M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous avez parfaitement le droit de le penser !
Je ne pense pas que l’introduction de 10 %, 15 %, 20 % ou 25 % de proportionnelle soit de nature à remettre en cause les institutions ; en témoigne la proportionnelle intégrale en 1986, qui n’avait d’ailleurs pas empêché le Sénat de fonctionner.
Autrement dit, je me réjouis que nous ayons bientôt cette discussion sur la révision constitutionnelle – le Gouvernement y est bien sûr prêt –, car elle sera utile et intéressante. Comme vous, je crois que tenir les engagements de campagne qui ont été pris a une valeur. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur quelques travées du groupe Union Centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Max Brisson, pour la réplique, en trente-trois secondes.
M. Max Brisson. Monsieur le Premier ministre, lorsque les exemples venus de l’étranger sont bons, il faut les suivre. Lorsqu’ils ne le sont pas, il faut les fuir. Sachons aussi tirer les leçons de l’Histoire.
La Ve République a assuré la stabilité politique en France. C’est l’un des legs les plus précieux du général de Gaulle. Revenir au scrutin proportionnel, c’est le retour au vieux monde, celui de l’instabilité politique, celui des tractations entre appareils politiciens comme « au bon vieux temps » du régime des partis. Le scrutin majoritaire est indissociable de la logique de nos institutions. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Nadia Sollogoub ainsi que MM. Jean-Claude Luche et Olivier Cigolotti applaudissent également.)
psychiatrie en france
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour le groupe Les Républicains.
Mme Florence Lassarade. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre et porte sur la situation de la psychiatrie.
Lors de sa visite du Centre hospitalier universitaire de Saint-Étienne, du 8 au 15 janvier 2018, la Contrôleur général des lieux de privation de liberté a constaté des atteintes graves aux droits fondamentaux des personnes hospitalisées dans cet établissement. Elle a observé des conditions d’accueil indignes au sein du service des urgences générales, des pratiques abusives d’isolement et de contention dans les unités d’hospitalisation complète, ainsi qu’un défaut d’information des patients sur leurs droits.
La Contrôleur déplore que « les conditions de vie de certaines personnes hospitalisées constituent un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ».
Cette situation s’explique par le manque de places d’hospitalisation dans les services de psychiatrie. Elle n’est pas exceptionnelle, mais plutôt symptomatique des difficultés qui touchent la psychiatrie en France. Elle est la conséquence de plusieurs paramètres bien identifiés : la baisse des moyens alloués aux services de psychiatrie et le problème de la formation.
En trente ans, le nombre de lits dans ces services a été divisé par deux. Mille postes de psychiatres restent vacants, et la spécialité d’infirmier psychiatrique a disparu depuis les années quatre-vingt-dix.
Conformément à la loi, Mme la ministre des solidarités et de la santé a été destinataire de ces recommandations. Un délai de trois semaines a été donné pour y répondre. Or, à l’issue de ce délai, aucune réponse de l’autorité compétente n’est parvenue.
Monsieur le Premier ministre, quelles mesures allez-vous mettre en œuvre pour pallier ces dysfonctionnements et améliorer les conditions des services de psychiatrie ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État chargé des relations avec le Parlement. (Ah ! sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Christophe Castaner, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice Lassarade, vous soulevez un sujet qui nous concerne tous. Aujourd’hui, selon l’Organisation mondiale de la santé, une personne sur quatre sera touchée de troubles psychiques à un moment de sa vie d’ici à 2020. À regarder notre entourage, ce sujet de santé publique est un sujet majeur.
Pourtant, cette question n’est pas nouvelle : elle remonte au XVIIe siècle, avec l’apparition de la médecine de l’âme. Comme les questions d’aujourd’hui mettent en avant les femmes, permettez-moi de citer Madeleine Pelletier qui, en 1906, a été la première femme psychiatre. Cette féministe militante absolument convaincue disait qu’une femme doit être un individu avant d’être un sexe.
Au-delà de cette référence, je veux dire que Mme Buzyn, qui est retenue à l’Assemblée nationale, a souhaité faire de la question des troubles psychiques l’un des combats majeurs de notre organisation nationale de santé. Elle assurera personnellement la présidence de l’instance nationale, le comité stratégique de psychiatrie et de santé mentale. Elle souhaite, au nom du Gouvernement, apporter une réponse en deux temps, avec douze mesures d’urgence et des mesures de plus long terme.
Pour ce faire, il faut évidemment mobiliser tous les acteurs concernés, la formation, la recherche, notamment pour renforcer le repérage le plus précoce possible des pathologies. C’est ainsi, par la prévention, que l’on évitera de se retrouver dans les situations que vous avez évoquées et que je ne nie pas.
Il faut aller plus loin ; la psychiatrie est inscrite comme l’une des thématiques prioritaires du programme hospitalier de recherche clinique pour 2018. Il est évident que la recherche française doit être accompagnée, afin de continuer à progresser sur ce sujet. En même temps, il faut que nous trouvions des réponses territorialement adaptées pour accompagner et préserver l’autonomie de ceux qui sont à leur domicile.
Cet ensemble de mesures doit nous permettre de mieux prendre en compte cette réalité, une réalité du quotidien pour beaucoup d’entre nous. (MM. Martin Lévrier et André Gattolin applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Florence Lassarade, pour la réplique, en vingt-deux secondes.
Mme Florence Lassarade. Monsieur le secrétaire d’État, le plan de mesures d’urgence en faveur de la psychiatrie doit être accompagné d’une ambition jupitérienne (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) au niveau des moyens matériels et humains. À défaut d’une véritable volonté politique, la situation risque encore de s’aggraver. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Sylvie Goy-Chavent, Nadia Sollogoub et Anne-Catherine Loisier applaudissent également.)
agence pour l’enseignement français à l’étranger
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Ronan Le Gleut. Ma question s’adresse à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Le rayonnement de la France dans le monde passe par nos écoles, nos collèges, nos lycées français à l’étranger. Or votre gouvernement procède à des coupes claires et d’une violence inouïe à l’encontre de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, qui concerne 495 établissements scolaires répartis dans 137 pays et scolarise 342 000 élèves dans le monde.
En effet, en coupant de 33 millions d’euros, c’est-à-dire 10 % du budget de l’Agence, brutalement, sans concertation, sans méthode, vous fragilisez, vous mettez en danger l’avenir de nos écoles françaises à l’étranger, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, vous supprimez 512 postes sur trois ans, dont 180 dès la rentrée. Or il est très compliqué de recruter un enseignant de sciences physiques de terminale S parfaitement francophone à l’autre bout du monde.
Deuxièmement, vous augmentez de 6 % à 9 % les remontées de frais de scolarité vers Paris, ce qui va entraîner des déconventionnements.
Troisièmement, enfin, les frais de scolarité sont déjà extrêmement élevés : ils sont compris entre 5 000 et 10 000 euros par an en moyenne et par enfant. Vous faites courir le risque que ces frais augmentent encore à la rentrée.
Aussi, ma question est simple : votre politique consiste-t-elle à démanteler le réseau des écoles françaises à l’étranger ou bien allez-vous changer de politique et faire ce qu’il conviendrait de faire, c’est-à-dire vous battre pour nos écoles et nos lycées français à l’étranger, qui sont le fer de lance de la francophonie, qui incarnent la voix de la France dans le monde (Mme Sylvie Goy-Chavent applaudit.) et qui, d’une certaine manière, à l’image de ce que disait le général de Gaulle, incarnent « une certaine idée de la France » ? (Vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe Union Centriste. – Mme Nelly Tocqueville applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre chargée des affaires européennes.
Mme Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l’Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Le Gleut, le réseau de l’AEFE est exceptionnel, avec 350 000 élèves scolarisés à travers le monde dans 492 établissements. Il assure deux missions : une mission de service public pour les enfants de nos compatriotes installés à l’étranger et une mission d’influence puisque deux tiers des enfants qui y sont scolarisés sont étrangers.
En termes budgétaires, c’est la première priorité (Protestations sur quelques travées du groupe Les Républicains.) de notre diplomatie d’influence, avec 60 % du programme 185, et cela va le demeurer.
M. François Grosdidier. Vous faites le contraire !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Oui, en 2017, le ministère de l’Europe et des affaires étrangères a fortement contribué aux annulations de crédits rendues nécessaires par l’état de nos finances publiques. Au total, 282 millions d’euros ont été annulés, dont 33 millions d’euros, c’est vrai, ont porté sur l’AEFE. Dans ce contexte, j’entends comme vous les inquiétudes exprimées, mais je voudrais vous rassurer.
Je rappelle d’abord l’engagement du Président de la République, qui a salué devant l’Assemblée des Français de l’étranger (Exclamations sur des travées du groupe Les Républicains.) le travail de l’AEFE et de ses personnels. Il a confirmé que ses crédits seraient préservés en 2018 et en 2019. J’ajoute qu’une dotation exceptionnelle de 14 millions d’euros a été ajoutée pour des questions de sécurité. (M. Ladislas Poniatowski s’exclame.)
J’indique également que le Président de la République a demandé au ministre de l’Europe et des affaires étrangères de lui présenter, en lien avec le ministre de l’éducation nationale, des propositions à l’été pour réformer l’Agence. La situation budgétaire de celle-ci l’exige, afin de pouvoir consolider le modèle des lycées français à l’étranger, auquel nous sommes profondément attachés.
M. François Grosdidier. Les moyens d’abord !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. Cette stabilité budgétaire doit permettre de conforter l’AEFE dans la durée, sur la base d’une stratégie à la hauteur des deux grands défis que rencontre notre réseau : poursuivre sa mission de scolarisation des élèves français, d’une part, et contribuer à notre influence…
Mme la présidente. Il faut conclure, madame la ministre !
Mme Nathalie Loiseau, ministre. … au travers de la promotion de notre modèle éducatif partout dans le monde, d’autre part. (MM. Martin Lévrier et Abdallah Hassani applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Le Gleut, pour la réplique, en onze secondes.
M. Ronan Le Gleut. Madame la ministre, il y a les paroles et il y a les actes : quand on retire 33 millions d’euros à l’Agence, 10 % de son budget, on ne défend pas l’enseignement français à l’étranger. Mettez en conformité vos actes avec vos paroles ! (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur de nombreuses travées du groupe Union Centriste.)
situation à mayotte
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour le groupe La République En Marche.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le Premier ministre, voilà plus de trois semaines que la population de Mayotte, lasse des violences au quotidien, manifeste contre l’insécurité, bloque les routes. Les fonctionnaires et les transporteurs exercent leur droit de retrait. Les services municipaux et départementaux sont fermés, en solidarité.
La journée d’hier a été marquée par une forte mobilisation populaire.
Il ne s’agit pas seulement des caillassages dont sont victimes les lycéens, des agressions sur les routes, dans les villages et les maisons, ni de l’insuffisance de la réponse pénale.
Les violences, c’est aussi l’embolie du système éducatif ; ce sont, dans un contexte de forte pression migratoire, les difficultés considérables d’accès aux soins, le manque de logements décents, la faiblesse des infrastructures, l’absence des services et de l’encadrement qui existent partout ailleurs en France.
La maternité de Mamoudzou est celle qui enregistre le plus de naissances en France. Quel avenir les parents qui ont défilé en si grand nombre hier peuvent-ils offrir à leurs enfants sur un territoire où la moitié de la population a moins de dix-huit ans ?
Des premières mesures ont été annoncées, dont le renforcement des forces de l’ordre, la création d’une brigade de prévention de la délinquance juvénile et un plan de sécurisation des établissements et des transports scolaires.
Mme la ministre des outre-mer a affirmé avec justesse que la seule réponse sécuritaire ne suffisait plus et propose la tenue d’une conférence pour l’avenir de Mayotte, après les résultats des assises. Vous comprendrez bien que la population ne puisse pas attendre jusque-là, car les besoins sont connus et appellent des mesures urgentes, globales et concrètes.
Tiendrez-vous compte des propositions adressées au Président de la République par l’ensemble des forces vives du département, qui appellent unanimement à un plan de développement ambitieux ?
Monsieur le Premier ministre, le groupe La République En Marche et les sénateurs mahorais, en cette journée particulière où, dans mon département, on se souvient de la lutte des chatouilleuses pour le choix de la France, vous le demandent solennellement : que répondez-vous à ceux qui pensent que la République a abandonné Mayotte ? (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Mohamed Soilihi, les Mahorais font entendre leur colère : ils sont inquiets pour leur sécurité, en premier lieu pour celle de leurs enfants, pour la sécurité dans les écoles.
Ils attendent des réponses. La première consiste évidemment à sécuriser les écoles, dès la rentrée de lundi prochain.
Toutes les dispositions ont été prises pour qu’aucun élève, aucun enseignant ni aucun agent travaillant dans les établissements ne soit menacé : trois escadrons de gendarmerie mobile sont en cours de déploiement sur l’île, ainsi que des agents de sécurité et des médiateurs de l’éducation nationale ; des forces supplémentaires arriveront mardi. Avec Gérard Collomb, ministre d’État, ministre de l’intérieur, nous avons prévu une mobilisation totale des forces de l’ordre.
Cela n’est toutefois pas suffisant – vous avez raison. Il faut aller plus loin, car nos compatriotes attendent des réponses à la fois urgentes et rapides en matière de sécurité, mais aussi de lutte contre l’immigration clandestine, de santé, de logement et de transport.
Des réponses rapides et urgentes, monsieur le sénateur, à des problèmes qui ne sont pas récents. Je me suis procuré les chiffres, que j’ignorais, de l’explosion démographique que connaît Mayotte. Probablement trop méconnus, ils soulignent très clairement la difficulté considérable que nous avons à être à la hauteur de ces enjeux.
Ces chiffres, monsieur le sénateur, vous les connaissez bien, mais permettez-moi d’en mentionner quelques-uns pour l’ensemble de la représentation nationale : en 1918, voilà un siècle, Mayotte comptait un peu moins de 15 000 habitants ; en 1958, à l’avènement de la Ve République, l’île en comptait légèrement plus de 67 000 ; en 2002, 160 000, en 2007, 186 000 et en 2012, 212 000 ; en 2017, il y avait 254 000 habitants à Mayotte.
La vérité, monsieur le sénateur, vous la connaissez parfaitement, pour la vivre : l’explosion démographique à Mayotte, sous l’effet à la fois de l’augmentation du solde naturel et de l’immigration clandestine, est absolument considérable et tout à fait sans équivalent. En termes d’équipements publics, elle impose un effort véritablement inouï.
Je ne veux pas dire, monsieur le sénateur, que rien ne pourrait être fait ; simplement, je crois utile de rappeler que le mécontentement qui s’exprime aujourd’hui, et qui doit être entendu, parce qu’il est légitime, ne naît pas d’une situation récente, mais de la construction d’une situation qui donne le sentiment de ne plus être maîtrisable.
Comment nous proposons-nous d’y apporter des réponses ? En travaillant avec les élus sur l’organisation institutionnelle et l’organisation des politiques publiques qui permettent de définir des solutions.
Nous voyons bien la question, que vous avez mentionnée, de la maternité, qui enregistre plus de 10 000 naissances par an, soit deux fois plus que la plus grande maternité parisienne. Comment traiter cette question ? Doit-on s’autoriser à travailler sur un nouveau statut de cette maternité ? Réfléchir aux transformations qu’il faudrait opérer en matière de droit et d’accès à la nationalité à cet endroit ?
M. Christian Cambon. Voilà !
M. Édouard Philippe, Premier ministre. Je mets tout sur la table, monsieur le sénateur, mais je veux dire que les appels au « décasage », non plus que les barrières ou les barrages qui seraient installés sur les routes, n’apporteront rien aux habitants de Mayotte (M. Guillaume Arnell s’exclame.) : ils ne permettront rien !
Notre objectif est de travailler avec les élus, et Mme la ministre des outre-mer se rendra sur place pour installer la conférence que nous voulons lancer avec eux. Il nous faudra formuler des propositions en assumant les difficultés spécifiques auxquelles est confronté ce cent unième département français.
Pour terminer, monsieur le sénateur, je voudrais dire un mot en réponse aux élus, aux maires, que j’ai entendus exprimer leur intention de ne pas participer à l’organisation des élections législatives, dont la date a été fixée. Je ne crois pas une seconde que des maires, des élus de la République, puissent entrer dans un jeu consistant à ne pas participer à l’organisation d’un scrutin national. L’État prendra toutes ses responsabilités, car il n’est pas envisageable que des élections législatives ne se tiennent pas à la date prévue ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur quelques travées du groupe Union Centriste. – M. Robert del Picchia applaudit également.)
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu le mardi 13 mars, à seize heures quarante-cinq ; elles seront retransmises sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat, ainsi que sur Facebook.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
3
Simplification du code de commerce
Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe La République En Marche, de la proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du code de commerce, présentée par M. Thani Mohamed Soilihi (proposition n° 790 [2013–2014], texte de la commission n° 658 [2015–2016], rapport n° 657 [2015–2016]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, auteur de la proposition de loi. (M. Martin Lévrier applaudit. – M. André Reichardt, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale applaudit également.)
M. Thani Mohamed Soilihi, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, lorsque, en 2013, j’ai présenté mon rapport sur le projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, devenu la loi du 2 janvier 2014, j’ai indiqué que de nombreuses suggestions complémentaires de simplification ou de clarification m’avaient été présentées lors de mes auditions.
Compte tenu des délais d’examen de ce texte et de sa composition à base, pour l’essentiel, d’habilitations, j’avais préféré renvoyer l’examen de ces suggestions à un travail complémentaire, susceptible de donner lieu à l’élaboration d’une proposition de loi spécifique. Aussi ai-je déposé, le 4 août 2014, la présente proposition de loi de simplification, de clarification et d’actualisation du code de commerce.
J’ai souhaité passer au crible de l’impératif de simplification, aujourd’hui partagé unanimement, les dispositions du code de commerce laissées de côté, pour formuler dans un texte à l’objet clair et circonscrit des simplifications, des clarifications et des mises à jour concrètes objectivement utiles pour la vie économique.
La finalité de cette proposition de loi est simple, mais ambitieuse : améliorer la compétitivité de l’économie française et réaliser des économies budgétaires.
Il n’était pas question de simplifier pour s’inscrire dans l’air du temps. La complexité de la règle de droit n’est parfois que le reflet de la complexité de la réalité économique. En revanche, lorsque cette complexité n’a pas lieu d’être ou n’a plus de justification dans la réalité, elle n’a pas à être conservée.
Pour autant, la simplification ne doit pas méconnaître l’aspiration des acteurs économiques à la stabilité de la règle de droit. Ces deux exigences ne sont pas contradictoires, mais complémentaires.
À la lumière de ces exigences et à l’aide du regard des praticiens, il est possible de simplifier avec mesure et pragmatisme. C’est ainsi que je conçois toute œuvre de simplification vraiment utile pour nos entreprises.
À cet égard, la succession de trains de simplification depuis de nombreuses années a parfois manqué de lisibilité pour les acteurs et les praticiens du droit des entreprises, contraints de prendre en compte de fréquentes modifications des règles applicables. Comme la complexité du droit, l’instabilité normative a un coût économique, que les pouvoirs publics doivent prendre en compte et chercher à minimiser.
Ainsi, je crois parfois préférable de maintenir une règle complexe ou apparemment lourde, mais comprise et largement acceptée, plutôt que de la changer au profit d’une règle nouvelle certes objectivement plus simple mais qui exigera un effort d’adaptation excessif de la part de tous.
J’avais également à cœur que la simplification de l’environnement juridique des entreprises ne s’opère pas au détriment de la protection des intérêts des tiers, salariés, actionnaires, clients et fournisseurs, à laquelle contribue fortement, entre autres dispositifs, la publicité légale.
Il est indispensable de préserver un équilibre entre simplification du droit, secret des affaires et protection des intérêts des tiers, comme l’a fait, par exemple, l’ordonnance du 30 janvier 2014 allégeant les obligations comptables des microentreprises et petites entreprises.
Il appartient bien au législateur d’arbitrer entre des mesures de simplification réellement utiles et le besoin de stabilité de l’environnement juridique des entreprises et, in fine, de défendre l’intérêt général et de concilier les divers intérêts à l’œuvre dans la vie économique, nécessairement particuliers mais également admissibles, en établissant un cadre juridique simple, stable et compétitif.
Notre droit des entreprises ne doit pas être une cause de délocalisation des activités économiques.
Après vous avoir présenté mon objectif, j’en viens à la méthode retenue pour y parvenir.
J’ai souhaité circonscrire mon travail au droit des sociétés. Dans ce champ restreint clairement identifié, j’ai fait le choix de partir des besoins exprimés par les acteurs de la vie économique – autorités administratives indépendantes, représentants des entreprises, professionnels accompagnant les entreprises, entre autres acteurs – pour déterminer des mesures concrètes et utiles de simplification, de clarification ou d’actualisation.
Supprimer des obligations obsolètes ou n’atteignant pas leur objectif, alléger des contraintes inutilement lourdes, complexes ou disproportionnées, corriger des erreurs ou des incohérences résultant de la sédimentation de textes successifs, clarifier des dispositions ambiguës posant des difficultés d’interprétation, harmoniser des rédactions disparates, renforcer la sécurité juridique, rendre plus efficaces certains mécanismes conformément à leur finalité, faciliter l’accomplissement de certaines procédures ou formalités, parfois en les dématérialisant, éviter les dispositifs trop rigides ou excessifs au profit de la liberté des parties, fluidifier les relations économiques et la vie des affaires sans remettre en cause la protection des divers intérêts en présence : tels sont les axes que j’ai retenus pour élaborer la proposition de loi.
En dépit de ce champ réduit, le présent texte se composait initialement de soixante articles. Après son passage en commission, en 2016, il en comptait toujours cinquante et un.
Depuis lors, de nombreuses mesures ont été reprises dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dite loi Macron, et dans la loi du 10 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin II.
Je tiens d’ailleurs à saluer l’excellent travail de notre rapporteur, André Reichardt, qui a su, à l’époque, enrichir ce texte et qui l’a, aujourd’hui, épuré de toutes les dispositions satisfaites.
Il apparaît que, sur les cinquante et un articles du texte de la commission, quarante-deux demeurent en tout ou partie valables au regard du droit en vigueur ; ils devront être examinés en quatre heures, ce qui, vous en conviendrez, relève presque du défi.
Pour corser encore notre exercice, et parce que je nous sais capables de relever ce défi, j’ai souhaité déposer quatre amendements visant à compléter et à actualiser le travail débuté en 2013.
Le premier vise à ratifier quatre ordonnances prises par le Gouvernement en 2017 dans le domaine du droit des sociétés. Ces ordonnances ont repris plusieurs dispositions de la proposition de loi, dans une rédaction parfois différente, ce qui montre bien, en tout cas, la convergence de vues qui existe en matière de simplification du droit des sociétés.
Le deuxième amendement tend à simplifier le dispositif permettant la dématérialisation des assemblées générales d’actionnaires dans les seules sociétés anonymes non cotées, afin de le rendre enfin applicable.
La proposition de loi comporte un dispositif en ce sens. L’ordonnance du 4 mai 2017 sur la participation des actionnaires a mis en place un dispositif qui s’en inspire : les statuts de la société peuvent prévoir la tenue de l’assemblée générale de façon dématérialisée, et, puisque cette faculté relève des statuts, ce sont les actionnaires qui auront à accepter ou non, dans le cadre d’une modification des statuts, une telle faculté.
Or l’ordonnance ajoute un droit d’opposition à la tenue dématérialisée de l’assemblée générale pour les actionnaires représentant au moins 5 % du capital, dans des conditions précisées par décret en Conseil d’État. À ce jour, le décret n’a toujours pas été pris, alors que l’ordonnance date de mai 2017… Ce dispositif, pourtant attendu par les praticiens du droit des sociétés, n’est donc toujours pas opérationnel.
En réalité, ce décret est sans doute très difficile à élaborer pour concevoir les modalités, en particulier chronologiques, du droit d’opposition. Le plus simple est donc de supprimer ce droit d’opposition, dont l’utilité n’est pas avérée dans les sociétés non cotées, dès lors que les actionnaires ont la faculté de s’opposer à la possibilité de réunions dématérialisées au stade de la modification des statuts en assemblée générale extraordinaire, laquelle requiert des niveaux très élevés de quorum et de majorité.
Mon troisième amendement a pour objet de simplifier les règles de rachat par une société non cotée de ses propres actions, en ménageant plus de souplesse. L’objectif est simple : favoriser l’entrée d’investisseurs extérieurs destinés à accompagner la croissance de l’entreprise, en particulier en facilitant leur sortie du capital, le moment venu, par le rachat des actions qu’ils détiennent. Il n’existe pas, en effet, de réel marché pour les actions des sociétés non cotées.
Lorsqu’une telle opération de rachat est soumise à l’assemblée générale des actionnaires, un rapport du commissaire aux comptes suffit, compte tenu des garanties de déontologie et d’indépendance de ce dernier. Le rapport supplémentaire d’un expert indépendant est redondant et ne donne pas une information supplémentaire utile aux actionnaires.
En outre, il est bon de prévoir que l’opération de rachat, autorisée par les actionnaires pour une durée limitée, peut être utilisée pour les différentes finalités permises par la loi, et pas seulement pour une finalité donnée. Cette souplesse restera encadrée par la loi.
Enfin, les actions de préférence ont été créées en 2004, puis réformées en 2008 et 2014, mais sans rencontrer le succès attendu. Elles restent peu utilisées, alors même que, en principe, elles sont très utiles, en permettant de donner des droits particuliers à un investisseur qui s’engage pour accompagner la croissance d’une entreprise, ou de moduler ses droits.
C’est pourquoi mon quatrième et dernier amendement vise à apporter plusieurs améliorations au régime des actions de préférence, pour rendre celles-ci plus attractives.
Certaines sont plus techniques : par exemple, pour les sociétés par actions simplifiées ou pour la suppression du droit préférentiel de souscription en cas d’augmentation de capital. D’autres ont une plus grande portée, comme la possibilité pour le conseil d’administration de garantir le versement de dividendes à des actionnaires détenteurs d’actions de préférence ou la possibilité de rachat des actions de préférence sur l’initiative de leurs détenteurs à l’issue d’une période donnée, qui n’existe pas aujourd’hui.
Comme pour le rachat des actions dans les sociétés non cotées, il s’agit d’encourager l’investissement dans les sociétés en croissance et le capital-risque. C’est indispensable pour la croissance des entreprises françaises.
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai tenu à conduire cette démarche dans un esprit consensuel, pragmatique et constructif, dans l’intérêt de nos entreprises. C’est la raison pour laquelle j’invite notre assemblée à voter la proposition de loi, pour que ce travail utile pour nos sociétés ne se perde pas dans les méandres de la procédure parlementaire. (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche. – MM. Jean-Claude Requier, Yves Détraigne et Olivier Cigolotti applaudissent également.)