du secteur de la livraison en France, embauche des livreurs en CDI et son modèle fait ses preuves dans d’autres pays.
Pour illustrer l’article 2, j’évoquerai Laure, 29 ans, infirmière autoentrepreneuse dans un hôpital à Nancy, recrutée par la plateforme Mediflash. Elle n’est pas l’infirmière libérale que nous connaissons, qui passe de maison en maison, cherchant sa clientèle et organisant son emploi du temps. Elle travaille dans un hôpital et est totalement subordonnée.
C’est pour Laure et ces indépendants fictifs que nous proposons à l’article 2 d’inverser la charge de la preuve et de présumer salariés les travailleurs de plateformes. Aux plateformes d’aller en justice si elles veulent prouver que ces travailleurs présentent les caractéristiques d’une indépendance réelle. Madame la ministre, le gouvernement espagnol vient d’adopter une telle disposition au mois d’avril !
Pour l’article 3, j’évoquerai Brahim, 37 ans, chauffeur de VTC chez Uber. Il revendiquait ses droits et appelait ses collègues à l’action. En décembre 2019, il a été déconnecté sans autre forme de procès, ni possibilité de recours.
Par cet article 3, nous voulons permettre aux conseils de prud’hommes, appuyés par des experts, de rendre l’algorithme plus transparent afin de mieux le réguler et d’éviter ces situations dans lesquelles les responsabilités humaines restent cachées par cette boîte noire protégée par le secret de fabrication.
Tel est, mes chers collègues, l’enjeu de cette séance. Si nous perdons ce combat sociétal, le cheval de Troie que notre gouvernement et certains stimulent ira beaucoup plus loin.
Je tiens à souligner ici le puissant lobbying de la plateforme Uber au plus profond de nos institutions républicaines. Son véritable combat, c’est de ne plus avoir à payer les temps d’attente des travailleurs, son modèle économique ne le permettant pas.
Si elle gagne, ce sont des secteurs entiers qui seront un jour réduits au tâcheronnage. Voyez déjà dans quelle situation se trouvent les aides à domicile : elles ne peuvent gagner le smic dans la mesure où elles sont à peine défrayées entre deux clients.
Certes, en baissant encore le coût du travail, nous pourrions nous offrir bien des services nouveaux et créateurs d’emplois. Mais le jeu en vaut-il la chandelle, s’il conduit à produire en masse des travailleurs pauvres ? Nous affirmons que non ! Nous ne voulons de ce modèle ni pour nous ni pour nos enfants.
Mes chers collègues, vous allez clairement, avec ce court texte, choisir votre camp : celui que vous propose notre ministre d’aller mezza voce vers cette société du cyberprécariat et d’un sous-statut, en protégeant les plateformes plutôt que les travailleurs de plateformes, ou celui d’une juste régulation de l’algorithme, du travail décent au XXIe siècle, de la justice et du progrès humain. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par notre collègue Olivier Jacquin et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain vise à mieux protéger les travailleurs des plateformes numériques en mettant à leur disposition des outils destinés à rééquilibrer le rapport de force devant les juridictions lorsqu’ils demandent leur requalification en salariés.
En effet, l’apparition et le développement rapide d’entreprises ayant pour objet la mise en relation, par des outils numériques, de consommateurs ou de clients avec une multitude de travailleurs supposément indépendants constitue l’une des évolutions récentes les plus marquantes, et les plus inquiétantes, du marché du travail.
Cette « ubérisation » est particulièrement visible dans les secteurs des voitures de transport avec chauffeur, les VTC, et de la livraison à domicile de denrées ou de repas. Elle tend toutefois à s’étendre à un nombre croissant d’activités et concerne désormais les serveurs et les avocats. Ce phénomène constitue une remise en question frontale de notre modèle social, en permettant un retour insidieux du tâcheronnage du XIXe siècle, que la construction progressive du droit du travail avait justement cherché à éradiquer.
La dégradation de la situation de l’emploi permet en effet à ces plateformes de disposer d’une main-d’œuvre nombreuse et prête à accepter des conditions de travail indignes, une grande précarité et des rémunérations souvent dérisoires. Certaines ont offert au départ des conditions très rémunératrices, suscitant un grand engouement, mais au fur et à mesure de leur développement, les conditions d’emploi sur les plateformes se sont dégradées. Les profils des travailleurs concernés ont également évolué : aujourd’hui, bien souvent, les plateformes exploitent la détresse de migrants en situation irrégulière, prêts à accepter n’importe quelles conditions de travail.
Ces travailleurs sont contraints, pour travailler sur les plateformes, de recourir à un statut d’indépendant, que leurs faibles rémunérations ne leur permettent généralement pas d’assumer.
Du fait de leur statut, ils ne bénéficient pas des dispositions du code du travail relatives notamment au salaire minimum, aux repos, aux congés payés ou encore à l’encadrement de la rupture de la relation de travail.
On voit donc bien le recul que constitue cette forme de travail, qui consiste à contourner les protections offertes par notre modèle social aux salariés.
En tant qu’indépendants, ces travailleurs bénéficient en outre d’une protection sociale lacunaire. Ainsi, ils ne sont pas couverts au titre de l’assurance chômage, alors que leur activité est par nature intermittente et que les plateformes peuvent unilatéralement y mettre un terme. Ils ne sont pas non plus couverts par la branche accidents du travail et maladies professionnelles, alors que leur activité est, dans le cas des livreurs ou des chauffeurs de VTC, particulièrement risquée et qu’un accident peut réduire à néant leur capacité à travailler.
Ces travailleurs ne bénéficient pas davantage de la généralisation de la couverture maladie complémentaire, obligatoirement proposée par les employeurs à leurs salariés depuis la loi relative à la sécurisation de l’emploi de 2013.
Enfin, les travailleurs concernés, généralement jeunes, méconnaissent souvent les enjeux liés à la retraite. Or la cotisation minimale permettant de valider trois trimestres par an au titre de l’assurance vieillesse n’est pas applicable aux microentrepreneurs, régime souvent choisi par les livreurs en raison de sa simplicité.
Si le recours au statut d’indépendant imposé par certaines plateformes aux travailleurs qu’elles emploient est problématique, il est également abusif. En effet, les conditions dans lesquelles ces travailleurs exercent leur activité s’apparentent bien souvent en fait à un travail salarié.
Je rappelle que, en l’état actuel du droit, le choix des parties de se placer dans le cadre d’une relation commerciale entre un client et un prestataire ne s’impose pas au juge, la qualification de contrat de travail étant d’ordre public. Le conseil des prud’hommes, s’il est saisi, peut ainsi requalifier une relation de travail indépendant en contrat de travail salarié s’il constate qu’il existe, dans les faits, une relation de subordination. Cette possibilité existe même lorsque la loi reconnaît une présomption de travail indépendant, comme c’est le cas pour les microentrepreneurs et les dirigeants d’entreprises unipersonnelles.
Le travailleur ainsi requalifié a alors droit au versement de rappels de salaires et à l’indemnisation des préjudices subis, y compris, le cas échéant, au titre de la rupture abusive de son contrat de travail.
Au cours de la période récente, deux arrêts fondateurs de la Cour de cassation ont affirmé que la situation dans laquelle travaillaient des livreurs de l’ancienne plateforme de livraison Take Eat Easy ou des chauffeurs de VTC de la société Uber devait être regardée comme constitutive d’une indépendance fictive et, donc, comme une relation de travail salarié.
De nombreuses demandes en ce sens sont en cours d’examen par les conseils de prud’hommes et les cours d’appel.
Toutefois, ces procédures sont longues et coûteuses pour des travailleurs en situation de vulnérabilité. En outre, elles sont encore hasardeuses, malgré les décisions, qui me semblent pourtant claires, de la Cour de cassation. Plusieurs cours d’appel ont ainsi refusé de requalifier des travailleurs de plateformes au cours des derniers mois, sur la base d’analyses au cas par cas.
La situation actuelle est donc porteuse d’une insécurité juridique dont on ne peut pas se satisfaire. La proposition de loi déposée par notre collègue Olivier Jacquin vise à mettre fin aux ambiguïtés qui laissent prospérer une telle situation.
Il semble ainsi nécessaire de faciliter l’accès au droit pour les travailleurs faussement indépendants. C’est l’objet de l’article 1er, qui innove en créant une procédure d’action de groupe au bénéfice des travailleurs subissant un préjudice du fait du recours à un statut fictif d’indépendant. Il s’agit de permettre à la multitude des travailleurs placés dans la même situation à l’égard des plateformes de faire valoir leurs droits ensemble, de manière plus efficace.
Je le rappelle, l’action de groupe, introduite dans le droit français par la loi Hamon de 2014, vise à renforcer la protection des droits des citoyens, en permettant à plusieurs justiciables victimes d’un même préjudice de se regrouper pour agir en justice. Des actions de groupe sont possibles dans le domaine de la consommation, de la santé ou encore en matière de discriminations au travail.
Cette nouvelle action de groupe pourrait être exercée par une organisation syndicale ou par une association intervenant dans le domaine de la défense des travailleurs indépendants. Elle serait introduite devant le tribunal judiciaire, sans doute mieux armé que le conseil des prud’hommes pour traiter des dossiers massifs.
Une fois que le juge aurait reconnu l’existence du préjudice et défini le profil des victimes, tous les travailleurs concernés pourraient se joindre à l’action de groupe et bénéficier d’une indemnisation, sans avoir besoin d’entreprendre une longue et coûteuse action individuelle. Le rapport de force entre les travailleurs demandant une requalification et la plateforme serait ainsi rééquilibré.
Naturellement, cette action de groupe n’exclurait pas les actions individuelles que des travailleurs pourraient vouloir mener auprès du conseil des prud’hommes, s’ils avaient à faire valoir un droit ou une situation qui leur est propre.
Il convient par ailleurs de clarifier le droit, afin de mettre fin à l’incertitude qui entoure les actions en requalification.
Le législateur s’est jusqu’à présent refusé à reconnaître le statut de salarié aux travailleurs des plateformes ou à leur étendre les garanties dont bénéficient les salariés, comme il l’a fait pour d’autres catégories de travailleurs atypiques : journalistes, mannequins ou représentants de commerce.
Au contraire, les dernières évolutions législatives survenues depuis les premiers jalons posés par la loi El Khomri de 2016, telles que la loi d’orientation des mobilités du 24 décembre 2019 ou l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes et aux conditions d’exercice de cette représentation, ont visé à conforter, sans l’affirmer définitivement, leur statut d’indépendant, en se bornant à imposer aux plateformes certaines obligations de financement d’avantages sociaux, de transparence ou de dialogue social.
Dans ce contexte, l’article 2 de la proposition de loi tend à abroger les dispositions actuelles prévoyant une présomption de travail indépendant et à leur substituer des dispositions prévoyant une présomption de salariat.
Cette présomption ne serait pas irréfragable, mais il appartiendrait à la plateforme de démontrer l’absence de lien de subordination. Il s’agit donc d’inverser la charge de la preuve au bénéfice de la partie qui dispose de moins de moyens, c’est-à-dire du travailleur.
Ce dispositif ne se limite pas aux plateformes de VTC et de livraison, dont on observe déjà les ravages, mais pourrait s’appliquer à toute forme de relation de travail dans laquelle un algorithme intervient.
Enfin, les demandes de requalification étant en règle générale examinées par le conseil des prud’hommes, il convient de donner à cette instance la capacité d’apprécier la réalité des conditions de travail des travailleurs de plateformes. À cette fin, l’article 3 permet au conseil des prud’hommes d’exiger la production des algorithmes utilisés par la plateforme lorsque la protection des droits d’un travailleur est en jeu. Surtout, l’apport principal de cet article est de prévoir la possibilité pour le juge de recourir à un expert, afin de les analyser.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur. Vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. Je regrette donc que la commission des affaires sociales ait rejeté cette proposition de loi. J’espère que nos débats de cet après-midi permettront de faire évoluer les positions de celles et ceux qui, au sein de cette assemblée, demeurent frileux face à ce geste politique, qui me semble nécessaire. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, notamment MM. Jacquin et Montaugé et Mme Lubin, de nous donner l’occasion de débattre des plateformes.
Les plateformes numériques se sont fortement développées en France, comme partout dans le monde, et ont permis de créer de nouveaux gisements d’emplois. Certaines ne posent d’ailleurs pas de difficulté, en ce qu’elles respectent le modèle d’un réel travail indépendant.
Elles constituent pour beaucoup de nouvelles opportunités professionnelles, comme voie d’accès rapide à la vie active ou comme véritable choix de vie, pour celles et ceux qui veulent échapper aux contraintes du salariat, à ses horaires fixes et à sa hiérarchie.
Mais dans le même temps, l’émergence de ces nouvelles formes d’emploi interroge notre modèle social, en exposant ces travailleurs à un statut précaire et à une protection sociale insuffisante.
Je partage le constat, avec les auteurs de la proposition de loi, que les relations contractuelles entre travailleurs indépendants et plateformes sont encore trop souvent déséquilibrées.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a choisi d’accompagner le développement des plateformes de mise en relation, tout en veillant à mieux protéger les travailleurs qui y recourent. Nous voulons à la fois préserver l’indépendance de ces travailleurs et bâtir des droits individuels et collectifs, ainsi qu’une protection sociale adaptée.
Monsieur le sénateur Jacquin, ce n’est pas parce que nous ne prenons pas le même chemin qu’il faut caricaturer la position du Gouvernement ! Vous le savez très bien, je suis aussi déterminée que vous à donner des droits à ces travailleurs.
M. Olivier Jacquin. Pas assez !
Mme Élisabeth Borne, ministre. J’ai d’ailleurs mobilisé les services du ministère du travail, en particulier l’inspection du travail, pour identifier les fraudes et sanctionner les situations dans lesquelles les travailleurs ne sont pas réellement indépendants ou les cas de sous-traitance, où des personnes en situation irrégulière sont confrontées à des conditions de travail indignes. On peut donc échanger sur ces sujets, sans caricaturer les positions !
Je suis convaincue que la régulation sociale de ce secteur passe par la structuration d’un dialogue social entre les plateformes et les représentants légitimes des travailleurs indépendants. C’est le développement d’un tel dialogue qui permettra d’assurer un meilleur équilibre des relations commerciales et une rémunération adaptée aux nouvelles formes d’emploi qu’elles introduisent.
Nous voulons mettre ces travailleurs en situation, au travers de la négociation collective, de définir les solutions les plus adaptées à un univers de travail très spécifique et encore en pleine évolution.
Cette proposition de loi ne nous semble pas atteindre les objectifs qu’elle vise. Elle pourrait même engendrer une grande insécurité juridique.
Tout d’abord, l’article 1er tend à élargir l’action de groupe aux travailleurs qui subiraient des préjudices liés à un statut d’indépendant présumé fictif. Il vise également à ouvrir la possibilité de reconnaître la qualité de salarié.
Or, en confiant cette action au tribunal judiciaire, la proposition de loi méconnaît la compétence des juridictions prud’homales, qui, seules, peuvent se prononcer sur la requalification d’une relation commerciale en salariat.
Par ailleurs, cette action de groupe ne prend pas en compte le nouveau régime instauré par l’ordonnance relative à la représentation des travailleurs des plateformes, sur laquelle je reviendrai.
Surtout, rien ne s’oppose aujourd’hui au traitement par les conseils des prud’hommes de plusieurs demandes de requalification exercées simultanément par plusieurs travailleurs indépendants. Les mécanismes existent déjà.
Quant à l’article 2, il instaure dans le code du travail une présomption de salariat, dès lors que les deux tiers du revenu professionnel sont issus de l’exploitation d’un algorithme. En supprimant la présomption de travail indépendant, définie aujourd’hui dans le code du travail, il entraînera des effets de bord massifs, préjudiciables à l’ensemble des indépendants, artisans, commerçants et professions libérales.
En effet, les articles du code du travail auxquels se réfère cet article concernent l’ensemble des travailleurs indépendants, soit un statut bien plus large que les seuls travailleurs des plateformes. Or un artisan indépendant ne connaît pas les mêmes problématiques qu’un chauffeur VTC travaillant pour une plateforme. La réponse apportée ne peut pas être uniforme.
Par ailleurs, ni le seuil de rémunération ni l’utilisation d’un algorithme ne peuvent constituer un critère suffisant pour qualifier une relation de salariat.
L’élément essentiel qui détermine l’existence d’un contrat de travail, c’est le lien de subordination. La part de rémunération issue d’une plateforme ou une gestion algorithmique sont des indices de cette subordination, mais ne peuvent emporter à eux seuls la preuve d’une subordination.
Surtout, quelles que soient les présomptions que le législateur prévoira, le juge conservera toujours la possibilité d’apprécier la situation en fonction des conditions concrètes d’exercice de l’activité.
Enfin, l’article 3 donne la possibilité aux conseils des prud’hommes d’ordonner aux plateformes de produire la preuve que l’algorithme n’est pas au centre de la relation contractuelle.
Là encore, ce sont les caractéristiques concrètes de l’activité qui permettent la qualification d’une situation de travail comme relevant du salariat ou de l’indépendance. L’important n’est pas tant l’algorithme, mais ce qu’il peut éventuellement produire en termes de subordination.
Une telle rédaction appelle l’obligation pour les plateformes d’apporter une preuve négative, ce qui en droit est toujours très complexe, quand ce n’est pas tout simplement impossible.
Malgré des intentions que je partage largement, vous le savez très bien, monsieur le sénateur Jacquin, comme celles de protéger les travailleurs indépendants des plateformes et de lutter contre l’indépendance fictive, la rédaction de ces trois articles pose des difficultés juridiques. Elle peut rendre leurs dispositions non seulement inopérantes, mais également préjudiciables à tous les autres indépendants.
Le Gouvernement a opté, depuis déjà plusieurs années, pour une autre stratégie : celle de la structuration d’un dialogue social garantissant les conditions de l’indépendance réelle.
Notre objectif est, en effet, d’organiser le dialogue social au sein du secteur, pour permettre à ces travailleurs d’être représentés et de pouvoir mieux défendre leurs intérêts face aux plateformes.
Ces sujets me tiennent à cœur. Je tiens d’ailleurs à saluer le travail conjoint mené avec M. le sénateur Jacquin au moment de l’examen du projet de loi d’orientation des mobilités, que j’ai porté en tant que ministre des transports.
Cette loi a déjà permis d’instaurer de nouvelles garanties pour ces travailleurs. Ainsi, les plateformes sont désormais tenues de communiquer, avant chaque prestation, la distance couverte et le prix minimal garanti d’une course. Les travailleurs peuvent quant à eux choisir librement leurs plages horaires d’activité, y compris de déconnexion et d’inactivité. Ils peuvent désormais refuser une prestation, sans que cela occasionne une quelconque pénalité.
Sur le fondement d’une habilitation issue de cette loi, nous avons adopté une ordonnance, le 21 avril dernier, qui pose les premières briques d’un dialogue social dans ce secteur. Elle permet aux travailleurs des plateformes d’avoir accès à une représentation.
Ces résultats, nous les avons obtenus en créant les conditions d’une concertation apaisée et approfondie, en inscrivant le sujet à l’agenda social dès le mois de juillet et en confiant deux missions successives à des experts.
Cette ordonnance permettra de structurer le dialogue social au sein des deux secteurs les plus significatifs, celui des activités de conduite d’une voiture de transport avec chauffeur, ou VTC, et celui des activités de livraison de marchandises à domicile, qui, ensemble, représentent près de 100 000 travailleurs indépendants.
Concrètement, pour chacun de ces deux secteurs d’activité, une élection nationale, à tour unique et par vote électronique, sera organisée au printemps 2022. Elle permettra aux travailleurs indépendants, chauffeurs de VTC ou livreurs à vélo, d’élire les organisations qui les représenteront et de désigner leurs représentants.
Lors du premier scrutin pourront être reconnues représentatives les organisations qui recueilleront au moins 5 % des suffrages exprimés.
Les représentants désignés par les organisations représentatives bénéficieront de garanties particulières, afin de les protéger contre tout risque de discrimination du fait de leur mandat. Il s’agit d’un premier pas inédit vers une meilleure régulation sociale des plateformes.
En particulier, la rupture du contrat liant l’un de ces représentants à une plateforme sera soumise à autorisation administrative préalable. Ces représentants bénéficieront par ailleurs d’une indemnisation pour le temps consacré à leur mandat et d’un droit à la formation au dialogue social, afin d’avoir les outils et les connaissances nécessaires à l’exercice d’un mandat syndical.
En parallèle, l’ordonnance prévoit la création de l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi, l’ARPE, établissement public dédié à la régulation des relations sociales entre plateformes et travailleurs indépendants qui y recourent.
Cette nouvelle autorité, qui sera opérationnelle en septembre 2021, sera, pour l’essentiel, une instance de facilitation du dialogue social, chargée de l’organisation des élections professionnelles et du suivi des concertations.
Les décrets d’application de l’ordonnance seront publiés au cours du mois de juin et une mission de préfiguration sera lancée dans les tout prochains jours. L’objectif est d’entamer le travail d’organisation des élections dans la foulée de la mise en place de l’ARPE. Cette ordonnance tout comme la mission qui sera lancée constituent les premières pierres d’un dialogue social qui permettra de mieux comprendre les attentes des deux parties et d’aboutir à des solutions équilibrées.
Vous le voyez, le Gouvernement et la majorité présidentielle ont obtenu des avancées majeures en matière de représentation des travailleurs des plateformes. Au cours de ces travaux, nous avons par ailleurs toujours veillé à ne pas fragiliser ce modèle économique fondé sur l’indépendance et qui pourvoit d’une activité quelque 100 000 travailleurs.
Nous allons poursuivre ce chantier de la structuration du dialogue social des travailleurs des plateformes et en ouvrir d’autres comme celui de la protection sociale.
Tout d’abord, nous proposerons prochainement des dispositions complémentaires à celles qui sont prévues dans l’ordonnance du 21 avril, en tenant compte des préconisations issues de la mission coordonnée par Bruno Mettling. Ainsi, nous souhaitons compléter cette première étape de structuration du dialogue social par des dispositions législatives qui préciseront les modalités de représentation des plateformes elles-mêmes et les règles relatives à la négociation collective entre plateformes et représentants de travailleurs indépendants qui y recourent.
Dans un second temps, nous ouvrirons des concertations sur un certain nombre de nouveaux sujets, par exemple la protection sociale de ces travailleurs. Je peux d’ores et déjà vous dire que nous nous engageons à améliorer la protection de ces travailleurs en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. Je pense avant tout aux livreurs à vélo, qui méritent une protection sociale à la hauteur des risques encourus dans un secteur éminemment accidentogène.
En parallèle, nous travaillerons avec la Commission européenne à faire évoluer le droit de la concurrence afin de permettre aux plateformes et aux travailleurs indépendants de négocier des accords. Cette possibilité ouvrira la voie à une négociation sur le calcul d’un revenu minimum corrélé à l’activité, et donc à une convergence sociale vers le haut en Europe.
Je pense que nous pouvons tous nous retrouver sur cette ambition : renforcer notre modèle social tout en assurant notre relance et notre prospérité économiques. Telle est la voie équilibrée que nous traçons.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la priorité doit être, selon nous, d’améliorer la protection sociale des travailleurs des plateformes sans chercher nécessairement à les requalifier en salariés, ce que beaucoup ne souhaitent pas. Et là où il s’agit d’inventer une protection sociale adaptée à la nature particulière de ce secteur, nous voulons qu’une telle invention émerge des travailleurs eux-mêmes, dans le dialogue social et la concertation.
C’est la raison pour laquelle nous nous attachons avant tout à structurer les conditions de la représentativité et de la négociation collective au sein du secteur des plateformes. C’est la voie que nous suivons : permettre à ces activités économiques de se développer et à ces travailleurs de s’insérer sur le marché du travail tout en respectant le cadre d’une indépendance réelle.
Pour toutes les raisons que je viens d’évoquer, le Gouvernement n’est pas favorable aux dispositions de cette proposition de loi.
M. le président. Je rappelle au groupe Socialiste, Écologiste et Républicain qu’il reste précisément une heure, pas plus, pour mener à bien l’examen de sa proposition de loi.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Michel Canévet. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
M. Michel Canévet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe Union Centriste tient d’abord à saluer l’initiative prise par Olivier Jacquin et par les membres du groupe socialiste d’inscrire à l’ordre du jour de nos travaux la question de l’emploi des travailleurs des plateformes numériques. C’est un sujet important ; le Sénat a déjà eu l’occasion de s’en saisir.
Pascal Savoldelli et les membres du groupe communiste ont présenté un texte à ce sujet. La commission des affaires sociales du Sénat s’en est également emparée, notre ancien collègue Michel Forissier et nos collègues Catherine Fournier et Frédérique Puissat ont rédigé un rapport dans lequel ils ont formulé un certain nombre de propositions après avoir analysé la situation.
Quant à la délégation sénatoriale aux entreprises, présidée par Serge Babary, elle travaille actuellement sur les nouveaux modes de management et les nouvelles formes d’emploi ; elle devrait très prochainement formuler à son tour des propositions.
C’est dire, madame la ministre, que le Sénat est complètement investi sur cette question importante.
Le groupe Union Centriste est particulièrement attaché à la libre entreprise ; il y a dans notre pays entre 3,5 et 4 millions d’indépendants, qui font partie intégrante, aux côtés des salariés, de la population active de la France. Nous estimons que ces indépendants sont une force pour la dynamique économique de notre pays, qu’il faut se garder d’amoindrir par des législations et des réglementations par trop complexes. Veillons donc, dans tout ce que nous faisons, à ne pas altérer le principe de la libre entreprise, afin que cette dynamique puisse suivre son cours.
Ce cours s’incarne notamment dans le développement du numérique, qui offre de nouveaux potentiels d’activité, donc d’emploi. Nul n’ignore plus désormais l’existence des chauffeurs de véhicules de type Uber – le terme d’« ubérisation » est d’ailleurs entré dans le langage courant. Mais le phénomène dont je parle ne s’y réduit pas : la situation pandémique que nous venons de connaître a à la fois affirmé et accru la maturité numérique des entreprises dans notre pays – c’est un bien.
Cette période de saut numérique considérable a vu aussi se développer de nouvelles formes de services à la population : il suffit de se rendre dans les rues le soir pour y croiser des livreurs à vélo, à vélomoteur ou autres modes de transport se rendant chez des clients de plus en plus nombreux. Les contraintes de circulation inhérentes à la situation pandémique ne sont sans doute pas étrangères au développement important de ces métiers, qui ont occupé l’actualité ; en tout état de cause, il y a là une nouvelle forme de travail.
À partir de ce principe de la libre entreprise et du constat du développement du numérique, la question se pose de savoir comment il faut organiser cette nouvelle forme de travail. Un certain nombre de difficultés, en effet, ont été identifiées. Beaucoup de débats ont lieu sur les questions du salariat et du type de contrat par lequel doivent être régies les relations entre les différents acteurs de ce commerce lié au numérique.
Pour notre part, nous ne suivrons pas tout à fait les conclusions de M. le rapporteur.
M. Jean-Luc Fichet, rapporteur. Je l’ai bien compris…
M. Michel Canévet. Le débat a déjà eu lieu en commission des affaires sociales : il nous semble important de maintenir la dynamique de développement de ces activités et de laisser les initiatives qui ont déjà été prises en la matière porter leurs fruits.
Madame la ministre, vous venez d’évoquer l’ordonnance du 21 avril dernier, prise à l’issue de différentes missions. Je souhaitais vous interroger sur les modalités de sa mise en œuvre, pour ce qui est de l’ARPE notamment, mais vous venez par avance de me répondre. Nous nous réjouissons de ce que dès le mois prochain les premiers décrets pourront être pris, permettant la mise en œuvre de l’ensemble du dispositif. L’ARPE pourra dès lors être opérationnelle avant la fin de l’année et le scrutin pourra être organisé au plus tôt.
Les membres du groupe Union Centriste ont en effet la conviction que c’est par le dialogue social que l’on avancera. Un certain nombre de dispositions doivent être prises en direction des indépendants ; on sait par exemple la nécessité de la couverture accidents du travail et des complémentaires santé. Il faut faire évoluer le statut des indépendants ; le Gouvernement a déjà lancé quelques initiatives pour ce qui concerne la couverture chômage, mais il n’est pas allé assez loin à notre goût.
Le groupe Union Centriste ne votera pas ce texte en l’état.
M. le président. La parole est à M. Serge Babary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Serge Babary. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous le savons tous, la « plateformisation » de notre société ne fait que commencer. Elle recouvre une réalité très diverse, le monde des plateformes englobant plusieurs secteurs et non des moindres, dont en particulier celui de la mobilité – VTC, livraisons à domicile –, celui des services à la personne et celui des services aux entreprises.
L’actualité a rendu particulièrement visibles les livreurs à domicile, dont le nombre a explosé avec la crise sanitaire et l’évolution des modes de consommation. Leur exposition aux risques a alerté et alimenté le débat sur leur fragilité économique.
Le Sénat s’est saisi du problème en 2020 ; au rapport de la commission des affaires sociales et à une proposition de loi du groupe CRCE s’ajoute aujourd’hui cette proposition de loi déposée par des collègues du groupe socialiste.
En outre, la délégation aux entreprises a lancé en décembre 2020 une mission d’information sur les nouveaux modes de travail et de management ; le travail via les plateformes fait bien sûr partie de son champ de réflexion.
Les questions sont multiples et la réalité délicate à appréhender par le législateur. Il nous faut être vigilants à plusieurs titres.
Il nous faut tout d’abord veiller à la situation des travailleurs concernés : un certain nombre d’entre eux risquent la précarisation financière et sociale, mais la majorité de ces travailleurs tiennent à l’indépendance…
M. Olivier Jacquin. Ils tiennent à l’autonomie ; ce n’est pas la même chose.
M. Serge Babary. … que leur permettent leur statut et la flexibilité de leur activité. Se pose évidemment la question cruciale : comment trouver le juste équilibre entre indépendance et dépendance imposée via les algorithmes des plateformes ? Comment déterminer le caractère réel ou fictif de cette indépendance, autrement qu’au cas par cas ?
Il nous faut par ailleurs veiller à ne pas entraver le dynamisme de ces entreprises et activités permises par les technologies actuelles, plébiscitées par les consommateurs et créatrices d’emplois.
Comment conjuguer ces trois impératifs : répondre à la demande croissante, rééquilibrer quand c’est nécessaire l’asymétrie des relations de travail et permettre le développement d’un modèle économique viable ?
Certains défendent la création d’un statut intermédiaire entre celui de salarié et celui d’indépendant, mais cela viendrait encore complexifier le paysage juridique. Cette option a d’ailleurs été écartée à la suite de la remise du rapport Frouin.
La proposition de loi d’Olivier Jacquin s’attaque à de véritables questions ; les solutions défendues ne nous paraissent cependant pas adéquates. Outre qu’elles ne répondent pas au souhait d’une majorité des travailleurs concernés, elles ignorent la question cruciale de la viabilité économique des activités qui sont en cause.
À l’issue des auditions conduites à la fois par la commission des affaires sociales et par notre délégation aux entreprises, je suis convaincu que le rééquilibrage des relations de travail et la défense des droits des travailleurs des plateformes doivent passer avant tout par la négociation collective si l’on veut prendre en compte les spécificités de chaque secteur.
À ce titre, la récente ordonnance sur la représentation de ces travailleurs devra s’accompagner dès que possible d’un dialogue social nourri et équilibré.
En outre, la problématique me paraît plus large et plus ancienne. Il est urgent de réduire, voire de supprimer, les disparités qui demeurent entre les 3,5 à 4 millions de travailleurs indépendants et les salariés disposant de revenus équivalents. Ces disparités sont autant de véritables iniquités. La question des travailleurs des plateformes n’en est qu’une des variantes, mais elle compte parmi les plus criantes.
Le Haut Conseil du financement de la protection sociale l’a d’ailleurs souligné dans son rapport de septembre 2020 sur la protection sociale des travailleurs indépendants et son financement : « Les collaborateurs des plateformes, notamment ceux exerçant dans le secteur de la mobilité, souvent microentrepreneurs, comptent parmi les non-salariés les plus précaires en termes de couverture sociale et de revenus dégagés ».
Le Haut Conseil a prôné la clarification des règles de rattachement et l’amélioration de l’équité du prélèvement social. Il a proposé un « new deal » pour la protection sociale des travailleurs indépendants, ce pacte devant reposer « sur un système de prélèvement revu, des droits renforcés et un équilibre entre droits et devoirs des non-salariés réexaminé et justement réaffirmé. »
De ce point de vue, nous attendons toujours le plan en faveur des indépendants annoncé par le ministre Alain Griset pour fin avril.
Vous l’avez compris, mes collègues du groupe Les Républicains et moi-même ne sommes pas favorables à l’adoption de cette proposition de loi.
En revanche, nous resterons très vigilants sur ces questions et veillerons à ce que l’équilibre entre les droits et les obligations de chacun soit atteint. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.
M. Pierre-Jean Verzelen. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’essor des plateformes a bouleversé non seulement notre quotidien, mais également le monde du travail, qui reposait jusqu’alors sur un ensemble de règles, de droits et de garanties. Cette nouvelle forme de travail indépendant est une source d’emplois pour plus de 200 000 personnes en France, mais pose – on l’a dit – de nombreuses questions juridiques.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la lignée de la décision de la Cour de cassation du 4 mars 2020, selon laquelle la relation commerciale entre un chauffeur VTC et la plateforme numérique Uber pouvait être requalifiée en contrat de travail. En effet, la présomption de non-salariat du travailleur indépendant peut être renversée dès lors qu’un lien de subordination juridique est établi entre l’autoentrepreneur et le donneur d’ordre.
Dans le cas d’une plateforme de VTC ou de livraison à vélo, l’impossibilité pour le travailleur d’organiser librement son activité et de rechercher sa clientèle ainsi que l’existence d’un pouvoir de sanction démontrent le caractère fictif du statut de travailleur indépendant.
À partir de cette jurisprudence, le texte proposé prévoit d’étendre aux travailleurs du numérique la procédure d’action de groupe issue de la loi Hamon de 2014 et applicable en matière de droit de la consommation notamment.
L’auteur propose par ailleurs de supprimer la présomption de non-salariat lorsque les trois quarts des revenus reposent sur l’exploitation d’un algorithme.
Enfin, l’article 3 du texte prévoit, en cas de recours pour requalification en travailleur indépendant, qu’il revient aux plateformes de prouver que l’algorithme n’est pas au cœur de la relation contractuelle.
Si les questions de l’accès à la protection sociale et de la qualification juridique sont centrales, aucune réponse n’est vraiment idéale, pas plus que ne l’est la proposition de créer un statut intermédiaire, rejetée par le Sénat en juin dernier. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires est favorable au renforcement des droits et de l’indépendance des travailleurs des plateformes, d’ailleurs préconisé dans le récent rapport d’information du Sénat sur le droit social applicable aux travailleurs indépendants économiquement dépendants, publié en mai 2020.
Gardons à l’esprit que cette nouvelle forme de travail, particulièrement souple et accessible, permet à des personnes éloignées de l’emploi d’avoir une source de revenus substantiels. Aussi convient-il de renforcer l’accès aux droits des travailleurs numériques, notamment en matière de complémentaires santé et d’assurances chômage et accidents du travail et maladies professionnelles.
La situation qui prévaut actuellement n’est pas dommageable pour les salariés qui travaillent via les plateformes pour en tirer un complément de revenus – la notion de « travailleur numérique » n’est pas toujours synonyme de dépendance économique ou de précarité.
En revanche, elle l’est pour les travailleurs indépendants « exclusifs », qui ne bénéficient d’aucune couverture sociale. Cette dernière catégorie de travailleurs est en grande partie composée de personnes sans qualification et d’étudiants ; on y trouve même parfois des travailleurs sans-papiers – des comptes d’autoentrepreneurs sont sous-loués moyennant des rétrocommissions.
Ces dérives existent ; nous devons agir en apportant des solutions concrètes et ciblées sans pour autant remettre en cause les opportunités de développement des nombreuses plateformes françaises et européennes.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans un mouvement de transformation profonde de notre rapport au travail dans le contexte de la transition numérique.
Les enquêtes de l’Organisation internationale du travail (OIT) l’attestent : l’aspiration à l’autonomie progresse chez les employés ; elle motive une partie d’entre eux, attirés par la promesse d’indépendance des plateformes, à se tourner vers elles pour y exercer comme livreurs ou chauffeurs sous le statut d’autoentrepreneurs.
Pour d’autres, il s’agit simplement de créer son emploi dans un contexte de chômage massif et de marché du travail fermé aux faibles qualifications.
Exercer son travail de manière autonome, choisir ses modalités d’organisation, son rythme de travail, ses horaires, posséder son outil de travail, ne pas être dans une situation de subordination, c’est presque un idéal d’émancipation dont certaines plateformes se vantent d’être le réceptacle.
Mais ce récit d’indépendance se révèle bien souvent être une fiction, déconstruit par la force de rappel d’une exploitation sans régulation.
Un livreur de Take Eat Easy témoignait ainsi devant des journalistes : « Si tu n’honores pas un créneau, tu te prends un carton. Si tu refuses une livraison, tu t’en prends un autre. Au bout de trois, t’es convoqué. Quatre, et tu es éliminé : ils désactivent ton compte. ».
Contrôle en temps réel de la course, surveillance constante dans la réalisation de la tâche, opacité de la fixation des tarifs, impossibilité de choisir les itinéraires, obligation de se connecter régulièrement à la plateforme sous peine d’en être interdit d’accès, dépendance à l’algorithme… Tout cela est non pas l’autonomie d’un entrepreneur, mais le renforcement d’un pouvoir disciplinaire.
Ce que les chercheurs appellent le « management algorithmique » renvoie bien à des pratiques de surveillance et de contrôle qui caractérisent une subordination.
De fait, au Royaume-Uni, au Portugal, aux Pays-Bas, en Espagne, une série de décisions de justice ont permis aux travailleurs d’être requalifiés en tant que salariés.
De même, en France – vous l’avez dit –, la cour d’appel de Paris a réaffirmé le lien de subordination en soulignant qu’une condition essentielle de l’entreprise individuelle indépendante se trouve dans la « maîtrise de l’organisation de ses tâches, [de] sa recherche de clientèle et de fournisseurs ».
Les actions en justice se heurtent cependant à la présomption de non-salariat qui laisse au travailleur la charge de la preuve de sa subordination. Il est juste, dès lors, que ce soit aux plateformes de prouver que le statut d’autoentrepreneur n’est pas détourné. Et, le rapport de force et de négociation étant fortement défavorable aux travailleurs isolés, il est nécessaire que ce déséquilibre soit compensé par la possibilité d’une action collective, à laquelle chacun est libre de s’associer ou non.
Chacun est libre aussi de rester indépendant s’il maîtrise ou croit maîtriser son organisation, cela dit sans préjuger du caractère réel ou non de cette indépendance, comme il est libre de croire à la réduction de l’asymétrie dans le rapport de force avec les plateformes promise par la négociation à venir en 2023.
Mais preuve a été donnée récemment que le modèle des plateformes numériques n’est pas remis en cause par le recours au statut salarial.
Notre responsabilité législative est donc de rendre possible la lutte contre l’« indépendance » quand celle-ci se révèle fictive.
Les membres du groupe écologiste et moi-même pensons par ailleurs que pour répondre au désir d’autonomie il faut surtout changer le contenu et le sens de l’activité, autrement dit changer le travail ; mais c’est là un autre chantier.
Notre groupe votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi de notre collègue Olivier Jacquin vise à lutter contre l’indépendance fictive des travailleurs indépendants qui ont recours, pour l’exercice de leur activité professionnelle, à une ou plusieurs plateformes numériques.
Ce n’est pas la première fois que notre assemblée se penche sur ce sujet : deux propositions de loi visant respectivement à rétablir les droits sociaux des travailleurs numériques et à faire évoluer leur statut ont été récemment débattues.
Parce que le développement de ces systèmes de mise en relation a connu une évolution rapide ces dernières années, parce que le nombre de travailleurs qui y ont recours n’a cessé d’augmenter et parce qu’il est de notre responsabilité de faire évoluer le cadre juridique qui accompagne cette évolution, vous proposez en premier lieu d’étendre les actions de groupe aux procédures de requalification.
Ce dispositif nous semble pourtant poser un certain nombre de difficultés.
Il existe, tout d’abord, autant de cas de figure possibles que de plateformes et de travailleurs. Une solution unique ne nous semble donc pas adéquate.
Ensuite, les décisions des différentes cours d’appel et des conseils de prud’hommes ont démontré que le droit existant répondait déjà en partie, en assurant la prise en compte du caractère unique de chaque situation, aux attentes des travailleurs.
Enfin et surtout, il nous semble abusif de considérer que la requalification des travailleurs est une demande pleinement partagée. Si les chiffres nous manquent, il apparaît clairement en effet qu’une majorité de travailleurs indépendants souhaitent conserver l’agilité que leur offre leur statut. Les conclusions de la mission Mettling, qui s’est penchée sur les modalités de mise en œuvre du dialogue social entre les plateformes et leurs travailleurs, ne disent d’ailleurs pas autre chose.
Parce que les revendications des travailleurs se prêtent mal à des mesures uniformes, il nous semble préférable de privilégier le dialogue social et la concertation, qui sont les plus à même d’imposer de nouveaux droits et de garantir des mesures proportionnées et fidèles aux réalités spécifiques que vivent les travailleurs des plateformes.
Tel est notamment l’objet de l’ordonnance du 21 avril 2021 relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes, que vous venez d’évoquer, madame la ministre. J’y reviendrai dans quelques instants.
Vous proposez en second lieu de supprimer la présomption de non-salariat en cas de management algorithmique. Vous souhaitez à cette fin procéder à la réécriture complète de l’article L. 8221-6 du code du travail.
Là encore, la rédaction que vous suggérez nous semble problématique. En recentrant le dispositif sur la place de l’algorithme, vous excluez, dans les faits, les travailleurs indépendants qui n’y ont pas recours. Ceux-ci devront ainsi prouver l’absence de lien de subordination juridique en plus d’être initialement considérés comme des travailleurs salariés.
Si nous n’adhérons pas à la méthode, il nous semble en revanche important que le cadre juridique qui organise les relations professionnelles entre les travailleurs indépendants et les plateformes puisse évoluer.
Dans la lignée de la loi Travail, la loi d’orientation des mobilités a ainsi introduit de nouvelles garanties au bénéfice des travailleurs numériques en renforçant leur indépendance et leur droit à la formation professionnelle.
Quant à l’ordonnance du 21 avril 2021, elle crée, dans la même perspective, l’Autorité des relations sociales des plateformes d’emploi, chargée de réguler les relations sociales entre les plateformes et les travailleurs indépendants.
Ces apports, nous les avons votés ; ils doivent maintenant porter leurs fruits. Mes chers collègues, parce que ces avancées demandent du temps et parce que le dialogue social nous semble le plus à même d’assurer aux travailleurs des plateformes numériques les droits que leur statut d’indépendant leur garantit, notre groupe votera contre cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens avant tout à remercier notre collègue Olivier Jacquin et le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain de nous donner une nouvelle occasion de nous pencher sur la délicate question du statut des travailleurs des plateformes numériques.
Ces plateformes, à leur naissance, promettaient l’eldorado ; elles ont dépensé beaucoup d’argent pour que ce mythe soit réalité. Elles proposaient des rémunérations particulièrement alléchantes, qui ont provoqué un véritable engouement. Être son propre patron était par ailleurs une idée très séduisante. Mais cette liberté a un prix et « ubérisation » rime aujourd’hui avec « précarisation » !
Progressivement, les conditions d’emploi se sont en effet dégradées, obligeant la plupart de ces travailleurs à travailler plus pour gagner moins. L’ubérisation du monde du travail fait voler en éclats tous les acquis sociaux obtenus depuis près de deux siècles.
Comme l’a rappelé Jean-Yves Frouin dans le rapport qu’il a remis au Premier ministre en décembre dernier, les plateformes numériques de travail favorisent l’apparition d’une nouvelle classe de travailleurs précaires.
Si ce nouveau secteur représente l’un des plus grands bouleversements que le marché du travail a connus au cours de la dernière décennie, il cache surtout un modèle économique ultralibéral qui se développe au détriment du droit des travailleurs de ces plateformes numériques.
Nous sommes tous d’accord pour reconnaître que la protection sociale des travailleurs indépendants est très insuffisante : ceux-ci ne sont pas couverts par l’assurance chômage et ne cotisent généralement pas pour leur retraite ; ils ne sont pas couverts par la branche accidents du travail et maladies professionnelles ni ne bénéficient de la généralisation de la couverture maladie complémentaire. Ils sont pourtant exposés à de nombreux risques professionnels.
Combien d’entre nous n’ont jamais croisé de livreurs à scooter ou à vélo, roulant à toute vitesse en sens interdit afin d’effectuer au plus vite leur livraison et d’enchaîner avec la suivante ? Les livraisons se sont transformées en véritables « courses », au sens premier du terme.
La raison en est simple : les conditions tarifaires se sont peu à peu dégradées, même s’il est difficile de savoir dans quelles proportions puisque le tarif de chaque course est calculé par des algorithmes, ces mêmes algorithmes dont l’opacité est régulièrement pointée du doigt. Les plateformes les utilisent en effet notamment pour attribuer le travail et les récompenses. Les livreurs incapables de suivre le rythme ou qui refusent des missions sont pénalisés, voire écartés.
Comme le rappelait notre collègue Guylène Pantel l’année dernière, la technologie a évolué plus vite que notre droit et il existe aujourd’hui une zone de vide juridique entre le statut de salarié et le statut d’indépendant.
C’est dans cet esprit que la Cour de cassation, en 2018, puis en 2020, a estimé qu’un lien de subordination existait bien entre les travailleurs et la plateforme. C’est pourquoi la Commission européenne réfléchit également aux moyens de mieux protéger les travailleurs des plateformes numériques.
Certes, l’ordonnance du 21 avril 2021 marque une première étape en permettant des élections de représentants du personnel dans les secteurs des VTC et des livraisons de courses au plus tard le 31 décembre 2022.
Mais, à l’heure où l’Espagne vient de reconnaître le statut de salariés de plein droit pour les coursiers des plateformes de livraison de repas à domicile, il est impérieux de remettre l’humain au centre des débats et d’offrir à ces travailleurs ubérisés une véritable protection pour qu’ils ne soient pas, selon les mots de l’écrivain Karim Amellal, « les prolétaires du XXIe siècle ».
C’est pourquoi la majorité du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen soutiendra cette proposition de loi qui permet aux travailleurs des plateformes d’exercer une action de groupe et qui institue la présomption de salariat. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, en juin 2020, le groupe CRCE avait présenté une proposition de loi sur le statut de ces travailleurs – je remercie les collègues qui l’ont évoquée –, visant à les intégrer au code du travail, ce qui relève du bon sens, à leur ouvrir le droit à une protection sociale, ce dont tout le monde parle, ainsi qu’un droit à la négociation collective, qui a également été évoqué.
Chacun sait ici à quel point ces travailleurs sont précaires, y compris la Cour de cassation qui a reconnu par deux fois qu’ils étaient des salariés déguisés. Alors, que s’est-il passé ?
Le Gouvernement s’est comporté comme le VRP des plateformes, ce que confirment les propos que vous venez de tenir, madame la ministre : ce que vous souhaitez, c’est tenter d’obtenir un tiers statut.
Nous avons la chance, grâce au présent débat, de prendre connaissance de la méthode du Gouvernement, soit la présentation a posteriori d’ordonnances. Merci donc, madame la ministre, pour votre exposé très explicite à cet égard !
M. Pascal Savoldelli. Sur notre proposition de loi, le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain s’était abstenu ; j’y reviendrai.
Quant à nos collègues de droite, que j’appelle la majorité sénatoriale des droites, chaque fois que le sujet vient sur la table, c’est le statu quo : on ne touche à rien ! (Mme Laure Darcos proteste.)
Mes chers camarades socialistes, j’y reviens, vous vous étiez donc abstenus sur notre proposition de loi. Vous comprendrez donc notre étonnement face à votre cheminement : tantôt regroupement en coopérative d’emploi et d’activité, tantôt devoir de vigilance, et maintenant requalification par action de groupe. Tout ça pour finalement reprendre à demi-mot notre travail…
Mme Michelle Meunier. À charge de revanche !
M. Pascal Savoldelli. Dont acte quant à vos intentions, mais le contenu de votre texte reste quelque peu chaotique et soulève de nombreuses questions quant à l’efficacité de son application.
Empreint d’optimisme, j’ai bien noté que, dans votre article 1er, vous vouliez donner à ces travailleurs la possibilité d’intenter une procédure de requalification par action de groupe, leur conférant ainsi un outil supplémentaire pour faire respecter les droits.
Nous encourageons votre volonté de remplacer, à l’article 2, la présomption de non-salariat par une présomption de contrat de travail. C’était notre idée ; il me serait donc difficile de vous contredire et il serait bien inutile de nous départager.
Enfin, l’article 3 vient renforcer l’expertise des conseils de prud’hommes, en leur donnant la possibilité d’ordonner aux plateformes de communiquer leurs algorithmes et de se faire assister d’un expert pour la compréhension de leur fonctionnement. Pour notre part, nous avions proposé l’année dernière que les travailleurs puissent se faire assister d’une ou d’un data scientist : c’était bien plus offensif en termes de démocratie sociale.
Dans cet article 3, on perçoit une certaine confusion.
Vous parlez des plateformes de mise en relation. Alors là, non, ce n’est pas acceptable ! Une mise au point est indispensable : les plateformes les plus précarisantes, les Uber ou Deliveroo, c’est-à-dire celles qui emploient des travailleurs qu’il convient justement de protéger, sont tout sauf des plateformes de mise en relation. Ce sont des plateformes numériques de travail !
Quand une plateforme peut sanctionner un travailleur parce qu’il n’a pas respecté un itinéraire, qu’elle impose ses tarifs et qu’elle édite des factures, on est au-delà de la mise en relation : il s’agit de gestion et de contrôle. Les plateformes doivent impérativement assumer leur responsabilité d’employeur et s’acquitter des cotisations sociales.
Pour ce qui concerne l’article 1er relatif à l’action de groupe, celle-ci limite l’indemnisation, puisque seuls les préjudices nés après la demande sont pris en considération. Elle transfère le contentieux social du juge prud’homal au juge judiciaire : chacun le sait ici, ils n’ont pas la même lecture du droit.
La logique est la même à l’article 2. S’agissant des critères de la présomption de contrat de travail, vous proposez de les définir ainsi : « au moins les deux tiers du revenu professionnel annuel résultent de l’utilisation d’un algorithme exploité directement ou indirectement par une personne. » Je ne vois pas comment on peut être exploité directement ou indirectement par une personne ; ce n’est pas clair…
Sur la question des algorithmes, nous devons aller beaucoup plus loin et prévoir des critères. Aucun critère de ce que j’appelle « l’algo-subordination » n’est défini !
Il s’agit d’un enjeu majeur, madame la ministre. Ces plateformes choisissent de contrôler par algorithme les éléments essentiels de la relation de travail, et pas seulement la relation contractuelle. Cette absence de définition limite considérablement la portée de cet article.
Nous voterons donc cette proposition de loi, mais – vous l’aurez compris – avec beaucoup de réserves.
Nous la voterons pour que le débat s’élargisse, se clarifie, dans l’intérêt de ces nouveaux salariés, déguisés et méprisés. (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Monique Lubin. (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
Mme Monique Lubin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de vous parler d’Isaac.
Isaac, que vous ne connaissez sûrement pas, est le nom d’un nouveau chef d’équipe avec lequel plus de 130 000 travailleurs de 1 000 entreprises collaborent, dans près de 100 pays différents. Il occupe une fonction très précise : il doit être capable de mesurer les activités de ses collègues en fournissant en temps réel des renseignements sur le comportement et sur la productivité de chaque salarié. Il est ainsi capable de produire des rapports détaillés relatifs à l’influence des comportements individuels sur la performance de l’entreprise.
C’est ainsi qu’Isaac est devenu le bras droit de milliers de managers, qui peuvent désormais s’appuyer sur les nombreux et précieux renseignements distillés, afin d’attribuer quotidiennement une note individuelle à chaque employé sur la base d’évaluations subjectives.
Pourtant, contrairement à tous ses collègues, Isaac s’affranchit des tâches qui incombent chaque jour à des millions de travailleurs. En effet, s’il n’a pas besoin de régler son réveil à la veille de chaque journée de travail, il ne se soucie guère plus d’accompagner ses enfants à l’école ou d’entretenir son foyer.
En réalité, Isaac ne possède ni visage ni corps, et détient comme seule caractéristique humaine son nom. Mes chers collègues, vous l’aurez compris : Isaac est un algorithme.
Si ses créateurs tentent naïvement de nous le présenter comme un instrument « visant à garantir le bien-être des salariés et étant capable de détecter des charges de travail excessives », il ne nous apparaît pas difficile d’imaginer les dérives évidentes qui peuvent découler de ce type de logiciel.
Car Isaac s’inscrit parfaitement dans une économie de précision, qui vise uniquement la recherche d’une maximisation du rendement en croisant simultanément un nombre incalculable de données, bien souvent au détriment de la santé mentale et du bien-être des travailleurs, qui n’hésitent pas à abandonner pauses et temps de réflexion, ne souhaitant surtout pas paraître passifs aux yeux du logiciel et, par extension, à ceux de leurs managers et dirigeants.
Ce contrôle fin du rendement de chacun sert à la frénétique économie de l’individualisation, rompant alors avec la trajectoire historique selon laquelle la convention collective était utilisée pour rééquilibrer les rapports de force entre travailleurs et employeurs, résultat obtenu au prix des nombreuses grandes luttes sociales du passé.
Les faits que je vous expose présentement ne relèvent en rien d’une fiction ; ils dépeignent une morose réalité à laquelle un nombre croissant de travailleurs sont exposés quotidiennement, dans ce nouvel univers du travail marqué par la gig economy.
En connectant des services déjà existants, rendus possibles grâce à une solution technologique nouvelle, ces plateformes sont venues transformer de nombreux secteurs d’activité. Elles ont certes permis une diversification de l’offre, mais souvent au détriment des cadres de régulation classique, précarisant la condition de certains travailleurs et bafouant leurs droits sociaux fondamentaux.
Ainsi, plusieurs milliers de travailleurs ont été séduits par les promesses de ces plateformes, qui garantissent une organisation libre du temps du travail, sans contrainte hiérarchique. Mais à cette illusion de liberté se substitue fréquemment une réalité bien plus brutale, car les travailleurs des plateformes se retrouvent très rapidement pieds et poings liés face aux exigences des plateformes : les clients sont imposés, les tracés deviennent obligatoires et les sanctions à leur encontre sont nombreuses.
Du jour au lendemain, certains travailleurs voient leurs comptes suspendus, souvent sans aucune justification de la part des plateformes. Étant privés de nombreux droits sociaux du fait du statut « fictif » de travailleur indépendant, il ne leur reste alors plus que leurs yeux pour pleurer.
Ces pratiques sont d’autant plus cruelles que ces travailleurs, souvent dépourvus de formation, sont économiquement contraints par le marché et qu’ils ne disposent guère d’autres perspectives de revenus que celles qu’offrent ces plateformes. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons pour lesquelles les banlieues, particulièrement touchées par la précarité, sont devenues les principales pourvoyeuses de main-d’œuvre des plateformes de VTC.
Mais tout l’enjeu se trouve désormais dans la maîtrise de ces nouveaux algorithmes qui, selon les projections, constitueront la principale source de revenus de près d’un demi-milliard d’individus sur la planète d’ici à 2025. Il est alors de notre responsabilité de garder la mainmise sur ces innovations technologiques, avant de nous faire dépasser par celles-ci. Encadrer et contrôler : tels doivent être désormais les maîtres mots lorsqu’il est question de ces plateformes numériques.
C’est un texte marqué d’humilité que nous vous présentons aujourd’hui, car il ne prétend aucunement révolutionner les fondements de l’économie 2.0. Il vise simplement à garantir les droits dus à ces travailleurs, qui ne sont indépendants que par la qualification juridique de leurs contrats, imposée par les plateformes.
On entend souvent dire que les travailleurs des plateformes seraient volontaires, désireux de liberté et qu’ils n’auraient pas envie d’un rapport de salariat. S’il est vrai que c’est le cas pour une partie d’entre eux, nous devons rester vigilants à ce que ce sentiment de liberté ne constitue pas un miroir aux alouettes !
Et pour cause : la réalité sera bien cruelle lorsque ces salariés voudront faire valoir leurs droits sociaux, et notamment leurs droits à la retraite. Ce sont alors de nombreux foyers qui se retrouveront plongés dans une extrême précarité.
Nous ne devons pas croire ces plateformes lorsqu’elles prétendent qu’un autre modèle social est inenvisageable. J’en veux pour preuve que certaines entreprises de livraison de repas sont aujourd’hui capables de proposer des contrats de salariat à leurs employés.
Nous devons également agir pour toutes les entreprises du numérique qui avancent aujourd’hui des solutions plus éthiques et plus justes vis-à-vis des travailleurs, mais qui se retrouvent dépassées par les pratiques déloyales de sociétés concurrentes recourant au dumping social sans plus se cacher.
Combien de temps allons-nous fermer les yeux sur l’exploitation de ces personnes, de ces jeunes, de ces immigrés, de ces étrangers, parfois en situation irrégulière ?
Combien de temps allons-nous continuer à dire que les questions sont bonnes, mais que les réponses ne le sont pas ? Il est temps d’avancer.
Il apparaît très nettement que, face à toutes ces dérives, la meilleure solution reste le salariat, pour éviter que ne se dresse devant ces milliers de travailleurs le spectre du retour au tâcheronnage du XIXe siècle, que nous nous sommes attelés à déconstruire par le biais de nombreux combats sociaux. Est-ce cela que nous voulons ? Certainement pas !
Nous devons agir pour ces nouveaux esclaves du XXIe siècle ! (Applaudissements sur les travées du groupe SER.)
M. le président. La parole est à Mme Frédérique Puissat. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Frédérique Puissat. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de saluer notre collègue Olivier Jacquin, membre du groupe socialiste et auteur de cette proposition de loi, et le rapporteur de la commission des affaires sociales, Jean-Luc Fichet.
Je veux les remercier d’évoquer le sujet des plateformes, sur lequel plusieurs d’entre nous ont travaillé. Ont ainsi été évoquées de précédentes propositions de loi. Un travail de la délégation sénatoriale aux entreprises est en cours. Cela a été rappelé, Catherine Fournier, notre ancien collègue Michel Forissier et moi-même avions également produit, en mai 2020, un rapport d’information sur le sujet.
Ce rapport, monsieur Savoldelli, ne prônait pas du tout le statu quo !
M. Pascal Savoldelli. Quelle proposition de loi, alors ?
Mme Frédérique Puissat. Je vais y arriver…
Nos positions étaient très claires. Nous soulignions que l’ampleur du phénomène était réelle, qu’il était placé, et encore plus depuis la crise sanitaire, sous un effet de loupe médiatique. Mais la question du statut de ces travailleurs n’est pas l’essentiel, et les propositions que nous formulions à l’époque visaient à étendre au-delà du salariat certaines des garanties du code du travail, à prolonger la logique d’universalisation de la protection sociale, à remettre à plat les règles de la microentreprise et à réguler les activités de mise en relation à travers, notamment, la construction d’une représentation des travailleurs des plateformes.
Il ne s’agissait nullement, comme cela a été dit de façon caricaturale en commission, de laisser se développer certaines situations que chacun jugera, s’il le fallait, inacceptables. Nous n’avons pas manqué d’évoquer, au cours des différentes auditions, plusieurs situations difficiles sur le plan humain.
Tordons immédiatement le cou à certaines idées reçues : il n’y a pas, à gauche, les hommes et les femmes de cœur, et, à droite ou au centre, les dangereux libéraux aveugles à toute dérive ! (Protestations sur les travées du groupe SER.)
M. René-Paul Savary. Très bien !
Mme Frédérique Puissat. J’en viens au texte proposé.
Tout d’abord, force est de reconnaître que l’exposé des motifs est « à charge » contre les plateformes, alors même qu’il existe une grande diversité d’acteurs et de modèles, comme nombre d’entre nous l’ont rappelé. Par ailleurs, le travail par l’intermédiaire d’une plateforme n’est pas automatiquement synonyme de précarité ou de dépendance économique. Enfin, le déficit de protection sociale subi par les travailleurs des plateformes est à nuancer. Ainsi, la couverture santé ou les prestations de la branche famille sont décorrélées du statut.
Vous partez également du postulat selon lequel les travailleurs ont des difficultés à saisir le juge pour obtenir une reconnaissance de leur statut. Or, vous le savez, ce statut peut également être choisi par certains. À hauteur de quel pourcentage ? La question reste posée.
En outre, les demandes de requalification sont peu nombreuses. Aux termes de la décision de la Cour de cassation de mars 2020, le juge procède à une appréciation au cas par cas et celle-ci ne s’étend donc pas, par principe, à tous les travailleurs Uber.
De fait, l’article 1er de la proposition de loi, qui prévoit une requalification par action de groupe, ne nous semble correspondre ni à une réalité économique ni à une demande de tous les travailleurs des plateformes. J’ajoute que, lors de leur audition devant la commission, la semaine dernière, MM. Mettling et Cette ont réaffirmé que la requalification n’était pas une solution.
L’article 2 vise à supprimer la présomption de non-salariat.
Cette position nous semble pour le moins radicale. Elle ne correspond peut-être pas, là encore, à une demande de tous les travailleurs. Au-delà, elle pose question. En effet, comme j’ai eu l’occasion de l’évoquer, la présomption s’appliquerait a posteriori, sans que la plateforme ait les moyens de savoir quelle part de son revenu le travailleur obtient en travaillant avec elle. Et je ne compte pas les effets de bord évoqués par Mme la ministre, que l’on pourrait également développer.
Quant à l’article 3, il vise à permettre aux conseils de prud’hommes d’exiger la production d’algorithmes. Or cette perspective nous semble déjà satisfaite.
Je vous propose donc, au nom du groupe Les Républicains, de rejeter cette proposition de loi, comme nous l’avons fait en commission.
J’en profite pour faire de nouveau part au Gouvernement de notre satisfaction à propos de l’ordonnance, présentée au conseil des ministres le 21 avril dernier, relative aux modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes. (Exclamations sur les travées des groupes CRCE et SER.) Attendez la suite, mes chers collègues !
Ces perspectives sont plus pertinentes, à notre avis, que les chartes proposées par le même gouvernement dans la loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel et dans la loi d’orientation des mobilités, dite LOM. En effet, c’est via cette représentation et ces négociations que nous percevrons le mieux l’attente de ces femmes et de ces hommes qui œuvrent au quotidien et que nous souhaitons, nous aussi, saluer. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. Je veux dire, à mon tour, que ce sujet important mérite mieux que des caricatures. Il n’y a pas, d’un côté, ceux qui voudraient défendre les droits des travailleurs, et, de l’autre, ceux qui défendraient aveuglément les plateformes.
Ces plateformes ont permis de faire émerger de nouveaux services et de créer de nouveaux emplois. En même temps, personne ici ne peut se satisfaire de la situation de précarité que connaissent un certain nombre de travailleurs, et que nous pouvons tous constater en circulant dans l’espace public. Je pense notamment à ces livreurs qui devraient rouler à vélo mais utilisent des scooters, et sont, pour partie, manifestement exploités. Ce constat, nous le partageons.
Nous devons trouver un chemin pour permettre le développement de ces emplois tout en répondant aux aspirations des travailleurs, lesquels ne veulent pas nécessairement être des salariés, et en renforçant leurs droits individuels et collectifs.
Tel est le chemin que nous suivons depuis le début du quinquennat, avec l’objectif de rétablir le rapport de force entre les plateformes et les travailleurs. C’est ce que prévoit la loi d’orientation des mobilités avec le droit à la déconnexion pour les travailleurs des plateformes, la possibilité de refuser des courses et la faculté, qui peut paraître élémentaire, pour le travailleur de connaître la distance et le prix d’une course avant de l’accepter.
C’est toujours ce chemin que nous suivons lorsque nous permettons la mise en place d’une représentation de ces travailleurs, afin que s’engage une négociation collective.
Nous continuerons dans cette voie en renforçant les droits de ces travailleurs. J’ai évoqué notamment le sujet des accidents du travail et des maladies professionnelles : sur ce point, il nous faut manifestement renforcer les protections.
Enfin, s’il est bon de faire des lois, il est bon, aussi, de contrôler leur application. Je vous le redis, les services de mon ministère sont mobilisés pour contrôler et sanctionner les abus qui peuvent exister dans un certain nombre de domaines.
Encore une fois, mesdames, messieurs les sénateurs, ce sujet important, qui concerne un domaine nouveau, mérite mieux que des caricatures ! (M. Martin Lévrier applaudit.)
M. le président. La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
proposition de loi visant à lutter contre l’indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l’algorithme dans les relations contractuelles
Article 1er
I. – Après l’article L. 442-4 du code de commerce, il est inséré un article L. 442-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 442-4-1. – I. – Sous réserve du présent article, le chapitre Ier du titre V de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle s’applique à l’action ouverte sur le fondement du présent article.
« II. – Lorsque plusieurs travailleurs placés dans une situation similaire subissent des préjudices résultant du recours à un statut fictif de travailleur indépendant, une action de groupe peut être exercée, sans préjudice des actions individuelles que les travailleurs peuvent exercer à d’autres fins auprès des tribunaux compétents.
« III. – Cette action peut tendre à la cessation du manquement, notamment par la reconnaissance immédiate de la qualité de salarié de tous les travailleurs placés dans une situation identique à celle mentionnée au I, à la réparation des préjudices causés, ou à ces deux fins.
« IV. – Peuvent seules exercer cette action :
« 1° Les organisations syndicales ayant pour objet la défense de travailleurs indépendants ;
« 2° Les organisations syndicales de salariés représentatives au sens des articles L. 2122-1, L. 2122-5 ou L. 2122-9 du code du travail ;
« 3° Une association régulièrement déclarée depuis au moins deux ans intervenant dans le domaine de la défense des travailleurs indépendants. »
II. – Après le 2° de l’article 60 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice au XXIe siècle, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :
« 2° bis L’action ouverte sur le fondement du 3° du I de l’article L. 442-1 et de l’article L. 442-4-1 du code de commerce ; ».
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
M. Christian Redon-Sarrazy. Où sont-ils, les Républicains ?
M. le président. Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 127 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 312 |
Pour l’adoption | 86 |
Contre | 226 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 2
I. – L’article L. 8221-6 du code du travail est ainsi rédigé :
« Art. L. 8221-6. – I. – Tout travailleur, dont au moins les deux tiers du revenu professionnel annuel résultent de l’utilisation d’un algorithme exploité directement ou indirectement par une personne, est présumé être lié à cette dernière par un contrat de travail.
« II. – L’inexistence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque la personne mentionnée au I démontre que le travailleur a exécuté sa prestation dans des conditions exclusives de tout lien de subordination juridique à l’égard de celle-ci. »
II. – L’article L. 8221-6-1 du code du travail est abrogé.
M. le président. La parole est à M. Patrick Kanner, sur l’article.
M. Patrick Kanner. Madame la ministre, vous avez parlé de caricature… Pour ma part, je ne sais pas si je suis caricatural, mais je reconnais qu’il est difficile d’être un ministre de gauche dans un gouvernement de droite ! Tel est votre choix ; ce n’est pas le nôtre.
Avec la présente proposition de loi, qui vient après celle de Monique Lubin et Olivier Jacquin, que nous avons soutenue il y a quelques mois, et après celle défendue par le groupe communiste, nous voulons alerter l’opinion.
Ne vous en déplaise, madame la ministre, nous avons le droit, au Parlement, d’imaginer des solutions qui, peut-être, vous semblent insuffisantes et insuffisamment solides juridiquement. « J’ai la réponse ! », nous avez-vous dit. Permettez que, nous aussi, nous ayons notre réponse. J’ajoute que vos propos auraient pu être tenus sur un ton non pas compassionnel, mais plus compréhensif à l’égard de notre démarche.
Nous savons quel sort la droite sénatoriale, à laquelle vous apportez votre soutien, réserve à ce texte. Mais nous continuerons à défendre ces salariés.
En effet, nous pensons qu’il s’agit, dans les faits, de salariés. La jurisprudence, y compris internationale, nous donne d’ailleurs de plus en plus raison.
Encore une fois, cette proposition de loi vise à clarifier les relations entre ceux que nous considérons comme des employeurs, d’une part, et comme des salariés, d’autre part.
La question de la liberté, qui a été à plusieurs reprises évoquée, y compris par Monique Lubin, ne concerne qu’une infime minorité de celles et de ceux qui sont aujourd’hui dans cette situation. Vous ne partagez pas ce sentiment, et vous en avez le droit. Mais permettez à notre groupe d’imaginer des solutions différentes.
Cette proposition de loi est une première étape dans le débat sur l’avenir du travail lié aux plateformes. Cette évolution de la société, nous la considérons non comme un progrès, mais comme un fait acquis. Il faut absolument en améliorer les conditions via l’encadrement juridique que nous proposons.
Tel est l’esprit dans lequel nous défendons cet article.
M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli, sur l’article.
M. Pascal Savoldelli. Je prends la parole sur l’article, monsieur le président, puisque les trois articles de la proposition de loi risquent de pas être votés et que nous ne pourrons donc pas expliquer notre vote sur l’ensemble du texte.
De notre part, il ne s’agit pas d’adopter une posture, madame la ministre. Je respecte votre personne, votre travail et votre parcours. Vous connaissez le sens des mots : lorsque vous parlez d’emplois, vous évoquez les emplois occupés par des salariés chez Deliveroo ou Uber. Quant aux autres, il s’agit non pas d’emplois, mais d’activités rémunérées !
Vous n’êtes pas n’importe quelle ministre, et vous savez quelle attention on porte ici au sens des mots : non, les plateformes numériques de travail ne créent pas d’emplois ! Sinon, on ne poserait pas les questions de la subordination et du contrat de travail… (Mme la ministre s’exclame.)
Nous faisons preuve de respect et d’écoute dans le débat, mais les mots ont un sens. Ces plateformes créent des activités rémunérées liées à des algorithmes.
Ces algorithmes sont au cœur du sujet, contrairement à ce que vous avez dit. Vous savez mieux que moi ce dont il s’agit : une suite mathématique, une méthode de résolution d’un problème.
Ces plateformes ont donc posé un problème et ont utilisé un outil technologique pour atteindre leur objectif.
Cessons de dire que ces travailleurs sont indépendants ! Mais indépendants par rapport à quoi ? À telle heure, ils livrent des sushis, à telle autre des prothèses chez le dentiste… Certes, ils payent leur vélo, leur scooter, etc., mais ils ne sont pas indépendants pour autant.
Nous devons avoir ce débat, même s’il est passionné, aiguisé, conflictuel !
Nous devons tous faire preuve d’humilité, même si l’on est une femme ou un homme de conviction et que l’on a une forte personnalité politique. Pour ma part, j’ai rencontré de nombreux travailleurs de ces plateformes et j’ai eu des débats vifs et conflictuels, sur les questions de l’autonomie et de l’indépendance.
Allez discuter avec eux de votre ordonnance relative au dialogue social ! Allons ensemble – un représentant de chaque groupe et vous-même, madame la ministre – rencontrer sur les places des grandes métropoles les travailleurs des plateformes numériques : nous verrons alors s’ils ne veulent pas être protégés, s’ils ne veulent pas bénéficier de congés de maternité, de congés de maladie, de droits à la retraite, s’ils ne veulent pas négocier leur salaire… On verra où est la vérité ! (Applaudissements sur les travées des groupes CRCE, SER et GEST.)
M. le président. Mon cher collègue, veuillez respecter le règlement du Sénat ainsi que votre temps de parole !
La parole est à Mme la ministre.
Mme Élisabeth Borne, ministre. En tant que ministre du travail et de l’emploi, j’essaye de comprendre le sens des mots. Or l’emploi, ce n’est pas forcément l’emploi salarié, et le travail, ce n’est pas forcément le salariat ! Et de plus en plus de jeunes veulent créer leur propre emploi et être des travailleurs indépendants.
Par ailleurs, monsieur le sénateur, je n’ai pas attendu que vous m’y invitiez pour discuter avec les travailleurs des plateformes !
M. Pascal Savoldelli. Quand les avez-vous rencontrés ? (Rires.)
M. le président. Vous poursuivrez ce débat sur votre site Facebook, monsieur Savoldelli !
Je mets aux voix l’article 2.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 128 :
Nombre de votants | 330 |
Nombre de suffrages exprimés | 327 |
Pour l’adoption | 101 |
Contre | 226 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Article 3
Le titre V du livre IV de la première partie du code du travail est complété par un chapitre VIII ainsi rédigé :
« CHAPITRE VIII
« Protection des droits des travailleurs de plateformes numériques
« Art. L. 1458-1. – Le conseil de prud’hommes peut ordonner la production du ou des algorithmes utilisés par une plateforme numérique telle que définie à l’article 242 bis du code général des impôts, lorsque cette production est justifiée par la protection des droits d’un travailleur. Il forme sa conviction après avoir désigné, si besoin, une ou plusieurs personnes à titre d’expert. »
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, sur l’article.
M. Olivier Jacquin. Comme il ne sera certainement plus possible de prendre la parole après le troisième scrutin public, je veux expliquer brièvement à ceux qui suivent le débat cette situation étrange : une majorité de gauche, que je tiens à saluer et à remercier, est physiquement présente, alors que les quelques collègues de la majorité sénatoriale qui sont parmi nous, et que je remercie également, utilisent une procédure leur permettant de faire voter les absents.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Arrêtez, l’écart n’est pas si grand !
M. Olivier Jacquin. Nous sommes donc minoritaires, mais ce n’est pas l’essentiel.
L’essentiel, ce sont nos échanges de qualité et quelquefois vifs sur ce sujet important – c’est encore heureux ! Nos positions ne sont pas vraiment les mêmes. Je le répète, certains défendent les plateformes et d’autres les travailleurs de ces plateformes. Tout le monde a dit qu’il y avait un problème, lié notamment à la précarité, mais chacun a choisi son camp !
Madame la ministre, je tiens à vous remercier d’avoir, pendant ce débat, répondu à la question sur la saisine de l’inspection du travail que je vous avais posée il y a quelques semaines, lors des questions d’actualité au Gouvernement. Cela va dans le bon sens.
Il reste beaucoup à faire pour être dans un véritable État de droit. Je pense au non-recours de l’Urssaf, alors que, dans son arrêt, la Cour de cassation a pointé des secteurs entiers dans lesquels il existe un défaut de cotisations. Je pense également au non-respect du règlement général sur la protection des données (RGPD) et à l’exploitation des données de ces travailleurs. Je pense enfin à la question subtile de la loyauté des contrats ou à l’exercice d’un droit de la concurrence au regard du dialogue social.
Je vous remercie aussi d’avoir clarifié votre position sur le sujet. Le Gouvernement agit par ordonnance, ce qui est extrêmement désagréable pour un parlementaire et dommageable pour la démocratie. Mais vous avez très clairement présenté votre programme, et je ne crois pas caricaturer vos propos en disant que vous avancez clairement vers un nouveau statut. Ce statut, la mission Frouin n’en voulait pas, pour ne pas créer deux frontières floues, là où il en existe actuellement une, entre salariés et indépendants. Elle ne souhaitait pas que soit créé un nouveau tiers statut avec des droits low cost, comme les Anglais l’ont fait – et avant eux les Italiens ou les Espagnols – avec ces workers, qui forment un nouveau prolétariat sans garantie de revenus et avec des droits sociaux au rabais.
J’ai bien compris que la question se jouerait aussi partiellement en Europe. Pour les « travailleurs du clic », qui ne sont pas territorialisés, les régulations européennes sont une nécessité, et il en va de même pour l’algorithme. En revanche, pour ce qu’on appelle la gig economy, qui est « territorialisée », nous n’avons pas à attendre l’Europe : le droit du travail français nous permet de réguler le secteur. (Mme Raymonde Poncet Monge applaudit.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l’article 3.
Mes chers collègues, je vous rappelle que, si cet article n’était pas adopté, il n’y aurait plus lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi, dans la mesure où les trois articles qui la composent auraient été rejetés ; il n’y aurait donc pas d’explications de vote sur l’ensemble du texte.
Je mets aux voix l’article 3.
J’ai été saisi d’une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à constater le résultat du scrutin.
(Mmes et MM. les secrétaires constatent le résultat du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 129 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 340 |
Pour l’adoption | 101 |
Contre | 239 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Les articles de la proposition de loi ayant été successivement rejetés par le Sénat, je constate qu’un vote sur l’ensemble n’est pas nécessaire, puisqu’il n’y a plus de texte.
En conséquence, la proposition de loi n’est pas adoptée.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
5
Protection sociale des assistants maternels et salariés des particuliers employeurs
Discussion en procédure accélérée et adoption définitive d’une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs (proposition n° 459, texte de la commission n° 611, rapport n° 610).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi technique en apparence, mais en apparence seulement.
Adoptée à l’Assemblée nationale le 18 mars dernier, elle doit concrètement permettre à 3,3 millions de particuliers employeurs et 1,3 million de salariés de voir leurs droits garantis dans des règles et des dispositifs simples.
J’en profite pour saluer le remarquable travail de la députée Annie Vidal, à laquelle nous devons l’initiative de cette proposition de loi. La rédaction de ce texte a fait l’objet d’échanges très constructifs et poussés avec le Gouvernement et les représentants de la profession.
La couverture prévoyance des salariés de particuliers employeurs et des assistants maternels et le recouvrement des cotisations afférentes sont adaptés à ce secteur : les employeurs étant des particuliers, ils ne disposent pas des ressources d’une entreprise normale pour répondre à des formalités administratives complexes. C’est pourquoi des dispositifs ultrasimplifiés de déclaration ont été mis en place pour réaliser le recouvrement de l’ensemble des cotisations, y compris les cotisations prévoyance : le chèque emploi service universel (CESU) et Pajemploi. Les cotisations sont reversées à l’association paritaire nationale interbranches pour la mise en œuvre des garanties sociales des salariés (APNI) qui est chargée de reverser ces cotisations à l’organisme assureur, l’Institution de retraite complémentaire des employés de maison (Ircem), dans les deux branches concernées.
Pour que son salarié soit couvert au titre de la prévoyance, le particulier employeur doit donc simplement déclarer son salarié via le CESU ou Pajemploi.
La simplicité de cette procédure est la meilleure garantie de la protection des salariés.
Alors que, toujours dans une optique de simplification, les branches des salariés de particuliers employeurs et des assistants maternels doivent fusionner cette année, il nous faut revoir les circuits de recouvrement du financement des garanties collectives, notamment de prévoyance.
D’une part, parce que le circuit de recouvrement dérogatoire n’est pas sécurisé juridiquement pour les assistants maternels et qu’il ne l’est pour l’instant que partiellement pour les salariés de particuliers employeurs.
D’autre part, parce que seules les institutions de prévoyance sont légalement concernées par ce circuit dérogatoire, et non la totalité des organismes pouvant couvrir ce risque.
Cette proposition de loi vient donc sécuriser le circuit à un double titre : elle permettra d’élargir ce circuit de recouvrement aux assistants maternels, mais aussi à l’ensemble des organismes assureurs. C’est un renforcement de la sécurisation juridique que nous soutenons, car il est utile.
Ce texte a également vocation à concilier la spécificité du secteur et de ses acteurs avec l’encadrement juridique du choix des organismes de prévoyance.
Ainsi, il ne semble pas réaliste que chaque particulier employeur choisisse lui-même un organisme de prévoyance et signe un contrat spécifique pour la couverture du salarié, lequel est souvent employé par différents employeurs. Une gestion centralisée au sein d’un organisme unique est ainsi gage de simplicité pour les employeurs. C’est aussi une garantie d’accès aux droits pour les salariés.
Toutefois, l’encadrement du Conseil constitutionnel conduit à écarter toute clause de désignation explicite qui ne serait pas conforme à sa jurisprudence. Un mandat explicite ne serait donc pas juridiquement possible.
La proposition de loi prévoit dans ce cadre un reversement par le CESU et Pajemploi des cotisations collectées au titre de la prévoyance à l’APNI et charge celle-ci de reverser ces cotisations aux organismes assureurs. Il reviendra donc à la branche de sélectionner, le cas échéant, le ou les organismes assureurs auxquels ces cotisations seront reversées. Cette solution qui ménage les différentes contraintes nous semble constituer un équilibre satisfaisant et doit donc être défendue.
Mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi a donc un double intérêt : pour les employeurs, elle préserve la simplicité du dispositif ; pour les salariés, elle garantit leurs droits sociaux. Elle contribue à protéger 1,3 million de salariés.
C’est pourquoi le Gouvernement émettra un avis favorable sur cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Martin Lévrier, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, déposée par notre collègue députée Annie Vidal, vise à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs. Après son adoption par l’Assemblée nationale le 18 mars dernier, ce texte a recueilli les suffrages unanimes de la commission des affaires sociales.
Particulièrement attendue par les partenaires sociaux de ces deux secteurs professionnels, son adoption permettra d’adapter le circuit de recouvrement des cotisations sociales des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs dans le respect des exigences constitutionnelles et des particularités de ces professions.
En France, quelque 3,4 millions de particuliers emploient 1,4 million de salariés et d’assistants maternels. Ce secteur est structuré autour de deux branches professionnelles : celle des assistants maternels, dont la convention collective date de 2004, et celle des salariés des particuliers employeurs dont l’accord collectif remonte à 1999.
Du fait de la forte instabilité des situations professionnelles des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs dans le temps, liée aux changements fréquents d’employeurs au cours d’une même carrière et de l’absence d’entreprises dans le secteur, la déclaration et le paiement des cotisations sociales doivent être adaptés et simplifiés.
Aussi les services Pajemploi et CESU ont-ils été déployés par les Urssaf et mis à la disposition des employeurs afin d’assurer, pour leur compte, la déclaration du salarié et l’émission des bulletins de salaire, ainsi que le calcul et le recouvrement de l’ensemble des cotisations. Les Urssaf en reversent ensuite le produit aux caisses et organismes de protection sociale.
En vertu des clauses de désignation insérées dans les conventions collectives des deux branches, le groupe Ircem, organisme de protection sociale complémentaire, se voit reverser par les organismes chargés du recouvrement le produit des cotisations complémentaires de santé et de prévoyance.
Néanmoins, en 2013, ces clauses de désignation ont fait l’objet de la censure du Conseil constitutionnel, considérant qu’elles portaient une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre. En effet, en désignant de manière contraignante un organisme de protection sociale complémentaire pour les salariés, celles-ci entravaient excessivement la liberté de choix des employeurs.
Désormais, de simples clauses de recommandation permettent de proposer aux employeurs de chaque branche professionnelle l’adhésion à un organisme de protection sociale complémentaire en particulier, mais ces clauses ne sauraient revêtir un caractère contraignant.
Ce cadre juridique permettrait, en théorie, à chaque particulier employeur de choisir individuellement l’organisme d’affiliation de son salarié. Dans ce contexte, les salariés du secteur pâtiraient d’une protection sociale complémentaire particulièrement fragmentée, qui nuirait à la lisibilité et à l’effectivité de leurs droits.
Le 26 mars dernier, après dix-huit mois de négociations pour faire converger les deux branches professionnelles du secteur, les partenaires sociaux ont conclu un accord sur une convention collective commune, qui devrait être effective le 1er janvier 2022.
Conformément à la loi, cette nouvelle convention ne contient pas de clause désignant un organisme de prévoyance. Elle confie toutefois la gestion du régime de protection sociale complémentaire des assurés à l’APNI, créée en 2018 dans le but de coordonner la mise en œuvre d’actions sociales, culturelles et de formation professionnelle à destination des salariés des deux branches.
Ainsi, à défaut de désignation d’un organisme particulier par la convention collective de la branche unifiée, l’APNI sera chargée de désigner elle-même l’organisme de protection sociale complémentaire auquel seront affiliés les assistants maternels et les salariés des particuliers employeurs, par appel d’offres et dans le respect des règles du droit de la concurrence.
Or ce circuit de recouvrement ne peut être mis en œuvre sans intervention du législateur pour permettre à l’APNI de percevoir le produit des cotisations sociales complémentaires collectées par les Urssaf. Elle les reversera ensuite à l’organisme de protection sociale désigné.
Par conséquent, mes chers collègues, en adoptant cette proposition de loi, nous unifierons explicitement dans la loi le mode de recouvrement des cotisations sociales des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs, déjà identique en pratique. Nous autoriserons aussi l’APNI à percevoir le produit des cotisations sociales complémentaires recouvrées par les Urssaf. Enfin, nous maintiendrons les dispositifs Pajemploi et CESU comme guichet unique des employeurs, en y intégrant ce nouveau circuit de recouvrement.
Par leur adhésion obligatoire à ces dispositifs, les particuliers employeurs confieront à l’APNI la charge de recouvrer en leur nom les cotisations sociales complémentaires de santé et de prévoyance de leurs salariés. Certes, l’APNI demeurera une instance d’exercice indirect, via les partenaires sociaux, des droits des particuliers employeurs et de leurs salariés, mais cette forme de représentation est absolument indispensable eu égard à la grande pluralité des acteurs du secteur et doit donc être regardée comme nécessaire et proportionnée à la spécificité de la future branche professionnelle.
La proposition de loi sera applicable à compter du 1er janvier 2022, date à laquelle la convention collective unifiée, actuellement soumise à extension, doit entrer en vigueur.
Au total, mes chers collègues, l’adoption de ce texte me paraît nécessaire dans la perspective de la création de cette nouvelle branche professionnelle unifiée.
Au cours de mes auditions, j’ai eu l’occasion d’échanger avec l’ensemble des acteurs du secteur, des représentants des particuliers employeurs et de leurs salariés aux organismes de recouvrement en passant par l’administration. Ils ont unanimement plaidé en faveur de cette proposition de loi, dont le dispositif, à la fois technique et consensuel, permettra de sécuriser les droits sociaux des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs au sein de la future branche professionnelle unifiée, de conserver un circuit de recouvrement des cotisations sociales complémentaires adapté à l’exigence de simplicité liée à la pluralité et à la fragilité des acteurs du secteur et, enfin, de garantir le respect des prescriptions constitutionnelles et du droit de la concurrence.
Par conséquent, la commission vous propose d’adopter cette proposition de loi sans modification. (Mme Raymonde Poncet Monge et M. Bernard Buis applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte qui nous réunit cet après-midi vient inscrire dans la loi le fruit d’un dialogue social de dix-huit mois, mené entre les organisations représentatives des assistantes maternelles et employées du domicile et leurs employeurs.
En dépit de son article unique et de ses dispositions, ce texte de loi n’est pas uniquement un texte technique : c’est une concrétisation politique qui concernera beaucoup de monde, près de 3 millions de nos concitoyennes et concitoyens selon les chiffres de la Fédération des particuliers employeurs de France (Fepem) : 1,3 million de salariées sont concernées, qu’elles travaillent chez elles, comme les assistantes maternelles – j’emploie le féminin, car ce sont à 98 % des femmes – ou au domicile du particulier employeur pour la garde d’enfants ou pour compenser la perte d’autonomie, l’autre champ majeur du soin couvert par ces métiers.
Nous nous intéressons donc ici aux métiers de la « deuxième ligne », qui sont plus souvent évoqués depuis un an. Ces métiers sont appelés à être davantage valorisés si nous voulons répondre à l’aspiration de nombre de Françaises et de Français à vieillir à domicile et si nous voulons développer les places d’accueil pour les jeunes enfants, afin de permettre une meilleure articulation du temps familial et du temps professionnel. Nous devons nous en donner les moyens.
Jusqu’à présent, ces travailleuses et travailleurs relevaient de deux conventions collectives, celle des assistantes maternelles et celle des salariés du particulier employeur. Ces deux conventions vont désormais fusionner.
Les particularités de ce secteur exigent de nous, parlementaires, une grande attention à l’évolution du cadre social issu des négociations. Le secteur est très atomisé, comme cela a été rappelé lors des auditions et tables rondes organisées par le rapporteur, Martin Lévrier, que je salue et remercie. Le nombre d’heures hebdomadaires à chaque domicile est parfois faible, et les salariées doivent cumuler les employeurs et les lieux de travail, jongler avec les emplois du temps et tenir compte des temps de déplacement.
Il est donc de notre responsabilité de législatrices et législateurs de rester fidèles à l’esprit de la négociation sociale, conscients de la nécessité d’entériner rapidement la création de la structure paritaire.
Cette démarche vise à sécuriser les droits des salariés de la nouvelle convention collective, en matière de cotisations sociales, de santé, de prévoyance et de retraites.
Les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain voteront cette proposition de loi pour consolider ce paysage de protection sociale, rendu obligatoire pour le respect du droit de la concurrence, mais nous serons lucides et vigilants.
Vigilants, d’abord, sur le coût de gestion du nouveau dispositif : la négociation sociale a retenu le format d’une gestion paritaire, gage pour les organisations de salariés et d’employeurs que les frais de structure resteront modérés et transparents.
Lucides, ensuite, sur les lacunes restant à combler afin de compléter la protection de ces métiers. Les organisations syndicales ont recensé plusieurs attentes, comme l’intégration de la collecte des cotisations de santé au travail – autre chantier qui nous attend – ou la lutte contre les impayés de salaires de fin de contrat. Un mécanisme de garantie est attendu, à l’image de ce que le régime de garantie des salaires permet dans l’emploi salarié privé.
Si ces impayés restent faibles dans leurs montants, du fait des restes à charge réduits permis par le versement en tiers payant de la prestation d’accueil du jeune enfant, ils peuvent néanmoins peser sur le budget des assistantes maternelles. Voilà pourquoi il faut réfléchir à des dispositifs, abondés par des fonds publics, permettant de mutualiser la garantie de ces impayés, sans grever le pouvoir d’achat des familles ayant recours à ce mode d’accueil.
D’autres sujets mériteront l’attention renouvelée des parlementaires que nous sommes.
Je pense notamment à la durée quotidienne du travail. Les journées sont souvent très longues pour les assistantes maternelles, entre l’arrivée du premier enfant et le départ du dernier le soir.
Autre sujet, la désignation auprès de Pôle emploi de « référents métier » pour la garde d’enfants au domicile familial et les assistantes maternelles.
Dernier exemple, la possibilité pour une assistante maternelle d’accueillir un ou une stagiaire, afin de faire mieux connaître le métier et former de nouvelles générations.
Mes chers collègues, au-delà de l’adoption de cette proposition de loi, c’est par l’attention constante à ces points d’intérêt que nous parviendrons à valoriser les carrières, à favoriser le recrutement et à rendre ces métiers attractifs, comme le souhaitent leurs représentantes.
C’est ainsi que nous répondrons à l’ambition de la mise en place d’une société de l’attention, une société du soin : pour mieux éveiller les plus jeunes et mieux s’occuper des plus âgés, il faut mieux protéger les métiers du domicile. (Applaudissements sur les travées des groupes SER, CRCE et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Béatrice Gosselin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Béatrice Gosselin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la profession d’assistant maternel existe depuis longtemps sous des appellations différentes. C’est un métier aux lourdes responsabilités qui s’est professionnalisé au fil du temps.
Utilisé pour la première fois dans la loi du 17 mai 1977, le terme d’assistant maternel désigne le professionnel qui obtient un agrément pour accueillir un ou plusieurs enfants avec l’assurance d’un salaire minimum. La loi du 12 juillet 1992 lui donne un véritable statut professionnel et le décret du 27 novembre 1992 précise la base de la rémunération et les formations inhérentes à ce métier. L’assistant maternel exerce sa profession comme salarié de particuliers employeurs.
Ce secteur présente la particularité de regrouper une multitude d’employeurs, estimés à 3,4 millions, qui engagent 1,4 million de salariés, ce qui engendre une grande instabilité professionnelle, chaque salarié changeant d’employeurs de nombreuses fois au cours de sa carrière selon les besoins des familles, des déménagements et de la scolarisation des enfants.
Le secteur du particulier employeur est composé actuellement de deux branches professionnelles : celle des assistants maternels, dont la convention collective date de 2004, et celle des salariés du particulier employeur avec un accord collectif de 1999.
Les employeurs étant souvent non professionnels, il est nécessaire que le mécanisme de déclaration et de paiement des cotisations sociales soit adapté et simplifié pour assurer la protection sociale des salariés.
Pour cette raison, les Urssaf ont mis en place les dispositifs Pajemploi et CESU qui permettent d’assurer, pour le compte de l’employeur, la déclaration du salarié, l’émission des bulletins de salaire, le calcul et le recouvrement de l’ensemble des cotisations.
Les Urssaf reversent ensuite les prélèvements aux caisses et organismes de protection sociale : le groupe Ircem, organisme de protection sociale complémentaire, désigné par les conventions collectives des deux secteurs, et l’Ircem Retraite, membre de la fédération Agirc-Arrco, qui est l’organisme de complémentaire retraite obligatoire pour les salariés du secteur privé.
Dans une décision du 13 juin 2013, le Conseil constitutionnel a estimé que les clauses de désignation des organismes de protection sociale complémentaire de ces salariés privaient les employeurs du libre choix de l’organisme de prévoyance, portant ainsi atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre. Les clauses de désignation ont alors été remplacées par des clauses de recommandation.
Cette liberté de choisir l’organisme de prévoyance entraîne cependant un risque de fragmentation de la protection sociale des salariés, chaque employeur pouvant potentiellement désigner un organisme différent de celui retenu par les autres.
À l’Assemblée nationale, plusieurs députés, dont Annie Vidal, ont pris acte du fait que les assistants maternels et les salariés des particuliers employeurs sont couverts par deux conventions spécifiques. Ils constatent également qu’une réforme générale de la structuration des branches professionnelles a été lancée en 2015 et que la loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels prévoit la fusion des champs d’application de deux branches qui présentent des conditions économiques et sociales similaires. La présente proposition de loi vise à remédier au risque juridique de fragmentation de la protection sociale complémentaire et à réaliser la convergence des deux branches du secteur.
Après dix-huit mois de négociations, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord, le 26 mars dernier, autour d’une convention collective commune, qui prendrait effet le 1er janvier 2022. Pour être en conformité avec les exigences du Conseil constitutionnel, la convention collective ne désigne aucun organisme de prévoyance et confie la gestion du régime de protection sociale à l’association paritaire nationale interbranches (APNI).
Cette association, après avoir lancé une procédure d’appel d’offres respectueuse du droit de la concurrence, désignera l’organisme de protection sociale complémentaire des secteurs d’activité. La présente proposition de loi missionne l’APNI pour recueillir les produits des cotisations sociales, avant de les reverser à l’organisme de prévoyance qu’elle aura désigné.
Dans ce cadre, l’article unique de ce texte modifie le code de la sécurité sociale afin d’unifier explicitement, dans la loi, le recouvrement, déjà unifié dans les faits, des cotisations des deux secteurs professionnels considérés, de désigner l’APNI comme destinataire des cotisations sociales recouvrées par l’Urssaf et d’intégrer ce nouveau circuit aux dispositifs Pajemploi et CESU, qui resteront le guichet unique des employeurs.
Ainsi, cette proposition de loi permet aux salariés des deux secteurs professionnels de conserver un opérateur unique, l’APNI, chargé de collecter les cotisations de prévoyance et de les reverser aux organismes assureurs en respectant les exigences du Conseil d’État, tout en préservant la simplicité des démarches pour les employeurs. Dans l’attente du projet de loi Grand Âge et autonomie, elle sécurise et rend plus attractifs ces emplois d’aide à la personne, qui souffrent actuellement d’un réel déficit.
Le groupe Les Républicains votera donc cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le secteur du service à la personne ne connaît pas la crise.
Les assistants maternels constituent encore le premier mode de garde en France et les demandes d’accompagnement des seniors connaissent une hausse de 25 % depuis l’année dernière. En effet, de plus en plus de familles privilégient, pour prendre en charge la perte d’autonomie d’un proche, le maintien à domicile plutôt que le séjour en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les particuliers employant des aides ménagères et des gardes d’enfant sont également de plus en plus nombreux.
Toutefois, faute d’attractivité, le secteur connaît des difficultés structurelles de recrutement et reste particulièrement touché par le travail dissimulé. Aussi, cette proposition de loi comporte des avancées concrètes pour renforcer l’accès aux droits de ce secteur à fort enjeu social et économique, appelé à se développer dans les années à venir.
Le recouvrement des cotisations sociales des assistants maternels et des salariés employés par des particuliers est centralisé par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss) ou la Mutualité sociale agricole (MSA). Les cotisations de protection sociale complémentaire sont ensuite reversées à l’Ircem.
La mise en place de Pajemploi, en 2004, et du chèque emploi service universel, en 2006, a permis de faciliter les démarches administratives et de limiter les risques de fraude. Ces deux dispositifs ont été renforcés par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2017, afin de faciliter encore la gestion des rémunérations et des cotisations sociales des salariés et d’intégrer le prélèvement à la source.
Le circuit de recouvrement des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs repose actuellement sur deux conventions collectives distinctes, stipulant, pour chacune des branches, les droits et obligations des parties et les modalités relatives au contrat de travail, aux droits supplémentaires au titre de la prévoyance et à la formation.
Une réforme générale des branches professionnelles est engagée en France depuis 2015 pour optimiser l’organisation et le fonctionnement de celles-ci, jugés trop hétérogènes. Il s’agit de passer, au moyen d’un effort de convergence, de plus de 900 branches à 200 branches, afin de renforcer le pouvoir de négociation des salariés et de mutualiser les moyens des branches.
Dans ce cadre, des discussions ont été engagées dès 2018 pour fusionner les branches des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs. À cette fin, il est nécessaire d’harmoniser le cadre juridique organisant les modes de recouvrement des prestations sociales de ces deux branches, en intégrant au circuit de recouvrement la nouvelle association paritaire nationale interbranches pour la mise en œuvre des garanties sociales des salariés.
C’est précisément ce que fait cette proposition de loi.
Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte, qui sécurisera les droits sociaux de plus de 1,4 million de salariés et facilitera les démarches de 3,4 millions d’employeurs.
Cela dit, pour améliorer efficacement l’attractivité du secteur et faciliter les recrutements, nous devons aller plus loin, en augmentant les salaires et en renforçant l’accès à la formation des métiers du lien et de l’accompagnement.
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi se présente d’abord comme un texte d’ajustement technique ; il s’agit, dans le contexte de la convergence vers une convention unique des deux champs conventionnels des assistantes et assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs, de faire droit à l’interdiction des clauses de désignation des organismes de prévoyance par les branches.
La nouvelle convention collective, qui s’appliquera à partir du 1er janvier 2022, devait respecter le droit à la concurrence et ouvrir le choix de l’assureur destinataire des cotisations prévoyance ; à charge ensuite, pour l’organisme retenu, d’assurer les niveaux de garantie arrêtés par la branche envers les salariés, par la mutualisation des risques.
Toutefois, les caractéristiques de ce secteur rendaient inapplicables les droits des salariés en matière de prévoyance, si chaque employeur particulier recourait à un organisme de son choix. Ces caractéristiques font d’ailleurs de ces salariés d’employeurs particuliers des salariés eux-mêmes très « particuliers », qui sont exclus d’une grande partie des droits individuels et collectifs du code du travail.
Chaque salarié de particulier employeur a en moyenne 2,7 employeurs, avec un fort turnover. Dès lors, l’accès à des droits comme la formation professionnelle a été fortement limité.
Aussi, la branche a créé un outil, géré paritairement, destiné à attacher des droits non aux contrats de travail multiples et changeants du salarié, mais au salarié lui-même ; l’APNI a été créée pour cela en décembre 2018. C’est cette association qui organisera, pour le compte des 3,4 millions d’employeurs particuliers – lesquels lui en donnent mandat via le CESU ou Pajemploi –, une mise en concurrence au travers d’un appel d’offres, afin de proposer, dans le cadre d’une clause de recommandation, un organisme de prévoyance.
L’ouverture à la concurrence est donc assurée selon une modalité qui reste particulière, pour ne pas dire « dérogatoire », seule à même de garantir l’effectivité des droits des salariés à la prévoyance.
Dans la mesure où quelques mois nous séparent maintenant de l’entrée en application de la nouvelle convention collective, l’intégration de l’APNI dans le circuit de recouvrement des cotisations sociales complémentaires, objet de la présente proposition de loi, est urgente. Par conséquent, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires votera en faveur du texte, sans déposer d’amendement, afin d’obtenir un vote conforme.
Néanmoins, nous aurions aimé soutenir un amendement tendant à insérer le terme « assistantes » dans le texte, afin de ne pas limiter l’appellation du métier à « assistants maternels ». Est-il encore acceptable que l’intitulé du texte ne mentionne que les assistants maternels et non les assistantes et assistants maternels, s’agissant d’une profession exercée à 97 % ou à 98 % par des femmes ?
Par ailleurs, nous avons entendu l’attente d’autres avancées législatives de la part des organisations syndicales ; cela aurait pu faire l’objet d’amendements. Est ainsi notamment attendue du législateur la création d’un fonds de garantie des salaires comportant un superprivilège pour les créances salariales.
En effet, si, grâce à l’APNI, des droits comme la formation professionnelle, hier, et la médecine du travail, demain, vont être enfin effectifs, si émergent des droits nouveaux, comme la prime de départ à la retraite attachée au salarié sur toute sa carrière et non à son dernier contrat, le retard pris, du point de vue des conditions de travail et de rémunération, est encore manifeste dans ce secteur d’activité, malgré le dialogue social constructif qui a accompagné la négociation de la nouvelle convention. Or ces métiers du « prendre soin », essentiellement féminins, doivent être reconnus à l’aune de leur utilité sociale. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire. (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui concerne deux professions qui relèvent de deux branches professionnelles distinctes.
Ces deux secteurs représentent, pour l’un, 320 000 assistantes maternelles pour plus de 1 million d’employeurs et, pour l’autre, près de 1,4 million de salariés à domicile pour 3,4 millions d’employeurs. Ces personnes assurent des missions variées, telles que la garde d’enfants, l’accompagnement d’adultes dépendants ou en situation de handicap, l’entretien du domicile ou encore la dispense de cours particuliers.
Leur action, essentielle au maintien du lien social dans nos territoires, s’impose par ailleurs comme un levier incontournable de la prévention et du maintien à domicile, dans un contexte de vieillissement d’une population qui souhaite rester à domicile.
Se pose néanmoins la question de l’attractivité de leurs tâches. Celles-ci sont trop souvent déconsidérées et ces salariés sont plus touchés par la précarité.
Ainsi, en permettant de sécuriser les droits sociaux de ces derniers, la présente proposition de loi exprime la reconnaissance que nous devons à toutes celles et à tous ceux qui exercent ces métiers et qui contribuent à la cohésion sociale dans notre pays.
Actuellement, les assistants maternels et les salariés de particuliers employeurs sont couverts par deux conventions collectives spécifiques. Cette situation, qui paraît aujourd’hui obsolète, sera bientôt révolue, à l’occasion de la fusion de deux textes au sein d’un nouveau dispositif conventionnel. Une telle convergence permettra de niveler par le haut les droits des salariés de ces secteurs.
Les enjeux économiques et sociaux de ces secteurs d’activité, qui représentent chaque année 9 milliards d’euros de salaires, appellent en effet une adaptation du circuit de recouvrement des cotisations sociales, afin de garantir l’effectivité des droits des salariés.
La présente proposition de loi vise donc à accompagner cette restructuration, en centralisant et en simplifiant la collecte des droits sociaux auprès d’un opérateur unique.
En effet, les assistants maternels et les salariés des particuliers employeurs se trouvent actuellement confrontés à un risque de fragmentation de leur protection sociale complémentaire. Ces clauses de recommandation fragilisent la garantie des droits des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs.
C’est pourquoi le texte d’aujourd’hui confie la gestion du régime de protection sociale complémentaire des assurés à la nouvelle association paritaire nationale interbranches, chargée de recueillir le produit des cotisations sociales complémentaires collectées, en son nom, par les organismes de recouvrement.
Cette proposition de loi conservera utilement le circuit de recouvrement des cotisations sociales complémentaires le mieux adapté à l’exigence de simplicité liée à l’atomicité et à la précarité des acteurs du secteur.
Pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE se prononcera favorablement sur cette proposition de loi.
Néanmoins, face au futur défi démographique, le projet de loi, très attendu, sur le grand âge et l’autonomie devra répondre aux attentes de ce secteur. Si le statut d’indépendant est à valoriser, l’information sur les formations dont peuvent bénéficier ces salariés ainsi que sur les mutuelles santé auxquelles ils ont droit doit être rendue effectivement accessible.
De même, le maintien du revenu en fin de mission auprès des personnes âgées ou des familles doit être assuré à ces « intermittents du social ».
Au-delà, c’est le glissement d’un système bismarckien vers un système beveridgien qui est attendu, afin d’alléger les charges pesant sur le travail en les transférant à l’ensemble des revenus. Donc, encore un petit effort, mesdames, messieurs du Gouvernement… (Applaudissements sur les travées du groupe du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la pandémie a mis en lumière la situation particulière des salariés du travail à domicile, qui jouent un rôle primordial dans la vie quotidienne de nos concitoyens.
Les assistants et les assistantes maternels, ainsi que les salariés à domicile, connaissent une très grande précarité. Quant au secteur de l’aide à domicile, les salaires y sont très faibles, puisque 17 % des aides à domicile, majoritairement des femmes, vivent sous le seuil de pauvreté. Ils connaissent généralement une accumulation de petits contrats de travail, en horaires fractionnés, et de sous-traitance en cascade, qui ont de lourds impacts sur la santé et sur la vie familiale.
La présente proposition de loi tire les conséquences de la fusion de la branche professionnelle des assistants maternels et de celle des salariés de particuliers employeurs, branches couvrant 1,4 million de personnes, principalement des femmes, je viens de le souligner. Il est d’ailleurs intéressant d’observer que l’intitulé de la proposition de loi, tout comme l’exposé des motifs, contribue toujours à l’« invisibilisation » des femmes, en mentionnant les « assistants maternels », alors que les femmes représentent plus de 98 % des effectifs de cette profession.
Le texte centralise et simplifie la collecte des cotisations pour les droits sociaux des assistantes et assistants maternels et des salariés de particuliers employeurs, ce que les organisations syndicales et patronales soutiennent.
Je profite de l’examen de cette proposition de loi pour souligner que, si la crise sanitaire a rappelé l’utilité sociale de ces métiers, qui ont été en première ligne durant les confinements, il est urgent de mieux rémunérer leurs activités à forte valeur sociale ajoutée. Chaque jour, les aides à domicile se lèvent tôt et parcourent des dizaines de kilomètres pour nourrir, soigner, laver et approvisionner nos aînés qui souhaitent vieillir chez eux.
Ces salariés sont d’autant plus nécessaires et essentiels que, dans dix ans, la France comptera 21 millions de personnes de plus de 60 ans, soit 3 millions de plus qu’aujourd’hui, selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Pourtant, la profession d’aide à domicile reste très largement déconsidérée, avec un salaire moyen de 900 euros nets.
Pour y remédier, la ministre déléguée auprès du ministre des solidarités et de la santé, chargée de l’autonomie, Brigitte Bourguignon, avait annoncé, le 1er avril dernier, une revalorisation salariale de 13 % à 15 %, soit d’environ 300 euros nets par mois, dès le mois d’octobre 2021. Nous nous en réjouissons, mais, en réalité, cette annonce ne concerne que les personnels de secteur associatif, soit la moitié des 300 000 professionnels du secteur ; les 160 000 salariés des secteurs privé et public s’estiment donc oubliés et discriminés.
Ainsi, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement doit intervenir, d’une part, pour trouver un accord avec le secteur privé de l’aide à domicile, afin de revaloriser les salaires et d’améliorer les conditions de travail et, d’autre part, pour revaloriser l’indice du personnel public de l’aide à domicile. Cette hausse des salaires des aides à domicile devra se faire sans considération du statut de l’employeur ; le saupoudrage de primes exceptionnelles, au bon vouloir des employeurs, ne saurait être une réponse satisfaisante.
Je n’oublie pas les assistantes et assistants maternels ; l’exercice de leur métier est devenu, avec les impératifs sanitaires, un casse-tête, d’autant que le Gouvernement a publié, le 19 mai dernier, une ordonnance sur les services aux familles, qui, en particulier, révise la gouvernance des politiques locales d’accueil du jeune enfant et le cadre du métier d’assistant maternel.
L’expérimentation, par les collectivités locales et les caisses d’allocations familiales, de guichets uniques des services aux familles doit s’accompagner d’un renforcement des moyens alloués aux départements et à la branche famille de la sécurité sociale. Par conséquent, nous avons hâte, monsieur le secrétaire d’État, d’examiner le prochain budget de la sécurité sociale, afin de retrouver le financement de ces différentes mesures.
En attendant, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera en faveur de cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 26 mars dernier, à la suite d’un riche dialogue social, que nous pouvons saluer, les partenaires sociaux de la branche des salariés de particuliers employeurs et de la branche des assistants et assistantes maternels ont signé la mise en place d’une convention collective nationale unique. Cette convention a été signée par cinq organisations syndicales représentatives sur six et elle entrera en vigueur le 1er janvier 2022.
Cette nouvelle convention collective couvre 3,4 millions de particuliers employeurs et 1,4 million de salariés, dont 304 000 assistantes maternelles. En Mayenne, cela concerne plus de 18 000 particuliers employant 6 150 salariés. Précisons enfin que 90 % des salariés de particuliers employeurs et 97 % des assistants maternels sont des femmes. On pourrait donc écrire ce texte au féminin !
À la suite de cette fusion, la présente proposition de loi vise, d’une part, à sécuriser la collecte des cotisations de protection sociale complémentaire et, d’autre part, à simplifier les démarches administratives des employeurs, tout en garantissant l’effectivité des droits pour les salariés.
Si le sujet peut paraître, à première vue, technique, le replacer dans son contexte permet de mieux en saisir les enjeux. Je veux d’ailleurs remercier notre rapporteur d’y avoir contribué, au cours des auditions.
En sécurisant les droits sociaux de ces salariés, la présente proposition de loi fait un premier pas vers la reconnaissance que nous devons à celles et à ceux qui exercent ces métiers du lien et de l’accompagnement des personnes. En effet, nous parlons ici de professions trop souvent déconsidérées, la crise sanitaire l’a révélé cruellement.
Lors du dernier confinement, les assistants et assistantes maternels ont été traités de manière quelque peu désinvolte, avouez-le. Devaient-ils maintenir leur activité ou non ? Ils sont restés pendant quelques jours dans le flou total, car la réponse n’est pas venue tout de suite, c’est le moins que l’on puisse dire…
Durant l’année écoulée, ils ont travaillé la peur au ventre, avec le risque de contaminer ou d’être contaminés, une incompréhension grandissante face aux règles sanitaires à appliquer et en l’absence de reconnaissance de leur fonction essentielle, alors qu’ils étaient en première ligne. Près de six enfants sur dix – faut-il le rappeler ? – sont aujourd’hui accueillis par des assistantes maternelles, dont la mobilisation a été essentielle pour la garde des enfants des professionnels prioritaires.
Rappelons également le rôle pivot que jouent les salariés de particuliers employeurs dans la prévention et dans le maintien à domicile de personnes âgées, dans un contexte de vieillissement de la population. Pourtant, ces professionnels subissent trop souvent des emplois à temps partiel, avec des salaires souvent inférieurs au SMIC – le salaire moyen a été indiqué précédemment par notre collègue Laurence Cohen –, et des temps d’intervention de plus en plus millimétrés, auxquels il faut ajouter des risques supérieurs d’accident ou de maladie professionnels ou encore la fragilité économique de certains de leurs employeurs.
Selon le rapport El Khomri de 2019, les besoins d’accompagnement à domicile vont considérablement augmenter : en 2025, nous compterons 1 million de personnes âgées supplémentaires, dont 100 000 de plus en situation de perte d’autonomie. Quelque 93 000 postes supplémentaires devront être créés entre 2020 et 2024 pour y faire face et, pour pourvoir les postes vacants, 260 000 professionnels devront être formés sur la même période. Ces chiffres nous ont donné le vertige !
Or la rapporteure de la présente proposition de loi à l’Assemblée nationale, Mme Annie Vidal, que j’ai pu rencontrer, comme certains d’entre vous, le rappelle : « Le nombre des salariés diminue de 1 % chaque année et leur moyenne d’âge est de 46 ans contre 41 ans pour ensemble de la population active. Ainsi, le secteur devra faire face à 700 000 départs à la retraite ici à 2030. »
L’examen du projet de loi Grand Âge et autonomie – il vient d’être débaptisé, on l’a vu dans la presse, puisqu’il va s’intituler « projet de loi pour les générations solidaires » – ne peut plus être repoussé, monsieur le secrétaire d’État. Je remercie Mme la ministre Brigitte Bourguignon d’avoir montré cette volonté, lors de son audition devant la commission des affaires sociales.
Je souhaite maintenant dire quelques mots sur le dialogue social qui s’est tenu depuis plus d’un an.
L’accord du 19 décembre 2019 entre les deux branches a conduit à la création d’une nouvelle association paritaire nationale interbranches, l’APNI. Cette association paritaire, qui agit au nom des employeurs, renforce l’accès à la formation pour les salariés concernés. Cela est particulièrement bienvenu dans une logique d’acquisition des compétences et de construction à terme de parcours professionnels plus dynamiques.
La nouvelle convention collective acte l’instauration d’une prime de départ à la retraite et l’accès à des activités sociales et culturelles. Cela contribue à relancer l’attractivité du secteur.
Enfin, afin de remédier à l’isolement des salariés, le droit syndical en ressort consolidé.
Je dirai pour conclure que, même si elle ne révolutionne pas le secteur des métiers du domicile, nous pouvons reconnaître certains mérites à cette proposition de loi. Ultime étape d’un dialogue social riche, elle a su s’inspirer de ce qu’ont déjà mis en place les partenaires sociaux. Elle sécurise la collecte des cotisations sociales complémentaires, préserve la simplicité pour les employeurs et garantit l’effectivité des droits pour les salariés.
Ainsi, le groupe Union Centriste votera en faveur de ce texte, tout en renouvelant son appel à rendre possible l’examen, d’ici à la fin du quinquennat, du projet de loi Grand Âge et autonomie ; les métiers du domicile méritent une loi à la hauteur de leur engagement ! (Applaudissements sur les travées des groupes UC, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés de particuliers employeurs a été adoptée à l’unanimité, le 18 mars dernier, à l’Assemblée nationale.
Ce texte de la députée Annie Vidal s’inscrit dans le cadre de la réforme générale de la structuration des branches professionnelles lancée en 2015 et des efforts de simplification et de convergence entre les deux branches du secteur des particuliers employeurs.
Le 26 mars dernier, les organisations syndicales et la Fédération des particuliers employeurs de France ont conclu un nouvel accord collectif, qui s’appliquera le 1er janvier 2022 ; l’article unique de cette proposition de loi en découle.
Il vise à unifier et à adapter au droit de la concurrence le circuit de recouvrement des cotisations complémentaires, prenant ainsi acte de la décision du Conseil constitutionnel de juin 2013 et des difficultés que ferait planer sur le bon fonctionnement de ce système l’existence, pour les salariés de particuliers employeurs et les assistants maternels, de plusieurs organismes complémentaires.
Rappelons-le, à ce stade, 56 % des salariés de particuliers employeurs ont au moins deux employeurs. Vous avez, monsieur le rapporteur Lévrier, très bien décrit cela précédemment, je n’y reviendrai donc pas.
Pour préserver la simplicité des démarches, la proposition de loi consacre un nouveau circuit de collecte des cotisations sociales au titre de la protection complémentaire, en ajoutant, à l’article L. 133-7 du code de la sécurité sociale, la mention des assistants maternels, dans les conditions dans lesquelles sont recouvrées les cotisations sociales dues au titre des rémunérations versées aux salariés de particuliers employeurs.
L’article L. 133-5-7 précisera que le CESU ou Pajemploi peuvent être utilisés pour déclarer et payer les cotisations collectées par l’APNI, afin de sécuriser le dispositif et son intégration dans le circuit de recouvrement.
Ce texte, quoique court et technique, n’en demeure pas moins d’une importance réelle pour les 300 000 assistantes et assistants maternels et les 900 000 salariés de particuliers employeurs dont il s’agit de sécuriser les droits à protection sociale.
Important, ce texte l’est également pour notre pays.
En premier lieu, sur dix enfants de moins de trois ans, six sont gardés par des assistants maternels, le plus souvent à leur domicile, ce qui en fait de loin le premier mode de garde de jeunes enfants en France.
En second lieu, les salariés de particuliers employeurs travaillent principalement au service de personnes âgées et de personnes en perte ou en manque d’autonomie et l’on mesure chaque année un peu plus le rôle croissant que ce secteur occupera dans les années à venir, en raison du vieillissement de la population, notamment dans les outre-mer.
En troisième lieu, enfin, 90 % des salariés de particuliers employeurs et 97 % des assistants maternels sont des femmes et l’on sait la précarité qui touche souvent ces dernières.
Consciente de la qualité du dispositif retenu, grâce notamment au travail de la députée Annie Vidal et de l’accueil très favorable qui lui a été réservé par les acteurs de ce secteur, la commission des affaires sociales du Sénat, suivant l’avis du rapporteur Martin Lévrier, a adopté ce texte conforme.
Le groupe RDPI votera donc sans surprise cette proposition de loi, qui garantit un peu plus les droits des assistants maternels et des salariés de particuliers employeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs.
Les missions de ces derniers sont variées : la garde d’enfants, l’accompagnement d’adultes dépendants ou en situation de handicap ou encore l’entretien du domicile.
Ce texte, assez technique, vise à garantir les droits à la protection sociale de ces professions encore insuffisamment valorisées et mal rémunérées.
Pourtant, le service de ces personnes est irremplaçable – nous l’avons vu pendant la crise sanitaire sur notre territoire, auprès des personnes âgées, mais aussi des familles et enfants. Je rappelle que l’accueil individualisé dans un cadre familial est le mode de garde préféré des parents.
Le secteur de l’emploi à domicile comprend 1,3 million de salariés et assistants maternels – 900 000 salariés de particuliers employeurs et 300 000 assistants maternels – auprès de 3,4 millions d’employeurs. Économiquement, ces métiers représentent 9 milliards d’euros de salaires nets versés et 3 milliards d’euros de cotisations en 2019.
Cette proposition de loi tire les conséquences de la restructuration des branches professionnelles des salariés de particuliers employeurs et des assistantes maternelles. Ces branches professionnelles doivent fusionner leurs champs conventionnels au premier trimestre de cette année.
Ce texte sécurise le circuit de recouvrement des cotisations pour le financement des garanties de protection sociale complémentaire prévoyance. L’association paritaire nationale interbranches (APNI), créée en 2018 pour la formation, en deviendra le collecteur unique.
Il est ainsi prévu un reversement par le CESU et par Pajemploi des cotisations collectées au titre de la prévoyance à l’APNI, charge à celle-ci de reverser ces cotisations aux organismes assureurs. La branche devra sélectionner, le cas échéant, le ou les organismes assureurs.
Du fait du vieillissement de la population, les besoins d’accompagnement des personnes à domicile vont augmenter considérablement dans les dix prochaines années. Or le nombre de salariés diminue de 1 % chaque année et leur moyenne d’âge est de 46 ans contre 41 ans pour l’ensemble de la population active.
Ainsi, le secteur devra faire face à 700 000 départs à la retraite d’ici à 2030. Un rapport récent – il date de 2019 – sur le plan de mobilisation nationale en faveur de l’attractivité des métiers du grand âge 2020-2024 soulignait les besoins en recrutement dans ces métiers. Quelles seront les conséquences pour toutes ces familles et personnes dépendantes ?
Cet enjeu nous amène à nous poser la question de la place que nous voulons leur donner dans notre société, notamment lorsque nous mesurons les chiffres très préoccupants de la baisse de la natalité, soulignée récemment dans un rapport sur l’avenir de la population française.
La dégradation de la natalité peut être liée au démantèlement de la politique familiale par François Hollande, notamment par l’affront infligé aux bénéficiaires du quotient familial.
Nous devons donc refonder une politique familiale ambitieuse et pragmatique. Relevons le plafond du quotient familial, créons des structures pour l’accueil des plus petits, et sortons de la précarité les assistantes maternelles dont le travail est indispensable pour faciliter au quotidien l’accueil de l’enfant dans notre société ! Permettez-moi de rappeler, par ailleurs, qu’en temps de crise, la famille, cellule de base de notre société, est le meilleur des boucliers.
Pour revenir au texte d’aujourd’hui, l’article unique de cette proposition de loi modifie le circuit de recouvrement des cotisations sociales complémentaires des salariés des particuliers employeurs et des assistants maternels, en y intégrant une association paritaire chargée de la collecte, de la centralisation et de la gestion des cotisations au titre de la protection sociale complémentaire, afin de sécuriser les droits de ces salariés.
Lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale, la nécessité d’agir sur l’attractivité de ces métiers a été exprimée sur tous les bancs. Ce texte n’y répond que très partiellement, mais c’est un premier pas. Par conséquent, le groupe Les Républicains votera en sa faveur. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs
Article unique
(Non modifié)
I. – Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° Le 1° de l’article L. 133-5-7 est complété par les mots : « et les cotisations collectées pour le compte de l’association paritaire mentionnée au deuxième alinéa de l’article L. 133-7 » ;
2° L’article L. 133-7 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « travail », sont insérés les mots : « ou à l’article L. 421-1 du code de l’action sociale et des familles » ;
b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
– les mots : « institutions mentionnées au livre IX » sont remplacés par les mots : « organismes de retraite complémentaire des salariés mentionnés à l’article L. 921-4 du présent code et l’association paritaire chargée, par convention ou accord collectif étendu, de la collecte des cotisations dues aux organismes assureurs au titre du financement des garanties mentionnées à l’article L. 2221-3 du code du travail » ;
– les mots : « qui leur sont dues » sont supprimés.
II. – Le I entre en vigueur le 1er janvier 2022.
Le 1° du I s’applique aux adhésions aux dispositifs simplifiés de déclaration et de recouvrement mentionnés à l’article L. 133-5-6 du code de la sécurité sociale en cours à cette même date.
M. le président. Je vais mettre aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi.
Je rappelle que le vote sur l’article vaudra vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble de la proposition de loi visant à sécuriser les droits à protection sociale des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs.
(La proposition de loi est adoptée définitivement.) – (Applaudissements.)
6
Accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, visant à améliorer l’accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques (proposition n° 291 [2019-2020], texte de la commission n° 613, rapport n° 612).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, « Aucune personne ne peut […] faire l’objet d’une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, […] en raison de son état de santé, de sa perte d’autonomie ou de son handicap […]. »
Ce principe, le code du travail le garantit expressément et donne une traduction concrète à l’égalité et au droit à l’emploi tels que les consacre notre Constitution. Pourtant, une partie de nos concitoyens ressentent ou vivent encore des discriminations sur le marché du travail en raison de leur état de santé.
Selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) datant de 2017, 1 million à 2 millions de salariés seraient concernés par un risque de désinsertion professionnelle en raison d’une maladie chronique – ce qui représente de 5 % à 10 % des salariés de notre pays.
Ce chiffre pourrait augmenter à l’avenir, dans un pays où le nombre de personnes atteintes de maladies chroniques devrait passer de 15 % de la population active aujourd’hui, à 25 % en 2025. Au-delà de ces chiffres, il y a aussi et surtout des expériences et des vécus confrontés aux obstacles professionnels, qui viennent s’ajouter à l’épreuve de la maladie.
Ces obstacles sont multiples et concernent tout aussi bien l’accès à l’emploi – avec des refus d’embauche consécutifs à l’annonce de la maladie – que le maintien en emploi, avec des refus de mettre en place des aménagements raisonnables. Ils peuvent intervenir à la fois dans l’emploi traditionnel, mais aussi lors d’une recherche de stage ou de formation.
Il en résulte parfois une sortie anticipée du marché du travail, qui ajoute aux problèmes de santé des difficultés économiques, sociales et financières. Ainsi, près d’un tiers des personnes atteintes d’un cancer ont perdu ou quitteront leur emploi dans les deux ans qui suivent le diagnostic.
Le sentiment d’épreuve ou de discrimination intervient particulièrement pour les personnes diabétiques. En effet, comme vous le savez, celles-ci représentent plus de 3,3 millions de nos concitoyens. Face à cette situation, il nous appartient de faire appliquer l’égalité des droits le plus strictement possible, le cas échéant en adaptant notre cadre juridique.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui apporte une première réponse, en enclenchant une dynamique d’évaluation de l’ensemble des textes qui encadrent l’accès au marché du travail.
Cette évaluation est indispensable pour identifier les restrictions d’accès qui n’ont plus de justification aujourd’hui, par exemple grâce aux progrès thérapeutiques, et les distinguer de celles qui doivent être maintenues au regard des risques et des exigences associés à un poste de travail.
Plusieurs statuts particuliers de la fonction publique imposent aujourd’hui des conditions spécifiques d’aptitude physique – je pense notamment aux militaires et policiers, aux sapeurs-pompiers, aux douaniers et aux surveillants pénitentiaires. D’autres restrictions sont également prévues dans le domaine des transports, concernant notamment le personnel navigant, le contrôle aérien, la sécurité ferroviaire ou l’aviation civile.
Dans plusieurs situations, ces restrictions découlent directement du droit européen et s’imposent donc en l’état. Pour d’autres, c’est notre droit national qui a défini des conditions d’aptitude en lien avec les exigences ou dangers associés à certaines fonctions.
Le Gouvernement apporte donc son soutien à la démarche engagée par les auteurs de cette proposition de loi, qui permettra d’actualiser l’état de nos connaissances et de notre droit pour chaque restriction. Certaines restrictions conserveront leur justification et n’auront pas vocation à disparaître. D’autres apparaîtront comme obsolètes et justifieront l’adaptation des textes.
Ce soutien du Gouvernement fut d’ores et déjà exprimé lors de l’examen de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, en janvier 2020, sur l’initiative du groupe AGIR. Je saisis l’occasion pour saluer le travail de la rapporteure de l’Assemblée nationale, Mme Agnès Firmin Le Bodo et adresser un salut amical à Muriel Pénicaud, qui exprima alors le soutien du Gouvernement.
Nos discussions se poursuivent désormais dans cet hémicycle, dans la continuité des débats menés la semaine dernière en commission des affaires sociales.
Plusieurs modifications ont été apportées sur l’initiative de votre rapporteur, M. Xavier Iacovelli, dont je salue l’engagement et l’investissement sur ce texte important pour le groupe RDPI.
Nous nous rejoignons d’ailleurs sur l’essentiel : encadrer la durée de vie du comité d’évaluation, garantie d’efficacité s’agissant d’une mission précise et de la gestion d’un stock plutôt que d’un flux ; assurer la parité de ce comité ; revoir le cadre du rapport qui devra être transmis au Parlement par ce comité, et non plus par le Gouvernement, comme gage d’indépendance ; supprimer le renvoi à une campagne de communication, qui a évidemment des justifications, mais ne relève pas du domaine de la loi.
De manière plus structurante, le Gouvernement soutient l’élargissement de l’approche proposée par le rapporteur, afin de viser l’ensemble des personnes concernées par des conditions de santé particulières. Il ne s’agit évidemment pas de méconnaître la spécificité des maladies chroniques ni, en leur sein, du diabète, mais bien de couvrir l’ensemble des situations marquées par des problèmes de santé qui ont une répercussion sur la vie professionnelle.
L’Assemblée nationale avait procédé à une première extension du périmètre du texte en passant des seules personnes atteintes de diabète à l’ensemble des personnes atteintes de maladies chroniques.
M. René-Paul Savary. Très bien !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Le Gouvernement soutiendra la démarche du rapporteur, qui élargit de nouveau ce périmètre en incluant l’ensemble des personnes marquées par des problèmes de santé.
Nous devrons néanmoins garder une attention renforcée pour certains publics, en particulier les personnes diabétiques et leurs associations, qui ont exprimé de fortes attentes – je sais qu’elles ont été aussi entendues sur ces travées.
L’article 2, enfin, est celui qui a été le plus substantiellement modifié. Je souhaite ici apporter une précision sur la portée de la nouvelle rédaction issue des travaux de la commission. Elle cible le critère de proportionnalité entre les restrictions d’accès à une profession et l’état de santé du travailleur. Or le droit européen et notre code du travail renvoient à davantage de critères pour ces différences de traitement, qui doivent être objectives, nécessaires et appropriées. Ces différents critères ne s’effaceront pas et continueront bien à s’appliquer : aucune ambiguïté ne doit subsister sur ce point.
Au-delà de ces éléments plus ponctuels, je suis certain que nous saurons tous nous retrouver, Gouvernement et Parlement, sur un objectif clair : lutter contre les discriminations en garantissant l’accès de tous au marché du travail.
C’est à ce titre que le Gouvernement soutiendra, comme il l’a fait à l’Assemblée nationale, cette proposition de loi. (Mme Colette Mélot applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Comment imaginer, en 2021, que je représente un risque en étant cuisinier dans l’armée ? Comment accepter que je ne puisse pas être médecin dans la police, alors que j’ai des amis médecins diabétiques qui travaillent dans les hôpitaux ?
« Comment accepter que je ne puisse pas être moniteur d’équitation, linguiste, secrétaire, brancardier, agent de restauration, géographe, mécanicien, maître-chien, magasinier ou contrôleur de train ?
« Qui est cet expert fou qui a pu imaginer que la couleur d’un uniforme pouvait augmenter les risques liés à nos pathologies ? »
Ces mots sont ceux du jeune Hakaroa Vallée, 16 ans, lors de son audition par la commission des affaires sociales, le 11 mai dernier. Ce jeune homme, diabétique de type 1, a mené un combat formidable contre les discriminations à l’embauche depuis près de trois ans. À 13 ans, il a traversé la France à vélo et à pied et s’apprête, le 24 juin prochain, à réitérer cet exploit pour prouver que ces discriminations sont aujourd’hui absurdes et nécessitent que notre droit évolue.
Il est aujourd’hui parmi nous, en tribune, accompagné de ses parents, et je souhaite lui rendre hommage au nom de notre assemblée, car c’est en grande partie grâce à lui que nous examinons ce texte.
Hakaroa n’est pas le seul à subir ces discriminations. Ils sont en réalité 20 millions à les subir. Ils sont 20 millions de Français à ne pas pouvoir accéder à tous les métiers, à subir une double peine, et dont les rêves ne peuvent être réalisés.
Rappelons, à cet égard, qu’en l’Irlande, au Canada, au Royaume-Uni et aux États-Unis, les malades atteints de diabète peuvent être pilotes de ligne. Chez nos voisins espagnols, le diabète a même été supprimé de la liste des maladies empêchant de postuler à un emploi public.
La proposition de loi que nous examinons porte sur l’accès à certaines professions de personnes atteintes de maladies chroniques. Elle a été étudiée par l’Assemblée nationale et transmise au Sénat en janvier 2020. Je remercie mon groupe, le Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, d’avoir demandé son inscription à l’ordre du jour et de permettre de débattre aujourd’hui de ce texte.
Comme de nombreux collègues le mentionneront certainement, nous sommes nombreux, élus locaux et sénateurs, à être sollicités par des habitants de nos territoires, ou plus souvent encore par des associations, sur des discriminations fondées sur l’état de santé. Nous ne pouvons ignorer ces cas qui sonnent comme autant d’injustices et d’espoirs professionnels qui ne peuvent se concrétiser.
Notre expérience collective de terrain est confirmée par les nombreuses saisines de la Défenseure des droits. En 2020, près de 11 000 saisines étaient motivées par une discrimination fondée sur l’état de santé. Parmi ces nombreuses situations, reviennent souvent les restrictions constatées dans l’accès à certains emplois et certaines formations pour les personnes atteintes de maladies chroniques.
Un rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE) estimait, en 2019, que 25 % de la population sera atteinte d’une maladie chronique à l’horizon de 2025. L’inclusion des personnes atteintes de maladies chroniques n’est donc pas un sujet marginal, mais bien un enjeu incontournable du monde du travail dans notre pays.
Or l’accès à certains emplois est subordonné à la satisfaction de critères de santé particuliers qui, de fait, excluent nombre de personnes atteintes de pathologies chroniques. Ces restrictions sont constatées dans certains secteurs d’activité, comme les transports avec des conditions particulières d’aptitude dans l’aviation ou la sûreté ferroviaire.
Elles sont aussi présentes dans certains emplois publics, comme la police nationale, et particulièrement signalées dans les armées. Ces conditions requises sont liées à des impératifs particuliers de sécurité et de santé, mais force est de constater que celles-ci ne sont pas toujours justifiées.
Les associations se battent pour que l’accès à ces emplois soit plus ouvert, en tenant compte de l’état réel de la personne et des traitements possibles pour compenser les éventuelles conséquences des pathologies chroniques. Je pense, par exemple, aux pompes à insuline de nouvelle génération qui permettent d’anticiper les crises d’hypoglycémie, et donc d’éviter les malaises.
Je souhaite saluer ici l’engagement des associations de malades, notamment la Fédération française des diabétiques, qui agissent au quotidien sur ce sujet et remercier notre collègue députée Agnès Firmin Le Bodo, dont je connais l’engagement, d’avoir pris l’initiative de déposer cette proposition de loi.
En tant que rapporteur de la commission des affaires sociales, j’ai souhaité renforcer la portée normative de ce texte, pour augmenter son impact. Il s’agit de faire avancer le droit là où cela est possible et de contraindre les employeurs publics et privés à se poser régulièrement la question de la pertinence et de la justification des restrictions éventuelles.
Concernant l’article 1er, qui crée un comité d’évaluation des textes réglementant l’accès à certaines professions, la commission a émis des réserves, car une telle disposition ne relève pas du domaine de la loi. J’estime néanmoins que ce comité pourra produire un travail utile de recensement des textes applicables et d’évaluation de leur pertinence au regard des fonctions exercées et traitements possibles.
La commission a adopté cinq amendements. Elle a notamment voulu limiter l’action de ce comité à trois ans pour le contraindre à agir rapidement et efficacement : le comité doit pouvoir formuler des recommandations et évaluer les suites qui y seront données dans les meilleurs délais.
Nous avons également, suivant la doctrine du Sénat en matière de présence des parlementaires dans des comités extra-parlementaires, supprimé leur présence au sein de ce comité.
L’article 2 est le cœur de la proposition de loi. La rédaction transmise comprenait un I qui portait un principe de non-discrimination repris du code du travail, appliqué aux maladies chroniques et un I bis concédant immédiatement la possibilité de restrictions.
La conjugaison des deux donnait un schéma peu opérant se bornant, selon moi, au droit existant. La commission a ainsi choisi de récrire cet article. La nouvelle rédaction permet de mieux encadrer les restrictions éventuellement admises en rappelant le principe de proportionnalité consacré par la jurisprudence.
Elle insiste surtout sur le fondement que ces restrictions doivent nécessairement satisfaire : les conditions de santé particulières exigées doivent être justifiées par la santé et la sécurité de la personne ou des tiers. Il s’agit d’apprécier les fonctions accessibles et les sujétions éventuellement liées aux postes.
Nous avons également choisi de retenir la notion de « conditions de santé particulières requises » et non de viser les maladies chroniques, juridiquement insuffisamment définies.
Enfin, nous avons souhaité inscrire la prise en compte des traitements possibles et les moyens de compensation du handicap dans l’appréciation de l’état de la personne.
Concernant les textes réglementaires, plutôt qu’une grande révision d’ici à deux ans, la commission a préféré inscrire un principe d’actualisations régulières selon l’évolution de la science et des réalités opérationnelles des emplois. Cette nouvelle rédaction me semble de nature à satisfaire l’intention des auteurs de ce texte, tout en rendant cet article opérationnel et juridiquement plus sûr.
Tenant compte de la rédaction nouvelle de l’article 1er, la commission a supprimé la demande de rapport au Gouvernement à l’article 3.
Enfin, la commission a choisi de ne pas adopter l’article 4 prévoyant une campagne d’information. Je n’étais personnellement pas favorable à cette suppression, mais je sais que nous y reviendrons au cours de ce débat.
Le Gouvernement est mobilisé sur ce sujet qui touche près de 20 millions de nos concitoyens. Ainsi, une mission de l’inspection générale des affaires sociales, sous la double tutelle du ministère de la santé et du ministère du travail a été lancée en avril dernier. Des engagements clairs doivent être pris et l’examen de cette proposition de loi en est l’occasion.
Elle permettra, je l’espère, d’accélérer le processus qui est aujourd’hui mis en œuvre, afin de combattre efficacement les discriminations qui pèsent sur nos concitoyens en raison de leur état de santé.
C’est de notre pacte social, chers collègues, qu’il est aujourd’hui question. Il nous revient d’envoyer un message fort à nos concitoyens victimes de ces discriminations, aux associations qui œuvrent chaque jour à leurs côtés, aux jeunes qui, comme Hakaroa, rêvent de pouvoir choisir leur futur métier sans limite inopportune. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI, UC et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Christian Klinger. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christian Klinger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, « Fais de ta vie un rêve, et d’un rêve, une réalité » disait l’écrivain et aviateur Antoine de Saint-Exupéry.
Malheureusement, en France, ce qui empêche parfois les rêves d’enfants de se réaliser, ce sont des réglementations obsolètes et dénuées de tout bon sens. Comme nombre d’entre vous, j’ai été interpellé sur les difficultés que rencontrent dans leur vie professionnelle les personnes atteintes de maladies chroniques, notamment de diabète.
J’ai notamment reçu une sollicitation d’un jeune homme de ma circonscription, Justin, âgé de 23 ans, depuis toujours fasciné par le milieu de l’aviation. Son rêve, depuis le collège, est de devenir contrôleur aérien. Après un parcours exemplaire et la réussite au concours de l’École nationale de l’aviation civile de Toulouse, il touchait au but et allait être diplômé en juillet 2021.
Hélas, la maladie et l’application d’une réglementation obsolète viennent briser ce rêve. Justin a été diagnostiqué, du jour au lendemain, diabétique de type 1 et a été déclaré inapte par son école, en application des réglementations en vigueur. Il a perdu le certificat médical de classe 3, nécessaire pour exercer le métier de contrôleur aérien. C’est la double peine : en plus de la maladie, il doit affronter cette injustice qui remet en cause l’ensemble de son projet professionnel.
J’ai fait part de cette situation à la direction générale de l’aviation civile (DGAC) en demandant une évaluation médicale spécifique du cas de ce jeune homme.
Quatre mois plus tard – c’est le délai de réponse –, la DGAC m’a répondu que le métier de contrôleur aérien était régi par un décret datant de 1990, qui dispose dans son article 17 que la perte de cette aptitude médicale de classe 3 empêche la titularisation dans le corps des contrôleurs aériens.
Justin ne peut même pas poursuivre la formation normalement, en salle de contrôle, avec ses camarades ; il doit effectuer le reste de la formation sur simulateur !
Dans la France de 2021, nous gérons donc ces situations particulières avec un décret et des réglementations qui datent de 1990. C’est kafkaïen et c’est « l’Absurdistan » dans toute splendeur, monsieur le secrétaire d’État ! On a brisé le rêve d’enfant de Justin et c’est totalement injuste et infondé aujourd’hui.
En effet, en trente ans, beaucoup de choses ont changé pour les diabétiques et les personnes atteintes de maladies chroniques. Grâce à la pompe à insuline, à l’autosurveillance glycémique et à diverses innovations médicales, il est possible de gérer convenablement le diabète. La médecine a progressé, la réglementation doit donc aussi évoluer et s’adapter aux innovations médicales !
Il faut évidemment un encadrement et un traitement spécifique pour l’exercice des métiers particuliers. Certaines restrictions restent légitimes. Pour la plupart, cependant, ces métiers sont compatibles aujourd’hui avec une maladie comme le diabète, pour peu que l’on mette en place un protocole et un encadrement adapté.
Autour de nous, beaucoup de pays ont évolué sur cette question. Les États-Unis, le Canada, l’Irlande ou le Royaume-Uni acceptent, par exemple, les pilotes de ligne diabétiques. Qu’attendons-nous pour faire évoluer les choses ? La France, patrie des libertés et de l’égalité, ne peut pas se résoudre à être le dernier de la classe sur ce sujet.
Il faut aller vite sur cette question, monsieur le secrétaire d’État, car il y a un réel enjeu. Quelque 20 millions de personnes en France sont atteintes de maladies chroniques et 25 % de la population sera touchée en 2025. Rien que pour le diabète, cette maladie touche près de 3,3 millions de personnes, soit 5 % de la population.
Je salue cette proposition de loi qui permet de mettre le sujet sur la table et de mettre fin à l’attentisme qui prévalait. Je remercie chaleureusement la députée Firmin Le Bodo de son initiative, ainsi que l’ensemble des collègues parlementaires et M. le rapporteur de leurs apports à cette proposition de loi qui constitue un premier pas important.
Nous soutenons donc ce texte et en attendons beaucoup, car il est temps de passer aux travaux pratiques et de mettre fin à ces absurdités qui brisent des rêves et des projets professionnels.
Nous serons très attentifs, monsieur le secrétaire d’État, à l’application de cette loi et aux décisions concrètes qui seront prises par votre ministère et votre administration.
Nous devons collectivement ce travail aux personnes atteintes de maladies chroniques qui, en plus de leur maladie, font face à des discriminations professionnelles aujourd’hui totalement injustifiées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le 3 octobre 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision préfectorale qui rejetait la candidature de la championne du monde de karaté, Alizée Agier, au métier de gardien de la paix, pour inaptitude physique, sur la base d’une réglementation obsolète.
Cette exclusion a priori est le lot d’un grand nombre de personnes atteintes de maladies chroniques. Qu’ils soient diabétiques, asthmatiques ou atteints d’une affection médicale évolutive, plus de 10 millions de Français ne pourront jamais réaliser leur rêve de devenir hôtesse de l’air, conducteur de train, contrôleur aérien, pompier ou militaire.
En réalité, les estimations de l’assurance maladie portent le nombre de personnes concernées à 20 millions, soit 35 % de la population.
Si les conditions minimales d’aptitude physique semblent tout à fait légitimes pour permettre l’accès à certaines professions, la disqualification immédiate d’un grand nombre de candidats avant toute évaluation semble désormais disproportionnée et discriminatoire. En effet, les traitements de ces maladies ont considérablement évolué ces dernières années, grâce aux progrès de la médecine, mais force est de constater que l’évolution réglementaire ne suit pas le même rythme.
Aussi, la pétition lancée par la Fédération française des diabétiques et le valeureux travail de sensibilisation mené par des personnes diabétiques, à l’instar du jeune Haka, que j’ai reçu voilà quelque temps – je le salue, ainsi que sa famille –, ont œuvré à sensibiliser le Parlement à cette difficulté. La proposition de loi que nous examinons à présent, présentée par Agnès Firmin Le Bodo et adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 30 janvier 2020, est le fruit de cette volonté collective. Nous devons en remercier nos collègues députés.
Le dispositif initial prévoyait de remplacer l’interdiction de principe d’exercer certains métiers faite aux diabétiques par un examen au cas par cas de l’état de santé des candidats.
L’Assemblée nationale a étendu, à juste titre, cette disposition à l’ensemble des maladies chroniques, en accord avec les recommandations du Défenseur des droits.
De nombreux pays ont déjà mis en place des mesures similaires. En Espagne, le gouvernement a autorisé l’accès à l’armée et à la police aux personnes diabétiques ou atteintes du VIH, de la maladie cœliaque ou de psoriasis. Les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni et l’Irlande permettent désormais aux diabétiques d’avoir accès aux métiers de l’aviation civile, sur la base d’un examen au cas par cas.
La commission des affaires sociales du Sénat a renforcé la portée normative du dispositif, tout en prévoyant une actualisation régulière des restrictions d’accès, afin de tenir compte des avancées thérapeutiques.
Cette proposition de loi est très attendue. Son adoption permettra d’ouvrir le marché du travail à l’ensemble de nos concitoyens, sur la base de critères d’aptitude pertinents, tenant compte des évolutions médicales. L’objectif est d’élargir autant que faire se peut l’employabilité des personnes atteintes de maladies chroniques, dans le respect des impératifs de sécurité imposés par certaines professions.
Aussi, le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera en faveur de ce texte. (Applaudissements au banc des commissions. – M. Bernard Buis applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Poncet Monge.
Mme Raymonde Poncet Monge. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe écologiste votera cette proposition de loi, comme tout texte permettant de lutter contre des discriminations. Nous remercions le groupe RDPI d’avoir demandé son inscription à l’ordre du jour et nous félicitons Xavier Iacovelli pour la qualité de son rapport.
Ce texte marque une avancée en mettant fin à des interdictions a priori d’exercer certains métiers, mais il reste, selon les associations, des textes réglementaires à actualiser au regard des données médicales actuelles et des protocoles d’allégement thérapeutique, qui limitent encore de façon disproportionnée, donc discriminatoire, l’accès à certains métiers de la fonction publique pour certaines pathologies chroniques.
Ainsi, le référentiel d’aptitude physique et médicale dit Sigycop, dont la cotation conditionne l’accès ou le maintien à l’emploi pour les métiers d’intervention de la police nationale, de la gendarmerie et des forces armées, tarderait, du moins pour les forces armées, à donner suite à la recommandation d’une mission d’information de l’Assemblée nationale consistant à procéder à une révision relative aux personnes porteuses du VIH.
Seuls une réactualisation régulière et un suivi du comité d’évaluation seraient à même de préserver ces référentiels de leur obsolescence. Cela vaudra, demain, pour le diabète, pour lequel les traitements font l’objet d’innovations très rapides. Ainsi, on ne pourra plus préjuger de l’inaptitude physique d’une personne en raison de sa seule maladie, personne n’étant jamais réductible à une maladie, le contrôle de l’aptitude à exercer certaines missions s’évaluera individuellement, au cas par cas, en faisant preuve d’objectivité.
Ce texte est un signal fort qui contribuera aussi à faire reculer les préjugés.
Il est d’autant plus nécessaire que beaucoup de maladies chroniques, dont le diabète, sont qualifiées de « maladies du siècle », en tant qu’elles soulignent le lien entre santé et environnement. D’ailleurs, puisque ce texte s’est beaucoup centré sur le diabète, nous souhaiterions saisir l’occasion pour nous faire l’écho des récentes interpellations du Gouvernement par des élus de tous bords et des associations de malades atteints de cette pathologie concernant l’accès à l’insuline. Par une proposition de résolution, une question écrite et une tribune, ils ont demandé solennellement à la France de soutenir les initiatives de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour plus de transparence sur les coûts de production de l’insuline et pour rendre ce médicament, indispensable à la survie des malades, accessible à tous, à prix abordable.
Trois géants de l’industrie pharmaceutique, dont Sanofi, se partagent le marché de l’insuline, alors que ses découvreurs, je le rappelle, avaient cédé les brevets pour un dollar symbolique voilà cent ans. Ils la vendent à des prix élevés, sans rapport avec son coût de production, s’assurant une rente de situation confortable sur un marché en extension, sans pour autant consacrer cette rente à la recherche, arrêtée en ce qui concerne Sanofi.
En France, ces pratiques représentent un coût indu pour la sécurité sociale. Plus grave, ailleurs dans le monde, elles restreignent l’accès à l’insuline, donc tuent. La gestion de la crise du covid-19 nous l’a montré : nous ne pouvons laisser à la seule logique de rentabilité des acteurs privés la réponse aux besoins de santé publique.
Monsieur le secrétaire d’État, à la suite à cette récente mobilisation, la France se serait associée à la résolution de l’OMS sur l’accès à l’insuline. Nous nous en félicitons. Nous serons attentifs à la mise en œuvre de cette résolution, assurant à ces biens communs, dans l’attente de la création d’un pôle public du médicament, la transparence de leur prix et leur large accès partout dans le monde.
Le groupe Écologiste – Solidarités et Territoires votera bien évidemment cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes GEST, SER et CRCE.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée vise à élargir le marché du travail pour les personnes atteintes de maladies chroniques.
L’inclusion sur le marché du travail est un réel enjeu pour les 20 millions de personnes atteintes d’une maladie chronique en France, dont 4 millions souffrent de diabète. Un quart de la population active pourrait même être concernée en 2025.
Encore aujourd’hui, des discriminations frappent, par exemple, les personnes diabétiques dans leur choix de carrière et de formation, comme mes collègues l’ont rappelé.
En raison de certaines réglementations obsolètes datant des années 1950, certains malades chroniques n’ont pas accès à certaines professions : militaire, pilote de ligne, sapeur-pompier, douanier ou hôtesse de l’air.
Si, à l’époque, le traitement au quotidien de ces maladies pouvait justifier de telles mesures de précaution, ces interdictions systématiques ne correspondent plus aujourd’hui à la réalité médicale, grâce aux progrès thérapeutiques et aux innovations médicales. Celles-ci sont désormais adaptées aux besoins et aux habitudes de vie des personnes souffrant de maladies chroniques.
Ces malades mènent deux combats : contre la maladie et contre les discriminations. Il était donc tout naturel que le législateur modernise la réglementation, devenue complètement inadaptée aux réalités actuelles et source d’injustices, en revenant sur cette exclusion a priori de l’accès à certaines professions, au profit d’un système d’évaluation au cas par cas de l’aptitude des candidats.
Je souscris donc à la nouvelle rédaction de la commission, qui prévoit que la restriction d’accès à un emploi sur la base de conditions de santé particulières doit être strictement proportionnée aux risques pour la personne et les tiers dans les fonctions concernées. En effet, certaines restrictions sont légitimes et fondées sur des impératifs de santé et de sécurité.
De plus, il n’existe aucune liste exhaustive des métiers qui n’acceptent pas les personnes atteintes de maladies chroniques. L’article 1er met fin à cette situation en créant un comité d’évaluation chargé de recenser et d’évaluer la pertinence de ces textes.
Je soutiens, d’ailleurs, l’amendement de la commission tendant à limiter à trois ans la durée d’existence de ce comité, afin d’assurer un travail efficace sans en faire un organisme pérenne.
En tant que législateurs, nous pouvons améliorer l’insertion professionnelle de millions de Français souffrant d’une pathologie chronique et mettre ainsi un terme à ces discriminations.
Pour toutes ces raisons, les membres du groupe du RDSE voteront cette indispensable proposition de loi, améliorée par le travail en commission, qui a permis de rendre le texte plus rigoureux et plus équilibré. (Applaudissements sur les travées des groupes RDSE, INDEP et RDPI.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi visant à améliorer l’accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques s’inscrit dans la continuité de la pétition lancée par la Fédération française des diabétiques, qui a recueilli plus de 30 300 signatures en 2016, du dépôt d’une proposition de loi, en 2018, par des membres de six groupes parlementaires, ainsi que de l’adoption d’une résolution à l’Assemblée nationale.
Plusieurs parlementaires ont fait état des difficultés supplémentaires rencontrées par ces personnes en période de pandémie. Ainsi, le 30 avril 2020, ma collègue Michelle Gréaume a attiré l’attention de M. le ministre des solidarités et de la santé sur la prise en charge des personnes atteintes de diabète durant l’épidémie de covid-19 et sur les risques liés à un non-recours aux soins pendant cette période.
Aujourd’hui, près de 3,3 millions de personnes sont traitées pour un diabète en France, soit 5 % de la population, avec des inégalités sociales et territoriales extrêmement marquées.
Mais la situation des personnes diabétiques est comparable à celle des personnes souffrant d’autres pathologies chroniques ou évolutives. Ainsi, comment accepter, par exemple, qu’un militaire atteint du VIH soit exclu de la marine nationale parce qu’il a été déclaré inapte par le service de santé des armées sans que sa capacité réelle à exercer des missions ait été prise en compte ?
Fort justement, ce texte concerne non seulement les personnes atteintes du diabète, mais également celles qui sont atteintes d’une maladie chronique ou d’une maladie de longue durée évolutive, caractérisée, selon le Haut Conseil de la santé publique, par une « limitation fonctionnelle des activités sociales », une « dépendance vis-à-vis d’un médicament » ou la « nécessité de soins médicaux ou paramédicaux ».
Si les outils thérapeutiques et technologiques permettent aux malades de mieux surveiller et gérer leur maladie, les textes réglementant l’accès à certaines professions n’ont malheureusement pas évolué. La longue liste des professions interdites aux malades ne correspond plus à la réalité de ces maladies. Comment peut-on, en 2021, interdire l’accès à un métier sans évaluation au cas par cas de la situation des malades et des conséquences sur leur vie quotidienne ?
En 2017, la ministre des affaires sociales et de la santé, Marisol Touraine, formulait le souhait « que ces textes évoluent et […] que soient complètement revues les conditions d’aptitude à un certain nombre de métiers des personnes diabétiques et, le cas échéant, de celles souffrant d’autres pathologies ». En mars 2019, la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn affirmait la volonté du Gouvernement de « garantir un accompagnement vers l’emploi, afin que les patients ne se voient pas opposer une incompatibilité de principe du diabète avec certaines professions ». Malgré toutes ces belles promesses, les textes interdisant l’accès à certaines professions sont toujours en vigueur en 2021.
Il y a urgence à passer des paroles aux actes afin de permettre une meilleure insertion dans l’emploi de toutes les personnes atteintes de maladies chroniques.
Alors que ces maladies concernent déjà aujourd’hui 15 % de la population active, elles pourraient en concerner 25 % d’ici à 2025. Comme l’a souligné l’ancien Défenseur des droits, Jacques Toubon, il s’agit avant toute chose d’un combat contre les discriminations, pour plus de justice.
Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain citoyen et écologiste voteront donc cette proposition de loi, enrichie par le travail du rapporteur, Xavier Iacovelli. Nous souhaitons que cette avancée indispensable puisse être accompagnée d’un engagement du Gouvernement en faveur de l’accès à l’ensemble des emplois et des métiers aux personnes atteintes d’une pathologie chronique ou porteuses d’un handicap. Il me semble que tel était le sens de votre intervention, monsieur le secrétaire d’État. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au mois de février dernier, j’ai rencontré, comme l’ont fait un certain nombre d’entre vous ces derniers mois, le jeune Hakaroa Vallée, qui était de passage au Sénat.
Ce brillant jeune homme souffrant de diabète a engagé un combat courageux pour faire bouger certaines lignes, se lancer des défis sportifs, prouver qu’il n’y a pas de fatalité et communiquer sur sa pathologie de manière positive. Je le salue à mon tour. Il s’est lancé dans ce qu’il appelle un combat pour la justice, et il est déterminé à aller jusqu’au bout.
Il est incroyable, parce que, lorsqu’il est de passage à Paris, c’est lui qui délivre les rendez-vous, compte tenu de son agenda très chargé. C’est lui qui vous dit qu’il lui reste une demi-heure avant de voir M. Retailleau, puis M. Kanner ! (Sourires.)
Hakaroa Vallée m’a exposé cette réalité concrète, que j’ignorais, à vrai dire, parce que je n’y avais pas été confrontée : il existe en France, de nos jours, des listes de pathologies sur lesquelles des recruteurs peuvent s’appuyer pour refuser l’accès de certaines personnes à des professions considérées comme sensibles, principalement dans la fonction publique. Or ces listes, déjà discutables sur le principe, ne sont pas réactualisées en fonction des progrès thérapeutiques ni de l’évolution des conditions de travail, si bien que, à force de précautions, l’État, qui est le principal recruteur à pratiquer cette forme de sélection, crée des situations d’injustice, voire des incohérences notoires.
Face à ce jeune homme à l’argumentaire parfaitement maîtrisé, je me suis sentie très gênée, mes chers collègues. Il faut l’électrochoc provoqué par son culot insensé pour ouvrir un œil sur une réalité d’un autre âge, tellement décalée qu’elle en est presque ridicule.
N’y a-t-il donc jamais eu, quelque part, dans un ministère, un voyant qui s’est allumé sur ce sujet ? Est-ce à un lycéen de venir cogner à notre porte ? Il n’y a pas là de quoi être fiers…
Pour un jeune en devenir, comment accepter qu’un projet de vie soit passé au crible d’une liste qui semble gravée dans le marbre ? Je comprends la colère d’Haka, qui nous demande de faire reculer une injustice. À l’heure où l’on exhorte les jeunes à briser le « plafond de verre », où l’on engage des moyens importants au service de leur parcours professionnel et de leur réussite, on ne peut pas conserver de telles œillères.
De fait, les traitements évoluent. Les pompes à insuline, par exemple, font désormais partie du quotidien. Parallèlement, de nouvelles pathologies apparaissent : burn-out et covid long ne figurent sans doute pas dans la liste d’antan !
Chaque patient doit pouvoir trouver la clé de l’insertion dans la vie professionnelle, qui est un champ immense de compétences variées et de sollicitations plus ou moins physiques. En effet, un être humain porteur d’une maladie chronique n’est pas une maladie chronique : il est un être humain. Ici comme ailleurs, la moulinette du tri et du classement, comme tous les systèmes qui rangent les individus dans des cases, est injuste et inadaptée, sauf si elle parvient à faire preuve de souplesse et d’agilité.
Bref, comme nous l’avons tous affirmé, le référentiel doit être revu et adapté. C’est un gamin qui est venu nous le rappeler !
Faut-il une loi pour cela ? Disons que oui… Aussi, le groupe Union Centriste dira « oui » au texte sagement aménagé par le rapporteur de la commission. Nous dirons « oui », parce qu’il n’est pas possible de dire « non », mais ce « oui » est déclaratif plus que législatif.
La loi dira d’adapter le référentiel, de rendre des rapports, de faire de la communication. Elle ne fera pas l’indispensable travail de mise à jour. La loi dira de faire, mais la loi ne fera pas.
C’est au Gouvernement de s’emparer de ces fameuses listes, de les adapter aux outils thérapeutiques et contextes nouveaux, et, éventuellement, aux pathologies nouvelles.
Cependant, il faut revoir le référentiel sans en faire, comme c’est désormais la mode, un « gigaparapluie » qui permette de se cacher : sans s’interdire de protéger, il convient d’éviter le principe de l’ultraprécaution, qui est pourtant « très tendance ». Comme le dit Haka : « Ce n’est pas parce qu’il y a eu le docteur Petiot qu’il faut interdire tous les médecins dans la fonction publique. » Et, comme le dit le Petit Prince – nous avons les mêmes sources, mon cher collègue – : « C’est une folie de haïr toutes les roses parce qu’une épine vous a piqué. »
Bien au-delà du diabète, qui ne doit pas cristalliser les débats, tous les malades chroniques, toutes les « différences de santé », y compris les pathologies rares et orphelines, doivent pouvoir être compatibles avec une insertion professionnelle logique et adaptée. Personne ne doit jamais être confronté à ce qui est ressenti comme un rejet a priori, sans examen de sa situation particulière. Comme le proposera M. le rapporteur, on ne peut tolérer aucun rejet au motif d’un « état de santé ».
C’est d’autant plus vrai que, par définition, ceux qui se savent malades, au contraire des malades qui s’ignorent, se surveillent tous les jours, ce qui permet d’écarter bien des risques.
En poussant à l’extrême la logique de précaution, il faudrait une étude complète, approfondie, caryotypique, psychologique et médicale de tous les fonctionnaires. On découvrirait alors probablement des zones de risques pour certains ! Finalement, nous nous retrouvons tous « coincés » par les incohérences qui surgissent entre les capacités réelles des individus et une théorie dépassée.
Pour terminer, je vous invite à faire attention aux immenses espoirs qui vont naître aujourd’hui, monsieur le secrétaire d’État. Il faudra que les choses bougent très vite désormais et, quand elles auront bougé, qu’elles bougent encore, régulièrement. Sinon, dans dix ou quinze ans, un autre gamin génial viendra nous chatouiller et nous demander pourquoi un champion du monde de karaté ne peut pas être gardien de la paix ! (Applaudissements sur les travées des groupes INDEP, RDSE et RDPI.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui pour examiner cette proposition de loi, qui traite de la capacité de notre société à prendre en considération les difficultés des personnes atteintes de maladies chroniques à accéder au marché de l’emploi. Je remercie Xavier Iacovelli de son rapport sur ce texte nécessaire, qui reprend une thématique, au fond, beaucoup trop ancienne.
Le Gouvernement, lors de l’examen du projet de loi de transformation de la fonction publique, a pris l’engagement de faire évoluer le Sigycop. La mission n’a pas encore été lancée et le référentiel d’aptitude utilisé dans la fonction publique n’a toujours pas été modifié, mais je ne doute pas que ce sera prochainement le cas.
Les maladies chroniques concernent un très grand nombre de nos concitoyens, puisque 20 millions de personnes sont touchées, dont plus de 3 millions sont traitées pour un diabète, ce qui représente 5 % de la population française.
Faute d’adaptation législative et sociale, de nombreuses personnes sont quotidiennement discriminées et écartées de professions tout à fait praticables par elles grâce aux avancées thérapeutiques et médicales. En effet, si la loi traîne, la science et la médecine mettent à disposition des patients des outils qui leur permettent de contenir et de mieux réguler leurs maladies. C’est, bien sûr, le cas du diabète, mais aussi de l’épilepsie, de maladies rhumatologiques et de nombreuses autres pathologies.
Nous devons, dès lors, nous interroger sur la pertinence, de nos jours, d’une réglementation empêchant systématiquement des personnes de devenir militaire, policier, pilote de ligne, sapeur-pompier ou ingénieur de l’armement, alors qu’une évaluation individualisée de leur état de santé devrait primer.
Afin de mettre un terme à une situation particulièrement discriminatoire, nous voterons cette proposition de loi.
S’agissant des mesures concrètes figurant dans le texte proposé, je souscris à l’avis général de M. le rapporteur.
Il nous semble toutefois important de souligner que ce domaine de compétence n’est pas uniquement régi par le pouvoir législatif, loin de là : de nombreuses dispositions sont déterminées par la voie réglementaire. Les modifier permettrait l’accès des personnes à un certain nombre de métiers. C’est dans ce sens que nous avons déposé un amendement visant à ce que le comité d’évaluation des textes encadrant l’accès au marché du travail des personnes atteintes de maladies chroniques formule des propositions en distinguant ce qui relève du domaine de la loi et en faisant des propositions réglementaires cohérentes.
Par ailleurs, de nombreuses règles d’accès à certaines professions dépendent non pas du droit national, mais du droit européen. C’est le cas, par exemple, des métiers de l’aviation civile, des gens de mer ou de la sécurité ferroviaire.
Plus largement, ce texte, qui porte sur les maladies chroniques, interroge, au fond, la capacité de notre société à faire une place à la différence dans le monde du travail. De nombreuses maladies chroniques sont d’ailleurs recensées dans le secteur du handicap.
Vous le savez, mes chers collègues, le taux de chômage des personnes en situation de handicap se maintient au double de celui de la population générale. L’obligation d’emploi des personnes en situation de handicap, fixée à 6 %, date de 1987 : force est de constater que ses effets sont réels, mais insuffisants. Pour les personnes dont le handicap survient au cours de la vie – c’est le cas de 80 % des malades –, on observe fréquemment des mécanismes d’exclusion et de désinsertion professionnelle progressive. Pourtant, de très nombreuses personnes en situation de handicap peuvent et souhaitent travailler.
Notre société doit être en mesure de permettre à celles et ceux qui ont des maladies chroniques, qui sont en situation de handicap ou qui présentent des difficultés de santé de réaliser une carrière professionnelle, au même titre qu’à tout un chacun. Elle se doit de reconnaître leur rôle d’acteurs économiques et d’intégrer leurs compétences dans nos collectifs de travail, dans nos entreprises, dans nos administrations, dans nos associations.
Il faut poursuivre la simplification de l’accès à l’information et aux aides entamée par les gouvernements successifs. Les personnes en situation de handicap ne savent souvent pas à qui s’adresser ni comment avoir accès aux offres d’emploi.
Reconnaître et valoriser les compétences de chacun implique également de favoriser la montée en qualification, via des dispositifs de formation initiale et continue adaptés. À ce titre, on ne peut que se féliciter de l’augmentation, depuis quelque temps, du nombre d’apprentis en situation de handicap.
Dans son rapport annuel d’activité pour 2020, la Défenseure des droits, Claire Hédon, rappelle que l’état de santé reste le principal motif de discrimination dans l’emploi.
Nous devons aux personnes présentant une maladie chronique et à toutes celles qui sont en situation de handicap une véritable politique publique volontariste. C’est en ce sens que nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et GEST.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi de la députée Agnès Firmin Le Bodo visant à améliorer l’accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques a été adoptée à l’unanimité le 30 janvier 2020 à l’Assemblée nationale.
Le texte initial portait sur l’ouverture du marché du travail aux seules personnes diabétiques, notamment parce que cette pathologie a connu, ces dernières années, d’importants progrès en termes de traitement et de suivi et parce que les injustices qu’elles subissent sont les plus éloquentes. Il a rapidement été étendu à l’ensemble des maladies chroniques.
S’il n’est qu’une étape, nous nous réjouissons que ce texte pose le cadre d’une réflexion globale. Rappelons, en effet, que, si 3,3 millions de personnes sont aujourd’hui traitées pour un diabète dans notre pays, 20 millions de personnes sont touchées par une ou plusieurs maladies chroniques.
Le travail de M. le rapporteur visant à sécuriser le dispositif et à prendre en compte toutes les formes de discrimination liées à l’état de santé, au-delà même de la mention des maladies chroniques, a été, me semble-t-il, extrêmement utile.
Face à ce constat, le Gouvernement n’est évidemment pas resté les bras croisés. Vous avez d’ailleurs rappelé, monsieur le secrétaire d’État, les avancées qui ont été enregistrées ces dernières années sur cette question et l’état des travaux en cours.
Pourtant, force est de constater le retard de la France dans ce domaine ainsi que les réticences qui freinent, par endroits, l’évolution de nos politiques publiques. Cette proposition de loi tend ainsi à forcer la décision et à accélérer des évolutions dont les prémices ont été annoncées. En tant que parlementaire, je m’en réjouis.
Dans le détail, ce texte prévoit l’instauration, à l’article 1er, d’un comité d’évaluation des textes encadrant l’accès au marché du travail des personnes atteintes de maladies chroniques. Nous espérons que ce comité permettra d’identifier rapidement les dispositions obsolètes et les incohérences de notre corpus réglementaire et législatif, ainsi que de proposer des solutions concrètes.
L’article 2 pose, quant à lui, le principe de non-discrimination au motif d’une maladie chronique. Plusieurs fois récrit, il précise – cela a son importance – la nécessité d’une appréciation au « cas par cas » qui tienne compte de l’état des traitements existants.
Lors de l’examen en commission au Sénat, le rapporteur a défendu plusieurs amendements visant notamment à fixer à trois ans la durée de la mission du comité d’évaluation des textes prévu à l’article 1er et à assurer, à l’article 2, un meilleur encadrement des restrictions éventuelles à l’accès à l’emploi. Nous saluons ces avancées et le travail de notre collègue Xavier Iacovelli, lesquels permettent d’aboutir à un texte efficace, solide juridiquement et – nous le pensons – consensuel.
La commission des affaires sociales a également souhaité supprimer l’article 4, qui prévoyait la mise en œuvre d’une campagne de communication publique sur le diabète et les autres maladies chroniques et l’accès à l’emploi des malades.
Sans remettre en cause le vote de la commission, qui a estimé, fidèle à ses positions, qu’une telle campagne relevait du domaine réglementaire, il nous semble tout de même important de rappeler que la réalité des personnes atteintes de diabète et des autres maladies chroniques reste trop méconnue de l’opinion publique.
Afin de limiter la discrimination et de favoriser l’accès à l’emploi de ces personnes, il nous paraît difficile de faire l’économie d’une telle publicité, notamment dans les départements ultramarins, où le taux de prévalence du diabète est très nettement supérieur à la moyenne nationale – le diabète y est un drame. L’amendement de rétablissement que nous avons déposé permettra d’en débattre et d’entendre le Gouvernement sur cette question.
Le groupe RDPI votera avec enthousiasme cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Céline Boulay-Espéronnier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Céline Boulay-Espéronnier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, un quart des Français actifs seront concernés par une maladie chronique en 2025.
Souvent victimes de discriminations, les personnes frappées par ces pathologies subissent une double peine : pour la seule année 2020, la Défenseure des droits a comptabilisé 11 000 saisines au motif d’une discrimination en raison de l’état de santé. Nombre des cas signalés concernaient des personnes atteintes de maladies chroniques.
Ce constat navrant rejoint celui des associations de malades, qui dénoncent depuis des années la réglementation obsolète encadrant l’accès à certaines professions. La Fédération française des diabétiques a dénoncé avec beaucoup de justesse des règles déconnectées des progrès thérapeutiques et des conditions actuelles de travail.
Comment comprendre qu’il soit possible d’être pilote de ligne et diabétique au Canada ou au Royaume-Uni, mais que cela demeure impossible en France ? Pourquoi la police nationale continue-t-elle d’exclure les personnes diabétiques, alors même que les capteurs et les pompes à insuline de nouvelle génération permettent aux malades de mener une existence normale ?
Certes, il n’est pas possible de garantir l’accès de l’ensemble des personnes atteintes de maladies chroniques à tous les emplois. Certaines restrictions légitimes reposent sur des impératifs de santé et de sécurité. Mais je salue l’objectif de cette proposition de loi, qui marque un grand pas dans le sens de l’inclusion des plus vulnérables sur le marché du travail.
Toutefois, le texte transmis par l’Assemblée nationale comportait des imprécisions susceptibles de le rendre inopérant. Les amendements déposés en commission par le rapporteur Xavier Iacovelli ont contribué à combler ces lacunes.
Dans un contexte de multiplication des instances, la création par l’article 1er d’un nouveau comité d’évaluation des textes réglementant l’accès à certaines professions prêtait le flanc à la critique. Il m’apparaît cependant justifié de recenser une bonne fois pour toutes l’ensemble des textes existants afin d’en évaluer la pertinence. C’est la raison pour laquelle je soutiens la décision de la commission de limiter dans le temps la mission du comité afin d’en contraindre la réalisation. J’approuve également l’obligation faite à ce dernier de rendre compte de ses travaux au Parlement et au Gouvernement.
La rédaction retenue par l’Assemblée nationale à l’article 2, cœur de la proposition de loi, ne répondait pas avec suffisamment d’efficacité à l’intention affichée. Assorti d’un régime dérogatoire, le principe de non-discrimination propre aux maladies chroniques avait été vidé de sa substance lors de l’examen en séance.
En outre, le fait de viser spécifiquement les maladies chroniques, à l’exclusion des autres pathologies, soulevait de nombreuses questions quant à l’applicabilité juridique de la proposition de loi. À quel texte doit-on se référer pour établir la chronicité ? Faut-il limiter son acception à la seule liste des affections de longue durée (ALD) reconnues par l’assurance maladie ? Quid de l’asthme ou de l’épilepsie, dont certaines formes ne sont pas reconnues en tant qu’ALD ?
Aussi, je me réjouis des amendements adoptés par la commission qui visent à individualiser les restrictions et à les soumettre à une obligation de proportionnalité. Concrètement, cela signifie qu’une personne souffrant d’un diabète, d’une maladie auto-immune ou porteuse du VIH ne pourra se voir refuser l’accès au métier qu’elle rêve d’exercer sous le seul prétexte qu’elle est malade. Il incombera au juge de prouver en quoi son état de santé personnel est incompatible avec l’exercice des fonctions spécifiques qui devaient lui être attribuées. Grâce à cette disposition, une personne diabétique à même de prouver la compensation de son handicap aura le droit de devenir contrôleur aérien ou gardien de la paix.
J’ai l’espoir que cette proposition de loi, en facilitant l’accès des personnes malades au monde du travail, allégera le fardeau de la stigmatisation et de l’isolement qui pèse sur ces dernières dans notre société. Mais le changement ne doit pas s’arrêter aux portes de l’entreprise. La progression des maladies chroniques évolutives parmi la population salariée soulève de nombreux enjeux : prise de traitements, fatigue, déconcentration, absentéisme, etc. Autant de contraintes auxquelles les organisations du travail et les managers ne sont pas formés.
Cette première pierre à l’édifice est un encouragement en faveur d’une réforme globale de la gestion des problèmes de santé dans le monde du travail. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à améliorer l’accès à certaines professions des personnes atteintes de maladies chroniques
Article 1er
I. – Il est institué pour une durée de trois ans un comité d’évaluation des textes encadrant l’accès au marché du travail des personnes atteintes de maladies chroniques.
Ce comité vise à favoriser l’égal accès au marché du travail et aux formations professionnelles de toute personne, quel que soit son état de santé. Il veille à ce que les personnes atteintes de maladies chroniques aient, en l’absence de motif impérieux de sécurité et de risque pour leur santé, accès à toutes les professions. Il a notamment pour missions :
1° De recenser l’ensemble des textes nationaux ou internationaux empêchant l’accès à une formation ou à un emploi des personnes atteintes d’une maladie chronique ;
2° D’évaluer la pertinence de ces textes au regard des risques et sujétions liés aux formations, fonctions ou emplois accessibles et des traitements possibles ;
3° De proposer leur actualisation en tenant compte notamment des évolutions médicales, scientifiques et technologiques ;
4° De formuler des propositions visant à améliorer l’accès à certaines professions des personnes souffrant de maladies chroniques.
II. – Ce comité, dont la composition est paritaire, comprend :
1° Des représentants de l’État ;
2° (Supprimé)
3° Des personnalités qualifiées choisies en raison de leur compétence dans le champ de la santé au travail ainsi que des soins, de l’épidémiologie et de la recherche sur les maladies concernées ;
4° Des représentants d’associations de personnes malades ou d’usagers du système de santé agréées désignés au titre de l’article L. 1114-1 du code de la santé publique.
III. – La composition, l’organisation et le fonctionnement du comité sont précisés par décret.
IV (nouveau). – Le comité adresse chaque année au Gouvernement et au Parlement un rapport sur l’avancée de ses travaux et sur les évolutions constatées des réglementations mentionnées au 1° du I du présent article.
M. le président. L’amendement n° 1, présenté par M. Jomier, Mme Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin, Meunier, Le Houerou, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer le mot :
empêchant
par les mots :
relatifs à
La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. L’article 1er institue, pour une durée de trois ans, un comité d’évaluation des textes encadrant l’accès au marché du travail des personnes atteintes de maladies chroniques.
L’une des missions de ce comité consiste à recenser l’ensemble des textes nationaux et internationaux empêchant l’accès à une formation ou à un emploi des personnes atteintes de maladies chroniques.
Pour permettre aux membres de ce comité de disposer du périmètre le plus large possible, il nous paraît important qu’il ne se cantonne pas aux textes empêchant l’accès à une formation ou à un emploi, mais bien qu’il s’intéresse à tous les textes qui font mention de cas particuliers pour les personnes atteintes de maladies chroniques. En effet, certaines professions ou formations ne leur sont pas proscrites, mais leur accès n’en est pas moins limité ou fortement réglementé. Il serait très utile de travailler également sur ces textes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. Cet amendement vise à étendre le champ de la mission du comité d’évaluation au-delà des seuls textes restreignant strictement l’accès de certaines professions aux personnes atteintes de maladies chroniques.
La précision rédactionnelle est bienvenue, le mot « empêcher » pouvant être utilement remplacé. La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Les maladies chroniques constituent une lutte quotidienne pour près de 20 millions de Françaises et de Français, notamment quand il s’agit de trouver un emploi ou de le conserver.
La proposition de loi est claire et permet déjà d’examiner l’ensemble des textes qui empêchent aujourd’hui l’accès de ces personnes à une formation, à un emploi ou à un stage. L’objectif est de concilier de façon plus juste le principe de non-discrimination avec l’état de santé des personnes concernées et les motifs impérieux de sécurité concernant ces dernières ou des tiers.
Élargir la compétence de ce comité à tous les textes relatifs à l’accès à une formation ou à un emploi dépasserait l’objectif initial de cette proposition de loi.
En outre, monsieur le sénateur, je suis convaincu que la rédaction de l’article 1er permet déjà de satisfaire votre intention.
Pour ces raisons, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Je suis déçu de la position du Gouvernement sur cet amendement.
Alors que la création d’un comité d’évaluation est une tâche déjà lourde, sa mission – que nous avons heureusement limitée dans le temps – va durer au moins trois ans. Monsieur le secrétaire d’État, attention à la déception que ce texte pourrait engendrer : trois ans pour voir les premiers effets positifs, c’est long pour des personnes atteintes d’une maladie chronique qui les empêche de poursuivre une carrière alors qu’on pourrait les considérer sous un autre angle. Trois ans pour venir en aide à ces personnes confrontées à l’archaïsme des textes ! Et nous sommes obligés de créer un comité d’évaluation, qui devra lui-même éviter de devenir archaïque au bout de quelque temps… C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai émis des réserves en commission.
Monsieur le secrétaire d’État chargé de la santé au travail – plus que des retraites (Sourires.) –, j’ai beaucoup apprécié votre intervention en discussion générale : j’ai entendu un membre du Gouvernement déterminé à avancer. Et patatras ! Au premier écueil, vous êtes défavorable à un amendement qui vise à contourner tout ce qui peut bloquer l’accès à l’emploi de ces personnes.
Je soutiendrai cet amendement et je pense que le Gouvernement devrait se saisir de cette occasion pour apporter une réponse positive à toutes celles et tous ceux qui attendent depuis trop longtemps. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L’amendement n° 2, présenté par M. Jomier, Mme Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin, Meunier, Le Houerou, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6
1° Remplacer le mot :
des
par le mot :
les
2° Remplacer les mots :
visant à
par les mots :
d’ordre législatif ou réglementaire permettant d’
La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Le rôle des parlementaires est indispensable pour créer une dynamique sur cette question. Toutefois, nul ne peut affirmer que la réglementation de l’accès de certaines professions aux personnes atteintes de maladies chroniques soit une compétence exclusive du législateur.
En effet, de nombreux dispositifs réglementaires autorisent, ou non, les personnes atteintes de maladies chroniques à exercer certaines professions. Ainsi, certains textes réglementaires mentionnent explicitement le diabète comme cause d’inaptitude à exercer certaines professions réglementées comme les métiers du domaine du transport. Autre exemple, le Sigycop, référentiel médical permettant de déterminer l’aptitude d’un individu à exercer dans l’armée ou la police, est lui aussi régi par décret.
Dans un souci de clarté et d’efficacité, il nous paraît souhaitable que ce comité d’évaluation des textes distingue ce qui relève de la loi de ce qui relève du domaine réglementaire pour faire des propositions dans les deux cas.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. Cet amendement vise à prévoir que le comité d’évaluation puisse faire des recommandations tant sur les textes relevant du domaine de la loi que sur les textes réglementaires.
Les recommandations du comité doivent en premier lieu porter sur les évolutions normatives nécessaires, mais pourraient aller au-delà : communication renforcée, « bonnes pratiques »… La précision ne paraît donc pas souhaitable à la commission, qui émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Dans cet hémicycle, j’ai pu constater l’exigence de certains en ce qui concerne la construction de la loi.
Comme l’a souligné le rapporteur, il n’est pas nécessaire de préciser autant les choses. Laissons le comité travailler tranquillement. Chacun se saisira ensuite de ce qui lui appartient, qu’il s’agisse du domaine législatif ou du domaine réglementaire.
Le Gouvernement demande le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Jomier, l’amendement n° 2 est-il maintenu ?
M. Bernard Jomier. Je ne vois pas en quoi la précision n’est pas utile, mais j’accepte de retirer mon amendement si le travail est mené dans son intégralité.
M. le président. L’amendement n° 2 est retiré.
L’amendement n° 3, présenté par M. Jomier, Mme Lubin, M. Kanner, Mmes Conconne et Féret, M. Fichet, Mmes Jasmin, Meunier, Le Houerou, Poumirol, Rossignol et les membres du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, est ainsi libellé :
Alinéas 7 à 11
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Bernard Jomier.
M. Bernard Jomier. Cet amendement vise tout d’abord à clarifier un paradoxe : les alinéas 7 à 11 précisent la composition du comité. Or l’alinéa 12 dispose que la composition, l’organisation et le fonctionnement du comité sont définis par décret.
Par ailleurs, la composition inscrite en partie dans le texte est incomplète : la Haute Autorité de santé, par exemple, qui ne relève pas de l’État, puisqu’il s’agit d’une autorité indépendante, ne sera pas sollicitée pour faire partie de ce comité d’experts. Voilà qui me semble prématuré.
Renvoyer la composition du comité à un décret me paraît la bonne solution, raison pour laquelle nous vous proposons de supprimer les alinéas qui établissent une énumération par nature incomplète.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. Comme M. Jomier l’a rappelé, la composition du comité ne relève pas de la loi, mais sa création non plus…
La composition inscrite dans cet article n’est pas exhaustive et le champ des personnalités qualifiées devrait satisfaire l’intention des auteurs de l’amendement. Pour ces raisons, monsieur Jomier, je vous demanderai de bien vouloir le retirer ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. J’aurai du mal à être plus explicite que le rapporteur : monsieur Jomier, il me semble que la rédaction retenue satisfait vos intentions.
Le Gouvernement demande également le retrait de cet amendement ; à défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Jomier, l’amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. Bernard Jomier. Oui, monsieur le président.
Nous avons déjà eu ce débat sur bien d’autres textes et le Gouvernement, chaque fois, nous a demandé de retirer les dispositions définissant une composition partielle. Je me rappelle encore Agnès Buzyn, par exemple, nous expliquant que ce procédé n’était pas cohérent.
M. René-Paul Savary. Vous avez tout à fait raison !
M. Bernard Jomier. Nous proposons de renvoyer cette composition à un décret. J’ai du mal à comprendre le sens de cette énumération limitative. Adressons à l’Assemblée nationale le texte le plus cadré possible juridiquement.
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er, modifié.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
I. – Lorsque, conformément à des stipulations internationales, à des normes communautaires, aux dispositions du code du travail, aux articles 5 et 5 bis de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et à l’article L. 4132-1 du code de la défense, l’accès d’une personne à un emploi ou à une formation requiert de satisfaire à des conditions de santé particulières, ces conditions sont proportionnées aux risques particuliers pour la santé et la sécurité de la personne ou des tiers dans l’exercice des fonctions accessibles.
L’appréciation médicale de ces conditions de santé particulières prévue par des dispositions législatives ou réglementaires est réalisée de manière individuelle et tient compte des possibilités de traitement et de compensation du handicap.
I bis. – (Supprimé)
II. – Les conditions de santé particulières prévues par voie réglementaire sont régulièrement actualisées au regard de l’évolution des modalités d’accomplissement des fonctions, des sujétions liées à ces dernières, des aménagements envisageables et des traitements possibles.
III. – Le présent article entre en vigueur au plus tard le 1er décembre 2022. – (Adopté.)
Article 3
(Supprimé)
Article 4
(Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié, présenté par M. Théophile et les membres du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
Une campagne de communication publique informant sur le diabète et sensibilisant à l’inclusion sur le marché du travail des personnes atteintes de diabète est mise en œuvre au plus tard deux ans après la promulgation de la présente loi.
La parole est à M. Dominique Théophile.
M. Dominique Théophile. Cet amendement vise à rétablir l’article 4 dans la rédaction issue des travaux de l’Assemblée nationale.
En effet, la réalité des personnes atteintes de diabètes est encore mal connue par l’opinion publique, notamment en ce qui concerne les évolutions thérapeutiques améliorant la qualité de vie des diabétiques.
Afin de limiter la discrimination et de favoriser l’accès à l’emploi de ces personnes, il apparaît pertinent d’améliorer la perception et l’information de l’opinion publique sur le diabète. Une campagne de communication publique serait un outil efficace pour assurer la juste représentation des personnes diabétiques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. À titre personnel, je suis favorable à cet amendement, mais la commission est défavorable au rétablissement d’un article qu’elle a supprimé.
Toutefois, il me semble important d’avoir ce débat. Peut-être le Gouvernement pourrait-il prendre des engagements clairs sur cette campagne de communication en faveur des personnes atteintes de diabète : au-delà des 20 millions de Français souffrant de maladies chroniques, ces vies méritent une attention particulière.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Monsieur le rapporteur, la campagne de communication ne relève pas du domaine de la loi, raison pour laquelle votre commission a fort justement supprimé cet article. Le Gouvernement n’entend pas revenir sur cette décision.
Toutefois, monsieur Théophile, votre interpellation mérite d’être entendue. L’inspection générale des affaires sociales conduit actuellement une mission sur les restrictions d’accès à l’emploi des personnes atteintes de maladies chroniques. Olivier Véran, Élisabeth Borne et moi-même suivrons ces travaux avec intérêt. Nous nous appuierons sur les conclusions de cette mission – tout le monde connaît la qualité et la pertinence du travail de l’IGAS –, qui seront rendues en octobre prochain, pour engager une sensibilisation du grand public et lancer une campagne de communication relative aux personnes atteintes de diabète et, plus largement, de maladies chroniques.
Monsieur le sénateur, au regard du travail entrepris par l’IGAS et de cet engagement du Gouvernement, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. le président. La parole est à Mme la présidente de la commission.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. La commission a souhaité supprimer l’article 4, parce qu’une campagne de communication ne relève absolument pas du domaine législatif. Santé publique France peut communiquer sur différentes pathologies ; elle le fait d’ailleurs très bien, comme en témoigne la campagne en cours sur la prévention du cancer. Nous avons voulu que le texte de cette proposition de loi reste dans le domaine législatif.
Mais je suis heureuse que vous ayez déposé cet amendement, monsieur Théophile. Ce débat nous a permis de recueillir l’engagement du Gouvernement. Cette campagne de communication était une demande forte de la Fédération des diabétiques de France. Beaucoup d’autres pathologies, comme l’endométriose, par exemple, devraient également faire l’objet de telles campagnes.
M. le président. Madame la présidente, la prochaine fois que vous considérerez qu’un amendement ne relève pas du domaine législatif, puis-je vous conseiller de le déclarer irrecevable ?
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Il s’agissait de rétablir un article, monsieur le président.
M. le président. Certes, madame la présidente, mais l’amendement aurait tout de même dû être déclaré irrecevable.
Mme Catherine Deroche, présidente de la commission des affaires sociales. Cet amendement nous aura permis de débattre de cette question, monsieur le président, et de recueillir l’engagement du Gouvernement.
M. le président. Et c’est bien là l’essentiel, madame la présidente ! (Sourires.)
Monsieur Théophile, l’amendement n° 4 rectifié est-il maintenu ?
M. Dominique Théophile. Il ne vous a pas échappé qu’il s’agissait d’un amendement d’appel, monsieur le président.
Je voulais entendre le Gouvernement sur cette question importante pour nos territoires d’outre-mer, notamment en Guadeloupe. Le diabète et, de manière générale, les maladies chroniques méritent une campagne de communication musclée, qui contribuerait à éviter de nombreux drames.
Je retire cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié est retiré.
En conséquence, l’article 4 demeure supprimé.
Article 5
(Suppression maintenue)
Intitulé de la proposition de loi
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Iacovelli, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
Proposition de loi relative aux restrictions d’accès à certaines professions en raison de l’état de santé
La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. Cette modification vise à mieux identifier le champ de ce texte.
Si la proposition de loi initiale concernait le diabète et avait été étendue aux maladies chroniques à l’Assemblée nationale, le texte résultant des travaux de notre commission n’a pas retenu la terminologie de maladies chroniques, dont le périmètre ne paraissait pas juridiquement suffisamment opérant.
Cet amendement vise à refléter l’objet du texte en discussion, à savoir les conditions de santé particulières qui peuvent parfois être exigées pour occuper certains emplois.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Votre amendement vise à élargir l’intitulé de la proposition de loi pour qu’il englobe le plus largement possible les problèmes de santé pouvant entraver, de façon discriminatoire, l’accès à l’emploi ou le maintien dans l’emploi.
Dans certaines situations, cet élargissement a du sens. Je pense, par exemple, aux personnes souffrant d’un défaut congénital de perception des couleurs. Ce handicap, qui peut entraîner des restrictions d’accès à certains emplois de la fonction publique, ne serait pas, en l’état, pris en compte dans l’intitulé de la proposition de loi.
Pour autant, il faut veiller à ne pas méconnaître la spécificité des maladies chroniques, et notamment du diabète, qui a justifié le dépôt de cette proposition de loi. Il faut que nous soyons collectivement attentifs au signal que nous envoyons.
Par ailleurs, les missions du futur comité d’évaluation portent spécifiquement sur les maladies chroniques. L’adoption de votre amendement créerait donc un décalage entre la rédaction de l’article 1er et l’intitulé de la proposition de loi.
Je comprends bien votre objectif, mais quelques éléments posent question. Pour ces raisons, le Gouvernement, tout en en considérant avec bienveillance votre proposition, s’en remet à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier Iacovelli, rapporteur. Il s’agissait aussi de mettre le titre en cohérence avec la nouvelle rédaction de l’article 2 et la suppression des termes « maladies chroniques ».
En ce qui concerne l’article 1er, le comité a la capacité d’élargir son champ d’action à l’ensemble des pathologies.
M. le président. En conséquence, l’intitulé de la proposition de loi est ainsi rédigé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Bernard Jomier, pour explication de vote.
M. Bernard Jomier. Nous avons eu des échanges très intéressants. J’en remercie les auteurs de la proposition de loi et le rapporteur.
Plusieurs de nos collègues ont souligné combien cette proposition de loi allait susciter de fortes attentes. La navette parlementaire va se poursuivre et le texte nous reviendra en seconde lecture, après être retourné à l’Assemblée nationale.
La mission du comité est à échéance longue : trois ans. Aussi, j’appelle le Gouvernement à prendre sans attendre les premières mesures réglementaires envisageables. À défaut, les déceptions risquent d’être vives. Je songe, par exemple, au Sigycop : le classement systématique des diabétiques en G4 ou G5 peut être révisé rapidement.
Je voulais appeler le Gouvernement à mener ce travail avant l’achèvement de nos travaux législatifs. Cette question fera consensus et nous le soutiendrons unanimement. (Mme Nadia Sollogoub applaudit.)
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour explication de vote.
M. René-Paul Savary. Le groupe Les Républicains votera ce texte. Je remercie le rapporteur d’avoir pris en compte certaines dispositions, notamment l’élargissement à d’autres pathologies.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez tout pour avancer. Vous allez même pouvoir vous appuyer sur cette mission tout à fait importante de l’IGAS, qui devrait remettre ses travaux en octobre prochain, pour lancer une campagne de communication, comme vous vous y êtes engagé.
On gagne donc à supprimer l’article sur la communication. Si nous l’avions maintenu, rien ne serait arrivé avant trois ans. Les diabétiques ont obtenu satisfaction.
La mission de l’IGAS peut très bien déboucher sur de premiers décrets qui nous permettraient d’avancer sans attendre la fin des travaux du comité, dans trois ans. (Mme Laurence Cohen applaudit.)
La création du comité d’évaluation est une bonne chose : elle nous permet de disposer d’un outil législatif. À défaut, tout relèverait du domaine réglementaire et nous ne pourrions pas faire avancer les choses.
Je compte sur votre détermination, monsieur le secrétaire d’État, pour éviter toute grande déception. On ne peut plus décevoir ces personnes qui attendent depuis trop longtemps. (Mmes Nadia Sollogoub, Colette Mélot et Laurence Cohen applaudissent.)
M. Bernard Jomier. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l’ensemble de la proposition de loi, dont le Sénat a rédigé ainsi l’intitulé : « proposition de loi relative aux restrictions d’accès à certaines professions en raison de l’état de santé ».
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents. Je suis sûr que cela fera plaisir à M. Hakaroa Vallée et à sa famille. (Applaudissements.)
7
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Lors des scrutins nos 127 et 128 portant respectivement sur les articles 1er et 2 de la proposition de loi visant à lutter contre l’indépendance fictive en permettant des requalifications en salarié par action de groupe et en contrôlant la place de l’algorithme dans les relations contractuelles, l’ensemble des membres du groupe Les Indépendants – République et Territoires ont été considérés comme n’ayant pas pris part au vote, alors qu’ils souhaitaient voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de votre mise au point. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique des scrutins concernés.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Gestion de la sortie de crise sanitaire
Adoption définitive des conclusions d’une commission mixte paritaire sur un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire (texte de la commission n° 622, rapport n° 621).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Bas, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dix minutes, c’est plus qu’il n’en faut…
M. Christophe-André Frassa. Merci ! (Sourires.)
M. Philippe Bas, rapporteur. … pour constater que l’accord qui a été trouvé en commission mixte paritaire est important et que le texte sur lequel il porte, même si j’en confirme l’inutilité (Rires sur les travées du groupe Les Républicains.), a le mérite de rappeler un certain nombre de principes.
Si ce texte est inutile, c’est tout simplement parce que tous les pouvoirs qui sont accordés dans le cadre du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire existaient déjà dans celui de l’état d’urgence sanitaire : il aurait donc suffi que l’on demande au Parlement de prolonger l’état d’urgence sanitaire pour en sortir avec les moyens exceptionnels déjà prévus pour répondre à la crise sanitaire, à l’exception du confinement et du couvre-feu.
Moyennant quoi, puisque nous étions favorables à l’état d’urgence sanitaire, il était difficile d’être défavorable à la sortie de ce dispositif. J’espère que vous me suivez, mes chers collègues. (Mêmes mouvements.)
C’est la raison pour laquelle, sans être dupes pour autant, nous avons trouvé un accord avec l’Assemblée nationale.
Le texte comporte tout de même quelques nouveautés. La principale d’entre elles, celle qui a fait couler le plus d’encre et de salive, est le pass sanitaire.
Au fond, nous avons voulu, ici au Sénat, un dispositif qui permette de lever l’interdiction qui aurait pesé sur l’organisation de certains événements. Cette mesure constitue donc, bien sûr, une restriction à la liberté d’aller et venir, mais elle permet de revenir sur une interdiction encore plus radicale, celle qui concernerait la tenue de certains événements.
Autrement dit, si un événement, une foire ou un festival par exemple, entraînait par sa nature même trop de promiscuité, il ne pourrait pas se dérouler, malgré la sortie de l’état d’urgence sanitaire, si nous n’adoptions pas ce pass sanitaire.
Le dispositif a été assorti d’un certain nombre de garanties très importantes. Par exemple, le pass sanitaire est temporaire et ne durera que le temps d’un été. Les personnes qui le contrôlent devront également y être habilitées. Il faut que, au-delà de l’outil numérique, un justificatif au format papier suffise pour accéder aux événements. Par ailleurs, aucune donnée contenue dans le pass ne devra être conservée. Enfin, celui-ci ne devra pas contenir lui-même de données médicales : il devra simplement indiquer si la personne a le droit ou non d’assister à tel ou tel événement.
La mise en place du pass sanitaire a créé beaucoup de confusion. Je regrette par exemple que, au moment même où cette expérimentation temporaire est lancée, par un effet de miroir, on l’assimile au mécanisme qui se met en place au niveau européen pour le franchissement des frontières. Tout le monde se demande s’il s’agit du même pass : non, ce n’est pas le même dispositif ! Il n’obéit d’ailleurs pas aux mêmes règles, puisque c’est la règle européenne qui s’appliquera dans ce cas.
Nous nous trouvons également dans une certaine confusion parce que, dans le même temps, on nous informe qu’il suffirait de scanner un QR code pour aller au restaurant, au café ou dans une salle de sport, et que cela permettrait de déroger à la règle selon laquelle il faut signaler sa présence sur un registre pour pouvoir être rappelé s’il s’avère que l’on a été exposé à un risque de contamination.
En réalité, ces régimes sont totalement distincts les uns des autres. Nous ne nous sommes intéressés, pour notre part, qu’au seul régime qui exigeait une disposition législative, communément appelé le pass sanitaire.
Je crois que le texte tient bien compte de l’avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés et du travail de la Haute Assemblée, qui se veut protectrice de nos libertés.
Nous avons veillé, puisque le Gouvernement tenait à l’existence d’un régime distinct pour la sortie de l’état d’urgence sanitaire, à ce que l’on n’introduise pas de nouvelles dispositions pour répondre à l’urgence sanitaire dans le régime de sortie d’urgence sanitaire : autrement dit, pas de confinement ni de couvre-feu durant cette période !
En outre, comme il paraissait indispensable malgré tout qu’un couvre-feu de plus en plus souple soit maintenu jusqu’au 30 juin, nous avons trouvé une solution toute simple qui consiste à créer un article spécifique prévoyant que le Parlement autorise l’application du couvre-feu jusqu’à cette date.
Enfin, se posait la question de la Guyane. C’est parce que le Gouvernement est, à juste titre, préoccupé par la dynamique de l’épidémie dans cette région qu’il voulait être en mesure de rétablir, pour une partie du territoire national, l’état d’urgence sanitaire durant l’été, si cela lui paraissait indispensable.
Il a complété cette mesure en prévoyant la possibilité que cet état d’urgence sanitaire territorialisé dure deux mois sans vote du Parlement. Nous nous y sommes refusés et avons obtenu satisfaction sur ce point. En contrepartie, nous avons accepté d’autoriser, par la voie législative, que la Guyane puisse faire l’objet d’un couvre-feu et d’un confinement pendant une certaine durée.
Il existe encore bien d’autres dispositions dans ce texte, dont certaines sont très importantes. Je profite de la présence de notre collègue Frassa pour rappeler le travail que nous avons réalisé en commun afin de régler le problème de la désignation des délégués consulaires, qui font notamment partie du collège électoral élisant les sénateurs représentant les Français établis hors de France.
La rédaction que nous avons mise au point au Sénat, et qui a été acceptée par nos collègues députés, règle bien le problème, ou plutôt le règle le moins mal possible : il existe en effet une grande hétérogénéité de situations dans le monde en ce qui concerne l’organisation des élections des délégués consulaires. Il faut bien, de toute façon, faire en sorte que l’élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France, qui sont renouvelables en septembre prochain, après la prolongation d’une année de leur mandat, se tienne dans de bonnes conditions.
Enfin, le texte comporte quelques dispositions relatives à la campagne des élections départementales et régionales. Vous pouvez vous exclamer qu’il était temps, mais je vous signale tout de même que certaines de ces dispositions, comme celles qui concernent le régime des procurations, avaient déjà été votées par le Sénat, avant d’être rejetées par l’Assemblée nationale. Cette fois-ci, nos collègues députés se sont laissés convaincre, ce dont je me réjouis.
Les dispositions qui ont trait à l’organisation de la campagne audiovisuelle me paraissent dénuées de portée : c’est la raison pour laquelle je les ai acceptées (Sourires.) et qu’elles figurent dans le texte qui vous est soumis. Elles n’auront cependant guère d’effets sur cette campagne, qui est un peu hors norme compte tenu de la difficulté d’organiser des réunions publiques. (Mme Nathalie Goulet s’exclame.)
Voilà ce que je voulais vous dire. J’ai essayé de ne pas abuser de mon temps de parole, mais je ne vois pas comment je pourrais prolonger davantage mon intervention… (Applaudissements et rires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État auprès de la ministre du travail, de l’emploi et de l’insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne ferai peut-être pas preuve de la même capacité de synthèse que M. le rapporteur, mais je vais tenter de m’en approcher. (Sourires.)
Je vous prie d’abord de bien vouloir excuser l’absence de mon collègue Olivier Véran, qui a suivi à vos côtés chacune des étapes de ce projet de loi et qui est retenu actuellement à Matignon.
M. Philippe Bas, rapporteur. Ce n’est pas grave !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. À l’issue d’un travail parlementaire exigeant, preuve de l’attachement de chacun sur ces travées à un juste équilibre entre nos libertés et la protection de la santé publique, un compromis a été trouvé. Celui-ci permet d’envisager sereinement l’avenir.
J’aimerais donc saluer ce travail démocratique et, j’oserais dire, cette démocratie tout court qui, à chaque étape d’une crise sanitaire sans précédent, a prouvé qu’elle était le moyen le plus sûr de protéger nos concitoyens dans les meilleures conditions.
À travers vous, j’aimerais saluer tous les élus locaux, de chacun de nos territoires de métropole et d’outre-mer, qui se sont mobilisés de façon remarquable depuis le premier jour. Face à l’impensable, aucune énergie n’a manqué et aucune bonne volonté ne s’est dérobée.
Nous avons fait bloc sans éviter le débat – vous en avez témoigné tout à l’heure –, les doutes et les interrogations. Et si la vie du Parlement a été perturbée, voire bouleversée par cette épidémie, le Sénat n’a jamais manqué à l’appel. Quant à la démocratie, elle n’a jamais été mise en suspens.
Aujourd’hui, après une longue attente, la vie reprend enfin. Elle ne reprend pas parce que nous aimons nous asseoir en terrasse, boire un verre entre amis, aller au théâtre ou au musée, même si c’est une joie immense de retrouver ces plaisirs, mais parce que les indicateurs sont favorables et que la campagne vaccinale progresse et protège chaque jour un peu plus nos concitoyens.
Les prouesses de la science et de la recherche ont rendu possible un espoir qui semblait invraisemblable il y a encore quelques mois seulement. J’insiste sur ce point, parce qu’il est essentiel : les décisions qui sont prises sont tout entières guidées par ce que la science nous permet de savoir et d’espérer.
L’état d’urgence sanitaire prendra donc fin le 2 juin prochain, et nous entrerons alors dans un régime transitoire de sortie de crise sanitaire jusqu’au 30 septembre, ce que vous venez également de rappeler, monsieur le rapporteur.
Dans des conditions très précisément encadrées par la loi, et en complément, le couvre-feu pourra être maintenu pendant le seul mois de juin. Concrètement, il sera fixé entre vingt et une heures et six heures du matin jusqu’au 9 juin, date à laquelle il sera repoussé à vingt-trois heures, sauf dans les territoires encore confrontés à une circulation active du virus.
En cas de rebond épidémique pendant la période estivale et de nouvelle déclaration de l’état d’urgence sanitaire, que personne ne souhaite évidemment, un vote du Parlement sera nécessaire pour proroger le dispositif au-delà d’un mois, notamment en cas de nouveau confinement.
Mais les dispositions du projet de loi tiennent aussi compte de la diversité des territoires de métropole et d’outre-mer, notamment du cas particulier de la Guyane, où la situation se détériore. Les indicateurs épidémiologiques y sont particulièrement élevés. Les tendances observées ces derniers jours laissent à penser que le nombre de patients hospitalisés en réanimation à cause du coronavirus va continuer à augmenter, avec un risque de débordement à court terme. Le pic épidémique n’est pas encore franchi et la plus grande vigilance s’impose.
Le texte prévoit donc que, sur l’initiative des assemblées, l’état d’urgence sanitaire soit maintenu en Guyane jusqu’au 30 septembre prochain.
J’en viens à la question du pass sanitaire, qui a suscité de légitimes interrogations. Avec ce texte, le dispositif bénéficie de conditions d’application strictes et sécurisées, qui résultent en grande partie du travail parlementaire, notamment celui du Sénat, éclairé par l’avis rendu par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) le 12 mai dernier.
Tout d’abord, le pass sanitaire sera temporaire et ne pourra plus être utilisé après le 30 septembre. Ce pass est un moyen de lutter contre la circulation du virus, un outil pour éviter l’apparition soudaine de foyers épidémiques qui deviennent vite – nous le savons – incontrôlables.
Souvenez-vous un instant des premiers clusters apparus à la suite de grands rassemblements. Souvenons-nous aussi de leurs conséquences catastrophiques.
Comme le conseil scientifique l’a rappelé, cet instrument supplémentaire sur le plan sanitaire permettra de rouvrir et de reprendre certaines activités rassemblant un nombre élevé de personnes, tout en contrôlant le risque sanitaire.
Le pass sanitaire sera donc réservé aux grands événements. Des critères de densité devront être pris en compte. En tout état de cause, les gestes barrières devront être respectés.
En aucun cas, un pass sanitaire ne sera réclamé pour aller dans un commerce alimentaire ou un restaurant.
M. Philippe Bas, rapporteur. Absolument !
M. Philippe Bas, rapporteur. Vous avez raison !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Des sanctions seront prises chaque fois que l’on demandera un pass sanitaire en dehors des cas prévus par la loi.
M. Philippe Bas, rapporteur. Vous faites bien de le rappeler !
M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d’État. Les personnes chargées de contrôler le pass devront être habilitées à le faire dans des conditions fixées par voie réglementaire.
Le texte que nous examinons aujourd’hui comporte également plusieurs garanties complémentaires introduites sur l’initiative du Sénat, afin de sécuriser la suite de la gestion de crise.
Le texte inscrit ainsi dans la loi plusieurs précisions en totale cohérence avec l’exercice, par le Gouvernement, des prérogatives qui lui sont nécessaires dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire ou de la lutte contre les menaces sanitaires graves.
Des dispositions ont également été adoptées, sur proposition du Sénat, afin d’encadrer l’intégration au système national des données de santé (SNDS) des données pseudonymisées recueillies dans le cadre des systèmes d’information mis en œuvre pour lutter contre l’épidémie de covid-19. Je pense en particulier à l’information des personnes dont les données seront collectées à compter de l’entrée en vigueur de la loi sur le versement de ces données au SNDS.
Enfin, le texte élaboré par la commission mixte paritaire comprend toute une batterie de mesures d’accompagnement économique et social et d’adaptations opérationnelles pour tenir compte des conséquences de la fin de la crise sanitaire et accompagner la reprise progressive de l’activité.
Vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, il prévoit également des adaptations indispensables au bon déroulement des prochaines échéances électorales. Sur ces sujets, le Parlement a également amélioré et complété les dispositions prévues dans le projet de loi initial.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes à la croisée des chemins. Ce que nous avons vécu, et même souvent subi depuis un an et demi, est derrière nous ; il nous faut désormais décider pour les prochains mois, à la faveur des circonstances et de l’espoir suscité par la campagne vaccinale.
Cette croisée des chemins correspond à la sortie de l’état d’urgence sanitaire. Et quand nous parlons de « sortie », nous ne parlons pas d’une sortie temporaire, mais d’une sortie que nous espérons définitive, une bonne fois pour toutes. Voilà notre seule ambition, et je sais que vous la partagez toutes et tous.
La joie de retrouver notre mode de vie et ces nombreux plaisirs n’exclut pas l’indispensable prudence, la nécessité de ne pas oublier que le combat contre le virus est toujours d’actualité.
Les échanges sur ce texte ont révélé des divergences et ont demandé un travail approfondi, mais nous nous rejoignons finalement sur la nécessité d’outils robustes, qui nous permettent d’être raisonnablement optimistes.
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre pays va entamer une période transitoire vers la sortie de crise. Si nous déplorons toujours plus de 10 000 contaminations par jour, le taux d’occupation des services de réanimation continue de diminuer. La vaccination progresse avec près de 400 000 injections par jour et plus de 23 millions de personnes ayant reçu une première dose.
Ces indicateurs sanitaires ne doivent pas endormir notre vigilance, mais ils nous permettent d’envisager la fin des restrictions. Une première étape a été franchie le 19 mai dernier à la terrasse des cafés, dans les musées et les cinémas.
Il demeurait indispensable de prévoir un régime transitoire, afin de sortir du régime d’exception que constitue l’état d’urgence sanitaire. Dans les délais extrêmement courts que nous impose la pandémie, les deux chambres du Parlement sont parvenues à un accord, ce dont je me réjouis.
Le texte restreint les mesures que peut prendre le Gouvernement à compter du 2 juin 2021 et jusqu’au 30 septembre 2021 inclus. En limitant ces prérogatives, le projet de loi ne laisse toutefois pas l’exécutif dépourvu de moyens d’action en cas de reprise de l’épidémie. Afin de la garder sous contrôle, le Gouvernement pourra ainsi toujours activer l’état d’urgence sanitaire si les circonstances l’exigent.
La sortie de crise sanitaire implique néanmoins un allégement progressif des restrictions, afin que nous retournions à la vie normale, tout en restant vigilants.
Le pass sanitaire est l’un des dispositifs de cette période de transition. Il a soulevé de nombreuses inquiétudes, qui sont légitimes, puisqu’il est question de nos données de santé et de notre liberté d’aller et venir.
La commission des lois du Sénat a voulu en préciser les contours pour l’encadrer au mieux.
Afin de préserver les libertés et les données personnelles de nos concitoyens, plusieurs recommandations de la CNIL ont été suivies. Le pass ne sera ainsi qu’une option offerte à ceux qui souhaitent voyager ou participer à de grands rassemblements. Je tiens à le rappeler ici : il ne sera en aucun cas obligatoire. La présentation du résultat du test ou du justificatif de vaccination pourra se faire sous format papier ou numérique.
Les données contenues sont strictement encadrées. Demander ces données en dehors des cas prévus par la loi ou bien les conserver constitue une infraction punie d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Nous devons rappeler que ce dispositif n’a vocation ni à durer ni à s’appliquer aux actes du quotidien. Nous veillerons à ce que cela reste le cas.
Ce régime transitoire n’est pas un retour à la vie normale, mais constitue une étape vers l’atteinte de cet objectif. Les libertés ne sont pas encore pleinement retrouvées, mais elles seront moins contraintes que sous le régime de l’état d’urgence sanitaire.
L’accord trouvé en commission mixte paritaire est équilibré : le régime est davantage respectueux des libertés, sans pour autant que l’on néglige la lutte contre le virus. Le groupe Les Indépendants – République et Territoires votera par conséquent en faveur de ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Bernard Buis.
M. Bernard Buis. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous pouvons saluer l’accord que nous nous apprêtons à voter ce soir. Il marque la convergence des assemblées sur une sortie de crise assortie d’une vigilance sanitaire qui se concilie de façon équilibrée avec l’exercice des libertés individuelles. Je veux à ce titre remercier notre rapporteur de son travail attentif et exigeant.
Sur le fondement du texte élaboré par la commission mixte paritaire, nous sortirons donc de l’état d’urgence sanitaire le 2 juin prochain – définitivement, nous l’espérons –, et entrerons dans un régime transitoire de sortie de crise qui prendra fin le 30 septembre.
Ce régime confie plusieurs prérogatives au Premier ministre. Elles ont été validées par le Conseil constitutionnel au mois de juillet dans le cadre d’un précédent régime transitoire, et sont de nature à faciliter l’adaptation des mesures à l’évolution des indicateurs épidémiologiques, sans pour autant que l’on puisse imposer un nouveau confinement ni, après le 30 juin, un nouveau couvre-feu.
Nous espérions tous la réouverture du pays qui s’est engagée ; nos concitoyens l’attendaient. Elle est possible grâce à l’amélioration globale de la situation sanitaire depuis plusieurs semaines.
Je veux d’ailleurs ici avoir une pensée pour la Guyane, territoire de mes collègues Georges Patient et Marie-Laure Phinera-Horth : la dynamique épidémiologique et la charge des services de réanimation y imposent une prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 30 septembre. Nous espérons une amélioration rapide de la situation.
La réouverture du pays est également permise par le rythme soutenu de la campagne de vaccination : à la date du 25 mai, 46 % de nos concitoyens majeurs avaient reçu au moins une première injection.
La reprise des grands rassemblements est enfin rendue possible par des dispositifs de nature à éviter – je l’espère – des résurgences localisées de l’épidémie.
Je pense au pass sanitaire, qui s’inscrit dans une dynamique européenne et qui a légitimement occupé notre attention et nos débats. Les différents groupes du Sénat ont contribué à en encadrer les modalités, à la lumière de l’avis de la CNIL. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui sécurise utilement le dispositif.
Les garanties dont il a été assorti, et auxquelles nous tenons, ont été rappelées. Le pass sanitaire n’est pas un pass vaccinal. Son application est encadrée dans le temps par la loi et prendra fin le 30 septembre 2021. Il ne pourra être demandé que pour certains grands rassemblements de personnes, et non pour des activités quotidiennes, selon des critères de densité adaptés aux caractéristiques des lieux. Aussi, le pass sanitaire ne pourra être demandé dans d’autres situations que celles qui sont prévues par la loi, sous peine d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Fera également l’objet de sanctions la conservation, après vérification, des documents figurant dans le pass sanitaire, qui ne pourront d’ailleurs être contrôlés que par des personnes habilitées et nommément désignées.
Dans la même dynamique de protection de la vie privée et des données personnelles, l’intégration des données de santé liées à la covid-19 au système national des données de santé, sur laquelle le Conseil d’État avait émis un avis favorable, est aussi encadrée par des garanties nouvelles.
Enfin, la prolongation des mesures économiques et sociales prises pour faire face aux conséquences de la crise sanitaire et accompagner la reprise, ainsi que les dispositions prévues en vue du bon déroulement des scrutins du mois de juin illustrent une approche globale nécessaire dans la période de sortie de la crise sanitaire.
Au regard des équilibres et des garanties que comporte le projet de loi, le groupe RDPI votera les conclusions de la commission mixte paritaire, élaborées en commun par les deux assemblées, sur un texte de sortie de crise dont nous espérons qu’il soit le dernier. (M. le rapporteur applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Fialaire.
M. Bernard Fialaire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous le savons, pour lutter contre cette épidémie, il est nécessaire de mobiliser des ressources logistiques et scientifiques, tout comme un véritable arsenal juridique, qui a pu justifier l’institution d’un régime d’exception, qualifié d’état d’urgence sanitaire.
Depuis plus d’un an, le Sénat accorde au Gouvernement sa confiance pour le faire. Il est donc temps que nous envisagions de quitter ce régime, de la même façon que nous l’avions entrepris au mois de juillet dernier, avec l’espoir, cette fois, qu’il ne faille pas à nouveau revenir en arrière.
Face ce besoin, les différentes positions exprimées au sein de notre Parlement sont venues soulever certaines difficultés.
D’un côté, chacun convenait aisément de la nécessité qu’il y avait à prolonger certains pouvoirs offerts au Gouvernement et à l’administration pour encore quelques mois.
D’un autre, nous pouvions observer des divergences très fortes quant au discours et à la nature du dispositif devant réaliser cette prolongation.
D’ailleurs, le groupe du RDSE s’interrogeait sur l’articulation proposée par notre rapporteur, qui prorogeait pour un mois l’état d’urgence, basculant ensuite, au 1er juillet, dans un régime restreint de sortie de l’état d’urgence.
L’ingéniosité juridique était louable, mais, comme l’avait souligné ma collègue Maryse Carrère, elle pouvait être source d’ambiguïtés nouvelles.
En premier lieu, parce que jusqu’à présent le Sénat s’était montré prudent face à l’idée de proroger l’état d’urgence.
En second lieu, parce que nous ne savions pas quel serait l’accueil réservé à ces mesures par nos concitoyens, au vu, à la fois, de leur lassitude face aux restrictions qui perdurent depuis des mois et de leur enthousiasme, qui s’observe depuis une semaine avec l’assouplissement de certaines mesures.
Aussi, nous tenons à saluer le travail de la commission mixte paritaire, qui a su trouver un accord abandonnant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire. Il en ressort un texte plus convaincant. En effet, s’il abandonne cette disposition clivante, il retient l’ensemble des garanties déjà adoptées par le Sénat.
Nous pouvons penser à celles qui visent à mieux délimiter l’usage du pass sanitaire, ou encore à celles qui ont été ajoutées à l’article 4, en vue, notamment, d’interdire expressément toute limitation des réunions dans les locaux d’habitation.
Toutefois, nous demeurerons particulièrement vigilants quant à l’usage qui sera fait de ces dispositions. En effet, comme nous l’avions souligné lors de l’examen précédent, il reste de nombreuses incertitudes autour de ces dispositifs.
J’aimerais également insister sur la rédaction retenue pour l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, limitant strictement les mesures exceptionnelles pouvant être prises par le ministre de la santé en cas de menace sanitaire.
Je tiens ici à rendre hommage au travail de modernisation et d’anticipation engagé par notre rapporteur Philippe Bas. Ce travail devrait être poursuivi, à défaut d’avoir été engagé plus tôt.
Pour le reste, le présent texte achève de définir le cadre juridique d’un certain nombre de scrutins dont les échéances approchent.
Il m’offre ainsi l’occasion de rappeler combien les campagnes électorales sont difficiles à mener au regard des conditions sanitaires et des restrictions qu’elles impliquent.
Mme Nathalie Goulet. Absolument !
M. Bernard Fialaire. J’espère malgré tout que les candidats sauront mobiliser nos concitoyens afin que nos institutions trouvent, en dépit du contexte, la vitalité républicaine que nous leur souhaitons. Nos conseils locaux ont été, durant toute cette crise, des piliers démocratiques, et ils le seront encore à l’heure de la relance. Il faut donc tout faire pour endiguer l’abstention et la tentation des extrêmes.
Pour conclure, si je suis pour ma part favorable au texte dans sa nouvelle rédaction, la position du groupe du RDSE demeure partagée. Chacun de ses membres disposera donc, comme nous en avons la coutume, d’une entière liberté de vote.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous nous réjouissons de la prise en compte, par la commission mixte paritaire, des nombreuses modifications apportées par le Sénat, grâce auxquelles le texte final apparaît un peu plus acceptable.
Néanmoins, nous continuons de regretter, à la fois, la méthode et les dispositifs employés pour gérer cette supposée sortie de crise.
Sortons-nous d’un régime d’état d’urgence sanitaire ou entrons-nous dans un régime transitoire ? Notre interrogation à ce propos demeure, et ce malgré les débats nourris que nous avons pu avoir. J’oserai dire qu’il y a un peu des deux à la fois, ce qui n’est pas pour faciliter la compréhension d’un tel système par le commun des mortels.
En outre, parallèlement aux deux régimes juridiques en question, concentrant entre les mains de l’exécutif des prérogatives de police administrative d’exception, ce texte ajoute un troisième régime nouveau : un possible état d’urgence sanitaire territorialisé, qui permettrait un reconfinement territorial. Au départ prévu pour deux mois, ce régime a été ramené à un mois au fil des discussions. C’est heureux, bien que, à nos yeux, tous ces dispositifs exorbitants du droit commun soient nuisibles à notre démocratie sur le long terme, alors même que le code de la santé publique permet au Gouvernement de décréter l’état d’urgence sanitaire jusqu’au 31 décembre prochain si la situation l’exige.
J’attire votre attention, mes chers collègues, sur les conséquences d’un amendement du Gouvernement adopté au Sénat en première lecture. Le nouvel article 7 bis prévoit un allégement de la procédure de sauvegarde des entreprises, afin de réduire les délais des petites entreprises en instance devant les juridictions de commerce et des prud’hommes. Un mandataire judiciaire serait désormais nommé pour aider ces entreprises, employant de 11 à 20 salariés, à trouver une solution afin de leur éviter de mettre la clé sous la porte.
C’est une bonne chose, sauf que, au passage, le Gouvernement a mis de côté les représentants syndicaux du personnel et les prud’hommes, qui ne pourront plus contester ni vérifier le plan de redressement et d’apurement des créances des entreprises.
Bien évidemment, nous partageons la préoccupation du Gouvernement d’éviter les faillites, mais le régime d’exception de sortie de crise ne doit pas être un prétexte pour déroger aux droits collectifs dans les entreprises.
S’agissant de la principale innovation instaurée par ce texte, le pass sanitaire, je ne reviendrai pas précisément sur les nombreuses inquiétudes que ce dispositif continue de susciter : données personnelles, contrôle, excès d’usage, etc. Néanmoins, si l’encadrement souhaité par le Sénat a été confirmé, il convient tout de même de s’interroger sur l’idée qu’il pourrait porter en creux : une forme de ségrégation entre individus sains et individus infectés par la covid-19, dont nous pouvons craindre les pires dérives. Nous serons donc extrêmement vigilants sur ce sujet.
D’ailleurs, nous nous associons à la demande de précisions de la Défenseure des droits, Claire Hédon, elle aussi inquiète quant à la mise en œuvre d’un tel pass, notamment concernant l’absence de limite d’âge pour les mineurs, le manque de précisions sur la durée de validité en cas d’immunité post-infection ou sur l’évaluation du dispositif.
Le Conseil constitutionnel sera saisi par les groupes de gauche à l’Assemblée nationale afin qu’il puisse apporter sa lecture du dispositif. Nous mettons beaucoup d’espoir dans cette démarche.
Pour l’heure, comme pour le projet de loi initial, la mouture finale de la commission mixte paritaire, telle qu’elle apparaît dans ces conclusions, n’emporte pas notre adhésion.
M. le président. Je salue l’arrivée de M. le secrétaire d’État Cédric O.
La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la perspective d’une sortie de cette période extraordinairement complexe, inquiétante et inédite est plutôt une bonne nouvelle. L’accord trouvé en commission mixte paritaire en est une également, et nous nous en félicitons. La majeure partie du groupe Union Centriste votera donc ce texte – sans surprise, monsieur le rapporteur.
Nous saluons le travail rigoureux du Sénat et, surtout, nous souhaitons insister sur le contrôle et le suivi très précis que notre assemblée a réalisés durant tous ces mois sur les différents textes examinés, sur les circonstances auxquelles ils se rapportaient, sur toutes les étapes qui nous conduisent au vote de ce soir.
Tout a été dit, ou presque. Je tiens néanmoins à rappeler nos inquiétudes sur la question des données de santé, dont je considère qu’elle n’est absolument pas réglée, ni pour aujourd’hui ni pour demain, ainsi que sur le sujet du pass sanitaire, suscitant encore interrogations et perplexité chez de très nombreux collègues.
À cet égard, monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais savoir ce qu’il en est d’un possible pass européen. Comment les autres États membres envisagent-ils la question ? En effet, à un moment ou à un autre, les choix de l’Union européenne risquent de percuter notre droit national et il faudra se plier à certaines décisions. Où en est-on de cette perspective d’un pass européen ?
Je ne peux pas m’empêcher de faire le lien avec le fichier des données des dossiers passagers, ou Passenger Name Record (PNR). À l’époque, nous avions indiqué avec force que nous n’en voulions à aucun prix ; quand les États-Unis l’ont imposé, il a bien fallu courber l’échine et, même si la commission des libertés du Parlement européen a réduit l’envergure de ce PNR, nous avons tout de même été contraints d’y adhérer. Nos amis américains sont-ils en train de nous préparer quelque chose qui y ressemblerait ?
Il serait intéressant de connaître les positions de nos partenaires internationaux sur ce sujet… Je rappelle qu’à l’heure actuelle il faut une National Interest Exception pour se rendre aux États-Unis. Vous ne pouvez y voyager que si c’est dans l’intérêt des États-Unis, même si vous êtes vacciné. Dès lors que vous êtes resté 14 jours dans l’espace Schengen, vous ne pouvez pas y aller.
Même Miss France a dû attendre plusieurs semaines pour obtenir cette National Interest Exception ! Or je ne vois pas qui peut rivaliser avec elle ici – certainement pas celle qui se trouve à cette tribune… (Sourires.)
En tout cas, dès lors que l’on ne vit pas qu’en France, la question se pose sérieusement.
Même si, monsieur le secrétaire d’État, nous plaçons évidemment nos espoirs dans la campagne de vaccination, il reste donc de sérieux points d’interrogation. S’agissant de l’évolution de ce pass européen, notamment, j’attends vraiment les réponses du Gouvernement, qui nous permettront de nous préparer et de préparer nos concitoyens à cette perspective.
M. le président. La parole est à M. Jean-Yves Leconte.
M. Jean-Yves Leconte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, lors de l’examen du texte, l’orateur du groupe socialiste, Marie-Pierre de La Gontrie, avait évoqué un texte en trompe-l’œil, témoignant d’une volonté d’annoncer la fin de l’état d’urgence sanitaire, tout en permettant au Gouvernement de conserver des prérogatives exorbitantes du droit commun en matière de restriction de circulation, d’interdiction de rassemblements ou d’événements, de fermeture d’activités ou d’établissements. En définitive, la seule chose que le présent projet de loi n’autorise pas le Gouvernement à faire est d’imposer un confinement total… qu’il peut mettre en œuvre par décret !
La discussion entre l’Assemblée nationale et le Sénat s’est donc conclue par un accord, dans lequel la majorité sénatoriale a dû renoncer à plusieurs garanties votées la semaine dernière par notre assemblée – c’est tout le sens du compromis. Malheureusement, elle a souvent « lâché » sur des dispositions issues de l’adoption d’amendements du groupe socialiste.
Si la situation en France et en Europe apparaît plus favorable aujourd’hui, avec une vaccination offrant des perspectives optimistes en dépit des foyers de reprise, la pandémie frappe encore très durement dans le monde et plusieurs pays sont aujourd’hui tragiquement touchés. En conséquence, nous ne pouvons pas totalement baisser la garde et prétendre que nous sommes sortis de la crise.
Cela rend indispensable le débat sur le pass sanitaire, que l’on ne peut pas restreindre au fait de savoir si la liberté réside dans l’adoption ou non de ce pass. Il est évident que, sans pass, il y aura des risques et que, tant qu’il y a des risques, on ne pourra pas retrouver une vie normale. Voilà pourquoi le groupe socialiste a fait le choix du pass sanitaire, bien encadré.
Pour autant, le texte ne prévoit pas un encadrement strict du dispositif. Nous avons été vigilants sur la protection des données et sur l’usage du pass, mais nous devons constater que l’ensemble des recommandations de la CNIL n’ont pas été prises en compte.
Si celle-ci avait bien pris acte des précisions apportées par le Gouvernement quant à la nature des lieux, établissements et événements concernés par ce dispositif et du fait que ceux-ci seraient définis par voie réglementaire, elle suggérait que la jauge, le seuil de fréquentation minimale au-delà duquel le pass sanitaire pourrait être utilisé, et les types d’établissements fassent l’objet d’un encadrement législatif. Cette suggestion n’a pas été retenue, et c’est une des raisons majeures de notre rejet du présent texte.
Le débat parlementaire n’a pas non plus montré, à ce stade, la volonté du Gouvernement de reconnaître les certificats de vaccination et de rétablissement établis à l’étranger.
Si l’on peut considérer que le règlement européen sur le certificat vert numérique encadre cette reconnaissance pour les documents européens, nous n’avons rien au-delà. De nouveau, nous avons constaté au cours du débat que le Gouvernement n’envisageait aucune reconnaissance systématique et, alors qu’une telle mesure avait été adoptée au Sénat, elle a été sacrifiée sur l’autel de l’accord avec l’Assemblée nationale.
Il semble également que le Gouvernement – cela a été dit au cours des discussions au Sénat – envisage de poser des conditions plus strictes à l’entrée que les simples conditions liées au certificat vert numérique européen. Si cela signifie que ce dernier s’appliquera lorsque l’on arrivera d’un pays de l’Union européenne, avec des restrictions supplémentaires dans les autres cas, il faut au moins prévoir un dispositif coordonné au niveau de l’Union européenne. Sans quoi, ces mesures ne seront pas effectives et n’auront d’autre but que de s’adresser à l’opinion ; ce seront des mesures politiques, non sanitaires.
Hier, par exemple, le Gouvernement a décidé d’imposer une quarantaine aux voyageurs en provenance du Royaume-Uni, alors que la situation y est plus favorable qu’en France. C’est, on le comprend bien, pour tenir compte du variant indien, mais nous savons que, pour avoir une utilité, ces mesures doivent être coordonnées au niveau européen. À quoi sert-il de négocier des convergences sur certains sujets si, dans le même temps, on prend des initiatives divergentes ? Quelle est l’efficacité ? On se le demande…
Enfin, en tant que sénateur des Français établis hors de France, je ne saurai prendre la parole sur ce texte sans évoquer l’article 12.
M. Philippe Bas, rapporteur. Évidemment !
M. Jean-Yves Leconte. Inséré dans le projet de loi par voie d’amendement gouvernemental, cet article a été récrit par notre rapporteur au Sénat,…
M. Christophe-André Frassa. Très bien récrit !
M. Jean-Yves Leconte. … ce qui lui a conféré une plus grande robustesse juridique que celle du texte initialement improvisé par le Gouvernement.
Celui-ci tendait à ouvrir une possibilité de report des opérations électorales, alors que la campagne officielle serait déjà entamée et que nous connaissions, depuis plus de deux mois, les problèmes qui allaient se poser. Par ailleurs, les opérations électorales par le biais d’internet sont aujourd’hui closes, alors que le texte ouvrant la possibilité de report des élections n’est toujours pas adopté. Enfin, si la loi est soumise à l’examen du Conseil constitutionnel, ce qui semblerait être le cas, elle pourrait ne pas être promulguée avant que les mandats des conseillers des Français de l’étranger n’arrivent à échéance. Comment proroger des mandats qui seraient déjà clos ?
L’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi me semble assez perturbé par certaines dispositions relatives à l’Assemblée des Français de l’étranger, à son renouvellement et à la prorogation des mandats actuels. Cela tient à leur manque de lisibilité : il faut lire les commentaires d’article dans le rapport pour comprendre que les mandats seront prorogés jusqu’à la tenue des élections consulaires reportées et que le renouvellement aura bien lieu en totalité, dans le mois qui suivra la dernière élection partielle qui aura dû se tenir.
Nous savons maintenant que, sauf surprise d’ici dimanche, ce report concerne la circonscription de Madagascar et les deux circonscriptions d’Inde. Ces élections devront être organisées après les élections sénatoriales de septembre.
À ce sujet, monsieur le secrétaire d’État, j’attire votre attention sur un point de nature réglementaire : le report des élections à l’Assemblée des Français de l’étranger entraînera le report de l’élection, par cette dernière, du conseil d’administration de la Caisse des Français de l’étranger. Cette question doit être traitée assez rapidement. C’est une conséquence logique, c’est d’ordre réglementaire, mais il faut y penser dès maintenant.
M. le président. Il faut conclure.
M. Jean-Yves Leconte. Le groupe socialiste, qui s’était déjà exprimé contre ce projet de loi la semaine dernière, ne saurait adopter un texte dans lequel ont été supprimées un certain nombre de mesures découlant d’amendements qu’il a défendus. Par conséquent, nous voterons de nouveau contre ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous terminons les travaux de la semaine par l’examen des conclusions de la commission mixte de jeudi dernier sur le projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire, sur le rapport de notre excellent collègue Philippe Bas.
Alors même que l’épidémie ralentit à travers le pays et que la vaccination de la population se poursuit gentiment, nous aurions, en l’état actuel du droit, quitté l’état d’urgence sanitaire au commencement du mois de juin prochain.
Il est donc légitime de réfléchir à doter l’exécutif des outils et pouvoirs indispensables à la poursuite de la réponse publique face au coronavirus.
En l’espèce, c’est la huitième fois qu’un texte d’urgence est discuté par le Parlement depuis le mois de mars 2020. Comme à chacune de ces étapes de la gestion de la crise sans précédent que traverse notre pays, notre assemblée a abordé l’examen du projet de loi présenté par le Gouvernement dans une démarche de responsabilité, mais surtout de rigueur et de clarté.
Cette rigueur et cette clarté s’avéraient d’autant plus nécessaires que le texte, tel qu’il nous était parvenu de l’Assemblée nationale, n’était pas dépourvu d’ambiguïtés, incitant le législateur à la prudence.
Il aurait en particulier maintenu d’importants pouvoirs entre les mains de l’exécutif, laissant à penser que le nouveau régime de sortie de l’urgence sanitaire n’était guère qu’une reconduite déguisée de ce dernier.
Or, le Sénat a depuis plus d’un an pris position en faveur d’une délimitation plus nette entre, d’un côté, le régime dérogatoire du droit commun caractéristique de l’urgence sanitaire et, de l’autre, tout régime transitoire destiné à accompagner la fin de la crise.
C’est donc tout naturellement que notre position a été de limiter l’intensité des atteintes aux libertés publiques qui pourraient découler de la nouvelle loi.
Un autre point d’attention, qui aura fait couler beaucoup d’encre, était l’instauration d’un passeport sanitaire, à la présentation duquel serait conditionné l’accès à certains lieux.
À juste titre, cette mesure a pu engendrer une certaine circonspection chez nos concitoyens. Nous avons toutefois considéré que ses avantages dépassaient ses inconvénients, à condition d’en renforcer considérablement l’encadrement.
L’accord obtenu avec nos collègues députés en commission mixte paritaire a heureusement permis de préserver les garanties ajoutées par le Sénat sur ces deux priorités centrales.
D’une part, cette loi permettra de marquer une transition claire vers un régime significativement moins dérogatoire du droit commun.
Le couvre-feu demeurera possible durant le seul mois de juin, tandis que, contrairement à ce qui avait été initialement envisagé, aucun reconfinement territorial de deux mois ne pourra être décidé sans passage devant la représentation nationale. Les mesures de ce type ne continueront de s’appliquer d’entrée de jeu qu’en Guyane, où la situation sanitaire dégradée les rend nécessaires.
D’autre part, le texte de la commission mixte paritaire a permis de sauvegarder l’essentiel des garanties sénatoriales sur la question du passeport sanitaire.
Ce dernier pourra exister en format papier, et les informations du « pass » ne seront pas entièrement accessibles aux contrôleurs sur le terrain. Au contraire, ce seront les contrôleurs qui feront l’objet d’un meilleur encadrement, par l’établissement de sanctions destinées à empêcher tout détournement du dispositif et par l’association de la CNIL à la préparation des décrets d’application.
Le texte de la commission mixte paritaire a également conservé d’autres apports sénatoriaux, comme la rénovation, que nous avions déjà plusieurs fois proposée, de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique, des garanties procédurales supplémentaires pour le bon déroulement des prochaines élections, ou encore la sécurisation des droits des personnes dont les données pourraient être reversées dans le SNDS.
Je me limiterai à évoquer, ici, la modification de l’article 12, concernant les Français de l’étranger et qui leur donnera, enfin, plus de visibilité et d’assurances.
Il était effectivement manifeste que l’organisation des élections des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires des 29 et 30 mai risquait d’être gravement perturbée par les conséquences de l’épidémie et qu’une solution devait être trouvée.
Largement inspirée par le Sénat, la rédaction de la commission mixte paritaire a le mérite de faire en sorte que cette solution ne se traduise pas par de futures complications procédurales, tant pour le renouvellement de l’Assemblée des Français de l’étranger que pour l’élection des six sénateurs des Français de l’étranger, prévue au mois de septembre de cette année.
Pour conclure, le Sénat n’a certes pas obtenu gain de cause sur l’absolue intégralité de ses propositions. Toutefois, le bilan global nous semble positif. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera le texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après le débat au Sénat, la commission mixte paritaire chargée d’examiner les dispositions de ce projet de loi a trouvé un accord.
Ce texte tend à mettre en place un ensemble d’outils, accompagnant une sortie de la crise sanitaire que notre pays traverse depuis plus d’un an.
Il faudra du temps pour endiguer les conséquences économiques que certains secteurs et de nombreux foyers ont subies. Mais nous pouvons déjà nous réjouir d’un début de reprise de l’activité. Nous l’avons vu ces derniers jours, nous l’avons observé avec plaisir dans notre belle capitale, les Français réinvestissent avec enthousiasme ces lieux de sociabilité dont la covid-19 les avait privés. Ils soutiennent les commerçants et reprennent le rythme d’une vie sociale plus libre.
Mais venons-en au dispositif du projet de loi…
Les garanties avec lesquelles le Sénat a souhaité encadrer le recours au pass sanitaire sont confirmées dans cette version du texte.
Cependant, nous regrettons que ces garanties ne comprennent pas la précision que nous souhaitions apporter quant au terme de « grands rassemblements de personnes ». Sans instauration d’une jauge claire, cette notion reste bien trop floue, contrevenant ainsi au respect de l’exigence constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi.
De même, nous regrettons qu’aucune limitation de la durée de conservation des données de santé recueillies dans les systèmes d’information Sidep et Contact Covid n’ait été mise en place. Une fois intégrées au système national des données de santé, celles-ci pourront être conservées pour une durée allant jusqu’à vingt ans. C’est beaucoup trop !
Nous saluons par ailleurs l’instauration d’une clause de revoyure, qui permettra enfin d’associer le Parlement à la prise de décision dans cette lutte face au covid-19. Pour autant, il nous paraît important de faire, le moment venu, le bilan de cette gestion de crise par le Gouvernement, sur laquelle nous ne sommes pas toujours d’accord.
Disons-le, les mesures que nous votons aujourd’hui doivent avant tout être des mesures temporaires, de gestion de sortie de crise. Nous ne pouvons concevoir une utilisation – notamment du pass sanitaire – au-delà d’une période où la France aura largement déployé sa politique vaccinale et atteint l’immunité collective sur son territoire.
Il importe alors de mener une réflexion de fond sur des mesures durables, permettant d’éviter une nouvelle impréparation des pouvoirs publics face au risque pandémique. Je l’ai dit en première lecture et je le redis, nous n’aurions pas pu prévoir cette crise, mais nous aurions pu bien mieux la gérer, et à bien des égards. Nous l’avons applaudi tous les soirs à 20 heures ; il est maintenant temps d’écouter notre personnel hospitalier ! Il est temps de redonner des moyens à l’hôpital public et de traiter le service public avec considération !
Vous l’aurez compris, ce texte ne satisfait pas pleinement le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires. Pour cette raison, il s’abstiendra.
M. le président. Il n’est pas de coutume que le Gouvernement réponde aux orateurs lors des lectures de conclusions d’une commission mixte paritaire, monsieur le secrétaire d’État, mais comme Mme Nathalie Goulet vous a interpellé directement, je vous laisse quelques minutes pour vous exprimer.
La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Cédric O, secrétaire d’État auprès du ministre de l’économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Je serai extrêmement bref, monsieur le président.
Permettez-moi d’abord de remercier la Haute Assemblée pour son sens des responsabilités et pour l’accord qui a pu être trouvé en commission mixte paritaire. Ces remerciements s’adressent notamment à M. le rapporteur.
Je voudrais ensuite répondre à Mme Goulet. Tout est prévu au niveau européen – j’oserai presque dire : tout est prêt ! Le 1er juillet, le pass sanitaire européen entrera en vigueur. Les éléments juridiques ont été adoptés en trilogue voilà quelques jours. Le règlement a été ou est en passe d’être voté par le Parlement européen. Par ailleurs, nous avons mené des tests techniques voilà dix jours, avec quatre autres pays européens, tests qui se sont révélés fructueux.
Ce pass sanitaire européen existera donc à compter du 1er juillet, et il sera bien évidemment possible d’utiliser les codes QR délivrés par la France pour se rendre dans les autres pays européens.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, le Sénat examinant après l’Assemblée nationale le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il se prononce par un seul vote sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire
Article 1er
I. – À compter du 2 juin 2021 et jusqu’au 30 septembre 2021 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 :
1° Réglementer ou, dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus, interdire la circulation des personnes et des véhicules ainsi que l’accès aux moyens de transport collectif et les conditions de leur usage et, pour les seuls transports aériens et maritimes, interdire ou restreindre les déplacements de personnes et la circulation des moyens de transport, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux, professionnels et de santé ;
2° Réglementer l’ouverture au public, y compris les conditions d’accès et de présence, d’une ou de plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunion, à l’exception des locaux à usage d’habitation, en garantissant l’accès des personnes aux biens et aux services de première nécessité.
La fermeture provisoire d’une ou de plusieurs catégories d’établissements recevant du public ainsi que des lieux de réunions peut, dans ce cadre, être ordonnée lorsqu’ils accueillent des activités qui, par leur nature même, ne permettent pas de garantir la mise en œuvre des mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus ou lorsqu’ils se situent dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une circulation active du virus ;
3° Sans préjudice des articles L. 211-2 et L. 211-4 du code de la sécurité intérieure, réglementer les rassemblements de personnes, les réunions et les activités sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public ;
4° et 5° (Supprimés)
I bis. – A. – À compter du 2 juin 2021 et jusqu’au 30 septembre 2021 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19 :
1° Imposer aux personnes souhaitant se déplacer à destination ou en provenance du territoire hexagonal, de la Corse ou de l’une des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution de présenter le résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, ou un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19 ;
2° Subordonner l’accès des personnes à certains lieux, établissements ou événements impliquant de grands rassemblements de personnes pour des activités de loisirs ou des foires ou salons professionnels à la présentation soit du résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, soit d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19, soit d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19. Cette règlementation est appliquée en prenant en compte une densité adaptée aux caractéristiques des lieux, établissements ou événements concernés, y compris en extérieur, pour permettre de garantir la mise en œuvre de mesures de nature à prévenir les risques de propagation du virus.
Un décret détermine, après avis du comité de scientifiques mentionné à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique, les éléments permettant d’établir le résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, le justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou le certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19.
B. – La présentation d’un résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19 dans les cas prévus au A du présent I bis peut se faire sur papier ou sous format numérique.
La présentation, sur papier ou sous format numérique, des documents mentionnés au premier alinéa du présent B est réalisée sous une forme ne permettant pas aux personnes habilitées ou aux services autorisés à en assurer le contrôle de connaître la nature du document ni les données qu’il contient.
C. – Les personnes habilitées et nommément désignées et les services autorisés à contrôler les documents mentionnés aux 1° et 2° du A du présent I bis pour les sociétés de transports et les lieux, établissements ou événements concernés ne peuvent exiger leur présentation que sous les formes prévues au dernier alinéa du B et ne sont pas autorisés à les conserver ou à les réutiliser à d’autres fins.
Le fait de conserver les documents mentionnés aux 1° et 2° du A dans le cadre du processus de vérification ou de les réutiliser à d’autres fins est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende.
D. – Hors les cas prévus aux 1° et 2° du A du présent I bis, nul ne peut exiger d’une personne la présentation d’un résultat d’un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19, d’un justificatif de statut vaccinal concernant la covid-19 ou d’un certificat de rétablissement à la suite d’une contamination par la covid-19.
Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait d’exiger la présentation des documents mentionnés au premier alinéa du présent D pour l’accès à d’autres lieux, établissements ou événements que ceux mentionnés au 2° du A.
E. – Un décret détermine, après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, les modalités d’application du présent I bis, notamment les personnes, ainsi que leurs modalités d’habilitation, et services autorisés à contrôler ces documents au titre des 1° et 2° du A, ainsi que les conditions dans lesquelles les systèmes d’information constitués au sein des États membres de l’Union européenne sont reconnus comme supports de présentation des documents mentionnés au premier alinéa du B.
F. – (Supprimé)
II. – Lorsque le Premier ministre prend des mesures mentionnées aux I et I bis, il peut habiliter le représentant de l’État territorialement compétent à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions.
Lorsque les mesures prévues aux mêmes I et I bis doivent s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas le territoire d’un département, le Premier ministre peut habiliter le représentant de l’État dans le département à les décider lui-même. Les décisions sont prises par ce dernier après avis du directeur général de l’agence régionale de santé. Cet avis est rendu public.
Les mesures prises en application des premier et deuxième alinéas du présent II le sont après consultation des exécutifs locaux ainsi que des parlementaires concernés.
Le Premier ministre peut également habiliter le représentant de l’État dans le département à ordonner, par arrêté pris après mise en demeure restée sans effet, la fermeture des établissements recevant du public qui ne mettent pas en œuvre les obligations qui leur sont imposées en application du 2° du I et du A du I bis.
III. – Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Les mesures individuelles font l’objet d’une information sans délai du procureur de la République territorialement compétent.
IV. – Les mesures prises en application du présent article peuvent faire l’objet, devant le juge administratif, des recours présentés, instruits et jugés selon les procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative.
V. – L’Assemblée nationale et le Sénat sont informés sans délai des mesures prises par le Gouvernement au titre du présent article. L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent requérir toute information complémentaire dans le cadre du contrôle et de l’évaluation de ces mesures.
VI. – Le comité de scientifiques mentionné à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique se réunit pendant la période mentionnée au I du présent article et rend périodiquement des avis sur les mesures prescrites en application des I et I bis ainsi que sur les mesures prises par le ministre chargé de la santé en application de l’article L. 3131-1 du code de la santé publique. Dès leur adoption, ces avis sont communiqués par le président du comité simultanément au Premier ministre, au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat. Ils sont rendus publics sans délai. Le comité peut être consulté par les commissions parlementaires sur toute question concernant les sujets mentionnés à la quatrième phrase du premier alinéa de l’article L. 3131-19 du même code.
VII. – Les troisième à dernier alinéas de l’article L. 3136-1 du code de la santé publique sont applicables aux mesures prises en application des I à II du présent article.
VIII. – Les I à VII du présent article s’appliquent sur l’ensemble du territoire de la République.
IX. – Les attributions dévolues au représentant de l’État par le présent article sont exercées à Paris et sur les emprises des aérodromes de Paris-Charles de Gaulle, du Bourget et de Paris-Orly par le préfet de police.
Article 1er bis (nouveau)
I. – À compter du 2 juin 2021 et jusqu’au 30 juin 2021 inclus, le Premier ministre peut, par décret pris sur le rapport du ministre chargé de la santé, dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie de covid-19, interdire aux personnes de sortir de leur domicile au cours d’une plage horaire comprise entre 21 heures et 6 heures, sous réserve des déplacements strictement indispensables aux besoins familiaux ou de santé. Les limites de cette plage horaire peuvent être adaptées aux spécificités des collectivités mentionnées à l’article 72-3 de la Constitution sans en allonger la durée.
À compter du 9 juin 2021, la plage horaire mentionnée au premier alinéa du présent I est comprise entre 23 heures et 6 heures, sauf dans les territoires où est constatée une circulation active du virus.
Le Premier ministre peut habiliter, sous réserve de l’état de la situation sanitaire, le représentant de l’État dans le département, à titre dérogatoire et dans certaines parties du territoire dans lesquelles est constatée une faible circulation du virus, à lever de manière anticipée la mesure prévue aux deux premiers alinéas du présent I.
II. – Les II à VII et IX de l’article 1er s’appliquent aux mesures prises en application du I du présent article.
III. – Le I s’applique sur l’ensemble du territoire de la République.
Article 2
I. – Le I des articles 1er et 1er bis n’est pas applicable dans les territoires où l’état d’urgence sanitaire est en cours d’application.
II. – L’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire est prorogé jusqu’au 30 septembre 2021 inclus sur le seul territoire de la Guyane.
Article 3
Les articles 1er à 2 sont applicables en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française sous réserve des adaptations suivantes à l’article 1er :
1° Le I est complété par un 6° ainsi rédigé :
« 6° Habiliter le haut-commissaire à prendre, dans le strict respect de la répartition des compétences, des mesures de mise en quarantaine des personnes susceptibles d’être affectées ainsi que de placement et de maintien en isolement des personnes affectées, dans les conditions prévues au II des articles L. 3131-15 et L. 3131-17 du code de la santé publique. » ;
2° Le II est ainsi rédigé :
« II. – Lorsque le Premier ministre prend des mesures mentionnées aux I et I bis et les rend applicables à la Nouvelle-Calédonie ou à la Polynésie française, il peut habiliter le haut-commissaire à les adapter en fonction des circonstances locales et à prendre toutes les mesures générales ou individuelles d’application de ces dispositions lorsqu’elles relèvent de la compétence de l’État, après consultation du Gouvernement de la collectivité.
« Lorsqu’une des mesures mentionnées aux mêmes I et I bis doit s’appliquer dans un champ géographique qui n’excède pas la Nouvelle-Calédonie ou la Polynésie française, le Premier ministre peut habiliter le haut-commissaire à la décider lui-même et à procéder, s’il y a lieu, aux adaptations nécessaires, dans les conditions prévues au premier alinéa du présent II. » ;
3° Le VII est applicable, sous réserve des adaptations prévues à l’article L. 3841-3 du code de la santé publique.
Article 4
La troisième partie du code de la santé publique est ainsi modifiée :
1° A Le I de l’article L. 3131-15 est ainsi modifié :
a) Le 6° est ainsi rédigé :
« 6° Limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ou dans un lieu ouvert au public ainsi que les réunions de toute nature, à l’exclusion de toute réglementation des conditions de présence ou d’accès aux locaux à usage d’habitation ; »
b) Le 8° est abrogé ;
1° Le troisième alinéa du II du même article L. 3131-15 est ainsi modifié :
a) À la fin, les mots : « les lieux d’hébergement adapté » sont remplacés par les mots : « un autre lieu d’hébergement » ;
b) Sont ajoutées deux phrases ainsi rédigées : « Le représentant de l’État dans le département peut s’opposer au choix du lieu retenu par l’intéressé s’il apparaît que ce lieu ne répond pas aux exigences visant à garantir l’effectivité de ces mesures et à permettre le contrôle de leur application. Dans ce cas, le représentant de l’État dans le département détermine le lieu de leur déroulement. » ;
1° bis À l’avant-dernier alinéa du II de l’article L. 3131-17, après le mot : « déroule, », sont insérés les mots : « pendant plus de douze heures par jour, » ;
2° L’article L. 3136-1 est ainsi modifié :
a) Au cinquième alinéa, après le mot : « pénale », sont insérés les mots : « et les agents des douanes » ;
b) Au huitième alinéa, la référence : « 8° » est remplacée par la référence : « 5° » ;
3° Au premier alinéa des articles L. 3821-11, L. 3841-2 et L. 3841-3, la référence : « n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions » est remplacée par la référence : « n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ».
Article 4 bis
Le code de la santé publique est ainsi modifié :
1° L’article L. 3131-1 est ainsi modifié :
a) Le premier alinéa est remplacé par quatre alinéas ainsi rédigés :
« I. – En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d’urgence, notamment en cas de menace d’épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, dans l’intérêt de la santé publique et aux seules fins de prévenir et de limiter les conséquences de cette menace sur la santé de la population, prescrire :
« 1° Toute mesure réglementaire ou individuelle relative à l’organisation et au fonctionnement du système de santé ;
« 2° Des mesures de mise en quarantaine ou de placement et de maintien en isolement, dans les conditions prévues au II des articles L. 3131-15 et L. 3131-17.
« Le ministre peut également prendre de telles mesures après la fin de l’état d’urgence sanitaire prévu au chapitre Ier bis du présent titre, afin d’assurer la disparition durable de la situation de crise sanitaire. » ;
b) Le deuxième alinéa est ainsi modifié :
– au début, est ajoutée la mention : « II. – » ;
– la seconde phrase est supprimée ;
c) Le troisième alinéa est supprimé ;
d) Il est ajouté un III ainsi rédigé :
« III. – Les mesures prescrites en application du présent article sont strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires. Les mesures individuelles font l’objet d’une information sans délai du procureur de la République territorialement compétent. » ;
2° À la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 3136-1, les mots : « du troisième alinéa » sont remplacés par les références : « des 1° et 2° du I ».
Article 5
I. – La loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions est ainsi modifiée :
1° L’article 11 est complété par un X ainsi rédigé :
« X. – Les données recueillies dans les traitements de données mis en œuvre en application du présent article et qui relèvent du champ du système national des données de santé défini au I de l’article L. 1461-1 du code de la santé publique sont rassemblées au sein de ce système et soumises au chapitre Ier du titre VI du livre IV de la première partie du même code. » ;
2° Le IV de l’article 12 est abrogé.
II. – (Supprimé)
III. – Les responsables des traitements créés en application de l’article 11 de la loi n° 2020-546 du 11 mai 2020 prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions informent sans délai et par tout moyen les personnes intéressées que les données qui les concernent sont rassemblées et mises à disposition par le système national des données de santé, en application du X du même article 11, ainsi que des conséquences juridiques qui en résultent, s’agissant notamment de la durée de conservation de ces données, des personnes qui y ont accès et des finalités en vue desquelles elles peuvent être traitées. Ils les informent également du droit d’opposition dont elles disposent en application de l’article 74 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
L’information mentionnée au premier alinéa du présent III est délivrée individuellement aux personnes dont les données sont collectées à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi.
Article 6
I. – L’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété est ainsi modifiée :
1° Au premier alinéa du I de l’article 22-2, à l’article 22-4 et à la première phrase de l’article 22-5, les mots : « jusqu’à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire, prorogé dans les conditions prévues à l’article L. 3131-13 du code de la santé publique » sont remplacés par les mots : « jusqu’au 30 septembre 2021 » ;
2° À la fin de l’article 23, la référence : « l’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 » est remplacée par la référence : « la loi n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ».
II. – L’ordonnance n° 2020-1400 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux copropriétés est ainsi modifiée :
1° Le premier alinéa de l’article 1er est complété par les mots : « , à l’exception des articles 3, 5 et 7, qui sont applicables jusqu’au 30 septembre 2021 » ;
2° Après le mot : « Futuna », la fin du I de l’article 9 est ainsi rédigée : « , dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire. »
II bis. – L’ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre administratif est ainsi modifiée :
1° L’article 1er est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Par dérogation au premier alinéa du présent article, les articles 2 et 4 sont applicables jusqu’au 30 septembre 2021. » ;
2° L’article 5 est complété par les mots : « , dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ».
III. – L’ordonnance n° 2020-1401 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire statuant en matière pénale est ainsi modifiée :
1° A L’article 2 est abrogé ;
1° La seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 3 est ainsi rédigée : « La date de fin de validité de l’ordonnance est fixée au plus tard au 30 septembre 2021. » ;
2° L’article 11 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après le mot : « ordonnance », sont insérés les mots : « , dans leur rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, » ;
b) Le second alinéa est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Les articles 5 à 8 sont applicables jusqu’à l’expiration d’un délai d’un mois après la cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 précité et prorogé dans les conditions prévues à l’article L. 3131-13 du code de la santé publique.
« Les articles 3, 4 et 9 sont applicables jusqu’au 30 septembre 2021. »
IV. – L’ordonnance n° 2020-1507 du 2 décembre 2020 adaptant le droit applicable au fonctionnement des établissements publics et des instances collégiales administratives pendant l’état d’urgence sanitaire est ainsi modifiée :
1° Au début du premier alinéa de l’article 1er, les mots : « Jusqu’à l’expiration de la période de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret du 14 octobre 2020 susvisé et prorogé par la loi du 14 novembre 2020 susvisée, augmentée d’une durée d’un mois » sont remplacés par les mots : « Jusqu’au 30 septembre 2021 » ;
2° Le premier alinéa de l’article 3 est complété par les mots : « dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ».
V. – L’ordonnance n° 2020-321 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles de réunion et de délibération des assemblées et organes dirigeants des personnes morales et entités dépourvues de personnalité morale de droit privé en raison de l’épidémie de covid-19 est ainsi modifiée :
1° À la fin de l’article 11, les mots : « 1er avril 2021, sauf prorogation de tout ou partie de ses dispositions jusqu’à une date fixée par décret en Conseil d’État et qui ne peut être postérieure au 31 juillet 2021 » sont remplacés par la date : « 30 septembre 2021 » ;
2° À la fin de l’article 12, les mots : « version résultant de l’ordonnance n° 2020-1497 du 2 décembre 2020 » sont remplacés par les mots : « rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ».
VI. – L’article 6 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire est ainsi modifié :
1° À la fin du III, les mots : « terme de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire et prorogé dans les conditions prévues à l’article L. 3131-14 du code de la santé publique » sont remplacés par la date : « 30 septembre 2021 » ;
2° Le IV est ainsi modifié :
a) À la première phrase, les mots : « terme de l’état d’urgence sanitaire déclaré par le décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l’état d’urgence sanitaire et prorogé dans les conditions prévues à l’article L. 3131-14 du code de la santé publique » sont remplacés par la date : « 30 septembre 2021 » ;
b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les élections prévues aux articles L. 3122-1, L. 3122-4, L. 4133-1, L. 4133-4, L. 4422-8, L. 4422-9, L. 4422-18, L. 7123-1, L. 7123-4, L. 7223-1, L. 7223-2 et L. 7224-2 du code général des collectivités territoriales, par dérogation, l’assemblée délibérante ne délibère valablement que lorsque la majorité de ses membres en exercice est présente. Si, après une première convocation régulièrement faite, ce quorum n’est pas atteint, l’assemblée délibérante est à nouveau convoquée à trois jours au moins d’intervalle. Elle délibère alors sans condition de quorum. Dans tous les cas, un conseiller peut être porteur de deux pouvoirs. Cette dérogation prend fin dans les mêmes délais que celles prévues au premier alinéa du présent IV. » ;
3° Le VI est complété par les mots : « dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ».
VII. – L’ordonnance n° 2020-391 du 1er avril 2020 visant à assurer la continuité du fonctionnement des institutions locales et de l’exercice des compétences des collectivités territoriales et des établissements publics locaux afin de faire face à l’épidémie de covid-19 est ainsi modifiée :
1° Après les mots : « jusqu’au », la fin de la seconde phrase du dernier alinéa de l’article 11 est ainsi rédigée : « 30 septembre 2021. » ;
2° L’article 12 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« L’article 6 est applicable aux communes, aux établissements publics de coopération intercommunale et aux syndicats mixtes de Polynésie française et aux communes, aux syndicats de communes et aux syndicats mixtes de Nouvelle-Calédonie jusqu’au 30 septembre 2021, dans les conditions prévues au présent article. »
VIII. – Au premier alinéa des I et II et au III de l’article 41 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, la date : « 30 juin » est remplacée par la date : « 30 septembre ».
IX. – Au premier alinéa de l’article 52 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 précitée, la date : « 30 juin » est remplacée par la date : « 30 septembre ».
X. – L’ordonnance n° 2020-323 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos est ainsi modifiée :
1° Au premier alinéa de l’article 1er, le mot : « six » est remplacé par le mot : « huit » ;
2° Au dernier alinéa des articles 1er, 2, 3 et 4, la date : « 30 juin » est remplacée par la date : « 30 septembre ».
XI. – Le V de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-1441 du 25 novembre 2020 portant adaptation des règles relatives aux réunions des instances représentatives du personnel est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« V. – Le présent article est applicable jusqu’au 30 septembre 2021. » ;
2° À la fin du second alinéa, les mots : « en dehors de la période de l’état d’urgence sanitaire » sont remplacés par les mots : « après le 30 septembre 2021 ».
XII. – Le V de l’article 7 de l’ordonnance n° 2020-1553 du 9 décembre 2020 prolongeant, rétablissant ou adaptant diverses dispositions sociales pour faire face à l’épidémie de covid-19 est ainsi modifié :
1° À la première phrase, après le mot : « dispositions », sont insérés les mots : « du IV » ;
2° Après la même première phrase, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Les I, II et III du présent article sont applicables à compter du 11 octobre 2020 et jusqu’au 30 septembre 2021. » ;
3° Après le mot : « application », la fin de la seconde phrase est ainsi rédigée : « des dispositions du présent article prennent fin au plus tard trois mois après le terme de ces dernières. »
XIII. – Par dérogation à l’article L. 313-11-2, au IV ter de l’article L. 313-12 ainsi qu’aux articles L. 313-12-2 et L. 314-2 du code de l’action sociale et des familles, l’effet sur les taux d’occupation des baisses d’activité liées à la crise sanitaire sur tout ou partie de l’année 2021 n’est pas pris en compte dans la fixation des financements pour l’exercice 2022.
XIII bis. – Par dérogation à l’article L. 314-2 du code de l’action sociale et des familles, les résultats des évaluations du niveau de dépendance moyen et des besoins en soins requis des résidents des établissements mentionnés aux I et II de l’article L. 313-12 du même code, réalisées entre le 1er juillet 2021 et le 31 juillet 2021 inclus, sont pris en compte dans la détermination des forfaits globaux relatifs aux soins et à la dépendance à partir de l’année 2022.
XIV. – L’article 4 de l’ordonnance n° 2020-1502 du 2 décembre 2020 adaptant les conditions d’exercice des missions des services de santé au travail à l’urgence sanitaire est ainsi modifié :
1° À la fin du I, la date : « 1er août 2021 » est remplacée par la date : « 30 septembre 2021 » ;
2° À la fin du II, la date : « 2 août 2021 » est remplacée par la date : « 30 septembre 2021 ».
XV. – Les décisions administratives individuelles applicables aux gens de mer mentionnées aux articles L. 5521-1, L. 5521-2 et L. 5549-1 du code des transports arrivées à échéance à compter du 12 mars 2020 et dont la durée de validité a été prorogée en application de l’article 3 de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période continuent de produire leurs effets dans les conditions et jusqu’à une date fixées par décret en Conseil d’État, laquelle date ne peut être postérieure au 31 décembre 2021.
La durée de prorogation des effets des décisions administratives individuelles mentionnées au premier alinéa du présent XV est déterminée selon des priorités tenant compte des circonstances, des impératifs de la sécurité maritime et de la protection du milieu marin, des nécessités du service et des formalités d’instruction, de visite ou de contrôle préalables requises.
XVI. – Le IV de l’article 4 de l’ordonnance n° 2020-1599 du 16 décembre 2020 relative aux aides exceptionnelles à destination des auteurs et titulaires de droits voisins touchés par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du virus covid-19 et aux conditions financières de résolution de certains contrats dans les secteurs de la culture et du sport est ainsi modifié :
1° Après le 3°, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Toutefois, la période de validité de l’avoir est prolongée de plein droit d’une durée de six mois lorsque, au terme de sa durée initiale telle que mentionnée aux 1° à 3° du présent IV, les personnes morales mentionnées à l’article 3 n’ont pas été en mesure d’exécuter la prestation proposée du fait des règles sanitaires applicables. Le client en est informé au plus tard trente jours après ce terme. » ;
2° Au dernier alinéa, après la référence : « IV », sont insérés les mots : « , prolongée, le cas échéant, dans les conditions prévues à l’avant-dernier alinéa du présent IV, ».
XVII. – Le 2° du II de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-387 du 1er avril 2020 portant mesures d’urgence en matière de formation professionnelle est ainsi modifié :
1° À la première phrase, la date : « 30 juin » est remplacée par la date : « 30 septembre » ;
2° La seconde phrase est ainsi modifiée :
a) Le mot : « juillet » est remplacé par le mot : « octobre » ;
b) À la fin, la référence : « du 1° du présent II » est remplacée par la référence : « du présent 2° ».
XVIII. – Au XIII de l’article 1er de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel, la date : « 30 juin » est remplacée par la date : « 30 septembre ».
Article 6 bis AA
I. – À l’article 18 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19, après le mot : « publique », sont insérés les mots : « et pendant les quatre mois qui suivent la fin de la période d’état d’urgence sanitaire ».
II. – Les charges supplémentaires résultant, pour les départements, de l’obligation prévue au I du présent article font l’objet, en loi de finances, d’une compensation intégrale par l’État des dépenses effectivement engagées.
Article 6 bis A
L’article 14 de la loi n° 2020-1379 du 14 novembre 2020 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire est ainsi modifié :
1° La première phrase du I est ainsi modifiée :
a) Après le mot : « sanitaire », est insérée la référence : « , du 2° du I de l’article 1er de la loi n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire » ;
b) À la fin, la référence : « du second alinéa du I de l’article L. 3131-17 du même code » est remplacée par les références : « des deux premiers alinéas du II de l’article 1er de la loi n° … du … précitée ou du second alinéa du I de l’article L. 3131-17 du code de la santé publique » ;
1° bis Après le mot : « peut », la fin du deuxième alinéa du II est ainsi rédigée : « pratiquer de mesures conservatoires qu’avec l’autorisation du juge, par dérogation à l’article L. 511-2 du code des procédures civiles d’exécution. » ;
2° Le VIII est complété par les mots : « dans sa rédaction résultant de la loi n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire ».
Article 6 bis
L’application du I de l’article 115 de la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 est suspendue en cas de congés de maladie directement en lien avec la covid-19 à compter du 2 juin 2021 et jusqu’au 30 septembre 2021.
Le lien direct est établi par un examen de dépistage virologique concluant à une contamination par la covid-19 inscrit à la nomenclature des actes de biologie médicale.
Article 7
I. – Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé, jusqu’au 30 septembre 2021, à prendre par ordonnances :
1° Toute mesure relevant du domaine de la loi permettant, afin de tenir compte de la situation sanitaire et de ses conséquences et d’accompagner la reprise d’activité, si nécessaire de manière territorialisée, l’adaptation et la prolongation des dispositions relatives :
a) À l’activité partielle et à l’activité réduite pour le maintien en emploi mentionnée à l’article 53 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ;
b) (Supprimé)
c) À la position d’activité partielle des salariés mentionnés à l’article 20 de la loi n° 2020-473 du 25 avril 2020 de finances rectificative pour 2020 ;
2° Toute mesure relevant du domaine de la loi permettant, afin de faire face aux conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l’épidémie de covid-19, d’adapter les dispositions de l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles, notamment pour prolonger ou anticiper la période prévue au troisième alinéa du même article L. 115-3 pour l’année 2021.
II. – Le Gouvernement est autorisé, dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution et pour faire face aux conséquences de la propagation de l’épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, à prendre par voie d’ordonnance, jusqu’au 31 août 2021, toute mesure relevant du domaine de la loi permettant la prorogation des dispositions relatives aux durées d’indemnisation prévues au deuxième alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 2020-324 du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière de revenus de remplacement mentionnés à l’article L. 5421-2 du code du travail, avec les adaptations nécessaires, afin de tenir compte de l’état de la situation sanitaire et d’accompagner la reprise d’activité.
III. – Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de trois mois à compter de la publication de chaque ordonnance prévue aux I et II.
IV. – Le II de l’article 5 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d’autres mesures urgentes ainsi qu’au retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, les mots : « 17 octobre 2020 et pour une durée n’excédant pas six mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire mentionné au premier alinéa du I » sont remplacés par les mots : « 1er avril 2021 et pour une période n’excédant pas le 30 septembre 2021 » ;
2° Au 1°, les mots : « en octobre 2020 » sont remplacés par les mots : « entre le 1er avril 2021 et le 30 septembre 2021 » ;
3° À la fin du 3°, les mots : « début de l’état d’urgence sanitaire mentionné au premier alinéa » sont remplacés par les mots : « placement en activité partielle intervenant entre le 1er avril 2021 et une date ne pouvant être postérieure au 30 septembre 2021 ».
V. – (Supprimé)
Article 7 bis A
I. – A. – Il est institué une procédure de traitement de sortie de crise ouverte sur demande d’un débiteur mentionné à l’article L. 620-2 du code de commerce qui, étant en cessation des paiements, dispose cependant des fonds disponibles pour payer ses créances salariales et justifie être en mesure, dans les délais prévus au présent article, d’élaborer un projet de plan tendant à assurer la pérennité de l’entreprise.
La procédure ne peut être ouverte qu’à l’égard d’un débiteur dont le nombre de salariés et le total de bilan sont inférieurs à des seuils fixés par décret, et dont les comptes apparaissent réguliers, sincères et aptes à donner une image fidèle de la situation financière de l’entreprise.
L’ouverture de la procédure est examinée en présence du ministère public.
B. – Le tribunal désigne un mandataire inscrit sur la liste prévue à l’article L. 811-2 du code de commerce ou sur celle prévue à l’article L. 812-2 du même code. Par décision spécialement motivée, il peut désigner une autre personne dans les conditions prévues aux mêmes articles L. 811-2 et L. 812-2. Les troisième et quatrième alinéas de l’article L. 621-4 et l’article L. 621-4-1 dudit code ne sont pas applicables.
Le mandataire ainsi désigné exerce les fonctions prévues aux articles L. 622-1, à l’exception de toute mission d’assistance, et L. 622-20 du même code.
C. – Les contrôleurs sont désignés dans les conditions prévues à l’article L. 621-10 du code de commerce. Le deuxième alinéa du même article n’est pas applicable.
D. – Le jugement ouvre une période d’observation d’une durée de trois mois. Au plus tard au terme d’un délai de deux mois à compter du jugement d’ouverture, le tribunal ordonne la poursuite de la période d’observation s’il lui apparaît que le débiteur dispose à cette fin de capacités de financement suffisantes.
E. – Le ministère public saisit le tribunal à l’effet de mettre fin à la procédure de traitement de sortie de crise s’il apparaît que le débiteur ne sera pas en mesure de proposer un plan, avec l’assistance du mandataire désigné, dans le délai de trois mois mentionné au D du I du présent article. Le tribunal peut également être saisi aux mêmes fins par le mandataire désigné ou le débiteur. Il est alors fait application, le cas échéant, du D du IV.
II. – A. – L’inventaire du patrimoine du débiteur ainsi que des garanties qui le grèvent est établi dans les conditions prévues aux articles L. 622-6 et L. 622-6-1 du code de commerce. Le tribunal peut dispenser le débiteur, à sa demande, de procéder à l’inventaire.
B. – Le débiteur établit la liste des créances de chaque créancier identifié dans ses documents comptables ou avec lequel il est lié par un engagement dont il peut justifier l’existence. Cette liste comporte les indications prévues aux deux premiers alinéas de l’article L. 622-25 du code de commerce. Elle fait l’objet d’un contrôle dont les modalités sont fixées par décret en Conseil d’État.
C. – La liste est déposée au greffe du tribunal par le débiteur. Le mandataire désigné transmet à chaque créancier figurant sur la liste l’extrait de cette liste déposée concernant sa créance. Dans des délais fixés par décret en Conseil d’État, les créanciers peuvent faire connaître au mandataire leur demande d’actualisation des créances mentionnées ou toute contestation sur le montant et l’existence de ces créances.
D. – Les engagements pour le règlement du passif, mentionnés à l’article L. 626-10 du code de commerce, peuvent être établis sur la base de la liste prévue au B du présent II, actualisée le cas échéant, dès lors que ces créances ne sont pas contestées.
III. – A. – La procédure de traitement de sortie de crise est soumise aux règles du titre III du livre VI du code de commerce sous réserve du présent article. Les III et IV de l’article L. 622-13, les sections 1, 3 et 4 du chapitre IV et le chapitre V du titre II du même livre VI ne sont pas applicables.
B. – En cas de contestation par un créancier de l’existence ou du montant de sa créance portée sur la liste établie par le débiteur, le juge-commissaire, saisi par le mandataire désigné, le débiteur ou le créancier, statue sur la créance dans les conditions fixées à l’article L. 624-2 du code de commerce. La décision du juge-commissaire n’a d’autorité qu’à l’égard des parties entendues ou convoquées. Les conditions et formes du recours contre sa décision sont fixées par décret en Conseil d’État.
IV. – A. – Le tribunal arrête le plan dans les conditions prévues au chapitre VI du titre II du livre VI du code de commerce sous réserve des dispositions du présent article. Toutefois, le plan ne peut comporter de dispositions relatives à l’emploi que le débiteur ne pourrait financer immédiatement. Le mandataire désigné exerce les fonctions confiées au mandataire judiciaire par le même chapitre VI.
B. – Le plan ne peut affecter que les créances mentionnées sur la liste prévue au B du II du présent article, nées antérieurement à l’ouverture de la procédure. Il ne peut affecter les créances nées d’un contrat de travail, les créances alimentaires, les créances d’origine délictuelle, ni celles d’un montant inférieur à une somme fixée par décret en Conseil d’État.
C. – Le montant des annuités prévues par le plan à compter de la troisième ne peut être inférieur à 8 % du passif établi par le débiteur.
D. – À défaut de plan arrêté dans le délai de trois mois prévu au D du I, le tribunal, à la demande du débiteur, du mandataire désigné ou du ministère public, ouvre une procédure de redressement judiciaire, si les conditions de l’article L. 631-1 du code de commerce sont réunies, ou prononce la liquidation judiciaire, si les conditions de l’article L. 640-1 du même code sont réunies. Cette décision met fin à la procédure. La durée de la période d’observation de la procédure de traitement de sortie de crise s’ajoute à celle de la période définie à l’article L. 631-8 dudit code.
V. – Les titres VI et VIII du livre VI du code de commerce sont applicables à la procédure de traitement de sortie de crise prévue au présent article.
VI. – Le présent article est applicable à Wallis-et-Futuna.
VII. – Le présent article s’applique aux procédures ouvertes à compter du premier jour suivant la publication de la présente loi et aux demandes formées avant l’expiration d’un délai de deux ans à compter de cette même date.
Article 7 bis
(Supprimé)
Article 8
I. – Pour le renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux, de l’Assemblée de Corse et des assemblées de Guyane et de Martinique organisé conformément à l’article 1er de la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique :
1° Les binômes et les listes de candidats peuvent fournir à la commission de propagande prévue aux articles L. 212, L. 354, L. 376 et L. 558-26 du code électoral une version électronique de leur circulaire lorsqu’ils lui remettent les exemplaires imprimés. Si la circulaire est conforme aux prescriptions édictées pour l’élection et si la version électronique de cette circulaire est identique aux exemplaires imprimés remis, la commission de propagande transmet sans délai cette version électronique au représentant de l’État dans le département, pour les élections départementales, ou au représentant de l’État dans la région ou la collectivité territoriale, pour les élections régionales et les élections à l’Assemblée de Corse ou aux assemblées de Guyane et de Martinique, aux fins de publication sur un service de communication au public en ligne ;
2° Par dérogation aux dispositions du code électoral selon lesquelles les opérations électorales se tiennent dans une salle, le maire peut décider que ces opérations peuvent, dans les limites de l’emprise du lieu de vote désigné par l’arrêté préfectoral instituant les bureaux de vote, se dérouler à un emplacement, y compris à l’extérieur des bâtiments, permettant une meilleure sécurité sanitaire, à la condition que l’ensemble des prescriptions régissant le déroulement de ces opérations puisse y être respecté ;
3° (Supprimé)
4° Par dérogation à l’article L. 62 du même code, lorsque deux scrutins sont organisés dans la même salle ou le même emplacement, il y a dans chaque salle ou chaque emplacement un isoloir par trois cents électeurs inscrits ou par fraction ;
5° La dernière phrase du premier alinéa de l’article L. 65 dudit code n’est pas applicable ;
6° À leur demande, les personnes attestant sur l’honneur ne pas pouvoir comparaître devant les officiers et agents de police judiciaire habilités à établir les procurations ou leurs délégués en raison de maladies ou d’infirmités graves disposent du droit à ce que les autorités compétentes se déplacent pour établir ou retirer leur procuration. Ces personnes peuvent saisir les autorités compétentes par voie postale, par téléphone ou, le cas échéant, par voie électronique.
II. – Le service public audiovisuel assure une couverture du débat électoral relatif au renouvellement général des conseils régionaux, de l’Assemblée de Corse et des assemblées de Guyane et de Martinique organisé en juin 2021, le cas échéant à travers l’organisation de débats entre les représentants des listes candidates, et du débat électoral relatif au renouvellement général des conseils départementaux organisé en juin 2021. Lorsqu’un débat a été organisé, il reste accessible sur le site internet de la chaîne de service public audiovisuel qui l’a diffusé au moins jusqu’à la fin de la campagne électorale.
III et IV. – (Supprimés)
Article 9
(Supprimé)
Article 9 bis
I. – L’élection prévue en juin 2021 pour le renouvellement général de l’assemblée de Guyane peut être annulée par un décret publié au plus tard le 12 juin 2021 si l’évolution de la situation sanitaire locale ne permet pas sa tenue.
Ce décret est publié après avis circonstancié du comité de scientifiques mentionné à l’article L. 3131-19 du code de la santé publique sur l’état de l’épidémie de covid-19 en Guyane et sur les risques sanitaires attachés à la tenue du scrutin, et après information de l’Assemblée nationale et du Sénat. L’avis du comité est rendu public.
II. – S’il est fait application du I du présent article, pour l’assemblée de Guyane :
1° Le renouvellement général est organisé au plus tard en octobre 2021, par un décret pris au moins six semaines avant l’élection ;
2° Le mandat en cours des conseillers de l’assemblée est prorogé jusqu’au renouvellement général organisé en application du 1° du présent II ;
3° Les délégations attribuées aux élus dont le mandat est prolongé non plus qu’aucune délibération ne deviennent caduques de ce seul fait ;
4° Les vacances constatées dans l’assemblée ne donnent pas lieu à une élection partielle avant le renouvellement général organisé en application du même 1° ;
5° Le mandat des conseillers élus lors du renouvellement général organisé en application dudit 1° prend fin en mars 2028.
III. – S’il est fait application du I du présent article, la campagne électorale prévue à l’article L. 47 A du code électoral est close à compter de la publication du décret prévu au I du présent article.
IV. – Pour l’élection convoquée par le décret prévu au 1° du II :
1° La période pendant laquelle s’appliquent les interdictions prévues aux articles L. 51, L. 52-1, L. 52-4 et L. 52-8 du code électoral, qui commence le 1er septembre 2020, est prorogée jusqu’à ce que l’élection soit acquise ;
2° L’article L. 50-1 du même code n’est pas applicable ;
3° La campagne électorale est ouverte à partir du troisième lundi qui précède le premier tour du scrutin ;
4° Le plafond des dépenses prévu à l’article L. 52-11 dudit code majoré dans les conditions prévues au 4° de l’article 6 de la loi n° 2021-191 du 22 février 2021 portant report, de mars à juin 2021, du renouvellement général des conseils départementaux, des conseils régionaux et des assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique est majoré de 20 % ;
5° Les candidatures dûment enregistrées pour le scrutin annulé en application du I du présent article sont maintenues pour le scrutin reporté en application du 1° du II. De nouvelles déclarations de candidatures pour l’élection des conseillers à l’assemblée de Guyane peuvent être déposées entre le sixième lundi précédant le scrutin et le cinquième lundi, à midi. Un arrêté du représentant de l’État fixe la période pendant laquelle de nouvelles déclarations de candidatures pour l’élection des conseillers à l’assemblée de Guyane peuvent être déposées. Les candidatures déposées peuvent être retirées durant le même délai.
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Article 11
I. – Par dérogation au deuxième alinéa du VI de l’article 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, les enquêtes de recensement de la population ne sont pas réalisées en 2021.
Pour les communes dont la population est inférieure à 10 000 habitants, la durée de la période mentionnée au même deuxième alinéa, en cours à la date de publication de la présente loi, est portée à six ans.
II. – La dotation forfaitaire de l’État aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale mentionnée au second alinéa du III de l’article 156 de la loi n° 2002-276 du 27 février 2002 précitée n’est pas versée en 2021.
III. – Le présent article n’est pas applicable aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale du Département de Mayotte.
Article 12
I A. – Dans les circonscriptions où l’élection consulaire des 29 et 30 mai 2021 n’a pas pu être organisée du fait de la situation locale, une élection partielle est organisée entre les mois d’octobre et de décembre 2021, aussitôt que la situation locale le permet.
I. – Par dérogation à l’article 14 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 relative à la représentation des Français établis hors de France :
1° Le mandat en cours des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires, élus dans les circonscriptions mentionnées au I A du présent article, est prorogé jusqu’à la date de l’élection partielle organisée dans les conditions prévues au même I A. Le présent 1° n’est pas applicable si la présente loi entre en vigueur après le 31 mai 2021 ;
2° Le mandat des conseillers des Français de l’étranger et des délégués consulaires élus lors de l’élection partielle prévue au I A expire en mai 2026 ;
3° Dans le cas où l’élection prévue les 29 et 30 mai 2021 n’a pas pu être organisée dans une ou plusieurs circonscriptions électorales, les conseillers à l’Assemblée des Français de l’étranger sont élus par les conseillers des Français de l’étranger dans un délai d’un mois à compter de la dernière élection partielle prévue au même I A.
II. – Par dérogation au 1° du I de l’article 18 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 précitée, pour l’élection partielle prévue au I A du présent article, les électeurs sont convoqués par décret publié au plus tard quarante-cinq jours avant le scrutin.
III. – Par dérogation au 1° du I de l’article 21 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 précitée, pour l’élection partielle prévue au I A du présent article, les électeurs sont informés de la date de l’élection, des conditions dans lesquelles ils peuvent voter ainsi que des candidats ou de la liste de candidats, par envoi électronique ou, à défaut, par envoi postal, au plus tard trente jours avant la date du scrutin.
III bis. – Pour l’élection partielle prévue au I A du présent article, la seconde phrase du second alinéa du I de l’article 22 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet précitée n’est pas applicable.
IV. – Pour l’élection partielle prévue au I A du présent article, les déclarations de candidature enregistrées en vue du scrutin prévu les 29 et 30 mai 2021 restent valables sauf manifestation de volonté expresse des candidats. De nouvelles déclarations de candidature peuvent être déposées auprès de l’ambassade ou d’un poste consulaire de la circonscription, le cas échéant par voie dématérialisée, au plus tard le trente-cinquième jour précédant la date du scrutin, à 18 heures.
IV bis. – Les procurations établies en vue de l’élection consulaire des 29 et 30 mai 2021 restent valables pour l’élection partielle prévue au I A.
V. – L’article 3 de l’ordonnance n° 2020-307 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des mandats des conseillers consulaires et des délégués consulaires et aux modalités d’organisation du scrutin est ainsi modifié :
1° Après le mot : « ordonnance, », la fin du 1° est ainsi rédigée : « ou, dans le cas prévu au I A de l’article 12 de la loi n° … du … relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, dans le mois suivant la dernière élection partielle organisée en application du même I A ; »
2° Au 2°, la référence : « au même article 1er » est remplacée par les mots : « à l’article 1er de la présente ordonnance ou lors de l’élection partielle prévue au I A de l’article 12 de la loi n° … du … précitée ».
VI. – Par dérogation à l’article 44 de la loi n° 2013-659 du 22 juillet 2013 précitée, sont membres du collège électoral appelé, en septembre 2021, à élire six sénateurs représentant les Français établis hors de France, outre les personnes mentionnées au même article 44 :
1° Les conseillers des Français de l’étranger et les délégués consulaires en fonctions, à la date du 29 mai 2021, dans les circonscriptions mentionnées au I A du présent article ;
2° Les conseillers des Français de l’étranger et les délégués consulaires en fonctions, à la date du 29 mai 2021, dans les circonscriptions où les opérations électorales des 29 et 30 mai 2021 ont été annulées par une décision de justice devenue définitive.
Aucun remplaçant n’est désigné aux personnes mentionnées aux 1° et 2° du présent VI si elles sont déjà membres du collège électoral à un autre titre.
Le 1° n’est pas applicable si la présente loi entre en vigueur avant le 1er juin 2021.
M. le président. Sur les articles du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?…
Le vote est réservé.
Vote sur l’ensemble
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, l’ensemble du projet de loi relatif à la gestion de la sortie de crise sanitaire.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 1er juin 2021 :
À quatorze heures trente et le soir :
Débat sur le coût pour les collectivités territoriales de la crise sanitaire et économique ;
Proposition de résolution visant à améliorer le suivi des ordonnances, rénover le droit de pétition, renforcer les pouvoirs de contrôle du Sénat, mieux utiliser le temps de séance publique et renforcer la parité, présentée par M. Gérard Larcher, président du Sénat (texte de la commission n° 629, 2020-2021).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)
Pour la Directrice des comptes rendus du Sénat,
le Chef de publication
ÉTIENNE BOULENGER