M. le président. La parole est à M. Pascal Savoldelli.
M. Pascal Savoldelli. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons ce soir est symbolique du problème posé par le sujet : études après études, enquêtes après enquêtes, les résultats se contredisent.
Si la note scientifique et technique de l’ANSES du 29 août dernier se veut rassurante, elle pointe néanmoins une contradiction. Elle relève en effet que les études qu’elle a agrégées considèrent les risques des granulats des pneus « négligeables » du fait de leur faible concentration. Dans le même temps, elle précise que les études montrent toutes, sans exception, des failles méthodologiques importantes. En parallèle, elle omet d’autres études, certainement aussi faillibles, qui se veulent beaucoup plus alarmantes. Je pense notamment aux travaux des universités de Yale, de Géorgie ou encore d’Amsterdam, qui pointent un certain nombre de risques.
Une telle situation n’est pas étonnante, et ce pour deux raisons.
Premièrement, on observe une multitude de prestataires en matière de retraitement des pneus usagés, alors même que l’on parle de 23 000 unités par terrain, de 60 mètres par 100. Plus que cette concurrence libre et faussée, c’est l’absence d’un cadre normatif clair sur les caractéristiques des granulats qui suscite nos inquiétudes. En effet, les normes existantes se concentrent presque exclusivement sur les caractéristiques techniques des revêtements, notamment en matière d’amortissement des chocs. La situation est clairement insatisfaisante de ce point de vue, d’autant que, si certaines fédérations régionales ou nationales ont élaboré des guides et donné des consignes de bonnes pratiques, ce n’est pas le cas de toutes.
Par ailleurs, la multitude des acteurs concernés et l’absence de normes laissent craindre des traitements de pneus peu respectueux de tous les principes de sécurité. En effet, lorsque l’on retrouve des teneurs en plomb, en arsenic ou encore en chrome dans des proportions supérieures aux recommandations, c’est que le processus de traitement, très clairement, a été fait à la hussarde.
Deuxièmement, nous sommes face à une multitude de situations, tant les granulats réagissent à toute mutation environnementale. À ce titre, il faut rappeler les études de l’université d’Amsterdam sur l’effet de l’humidité sur les granulats et leur dilution dans l’environnement immédiat. Je peux aussi citer l’étude australienne de 2015 sur les îlots de chaleur créés par l’itinérance des granulats et sur la réaction des billes face à la chaleur, avec une dispersion dans l’air de particules passant par les voies respiratoires.
De fait, il n’existe pas une situation environnementale identique d’un terrain à l’autre. C’est d’autant plus problématique que l’on parle non pas d’un type de terrain unique, mais d’un ensemble de terrains de tailles et de systèmes d’aération différents.
Celles et ceux qui sont déjà allés dans un Five en synthétique, lieu très fréquenté par les jeunes, doivent certainement comprendre nos inquiétudes quant aux problèmes respiratoires dans ces environnements clos. C’est d’ailleurs ce que pointe un chercheur de l’université de Géorgie, qui a fait circuler un robot sur les terrains synthétiques pour récupérer les particules pouvant être inhalées.
On se l’imagine bien au vu de ces éléments : il est tout à fait envisageable que 23 000 pneus, 120 tonnes de granulats et 190 substances cancérigènes ou toxiques, même en faible quantité, puissent avoir des conséquences néfastes. Or, je tiens à le préciser, plus que la teneur des 190 substances en question, c’est leur accumulation qui interroge.
La question sanitaire ne doit pas dissimuler le risque écologique. C’est d’ailleurs, chose étonnante, le seul point sur lequel l’ensemble des études semble s’accorder : les granulats de pneus ne sont pas satisfaisants d’un point de vue environnemental. Sont en cause les îlots de chaleur, qui déstabilisent les écosystèmes alentour, la dilution des granulats dans le sol du fait de l’humidité et leur itinérance.
Vous le voyez, mes chers collègues, il y a encore de nombreuses incertitudes et des soupçons tangibles. Dès lors, quelles solutions retenir pour le court et moyen terme ?
Premièrement, une étude de référence doit, me semble-t-il, être réalisée. Pendant longtemps, le Gouvernement s’est appuyé sur les travaux de l’INERIS, qui se fondait lui-même – personne n’en a parlé – sur les études d’Aliapur, soit, comme par hasard, le premier pourvoyeur de granulats…
Deuxièmement, à la lumière de ce que pourrait donner une enquête de référence, notre cadre normatif doit évoluer, pour intégrer les questions sanitaires et environnementales aux prérequis en matière de granulats.
Troisièmement – peut-être Mme la secrétaire d’État pourra-t-elle me répondre –, y a-t-il une raison pour laquelle la France n’a pas fait prévaloir un principe de précaution, comme l’a fait la Fédération néerlandaise de football ou la ville de New York ?
Je l’entends bien, la valorisation des pneus constitue une priorité. Toutefois, il semble que la solution apportée ne soit pas satisfaisante d’un point de vue sanitaire et écologique.
Par ailleurs, cette solution implique d’aider, dès aujourd’hui, les très nombreuses collectivités ayant installé des « city stades », des terrains de grande taille, voire des aires de jeu pour enfants en granulats à remplacer l’existant ou revoir les plans de leurs projets d’installation. En effet, si les alternatives existent – je pense au liège, à la fibre de coco ou aux modèles hybrides –, elles coûtent cher. Or les collectivités sont déjà en difficulté financière. Pour ne prendre qu’un exemple, lorsque le FC Lorient, évoluait en ligue 1, il a remplacé sa pelouse synthétique au stade du Moustoir, et il en a été quitte pour 1,2 million d’euros.
L’argent, c’est d’ailleurs ce qui a bien souvent motivé les collectivités à passer au synthétique. Si le coût d’installation est plus élevé que pour un gazon naturel, les coûts de maintenance et le taux d’occupation sont supérieurs, ce qui constitue des atouts non négligeables pour amortir l’investissement.
Je remercie notre collègue Françoise Cartron de nous permettre de débattre de ce sujet, qui concerne les domaines sanitaire et environnemental. L’adoption de cette proposition de loi permettra – c’est la raison pour laquelle nous y sommes favorables – le suivi régulier du dossier entre les mains de l’ANSES, avec en ligne de mire deux préconisations : la restriction de la teneur en HAP des granulats et la réalisation d’une enquête de référence. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain citoyen et écologiste. – Mmes Françoise Cartron et Nelly Tocqueville applaudissent également.)
M. Jean-François Husson. Bravo, camarade !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour examiner une proposition de loi importante sur le fond, mais quelque peu déroutante au regard de la méthode utilisée, puisqu’il s’agit de passer par la loi pour demander au Gouvernement la réalisation d’un rapport sur la mise en œuvre de préconisations émises par l’ANSES.
J’ai plusieurs remarques à formuler.
Tout d’abord, nous connaissons tous ici le sort réservé aux demandes de rapport.
Ensuite, que le parti de la majorité gouvernementale utilise une niche parlementaire pour déposer une proposition de loi demandant à son propre gouvernement la remise d’un rapport nous paraît pour le moins curieux.
M. Jean-François Husson. C’est le nouveau monde !
Mme Nicole Bonnefoy. N’aurait-il pas été plus efficace de questionner le ministre concerné ou de lui écrire, comme c’est la pratique ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-François Husson. Très bien ! Bravo !
Mme Nicole Bonnefoy. En outre, l’ANSES, déjà saisie depuis février dernier par six ministres, n’a nul besoin de cette proposition de loi pour continuer à travailler sur le sujet. D’ailleurs, dans de récentes conclusions, l’Agence considère que l’exposition à ces surfaces synthétiques présente un risque sanitaire négligeable, tant pour les utilisateurs que pour les spécialistes qui installent et entretiennent ces terrains. Elle émet des réserves marginales et formule des préconisations en matière de pistes d’action.
Bien plus qu’à cette proposition de loi il nous faudra rester attentifs aux résultats des travaux et recherches de l’ANSES. Je pense notamment à la publication de ses conclusions, dont dépendront les éventuelles mesures législatives et réglementaires à prendre.
M. Guy-Dominique Kennel. Très bien !
Mme Nicole Bonnefoy. J’ai bien noté que le Gouvernement était très favorable à cette proposition de loi. Je ne peux m’empêcher de m’étonner de sa politique à géométrie variable s’agissant des rapports demandés par les parlementaires. Permettez-moi d’illustrer mon propos.
Vous avez rappelé, madame la secrétaire d’État, les mesures adoptées dans le cadre de la loi ÉGALIM. Lors de la discussion de ce texte, j’avais moi-même formulé une demande de rapport sur les « effets cocktails des pesticides entre eux ». Ce rapport m’a été refusé, pour des motifs pour le moins évasifs, alors que le problème est important. Inversement, toujours lors de l’examen du texte ÉGALIM, l’amendement voté ici à l’unanimité sur la création d’un fonds d’indemnisation pour les victimes de produits phytopharmaceutiques a reçu un avis défavorable du Gouvernement, au motif qu’il convenait de demander un nouveau rapport d’opportunité, alors même qu’un tel rapport, rédigé par trois inspections – santé, agriculture et finances – existe déjà et conclut à la pertinence de la création d’un tel fonds, tout en précisant le détail du mécanisme à mettre en œuvre.
Travaillant depuis des années sur ces sujets de santé publique, dont on voit combien ils sont prégnants dans l’opinion publique, j’estime qu’ils méritent mieux que des réponses à géométrie variable, suivant que l’on soit Marcheur ou pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées du groupe Union Centriste.) Aussi, par esprit de provocation, pour mettre le Gouvernement et sa majorité devant leurs paradoxes et afin, surtout, d’enrichir le texte, j’ai déposé deux amendements au nom du groupe socialiste et républicain.
Mon premier amendement a pour objet l’élaboration d’un rapport concernant la prise en compte des effets cocktails des produits phytopharmaceutiques sur la santé humaine, qui constitue pour vous, madame la secrétaire d’État, vous venez de l’affirmer, une priorité.
Mon second amendement vise, par voie de conséquence, à modifier le libellé de la proposition de loi.
Je vous appelle donc, mes chers collègues, à enrichir cette proposition de loi en votant mes amendements. Je le rappelle, il n’y a pas un rapport plus important qu’un autre. Les deux rapports concernent les travaux de l’ANSES. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Union Centriste et du groupe Les Républicains. – M. Raymond Vall applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.
Mme Véronique Guillotin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, résumons-nous : la proposition de loi que nous examinons nous invite à débattre de l’opportunité de demander au Gouvernement un rapport qui sera appelé à être remis au Parlement, afin de débattre de ses conclusions au sein des deux assemblées. Bref, pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?
Venons-en au fond : cette proposition de loi à article unique est plus complexe qu’il n’y paraît. D’une part, la composition des terrains de sport synthétiques et des aires de jeu induit des questions de santé publique, mais aussi environnementales, sur lesquelles nous sommes nombreux à attendre des réponses scientifiques, pour mettre fin aux incertitudes, voire aux inquiétudes. D’autre part, la proposition de loi met en lumière des difficultés relatives à la filière de revalorisation des pneus usagés.
La note publiée par l’ANSES à la fin de l’été, à la suite d’une saisine de six ministères, porte uniquement sur l’analyse des études existantes et conclut « à un risque peu préoccupant pour la santé, et à des risques potentiels pour l’environnement ». Toutefois, l’ANSES ne donne pas de recommandations provisoires claires. Elle précise que des travaux de recherche supplémentaires pourraient être et sont même nécessaires.
En somme, si les études disponibles tendent à nous rassurer sur le plan de la santé, elles mériteraient d’être complétées par un travail de recherche d’envergure. Puisqu’il est question de santé publique, l’initiative doit, me semble-t-il, être portée par les pouvoirs publics.
Sur le fond, nous ne pouvons que souscrire à ce texte. Sont concernés 3 000 terrains de football, des centaines de terrains indoor et des milliers de sportifs au contact de ces pelouses synthétiques. Les enfants sont également spécifiquement visés, puisqu’ils sont les premiers utilisateurs des aires de jeu fabriquées à partir de granulats de pneus. On peut d’ailleurs s’étonner que les teneurs maximales en hydrocarbures aromatiques polycycliques, les HAP, de ces terrains ne soient pas déjà alignées sur celles des articles de consommation en contact avec la peau, comme les jouets pour enfants.
Au-delà de l’inquiétude engendrée par l’absence de données, le sujet intéresse aussi beaucoup les élus locaux. Ainsi, 10 % des terrains sont aujourd’hui synthétiques, une partie d’entre eux étant composée de granulats de pneus. Certaines collectivités s’interrogent naturellement sur leurs investissements passés ou à venir. Certaines appliquent également le principe de précaution dans l’attente de réponses scientifiques claires. Elles font aussi appel à des matériaux plus coûteux, mais plus sûrs. Les conséquences liées à cette incertitude sont donc importantes pour nos collectivités.
En réalité, cette proposition de loi concerne plus largement la question de la gestion des pneus usagés, obligatoire depuis 2002, en vertu du régime de responsabilité élargie des producteurs. Les pneumatiques font naturellement l’objet de réglementations pour leur utilisation sur les routes, mais pas pour d’autres usages. Il faut donc d’abord s’interroger sur l’intégration dans cette filière d’un volet dédié à la protection de l’environnement. Ainsi, la recherche devrait être encouragée, pour réduire la production de pneus non biodégradables et difficilement recyclables et encourager la production de pneus recyclés à partir de pneus usés, au-delà du rechapage, ce que nous ne savons pas faire pour l’instant. Ces questions pourraient trouver leur place dans le futur projet de loi d’orientation des mobilités.
La réutilisation ne concernant que 16 % des pneus usagés, l’obligation de traitement de ces déchets a conduit les producteurs à chercher d’autres voies de valorisation. Selon les estimations, 90 000 tonnes de pneus usagés sont ainsi transformées en granulats et intégrées à la fabrication de terrains de sport synthétiques ou d’aires de jeu. Dans une perspective sanitaire, il faudrait faire évoluer la qualification des déchets valorisés, afin qu’ils ne soient plus soumis aux réglementations du produit d’origine, mais à celles du produit de destination.
Ce dernier point est déjà en train d’évoluer : un projet de restriction des teneurs maximales en hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP, a été présenté par les autorités néerlandaises au titre de la réglementation REACH. Il devrait être adopté l’an prochain, ce qui permettrait de réduire la teneur en produits toxiques des granulats.
Si nous sommes évidemment favorables à de nouvelles études fiables et solides permettant de répondre clairement aux inquiétudes, le véhicule législatif ne nous paraît pas le bon.
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. D’une part, le groupe du RDSE, comme d’autres, est généralement défavorable aux demandes de rapport. Le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, M. Maurey, rappelait d’ailleurs la semaine dernière que le nombre de rapports remis par le Gouvernement était inférieur à 50 %, ce qui pose au passage la question du respect par les gouvernements des demandes faites par le législateur.
M. Jean-François Husson. Très bien !
Mme Véronique Guillotin. D’autre part, indépendamment du projet néerlandais, qui est en bonne voie à l’échelon européen, l’ANSES a confirmé que le sujet fera l’objet de travaux de recherche dédiés. Ce qui est visé par la proposition de loi semble donc d’ores et déjà enclenché.
En conséquence, souscrivant sur le fond à l’exigence scientifique et à la nécessaire refonte de la filière, mais regrettant le véhicule législatif retenu, le groupe du RDSE s’abstiendra dans sa majorité sur ce texte. (Applaudissements sur des travées du groupe Union Centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste.)
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la présente proposition de loi pose deux questions, qu’il convient de bien distinguer. La première porte sur le fond : le recyclage des pneumatiques dans les terrains de sport et les aires de jeu peut-il présenter un danger sanitaire et environnemental ? La seconde est une question procédurale : ce sujet implique-t-il l’intervention du législateur et, en particulier, la demande d’un rapport du Gouvernement au Parlement ?
J’évoquerai d’abord la question de fond, celle du danger invoqué. Toutes les données du problème sont dans le rapport de Frédéric Marchand, que je félicite de l’excellence de son travail, d’autant plus qu’il s’agit d’une question d’une extrême technicité. Quelle conclusion tirer du rapport ? Celui-ci démontre qu’il y a à l’évidence un vrai sujet d’inquiétude, sur lequel nous devons nous pencher en tant que décideurs publics.
Les données scientifiques sont insuffisantes. En l’état actuel de nos connaissances, le risque sanitaire serait « négligeable », mais il y aurait des risques « potentiels » pour l’environnement. Cela a très bien été expliqué. La note de l’ANSES du mois de septembre dernier ne constitue pas une étude nouvelle, mais c’est une synthèse des travaux disponibles. De plus, certaines des études compilées seraient méthodologiquement critiquables.
Nous devons donc aller plus loin. Il nous faut améliorer nos connaissances scientifiques du sujet. L’enjeu est important pour nos concitoyens, d’une part, et pour les collectivités, d’autre part. Les premiers s’inquiètent à juste titre. Ils sont de plus en plus nombreux à nous demander l’application du principe de précaution.
Le sujet concerne non seulement les terrains de sport, qui sont fréquentés par la population, mais également les aires de jeu destinées aux enfants ; nous le savons, ces derniers sont une population plus fragile et plus exposée aux risques pour la santé que les autres. Lorsque l’on parle d’infrastructures publiques aussi populaires et symboliques du lien social que les terrains de sport et les aires de jeu, aucun doute n’est permis.
Je le disais, alors que nous sommes en plein Congrès des maires, le problème soulevé par la présente proposition de loi est aussi un enjeu majeur pour les collectivités. S’il apparaît qu’il est préférable de remplacer les revêtements utilisés pour les stades et les parcs publics, qui paiera ? Ce sera la commune, comme toujours ! Et la facture risque une fois de plus d’être salée ! Notre rapporteur a pris l’exemple d’une commune de Wallonie qui a décidé de faire enlever tous les granulats de pneu de son terrain synthétique, ce qui lui coûtera la modique somme de 50 000 euros, et ce sur la base d’éléments scientifiques et techniques dont la fiabilité est sujette à caution.
Quand on sait à quel point l’opinion, à l’heure des réseaux sociaux, des fake news et de la récurrence des scandales sanitaires, est prompte à s’emballer et quand on mesure à quelle rapidité la panique peut gagner les esprits, on se rend compte de l’urgence du sujet.
Sur la base de telles considérations, faut-il abandonner l’usage des granulats de pneus ou seulement modifier leur composition, ou encore continuer de les utiliser, mais seulement en complément de certains autres matériaux ? Faut-il d’ores et déjà, en application du principe de précaution, suspendre leur usage pour la création de nouveaux terrains ou nouvelles aires de jeu ? Nous ne pouvons pas encore répondre à ces questions, qui sont pourtant essentielles.
En résumé, sans amélioration de notre connaissance du phénomène et des autres solutions qu’il serait possible de développer pour remplacer les granulats, nous ne pouvons ni agir ni rassurer.
Cela me conduit à la seconde question soulevée par le texte : celle de la méthode. Pour faire avancer les choses, doit-on passer par une loi demandant un rapport ? C’est là que nous sommes plus circonspects. Comme le président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, M. Hervé Maurey, l’a rappelé, au moins 50 % des rapports que le Gouvernement doit présenter au Parlement ne sont jamais remis. La Haute Assemblée a développé une réticence devenue quasi épidermique à la demande de rapports.
À ces considérations générales viennent s’ajouter deux choses : d’une part, d’autres études sont en cours à l’échelon international, en Europe et aux États-Unis ; d’autre part, l’ANSES a elle-même confirmé que ce sujet de recherche figurerait dans son programme de travail pour 2019.
Dans ces conditions, pourquoi un rapport et une proposition de loi ? Le choix de tels outils parlementaires n’est peut-être pas le plus judicieux. Selon nous, un débat aurait été plus adapté. Il était en effet important que nous nous emparions du sujet. C’est la raison pour laquelle nous remercions le groupe La République En Marche de nous avoir permis de le faire.
Si de nouvelles études sur l’emploi des granulats de pneus sont déjà au programme de travail de l’ANSES, nous espérons que le présent débat et la montée des inquiétudes sur ce sujet contribueront à les placer au sommet des priorités de l’Agence.
Plus globalement, s’intéresser aux granulats de pneus conduit à s’intéresser à nombre d’autres substances et produits utilisés dans toutes les infrastructures fréquentées par le public : peintures, colorants, colles, agents lissants, liants, etc. Nous sommes en permanence exposés à des substances industrielles dont nous savons finalement peu de chose. Le chantier de la prévention sanitaire est colossal, mais il est vital pour éviter à l’avenir de nouveaux scandales sanitaires de type amiante ou bisphénol. Nous devons nous donner les moyens de le mener à bien.
En l’occurrence, puisque c’est surtout l’alerte qui compte et puisque l’adoption d’une proposition de loi ne nous semble pas de nature à faire vraiment avancer les choses, le groupe Union Centriste s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Union Centriste, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
M. Jean-Pierre Decool. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi visant à demander au Gouvernement un deuxième rapport sur la mise en œuvre des préconisations d’un premier rapport publié en juin dernier par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. Ce dernier visait à clarifier les éventuels risques sanitaires liés à la fréquentation par les sportifs et les enfants des terrains de sport synthétiques et des aires de jeu. En effet, ces terrains, composés de granulats de caoutchouc recyclés à partir de pneus usagés, pourraient se révéler cancérigènes pour l’homme et toxiques pour l’environnement.
Cette inquiétude, relayée par les médias, la société civile et un certain nombre d’élus locaux, a conduit le Gouvernement à saisir l’ANSES. Sur la base d’une cinquantaine d’études internationales, cette dernière indique à la fois l’existence d’un risque sanitaire négligeable et la présence de risques potentiels pour l’environnement. Certaines substances chimiques présentes dans ces granulats seraient susceptibles de contaminer les sols et les nappes phréatiques. Néanmoins, elle émet d’importantes réserves d’ordre méthodologique : les données exploitées ne sont pas suffisamment solides pour caractériser la présence ou l’absence de risque pour la santé et pour les écosystèmes.
Aussi la portée de ce premier rapport se limite-t-elle à un certain nombre de recommandations, dont la nécessité d’établir des études plus spécifiques et plus poussées. Le second rapport qui fait l’objet de cette proposition de loi permettra, nous l’espérons, d’apporter une réponse claire aux nombreux élus locaux, sportifs et parents d’enfants exposés à ces substances potentiellement nocives pour l’homme et pour l’environnement.
Les élus du groupe Les Indépendants sont conscients de l’importance de ce sujet, pour des raisons à la fois sanitaires et environnementales, mais aussi financières. Il ne s’agit pas de faire de la démagogie en demandant aux élus de remplacer demain des terrains dont on vantait hier la qualité et la soutenabilité sans éléments sérieux. Aussi devons-nous clarifier la situation tout en veillant à accompagner financièrement les élus locaux s’il se révélait nécessaire de remplacer ces terrains.
Si je soutiens une telle demande de rapport, c’est aussi pour protéger les élus locaux de ce qu’on appelle pudiquement la « faute non intentionnelle ». Souvenons-nous de la loi Fauchon !
Avec ces réserves, nous voterons la présente proposition de loi. (Applaudissements sur des travées du groupe La République En Marche.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les terrains de sport et les aires de jeu dites « synthétiques » sont de plus en plus répandus sur le territoire national. Leur utilisation très pratique pour les clubs et les pratiquants, les économies d’entretien ainsi permises et la valorisation en granulats des déchets de pneus constituent des atouts indéniables. Mais ce type d’équipement suscite également quelques inquiétudes.
La proposition de loi déposée par notre collègue Françoise Cartron et le groupe La République En Marche vise à donner une suite à la note de l’ANSES du 18 septembre dernier sur la dangerosité desdits granulats de pneus utilisés pour les terrains de sport. Disons-le tout de suite, l’Agence ne met pas en évidence de risques pour la santé. Elle précise toutefois que son travail « vise à identifier les besoins de connaissance ».
Pour lever les doutes, la proposition de loi demande la publication d’un rapport au Parlement qui vérifiera la mise en œuvre des préconisations du rapport précité de l’ANSES – je souscris parfaitement à la description kafkaïenne qu’a faite notre collègue Nicole Bonnefoy. Ce texte contient deux aspects : un aspect sportif et un aspect relatif au principe de précaution, qu’il soit sanitaire ou environnemental.
Sur le plan sportif, l’histoire du gazon synthétique ne date pas d’hier, puisqu’elle est née en 1910 : un chercheur anglais avait fait breveter un tapis tissé de fourrures animales principalement utilisé jusqu’alors pour les décors de théâtre.
Dans les années quatre-vingt, l’industrie a commencé à concevoir du gazon synthétique, pour le football en particulier. Les systèmes ont été conçus avec du poil court et un remplissage de sable. C’était pour le moins brutal et traumatique – Christophe Priou a évoqué le sujet. Rassurez-vous, je ne vous imposerai pas la vision des stigmates que porte sur les ischio-jambiers un pratiquant émérite de cette époque que les moins de quarante ans ne peuvent pas connaître…
Dans les années quatre-vingt-dix, afin de pallier ces effets traumatiques divers, les premiers systèmes de gazon synthétique avec remplissage de caoutchouc ont été introduits. Depuis lors, le confort du joueur et la réduction des divers traumatismes sont devenus de plus en plus importants dans la conception du gazon synthétique. L’Union des associations européennes de football et la Fédération internationale de football association, ainsi que de nombreuses fédérations nationales soutiennent résolument son développement. Par exemple, la Fédération française de football classe et aide au financement d’environ 300 terrains synthétiques par an.
Force est de constater que le principe de précaution a tendance à se transformer en risque zéro. Sur le plan sanitaire, il nous revient donc avant tout de faire la part des choses. Différents matériaux existent.
L’évaluation du risque porte principalement sur les terrains synthétiques qui utilisent un matériau de remplissage en granulats élastomères noirs provenant du recyclage de pneus usagés. De nombreuses études ont été réalisées. Aucune ne conclut à un risque, que ce soit par inhalation, contact ou ingestion. Cela n’exonère pas d’appliquer les principes d’hygiène élémentaire, qu’il faut rappeler et respecter sur tout type de terrain : prendre une douche, a minima se nettoyer les mains et le visage, désinfecter les plaies, se changer complètement après l’entraînement et laver l’équipement utilisé.
La dernière étude a été réalisée par European Chemicals Agency, ou ECHA, saisie par la Commission européenne. Les conclusions parues au mois de février 2017 sont claires : il n’y a pas de preuve scientifique d’une augmentation du risque de cancer lié à l’impact des hydrocarbures aromatiques polycycliques, ou HAP, généralement mesurés dans les terrains de sport européens.
Le règlement des terrains de la Fédération française de football conseille, en cas de doute et par principe de précaution, ou bien encore dans le cadre d’un suivi sanitaire, de pratiquer des tests. La Fédération continue, en temps qu’utilisatrice de ces surfaces via ses clubs affiliés, de s’assurer du respect des normes de construction des terrains en gazon synthétique en vigueur et de s’informer des travaux d’investigations en cours, notamment à l’échelon européen.
J’en viens au risque environnemental. Nul ne doute qu’une escouade d’experts dûment accrédités et payés grassement par le contribuable trouvera une de ces fameuses billes dans l’océan. Il nous restera alors évidemment à nous lamenter et à interdire les terrains synthétiques, les pneus, les voitures et – pourquoi pas ? – la vie sur terre, pendant qu’on y est !
Mes collègues se sont déjà exprimés en commission sur la remise d’un rapport. Je ne peux que constater que nous assistons à une inflation du nombre de rapports promis, lesquels finissent invariablement en classement vertical.
Madame la secrétaire d’État, je suis certain que vous aurez à cœur de vous attaquer avec pragmatisme à une telle situation. Mais, de grâce, ne pénalisons pas le développement de la pratique sportive en général et du football en particulier, qui plus est dans le pays des champions du monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste.)