PRÉSIDENCE DE M. Philippe Dallier
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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Modification de l’ordre du jour
M. le président. Mes chers collègues, par lettre en date de ce jour, M. Claude Malhuret, président du groupe Les Indépendants - République et Territoires, a demandé de compléter l’ordre du jour réservé à son groupe du mercredi 12 décembre 2018 par un débat portant sur le thème : « Emplois non pourvus en France : quelles réponses ? Quelles actions ? ».
Acte est donné de cette demande.
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Risques liés à l’emploi de pneumatiques usagés dans les terrains de sport
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi visant à la présentation par le Gouvernement d’un rapport au Parlement sur la mise en œuvre des préconisations relatives aux éventuels risques liés à l’emploi de matériaux issus de la valorisation de pneumatiques usagés dans les terrains de sport synthétiques, et usages similaires, établies par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail le 18 septembre 2018, présentée par Mme Françoise Cartron et plusieurs de ses collègues (proposition n° 25, texte de la commission n° 126, rapport n° 125).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi.
Mme Françoise Cartron, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 18 septembre 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, publiait une note d’appui scientifique et technique relative aux risques – éventuels – liés à l’emploi de matériaux issus de la valorisation de pneumatiques usagés dans les terrains de sport synthétiques et d’usages similaires. Ce document est venu établir un point d’étape attendu sur un sujet d’inquiétude. Mais quelle est cette problématique et quelle est sa genèse ?
En tant que maire, j’ai parfois été interpellée sur le type de blessures, et leur fréquence, occasionnées sur les terrains synthétiques. Pendant des années, il était donc plutôt question du type de revêtement et de ses conséquences physiologiques pour les sportifs.
Il y a un an – aujourd’hui, presque jour pour jour –, une enquête publiée dans le mensuel So Foot est venue mettre en avant la dangerosité potentielle des granules de caoutchouc utilisés. Ces petites billes, que l’on trouve sur un grand nombre de terrains en France, permettent non seulement d’en augmenter la durée de vie, mais aussi de rendre possible une activité continue – 365 jours sur 365 –, contrairement aux terrains dits « naturels ». Il existe donc une demande forte, nous le savons toutes et tous ici, quant à la mise en œuvre de ces structures en France, comme dans bien d’autres pays.
Par une question écrite publiée au Journal officiel le 16 novembre 2017, j’ai souhaité interroger Mme la ministre des sports sur l’existence de risques potentiels pour la santé justement liés aux types de matériaux utilisés dans la fabrication de terrains synthétiques. Un certain nombre de parlementaires, de tout bord politique, a fait de même, ce qui témoigne du fait que beaucoup d’incertitudes n’avaient pas été levées.
À cet égard, une réponse gouvernementale à une question écrite de Mme Pascale Boistard, posée en 2013, soulignait déjà des besoins de précision. A-t-on progressé depuis ? Non, hélas ! Les questions restent toujours les mêmes.
Nous demandons simplement que le Parlement, et le Sénat en particulier, en tant que maison des collectivités, soit associé aux différentes études qui s’apprêtent à être menées, et qui ne l’avaient pas été jusqu’alors, ou pas suffisamment.
Parce que les élus sont directement concernés, j’ai été destinataire de très nombreuses demandes d’information ces derniers mois, de toutes parts : sportifs, parents, associations… Cette démarche législative – c’est l’esprit de ce texte – se veut donc collective et constructive.
En réponse à ma question, Mme la ministre des sports indiquait, en mars dernier, avoir pris en compte, d’une part, les préoccupations des pratiquants et des communes, principales propriétaires de terrains de grands jeux en France, et, d’autre part, les incertitudes relevées dans le rapport de l’Agence européenne des produits chimiques. C’est pourquoi une saisine de six ministères, en date du 21 février dernier, a demandé à l’ANSES d’analyser les données et les études disponibles sur ce sujet, d’identifier les préoccupations qui pourraient en résulter et de déterminer les besoins complémentaires afin de réaliser une évaluation des risques. Ce travail a donné lieu à la note que j’évoquais, laquelle établit certaines orientations.
Tout d’abord, il est écrit que « les expertises scientifiques ne mettent pas en évidence de risques préoccupants pour la santé, en particulier de risque à long terme cancérogène, leucémie ou lymphome ». Toutefois, et c’est là que réside en partie le travail à mener, l’ANSES souligne « des limites méthodologiques » et un « manque de données ». Elle indique également que « les données de caractérisation des granulats et d’exposition disponibles indiquent l’existence de risques potentiels pour l’environnement ». Mais, une nouvelle fois, elle ajoute que « ces données sont insuffisantes pour caractériser les risques éventuels pour l’environnement et les organismes vivants ».
En introduction et en conclusion, l’Agence précise qu’elle a fourni un « appui » et que ce dernier « ne constitue pas une évaluation des risques sanitaires ». Il « ne vise donc pas à émettre une conclusion de l’Agence sur l’existence ou l’absence de risques, », mais à « hiérarchiser les besoins de connaissance concernant les différentes situations d’exposition ».
À la lecture de ce document d’étape, il apparaît donc souhaitable – c’est l’objet de cette proposition de loi – que la représentation sénatoriale reçoive des précisions sur la mise en œuvre envisagée des axes de recherche prioritaires exposés : le calendrier d’enclenchement des actions visant à préciser certains volets spécifiques afin d’effectuer une évaluation des risques pour la santé humaine ; la position de la France sur la proposition de restreindre la teneur en hydrocarbures aromatiques polycycliques dans les granulats dans un règlement européen concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques ; la proposition d’éléments méthodologiques en vue de la conduite d’une évaluation des risques environnementaux à réaliser localement, avant toute mise en place de ce type de revêtement.
Alors que ces orientations seront discutées avec les six ministères signataires de la demande d’appui – transition écologique, solidarités et santé, économie et finances, travail, agriculture et alimentation, sports – dans le cadre d’une consultation avec les différentes parties prenantes, les membres du groupe La République En Marche du Sénat souhaiteraient que le Gouvernement remette au Parlement un rapport dressant l’état d’avancement de chacune des préconisations établies en septembre dernier.
Voilà une semaine, lors d’un débat auquel j’ai participé sur le plateau de Public Sénat, plusieurs constats, que je crois unanimes, ont été dressés par des acteurs aux profils pourtant très différents.
Premièrement, les élus expriment une inquiétude forte, relayée par les médias, avec parfois des propos alarmistes. Les élus sont en effet responsables de ce qu’ils installent. Étant en première ligne, ils nous disent avoir besoin d’informations claires et fondées.
Deuxièmement, tous ont reconnu que cette note de l’ANSES, qui apporte un début de réponse plutôt rassurante, restait insuffisante en l’état, en particulier sur le volet environnemental.
Troisièmement, les publics concernés et intéressés sont nombreux : pratiquants, clubs, associations sportives – amateurs et professionnels –, familles et enfants, installateurs, personnes chargées de l’entretien, élus, résidents et, bien évidemment, acteurs de la filière, également prêts à évoluer.
Quatrièmement, les solutions apportées et les méthodologies utilisées sont également très hétérogènes – parfois un moratoire, en application du principe de précaution ; parfois encore, le changement du revêtement…
Voilà pourquoi il paraît plus que jamais nécessaire non seulement de rassurer les différents publics et d’apporter de la raison, c’est-à-dire des études sérieuses, dans un débat passionné, mais aussi de prendre en compte la spécificité d’utilisation de chaque terrain.
Je profite de mon intervention pour remercier le rapporteur, Frédéric Marchand, pour la qualité de son travail, réalisé dans un délai très bref, qui exprime parfaitement les éclairages qu’entend apporter cette proposition de loi.
Ce que nous souhaitons, au final, c’est un cahier des charges prescriptif qui puisse mettre en avant les bonnes solutions et les bonnes pratiques, les alternatives – lorsqu’elles sont souhaitables – et les bons usages. Faisons l’inventaire !
Le débat, rendu possible par l’enquête de So Foot et par le reportage d’Envoyé spécial en février, de même que les initiatives déjà prises par le Gouvernement afin d’impulser les études complémentaires, doit nous permettre de nous inscrire dans une démarche constructive et collective. Notre discussion de ce soir doit aussi nous permettre de faire remonter ces inquiétudes et de problématiser les travaux futurs. Il doit également porter sur le sujet particulier des terrains. Ne nous égarons pas : en brouillant notre message, nous perdrions une occasion de faire avancer cette problématique. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Christophe Priou applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Frédéric Marchand, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, face aux inquiétudes de nos concitoyens en matière de santé publique et d’environnement, les élus locaux sont désormais en première ligne. À cet égard, vous me permettrez d’avoir une pensée pour toutes celles et tous ceux qui participent au Congrès des maires et que nous rencontrons ici, au Sénat, depuis hier et jusqu’à demain. Régulièrement interpellés sur ces sujets, ils ne disposent cependant pas toujours des éléments techniques et des outils nécessaires pour y répondre.
Les interrogations sur les risques liés à la présence de granulats de pneumatiques usagés dans certains terrains de sport et aires de jeu, relayées par plusieurs médias et associations, s’inscrivent dans ce contexte d’une élévation générale du niveau de sensibilité de la société civile aux problématiques de santé liées à l’environnement. Sans céder aux postures alarmistes ni méconnaître la légitimité des préoccupations ainsi exprimées, il est indispensable de fonder les décisions publiques sur un diagnostic clair et objectif des risques liés à la présence de produits chimiques dans les usages et les pratiques du quotidien.
Tel est précisément l’objectif de la présente proposition de loi, déposée par notre collègue Françoise Cartron et les membres du groupe La République En Marche, qui vise à demander la remise d’un rapport au Parlement, avant le 1er janvier 2020, sur les suites données à une récente note relative aux risques liés à l’emploi de granulats de pneumatiques dans les terrains de sport synthétiques et usages similaires. Six ministères ont en effet décidé de saisir conjointement l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, le 21 février 2018, afin d’identifier les connaissances disponibles sur les risques sanitaires et environnementaux liés à ces substances. Menés dans des délais contraints, les travaux de l’Agence ont conduit à la publication, le 18 septembre dernier, d’une note d’appui scientifique et technique qui procède en trois temps.
Dans un premier temps, l’ANSES a analysé une cinquantaine d’études et expertises internationales sur les risques liés aux terrains synthétiques, notamment celles réalisées par l’Agence européenne des risques chimiques et par l’Institut néerlandais pour la santé et l’environnement.
En matière de santé, l’Agence constate que la majorité de ces études concluent à « un risque négligeable pour la santé » en ne mettant pas en évidence d’augmentation du risque cancérogène associée à la fréquentation ou à la mise en place de terrains de sport synthétiques.
En matière d’environnement, l’Agence constate que les données disponibles évoquent « l’existence de risques potentiels pour l’environnement », liés au transfert de substances chimiques via les sols, le ruissellement et les systèmes de drainage des eaux de pluie. Les principales substances relarguées et problématiques en termes d’écotoxicité sont le zinc, les phtalates et les phénols.
Dans un deuxième temps, l’ANSES indique avoir relevé « des incertitudes et limites méthodologiques » dans certaines publications, en particulier un manque de prise en compte de la variabilité de la composition des terrains synthétiques, ainsi qu’un manque de données concernant les aires de jeu pour enfants et les terrains synthétiques en intérieur.
Dans un troisième temps, l’Agence propose donc des axes de recherche prioritaires afin de consolider les données existantes et de compléter les évaluations de risques sur les sujets nécessitant des investigations plus poussées.
Lors des auditions, il nous a été indiqué que ces sujets allaient effectivement être intégrés au programme de travail de l’ANSES pour 2019.
L’Agence recommande également une évolution de la réglementation REACH afin d’abaisser la teneur en hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP, des granulats de pneus, qui constituent des substances particulièrement préoccupantes. La teneur maximale varie actuellement entre 1 000 et 100 milligrammes par kilogramme de mélange, selon l’hydrocarbure considéré, soit un niveau bien supérieur à celui prévu pour les articles destinés au grand public en contact prolongé ou régulier avec la peau : 1 milligramme ou, pour les jouets, 0,5 milligramme.
Indépendamment des risques identifiés, il est donc indispensable de faire évoluer rapidement la réglementation en tenant davantage compte des usages, dès lors que, sur un terrain synthétique ou une aire de jeu, le contact direct du corps avec ces granulats peut également être régulier ou prolongé, en particulier pour les enfants.
La question va être examinée au cours de l’année 2019 dans le cadre d’un projet de restriction porté au niveau européen par les autorités néerlandaises, en vue de rapprocher les teneurs applicables aux mélanges de celles prévues pour les articles grand public.
Sans méconnaître les enjeux socio-économiques de la filière, il me semble important de tendre vers les niveaux les plus protecteurs possible pour les utilisateurs de ces terrains.
Enfin, l’ANSES préconise dans cette note l’élaboration d’éléments de méthode pour mener localement des évaluations d’impact avant la création de nouveaux terrains, compte tenu des risques identifiés dès à présent pour l’environnement.
Il existe actuellement un grand décalage entre, d’une part, les inquiétudes relayées récemment par les médias et certaines associations et, d’autre part, l’état des connaissances scientifiques.
Aujourd’hui, l’absence conjointe de risque majeur identifié pour la santé et de signalement épidémiologique notable ne suggère pas une application stricte du principe de précaution qui conduirait à renoncer complètement à la création de nouvelles installations ou à interdire l’utilisation de terrains existants.
Selon les spécificités locales, la sensibilité de la population à ces questions et la volonté des élus, des solutions intermédiaires existent en matière de prévention des risques. Je pense notamment à la région Île-de-France, qui prévoit, après avoir établi un moratoire sur le financement des projets de terrains synthétiques, de rétablir ce soutien en le conditionnant à des critères spécifiques, portant notamment sur la provenance des granulats, sur la conception des terrains pour éviter leur dispersion dans l’environnement et sur la réalisation de mesures régulières portées à la connaissance des utilisateurs du terrain.
En s’inspirant de ces pratiques, une collectivité pourrait décider, à l’avenir, d’insérer des clauses guidées par des considérations sanitaires ou environnementales dans les marchés conclus pour la réalisation de terrains ou d’aires de jeu.
La définition d’éléments de méthodologie au niveau national et la diffusion de bonnes pratiques pourront utilement éclairer les élus locaux quant aux différentes solutions dont ils disposent.
Pour conclure, et sans méconnaître les réticences de la Haute Assemblée à soutenir les demandes de rapport qui se sont exprimées en commission, je dirai que la présente proposition de loi nous semble utile pour informer le public et aiguillonner les pouvoirs publics, afin que des suites soient effectivement données aux propositions de l’ANSES. Mme la secrétaire d’État pourra sans doute nous apporter des précisions sur ce point.
Par ailleurs, il nous semble judicieux de définir une clause de revoyure sur le sujet, en l’espèce via la remise d’un rapport au Parlement d’ici au 1er janvier 2020.
Enfin, comme je l’ai indiqué au début de mon propos, la mise en œuvre des recommandations de l’ANSES doit permettre d’apporter aux élus locaux des éléments de réponse face aux préoccupations exprimées par les citoyens et des outils complémentaires de prévention des risques, s’ils jugent nécessaire de prendre de nouvelles mesures.
Pour ces différentes raisons, et malgré l’abstention d’une partie de ses membres, notre commission s’est prononcée en faveur de la présente proposition de loi et vous propose donc de l’adopter. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste. – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.
Mme Brune Poirson, secrétaire d’État auprès du ministre d’État, ministre de la transition écologique et solidaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite tout d’abord remercier la Haute Assemblée d’examiner ce soir cette proposition de loi. Elle est en effet pleinement cohérente avec deux priorités du Gouvernement, qui sont liées, à savoir la protection de la santé humaine et l’environnement. Celles-ci sont au cœur des travaux du ministère de la transition écologique et solidaire.
La question de l’impact sur la santé d’un environnement dégradé est une préoccupation croissante parmi nos concitoyens. Cette préoccupation est légitime, puisqu’elle s’inscrit dans un contexte où de multiples indicateurs démontrent les effets néfastes de certaines substances chimiques et leur impact sur la santé tant de nos concitoyens que de nos écosystèmes. Il est en conséquence de notre devoir d’évaluer précisément les impacts de ces substances et de prendre, avec responsabilité, les mesures de gestion qui s’imposent.
Comme vous le savez, le Gouvernement a porté différentes initiatives en ce sens, certaines étant toutes récentes. La loi prise à l’issue des États généraux de l’alimentation traite ainsi de l’interdiction de l’incorporation du dioxyde de titane dans les produits alimentaires. Elle contient également de nombreuses mesures relatives aux produits phytopharmaceutiques, notamment l’interdiction des pesticides ayant le même mode d’action que les néonicotinoïdes, ces derniers étant déjà interdits en France depuis le 1er septembre 2018. Je pense également à la séparation des activités de conseil et de vente de produits pesticides, qui réduira la consommation de pesticides en permettant aux agriculteurs d’accéder à un conseil indépendant.
Par ailleurs, une meilleure protection des riverains est prévue, dans le cadre de l’épandage de produits pesticides, grâce à la mise en place de chartes d’engagement à l’échelle du département. En cas d’absence de ces chartes, des mesures contraignantes pourront être prises.
Toutes ces mesures montrent à quel point le Gouvernement est sensible à ces questions et attaché à proposer des solutions concrètes, pour nos concitoyens et l’environnement. Elles s’inscrivent bien sûr dans le cadre du plan d’action pour une agriculture moins dépendante aux pesticides et du plan de sortie du glyphosate. Il est également prévu un accompagnement fort des professionnels vers de nouvelles pratiques plus vertueuses. Il s’agit bien de les changer en profondeur.
Nous portons également au plan national de nombreuses initiatives en faveur de la réduction des risques liés aux expositions aux perturbateurs endocriniens. La deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens a ainsi été élaborée en lien étroit avec les parties prenantes durant l’année 2018. Elle sera mise en consultation publique d’ici à la fin de l’année.
Je veux aussi rappeler les nombreuses initiatives portées dans le cadre européen. La France a été moteur en matière de sensibilisation de la Commission européenne et de nos partenaires européens sur la question des perturbateurs endocriniens. Sur ces problématiques, notre action doit en priorité s’inscrire dans un contexte élargi. Je me suis mobilisée personnellement pour porter la parole de la France sur ces questions, qu’il s’agisse de la définition des critères européens relatifs aux perturbateurs endocriniens, d’une évolution des agences sanitaires européennes en vue d’une plus grande efficacité, d’une plus grande rigueur, d’une plus grande transparence et d’une meilleure prise en compte du principe de précaution, ou encore du déploiement de financements spécifiques mobilisables par ces agences pour combler les lacunes de connaissance.
La proposition de loi du Sénat s’inscrit naturellement dans cette priorité politique, qui, comme je l’ai indiqué, répond à une attente citoyenne juste, forte et légitime, à laquelle nous souhaitons apporter des réponses concrètes.
Le Gouvernement a été sensible aux premières alertes publiques concernant les terrains synthétiques. J’ai déjà eu l’occasion d’échanger avec certains d’entre vous sur cette question particulière. Il a ainsi pris l’initiative de saisir, le 21 février 2018, l’ANSES, comme vous l’avez précisé, madame la sénatrice, monsieur le rapporteur, pour réaliser une évaluation des risques liés à l’utilisation des terrains de sport synthétiques à base de granulats de pneus recyclés.
Selon l’analyse scientifique et technique de l’Agence, restituée le 17 septembre 2018, « les expertises sur les risques liés à l’exposition de sportifs et d’enfants utilisateurs des terrains synthétiques, ainsi que de travailleurs impliqués dans la pose et l’entretien de ces terrains concluent majoritairement à un risque sanitaire négligeable ». Compte tenu de certaines incertitudes et de lacunes d’information, l’ANSES a néanmoins identifié dans son rapport plusieurs actions permettant d’améliorer l’évaluation des risques. Le Gouvernement a d’ores et déjà pris le parti de suivre les différentes recommandations formulées.
Si les rapports existants examinés par l’ANSES sont rassurants, l’Agence relève cependant un manque de données et une grande variabilité de la composition des granulats. Les études en cours menées par l’industrie européenne, et plus encore par l’EPA, l’agence américaine de protection de l’environnement, permettront d’acquérir rapidement de nombreuses données supplémentaires, notamment sur la composition des granulats de pneus ainsi que sur leurs émissions. Les résultats sont attendus au plus tard pour le début de l’année prochaine. Au regard de leur contenu, nous examinerons si des mesures complémentaires doivent être réalisées.
La situation doit dès à présent nous inciter à adopter une réglementation plus stricte. L’évolution est d’ores et déjà engagée dans le cadre du règlement européen REACH. Une restriction a été proposée par nos homologues néerlandais sur les seuils d’hydrocarbures aromatiques polycycliques, les HAP, présents dans les granulats de pneus utilisés pour les terrains de sport synthétiques. Les autorités françaises appuieront cette proposition au niveau européen, afin de garantir un niveau acceptable d’émission de ces polluants.
Enfin, s’agissant de l’existence de risques potentiels pour l’environnement, pointés dans les conclusions du rapport de l’ANSES, le Gouvernement prévoit de suivre les recommandations formulées, en mettant notamment en place un groupe de travail, qui aura pour objectif d’élaborer un guide de bonnes pratiques pour l’évaluation des risques en vue de l’installation des terrains synthétiques, afin d’en limiter les impacts environnementaux. Il s’agit notamment de prévenir la diffusion dans l’environnement des particules de pneumatiques issues de l’usure des terrains, qui peuvent ensuite se répandre dans les sols ou être transportés par les eaux pluviales et avoir des effets négatifs sur les écosystèmes. Ce travail sera réalisé avec l’ensemble des acteurs de la filière. Ses conclusions devraient être connues en septembre 2019. Elles permettront d’appuyer les collectivités dans leurs choix d’équipement pour de telles infrastructures.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement prend ce sujet, comme tous les sujets liés aux thématiques de la santé et de l’environnement, très au sérieux. J’ai eu l’occasion de le dire à plusieurs reprises devant vous, nous poursuivons la mobilisation aux niveaux européen et national. Une telle approche nous guide pour l’ensemble des questions relatives à la question des risques potentiellement induits par les substances chimiques.
Si l’avis de l’ANSES offre une première analyse rassurante, le risque étant considéré comme négligeable, nous sommes déterminés à mettre pleinement en œuvre les recommandations formulées par l’Agence de sécurité sanitaire en matière d’investigations complémentaires, et ce dans la plus grande transparence.
S’agissant de la proposition de loi, qui prévoit la production formelle d’un rapport du Gouvernement au Parlement, je m’en remets volontiers à la sagesse de votre assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – M. Raymond Vall applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe Priou. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme le disait Georges Clemenceau, « quand on veut enterrer une décision, on crée une commission » ou, pour rester dans le thème sportif, comme l’a dit le président de notre commission, Hervé Maurey, « quand on veut dégager en touche, on crée une mission ou un rapport ». En l’occurrence, tel n’est pas le cas, comme notre collègue l’a excellemment expliqué, même si, comme certains de nos collègues l’évoqueront, il y a le texte et le contexte…
Je vais vous faire part d’un temps que les moins de vingt ans n’ont pas connu et, en même temps, que les moins de vingt ans ont connu. Je veux parler de mon expérience de sportif, puis d’élu local. À cette occasion, je me tourne vers mon ami Jean-Marc Boyer : dans notre jeunesse, pas si lointaine, nous nous sommes souvent roulés par terre, car nous étions gardiens de but dans nos équipes de football respectives. Mais une chose nous sépare, mon cher Jean-Marc : tu n’as jamais marqué de but, alors qu’il m’est arrivé de marquer un but sur un dégagement de 80 mètres, ce qui n’aurait pas été possible sur un terrain synthétique, le rebond n’étant pas le même que sur un terrain engazonné. Ce n’était pas contre le club de Chartres, cher Gérard Cornu, ni celui du Poiré-sur-Vie, cher à Didier Mandelli. (Sourires.)
Nous avions à cette époque deux surfaces : le terrain stabilisé et le terrain engazonné. Elles ont ensuite été complétées par une troisième surface : le terrain synthétique, qui constituait à l’époque une révolution. En tant qu’adjoint aux sports, j’ai bien vu que les sportifs préféraient, d’une manière générale, les terrains engazonnés. Reste que ces terrains, comme l’a dit Françoise Cartron, soulèvent des problèmes liés à l’environnement, à la fréquentation et aux coûts de fonctionnement. En matière environnementale, je pense à l’arrosage, ainsi qu’à l’utilisation d’engrais et de désherbants sélectifs. En termes de fréquentation, un terrain engazonné peut supporter deux à quatre matchs par semaine, alors que les clubs ont des centaines de licenciés.
Quand ils ont fait leur apparition, les terrains synthétiques ont représenté la meilleure solution, même si l’investissement était important. Néanmoins, notre collègue l’a dit, ils engendrent des problèmes physiologiques.
Ces terrains synthétiques sont aujourd’hui fort bien subventionnés par les collectivités locales et la Fédération française de football. Tout à l’heure, un maire d’une commune nouvelle me disait qu’un tel terrain serait bientôt construit par l’intercommunalité et subventionné à 50 % par la Fédération française de football.
Certaines habitudes ont évidemment dû changer, s’agissant notamment de la gestion et de l’entretien de ces terrains. Je me souviens que, dans la région de Nantes, à Rezé, un problème de communication au sein des services techniques avait conduit un agent des espaces verts à tondre le terrain synthétique. (Sourires.)
En tant qu’élu local, j’ai été confronté à des problèmes d’ordre sanitaire. Je citerai trois dossiers que j’ai dû traiter en tant que maire.
Dans des temps qui ne sont pas immémoriaux, le scandale de l’amiante a eu des répercussions importantes. Il y avait quelquefois entre les personnes exposées et le monde médical et scientifique une certaine prudence.
J’ai également été confronté, au Croisic, au naufrage de l’Erika, qui aurait pu être évité. Les côtes étaient recouvertes de fioul n° 2, c’est-à-dire d’un résidu de pétrole. Des centaines de bénévoles sont arrivées. On les a équipés de combinaisons, de gants et de masques. Quelques jours plus tard, les gens nous ont demandé si l’exposition aux hydrocarbures aromatiques polycycliques, les HAP, n’était pas dangereuse. Nous n’avions pas alors le recul nécessaire. Nous avons donc suspendu l’opération de nettoyage réalisée par les bénévoles, en application du principe de précaution.
Au Croisic toujours, nous avions restauré, dans les années 2000, un espace public, en utilisant des traverses de chemin de fer traitées à la créosote. Des usagers se sont inquiétés. Il a fallu réaliser un certain nombre d’études pour dissiper les craintes.
Vous le voyez, mes chers collègues, ce dossier en rejoint d’autres. La différence est ténue entre l’air du temps et l’esprit du temps, mais aussi entre le principe de précaution inscrit depuis mars 2005 dans la Constitution et le risque zéro.
À titre personnel, je serai favorable à ce texte, surtout s’il est enrichi par la discussion parlementaire qui va suivre. (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains. – M. Jean-Pierre Decool applaudit également.)