Sommaire
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
Secrétaires :
M. Christian Cambon, Mme Corinne Bouchoux.
2. Mise au point au sujet de votes
Mme Leila Aïchi ; M. le président.
3. Demande d’avis sur un projet de nomination
4. Organisme extraparlementaire
5. Candidatures à une commission mixte paritaire
6. Conventions internationales. – Adoption définitive en procédure d’examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission
7. Accord avec l'Italie : nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. – Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur de la commission des affaires étrangères
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
8. Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
9. Accession du Monténégro à l’OTAN. – Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
Clôture de la discussion générale.
Adoption définitive de l’article unique du projet de loi dans le texte de la commission.
10. Accord multilatéral sur l'échange des déclarations pays par pays. – Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission
Discussion générale :
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances
Clôture de la discussion générale.
Article additionnel après l'article unique
Amendement n° 1 de M. Éric Bocquet. – Rejet.
Adoption définitive du projet de loi dans le texte de la commission.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
11. Questions d'actualité au Gouvernement
relations entre la france et les états-unis
M. Martial Bourquin ; M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.
substances toxiques dans les produits pour bébés
Mme Élisabeth Doineau ; Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
relations diplomatiques avec les états-unis
M. Jean-Pierre Raffarin ; M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre ; M. Jean-Pierre Raffarin ; M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre.
agence des participations de l'état
M. Yvon Collin ; M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'industrie.
fermeture de la centrale de fessenheim
M. Jean Desessard ; Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
Mme Cécile Cukierman ; Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; Mme Cécile Cukierman.
Mme Éliane Giraud ; Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
financement des groupements de défense sanitaire
M. Jean-Claude Luche ; M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement.
M. Daniel Gremillet ; M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales ; M. Daniel Gremillet.
trains d’équilibre du territoire
M. Jean-Jacques Filleul ; M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche.
retour des djihadistes en france
Mme Sophie Primas ; M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Sophie Primas.
Mme Anne Chain-Larché ; M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement ; Mme Anne Chain-Larché.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
13. Ratification d'ordonnances relatives à la Corse. – Rejet en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale :
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois
M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances
M. Jean-Michel Baylet, ministre
M. Philippe Bas, président de la commission des lois
M. Jean-Michel Baylet, ministre
Clôture de la discussion générale.
M. Jean-Michel Baylet, ministre
Adoption de l’article.
Rejet de l’article.
Rejet, par scrutin public, du projet de loi dans le texte de la commission, modifié.
M. Jean-Michel Baylet, ministre
15. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
M. Christian Cambon,
Mme Corinne Bouchoux.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Mise au point au sujet de votes
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, je souhaite faire une mise au point concernant le scrutin n° 91 sur le projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables, qui s’est déroulé mardi 24 janvier 2017.
En raison d’un problème technique, les dix membres du groupe écologiste n’ont pas pu prendre part à ce scrutin, alors qu’ils souhaitaient voter pour.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, ma chère collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
3
Demande d’avis sur un projet de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010-837 et de la loi n° 2010-838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution et en application de l’article L. 131-10 du code de l’environnement, M. le Premier ministre, par lettre en date du 24 janvier 2017, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente en matière d’environnement sur le projet de nomination de M. Philippe Martin aux fonctions de président du conseil d’administration de l’Agence française pour la biodiversité.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Acte est donné de cette communication.
4
Organisme extraparlementaire
M. le président. M. le Premier ministre a demandé à M. le Président du Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom d’un sénateur appelé à siéger au sein de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques.
La commission de la culture a été invitée à présenter un candidat.
La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.
5
Candidatures à une commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables.
J’informe le Sénat que la commission des affaires économiques a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à cette commission mixte paritaire.
Cette liste a été publiée conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et sera ratifiée si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.
6
Conventions internationales
Adoption définitive en procédure d’examen simplifié de deux projets de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de deux projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces deux projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
projet de loi autorisant la ratification de l'accord de passation conjointe de marché en vue de l'acquisition de contre-mesures médicales
Article unique
Est autorisée la ratification de l'accord de passation conjointe de marché en vue de l'acquisition de contre-mesures médicales (ensemble quatre annexes), signé à Paris le 22 septembre 2015, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord de passation conjointe de marché en vue de l’acquisition de contre-mesures médicales (projet n° 230, texte de la commission n° 326, rapport n° 325).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
projet de loi autorisant la ratification de la convention relative à l'assistance alimentaire
Article unique
Est autorisée la ratification de la convention relative à l'assistance alimentaire, signée à New York le 2 novembre 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant la ratification de la convention relative à l’assistance alimentaire (projet n° 137, texte de la commission n° 328, rapport n° 327).
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées est favorable à l’adoption de ce texte.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
7
Accord avec l'Italie : nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne signé le 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (projet n° 271, texte de la commission n° 330, rapport n° 329).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, avec le projet de loi qui est soumis à votre approbation la liaison ferroviaire Lyon-Turin va franchir une étape décisive vers sa réalisation. Il a en effet pour objet d’autoriser l’approbation de l’accord du 24 février 2015 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
Cet accord intergouvernemental marque la dernière étape de ce grand projet franco-italien et européen, né il y a déjà plus de vingt-cinq ans. Il fait suite à deux précédents accords intergouvernementaux : l’accord intergouvernemental pour la réalisation de la nouvelle ligne ferroviaire permettant la création d’un promoteur public, signé en 2001 ; l’accord intergouvernemental pour définir les modalités de gestion du projet et instituer un nouveau promoteur public chargé de la conception, de la réalisation, puis de l’exploitation de la section transfrontalière, signé en 2012.
Le présent accord, signé le 24 février 2015, vient compléter les deux précédents et comprend trois volets : il permet le lancement des travaux définitifs de la section transfrontalière ; son protocole additionnel valide le coût du projet certifié et en précise les modalités de financement ; le règlement des contrats met en place des dispositions de lutte contre la criminalité organisée, afin de vérifier les règles de passation de marché et les entreprises éligibles.
Les enjeux de la création du tunnel Lyon-Turin sont majeurs.
Sur un plan économique, d’abord, cet accord répond à un objectif de rééquilibrage des flux.
Il y a aujourd’hui un risque que le trafic de marchandises en provenance du Benelux et du Royaume-Uni à destination de l’Italie se déplace progressivement vers la Suisse et l’Autriche, qui se dotent d’infrastructures modernes répondant aux standards ferroviaires de demain : le tunnel du Gothard, le plus long tunnel ferroviaire du monde, inauguré en juin 2016, et celui du Brenner, en construction. Le lancement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la ligne ferroviaire Lyon-Turin va permettre d’asseoir la position de la France au cœur des échanges économiques européens.
Le tunnel transfrontalier renforcera la compétitivité de nos entreprises et bénéficiera à nos relations économiques avec l’Italie, qui est notre deuxième partenaire commercial, mais aussi à nos relations économiques avec le reste de l’Europe.
Il s’agit d’ailleurs non pas seulement de relier Lyon et Turin, ni même Paris et Milan, mais aussi de rapprocher les grandes zones économiques des régions Auvergne-Rhône-Alpes, Piémont et Lombardie, qui représentent 3,2 % du produit intérieur brut de l’Union européenne.
Par ailleurs, les retombées économiques de la création du tunnel seront importantes grâce à une démarche de « grand chantier » qui stimulera l’emploi et la croissance de la région.
L’exploitation, l’entretien et le renouvellement de la nouvelle ligne ferroviaire, le renforcement de l’attractivité des territoires sont autant d’atouts pour la création d’emplois.
La liaison Lyon-Turin est aussi la réalisation d’une grande infrastructure européenne, pleinement inscrite dans le corridor transeuropéen méditerranéen reliant la péninsule ibérique à la Slovénie et la Hongrie, qui fera de la France un centre de gravité de l’Europe, à un moment où le trafic entre l’Espagne et l’Italie augmente.
C’est un enjeu majeur, également, sur le plan de l’environnement.
Chaque année, ce sont en effet plus de 2,7 millions de poids lourds qui traversent nos vallées alpines et notre littoral. Ces véhicules empruntent des routes où le trafic de transit pose de graves problèmes, qu’il s’agisse de zones urbanisées et congestionnées – je pense notamment à l’autoroute A8 autour de Nice –, ou encore de zones très sensibles du point de vue environnemental.
Les vallées de l’Arve et de la Maurienne sont particulièrement affectées par la pollution, comme nous l’avons vu ces dernières semaines encore. Nous devons donc absolument favoriser le passage du transport de marchandises de la route vers le rail en facilitant le report modal.
Le transport routier est dominant, mais cela ne peut pas durer. La majorité du trafic de marchandises qui emprunte les tunnels routiers des Alpes franco-italiennes parcourt des trajets de plus de 500 kilomètres et entre ainsi pleinement dans le domaine de pertinence du mode ferroviaire. Nous croyons à l’avenir du transport ferroviaire, en particulier pour le fret.
Lors de la signature de la convention alpine en 1991, mais aussi plus récemment lors de la COP21, nous nous sommes engagés à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à lutter contre le réchauffement climatique. Le tunnel Lyon-Turin est un élément important pour le respect de ces engagements, car il permettra au ferroviaire d’assurer plus de 40 % des échanges de marchandises dans la zone, à l’horizon 2035, contre 8,8 % en 2015, soit un report estimé à 700 000 poids lourds vers le rail.
En ce qui concerne le transport de personnes, la création du tunnel Lyon-Turin améliorera la compétitivité du train par rapport à l’avion en termes de facilité d’accès et de rapidité.
Le report modal permet également de renforcer la sécurité des transports dans cette zone transalpine.
Nous avons en mémoire les incendies mortels qui ont eu lieu dans les tunnels routiers des Alpes franco-italiennes en 1999 et 2005, et l’éboulement rocheux sur l’autoroute A8 en 2006.
Les infrastructures ferroviaires existantes, notamment celle du Montcenis, qui date de 1871, ne peuvent pas offrir des services performants répondant aux besoins actuels du trafic. Une modernisation de ces infrastructures est donc indispensable au regard des flux de marchandises et d’usagers dans ce secteur.
Qu’en est-il de la question du coût et du financement de ce projet ?
Le protocole additionnel de l’accord soumis à votre approbation valide le coût certifié global du projet à 8,3 milliards d’euros en valeur 2012.
Signe de son importance pour l’Europe, le projet bénéficie d’une subvention de 813,8 millions d’euros de l’Union européenne, au titre du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, pour la période 2014-2019.
Cette enveloppe, octroyée pour la section transfrontalière, correspond aux taux maximaux possibles de cofinancement par l’Union européenne. Il reste ainsi pour la section transfrontalière 35 % à la charge de l’Italie et 25 % à la charge de la France. Avec le maintien par l’Union européenne de sa participation à hauteur de 40 % au-delà de 2019, la contribution de la France s’élèvera à 2,21 milliards d’euros valeur 2012, soit 2,48 milliards d’euros courants.
Ce financement ne pèsera pas exclusivement sur le budget de l’État ; on aura également recours aux crédits du Fonds de développement d’une politique intermodale des transports dans le massif alpin, le FDPITMA.
La part française des premiers travaux à la réalisation du tunnel de base sera financée en 2017 via l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF.
C’est tout à fait essentiel, et nous ne pouvions pas laisser passer ces financements européens.
M. Michel Bouvard. Très bien !
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Nous nous sommes battus pour que le Mécanisme pour l’interconnexion en Europe soit renforcé et doté de montants très importants dans la programmation européenne 2014-2020 et pour que le tunnel Lyon-Turin soit reconnu comme une infrastructure européenne prioritaire. Il était, dès lors, de notre responsabilité de faire en sorte que la France réponde à temps à tous les appels à projets ; c’est ce que nous avons fait.
Cette mobilisation a été rendue possible par l’accord passé entre la France et l’Italie. Grâce à ce financement européen, la France, qui prend en charge, je le répète, 25 % du financement de cette infrastructure, permettra à ce projet de voir le jour.
Dernier point essentiel de cet accord : l’instauration d’un règlement des contrats qui décline les dispositions de lutte contre les infiltrations mafieuses, prévues dans le droit italien et compatibles avec le droit de l’Union européenne.
Ce règlement des contrats, d’une extrême rigueur, instaure une structure binationale inédite chargée d’écarter toute entreprise qui présenterait des liens avec la criminalité organisée. Son application sera contrôlée par un préfet français désigné par le Gouvernement, qui validera les refus d’inscription d’entreprises françaises sur la liste blanche.
Une inscription sur cette liste blanche sera nécessaire pour toute entreprise souhaitant travailler sur le chantier de la partie centrale de la ligne.
Cette inscription se fera selon des critères prenant en compte certaines condamnations pénales précisées dans le règlement, les infractions prévues dans le droit pénal français ou italien, mais également toute situation conduisant à suspecter que l’entreprise est contrôlée ou influencée par une organisation criminelle de type mafieux.
En Italie, le Sénat et la Chambre des députés ont déjà donné leur aval à la ligne Lyon-Turin, respectivement le 16 novembre et le 20 décembre 2016. Le Président de la République italienne, M. Sergio Mattarella, a promulgué la loi le 12 janvier 2017, finalisant ainsi la procédure de ratification en Italie. La France doit désormais faire de même.
Le projet de ligne ferroviaire Lyon-Turin est en effet un projet d’avenir innovant qui renforcera l’attractivité de nos territoires et stimulera l’emploi. Il contribuera aussi à répondre à nos engagements en faveur du développement durable.
Il est structurant non seulement pour l’économie de la région transalpine, mais aussi pour celles de la France, de l’Italie et, finalement, de l’Europe. Il constitue une nouvelle étape dans la lutte contre le changement climatique. Il s’inscrit dans une dynamique de coopération et de cohésion nécessaire pour relancer le projet européen. Enfin, il est un acte de foi dans la coopération franco-italienne, dans le rapprochement entre nos pays et nos économies, et dans le projet européen lui-même.
Nous avons obtenu, je le redis, une prise en charge majeure par l’Union européenne, dans le cadre du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, ce qui était essentiel à la réussite de ce projet. Nous ne pouvions pas laisser passer cette opportunité. C’est pourquoi le Gouvernement a tout mis en œuvre pour que nous répondions dans les délais à chacun des appels à projets et que nous soyons en mesure, avec nos partenaires italiens, de bénéficier pleinement des soutiens européens.
La ratification de cet accord est donc nécessaire pour qu’aboutisse ce grand projet de nature à renforcer la cohésion entre les territoires européens.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales observations qu’appelle l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne signé le 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin, qui fait l’objet du projet de loi proposé à votre approbation après l’avoir été à celle de l’Assemblée nationale le 22 décembre dernier. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi, au préalable, de saluer notre collègue Jean-Louis Carrère, qui m’a confié ce dossier voilà quelques années.
Nous sommes appelés à autoriser la ratification de l’accord pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin. Ce projet phare de la coopération franco-italienne a déjà fait l’objet de trois accords, tous ratifiés par la France.
Cet accord, prévu à l’article 4 de l’accord de 2001, va permettre de substituer à la ligne de montagne historique de la Maurienne et au tunnel ferroviaire du Fréjus, situé à plus de 1 300 mètres d’altitude, une ligne de plaine, plus compétitive et répondant aux standards internationaux.
La construction du tunnel de base de 57,5 kilomètres de long, dont 45 kilomètres en France et 12,5 en Italie, entre Saint-Jean-de-Maurienne et Suse-Bussoleno, sera réalisée par le promoteur public, la société TELT – Tunnel Euralpin Lyon-Turin –, entre 2017 et 2029. Depuis 2001, trois galeries de reconnaissance ont été réalisées côté France et deux autres sont en cours de réalisation, en France et en Italie. Cela signifie que 10 % des travaux ont été effectués.
Le protocole additionnel de mars 2016, qui fait partie intégrante de l’accord, fixe le coût certifié de la section transfrontalière à un peu plus de 8 milliards d’euros. La Commission européenne a attribué à ce chantier une subvention d’environ 810 millions d’euros, pour la période 2014-2019 – nous espérons que l’Europe perdurera au-delà de 2019 ! –, au titre du Mécanisme pour l’interconnexion en Europe, soit une prise en charge des travaux à hauteur de 40 %, le taux maximal.
La participation financière de la France s’élève à un peu plus de 2 milliards d’euros, soit 25 % du coût total du projet. Il importe de garantir la pérennité du financement par la France de 200 millions d’euros chaque année, sur douze ans. Je souhaite mettre en perspective cette somme avec les 15 milliards d’euros attribués annuellement au transport.
Par ailleurs, 290 millions d’euros d’autorisations d’engagement sont inscrits au budget pour 2017 de l’AFITF. Mais où en est-on de la mise en œuvre des recommandations formulées par la mission parlementaire de MM. Michel Destot et Michel Bouvard – vous avez partiellement répondu sur ce point, monsieur le secrétaire d’État –…
M. Michel Bouvard. Bonne question !
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. … et de l’instauration d’un surpéage pour la circulation des poids lourds sur certains tronçons autoroutiers, au titre de la directive Eurovignette de 1999, sachant que ce financement français n’est pas sécurisé sur le long terme ?
L’accord contient également un règlement destiné à lutter contre les infiltrations mafieuses dans les contrats conclus par le promoteur public TELT, qui reprend la législation italienne en la matière.
Je rappelle que, si le droit italien permet d’inscrire une entreprise sur une liste blanche ou noire, le droit français ne le permet qu’à la condition que la société concernée ait déjà été condamnée. Il y a là une difficulté juridique, que l’État a résolue avec le droit européen ; j’espère que cela ne donnera pas lieu à des questions prioritaires de constitutionnalité, mais le travail a bien été fait.
C’est la première fois qu’un tel dispositif antimafia s’appliquera sur le plan transnational à un grand chantier européen de travaux publics. Sans entrer dans le détail, une structure binationale, composée du préfet de Turin et du préfet désigné par la France – celui de la région Auvergne-Rhône-Alpes, m’a-t-on dit –, sera chargée de vérifier les motifs d’exclusion des contrats passés par TELT.
Le préfet français effectuera ces contrôles sur les entreprises françaises sans disposer de moyens propres dédiés. Dans ces conditions, monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais savoir comment il pourra véritablement remplir la mission qui lui sera confiée.
J’ai d’ailleurs adressé un courrier au ministère de l’intérieur à ce sujet. Par exemple, TRACFIN ne peut pas informer le préfet de délits potentiels ; il lui faudra passer par les structures lourdes du ministère de l’intérieur.
Tant qu’il ne connaîtra pas le contenu exact de sa mission, le préfet sera placé dans une situation difficile. Il est donc nécessaire que le Gouvernement nous réponde sur ce point.
Enfin, récapitulons les enjeux de cette section ferroviaire transfrontalière, qui sont bien connus de tous.
Tout d’abord, je veux évoquer le report modal du fret et des voyageurs de la route vers le rail et la sécurisation des transports. Actuellement, les flux routiers représentent 90 % des échanges de fret entre la France et l’Italie, et 2,5 millions de poids lourds traversent chaque année le massif alpin. La part modale du fer n’a cessé de diminuer.
Je rappelle que, globalement, le fret ferroviaire est passé de 55 milliards de tonnes-kilomètre au début des années 2000 à un peu moins de 30 milliards aujourd’hui. C’est dire qu’il est indispensable que la France, dont c’est le point faible, adopte une véritable politique globale en faveur du fret ferroviaire ! Si l’on veut que les trains de la liaison Lyon-Turin, qui engage de lourds moyens, soient remplis de camions, il faut que le Gouvernement, comme ceux qui lui succéderont, s’implique vraiment dans une politique de report modal des transports. Si cette politique n’est pas menée, le tunnel sera vide ! Si elle l’est, on pourra alors espérer le report d’environ un million de poids lourds de la route vers le rail, ainsi que, compte tenu de la réduction des temps de trajet, d’un million de voyageurs en provenance de l’aérien.
Citons ensuite la protection de l’environnement et des Alpes. Notre collègue Loïc Hervé, lors d’une séance de questions d’actualité en décembre dernier, avait évoqué l’importante pollution des zones concernées. La France s’est engagée en signant la convention alpine de 1991. Le train, quatre à cinq fois moins polluant qu’un transport routier, permettra la réduction des émissions de polluants, alors que la fréquence et la durée des pics de pollution sont en augmentation dans les Alpes.
Enfin, la section transfrontalière est un élément clé du corridor transeuropéen méditerranéen, qui assurera la liaison ferroviaire entre la péninsule ibérique, l’arc méditerranéen, le nord de l’Italie, la Slovénie et la Hongrie. On réfléchit même à une sorte d’Eurotunnel sous le détroit de Gibraltar pour aller vers l’Afrique.
M. le secrétaire d’État l’a dit, le futur tunnel entre la France et l’Italie sera le seul tunnel ferroviaire orienté est-ouest. Il devrait permettre à terme un rééquilibrage géostratégique des flux économiques, en favorisant les échanges entre la France et l’Italie – notre deuxième partenaire en termes d’échanges commerciaux –, et notamment entre le Grand Paris et le Grand Milan.
Les aménagements suisses avec les tunnels ferroviaires du Lötschberg et du Saint-Gothard ainsi que le tunnel autrichien du Brenner ont déjà fait basculer hors de France le trafic provenant du Benelux et du Royaume-Uni et à destination de l’Italie. Il nous faut, à tout prix, éviter une « marginalisation » de la France, notamment à l’ouest, c’est-à-dire l’axe atlantique, ce qui risquerait d’arriver si la liaison Lyon-Turin n’était pas réalisée. Je ne reprendrai pas le terme de « finistérisation », pour ne pas gêner mes amis bretons, mais il est parlant…
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous invite donc à adopter le projet de loi qui nous est soumis.
Pour conclure, je veux insister sur la nécessité de construire les aménagements nécessaires autour de la liaison Lyon-Turin – je pense notamment aux voies d’accès. Je lance cet appel au Gouvernement et à la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui devront faire des efforts en ce sens. J’espère, pour nos enfants et pour l’Europe, que ce projet verra le jour. Je vous remercie de votre soutien et de votre vote ! (Applaudissements sur les travées du groupe de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour le groupe CRC.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, près de trois millions de poids lourds passent par la frontière franco-italienne chaque année, soit 7 500 poids lourds par jour.
En augmentation constante depuis quarante ans, le trafic se concentre sur trois axes majeurs, conduisant à une saturation des vallées alpines et de Vintimille, et parfois à des accidents majeurs. Nous gardons tous en mémoire l’incendie dans le tunnel du Mont-Blanc en 1999 ou celui du tunnel de Fréjus en 2005. Rappelons également que la Savoie est aujourd’hui le département le plus pollué de France.
Face à ces défis, il est impératif de permettre le report modal de la route vers le rail. Depuis 1970, la part modale est passée en France de 78 % à moins de 10 % pour le train et, à l’inverse, de 22 % à 90 % pour la route.
La ligne ferroviaire historique passant par le Montcenis et le goulet d’étranglement de Saint-Jean-de-Maurienne est totalement saturée. Elle a atteint ses limites à la fin des années quatre-vingt-dix avec un tonnage de fret de plus de dix millions de tonnes par an. Les mesures mises en œuvre pour tenter de la désengorger, comme l’ouverture du faisceau de Saint-Avre, se sont révélées largement insuffisantes.
De la même manière, à défaut des deux tunnels sous les massifs de Chartreuse et de Belledonne, il est à craindre que des millions de tonnes de fret se déversent sur Chambéry, Aix-les-Bains ou le long du lac du Bourget, perturbant encore un peu plus un secteur ferroviaire dégradé pour les usagers.
L’Union européenne ne s’y était pas trompée en 1994, quand elle a établi une liste de quatorze projets prioritaires en vue du grand réseau ferroviaire transeuropéen. L’idée d’une ligne Lyon-Turin s’est rapidement imposée dans cette liste.
Le tronçon alpin transfrontalier participera à la mise en place du corridor souhaité par l’Union européenne entre l’Espagne et l’Europe orientale. Ce projet s’inscrit donc dans une dynamique européenne favorisant à la fois le développement des transports et la protection environnementale des Alpes. La ligne Lyon-Turin doit ainsi constituer un investissement socialement et écologiquement utile répondant à plusieurs enjeux.
Pour les voyageurs, ce projet entraînera une réduction significative du temps de trajet Lyon-Turin. Le report modal avec une ligne principalement dédiée au fret qui devrait représenter 85 % du trafic permettra également de soulager les axes routiers surchargés.
En matière d’emplois, on estime à 3 000 le nombre de créations directes de postes dans la vallée de la Maurienne, et à 300 les emplois pérennes liés à l’exploitation du tunnel.
Enfin, ce projet sera déterminant dans la lutte contre les pollutions et les nuisances locales. En outre, il ouvrira des possibilités nouvelles pour des cadencements et des TER « grande vitesse » directs entre Lyon et Grenoble, Chambéry et Annecy, ainsi qu’une amélioration des dessertes locales grâce à la libération de la ligne historique.
M. Michel Bouvard. Très bien !
M. Bernard Vera. Le soutien du groupe CRC à ce projet s’appuie donc sur une volonté de faire prévaloir des politiques de transport alternatives au tout-routier – je pense en particulier au fret ferroviaire –, de promouvoir des transports rapides et moins polluants et de répondre aux besoins de mobilité des populations locales et des voyageurs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Noël Guérini. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au-delà de leur participation active dans la construction européenne, la France et l’Italie ont su préserver des relations bilatérales fortes.
La liaison ferroviaire Lyon-Turin, comme bien d’autres projets de grande ampleur, constitue la vitrine d’une Europe unie capable d’améliorer le quotidien de nos concitoyens.
Après une genèse quelque peu laborieuse, l’accord du 24 février 2015, son protocole additionnel du 8 mars 2016 et le règlement des contrats annexé soumis à l’approbation du Parlement confirment l’engagement définitif des travaux de la section transfrontalière de la ligne ferroviaire. Ils définissent les conditions de leur réalisation.
La certification du coût prévisionnel du projet par un tiers extérieur était une condition sine qua non de la signature par la France de cet accord. C’est chose faite ; selon les hypothèses retenues, il représentera 8,3 milliards d’euros en valeur 2012 ou 9,6 milliards d’euros courants, la France intervenant à hauteur de 25 %, soit un peu plus de 200 millions d’euros par an entre 2017 et 2029.
Depuis l’accord de Rome signé le 30 janvier 2012, la participation financière de l’Union européenne à hauteur de 40 % a été confirmée, comme nous l’espérions, puisque la nouvelle ligne ferroviaire constitue une partie intégrante du corridor méditerranéen du réseau transeuropéen.
Mes chers collègues, les enjeux sont de taille, et je rappellerai brièvement l’utilité sociale, économique et écologique de ce projet pour nos deux pays.
Premièrement, il présente des avantages en matière d’aménagement du territoire en garantissant une desserte plus efficace des territoires de l’arc alpin, que ce soit pour le transport des personnes ou des marchandises. C’est l’occasion tant attendue de relancer la politique ferroviaire du fret, en régression dans notre pays malgré les besoins réels de nos entreprises.
Deuxièmement, la nouvelle liaison ferroviaire facilitera les échanges commerciaux et devrait être bénéfique pour l’économie locale. En effet, l’axe routier est saturé et la ligne historique pose de graves problèmes de sécurité et de fiabilité en raison de son obsolescence et des particularités géographiques que l’on connaît.
Troisièmement, et ce n’est pas pour autant le point le moins important, on peut citer le report sur le mode ferroviaire d’une partie des 3 millions de poids lourds traversant tous les ans le massif alpin. Le projet participera, dès lors, à la mise en œuvre de la convention alpine signée en 1991 et aux objectifs ambitieux de la France et de l’Union européenne en termes de réduction de gaz à effet de serre : il permettra aux habitants des zones concernées de respirer un air de meilleure qualité.
Comme vous l’aurez compris, le groupe du RDSE soutient la réalisation de la ligne Lyon-Turin et votera à l’unanimité en faveur du présent projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain ainsi que du groupe Les Républicains.)
M. Michel Bouvard. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.
M. Michel Bouvard. On va en entendre de belles ! Il n’y a que les écologistes et le Front national qui soient contre…
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes bien évidemment en faveur d’un renforcement et d’une rénovation du maillage ferroviaire sur l’ensemble du territoire, et ce dans l’optique de favoriser le report modal et de dynamiser le développement partout en France.
Toutefois, c’est bien l’aberration économique et financière que représente la construction d’une nouvelle ligne ferroviaire entre Lyon et Turin qui nous interroge.
M. Michel Bouvard. C’est parti…
Mme Leila Aïchi. Si le désengorgement des axes routiers était bien l’objectif environnemental de ce projet en 1991, les prévisions qui ont présidé à son lancement se sont révélées être très largement surévaluées.
Alors qu’il était initialement prévu 19 millions de passagers après la mise en service de cette ligne, Réseau ferré de France n’en prévoyait plus que 4,05 millions en 2012. La trajectoire est la même pour le fret dans les Alpes du Nord : alors qu’il était prévu une explosion des échanges, le transport de marchandises, du fait de la désindustrialisation, est passé de 35 millions de tonnes entre 1994 et 1998 à 22 millions de tonnes aujourd’hui.
Au regard de la nouvelle donne du trafic, si ce projet avait un sens au début des années quatre-vingt-dix, c’est bien son utilité aujourd’hui, en 2017 et dans les années à venir, que nous contestons, d’autant que l’on sait que la voie ferroviaire existante est utilisée à moins de 20 % de sa capacité. Alors que de nombreuses lignes sont encore en voie unique, le doublement des voies et leur sécurisation pourraient permettre d’absorber une grande partie du trafic routier dans la région au travers d’une hausse de la fréquence.
Il existe donc des solutions alternatives valables pour lutter contre la pollution et les conséquences du trafic routier sur l’environnement, et ce à moindre coût. C’est en effet justement l’explosion des coûts du projet qui nous interpelle, nous, mais pas seulement.
En 2012, la Direction du trésor a évalué le projet global à 26,1 milliards d’euros, contre 2,1 milliards d’euros initialement prévus. Pour la seule section transfrontalière, le coût est quant à lui estimé à 8,3 milliards d’euros, contre 4,5 milliards d’euros initialement.
Selon la Cour des comptes, le financement du projet n’était toujours pas précisé en 2016, condition pourtant exigée par l’accord franco-italien du 30 janvier 2012 pour le lancement des travaux.
Pis encore, dès 1998, le Conseil général des ponts et chaussées mettait en garde contre la faible rentabilité socio-économique de ce projet et l’absence de financement.
Devant des prévisions erronées et un coût qui explose, il apparaît nécessaire, conformément à l’avis du groupe de travail sur le financement des infrastructures de transport de la commission des finances, que le Commissariat général à l’investissement mène une contre-expertise indépendante de l’évaluation socio-économique pour des projets supérieurs à 100 millions d’euros et donc pour la liaison Lyon-Turin.
Dans un contexte de raréfaction de l’argent public, l’État français, les collectivités territoriales et le contribuable sont-ils en mesure de supporter une telle charge ? N’est-ce pas l’ensemble du réseau ferré français qui nécessite aujourd’hui un investissement massif ? Le président de la SNCF a lui-même reconnu que le projet Lyon-Turin serait « autant d’argent en moins pour moderniser le réseau ferroviaire existant ».
Il ne s’agit pas de s’opposer systématiquement aux grands travaux, mais de poser la question des choix que nous opérons en matière d’aménagement du territoire. Quels arbitrages ? Pour quelles priorités ? Et pour quelle utilité ?
Le groupe écologiste dans sa quasi-majorité votera contre cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Michel Bouvard. Les verts ont rejoint le FN ! Écolos et FN, même combat !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Giraud, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Éliane Giraud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, après les ratifications à des majorités massives des accords précédents conclus avec l’Italie sur le même projet, le 29 janvier 2001 et le 30 janvier 2012, et le débat que nous avons eu au sein de la commission des affaires étrangères du Sénat, l’issue positive du débat ne fait aucun doute, mais notre discussion est une occasion à saisir pour ne négliger aucune clarification.
Je voudrais revenir sur un certain nombre de sujets qui viennent d’être évoqués.
Pour certains, la liaison Lyon Turin est un projet inutile. À l’heure où une bonne partie de la France tousse, où la pollution nous rend malades – permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour les vallées alpines –, je veux rappeler toute l’importance de la modernisation de cette traversée des Alpes, ainsi que l’intérêt écologique et environnemental du projet. (M. Michel Bouvard applaudit.)
Certains soutiennent que ce projet serait inutile pour le fret. Cette affirmation est sous-tendue par la thèse selon laquelle l’infrastructure existante du XIXe siècle aurait la capacité d’acheminer les tonnages en cause. Cette thèse s’appuie sur une comparaison des tonnages de transport atteints par la Suisse sur ces lignes à la même époque.
Les détracteurs du projet se gardent cependant bien de préciser que, pour réduire l’usage de leurs routes par les poids lourds, les Suisses ont largement subventionné l’exploitation fret de leurs lignes ferroviaires historiques, attirant ainsi vers leur pays, même si tel n’était pas leur projet, un trafic qui avait historiquement emprunté l’itinéraire alpin franco-italien.
Par ailleurs, ils passent délibérément sous silence un fait : les Suisses ont réalisé des tunnels de base du Lötschberg et du Saint-Gothard sans aide européenne et sans partage de la dépense avec un des États frontaliers, afin de pouvoir, après la mise en service de ce dernier tunnel, intervenue ces dernières semaines, réduire progressivement leurs subventions et faire des économies sur l’exploitation de leurs lignes historiques devenues, de longue date, non compétitives.
Enfin, on ne fera pas l’injure aux détracteurs du projet de croire qu’ils n’ont pas compris que la Suisse se dispenserait de la lourde dépense correspondant à la construction de tunnels de base, à leur charge exclusive, si elle ne considérait pas qu’il était temps pour elle de supprimer les pentes d’accès et de réduire l’altitude des tunnels de ses lignes historiques.
M. Michel Bouvard. Très bien !
Mme Éliane Giraud. En tout état de cause, une offre de transport ferroviaire pour le fret présente, en plus de ses conséquences écologiques particulièrement bénéfiques, le triple intérêt de réduire les consommations d’énergie, d’alléger les coûts de franchissement d’un massif comme les Alpes et d’assurer des gains de temps significatifs. Tous ces éléments constituent de fortes incitations au report de la route au rail du transport des marchandises, qui constitue un avantage environnemental capital.
En définitive, le tunnel du Saint-Gothard, que l’on compare souvent au projet franco-italien pour la similitude de leurs grandes caractéristiques, étant désormais réalisé, il est d’autant plus indispensable et urgent de mener à bien le projet ferroviaire Lyon-Turin si l’on veut permettre à la France et à l’Italie : de rester compétitives avec leur unique liaison de franchissement est-ouest des Alpes ; de respecter à leur tour les engagements de report modal auxquels elles ont souscrit en signant la convention alpine ; de lutter contre les pollutions liées au trafic de poids lourds dans les vallées alpines – le bilan carbone du projet apporte de précieuses indications sur la réduction des émissions nocives tant pour les humains que pour l’environnement – ; enfin, de se doter d’une infrastructure ferroviaire performante après que la fragilité des longs tunnels routiers alpins a été démontrée par le nombre des accidents.
Les motivations essentiellement franco-italiennes ne sont pas les seules justifications de la réalisation de la liaison Lyon-Turin. En effet, maillon clé du corridor méditerranéen du réseau central européen arrêté en 2011 et 2013 à Bruxelles, cette liaison est pour l’Union européenne la condition du rééquilibrage du continent entre l’Europe anglo-saxonne et l’Europe latine, et plus largement l’Europe du Sud, de la péninsule ibérique au centre de l’Europe.
Pour mémoire, il faut rappeler que les échanges économiques concernés par les traversées du massif alpin s’élèvent annuellement à 105 milliards d’euros pour les traversées nord-sud et à 70 milliards d’euros pour les traversées est-ouest.
Je rappelle également que le choix d’un projet mixte avec une priorité au report modal améliorera nettement le trafic de voyageurs entre Paris et Milan.
Le projet Lyon-Turin a-t-il porté préjudice à d’autres projets ? Non, comme nous pouvons le constater et comme M. le secrétaire d’État l’a expliqué.
Je remercie ce gouvernement et les gouvernements qui se sont succédé depuis 2001 d’avoir fait en sorte que le projet soit très largement financé par l’Europe, dont la participation se situe à hauteur de 40 %. Le montage financier est donc tout à fait réalisable, et notre pays peut tout à fait supporter la part qui lui revient. Le coût de la liaison Lyon-Turin est estimé à environ 200 millions d’euros par an, sur une dizaine d’années, alors que les investissements ferroviaires représentent de 15 milliards à 20 milliards d’euros chaque année depuis l’an 2000.
Ce projet, dont le financement est donc presque stabilisé, ne laisse place à aucune imprécision. Il représente un investissement intéressant pour l’avenir et il est étonnant d’entendre certains qui appellent par ailleurs à la réalisation de grands travaux pour développer l’emploi le dénigrer.
Je veux conclure, monsieur le secrétaire d’État, en insistant sur la nécessité d’une réflexion sur la question du fret au niveau national. La liaison Lyon-Turin apportera une nette amélioration, mais nous devons construire un schéma de l’ensemble des infrastructures du réseau ferroviaire, notamment en Auvergne-Rhône-Alpes. Ces deux dossiers doivent être examinés en parallèle afin tout à la fois de réaliser ce tronçon international désormais bien arrêté et d’améliorer l’ensemble des infrastructures des régions concernées. Il faut que tous se sentent impliqués et que la circulation s’améliore ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Vial, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-Pierre Vial. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, seize ans après le traité franco-italien de 2001, signé sous la présidence de Jacques Chirac, notre vote va aujourd'hui clore le volet politique de ce qui sera l’une des plus grandes infrastructures du monde. Le volet politique clos, s’ouvre celui de la réalisation d’un ouvrage qui nécessitera un chantier d’une quinzaine d’années.
Je veux saluer le travail du rapporteur, qui soutient avec passion la ligne Lyon-Turin : il a fait une analyse extrêmement rigoureuse du projet, notamment sous ses aspects juridiques. On ne peut que se féliciter de la quasi-unanimité que recueille ce projet et regretter l’obstination des écologistes à reposer toujours les mêmes questions, alors que les réponses sont connues depuis des années…
Je ferai quelques observations que complètera mon collègue et ami Michel Bouvard.
La ligne Lyon-Turin représente un enjeu économique dans les relations franco-italiennes.
Le corridor méditerranéen comprenant cette liaison concerne 18 % de la population de l’Union européenne et 17 % de son PIB, avec 200 milliards d’euros d’échanges commerciaux. Les échanges entre l’Italie et la France, à eux seuls, s’élèvent à 70 milliards d’euros. Les échanges au travers de l’arc alpin représentent presque 150 millions de tonnes par an, répartis entre la France et l’Italie pour 40 millions de tonnes, dont seulement 10 % par le ferroviaire, entre la Suisse et l’Italie pour 39 millions de tonnes, dont 68 % par le ferroviaire, et entre l’Autriche et l’Italie pour 68 millions de tonnes, dont 29 % par le ferroviaire.
Pour répondre au groupe écologiste, je rappelle que le trafic transalpin atteint aujourd’hui 150 millions de tonnes, avec une progression du trafic poids lourds de 1 % de 2009 à 2015 et de 6 % en 2015 et 2016.
Au-delà, le chantier lié à la réalisation de cette ligne est lui-même un enjeu économique.
Le coût de cet ouvrage de plus de 57 kilomètres s’élève à 8,6 milliards d’euros, coût comparable à celui du Gothard, qui vient d’être mis en service. M. le secrétaire d’État l’a dit, le financement est assuré par une contribution exceptionnelle de l’Europe de 40 % et une participation de l’Italie à hauteur de 35 %, ce qui ne laisse que 25 % à la charge de la France, soit 2,3 milliards d’euros, alors que l’ouvrage est situé pour plus des deux tiers sur notre territoire national.
L’enjeu est aussi écologique. Avec l’ambition de reporter à terme un million de poids lourds de la route sur le rail, le défi est énorme : faire passer la part du mode ferroviaire au travers des Alpes franco-italiennes de 9 % actuellement à 40 %, pour une économie d’émissions de gaz à effet de serre d’un million de tonnes équivalent CO2. Il faut relever ce défi !
Ces enjeux sont d’une particulière actualité quand on les rapproche des récents événements survenus dans la vallée de l’Arve, où élus et population demandaient à l’État d’encourager le transport du fret par rail en supprimant la circulation des poids lourds dans le tunnel du Mont-Blanc.
Le projet représente également un enjeu de sécurité. Il importe de rappeler que le tunnel historique est un tunnel monotube d’environ 13 kilomètres réalisé il y a plus d’un siècle et demi sur l’initiative de Cavour, avant que la Savoie soit rattachée à la France.
Enfin, l’enjeu est également stratégique. Les échanges commerciaux entre la France et l’Italie, par leur importance, justifieraient à eux seuls la réalisation d’un tel équipement, que Bruxelles place au cœur du corridor sud-européen reliant la péninsule ibérique et l’Europe centrale.
La semaine dernière, un grand quotidien national présentait la stratégie économique de la Chine et sa volonté de recréer une nouvelle route de la soie, avec une liaison ferroviaire de l’est de la Chine à l’Ouest européen qui, depuis 2014, permet déjà à un convoi de conteneurs de partir chaque jour de l’Allemagne pour rejoindre la Chine.
Cette ambition est clairement affichée et prend en compte la place que doivent jouer le Moyen-Orient et l’Afrique. La Méditerranée, sur les bords de laquelle la Chine est en train de s’installer puissamment, notamment en développant le port du Pirée, et où elle souhaite disposer du transport ferroviaire, illustre à quel point l’infrastructure du Lyon-Turin, de par sa situation au cœur du corridor sud-européen, est une opportunité pour la France de ne pas se disqualifier au sud de l’Europe, comme malheureusement elle l’a fait sur sa façade maritime au nord.
Oui, le Lyon-Turin est l’infrastructure des défis de demain. Je tenais à le dire à tous mes collègues, en particulier à ceux du groupe écologiste, puisque ce projet est un véritable défi écologique ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe UDI-UC.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour la quatrième fois, nous sommes amenés à approuver une convention internationale entre la France et l’Italie portant sur la liaison ferroviaire entre Lyon et Turin.
Cet accord vise à engager le lancement enfin effectif des travaux de la section transfrontalière de cette nouvelle ligne ferroviaire. Il est complété par un protocole additionnel qui fixe, quant à lui, le coût certifié du projet et ses modalités de financement. Nous verrons si tout cela clôt le dossier, lequel a connu, nous le savons, de nombreuses difficultés.
Au-delà de son caractère technique, l’accord confirme la volonté des deux pays de réaliser cet ambitieux projet d’infrastructure de dimension européenne dont ils peuvent espérer de nombreuses retombées.
Comme l’a rappelé excellemment le rapporteur Yves Pozzo di Borgo, ce projet structurant, qui entre dans sa phase de réalisation, représente un intérêt économique majeur pour les deux pays concernés, mais aussi pour l’Europe.
L’objectif de la ligne Lyon-Turin est de réduire sensiblement le temps de trajet entre Paris et Milan, de permettre un report modal du trafic de marchandises traversant les Alpes franco-italiennes et d’améliorer les liaisons entre les vallées et les grandes agglomérations alpines de France et d’Italie, en contribuant à effacer la barrière alpine.
Tel qu’il est présenté par ses promoteurs, l’intérêt principal de cette ligne est d’organiser le report modal du trafic de marchandises de la route vers le ferroviaire dans les Alpes, qui ne peut se faire avec la ligne ferroviaire existante.
En effet, 85 % des échanges passant par la frontière franco-italienne sont aujourd’hui routiers. Cette ligne est donc un facteur de développement du fret ferroviaire comme des échanges commerciaux entre la France et l’Italie.
Au titre des bénéfices environnementaux du projet, on peut relever qu’il participe d’une politique de développement durable et de protection des Alpes. Le report modal sur la ligne ferroviaire diminuera l’ensemble des émissions de gaz nocifs liées au trafic routier et participera à la réduction des nuisances sonores.
Je voudrais également souligner la dimension européenne de cette infrastructure.
La ligne ferroviaire Lyon-Turin est un élément de l’Europe des transports puisqu’elle fait partie du réseau transeuropéen des transports, qui est un vaste schéma de connexions entre les différentes parties de l’Europe au moyen de dix corridors. En tant qu’axe de franchissement des Alpes, elle constitue un élément clé du corridor transeuropéen méditerranéen reliant la péninsule ibérique à l’Europe centrale et orientale, en faisant communiquer des bassins économiques majeurs en Europe.
Pour l’Union européenne, la liaison Lyon-Turin est un élément de compétitivité et d’emploi, car elle est un facteur de développement des échanges commerciaux et économiques entre les régions qu’elle dessert et traverse. Cela explique d’ailleurs pourquoi l’Europe finance une bonne partie du projet, à hauteur de 40 %.
Je terminerai en évoquant rapidement la question plus délicate du financement de cette infrastructure. Si le protocole additionnel certifie le coût du tunnel à hauteur de 8,3 milliards d’euros, les modalités de financement de la part française ne sont toujours pas précisément arrêtées, même si M. le secrétaire d’État nous a donné quelques éléments dans son intervention.
Il est difficile d’engager des crédits pour ce genre de grand projet d’infrastructure dans le contexte budgétaire que l’on connaît. La Cour des comptes a ainsi émis des doutes sur la rentabilité socio-économique du projet et a pointé son coût pour les finances publiques. Je voudrais à cet égard saluer le travail de Michel Destot et Michel Bouvard, qui ont travaillé à trouver des pistes de financements complémentaires aux crédits budgétaires qui seront mobilisés via l’AFITF.
Le tout reste sans doute à consolider. Souhaitons que ce projet finisse par trouver sa voie et son financement. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard, pour le groupe Les Républicains.
M. Michel Bouvard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ferai trois réflexions.
La première est que ce débat se tient à un moment particulier. À quelques semaines de l’élection présidentielle, il est bon de rappeler que ce projet a vu l’engagement de quatre chefs d’État – François Mitterrand, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande –, dans une belle continuité républicaine. Ce projet a donc fait l’objet d’un large consensus au regard des enjeux. Je tiens d’ailleurs à remercier Manuel Valls, qui a bien voulu consacrer quand il était Premier ministre ce consensus républicain en nous confiant, à Michel Destot et moi-même, une mission sur le financement du projet.
Ce débat intervient également après plusieurs semaines de pollution persistante dans les vallées alpines, la vallée de l’Arve et la cluse de Chambéry notamment. La part du trafic routier dans ce phénomène n’est niée par personne.
Deuxième réflexion : il nous est donné aujourd’hui d’autoriser l’approbation d’un accord auquel il n’y a pas d’alternative. Je voudrais essayer de convaincre les membres du groupe écologiste sur ce point, car constater qu’ils sont les seuls à partager avec le Front national l’idée selon laquelle il y aurait des alternatives me peine.
Il n’y a pas d’alternative, mes chers collègues, sauf à considérer que les échanges entre la France, l’Italie et les Balkans sont marginaux ; sauf à admettre le déclin des ports français au bénéfice de l’hinterland des ports allemands et de l’Europe du nord, qui ne peuvent que se renforcer au travers des liaisons ferroviaires réalisées sur les axes nord-sud, entre la Suisse et l’Italie par exemple, ou entre l’Autriche et l’Italie.
M. Yves Pozzo di Borgo, rapporteur. Exact !
M. Michel Bouvard. Les enjeux européens ont été rappelés par les précédents orateurs.
Il n’y a pas d’alternative, parce que la ligne historique, conçue par Benso di Cavour et financée par le seul petit royaume de Piémont-Sardaigne alors qu’il se trouvait, au lendemain de la défaite de 1848, dans un état financier déplorable, quand nous disposons, nous, des financements de l’Union européenne et de deux de ses principaux États, passe à 1 300 mètres d’altitude, a des pentes de 33 ‰ et ne permet de convoyer que des trains de 1 600 tonnes maximum, avec trois locomotives et à 30 kilomètres par heure ! C’est un non-sens économique, surtout si l’on veut développer le report modal !
Il n’y a pas d’alternative, parce que le trafic routier continue à exploser. L’an dernier, nous avons battu le record de 2008 du nombre de passages de voitures à Vintimille. La hausse est d’ailleurs générale pour le dernier semestre : elle est de 7 % à Vintimille, de 5 % pour le tunnel de Fréjus, de 2 % pour le tunnel du Mont-Blanc.
Ma troisième réflexion porte sur le financement de ce projet. Il est urgent de crédibiliser le financement français. Notre part se monte à 25 % du projet total, soit un effet de levier de un pour quatre, ratio que nous ne connaissons pour aucune infrastructure, et ce alors même que la ligne se trouverait à 80 % sur le territoire français.
Le 29 juillet dernier, en Maurienne, le Premier ministre a annoncé le financement du Fonds pour le développement d’une politique intermodale des transports dans le massif alpin, le FDPITMA.
Il faut désormais que nous achevions le chantier de l’eurovignette. Un mauvais signal a été envoyé quand la base de l’écotaxe, telle qu’elle figurait encore dans le projet de loi de finances rectificative, a été supprimée. Cela doit être corrigé. Il est impératif que le dispositif de l’eurovignette soit mis en place, comme cela a été fait en Autriche pour le financement du tunnel du Brenner, en asseyant ce dispositif sur un financement reposant sur des prêts de mobilité verte, permis par le fonds d’épargne de la Caisse des dépôts et consignations.
Nous devons crédibiliser définitivement la parole de la France et assumer nos engagements européens, monsieur le secrétaire d’État, et je remercie par avance tous ceux qui apporteront leur soutien à ce projet essentiel pour notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le gouvernement de la république française et le gouvernement de la république italienne signé le 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire lyon-turin
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne signé le 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin (ensemble un protocole additionnel signé à Venise le 8 mars 2016 et un règlement des contrats), et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne signée le 24 février 2015 pour l’engagement des travaux définitifs de la section transfrontalière de la nouvelle ligne ferroviaire Lyon-Turin.
(Le projet de loi est adopté définitivement.) (Applaudissements.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures trente-cinq, est reprise à onze heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Nomination de membres d’une commission mixte paritaire
M. le président. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables.
La liste des candidats établie par la commission des affaires économiques a été publiée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jean-Claude Lenoir, Ladislas Poniatowski, Daniel Laurent, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Roland Courteau, Franck Montaugé et Jean-Pierre Bosino.
Suppléants : M. Gérard Bailly, Mme Delphine Bataille, MM. Marc Daunis, Daniel Dubois, Joël Labbé, Mmes Élisabeth Lamure et Sophie Primas.
9
Accession du Monténégro à l’OTAN
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro (projet n° 173, texte de la commission n° 314, rapport n° 313).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d’État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro, signé à Bruxelles le 19 mai 2016, qui est soumis à l’examen du Sénat, est important puisqu’il concourt à nos efforts de stabilisation des Balkans occidentaux.
Après les adhésions à l’OTAN de la Slovénie en 2004, de la Croatie et de l’Albanie en 2009, celle du Monténégro sera un gage de stabilité pour cette région, stabilité qui reste un enjeu de première importance pour la sécurité européenne dans son ensemble.
Notre pays a dans ce domaine une responsabilité particulière, liée à l’histoire et au rôle qui a été le sien dans les Balkans au cours des vingt dernières années, responsabilité qu’il assume aujourd’hui pleinement dans le cadre des processus de coopération régionale et de dialogue, le processus de Brdo-Brioni, d’une part, et de Berlin, d’autre part.
Le succès du sommet des Balkans occidentaux qui s’est tenu à Paris le 4 juillet dernier dans le cadre du processus de Berlin, à l’invitation du Président de la République, en a été une illustration.
Le Monténégro, dès le lendemain de son indépendance, en juin 2006, a signifié sa volonté de se rapprocher de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et d’en devenir membre. Il a été invité par les alliés, en décembre 2009, à rejoindre le plan d’action pour l’adhésion, qui donne le statut officiel de candidat et engage formellement le processus d’adhésion.
Dans le cadre d’un dialogue étroit avec l’OTAN, le Monténégro a conduit de nombreuses réformes. Il a fait d’importants efforts en matière de modernisation des forces armées et de réforme du secteur de la sécurité et du renseignement, comme l’ont souligné plusieurs rapports de progrès de l’OTAN. L’effort de défense du pays a été porté à 1,7 % du PIB, légèrement en deçà de l’objectif de 2 % que se sont fixé les alliés lors du sommet du Pays de Galles en septembre 2014.
Le Monténégro a également conduit des réformes dans le domaine de la justice, pour renforcer l’indépendance du système judiciaire, intensifier la lutte contre la criminalité organisée et la corruption et assurer l’État de droit.
Ces progrès ont été salués lors des sommets de Lisbonne en 2010 et de Chicago en 2012. Le sommet du Pays de Galles de septembre 2014 a ouvert un dialogue renforcé avec le Monténégro en vue de permettre aux alliés de se prononcer, à la fin de l’année 2015, sur l’opportunité d’une adhésion à l’OTAN.
Lors de la réunion des ministres des affaires étrangères de l’OTAN des 1er et 2 décembre 2015, les alliés ont donc pris par consensus la décision d’inviter le Monténégro à engager d’ultimes pourparlers en vue de son adhésion.
Cette démarche a abouti, le 19 mai 2016, à la signature par les États membres de l’OTAN du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro. Le Monténégro a alors obtenu le statut de pays invité et a pu ainsi participer au sommet de l’OTAN à Varsovie, en juillet 2016.
La ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro permettra à ce pays de devenir le vingt-neuvième allié de l’OTAN. Vingt et un des vingt-huit membres de l’Alliance atlantique ont d’ores et déjà ratifié ce protocole.
Pour la France, l’adhésion du Monténégro à l’OTAN sera bénéfique, car ce pays joue un rôle important dans la région des Balkans occidentaux.
Le Monténégro a recouvré son indépendance, perdue après la Première Guerre mondiale, le 3 juin 2006, en se séparant pacifiquement, par référendum, de la communauté de Serbie-et-Monténégro. Son indépendance a été reconnue immédiatement par l’ensemble de la communauté internationale et, je veux y insister, le Monténégro n’est en litige territorial ou diplomatique avec aucun de ses voisins. Il est au contraire un élément moteur de la coopération régionale dans les Balkans.
Malgré sa taille modeste, la contribution du Monténégro à la sécurité de l’Alliance sera réelle. Entre l’Albanie et la Croatie, ce pays assurera un continuum géographique le long de l’Adriatique, qui a son importance stratégique en matière de défense collective. Ce point était particulièrement important pour nos alliés de la zone.
Le Monténégro participe d’ores et déjà comme partenaire, à la mesure de ses moyens, à plusieurs opérations de stabilisation : Resolute Support en Afghanistan pour l’OTAN, mais aussi EUNAVFOR Atalanta et EUTM Mali dans le cadre de l’Europe de la défense, et aux côtés des armées françaises. Son adhésion s’inscrira donc dans la continuité de cet engagement.
Concernant la politique de l’OTAN en matière d’élargissement, je tiens à rappeler que l’ouverture du processus d’adhésion au Monténégro s’est faite dans le cadre d’un accord plus large entre alliés sur le traitement des questions d’élargissement de l’OTAN.
C’est dans le cadre de cet accord que la France s’est assurée, en amont du sommet de Varsovie, que l’invitation faite au Monténégro ne serait pas le signal d’un élargissement non maîtrisé. Pour la France, l’adhésion du Monténégro n’ouvre en aucun cas la voie à une relance générale de la politique dite « de la porte ouverte ».
Pour la France, l’élargissement de l’OTAN n’est aujourd’hui ni une priorité ni une fin en soi. Il ne peut s’envisager que dans la mesure où il renforce effectivement la sécurité de l’espace euro-atlantique et la crédibilité de la défense collective. Il relève par ailleurs, je tiens à le rappeler, d’une décision souveraine des pays souhaitant rechercher l’adhésion, qu’il revient ensuite à l’Alliance d’accepter ou non. Nul État tiers n’a de droit de regard sur cette décision.
Ainsi, nous avons accepté de considérer les mérites propres du Monténégro, mais nous avons veillé à ce que soit parallèlement adoptée une série de conditions destinée à d’autres pays candidats, pour l’adhésion desquels il n’existe pas aujourd’hui de consensus.
L’accord entre alliés sur ce point, dont les principes ont été repris dans le communiqué du sommet de Varsovie, précise bien que l’attribution d’un plan d’action pour l’adhésion reste une étape incontournable pour la Géorgie ; que c’est aux pays candidats de prendre les mesures nécessaires s’ils souhaitent avancer sur la voie de l’adhésion, et non aux alliés de renoncer aux conditions posées ; que les candidatures seront évaluées, en priorité, à l’aune de la capacité des candidats à assumer les responsabilités et les obligations liées au statut de membre et, en particulier, à contribuer à la sécurité de l’espace euro-atlantique.
Rappelons-nous qu’au lendemain de la guerre froide, l’élargissement de l’OTAN a été un facteur de renforcement de la sécurité du continent européen. Une forte demande de stabilité et de sécurité émanait des ex-pays membres du pacte de Varsovie. Tout comme l’Union européenne, l’Alliance y a répondu en définissant des modalités d’accession flexibles. L’objectif était de contribuer à une vaste architecture de sécurité européenne, où les processus d’élargissement de l’OTAN et de l’Union européenne étaient perçus comme complémentaires, tout en étant clairement distincts.
Vingt-cinq ans plus tard, nous continuons de refuser l’idée d’un partage de l’Europe en sphères d’influence, comme celle d’un droit de regard extérieur sur le processus d’adhésion. La dégradation durable de notre environnement stratégique a cependant conduit l’OTAN à reconsidérer les perspectives d’élargissement actuelles. Nos partenaires comprennent bien désormais que les candidats à l’adhésion doivent être considérés, en premier lieu, en fonction de leur capacité à contribuer à notre défense collective et de la capacité de l’OTAN à garantir leur sécurité.
Voilà en résumé, mesdames, messieurs les sénateurs, les enjeux de la ratification de ce protocole.
L’adhésion du Monténégro à l’OTAN ne préjuge en rien des décisions que l’Union européenne pourra prendre s’agissant de l’adhésion du Monténégro à l’Union européenne, dont la procédure suit son cours et pour laquelle les critères d’accession sont différents, même si certains peuvent se recouper.
Je vous invite donc à juger ce projet de loi pour ce qu’il est : un développement circonscrit au cas du Monténégro, dont l’adhésion à l’OTAN sera positive pour la stabilité des Balkans occidentaux.
Telles sont les principales observations qu’appelle le protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession de la République du Monténégro, qui fait l’objet du projet de loi proposé à votre autorisation, après celle donnée le 1er décembre dernier par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – M. Jean-Marie Bockel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Xavier Pintat, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, peu après son indépendance, recouvrée en 2006 après des années d’intégration dans l’ensemble yougoslave puis d’union avec la Serbie, le Monténégro a fait part de son souhait de rejoindre la communauté euro-atlantique, souhait également manifesté par sa candidature à l’Union européenne. Pour ce pays multiethnique et multiconfessionnel, qui se situe dans une zone de turbulences, il s’agit avant tout de garantir sa sécurité et sa stabilité.
De fait, l’accession du Monténégro à l’Alliance atlantique s’inscrit dans la politique dite « de la porte ouverte » appliquée à l’égard des pays de l’est de l’Europe après la fin de la guerre froide, et dont l’objectif était d’abord politique : il s’agissait d’œuvrer à la stabilité de la zone euro-atlantique, en promouvant dans ces pays la paix, la liberté et la démocratie.
Le Monténégro fait partie de la dernière vague d’élargissement de l’OTAN, lancée à l’occasion du sommet de Bucarest de 2008, et dont la mise en œuvre, convenons-en, s’est avérée problématique. Si l’Albanie et la Croatie sont assez rapidement parvenues à l’adhésion, le Monténégro est aujourd’hui le seul pays parmi les autres candidats – l’ancienne République yougoslave de Macédoine, la Bosnie-Herzégovine et la Géorgie – à remplir les conditions pour devenir membre de l’OTAN.
Certes, il ne s’agit pas d’idéaliser ce pays, qui a encore des progrès à accomplir, notamment en tant qu’État de droit et en matière de lutte contre la corruption. Le Monténégro n’en a pas moins franchi avec succès les différentes étapes du processus d’adhésion, depuis le plan d’action pour l’adhésion obtenu en décembre 2009 jusqu’à l’engagement de négociations d’adhésion auxquelles les alliés ont donné le feu vert en décembre 2015.
Il faut également souligner qu’il a enregistré des avancées dans de nombreux domaines, dans le cadre de sa candidature à l’Union européenne.
D’un point de vue militaire, il faut l’admettre, sa contribution financière au budget de l’Alliance sera modeste. Néanmoins, ce pays compte augmenter son effort de défense dans les années à venir, tant pour renforcer les effectifs de ses forces armées que pour renouveler ses équipements militaires, ses priorités de modernisation étant définies en fonction des objectifs d’intégration à l’OTAN.
En outre, le Monténégro prend activement part aux opérations extérieures, dans le cadre de l’OTAN, avec une contribution à l’opération Resolute Support en Afghanistan, ou dans celui de l’Union européenne, avec notamment une participation à l’opération Atalanta de lutte contre la piraterie.
Il faut souligner à cet égard la sensibilité maritime que le Monténégro est susceptible d’apporter à l’Alliance atlantique, qui pourrait s’avérer utile pour le traitement des problématiques méditerranéennes, comme la question des migrants.
Enfin, d’un point de vue stratégique, l’entrée du Monténégro dans l’OTAN permet d’établir une continuité dans la défense européenne sur la côte Adriatique, en complétant le chaînon manquant entre la Croatie et l’Albanie. Intégrer à l’OTAN ces deux pays et négliger la dent creuse que représentait dans la zone le Monténégro aurait été un non-sens, d’autant qu’il remplit désormais les conditions posées par l’Alliance.
Si elle paraît ainsi pouvoir être justifiée par des raisons objectives, l’adhésion du Monténégro à l’OTAN n’en reste pas moins une question discutée, tant sur le plan interne que sur le plan international.
Pour une partie de l’opinion publique monténégrine, marquée par les bombardements de l’OTAN contre la Serbie, cette adhésion ne va pas de soi. La question a même été l’un des mots d’ordre des manifestations organisées contre le pouvoir à l’automne 2015. Elle a également occupé une large place dans les débats qui ont précédé les élections législatives du 16 octobre 2016, qui se sont accompagnées d’une tentative de déstabilisation du pouvoir. Ces élections n’en ont pas moins été largement remportées par des formations favorables à l’accession à l’OTAN.
Par ailleurs, on ne saurait davantage occulter, dans le contexte stratégique actuel, les difficultés que suscite l’adhésion du Monténégro à l’OTAN dans nos relations avec la Russie. Plus que les intérêts économiques et les liens culturels liés à la présence d’une forte minorité slave qu’entretient la Russie dans ce pays, c’est surtout la perspective d’un nouvel élargissement de l’OTAN, dans un contexte de tensions exacerbées avec cette organisation qui explique la réaction russe.
En effet, la Russie considère que l’expansion de l’OTAN constitue une menace directe pour sa sécurité. Selon la dernière version de la doctrine militaire russe, il s’agit même du premier danger militaire auquel la Russie est susceptible de faire face.
Comme l’ont souligné nos excellents collègues Robert del Picchia, Josette Durrieu et Gaëtan Gorce dans leur rapport de 2015 sur les relations avec la Russie, l’élargissement à l’est de l’OTAN, concomitamment avec celui de l’Union européenne, constitue l’une des causes de la détérioration, ces dernières années, des relations entre la Russie et les pays occidentaux, détérioration que la crise ukrainienne n’a fait qu’aggraver. Toutefois, s’agissant du Monténégro, pays de 620 000 habitants qui, de surcroît, ne borde pas les frontières russes, cette réaction relève davantage d’une position de principe qu’elle ne traduit un réel enjeu stratégique.
Après un débat approfondi, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées s’est donc finalement prononcée pour la ratification du protocole d’adhésion du Monténégro à l’OTAN. Il s’agit en effet de ne pas décevoir les attentes d’un pays méritant, qui s’est résolument engagé dans cette voie et en a franchi avec succès les différentes étapes, de conforter un pôle de stabilité dans les Balkans au bénéfice des pays voisins, et de compléter l’arc de sécurité de l’OTAN sur la côte Adriatique.
Par ailleurs, il serait particulièrement malvenu, à l’heure où l’OTAN et l’Europe sont fragilisées par les déclarations du nouveau président américain, de mettre à mal l’unité de l’OTAN en rejetant ce texte alors qu’une grande majorité d’États alliés l’ont déjà ratifié. Cela constituerait un signe de faiblesse et la France en porterait la lourde responsabilité.
En revanche, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées considère que, après cette adhésion, qui, soulignons-le, n’est en aucune manière dirigée contre la Russie, un terme doit être mis à la dynamique d’élargissement de l’OTAN ; l’adhésion à l’Alliance atlantique de pays comme la Géorgie, l’Ukraine, la Serbie représente pour la Russie une ligne rouge.
Il est à cet égard nécessaire de poursuivre les efforts de dialogue et de coopération avec la Russie dans le cadre du conseil OTAN-Russie, qui, après avoir suspendu ses activités du fait de la crise ukrainienne, a tenu trois réunions durant l’année 2016, ce qui est un signe encourageant. Seul le dialogue peut permettre de diminuer les tensions qui se manifestent actuellement à l’est de l’Europe.
Enfin, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a souhaité rappeler que l’adhésion du Monténégro à l’OTAN ne préjuge en rien de son adhésion à l’Union européenne. Sous ces réserves, elle a adopté ce projet de loi.
M. Christian Cambon, vice-président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, pour le groupe CRC.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi dont nous débattons prévoit l’intégration dans l’OTAN d’un vingt-neuvième pays, le Monténégro.
Cette intégration s’inscrit dans la stratégie développée depuis 1999 par l’OTAN et consistant à s’étendre à l’est de l’Europe. L’adhésion du Monténégro n’est qu’une étape supplémentaire de cette politique expansionniste, dans la continuité de l’intégration de douze autres pays de l’Europe orientale, multipliant ainsi les initiatives conduisant à l’isolement de la Russie et les tentatives d’implantation de matériel militaire dans les pays frontaliers.
Cette dynamique, entamée malgré les accords signés avec Mikhaïl Gorbatchev en 1990 puis avec Boris Eltsine en 1997, prend encore plus d’importance pour l’organisation atlantique maintenant que le pouvoir de Vladimir Poutine se renforce.
Cette volonté d’isoler la Russie en renforçant les positions de l’OTAN sur le flanc oriental vise en réalité à revenir à une logique de guerre froide. Soutenir ce projet revient à prendre le risque de nous entraîner dans une spirale de tensions, de provocations et de course à l’armement.
Cette stratégie est si dangereuse que le ministre allemand des affaires étrangères, Frank-Walter Stenmeier, s’inquiète d’un tel projet et a affirmé : « Celui qui croit augmenter le niveau de la sécurité avec des parades de chars sur le front est de l’Alliance se trompe. » Force est de constater que l’OTAN est restée crispée sur une logique désuète d’affrontement Est-Ouest, alors que le monde est incontestablement devenu multipolaire.
Après le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN et l’adoption du projet de loi autorisant la ratification du protocole de Paris sur l’OTAN, la France a renoncé à son indépendance sur la scène internationale et notre diplomatie s’est inscrite dans une vision atlantiste.
Or la promotion d’idéaux de paix et de coopération internationale est inconciliable avec le soutien à une organisation qui impose à ses membres une course aux armements tout en se dédouanant des résolutions de paix de l’ONU.
À l’heure où les États-Unis, qui dirigent l’OTAN et sont toujours dépositaires du traité de Washington, viennent d’élire un président souhaitant revenir sur l’article 5 du traité et sur le principe d’assistance mutuelle face aux menaces, il est temps pour la France de retrouver une voix indépendante dans le concert des nations. Notre pays a vocation à défendre un monde multipolaire en s’appuyant sur ses valeurs de défense des droits de l’homme partout dans le monde et en agissant en faveur d’une coexistence pacifique entre les peuples.
L’ONU a plus que jamais, en tant qu’organisation de paix et de sécurité mondiale, un rôle fondamental à jouer dans ce nouvel ordre international. Elle doit s’affirmer comme l’instance par excellence de médiation et de règlement des conflits internationaux, et la France doit agir en ce sens.
Persuadés que la résolution des conflits doit s’appuyer sur la politique et les résolutions de l’ONU, convaincus que la politique de course à l’armement de l’OTAN ne peut que conduire à la multiplication des conflits, les membres du groupe CRC voteront contre l’intégration du Monténégro dans l’OTAN. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Guérini, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Noël Guérini. L’entrée du Monténégro au sein de l’OTAN s’inscrit dans la poursuite de la politique dite « de la porte ouverte » pratiquée à l’égard des pays de l’est de l’Europe. Une dynamique d’intégration politique, et non militaire, rappelons-le, avait été engagée en faveur des pays issus du pacte de Varsovie. L’entrée en vigueur du protocole signé à Bruxelles avec le Monténégro le 19 mai dernier s’inscrit dans cette logique en ouvrant l’OTAN à un État des Balkans occidentaux.
Bien que ce pays soit de taille modeste et très peu peuplé, son adhésion à l’OTAN peut faire débat. Toutefois, on ne peut pas nier que le Monténégro a franchi avec succès les étapes du processus. Tout d’abord, le sommet du Pays de Galles de 2014 a souligné que, depuis 2009, le Monténégro avait progressé dans l’application du MAP, le plan d’action pour l’adhésion.
Ensuite, le Monténégro participe déjà à une mission de l’OTAN en Afghanistan.
En outre, si l’intérêt d’une adhésion à l’OTAN est seulement jugé selon la capacité du pays candidat à contribuer à la sécurité de la région de l’Atlantique Nord, on ne peut pas occulter les aspects relatifs à l’État de droit ; or, sur ce point, quelques indicateurs, issus des négociations d’adhésion à l’Union européenne en cours depuis 2012, témoignent d’une progression des acquis démocratiques. Tout n’est pas parfait, loin de là, mais la volonté du Monténégro de rejoindre l’Europe l’oblige à avancer sur les vingt-quatre chapitres ouverts dans le cadre de la « nouvelle approche », celle-ci reposant, je le rappelle, sur des exigences fortes en matière d’État de droit et de lutte contre la criminalité organisée.
Enfin, toujours du point de vue du processus d’adhésion, j’ajoute qu’une majorité de la population monténégrine l’approuve. Depuis les dernières élections de 2016, la majorité du Parlement est constituée de partis favorables à l’adhésion du Monténégro à l’OTAN.
Pour autant, si l’adhésion paraît fondée, on ne peut pas écarter la question de l’impact de cette nouvelle adhésion sur nos relations avec Moscou, qui voit dans la politique d’élargissement de l’OTAN vers l’est une stratégie de confinement de son pays. Si le cas du Monténégro peut encore passer, nous savons qu’il en sera autrement pour d’autres candidats, en particulier la Géorgie, l’Ukraine et la Serbie.
Ainsi, puisque dix-neuf des vingt-huit États membres de l’Alliance ont procédé à la ratification du protocole, la France ne peut pas envoyer un mauvais signal ; de plus, compte tenu des avancées que j’ai indiquées, j’approuverai le projet de loi.
Cela étant dit, il n’est pas interdit, monsieur le secrétaire d’État, de poser quelques conditions à cette adhésion et de les relayer sur le plan diplomatique. Je pense en particulier au fait de fixer une limite à l’élargissement et d’éviter la surenchère d’entraînements militaires aux frontières avec la Russie.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’exception de quelques abstentions, le RDSE approuvera dans sa majorité le présent projet de loi. (M. Christian Cambon, vice-président de la commission, M. Xavier Pintat, rapporteur, et M. Jean-Marie Bockel applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour le groupe UDI-UC.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Monténégro a déclaré, après une consultation référendaire, son indépendance voilà onze ans. L’enjeu du projet de loi dont l’examen nous réunit ce matin consiste donc à affirmer l’ancrage démocratique, libéral, au sens premier du terme, et occidental de ce pays d’Europe orientale.
Le Monténégro a réalisé en une décennie un travail important pour affirmer son autonomie et sa viabilité en tant que nation indépendante. Les dernières élections législatives, tenues en octobre 2016, semblent avoir entériné cette évolution par la défaite de l’opposition, hostile à l’adhésion à l’OTAN. Cette opposition est d’ailleurs pleinement associée à la vie politique du pays dans un cadre institutionnel qui avance à grands pas vers les standards modernes de la démocratie. Dans cette région, cela doit être souligné.
À cet égard, je rappelle que le Monténégro, qui a affirmé son souhait d’adhérer à l’Union européenne dès 2008 est officiellement entré en négociation avec l’Union européenne il y a un peu plus de quatre ans. À ce stade, les principaux chapitres de négociation ont été ouverts. Le dialogue semble être constructif. Il s’accompagne d’ailleurs déjà d’un plan de soutien financier. Toutefois, M. le rapporteur l’a bien indiqué à l’instant, il s’agit d’un sujet distinct, d’un élément de contexte.
Au-delà de la reconnaissance symbolique de la maturité de l’État du Monténégro dans le concert européen, cette adhésion présenterait un double avantage. Pour l’OTAN, intégrer le Monténégro facilite le travail de stabilisation des tensions récurrentes dans les Balkans – nous sommes plusieurs, sur diverses travées, à siéger à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et nous y constatons que les choses sont mûres du point de vue parlementaire et démocratique. Pour le Monténégro, cette adhésion est un stimulus indéniable pour la modernisation de son outil de défense. Nous sommes ainsi confrontés à un accord clairement gagnant-gagnant.
Cet accord est d’autant plus stratégique sur le plan de la pure géopolitique que l’adhésion du Monténégro permettrait d’assurer la continuité territoriale de l’Alliance sur la côte Adriatique, de l’Albanie à la Croatie, tout en ouvrant des capacités d’intervention pour l’Alliance au Kosovo, en Bosnie et en Serbie.
Cette adhésion doit néanmoins nous conduire à une réflexion sur l’OTAN, son rôle et son périmètre géographique. Notre commission a beaucoup travaillé sur les enjeux stratégiques en Europe orientale. Nos conclusions nous amènent à considérer que l’OTAN ne saurait désormais s’étendre dans la région au-delà du Monténégro, sauf à constituer une provocation à l’égard de notre voisin russe, qui voit dans l’OTAN, aujourd’hui encore, une menace pour sa sécurité.
Dans ces conditions, il semble urgent de veiller, en Europe orientale, à la stabilisation des frontières de l’Alliance afin de ne pas nous engager dans des mécaniques contraires à la garantie de la sécurité collective en Europe.
En ce qui concerne, plus généralement, le rôle de l’OTAN, le repli américain, auquel nous pouvons désormais nous attendre et qui a d’ailleurs été engagé avant même l’arrivée de M. Trump à la présidence, nous oblige à trouver une voie spécifiquement européenne pour donner corps à la défense continentale, tant à l’intérieur de l’OTAN qu’à ses côtés. Nous ne sommes évidemment pas dans la naïveté : nous devons réfléchir à ce sujet, et je profite de votre présence, monsieur le secrétaire d’État, pour vous interroger sur cette question.
Quoi qu’il en soit, le groupe UDI-UC votera en faveur de l’adhésion du Monténégro à l’OTAN. (Applaudissements au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.
Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’examen du projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro, qui nous occupe aujourd’hui, intervient dans un contexte particulièrement compliqué, tant pour l’Union européenne et sa cohésion que pour les relations transatlantiques et l’incertitude dans laquelle elles se trouvent.
D’une part, les propos virulents tenus par Donald Trump contre le modèle européen, mais également contre l’OTAN nous obligent à nous interroger sur le futur positionnement stratégique des États-Unis.
D’autre part, dans le contexte de tensions exacerbées que nous traversons, notamment pour ce qui touche aux relations entre l’Union européenne et la Russie, l’intégration du Monténégro au sein de l’OTAN est-elle pertinente et souhaitable ? Si son impact est jugé relativement limité, la question des répercussions de cette adhésion et du message qu’elle tend à véhiculer se pose tout de même, surtout quand on sait que la Russie a qualifié cette intégration de « provocation » et que l’on connaît les relations étroites qu’elle entretient avec le Monténégro.
Il ne faut évidemment pas fermer la porte à toute évolution positive pour le Monténégro, marqué aujourd’hui encore par la corruption et la criminalité organisée, et les partenariats existants à la fois avec l’OTAN au travers du partenariat pour la paix et avec l’Union européenne au travers du partenariat oriental poussent le pays à se réformer non seulement militairement, mais aussi du point de vue de l’État de droit et doivent, selon nous, être poursuivis et renforcés.
Cela dit, c’est la stratégie de fond que sous-tend ce protocole qui appelle notre attention, dans la mesure où celui-ci vise à asseoir un peu plus la primauté de l’OTAN au détriment d’une défense européenne.
S’il faut bien évidemment reconnaître que l’OTAN est l’une des seules coalitions internationales où les armées aient réussi à coopérer, l’expérience récente d’une divergence fondamentale d’intérêts entre ses différents membres soulève la question de la pertinence d’un élargissement.
La défense de l’Union européenne est aujourd’hui clairement déléguée à l’OTAN. Or l’Union doit assumer les responsabilités incombant à un acteur politique et économique de son rang. Il ne peut revenir aux États-Unis ni de nous protéger contre l’éventualité tragique d’une guerre ni de présider aux choix européens en matière de défense.
Dans le contexte géopolitique changeant et incertain dans lequel nous vivons, pouvons-nous encore faire l’économie d’une relance de la défense européenne ? Alors que le modèle européen est en proie à des déstabilisations de toute part, n’est-il pas temps de dépasser les déclarations d’intentions et d’avancer concrètement sur ce dossier ? Je n’ai de cesse de rappeler devant vous la nécessité que l’Europe soit un acteur politique stratégique autonome, mettant son influence au service du système de sécurité collective et de la prévention ou la résolution des conflits.
Pour ce faire, nous devons impérativement actualiser la stratégie européenne de sécurité, encourager un consensus politique en matière de défense et poursuivre la création et la mutualisation d’une base industrielle et technologique de défense européenne.
Considérant que l’OTAN reste aujourd’hui un frein réel et durable à la défense européenne, le groupe écologiste s’abstiendra. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Roger, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Gilbert Roger. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés ce matin à examiner le projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro.
Après les adhésions à l’OTAN de la Bulgarie et de la Slovénie en 2004, puis celles de la Croatie et de l’Albanie en 2009, celle du Monténégro sera un gage de stabilité pour la région des Balkans occidentaux.
L’intérêt de la France est que le Monténégro, comme tous les États des Balkans, se modernise et contribue à notre sécurité collective, notamment au travers de la lutte contre la corruption, le blanchiment et le crime organisé en vigueur sur son territoire. Son entrée dans l’OTAN lui permettra d’achever son processus de réformes démocratiques, institutionnelles et judiciaires en cours. Nous saluons cette démarche.
Le Monténégro est un élément moteur de la coopération régionale dans les Balkans. Malgré sa taille modeste, il contribuera à la sécurité de l’Alliance en assurant le long de l’Adriatique un continuum géographique entre l’Albanie et la Croatie. Au niveau militaire, le pays a démontré son implication dans les missions de paix pilotées par l’Union européenne, notamment au Mali et en République centrafricaine. Il a également participé à plusieurs opérations en Afghanistan.
Il faut aussi rappeler que le Monténégro a fait le choix de se tourner vers l’Europe depuis son accession à l’indépendance, en 2006, en adoptant l’euro et en se portant candidat à l’entrée dans l’Union européenne. Cette candidature a suscité un débat démocratique dans l’opinion publique monténégrine et a recueilli l’accord de plus de 60 % de la population.
Certes, au-delà du Monténégro et des Balkans, des craintes ou des critiques ont été exprimées, notamment de la part de la Russie, mais cet élargissement, contrairement à d’autres, ne représente pas un risque stratégique sérieux pour ce pays. En effet, le Monténégro n’a jamais été intégré au territoire russe ; il n’est donc pas dans la situation de l’Ukraine ou de la Géorgie. C’est la raison pour laquelle, si les autorités russes ont exprimé leur opposition à cet élargissement, elles ont également déclaré officiellement qu’elles respecteraient la décision du Monténégro.
Quant aux conséquences de cette adhésion sur la politique d’élargissement – plusieurs orateurs, dont notre rapporteur, l’ont souligné –, on s’est assuré, en amont du sommet de Varsovie, que l’invitation faite au Monténégro ne serait pas comprise comme le signe d’un élargissement non maîtrisé. L’adhésion du Monténégro n’ouvrira pas la voie à une relance générale de la politique dite « de la porte ouverte ».
Aussi, ni la République de Macédoine, ni la Bosnie-Herzégovine, ni la Géorgie, ni, enfin, l’Ukraine ne sont en mesure de rejoindre l’OTAN dans les conditions actuelles. En effet, au-delà des difficultés que vivent ces différents États, l’évolution du contexte stratégique a conduit l’Alliance à se recentrer sur sa mission de défense collective, reléguant au second plan les questions d’élargissement.
Enfin, l’adhésion du Monténégro à l’OTAN ne préjuge en rien des décisions que prendra, le moment venu, l’Union européenne puisqu’il n’y a pas d’automaticité entre ces deux processus.
Mes chers collègues, compte tenu de tous ces arguments, le groupe socialiste et républicain vous invite à adopter ce projet de loi afin de consolider la marche du Monténégro vers l’État de droit et la stabilité dans les Balkans ; sous réserve de quelques abstentions, dont celle de Mme Jourda, il votera lui-même ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour le groupe Les Républicains.
M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je m’exprime sur le temps de parole du groupe Les Républicains, mais à titre personnel.
Permettez-moi tout d’abord de saluer l’excellent rapport réalisé par notre collègue, Xavier Pintat, sur un sujet rendu complexe par un contexte diplomatique et stratégique difficile.
L’adhésion du Monténégro à l’OTAN peut paraître mineure au regard de la taille du pays et de son apport militaire et financier limité aux forces de l’Alliance atlantique. À titre d’exemple, seuls 1 850 hommes servent actuellement sous les drapeaux monténégrins. Sans vouloir sous-estimer les mérites de ses forces armées, on peut légitimement s’interroger sur la capacité réelle du Monténégro à contribuer à la sécurité de l’espace euro-atlantique, qui est pourtant, selon l’article 10 du traité de l’Atlantique Nord, l’un des critères devant présider à son élargissement.
Cela dit, au-delà de l’intégration du Monténégro en elle-même, qui ne changera évidemment pas la face de l’OTAN, c’est bien le contexte dans lequel elle s’inscrit qui la rend problématique ; je fais bien sûr référence à la dégradation des relations entre les pays occidentaux et la Russie.
À l’évidence, les agissements de Moscou en Ukraine exigeaient une réponse ferme et déterminée des Occidentaux, et tout particulièrement des Européens, car certaines lignes rouges ne sauraient être franchies sans conséquence. C’est pourquoi j’ai soutenu sans réserve la mise en œuvre et le maintien de sanctions à l’encontre de la Russie tant que les accords de Minsk ne seront pas intégralement appliqués sur le terrain.
Il n’est toutefois dans l’intérêt de personne de laisser perdurer des situations de tensions qui ne peuvent mener qu’à la surenchère et, finalement, à la montée des périls. La multiplication des démonstrations de force auxquelles nous assistons de la part de la Russie et de l’OTAN ces derniers mois en est le signe évident.
On le sait, la Russie a une opposition de principe à tout élargissement de l’Alliance atlantique, qu’elle perçoit comme un encerclement portant directement atteinte à sa propre sécurité. Qu’il s’agisse ou non d’une surinterprétation des menaces qui pèsent véritablement sur elle, l’expansion de l’OTAN est donc indéniablement une source de crispations avec Moscou.
Il ne s’agit bien évidemment pas de conférer à la Russie un quelconque droit de regard sur le processus d’élargissement de l’OTAN, qui appartient à ses États membres et à eux seuls, ni de souscrire à l’idée d’un partage de l’Europe en sphères d’influence. Cela dit, dans ce contexte tendu, les messages que nous envoyons sont particulièrement importants et l’adhésion du Monténégro, guidée par des considérations plus politiques que stratégiques, constitue bien un message fort. Dans l’esprit de ses promoteurs, cette démarche est avant tout destinée à la région des Balkans occidentaux, dont le cheminement sur la voie de la stabilité doit encore être consolidé.
Néanmoins, on ne peut pas ignorer que ce n’est pas de cette manière qu’elle sera interprétée par la Russie. Bien que le Monténégro ne représente pas pour elle le même enjeu stratégique et symbolique que des États tels que l’Ukraine, la Géorgie ou encore la Serbie, les liens économiques et culturels, mais aussi militaires qui lient ces deux pays sont anciens et puissants.
Même si les autorités russes ont déclaré qu’elles respecteraient la décision du Monténégro – c’est bien la moindre des choses, s’agissant du choix d’un État souverain –, cette adhésion est tout de même une étape supplémentaire dans l’expansion de l’OTAN et elle laissera nécessairement des marques dans notre relation avec la Russie.
À un moment où nous devrions avant tout chercher le rétablissement de relations constructives, cette initiative me paraît donc particulièrement inopportune. Par ailleurs, cette adhésion doit également nous interpeller du point de vue des perspectives qu’elle dessine concernant un autre processus d’intégration, l’adhésion à l’Union européenne.
En effet, l’adhésion à l’OTAN est généralement perçue comme un premier pas dans l’intégration à la communauté euro-atlantique, qui doit s’achever par une adhésion à l’Union européenne. Même s’il s’agit évidemment de deux processus totalement distincts juridiquement, force est de constater que les élargissements de l’OTAN menés depuis 1999 en Europe centrale et orientale ont tous débouché, sauf pour l’Albanie, sur une adhésion rapide à l’Union européenne.
Il serait tout à fait irresponsable que cette logique perdure et que le Monténégro interprète son éventuelle accession à l’OTAN comme le signal d’une accélération à venir de ses négociations avec l’Union européenne. Je pense que, sur ce point, nous sommes d’accord, mes chers collègues.
Disons-le d’emblée, nous ne pouvons donner aucune perspective d’adhésion au Monténégro, que ce soit à court ou à moyen terme.
La capacité d’absorption de l’Union européenne est aujourd’hui saturée, même s’agissant d’un petit pays. L’Union doit concentrer ses efforts sur la redéfinition de son projet et de son fonctionnement avant de songer à s’élargir. Évitons de reproduire les erreurs des années 2000 !
Surtout, le Monténégro est encore loin d’être prêt à une telle adhésion, aux niveaux démocratique, institutionnel, économique ou judiciaire. S’il est vrai qu’il s’est engagé sur la voie des réformes pour renforcer l’État de droit et lutter contre la criminalité organisée et la corruption, les progrès enregistrés à ce jour n’empêchent pas qu’il soit toujours très éloigné des standards européens en la matière. Le fait qu’il soit soumis, depuis le début des négociations d’adhésion, en 2012, à une « nouvelle approche », reposant sur des exigences renforcées, en dit long sur la réalité de ce pays, qui n’a connu aucune alternance politique depuis plus de vingt-cinq ans et qui reste marqué par des soupçons de collusion avec des réseaux délictueux.
Si la plus grande prudence doit prévaloir quant à la poursuite de la politique de la porte ouverte de l’OTAN, cela vaut donc encore davantage pour l’Union européenne. Je ne dis pas que le Monténégro ne pourra pas, un jour, rejoindre ces deux organisations, mais le contexte actuel, à la fois sur le plan international et sur le plan interne, devrait nous inciter à éviter toute précipitation.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, vous l’aurez compris, malgré toute la pertinence des analyses développées par notre rapporteur, je reste pour le moins circonspect quant à la perspective d’une adhésion du Monténégro à l’Alliance atlantique. Pour toutes les raisons que je viens de développer, je ne pourrai pas apporter mon soutien au projet de loi de ratification.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l'atlantique nord sur l'accession du monténégro
Article unique
Est autorisée la ratification du protocole au traité de l'Atlantique Nord sur l'accession du Monténégro, signé à Bruxelles le 19 mai 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Joëlle Garriaud-Maylam, pour explication de vote.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Je comprends les propos de mon estimé collègue Jacques Legendre, mais nous votons aujourd'hui sur une adhésion du Monténégro non pas à l’Union européenne, mais à l’OTAN !
Je voudrais insister sur l’importance politique de ce vote. On adresse beaucoup de reproches au Monténégro ; en particulier, on dit volontiers que la corruption y règne. Or un tout récent rapport de Transparency International spécifie que le Monténégro est certainement l’un des États les moins corrompus des Balkans, et même qu’il l’est moins que certains États membres de l’Union européenne…
Bien évidemment, des progrès doivent encore être réalisés, mais beaucoup a déjà été accompli. En particulier, des réformes ont permis de renforcer l’indépendance de la justice. Aujourd'hui, allons-nous donner un signal politique positif à un pays qui essaie de se réformer, qui consent des efforts, qui, bien qu’il ne compte que 2 000 soldats, contribue beaucoup plus, en proportion de sa population de 620 000 habitants, que certains autres pays à l’effort de défense, notamment en Afghanistan, ou allons-nous au contraire céder à une forme de pression exercée par Moscou et, peut-être, par Trump, en refusant l’admission du Monténégro dans l’OTAN ? Nous serions le premier pays à voter en ce sens…
Mes chers collègues, je ne peux que vous inviter à voter en faveur de l’accession du Monténégro à l’OTAN.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant la ratification du protocole au traité de l’Atlantique Nord sur l’accession du Monténégro.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
10
Accord multilatéral sur l'échange des déclarations pays par pays
Adoption définitive d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, autorisant l’approbation de l’accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange des déclarations pays par pays (projet n° 272, texte de la commission n° 308, rapport n° 307).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, le Premier ministre a indiqué que chaque jour de cette fin de législature devait être un jour utile. Aujourd'hui, nous vous proposons d’adopter un projet de loi autorisant l’approbation de l’accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange des déclarations pays par pays.
C’est donc un jour important pour la lutte contre l’évasion fiscale, qui, tout au long du quinquennat, a été une priorité du Gouvernement. Le travail engagé depuis 2012 se poursuit aujourd’hui avec la ratification de cet accord, que l’on désigne souvent par l’acronyme « CBCR », pour country by country reporting, ou reporting pays par pays.
Vous qui participez de façon assidue aux travaux sur les projets de loi de finances connaissez bien ce sujet et vous souvenez sans doute, en particulier, que la loi de finances pour 2016 a institué une obligation, pour les plus grandes entreprises, de déclarer à l’administration fiscale la répartition pays par pays des bénéfices et des principaux agrégats économiques comptables et fiscaux. Mais, pour être pleinement efficaces, ces déclarations doivent être échangées automatiquement entre les administrations fiscales, pour que chaque pays puisse avoir une vision globale de l’activité, notamment, des multinationales.
C’est pourquoi Michel Sapin, ministre de l’économie et des finances, a signé le 27 janvier 2016, à Paris, cet accord multilatéral. Il l’a déjà été par cinquante États dans le monde.
Je tiens à remercier, en préambule, M. le rapporteur de son travail. Comme vous, monsieur Doligé, je considère que cet accord international est un jalon important. Je ne peux d'ailleurs que me réjouir que ce sujet essentiel transcende aujourd’hui les clivages partisans.
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Oui !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Rappelons tout de même que, lorsque nous avions introduit cette obligation pour les entreprises, certains parlementaires, surtout des députés,…
M. Éric Bocquet. Pas seulement !
M. André Gattolin. Non, pas seulement !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … avaient saisi le Conseil constitutionnel de l’article 121 du projet de loi de finances pour 2016,…
M. Éric Bocquet. Très juste !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … estimant que cette disposition portait atteinte au principe d’égalité ou à la liberté d’entreprendre.
Dans sa décision, que j’ai encore relue ce matin, le Conseil constitutionnel a validé cette disposition, jugeant qu’elle ne contrevenait ni au principe d’égalité ni à la liberté d’entreprendre, « pour autant que les informations transmises ne soient pas publiques ». Je reviendrai sur ce dernier point.
Lors de l’examen de la loi de finances rectificative pour 2016, vos collègues députés avaient souhaité rendre le reporting public. J’avais alors demandé une seconde délibération, afin que cette disposition ne soit pas adoptée. Cela m’a valu des attaques personnelles indignes…
M. André Gattolin. Elles ne venaient pas de nous !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … et a malheureusement masqué le fait que, dès la loi de finances initiale de 2016, nous avions instauré l’obligation du CBCR au bénéfice des seules administrations fiscales, craignant la fragilité constitutionnelle d’un reporting public, à juste titre comme l’a montré la décision du Conseil constitutionnel que je viens d’évoquer.
Pour autant, la France est favorable à un reporting public, dès lors qu’il sera la règle au sein de l’Union européenne. C’est la position que Michel Sapin a toujours défendue. Le reporting public sera constitutionnel dès lors qu’une directive européenne – laquelle, c’est un autre principe constitutionnel, prévaut sur la législation nationale – l’imposera. (M. André Gattolin le confirme.)
L’humilité commande de reconnaître que nous ne sommes pas encore parvenus au bout du chemin. Cela ne nous empêche pas de considérer que la France peut être fière de l’action qu’elle conduit en matière de lutte contre la fraude, tant au niveau national qu’au niveau international, pour au moins trois raisons.
Premièrement, nous avons obtenu des résultats extrêmement intéressants, pour ne pas dire exceptionnels, dans la lutte contre la fraude fiscale. Ces résultats sont en progression constante. Ainsi, en 2015, l’administration fiscale a redressé 21,2 milliards d’euros de fraude, contre à peine 16 milliards d’euros, en moyenne, avant 2012. Les cinq plus gros redressements portent sur des multinationales, pour un montant de 3,3 milliards d’euros. Cela démontre que la France dispose déjà aujourd’hui d’outils puissants pour redresser les manipulations de prix de transfert ou pour caractériser l’existence, sur son sol, d’un établissement stable imposable. En outre, contrairement à d’autres pays, nous ne négocions pas ! Nous sommes parvenus à faire rentrer 12 milliards d’euros dans les caisses de l’État : c’est plus que les budgets de la justice, de la culture et de l’aide au développement réunis !
Deuxièmement, ces résultats, nous les devons à la mobilisation de moyens législatifs et humains pour repérer et redresser les fraudes. Depuis 2012, pas moins de quatre-vingts mesures législatives ont été prises pour lutter contre la fraude fiscale. Il y a eu la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière. Il y a eu ensuite, Bernard Cazeneuve étant alors ministre chargé du budget, la création du service de traitement des déclarations rectificatives, le fameux STDR, dont l’action a permis de faire sortir de l’ombre près de 30 milliards d’euros d’avoirs cachés à l’étranger et d’encaisser plus de 7 milliards d’euros de droits et pénalités. Tous ces outils, ainsi, bien entendu, que la mobilisation au quotidien des administrations –Direction générale des finances publiques et Direction générale des douanes et droits indirects –, nous ont permis d’augmenter de près de 30 % le montant des redressements par rapport à 2009.
Troisièmement, si ces résultats s’amplifient encore demain, ce sera grâce au rôle joué par la France à l’échelle internationale depuis 2012. Nous pouvons être fiers de la mise en place de l’échange automatique d’informations financières à compter de 2017, qui mettra fin au secret bancaire et fiscal entre 101 pays à l’échéance du 1er janvier 2018. Nous pouvons aussi être fiers de l’accord de l’accord BEPS – Base Erosion and Profit Shifting - élaboré par l’OCDE et signé par les ministres des finances des pays membres du G20, pour la conclusion duquel la France a joué un rôle moteur. On ne peut que se réjouir, par ailleurs, de l’adoption, l’été dernier, de la directive européenne sur les rulings.
Je voudrais enfin répondre à certaines interrogations que l’accord peut susciter.
La première concerne son champ d’application. Toutes les entreprises, tous les groupes dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros seront concernés. À l’échelle mondiale, ce seuil permet de couvrir les 10 % d’entreprises multinationales qui réalisent environ 90 % du chiffre d’affaires mondial. Comme je l’ai dit, cinquante États ont déjà signé cet accord. Certes, les États-Unis ne l’ont pas fait,…
M. André Gattolin. Ni la Russie !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … mais ils ont déjà mis en place une réglementation exigeant le dépôt d’une déclaration pays par pays – avec, il est vrai, une entrée en vigueur décalée de six mois. On ne peut qu’espérer que, malgré l’évolution du contexte international, les engagements pris par chacun seront respectés. Je souhaite cependant rappeler que le mécanisme subsidiaire nous autorise à demander les informations aux filiales présentes sur notre territoire si le pays où est implantée la maison mère ne nous les transmet pas.
Une deuxième interrogation concerne l’utilisation que pourraient faire les autres pays de ces informations. Sur ce point, l’accord prévoit des conditions strictes de réciprocité et de confidentialité. Bien entendu, nous veillerons particulièrement, avec l’ensemble de nos partenaires et avec l’OCDE, à ce que ces conditions soient respectées. Dans le cas contraire, nous suspendrions les échanges.
Enfin, une troisième interrogation concerne la demande, légitime, d’une transparence plus large, au-delà de la seule administration fiscale. Nous avons eu ce débat à plusieurs reprises, et le Conseil constitutionnel a finalement tranché comme je l’ai indiqué.
Doit-on s’arrêter là ? Bien sûr que non ! Un projet de directive est en cours de discussion à Bruxelles. La France souhaite qu’il soit adopté.
Au passage, je préciserai le point de vue du Gouvernement sur l’amendement déposé par le groupe CRC, visant à demander la remise d’un rapport sur l’application de ces échanges. Si le secret fiscal et la liberté d’entreprendre nous interdisent une transparence totale - une transparence qui, du reste, ne serait pas forcément souhaitable -, il est important que chacun puisse avoir confiance dans l’action de notre administration. Nous devons rendre des comptes. Je comprends donc la démarche des auteurs de cet amendement.
Au reste, je rappelle que, aux termes du paragraphe 3 de l’article 23 de la directive de 2011 sur l’assistance mutuelle, telle qu’elle a été modifiée par celle de 2016 sur l’échange automatique des déclarations pays par pays, nous allons devoir transmettre annuellement à la Commission européenne un questionnaire évaluant l’efficacité du dispositif. Je m’engage à ce que ces informations soient transmises à votre assemblée. Pour éviter de multiplier les rapports, je propose que ces informations soient présentées dans le rapport prévu à l’article 136 de la loi de finances pour 2011, qui porte sur les redressements internationaux, notamment sur les prix de transfert.
Je vous invite donc, mesdames, messieurs les sénateurs, à autoriser l’approbation de cet accord, comme l’a fait, avant vous, l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. André Gattolin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Éric Doligé, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le secrétaire d'État, je veux d'abord vous féliciter d’avoir eu le courage de vous plonger, dès le matin, dans la relecture des décisions du Conseil constitutionnel ! (Sourires.)
En toute indépendance, je tiendrai des propos assez proches des vôtres.
Au préalable, compte tenu des nombreux mécanismes de déclaration pays par pays proposés, je tiens à préciser le sujet dont nous traitons ce matin : il s’agit des déclarations pays par pays auxquelles sont soumises les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 750 millions d’euros et qui sont transmises à l’administration fiscale. Ce dispositif a été introduit en France par anticipation au travers de la loi de finances pour 2016. L’objectif est de connaître les différentes filiales des groupes d’entreprises multinationales et de révéler d’éventuelles discordances de localisation entre les activités et leur imposition. La lecture des déclarations pays par pays à destination des administrations fiscales intervient donc en amont d’une éventuelle enquête approfondie, afin de déterminer les dossiers prioritaires.
La déclaration pays par pays transmise à l’administration fiscale s’inscrit dans le cadre de l’action 13 du projet BEPS de l’OCDE, portant sur la documentation des prix de transfert. Afin de réduire les contraintes déclaratives pesant sur les entreprises, les États parties à la négociation sont convenus d’une déclaration unique auprès de l’administration fiscale du pays du siège pour un groupe d’entreprises, cette déclaration faisant ensuite l’objet d’un échange automatique entre autorités compétentes. Un accord international entre États parties est nécessaire pour parachever le fonctionnement du mécanisme et permettre aux services fiscaux français de récupérer les déclarations des entités ayant leur siège à l’étranger.
Tel est précisément l’objet de l’accord multilatéral signé à Paris le 27 janvier 2016. À l’instar de l’accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers du 29 octobre 2014, cet accord a été conclu sur le fondement de la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale de 1988. Les principes que celle-ci garantit en matière de protection des données et de confidentialité lui sont donc pleinement applicables.
L’accord avait été signé, à la fin de l’année 2016, par quarante-neuf États, parmi lesquels neuf des dix pays hébergeant le plus grand nombre de sièges sociaux des 500 plus grandes entreprises mondiales. Préférant conclure des accords bilatéraux, les États-Unis n’ont pas signé cet accord multilatéral.
Cet accord organise les modalités de l’échange automatique des déclarations pays par pays sous condition de réciprocité, sous l’égide du secrétariat général de l’OCDE. Il précise également les conditions d’utilisation des données contenues dans la déclaration. En particulier, si elle permet une évaluation générale des risques liés aux prix de transfert, la déclaration ne peut servir de base à des ajustements. Elle permet une analyse de risque préalable, afin de définir des priorités. Une enquête approfondie, conduisant notamment à analyser la documentation exhaustive des prix de transfert, doit ensuite être effectuée pour procéder à un éventuel ajustement.
Par ailleurs, l’accord définit des procédures de consultation en cas de difficultés de mise en œuvre, comme la non-transmission des déclarations par un État partie ou une utilisation inappropriée des données. Une suspension temporaire ou définitive de l’échange automatique peut également être décidée par un État partie soit à l’égard d’un autre État partie, soit à l’égard de tous.
Au-delà de ces précisions, j’approuve la conclusion rapide d’un accord équilibré qui permettra une application complète du mécanisme de déclaration pays par pays dès les premières déclarations sur l’exercice 2016, dix-huit mois après leur date de dépôt, soit à compter du second semestre de 2018.
Plus largement, concernant la portée du mécanisme et du projet BEPS, je tiens à formuler à votre suite, monsieur le secrétaire d'État, trois observations.
Premièrement, il ne constitue qu’un des trois accords internationaux pouvant prévoir l’échange automatique des déclarations, avec les conventions fiscales bilatérales et les accords bilatéraux d’échange de renseignements fiscaux. Je souligne également que l’échange automatique des déclarations entre administrations fiscales des États membres de l’Union européenne est déjà prévu. Le Conseil de l’Union européenne a adopté, le 25 mai 2016, la directive modifiant la directive de 2011 et prévoyant l’échange automatique des déclarations pays par pays entre administrations fiscales, la transposition des dispositions en droit national devant intervenir avant le 4 juin 2017. Chaque année, les États membres devront transmettre à la Commission européenne une évaluation de l’efficacité de l’échange automatique des déclarations pays par pays, ainsi que les résultats pratiques obtenus.
Ce matin, lors de l’examen en commission de l’amendement déposé par nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen, j’ai déclaré vouloir demander en séance à M. le secrétaire d'État qu’il s’engage à transmettre cette évaluation, en prenant pour base juridique l’article 136 de la loi de finances pour 2011, issu, d'ailleurs, de l’adoption d’un amendement dont MM. Sapin et Eckert étaient cosignataires. Je prends donc bonne note, monsieur le secrétaire d'État, de l’engagement à communiquer cette évaluation au Parlement que vous venez de prendre.
Deuxièmement, un enjeu particulier réside dans la conclusion rapide d’accords bilatéraux avec les États qui n’ont pas signé le présent accord multilatéral et qui hébergent le siège de nombreux grands groupes d’entreprises internationales.
Alors que le consensus né des négociations du projet BEPS, cristallisé dans les recommandations des rapports finaux d’octobre 2015, doit être transposé dans le droit, il convient que tous les États s’engagent. Je pense particulièrement aux États-Unis, qui ont introduit la déclaration pays par pays dans leur droit interne pour les exercices ouverts à compter du 30 juin 2016. Selon les informations qui m’ont été transmises, les États-Unis ont proposé à la France d’engager les négociations préalables à la conclusion d’un accord bilatéral d’échange. Mais cette matière relève des prérogatives du pouvoir exécutif : le renouvellement de l’administration américaine ne peut qu’accentuer nos incertitudes sur la position réelle des États-Unis sur ce dossier. Or leur implication est indispensable à deux titres : pour récupérer les données des groupes américains, mais aussi pour ne pas menacer le consensus né des négociations sur le projet BEPS.
Troisièmement, le projet BEPS prévoit une clause de réexamen en 2020. Grâce à une mise en œuvre rapide, un premier retour d’expérience sera possible. Pour autant, le clivage qui existait, notamment, entre les pays hébergeant le siège de nombreux groupes et les autres, concernant les données à inclure dans la déclaration ou le seuil de chiffre d’affaires à partir duquel les entreprises y seront assujetties pourrait à nouveau apparaître. Surtout, la volonté des États-Unis de privilégier la conclusion d’accords bilatéraux négociés au cas par cas par rapport à celle d’un accord multilatéral souligne la nécessité de faire preuve de vigilance dans la mise en œuvre de l’échange automatique. Cet aspect est d’autant plus important que le multilatéralisme, s’il symbolise une volonté commune, conduit à inclure des États pour lesquels l’étanchéité des barrières entre services fiscaux et entreprises publiques doit être encore éprouvée.
Sous le bénéfice des observations qui précèdent, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter le présent projet de loi de ratification sans modification, afin d’éviter une navette qui nous ferait inutilement perdre du temps en l’occurrence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. –M. André Gattolin applaudit également.)
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Très bien !
M. le président. J’appelle chacun des orateurs à respecter son temps de parole, dans la mesure où je devrai suspendre la séance à treize heures trente précises, les questions d’actualité débutant à quinze heures.
La parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du RDSE.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons à notre tour le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord multilatéral sur le reporting pays par pays.
Signé à Paris il y a tout juste un an, sous l’égide de l’OCDE – saluons au passage le dynamisme de cette organisation internationale –, cet accord rassemble une cinquantaine de pays unis par la volonté de lutter plus efficacement contre l’érosion des bases fiscales et les transferts de bénéfices vers les paradis fiscaux.
Ce dispositif, déjà introduit dans le droit français par l’article 121 de la loi de finances pour 2016, oblige les entreprises réalisant plus de 750 millions d’euros de chiffre d’affaires dont le siège social est situé dans un pays donné à fournir à l’administration fiscale de ce pays une déclaration unique indiquant la répartition, pays par pays, de leurs bénéfices, mais aussi des principaux agrégats économiques, comptables et fiscaux. Il prévoit également l’échange automatique de ces déclarations avec les administrations fiscales étrangères ayant adopté un dispositif équivalent.
Une fois ratifié, l’accord permettra de mieux connaître les filiales des multinationales, en particulier de révéler les éventuelles discordances entre la localisation de leurs activités et celle de leur imposition. Je pense notamment aux firmes Google et Apple, dont les bénéfices réalisés en France sont imposés – faiblement - en Irlande.
L’accord respecte les principes de protection des données et de confidentialité, conformément à la convention internationale de 1988 relative à l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, ce qui exclut notamment le reporting public.
Fruit d’un remarquable travail de négociation engagé en 2012 lors de la réunion du G20 de Los Cabos, cet accord va dans le bon sens. Il complète et généralise les accords bilatéraux conclus ces dernières années par la France avec certains pays, notamment les nouvelles conventions fiscales avec le Luxembourg, l’Allemagne, la Suisse, Singapour et, dernièrement, la Colombie. Le RDSE ne peut donc qu’approuver sa ratification, la mise en application étant prévue au deuxième semestre de 2018.
J’émettrai une réserve, de taille : les États-Unis préfèrent – il s’agit d’une tradition diplomatique bien ancrée chez eux – recourir à des accords bilatéraux. Ainsi, malgré le poids non négligeable des autres pays, notamment européens, l’absence de la première puissance mondiale réduit nécessairement la portée de l’accord, d’autant qu’il est permis de douter que la nouvelle administration américaine se montre particulièrement ouverte sur ce sujet…
Par ailleurs, rappelons que le reporting ne permet, en principe, à l’administration fiscale que de procéder à une « analyse de risque », et non à des redressements fiscaux, pour lesquels une enquête approfondie reste nécessaire.
Malgré ces réserves, le groupe du RDSE approuvera à l’unanimité cet accord, qui constitue un progrès. (M. André Gattolin applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour le groupe de l'UDI-UC.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, ce projet de loi a trait à un sujet de préoccupation partagé sur toutes les travées de la Haute Assemblée, puisqu’il tend à autoriser l’approbation d’un accord multilatéral visant à permettre l’échange automatique des déclarations des sociétés mères auprès des autorités fiscales de l’État de résidence.
À ce jour, cinquante États et territoires ont signé cet accord, dont l’objet est de doter les parties d’un nouvel instrument leur permettant de disposer d’informations sur les plus grandes entités multinationales et de fixer des priorités en matière de contrôles fiscaux à réaliser.
Cette étape significative – qui n’est sans doute pas la dernière – mérite d’être franchie. Il s’agit de la concrétisation juridique des engagements pris par les pays du G20 dans le cadre des travaux conduits par l’OCDE en vue d’apporter des solutions concrètes pour éliminer les failles permettant aujourd’hui à des sociétés d’organiser, par le biais de mécanismes d’optimisation permis par la combinaison de différentes législations fiscales, la « disparition » de leurs bénéfices ou le transfert artificiel de ces derniers vers des juridictions à faible fiscalité. Il s’agit d’une lutte perpétuelle qui devra être encore confortée.
Les prix de transfert, qui permettent d’ajuster la répartition de l’assiette taxable des bénéfices des entreprises multinationales, constituent une pratique d’optimisation fiscale particulièrement préjudiciable aux intérêts des États.
La France a déjà inscrit dans son droit interne, via la loi de finances pour 2016, l’obligation, pour les entreprises multinationales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros, de déclarer à l’administration fiscale la répartition, pays par pays, des bénéfices et principaux agrégats économiques, comptables et fiscaux, ainsi que de communiquer des informations sur la localisation et l’activité des entités les constituant. L’article 223 quinquies C du code général des impôts prévoit également l’échange automatique de ces déclarations avec les administrations fiscales étrangères dotées d’un dispositif équivalent.
En effet, une fois la capacité de collecte d’informations organisée, il faut mettre en place les conditions de l’échange entre les pays s’étant conformés à la recommandation n°13 de l’OCDE. Tel est l’objet de cet accord.
Avec ce dispositif, l’efficacité du contrôle fiscal des grands groupes peut être renforcée par la mise à disposition d’une information pays par pays, couvrant une grande variété d’agrégats économiques. Le seuil retenu permettra de couvrir les 10 % d’entreprises multinationales réalisant environ 90 % du chiffre d’affaires mondial.
L’optimisation fiscale internationale cause un préjudice de grande ampleur aux finances publiques des États : les pertes de recettes au titre de l’impôt sur les bénéfices sont de l’ordre de 100 milliards à 240 milliards de dollars par an. Elle crée également des distorsions de concurrence entre opérateurs économiques.
Avec la crise financière de 2008, les États membres du G20 ont pris conscience des coûts de l’évasion fiscale et ont érigé en priorité la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, afin d’améliorer la transparence du système financier international.
Il s’agit d’un enjeu majeur pour notre pays, qui a toujours soutenu cette démarche. Cet accord constitue le début d’une concrétisation que d’aucuns pourront juger tardive, voire timorée. Nous l’approuverons, en ayant conscience que, comme l’a dit monsieur le secrétaire d’État voilà quelques instants, nous ne sommes pas au bout du chemin. (M. François Marc applaudit.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour le groupe écologiste.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, « les paradis fiscaux […], c’est terminé », nous avait assuré, sans vraiment nous rassurer, le président Sarkozy le 23 septembre 2009. Depuis, nous avons connu, entre autres « Leaks », le SwissLeaks, le LuxLeaks, les Panama papers, le FootLeaks… La liste ne cesse de s’allonger.
L’accord du 27 janvier 2016, que nous sommes appelés à approuver, concrétise une avancée majeure dans la lutte contre l’évasion fiscale et le secret bancaire.
Mis en œuvre à l’échelle de cinquante États, la déclaration standardisée, pays par pays, et l’échange automatique des données entre administrations fiscales sont clairement de nature à entraver les transferts abusifs de bénéfices opérés par les grands groupes multinationaux à des fins d’optimisation fiscale dite « agressive ».
Pour autant, cet accord ne marquera pas la fin du dévoiement des règles fiscales par certaines entreprises ou par certains États.
En effet, au-delà des limites du dispositif de l’accord, que notre rapporteur a parfaitement exposées, force est de constater que toutes les difficultés auxquelles nous faisons face aujourd’hui, y compris au cœur de l’Union européenne, ne sont pas abordées.
Premièrement, si je me félicite, bien évidemment, de l’enquête lancée, vendredi dernier, par la médiatrice européenne sur les liens de M. Draghi avec l’industrie financière, je reste profondément atterré par notre tolérance collective aux conflits d’intérêts.
Comment peut-on espérer lutter sérieusement contre l’évasion fiscale quand on porte à la présidence de la Commission européenne M. Jean-Claude Juncker, principal artisan du LuxLeaks, ou quand on autorise son prédécesseur, M. Barroso, à partir faire fructifier son carnet d’adresses chez Goldman Sachs ?
M. Éric Bocquet. Très bien !
M. André Gattolin. Deuxièmement, malgré quelques avancées en France au travers de la loi Sapin II, la protection des lanceurs d’alerte reste, selon moi, très insuffisante. Ceux de l’affaire LuxLeaks, par exemple, sont jugés sans recevoir le moindre soutien politique des gouvernements européens, alors même qu’ils ont grandement contribué, en dénonçant des pratiques désormais considérées illégales, à faire évoluer la législation.
Troisièmement, la lutte contre l’évasion fiscale ne sera pleinement assumée et comprise que lorsque nous obtiendrons enfin la publicité intégrale des données des grands groupes, à l’échelon européen pour vaincre les réticences, discutables à mon sens, de notre Conseil constitutionnel.
Enfin, nous devons être très lucides sur la translation qui s’opère depuis quelques années : entre 2000 et 2015, parallèlement à la lutte contre les paradis fiscaux, le taux moyen d’imposition sur les sociétés au sein de l’OCDE est passé de 32 % à 25 %. Ainsi, en l’absence d’une véritable harmonisation à l’échelle européenne, c’est toujours le moins-disant fiscal qui est la norme.
Néanmoins, parce que cet accord constitue bien évidemment une étape utile et nécessaire, le groupe écologiste votera en faveur de son approbation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. François Marc, pour le groupe socialiste et républicain.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je me félicite que ce projet de loi soit débattu aujourd’hui dans notre hémicycle, après avoir été adopté à l’unanimité par nos collègues députés.
Un chiffre doit d’emblée nous interpeller : on évalue entre 100 milliards et 240 milliards de dollars la perte de recettes causée, à l’échelle mondiale, par les diverses stratégies d’évitement de l’impôt sur les sociétés mises en œuvre par les grands groupes multinationaux…
En réponse à cette situation, et en application de l’accord BEPS, la loi de finances pour 2016 a institué une obligation, pour les plus grandes entreprises, de déclarer à l’administration fiscale la répartition, pays par pays, des bénéfices et des principaux agrégats économiques comptables et fiscaux.
Un accord multilatéral a ensuite été signé, le 27 janvier 2016 à Paris, afin de permettre l’échange automatique des données collectées. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, cinquante États l’ont déjà signé, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Sans revenir sur le fond de l’accord, je soulignerai que l’ensemble de ces mesures s’inscrit dans la droite ligne de l’action résolue menée par le Gouvernement depuis 2012 afin de lutter contre l’optimisation et l’évasion fiscales. Cette action ne cesse de faire la preuve de son efficacité : ainsi, en 2015, plus de 20 milliards d’euros ont été redressés, soit 5 milliards de plus qu’en 2012.
Le volontarisme du Gouvernement en la matière s’illustre donc tout d’abord au niveau national : depuis le début du quinquennat, plus de soixante-dix mesures de lutte contre la fraude fiscale ont été adoptées. Certaines d’entre elles visent tout particulièrement les fraudes reposant sur la dissimulation d’avoirs à l’étranger : je pense à la création du parquet national financier, à la taxation à hauteur de 60 % des avoirs détenus à l’étranger non déclarés dont la provenance n’est pas justifiée, ou encore à l’extension de six à dix ans des délais de reprise en matière d’impôt sur la fortune et de droits de succession au titre des biens ou droits non déclarés à l’étranger… La liste est longue, monsieur le secrétaire d’État, et nous devons saluer la détermination dont vous avez su faire preuve sur ces sujets.
Au-delà de ces mesures nationales, la France est également à la pointe de la lutte contre la fraude fiscale au niveau européen et international.
Il en est tout d’abord ainsi en matière d’échange automatique d’informations, que l’Union européenne et près de cent pays se sont engagés à mettre en œuvre – pour la plupart, dès 2017 –, après un long travail de conviction dans lequel la France a joué un rôle moteur.
La France s’est également investie dans la lutte contre l’érosion des bases fiscales. Elle travaille actuellement, avec près de quatre-vingt-dix autres pays, à la rédaction d’un instrument multilatéral qui puisse être adopté prochainement.
Notre pays tente, en outre, de faire la transparence sur les fameux tax rulings, ces accords secrets négociés de gré à gré entre une entreprise et le fisc.
Grâce à l’ensemble de ces mesures, notre politique en matière de lutte contre la fraude fiscale a été saluée par de nombreux acteurs : non seulement par des associations luttant de longue date contre ce fléau, telles que CCFD-Terre solidaire ou Oxfam, mais aussi par la Cour des comptes, qui a attesté d’une « impulsion politique nouvelle » faisant de la lutte contre la fraude fiscale « une priorité ». En outre, Pascal Saint-Amans, chargé de la lutte contre les paradis fiscaux à l’OCDE, confirme que la France est le pays le plus ferme au plan mondial sur ce sujet, avec l’Inde et le Brésil notamment.
Enfin, preuve que la politique mise en place par le Gouvernement fonctionne, les recettes liées aux redressements fiscaux ont progressé de 20 % en deux ans. Sur les plus de 20 milliards d’euros de redressements notifiés en 2015, les 12 milliards d'ores et déjà perçus représentent davantage que les budgets de la justice, de la culture et de l’aide au développement réunis, et autant que celui du ministère de l’intérieur ! Ces recettes supplémentaires liées à la lutte contre la fraude ont permis d’instaurer une baisse des impôts pour les classes moyennes et populaires.
Ce sont là, mes chers collègues, autant de motifs de satisfaction en matière de lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscales, que l’adoption – à l’unanimité, je l’espère – de ce projet de loi viendra renforcer efficacement. (Mme la présidente de la commission et M. le rapporteur applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour le groupe CRC.
M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà seulement quelques semaines, plusieurs membres de la Haute Assemblée saisissaient le Conseil constitutionnel sur le contenu de la loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite loi « Sapin 2 », notamment sur les articles concernant la publicité relative accordée au report des états comptables par pays d’implantation des entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 750 millions d’euros.
Cette mesure, déjà applicable au secteur bancaire et financier depuis la loi de séparation et de régulation des activités bancaires, était notamment contestée au motif que, selon les députés et sénateurs requérants, « les dispositions de l’article L. 225-102-4 du code de commerce méconnaissent la liberté d’entreprendre dès lors qu’elles contraignent les sociétés françaises à divulguer au public des informations de nature à révéler leur stratégie commerciale ».
Par ailleurs, pour faire bonne mesure, les sénateurs requérants soutenaient également que « l’obligation ainsi instituée fait peser sur les sociétés qui y sont soumises une charge excessive contraire au principe d’égalité devant les charges publiques ».
Rappelons tout de même qu’il s’agit d’entreprises réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 750 millions d’euros : on est très loin de la PME locale.
Les sages de la rue de Montpensier n’ont pas remis en question la volonté de lutter contre la fraude fiscale, objectif de valeur constitutionnelle, mais ils se sont tout de même permis une petite entorse au principe en indiquant, pour justifier la censure de l’article, que « l’obligation faite à certaines sociétés de rendre publics des indicateurs économiques et fiscaux correspondant à leur activité pays par pays est de nature à permettre à l’ensemble des opérateurs qui interviennent sur les marchés où s’exercent ces activités, et en particulier à leurs concurrents, d’identifier des éléments essentiels de leur stratégie industrielle et commerciale. Une telle obligation porte dès lors à la liberté d’entreprendre une atteinte manifestement disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. »
Au regard des arguments invoqués et du texte dont nous débattons aujourd’hui, on constate que 200 sociétés mères et 1 200 filiales, constituant l’essentiel de l’économie de notre pays, de sa valeur ajoutée, de son produit intérieur brut et de son commerce extérieur, seront directement concernées. Le régime fiscal des groupes est une « dépense fiscale » essentielle du droit français.
Il nous semble donc logique d’y regarder d’un peu plus près. Le jugement rendu la semaine dernière dans l’affaire Wildenstein rappelle combien il est nécessaire de mieux armer le Parlement sur ces questions. Le tribunal a en effet précisé qu’il n’avait pas à se substituer au législateur et à pallier les silences de la loi. Mes chers collègues, nous sommes le législateur. Il nous reste encore de grands progrès à accomplir, mais nous voterons ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dominati, pour le groupe Les Républicains.
M. Philippe Dominati. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il nous est proposé, au travers du présent projet de loi, d’approuver un accord multilatéral conclu voilà très exactement un an, le 27 janvier 2016.
Cet accord constitue un pas important dans la lutte contre l’évasion fiscale. Il est l’aboutissement d’un long processus de réflexion mené par l’OCDE, notamment depuis 2013, à la demande du G20.
Au-delà de la lutte contre les paradis fiscaux et le secret bancaire, l’OCDE a souhaité étendre son action à certaines pratiques d’optimisation fiscale à travers le projet BEPS de lutte contre l’érosion des bases fiscales et le transfert des bénéfices.
Ainsi, l’accord de janvier 2016 va permettre de rendre automatiques les échanges de déclarations, pays par pays, concernant les prix de transfert des grandes multinationales.
Le principe du reporting pays par pays avait été adopté dans la loi du 30 décembre 2015 de finances pour 2016. L’obligation déclarative avait été créée, mais l’échange automatique des données, sous condition de réciprocité, dépendait de l’adoption d’un accord international, qui fut signé quelques semaines plus tard, le 27 janvier 2016.
Le présent projet de loi va permettre d’approuver cet accord et de mettre en œuvre l’échange des déclarations pays par pays. Il faut noter que plusieurs tentatives des « frondeurs » de gauche visant à élargir l’assiette des entreprises concernées et à rendre publiques les informations ont échoué.
L’article 137 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin 2 », a été censuré le 8 décembre dernier par le Conseil constitutionnel, au motif que la publicité des informations relatives à ces entreprises portait une atteinte manifestement disproportionnée à la liberté d’entreprendre.
Cet accord de janvier 2016 vise donc à lutter contre des pratiques abusives de certaines multinationales, liées aux prix de transfert. Il s’agit des prix auxquels des entreprises d’un même groupe multinational, situées dans des États différents, se vendent des biens corporels, actifs incorporels ou services.
Cette question est importante pour les administrations fiscales des pays concernés, car le transfert de bénéfices, à travers ces biens, actifs ou services, vers un pays à la fiscalité plus avantageuse peut permettre à des multinationales de diminuer de manière importante le montant de leur impôt sur les sociétés. Bercy évalue entre 100 milliards et 240 milliards d’euros les pertes de recettes fiscales, à l’échelle mondiale, du fait de ces stratégies d’évitement.
Les prix de transfert doivent donc être fixés dans des conditions identiques à celles auxquelles sont soumises des entreprises concurrentielles. Pour vérifier ces prix, les administrations fiscales bénéficieront d’informations contenues dans les déclarations obligatoires transmises par les grandes multinationales, qu’elles s’échangeront automatiquement. Jusqu’à présent, elles n’avaient accès qu’aux informations concernant l’entité du groupe multinational présente sur leur territoire.
L’accord de janvier 2016 a été signé par quarante-neuf pays, notamment par neuf des dix pays hébergeant le plus grand nombre de sièges sociaux des 500 plus grandes entreprises mondiales.
Toutefois, le fait que les États-Unis, qui privilégient les accords bilatéraux, ne l’aient pas signé limite la portée de cet accord, d’autant que la nouvelle administration américaine de Donald Trump souhaite rapatrier aux États-Unis les bénéfices des entreprises américaines localisées à l’étranger. La position du Royaume-Uni pourrait également évoluer à la suite du Brexit.
Le présent projet de loi vise plus précisément à mettre en œuvre l’action 13 du projet BEPS, notamment l’obligation, pour les grandes entreprises multinationales, de déposer chaque année une déclaration pays par pays retraçant, pour chacune des juridictions fiscales où elles exercent des activités, des éléments relatifs au chiffre d’affaires, au bénéfice ou à la perte avant impôts, aux impôts sur les bénéfices réellement acquittés ou dus pour l’année en cours, au capital social, aux bénéfices non distribués, au nombre d’employés, ainsi qu’aux actifs corporels hors trésorerie et équivalents de trésorerie.
Afin de limiter la charge pesant sur les entreprises du groupe et de garantir davantage la confidentialité des données, une déclaration unique, pays par pays, est déposée, en principe dans la juridiction de résidence fiscale de la société mère. Elle fait ensuite l’objet d’une transmission automatique aux administrations fiscales des pays dans lesquels les filiales du groupe sont présentes, sous réserve de réciprocité.
Cette déclaration ne concerne que les grandes entreprises multinationales dont le chiffre d’affaires annuel consolidé dépasse 750 millions d’euros, afin que cette charge déclarative ne soit imposée qu’aux plus grandes entreprises, qui concentrent l’essentiel du chiffre d’affaires mondial. Cette obligation déclarative ne concernerait ainsi que 10 % des groupes d’entreprises multinationales, représentant environ 90 % du chiffre d’affaires agrégé des sociétés mondiales. En France, environ 200 sociétés mères et 1 200 filiales seraient concernées. Comme je l’ai déjà indiqué, les informations ne seront pas publiques, mais confidentielles. Enfin, une clause de réexamen en 2020 est prévue.
Sous réserve de quelques interrogations d’ordre technique, la commission des finances a adopté sans modification ce projet de loi, conformément à la position de son rapporteur Éric Doligé, dont je tiens à saluer la qualité du travail.
En conséquence, conformément à la position que nous avons adoptée en commission, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains – MM. Yvon Collin et Capo-Canellas applaudissent également.
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi autorisant l’approbation de l'accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange des déclarations pays par pays
Article unique
Est autorisée l’approbation de l’accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l'échange des déclarations pays par pays, signé à Paris le 27 janvier 2016, et dont le texte est annexé à la présente loi.
M. le président. Je mets aux voix l'article unique.
(L'article unique est adopté.)
Article additionnel après l'article unique
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Bocquet, Mme Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l'article unique
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La mise en œuvre de l’accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange des déclarations pays par pays fait l’objet d’un rapport annuel au Parlement, déposé lors de la première quinzaine d’octobre.
La parole est à M. Éric Bocquet.
M. Éric Bocquet. L’amendement est défendu.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Éric Doligé, rapporteur. La commission estime que cet amendement est satisfait, au regard de l’engagement pris par le Gouvernement. C’est la raison pour laquelle, monsieur Bocquet, je vous demande de bien vouloir le retirer ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. L’engagement que j’ai pris devant la Haute Assemblée est de nature à donner satisfaction aux auteurs de cet amendement.
J’ajouterai qu’une modification du texte entraînerait une navette, ce qui, compte tenu de la suspension prochaine des travaux parlementaires, ne paraît guère souhaitable au regard de l’objectif que nous partageons tous.
Je souhaiterais que M. Bocquet accepte de retirer cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Bocquet, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Éric Bocquet. Oui, monsieur le président.
M. le président. Personne ne demande la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, l'ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange des déclarations pays par pays.
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures vingt-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
M. le président. La séance est reprise.
11
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur France 3, Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
Mes chers collègues, j’appelle chacun de vous à observer, au cours de nos échanges, l’une des valeurs essentielles du Sénat : le respect des uns et des autres.
Je demande également à chaque intervenant de respecter le temps de parole qui lui est imparti.
relations entre la france et les états-unis
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Martial Bourquin. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Depuis son accession à la Maison-Blanche, le président Donald Trump semble déterminé à mettre en œuvre rapidement ses promesses de campagne : retrait des États-Unis du traité transpacifique, instauration de mesures protectionnistes fiscales et douanières, remise en cause des stratégies de défense européennes, du fait de sa position sur l’OTAN.
L’équilibre mondial, tel qu’instauré depuis 1945, fondé sur le libre-échange et la sécurité collective, va certainement devoir être réorganisé, et nos relations commerciales avec les États-Unis, en particulier, devront être repensées en les fondant sur un principe fondamental, celui de la réciprocité absolue. La France et l’Europe ne sont pas un supermarché à ciel ouvert ; M. Trump devra intégrer cette réalité.
Sur la base de ce constat, les bonnes questions doivent être posées. Nous devrons probablement reconfigurer l’Union européenne et sa défense.
La France doit réfléchir à l’avenir de son économie, tout en respectant ses engagements internationaux. Nous pensons que la COP 21 est une grande opportunité à saisir, et non un obstacle à notre développement économique : ses dispositions doivent constituer le fondement pour réindustrialiser notre pays et décarboner notre société.
La France et l’Europe seront confrontées à des défis nouveaux. Nous avons les moyens d’y faire face, à condition de prendre les bonnes décisions.
Je souhaiterais, monsieur le Premier ministre, connaître la position du Gouvernement sur les orientations géostratégiques à prendre par la France, ainsi que sur l’attitude que notre pays et l’Europe doivent adopter face aux États-Unis. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur un sujet qui suscite une grande inquiétude au sein de la communauté internationale, et plus particulièrement de l’Union européenne.
Le président Trump, pendant sa campagne et depuis qu’il est entré en fonction, a multiplié les déclarations qui surprennent, inquiètent et appellent ceux qui sont attachés à un ordre du monde articulé autour des valeurs de liberté, de tolérance et de respect à porter haut ces valeurs dans le dialogue permanent qu’entretiennent les grandes nations. C’est la volonté de la France de le faire.
Tout d’abord, les Européens doivent prendre en main leur destin. C’est la politique constante de la France et, avec elle, de l’Allemagne.
Cela signifie que nous devons impérativement faire en sorte que l’Europe soit en situation de protéger son territoire. Face à la menace terroriste, nous devons être capables d’assurer le contrôle des frontières extérieures de l’Union européenne. FRONTEX, qui est désormais dotée d’un budget de 250 millions d’euros et de 1 700 gardes-côtes et gardes-frontières, doit monter en puissance. C’est la raison pour laquelle, lorsque j’étais ministre de l’intérieur, j’avais demandé, avec mon homologue allemand Thomas de Maizière, que nous menions des exercices grandeur nature, afin d’éprouver la fiabilité de ce dispositif de contrôle.
Nous devons non seulement contrôler les frontières extérieures de l’Union européenne, mais également mettre en œuvre la modification de l’article 7-2 du code frontières Schengen. Nous devons organiser aux frontières extérieures de l’Union européenne le contrôle de toutes les entrées, y compris – j’insiste sur ce point – celles de ressortissants de l’Union européenne qui reviennent de théâtres d’opérations djihadistes avec la volonté de nous frapper.
L’interconnexion des fichiers, la mise en œuvre du PNR, la directive sur les armes à feu sont autant de sujets essentiels sur lesquels nous devons agir vite. En effet, le temps de la décision des institutions de l’Union européenne n’est pas toujours le temps des urgences auxquelles nous sommes confrontées, du fait des menaces que l’on sait.
Nous devons ensuite défendre le modèle de société auquel nous sommes attachés. Vous évoquiez la défense de nos intérêts économiques. Ainsi, lorsque des traités sont soumis à la délibération de l’Union européenne, comme cela a été le cas pour le TAFTA, nous devons impérativement nous battre pour que nos intérêts économiques et industriels soient préservés. Si les États-Unis adoptent une approche consistant à se replier sur eux-mêmes pour défendre les intérêts de leurs filières – celles-ci ne manqueront d’ailleurs pas, je pense, de rappeler au président Trump tous les dangers du protectionnisme –, nous devrons apporter une réponse adéquate en sortant d’une forme de naïveté et d’angélisme et en étant capables de promouvoir nos filières d’excellence avec toute la force de l’Union européenne. De ce point de vue, la mise en place du plan Juncker de 300 milliards d’euros, destiné à conforter ces filières, sera un élément déterminant de notre politique.
En ce qui concerne le climat, les propos tenus par le président Trump au sujet de la COP 21 ne peuvent être acceptés. Compte tenu du rôle déterminant joué par la France au moment de la conclusion de l’accord de la COP 21, nous agirons, au sein de l’Union européenne, pour que l’ensemble des décisions prises à cette occasion soient rigoureusement appliquées.
Enfin, la défense européenne ne doit plus être un simple concept, mais une réalité. Ainsi, des pays ne doivent pas être conduits, parce qu’ils disposent d’une capacité de projection de leurs forces, à en assumer seuls la responsabilité pour la totalité du continent européen. Si les choses ont beaucoup progressé de ce point de vue sous l’impulsion du président français, nous devons aller plus loin et être capables, avec le Fonds européen de la défense, de faire des investissements et de réaliser des unions entre les industries de défense, pour être à la hauteur des défis auxquels nous sommes confrontés. Le Président de la République est déterminé à continuer à agir selon cet agenda extrêmement précis, avec la Chancelière et l’ensemble des chefs d’État concernés de l’Union européenne, comme il le fait déjà depuis quatre ans et demi. L’actualité à laquelle nous sommes confrontés doit nous amener à atteindre ces objectifs plus rapidement encore. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
substances toxiques dans les produits pour bébés
M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, pour le groupe de l’UDI-UC.
Mme Élisabeth Doineau. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Grosdidier. Bienvenue au Sénat, madame la ministre !
Mme Élisabeth Doineau. Mardi dernier, le magazine 60 millions de consommateurs révélait les résultats, surprenants et effrayants, de son enquête sur la composition des couches pour bébés. Les produits d’une douzaine de grandes marques ont été testés : ceux de deux d’entre elles seulement ne contiennent aucune molécule à la dangerosité suspectée ou avérée. Le plus incroyable est que certaines couches dites « écologiques », que l’on pourrait imaginer plus naturelles, contiennent des résidus toxiques.
Quelles sont les substances nocives trouvées, à une teneur certes résiduelle, mais dont la présence dans un produit en contact direct avec la peau fragile des bébés est néanmoins indésirable ? Il s’agit de pesticides, dont le glyphosate, principe actif de l’herbicide Roundup, retrouvé dans l’une des marques « écologiques », de dioxines, comme les furanes, polluants de l’environnement, de composés organiques volatils, pour neuf des produits testés, d’un hydrocarbure aromatique polycyclique, polluant industriel, pour une marque.
Avouons qu’il y a de quoi avoir peur ! Heureusement, l’article précise que les doses relevées sont infimes. Cela doit-il pour autant nous rassurer ?
Madame la ministre, vous avez saisi mercredi l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, afin de procéder à une analyse des risques. Cette contre-expertise permettra, je l’espère, d’apporter toutes les précisions nécessaires.
Mais nous devons aller plus loin. Nos concitoyens sont en droit de connaître la composition des produits qu’ils achètent. La transparence, obligatoire pour ce type de produits, doit conduire à une totale traçabilité, grâce à un étiquetage précis.
Par ailleurs, une réglementation doit être élaborée, avec des seuils prenant en compte la durée d’exposition. Enfin, il est urgent de faire appliquer par les fabricants un cahier des charges de nature à assurer le respect de l’environnement, certes, mais surtout à protéger la santé de nos enfants. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. Madame la sénatrice, vous avez raison d’être en colère. J’ai éprouvé le même sentiment en découvrant les résultats de cette enquête.
Voilà quelque temps, j’ai interdit le bisphénol A dans les biberons et les jouets destinés aux nourrissons et aux enfants. Jamais je n’aurais pu imaginer que des couches pour bébés puissent contenir des produits toxiques !
J’ai immédiatement saisi l’ANSES et écrit à la Commission européenne, mais il faudrait tout de même que les industriels fassent preuve d’un minimum d’éthique et que l’on ne soit pas toujours obligé de contrôler, de sanctionner et de réglementer. La santé des consommateurs, notamment celle des plus fragiles d’entre eux, à savoir les nourrissons, doit être respectée !
Les produits de dix marques, sur douze testées, contiennent des produits toxiques, notamment du glyphosate, substance active du Roundup, dont nous avons interdit la commercialisation directe et qui a été détecté dans les couches Carrefour Baby Eco Planet, marque prétendument respectueuse de l’environnement, et Pampers. Dans la quasi-totalité des couches testées, on trouve des composés organiques volatils entrant dans la formule de multiples produits industriels. Leur inhalation peut avoir des conséquences néfastes sur le système pulmonaire lorsqu’ils s’évaporent.
Ce matin, en présence d’Irène Frachon, le médecin ayant révélé l’affaire du Mediator, et de Sylvie Metzelard, rédactrice en chef de 60 millions de consommateurs, j’ai mis en place la Commission nationale de déontologie et des alertes en matière de santé publique, présidée par votre collègue Marie-Christine Blandin. J’ai demandé à cette instance d’établir la réglementation que vous venez d’évoquer, madame la sénatrice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste.)
relations diplomatiques avec les états-unis
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Raffarin. Ma question s’adresse à M. le Premier ministre. Elle concerne la dégradation de la situation internationale, qui nous préoccupe tous.
Les foyers de crise se multiplient, le terrorisme frappe partout, les États puissants sont de retour, le désordre international s’installe. Partout, le monde s’arme ; partout, la paix recule ; partout, la force prévaut. Dans ce contexte dangereux, le président des États-Unis s’attaque brutalement aux valeurs de la diplomatie française.
Trois offensives de M. Trump sont inacceptables.
Il s’agit, d’abord, du retour à l’extrême protectionnisme et à l’isolationnisme. Les tensions qui vont ainsi se développer entre les grandes puissances, entre les États-Unis et la Chine, entre la Chine et la Russie, n’annoncent rien de bon. La remise en cause du multilatéralisme va à l’encontre de notre attachement au rôle de l’ONU et de son conseil de sécurité. L’accord de Paris et l’accord sur le nucléaire iranien, victoires du multilatéralisme, sont aujourd'hui remis en question.
La mise en œuvre de la stratégie de déconstruction de l’Union européenne se poursuit : le soutien américain au Brexit, la fragilisation de l’OTAN et la campagne permanente contre l’euro sont inacceptables.
Monsieur le Premier ministre, quels changements comptez-vous apporter à notre orientation diplomatique à l’égard des États-Unis ? Quelles initiatives les autorités françaises comptent-elles prendre, et selon quel calendrier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Monsieur Raffarin, je tiens tout d’abord à vous remercier de votre question, à la fois précise et large, comme celle de M. Bourquin.
Quels que soient les propos parfois excessifs tenus en début de mandat par un responsable politique à la tête d’une grande puissance, l’histoire des derniers siècles montre que l’on ne peut rien contre la force de l’histoire, des valeurs et des liens construits dans le temps long de l’histoire, pour reprendre une notion chère à Fernand Braudel.
Que nous indique ce temps long de l’histoire ? Que nous sommes unis aux États-Unis, de façon irréversible, par des valeurs qui ont conduit les Américains à prendre leurs responsabilités devant l’histoire et à venir fouler le sol de notre pays pour que l’ensemble de l’Europe puisse recouvrer sa liberté. En tant qu’élu de Normandie, je n’oublie pas cette histoire glorieuse, puissante, qui unit nos deux pays. Nous partagions alors une même aspiration à la liberté, à la lutte contre le totalitarisme, une même conception de la tolérance et, surtout, du respect que les grandes nations se doivent les unes aux autres, sans lequel il n’y a pas de stabilité du monde.
Je crois que cette histoire-là est plus forte que tout. La première chose que nous avons à faire, dans le calme et la maîtrise, c’est de rappeler, en France et en Europe, l’indestructibilité de ces liens.
Par ailleurs, il nous faut agir, et vite, d’abord au sein de l’Union européenne, pour que, sur les trois sujets que vous avez évoqués, notre réponse soit claire et ferme.
S’agissant de l’environnement et de la COP 21, nous avons obtenu, sous l’autorité du Président de la République, avec Laurent Fabius et Ségolène Royal, ce grand accord parce que nous sommes parvenus à emporter l’assentiment d’autres grandes nations, qui n’étaient pas nécessairement, au départ, acquises à ce que nous proposions. Nous avons réussi parce que la voix de la France a porté et que l’Union européenne s’est exprimée avec elle pour faire en sorte que cet accord soit signé. Nous mettrons la même énergie, monsieur Raffarin, à le faire appliquer. L’Europe, dans son unité et au travers de son dialogue avec d’autres continents, notamment l’Afrique, agira pour que cet accord soit scrupuleusement mis en œuvre, conformément à son texte et à son esprit.
Concernant la déstabilisation du monde par le terrorisme, nous avons, là aussi, une responsabilité commune. Au sein de l’Union européenne, nous avons à faire la démonstration de notre puissance. J’évoquais tout à l’heure les chantiers ouverts : la réforme du code frontières Schengen, la montée en puissance de FRONTEX, la nécessité de mettre en œuvre des décisions que nous avons mis onze ans à prendre –je pense notamment au PNR, désormais adopté, que nous devons mettre en place rapidement, à l’interconnexion des fichiers, à la nécessité d’engager, sur la question migratoire, un dialogue renforcé, au niveau de l’Union européenne, avec le continent africain, notamment les pays de la bande sahélienne, de manière à enrayer, par la coopération et le développement, l’immigration économique.
Quant à l’accord sur le nucléaire iranien, pour lequel la diplomatie française, sous l’autorité de Laurent Fabius, s’était très fortement mobilisée, nous devons le préserver.
Dans cet esprit, nous mettrons à profit tous les rendez-vous internationaux et européens, dans le cadre d’une alliance approfondie avec l’Allemagne. En effet, quand l’essentiel est en cause, c’est l’axe franco-allemand qui doit affirmer les ambitions et indiquer clairement la direction à suivre, pour faire en sorte que les intérêts de l’Europe soient préservés et défendus.
Sur le plan de la défense européenne, il convient, en prenant les dispositions que j’indiquais tout à l’heure en matière de renforcement des politiques de défense, de réaliser les investissements nécessaires, de rassembler nos industries, de renforcer nos capacités de projection.
Nous devrons également défendre nos intérêts économiques et commerciaux, par la mise en place d’une politique européenne dépourvue de toute naïveté, visant à protéger nos filières d’excellence.
Voilà ce que nous ferons, en profitant de toutes les occasions pour promouvoir les politiques utiles, en faisant en sorte, pour répondre à la déstabilisation du monde, que les logiques multilatérales que vous avez évoquées l’emportent sur toutes les formes d’excès et d’outrance, afin que l’ordre du monde soit un ordre de paix, de tolérance, de respect et de liberté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste et de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Raffarin, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Raffarin. Je vous remercie de votre réponse, monsieur le Premier ministre.
Notre diagnostic est plus grave que le vôtre. Nous pensons vraiment que nous devons renouer avec une politique étrangère de la France plus puissante, fondée sur une indépendance nationale s’appuyant elle-même sur une capacité militaire renforcée et sur la dissuasion. Il faut aussi une ambition européenne et la volonté de dialoguer avec tous.
J’ajoute que si, dans la situation troublée que nous connaissons, des efforts militaires sont nécessaires, c’est le développement, autant que la guerre, qui permettra de remédier aux malheurs du monde ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. À titre exceptionnel, je redonne la parole à M. le Premier ministre, pour quelques secondes. Le sujet est d’importance !
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Je vous remercie, monsieur le président.
Bien entendu, les déclarations de fermeté sont importantes, mais les actes comptent davantage. Lorsque nous décidons de mettre fin à la diminution des effectifs au sein de la défense nationale, lorsque nous mettons scrupuleusement en œuvre la loi de programmation militaire, ce qui n’a pas toujours été le cas dans le passé, pour assurer l’efficacité de notre dissuasion, nous répondons très précisément à votre demande.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le Premier ministre.
M. Bernard Cazeneuve, Premier ministre. Lorsque le Président de la République prend les initiatives nécessaires pour que notre diplomatie fasse entendre sa voix sur les sujets que vous avez évoqués, il le fait non pas pour vous faire plaisir, monsieur le Premier ministre Raffarin, mais pour que la France soit à la hauteur du message qu’elle porte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Louis Carrère. À droite, beaucoup avaient voté contre la loi de programmation militaire !
agence des participations de l'état
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin, pour le groupe du RDSE.
M. Yvon Collin. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances. Elle concerne la politique dite de l’« État actionnaire ».
La Cour des comptes a rendu public hier un rapport très critique, dans lequel elle prescrit un régime à l’État actionnaire et appelle le Gouvernement comme le Parlement à réformer l’actionnariat public et à mettre un terme à ce qu’elle nomme des « carences persistantes », dans l’intérêt des contribuables, mais aussi des entreprises concernées.
À l’heure actuelle, quelque 1 800 entreprises sont détenues à titre majoritaire ou minoritaire par l’État, par le biais de l’Agence des participations de l’État, de la Caisse des dépôts et des consignations ou de Bpifrance. Je citerai les plus connues d’entre elles : EDF, ENGIE, Renault, PSA, Air France ou encore Orange. La valeur comptable de ce patrimoine très hétérogène était estimée à 100 milliards d’euros à la fin de l’année 2015. Au sein de ce portefeuille, soixante-deux participations étaient cotées, pour une valorisation totale de 77,4 milliards d’euros.
Selon la Cour des comptes, « l’État peine à être un bon actionnaire », étant « à la fois trop présent dans la gestion et trop peu vigilant comme actionnaire ». La Cour des comptes constate des « conflits d’objectifs et d’intérêts permanents » et regrette que l’État « confonde souvent tutelle et actionnariat », ajoutant que, « pour faire respecter une paix sociale dont il est le garant et le tributaire, il n’est pas rare que l’État sacrifie l’autonomie de gestion de ses entreprises ».
Enfin, la Cour des comptes propose plusieurs pistes de réformes, parmi lesquelles des cessions massives de participations de l’État, autrement dit des privatisations…
M. le Premier ministre a rejeté cette option extrême, au motif qu’elle emporterait un « risque majeur de déstabilisation ». Nous partageons cette position de principe, mais ne pourrait-on pas, pour autant, envisager une cure d’amaigrissement, même de portée réduite, de l’État actionnaire, et ainsi éliminer les « mauvaises graisses », si j’ose dire ?
Plus largement, quelle lecture le Gouvernement fait-il du diagnostic dressé par la Cour des comptes ? Y a-t-il, dans ce rapport, des propositions qui retiennent son attention ? Si oui, lesquelles ? (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé de l'industrie.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé de l'industrie. Monsieur le sénateur, je vous remercie de votre question, qui me permet d’évoquer le rapport de la Cour des comptes sur l’État actionnaire, rendu public hier.
Il est bien sûr important que les politiques publiques soient évaluées. Je profite de cette occasion pour saluer le rapport sur la politique de dividendes de l’État établi au nom de la commission des finances par votre collègue Maurice Vincent et celui du député Guillaume Bachelay portant sur le même sujet.
Ces trois rapports mettent en avant des points positifs.
Tout d’abord, l’État a élaboré une doctrine, présentée en conseil des ministres le 15 janvier 2014, qui fixe très clairement les axes stratégiques suivants : souveraineté, infrastructures vitales, accompagnement de la transition énergétique, évitement des risques systémiques. Il faut avoir en tête ces éléments stratégiques majeurs.
Ces rapports mettent aussi en exergue l’importance de la création de Bpifrance et de l’articulation de sa doctrine d’intervention, qui a été présentée au Parlement en mai 2013.
Ils soulignent également que l’ordonnance du 20 août 2014 clarifie les différents rôles de l’État dans les instances de gouvernance des entreprises. Cela participe de la politique de l’État actionnaire.
La Cour des comptes recommande de fixer des objectifs de détention en capital, mais cela pourrait rendre difficile de réagir rapidement, en fonction des enjeux économiques, dans un monde en constante mutation. Je tiens à appeler l’attention de la représentation nationale sur ce point.
Quant à la recommandation de la Cour des comptes de procéder à un désengagement massif, le Gouvernement considère que la mise en œuvre d’un tel programme constituerait un risque important de fragilisation d’entreprises stratégiques pour le pays.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État.
M. Christophe Sirugue, secrétaire d'État. Pour autant, nous voulons limiter nos participations dans des entreprises, mais dans le cadre d’une démarche de bonne gestion, respectueuse du patrimoine et des orientations stratégiques de l’État, dont le rôle n’est pas de boursicoter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
fermeture de la centrale de fessenheim
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.
M. Jean Desessard. Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mardi 24 janvier, le conseil d’administration d’EDF a adopté un mécanisme d’indemnisation, en contrepartie de l’arrêt de la centrale de Fessenheim.
Le groupe écologiste salue ce premier pas vers la fermeture de la centrale nucléaire la plus vieille, mais aussi la plus dangereuse de France (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.),…
Mme Catherine Procaccia. C’est faux !
M. Jean Desessard. … qui présente un risque plus grand que toutes les autres. (Mme Catherine Troendlé s’exclame.)
En effet, cette centrale est construite sur une faille sismique et à proximité immédiate du Rhin, en zone inondable. Les deux réacteurs de Fessenheim sont posés sur une dalle en béton armé d’une épaisseur d’un mètre, soit une épaisseur plus faible que pour tous les autres réacteurs français et jugée, depuis le drame de Fukushima, insuffisante pour maintenir la centrale en exploitation. De surcroît, la centrale surplombe la plus grosse nappe phréatique d’Europe, qui, de Bâle à Francfort, alimente 6 millions d’Européens en eau.
En contrepartie de la fermeture de Fessenheim, EDF recevra la somme importante de 490 millions d’euros, aura l’autorisation de poursuivre la construction du très contesté EPR de Flamanville et obtiendra une dérogation à la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte pour relancer le deuxième réacteur de la centrale de Paluel, en Seine-Maritime, à l’arrêt depuis l’effondrement d’un générateur de vapeur de 465 tonnes…
Par ailleurs, la décision est suspendue à l’accord de la Commission européenne à une recapitalisation d’EDF par l’État à hauteur de 3 milliards d’euros.
Ces concessions ne sont pas minces. De telles mesures nécessitent un temps d’application long, ce qui risque de repousser au-delà de l’élection présidentielle l’apposition de la signature mettant fin à l’exploitation de la centrale.
Madame la ministre, comment le Gouvernement compte-t-il s’assurer que le processus engagé mardi ira à son terme, quel que soit le résultat de l’élection présidentielle ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Patricia Schillinger applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. Monsieur le sénateur, la décision du conseil d’administration d’EDF à laquelle vous faites référence présente trois avantages.
D’abord, elle entérine la fermeture de la centrale de Fessenheim, qui fonctionne encore grâce à une dérogation et dont l’autorisation arrive de toute manière à échéance au mois de décembre 2022. Les centrales plus récentes n’ont plus l’autorisation de procéder à leur refroidissement en pompant directement l’eau d’un fleuve, en l’occurrence le Rhin. En outre, la centrale de Fessenheim est située sur une faille sismique, et l’un de ses réacteurs est actuellement à l’arrêt. EDF doit rationaliser ses investissements : un certain nombre de réacteurs arrivant au terme de leur durée de vie, il est très important de faire les choix les plus judicieux.
Ensuite, cette décision permettra de débloquer les stratégies d’investissement. Je pense notamment aux investissements franco-allemands. Cela fait longtemps que nous avions promis aux Allemands de fermer Fessenheim. Le processus est donc en cours. J’ai interpellé dès hier le ministre allemand de l’industrie, avec lequel nous avions commencé à poser les bases de la construction sur ce secteur d’une usine de voitures électriques du groupe Tesla : l’idée est de mettre en place une commission mixte franco-allemande pour défendre la candidature du territoire d’implantation de la centrale. Nous avons également, sur ce même territoire, un projet de production de batteries électriques de troisième génération avec des industriels allemands.
Enfin, il s’agit de faire en sorte que le démantèlement de Fessenheim soit exemplaire, afin de déboucher sur la création d’une filière industrielle de tout premier plan. En effet, il y a 400 centrales nucléaires à démanteler à travers le monde. C’est un marché planétaire rentable. Les ingénieurs et les techniciens d’EDF doivent être les meilleurs au monde dans ce domaine. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
situation du groupe vivarte
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour le groupe CRC.
Mme Cécile Cukierman. Ma question s'adresse à Mme la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Après les fleurons de notre industrie, c’est le premier groupe d’habillement français qui annonce la suppression de près de 2 000 emplois supplémentaires et la liquidation d’enseignes centenaires présentes sur l’ensemble du territoire. Pas une région, pas un département ne sera épargné par ce plan massif de destruction d’emplois, qui intervient après que près de 4 000 emplois ont déjà été supprimés en deux ans !
Cela fait plusieurs années que Vivarte est victime de fonds d’investissement vautours motivés par des objectifs de court terme, sous le regard indifférent de l’État, alors que le groupe a reçu près de 44 millions d’euros d’argent public, dont 14 millions d’euros en 2016 au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.
Devant l’attitude des actionnaires et des fonds de pension, notre pays a besoin de mesures fortes pour assurer la défense de ces entreprises et de leurs salariés, dont les intérêts doivent passer avant ceux des actionnaires.
Madame la ministre, qu’allez-vous faire ? Votre rhétorique n’est plus acceptable ! Comment pouvez-vous dire à ces milliers de salariés que rien ne sera fait ? Il vous reste quatre semaines pour inscrire à l’ordre du jour du Parlement la discussion d’un projet de loi permettant de sanctionner les plans sociaux fondés sur une démarche d’optimisation financière, quatre semaines pour protéger les entreprises et les salariés victimes de ce fléau ! Ce texte peut voir le jour ; cela dépend de la volonté gouvernementale.
À quelques semaines d’échéances électorales décisives, comptez-vous enfin répondre aux attentes des salariés de notre pays ? À défaut, votre inaction vous rendra encore une fois complice de fait de ces fonds prédateurs qui asphyxient notre économie ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.
Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la sénatrice, à la demande de l’intersyndicale et de Laurent Berger, nous avons reçu hier, avec Christophe Sirugue, l’ensemble des organisations syndicales du groupe Vivarte. Celles-ci ont exprimé leur très grande insatisfaction devant le comportement des dirigeants du groupe, souligné la difficulté du dialogue social au sein de ce dernier et relayé l’inquiétude des salariés, que nous partageons tous.
Tous les territoires sont effectivement concernés. Les emplois en cause sont à 80 % occupés par des femmes, dont beaucoup travaillent à temps partiel. Il s’agit bien souvent de mères qui élèvent seules leurs enfants.
Il semble acquis que la stratégie du groupe Vivarte vise exclusivement à protéger les intérêts financiers des actionnaires, aux dépens de la mise en œuvre d’un projet industriel de nature à dessiner un avenir pour l’ensemble du groupe.
La situation actuelle de Vivarte est la conséquence d’un leveraged buy-out, ou LBO, raté.
M. Jean-Pierre Bosino. Parce qu’il y en a des réussis ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Cette stratégie financière de court terme se traduit effectivement par des plans de restructuration successifs et la perte de nombreux emplois. C’est inacceptable !
Le recours au CICE est encadré : il doit figurer dans les comptes du groupe, et il est légitime de demander à ce dernier de justifier l’utilisation de cet argent public. C’est d’ailleurs ce que nous allons faire.
M. Jean-Pierre Bosino. Allez-vous demander le remboursement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Contrairement à ce que vous affirmez, nous avons assuré les organisations représentatives que l’État actionnera tous les leviers à sa disposition pour contraindre l’entreprise à assumer ses responsabilités économiques et ses responsabilités sociales.
M. Jean-Pierre Bosino. Comme d’habitude…
Mme Myriam El Khomri, ministre. L’État jouera pleinement son rôle, en se portant garant du dialogue social et du respect par le groupe de ses obligations en matière de transparence, d’activité et d’emploi.
M. le président. Il faut conclure, madame la ministre.
Mme Myriam El Khomri, ministre. Que les choses soient claires : l’État n’homologuera pas un plan de sauvegarde de l’emploi qui ne respecterait pas les dispositions légales en matière tant de dialogue social que de mesures d’accompagnement. Christophe Sirugue et moi-même avons rendez-vous avec la direction le 31 janvier prochain. Nous lui demanderons alors des comptes. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour la réplique.
Mme Cécile Cukierman. Madame la ministre, j’aurais préféré vous entendre dire que ce plan de restructuration serait le dernier ! Notre pays a besoin d’une volonté politique et d’une législation permettant que nous ne vivions plus de tels désastres économiques, aux conséquences sociales et territoriales catastrophiques ! Vous auriez dû déposer un projet de loi contre les licenciements boursiers, afin de sécuriser la situation des salariés, plutôt que de casser le code du travail, au printemps dernier. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
pollution atmosphérique
M. le président. La parole est à Mme Éliane Giraud, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Éliane Giraud. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
Madame la ministre, pour la deuxième fois consécutive en moins de deux mois, la France et les Français subissent des niveaux de pollution très élevés. Il s’agit d’un pic de pollution exceptionnel, qui ne touche pas seulement les régions d’Île-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes ; il atteint la façade ouest du territoire et affecte une grande partie de l’Europe.
La forte concentration de polluants et le taux particulièrement élevé de particules fines ont des conséquences très préoccupantes pour la santé de tous, notamment des plus fragiles : personnes âgées, enfants, femmes enceintes, personnes atteintes de maladies respiratoires.
Sont évidemment en cause le trafic routier et l’industrie, mais pas seulement : en ce début de mois de janvier, le froid accroît les besoins en chauffage, et les conditions anticycloniques sèches et froides entraînent une concentration des particules, que les vents trop faibles ne dispersent pas.
Face à cet épisode exceptionnel, les pouvoirs locaux et les services décentralisés de l’État ont mis en place des mesures spécifiques adaptées afin de réduire l’intensité de ces pics de pollution, en particulier la circulation alternée ou la circulation différenciée, mise en œuvre pour la première fois à Paris, à Lyon et à Grenoble.
Certaines régions et certains départements engagés dans cette démarche se retirent aujourd’hui des tours de table locaux alors qu’il est urgent d’agir. Les climatosceptiques ne sont pas tous aux États-Unis, hélas ! L’État doit donc coordonner l’ensemble des mesures pour éviter des disparités d’action sur l’ensemble du territoire et favoriser l’indispensable prise de conscience.
Madame la ministre, vous avez beaucoup œuvré. Je pense à la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, ainsi qu’à la COP 21, qui a abouti à l’accord de Paris.
Au-delà des mesures de restriction prises par arrêtés préfectoraux pour les secteurs des transports, de l’industrie, du logement et de l’agriculture, pouvez-vous récapituler le plan d’action mis en œuvre par le Gouvernement pour lutter durablement contre la pollution de l’air et préserver ainsi la santé de nos concitoyens ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.
Mme Ségolène Royal, ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat. Madame la sénatrice, vous avez raison de souligner ce grave problème de santé publique. Vous avez très bien décrit les conditions météorologiques qui conduisent à la concentration de particules très nocives dans l’atmosphère. Ces particules fines, pas plus grosses que le dixième de l’épaisseur d’un cheveu, pénètrent dans le cerveau, dans le sang, dans le fœtus. Nous devons absolument agir.
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme Ségolène Royal, ministre. Dans cette perspective, j’ai mis en place la circulation différenciée et créé le certificat « qualité de l’air », afin que seuls les véhicules propres puissent circuler. Il faut désormais accélérer la révolution du transport propre, du chauffage propre et de l’agriculture propre ! (Mme Frédérique Espagnac et M. Jean Desessard applaudissent.)
En matière de transports, il convient bien évidemment de favoriser la voiture électrique. Il existe aujourd'hui une prime de 10 000 euros pour l’achat d’une voiture électrique et de 1 000 euros pour celui d’un scooter électrique. Tous les constructeurs automobiles en Europe prennent désormais en compte cette nécessaire évolution énergétique.
Je rappelle l’existence d’un crédit d’impôt pour l’installation de bornes de recharge électrique chez les particuliers et d’un crédit d’impôt pour le remplacement d’équipements de chauffage polluants par des dispositifs plus propres. Je mentionnerai également les actions que nous menons pour réduire l’utilisation des produits phytosanitaires dans l’agriculture et renforcer les contrôles sur les industriels.
C’est grâce aux technologies innovantes et à une volonté partagée par tous – citoyens, entreprises, territoires, à l’instar de la ville de Grenoble et du département de l’Isère, très actifs en la matière et très concernés par ce problème – que nous parviendrons à changer les comportements et à rendre l’air le plus propre possible ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
financement des groupements de défense sanitaire
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche, pour le groupe de l’UDI-UC.
M. Jean-Claude Luche. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Elle concerne les groupements de défense sanitaire, les GDS, et porte plus particulièrement sur l’identification de la collectivité territoriale compétente en matière d’aide à ces derniers.
En effet, la question n’a pas été tranchée depuis l’entrée en vigueur de la loi NOTRe du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République. Les départements, les régions et les groupements de défense sanitaire sont aujourd’hui dans le flou.
D’un côté, les départements, ne bénéficiant plus de la clause de compétence générale, ne peuvent plus intervenir auprès de ces groupements. De l’autre, les régions, qui n’ont pas reçu la compétence en matière de santé publique et de santé animale, ne semblent donc pas être compétentes en matière d’aide aux GDS.
Des mesures transitoires prévues par la loi NOTRe avaient permis de maintenir la majeure partie des financements régionaux et départementaux en 2016, dans un contexte de crise de l’élevage. Mais elles doivent prendre fin en 2017, ce qui mettra les groupements de défense sanitaire en grande difficulté partout dans notre pays.
L’absence de clarification de la situation juridique met en péril les actions des GDS, pourtant essentielles pour les producteurs comme pour les consommateurs, comme le montre l’actualité avec la grippe aviaire. Cela est d’autant plus préoccupant que ces groupements jouent un rôle de premier plan pour la qualité et l’image des productions françaises, auprès des consommateurs nationaux comme à l’export.
Monsieur le ministre, quelles actions comptez-vous mettre en place pour aider les groupements de défense sanitaire ? Envisagez-vous de prolonger les mesures provisoires pour 2017 et, dans une perspective plus durable, de mettre en œuvre un cadre légal pour l’intervention des collectivités territoriales en matière de santé animale ?
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Luche. Le statut particulier des aides aux GDS, qui relèvent à la fois du domaine sanitaire et du domaine économique, requiert une reconnaissance officielle et un traitement légal spécifique. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Michel Bouvard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt.
M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, vous évoquez un sujet bien connu des membres de la Haute Assemblée.
Les GDS sont organisés avec les associations d’éleveurs à l’échelon départemental. Jusqu’à présent, ces groupements, qui jouent un rôle très utile dans la gestion des crises sanitaires, au côté des vétérinaires et des services de l’État, étaient financés par les départements.
Comme vous l’avez rappelé, au terme d’une période transitoire d’un an, nous allons devoir appliquer en 2017 les dispositions inscrites dans la loi NOTRe. La perte de la clause de compétence générale empêchera les départements de continuer à financer les GDS.
Dès lors, comment ces structures très utiles et importantes seront-elles financées à l’avenir ? Nous avons engagé des discussions avec les fédérations régionales des groupements de défense sanitaire en vue de mettre en place une coordination à l’échelle régionale. Le financement devra être assuré par les régions à partir de 2017.
En tant que ministre de l’agriculture, je suis attaché au maintien du réseau des GDS, dont l’action est très utile pour surmonter les épisodes de crise sanitaire auxquelles nous pouvons être confrontés et assurer une bonne conduite de l’élevage en France. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
communes nouvelles
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour le groupe Les Républicains.
M. Daniel Gremillet. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
Monsieur le ministre, je souhaiterais attirer votre attention sur les conséquences de la création des communes nouvelles sur la vie de nos entreprises et de nos concitoyens.
J’ai été alerté par une entreprise qui, à la suite de la fusion de sa commune d’implantation avec d’autres, a reçu le 15 novembre 2016 de la mairie un courrier l’informant du changement de son adresse postale – numéro et nom de rue – à compter du 1er janvier 2017.
A-t-on mesuré les conséquences d’une telle modification pour les acteurs économiques et les hommes et les femmes qui vivent dans nos territoires et se trouvent mis devant le fait accompli ?
Le coût induit est estimé à plusieurs milliers d’euros pour certaines entreprises, qui devront gérer des stocks d’emballages devenus périmés à cause du changement d’adresse ! Il y a aussi des coûts indirects, liés à l’atteinte portée à la crédibilité de l’entreprise qui doit expliquer à ses clients qu’elle est restée la même et n’a pas été rachetée, bien que son adresse ait changé.
Cette situation apparaît aberrante au regard de l’objectif de simplification administrative et de rationalisation des dépenses qui sous-tend la création de communes nouvelles. Mon propos est non pas de remettre en cause ces dernières, mais de souligner le décalage entre la fixation d’une date butoir au 1er janvier 2017 et les réalités de la vie quotidienne.
Monsieur le ministre, quels moyens le Gouvernement entend-il mettre en place pour accompagner les communes nouvelles, ainsi bien sûr que leurs entreprises et leurs habitants, dans leurs relations avec les administrations et les services publics ? (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, la France compte à elle seule plus de communes que l’ensemble des autres pays européens réunis. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Éric Doligé. Merci de nous l’apprendre !
M. Charles Revet. C’est ce qui fait la beauté de notre pays !
M. Alain Gournac. Sa richesse !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Nous sommes très attachés à nos communes, mais la question de leur capacité à se développer et de leur pérennité se pose. Avec l’intercommunalité, nous avons trouvé une réponse à cette question.
Désormais, il est possible de créer des communes nouvelles, sur décision des conseils municipaux et des maires. Ainsi, 1 760 communes ont fusionné, sur la base du volontariat, pour créer 517 communes nouvelles. On ne saurait accuser l’État ou le Gouvernement d’avoir exercé quelque pression que ce soit sur les élus des communes concernées. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Bien entendu, cette évolution peut emporter certaines conséquences. Cela n’a pas échappé au Gouvernement. Un travail a été mené avec l’Association des maires de France pour recenser les difficultés et apporter des réponses. Le rapport de vos collègues Françoise Gatel et Christian Manable intitulé « Les communes nouvelles, histoire d’une révolution silencieuse : raisons et conditions d’une réussite » s’en est fait l’écho.
Il a été décidé que le nom de l’ancienne commune pourrait être conservé dans l’adresse postale. L’INSEE a surmonté les difficultés liées à l’attribution d’un code à une commune nouvelle. Les préfets ont instruction de ne pas brusquer les choses. Les communes nouvelles se mettent en place tranquillement,…
M. le président. Il faut conclure tranquillement, monsieur le ministre. (Sourires.)
M. Jean-Michel Baylet, ministre. … sur l’initiative des élus et avec l’accompagnement de l’État, ce qui est bien la moindre des choses. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour la réplique.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le ministre, j’entends votre réponse, mais quand comprendra-t-on que le temps économique diffère du temps administratif et politique ? Quand comprendra-t-on que la vie des entreprises ne peut être soumise à une date butoir ?
Mon propos, je le répète, n’est pas de remettre en cause les communes nouvelles. Mais il faut donner le temps aux entreprises et aux habitants de s’adapter à l’évolution de leur territoire !
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Daniel Gremillet. Pensez au gaspillage économique et humain qui va résulter d’une transition mal négociée ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
trains d’équilibre du territoire
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Jean-Jacques Filleul. Ma question s'adresse à M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
Au mois de novembre 2014, monsieur le secrétaire d’État, vous avez lancé l’opération trains d’équilibre du territoire, ou TET. La commission que vous avez mise en place a établi, sous la conduite de notre collègue député Philippe Duron, un diagnostic complet et formulé des exigences multiples, l’objectif principal étant que les TET puissent devenir ou redevenir des liaisons utiles, avec une trajectoire financière soutenable.
Au fil du temps, les trains d’équilibre du territoire, au positionnement mal identifié entre TGV et TER, sont devenus les parents pauvres des liaisons ferroviaires. Ils sont aujourd’hui largement déficitaires, leur offre ne correspondant plus aux besoins de mobilité des voyageurs et des territoires.
Les recommandations de la commission ont eu pour objet de déterminer si ces liaisons répondent à un besoin national ou régional, de dessiner des perspectives de long terme, en vue de proposer au public et aux territoires des solutions de mobilité actualisées et de qualité.
La commission a également préconisé un renforcement du rôle de l’État stratège, en tant qu’autorité organisatrice, et le renouvellement du matériel roulant à l’horizon 2020-2025.
Monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous dresser le bilan de la feuille de route pour un nouvel avenir des trains d’équilibre du territoire, qui a fait l’objet d’une communication le 12 janvier dernier ? (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports, de la mer et de la pêche.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, le constat est partagé : il a longtemps été difficile de déterminer précisément ce que recouvrait la notion de trains d’équilibre du territoire, entre trains de nuit, grandes lignes nationales, lignes exclusivement locales… Le seul dénominateur commun était que ces trains étaient placés sous la responsabilité de l’État.
Les trains d’équilibre du territoire sont de plus en plus déficitaires : le déficit a atteint 400 millions d’euros en 2011. De surcroît, leur fréquentation a diminué de 20 %, le vieillissement du parc de matériels est préoccupant – la moyenne d’âge est de trente-cinq ans – et le service aux clients est particulièrement critiqué.
La commission pluraliste que j’ai mise en place a effectué un travail tout à fait remarquable, sous la présidence de Philippe Duron. Ses propositions ont été soumises à l’examen des commissions parlementaires compétentes et à la décision du Gouvernement.
À la suite du redécoupage régional, le tracé de certaines lignes, qui traversait auparavant le territoire de plusieurs régions, se trouve désormais inclus dans le périmètre d’une seule. Les négociations que j’ai engagées avec les présidents de région ont abouti au transfert aux régions de dix-huit lignes, accompagné par un effort considérable de la part de l’État, qui mettra à disposition 3,5 milliards d’euros de matériels neufs.
Le travail effectué par la commission, le Parlement, le Gouvernement et les régions a permis de dessiner un nouvel avenir pour les trains d’équilibre du territoire. Nous avons ainsi démontré notre engagement en faveur de l’avenir du ferroviaire. (M. Jean-Jacques Filleul applaudit.)
retour des djihadistes en france
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Sophie Primas. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Dès le mois de décembre, un rapport alarmant du contre-terrorisme européen alertait l’Europe sur le risque d’une arrivée massive de djihadistes après les défaites subies par Daech en Irak et en Syrie.
Plus de 5 000 Européens, dont 700 Français, sont partis grossir les rangs de Daech et d’Al-Nosra : 1 750 combattants européens radicalisés, extrémistes violents, s’apprêteraient à revenir sur notre sol. Ces djihadistes sont devenus des experts en armement, en explosifs, en actes de guerre souvent aveugles et toujours barbares.
Un rapport d’Europol a montré qu’ils importent avec eux les modes opératoires terroristes ayant déjà été utilisés sur notre territoire. Les pays de l’Union européenne semblent affronter ce danger en ordre dispersé. Nous redoutons que la prise de décisions urgentes et nécessaires et leur mise en œuvre ne prennent autant de temps que pour le PNR.
Monsieur le ministre, comment comptez-vous traiter tous ces cas ? Quelles solutions proposez-vous en vue de parvenir, avec nos partenaires européens, à mettre hors d’état de nuire ces combattants ? Comment allez-vous procéder pour repérer ces criminels qui envisagent de revenir en Europe ? Quel sort entendez-vous réserver à ceux qui seraient capturés directement en Syrie ? (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, je vous prie d’excuser Bruno Le Roux. Retenu à l’Assemblée nationale, il m’a chargé de vous communiquer les éléments de réponse suivants.
La question du traitement des personnes revenant du djihad est une priorité pour le Gouvernement et les autorités administratives et judiciaires. Dès leur arrivée sur le territoire, ces individus sont placés en garde à vue. Qu’ils aient été simples candidats au djihad ou qu’ils aient participé à des exactions sur zone, ils font l’objet d’un traitement judiciaire.
Pour faire face à la charge que représente désormais ce contentieux et à l’éventuel afflux de djihadistes qui partiront de Mossoul ou de Raqqa lorsque ces deux villes seront tombées et que nous aurons vaincu l’État islamique, le parquet antiterroriste de Paris a été renforcé. Il compte désormais treize magistrats. Surtout, il dispose d’une capacité de soutien de plus de soixante magistrats mobilisables en cas d’événements particuliers.
Vous le voyez, pour répondre à la hausse du nombre des procédures en matière de terrorisme, le Gouvernement a pris les décisions qui s’imposaient. Ainsi, au 1er janvier de cette année, de nouveaux personnels ont été affectés : un onzième juge d’instruction antiterroriste, un juge des enfants, quatre magistrats pour renforcer la capacité de jugement de la cour d’assises spécialement composée en cette matière, quatre magistrats nommés à la cour d’appel pour renforcer la chambre de l’application des peines et la chambre correctionnelle, un magistrat supplémentaire au parquet général, dix greffiers, dont huit affectés au tribunal de grande instance de Paris – six pour le siège, deux pour le parquet – et les deux autres à la cour d’appel.
De même, l’administration pénitentiaire est en mesure de prendre en charge les individus qui seraient placés en détention provisoire par les magistrats ou qui seraient incarcérés après jugement. Depuis 2012, nous avons financé la construction de plus de 4 000 nouvelles places de prison et créé plus de 4 000 emplois dans l’administration pénitentiaire.
Enfin, l’anticipation des retours, y compris de femmes ou de mineurs – à ce jour, 460 mineurs français sont en Irak ou en Syrie, dont la moitié ont moins de cinq ans, d’où la création d’un juge des enfants supplémentaire –, est l’objet de l’un des axes du plan « sécurité pénitentiaire et action contre la radicalisation violente » que le Gouvernement a présenté par la voix de Jean-Jacques Urvoas le 25 octobre dernier.
M. le président. Il faut conclure, monsieur le secrétaire d’État !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Vous le voyez, madame la sénatrice, le Gouvernement prend toutes les mesures nécessaires pour faire face au retour des djihadistes sur notre territoire. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour la réplique.
Mme Sophie Primas. Je vous remercie de ces précisions, monsieur le secrétaire d'État. Votre réponse porte sur les moyens. Je suis ravie d’apprendre que les effectifs et les moyens ont été renforcés, y compris dans l’administration pénitentiaire, mais comment ces djihadistes seront-ils traités ? Quelles peines seront prononcées à leur encontre ? Dans quelles conditions seront-ils incarcérés ? Quelles sont les méthodes utilisées pour les repérer ? Comment allons-nous travailler avec nos partenaires européens ?
Je ne veux pas engager de polémique sur un sujet aussi sérieux, mais nos concitoyens ont besoin d’être rassurés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
politique familiale
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour le groupe Les Républicains.
Mme Anne Chain-Larché. Ma question s’adresse à Mme la ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes.
Aider et défendre la famille, c’était inscrit dans l’ADN de la France. L’État a toujours soutenu la natalité par des politiques familiales intelligentes et bienveillantes. Cette attention portée à la famille a produit des résultats positifs : la France a bénéficié d’un taux de fécondité supérieur à celui des pays voisins, en particulier l’Allemagne.
Au terme du présent quinquennat, rien n’est plus comme avant : vous avez détruit la politique familiale avec méthode (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.), en réduisant le montant de la prestation d’accueil du jeune enfant, en abaissant le quotient familial à deux reprises, en plaçant sous condition de ressources l’attribution des allocations familiales.
Ces mesures, dont vous portez la responsabilité, ont eu des conséquences concrètes pour toutes les familles : selon l’Union nationale des associations familiales, l’UNAF, 160 000 familles vivant sous le seuil de pauvreté ont perdu du pouvoir d’achat en raison de la diminution de ces prestations.
Un sondage réalisé par l’IFOP révèle que 55 % des Français estiment que la politique familiale de ces dernières années est de nature à conduire les couples à renoncer à une nouvelle naissance ou à la différer.
Vous tentez d’expliquer que cette situation est imputable à d’autres facteurs. Aux coups portés par votre politique familiale s’ajoute une baisse générale du pouvoir d’achat de l’ordre de 500 euros par an et par Français depuis 2012.
Quand reconnaîtrez-vous que vos politiques familiale et économique ont trahi la société solidaire que vous-même appeliez de vos vœux, et qu’elles ont conduit à une paupérisation du pays et des familles ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.
M. André Vallini, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement. Madame la sénatrice, Mme Rossignol m’a demandé de vous communiquer les éléments de réponse suivants.
Notre politique familiale est audacieuse et juste. Elle vise à renforcer notre soutien aux familles les plus fragiles, notamment les familles monoparentales et les familles nombreuses.
Dès 2012, nous avons revalorisé l’allocation de rentrée scolaire de 25 %, l’allocation de soutien familial de 25 % en cinq ans et le complément familial de 50 % en cinq ans. Ce sont des chiffres qui démontrent la réalité du soutien que nous apportons aux familles ! (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
En outre, nous avons créé une garantie contre les impayés de pensions alimentaires et une agence de recouvrement des pensions alimentaires impayées.
Nous avons aussi rétabli l’équilibre financier de la branche famille de la sécurité sociale, dont le déficit atteignait 2,5 milliards d’euros en 2012.
M. Jean-Louis Carrère. C’est l’arroseur arrosé !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Pour y parvenir, dans un souci de justice, la réduction des allocations familiales a touché moins de 10 % des familles allocataires, celles dont les revenus dépassent 6 000 euros par mois. Quant à la baisse du plafond du quotient familial, elle n’a concerné que 5 % des foyers fiscaux, à savoir les plus favorisés d’entre eux.
M. Marc Daunis. Eh oui !
M. André Vallini, secrétaire d'État. Concernant la prime de naissance, elle est toujours versée et son montant n’a pas été diminué, les prestations dites « natalistes » n’ayant pas été modifiées du tout.
Quant à la baisse des naissances constatée par l’INSEE, elle est infime – on est passé de 1,96 à 1,93 enfant par femme entre 2015 et 2016 – et s’explique essentiellement par la diminution du nombre de femmes en âge de procréer et par le recul de l’âge auquel les femmes mettent au monde leur premier enfant. C’est une évolution qui touche la plupart des sociétés développées.
Pour aider mieux encore l’ensemble des familles, nous nous attachons à promouvoir l’égalité des tâches et des responsabilités familiales au sein du couple, à promouvoir l’égalité professionnelle et l’égalité salariale, à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, par un ensemble de services collectifs que bien des pays nous envient. Je pense notamment aux modes d’accueil des jeunes enfants.
Voilà ce que nous avons fait pendant cinq ans, madame la sénatrice, pour rendre la politique familiale de notre pays plus efficace et plus juste. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Anne Chain-Larché, pour la réplique.
Mme Anne Chain-Larché. Monsieur le secrétaire d'État, les statistiques ont une vertu : celle de montrer le résultat d’une politique. Ces deux dernières années, il y a eu, sur notre territoire, 34 000 naissances de moins que les années précédentes. (C’est terminé ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Anne Chain-Larché. Rendez-vous compte du message que vous envoyez, de l’effet qu’il a sur les jeunes, de la rupture que vous avez installée !
M. Jean-Louis Carrère. C’est fini, il faut conclure !
Mme Anne Chain-Larché. Je tiens à souligner la perte de confiance des jeunes Français ! (Applaudissements sur de nombreuses travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. Ce n’est terminé que maintenant, monsieur Carrère ! C’est moi qui préside cette séance !
M. Jean-Louis Carrère. C’est à géométrie variable !
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
La prochaine séance de questions d’actualité au Gouvernement aura lieu le mardi 31 janvier 2017, à seize heures quarante-cinq.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinq, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
12
Dépôt d'un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport 2016 sur la stratégie du commerce extérieur de la France et la politique commerciale européenne.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis aux commissions compétentes.
13
Ratification d'ordonnances relatives à la Corse
Rejet en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse, n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse et n° 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse (projet n° 264, texte de la commission n° 312, rapport n° 311 et avis n° 306).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre de l'aménagement du territoire, de la ruralité et des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur Hugues Portelli, monsieur le rapporteur pour avis Charles Guené, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est avec un grand plaisir que je me trouve aujourd’hui devant vous afin de présenter le projet de ratification des trois ordonnances corses, dernier acte législatif nécessaire à la mise en œuvre de la future collectivité unique de Corse.
Je tiens avant tout à remercier le sénateur Portelli, rapporteur du projet de loi, et le sénateur Guené, rapporteur pour avis, qui a pris en charge l’ordonnance financière. Vous avez accompli, messieurs les sénateurs, un remarquable et courageux travail d’exégèse sur ces ordonnances. Je suis bien placé pour savoir que la tâche était difficile !
Les trois ordonnances que le Gouvernement vous propose de ratifier déterminent les modalités pratiques de la création de la collectivité unique de Corse, collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution.
Ces ordonnances ont été prises sur le fondement de l’article 30 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe.
Ainsi, à compter du 1er janvier 2018, la collectivité unique, dénommée « collectivité de Corse », se substituera à la collectivité territoriale de Corse et aux deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud.
Cette collectivité unique n’a été ni imposée ni même imaginée par le Gouvernement. Elle provient de la volonté des élus corses eux-mêmes qui en ont voté le principe à l’Assemblée de Corse le 12 décembre 2014, à une large majorité, toutes tendances confondues, avec quarante-deux voix pour et seulement huit voix contre. Ce rappel, compte tenu du contexte, me semble fondamental dans notre débat d’aujourd’hui, car il est important de savoir qui a pris cette initiative et de quelle manière la collectivité corse, dans l’ensemble de ses composantes – ou presque –, l’a appréhendée.
En préalable, je dirai quelques mots sur le calendrier.
Je tiens à rappeler que, conformément à l’article 38 de la Constitution, les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication, mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation.
Au cas particulier, le Gouvernement a bien évidemment respecté les délais impartis, ainsi que l’a souligné votre rapporteur.
L’habilitation législative a été accordée, dans la loi NOTRe du 7 août 2015, pour une période de dix-huit mois suivant la promulgation de la loi, soit jusqu’au 7 février 2017.
Les trois ordonnances relatives à la création de la collectivité unique de Corse ont été publiées au Journal officiel du 22 novembre 2016, soit largement dans les délais fixés par la loi. Le projet de ratification, qui est l’objet de notre débat d’aujourd’hui, a été déposé sur le bureau du Sénat le 21 décembre dernier, c'est-à-dire, lui aussi, largement dans les délais impartis. Mais il est bien évident que la fin de la session parlementaire, prévue le 24 février prochain, nous contraint à l’adoption du projet de loi d’ici à cette date, faute de quoi nous verrons l’édifice s’effondrer.
Mesdames, messieurs les sénateurs,…
M. Jean Desessard. Oui, nous sommes là ! (Sourires.)
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Certes, mais d’autres qui rêvent de voir cet édifice s’effondrer sont aussi là !
Je tiens à rappeler que, sur ces mêmes travées, le 29 mai 2015, votre assemblée avait approuvé la création de la collectivité unique de Corse.
L’expression des orateurs de l’ensemble des groupes avait été ce jour-là, comme devant la collectivité de Corse, consensuelle – je pense, par exemple, à M. Hyest pour le groupe Les Républicains ou à M. Favier pour le groupe CRC –, attestant le bien-fondé de la démarche engagée par le Gouvernement consécutivement à la volonté de création de la collectivité unique émanant des élus corses.
Pour connaître la cohérence du Sénat et son esprit de suite, sans parler de sa sagesse légendaire, j’imagine qu’il nous apportera un soutien tout aussi large alors que nous sommes sur le point de finaliser.
J’ajoute que j’ai respecté la promesse du Gouvernement qui, souhaitant parvenir à un accord en commission mixte paritaire sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, avait remis à plus tard la discussion et, le cas échéant, l’intégration d’amendements déposés tant par les sénateurs que par les députés.
J’ai donc travaillé tout au long de l’année 2016 avec l’ensemble des élus corses, afin de coconstruire avec eux ces ordonnances. Je les ai rencontrés tous, à plusieurs reprises. À leur demande, j’ai jugé opportun de reprendre la quasi-totalité des amendements qui avaient été présentés, parce qu’ils me semblaient légitimes et propres à améliorer le fonctionnement de la future collectivité.
Remarquez que j’ai pris cette décision au risque d’outrepasser quelque peu le strict cadre de l’habilitation. La chose n’a évidemment échappé ni au Conseil d’État ni au rapporteur Portelli, qui n’a pas pour autant conclu à la remise en cause de la ratification des ordonnances.
Par l’article 30 de la loi NOTRe, le Gouvernement a reçu du Parlement une habilitation large, lui permettant, en résumé, de préciser l’ensemble des conséquences électorales, juridiques et financières de la création de la collectivité de Corse. Cette habilitation étendue a donné lieu à la rédaction des trois ordonnances, publiées au Journal officiel le 22 décembre dernier, dont la ratification est aujourd'hui soumise à votre assemblée.
Je dirai quelques mots sur chacune des trois ordonnances.
L’ordonnance institutionnelle organise la substitution de la collectivité unique aux actuels départements et à la collectivité territoriale de Corse, avec, pour conséquence, de rassembler leurs compétences au sein de la nouvelle collectivité : celle-ci exercera de plein droit les compétences de droit commun des départements et des régions et reprendra aussi celles de la collectivité territoriale de Corse.
La nouvelle collectivité sera redimensionnée, afin de tenir compte de l’élargissement de son champ d’action, par l’ajout de douze sièges supplémentaires au sein de l’Assemblée de Corse.
Par ailleurs, une chambre des territoires sera créée, en vue de mieux coordonner l’exercice des actions respectives des différentes collectivités territoriales et des intercommunalités en matière d’action publique et de solidarité financière.
Enfin, l’ordonnance comporte des dispositions transitoires importantes, notamment en matière de garanties de maintien des conditions de statut et d’emploi des personnels.
Telles sont les principales dispositions de l’ordonnance institutionnelle.
L’ordonnance financière suit la même logique : les financements des trois collectivités actuelles seront adaptés en un financement unique au profit de la nouvelle.
La substitution s’opérera à droit constant pour l’ensemble des biens, droits et obligations des collectivités territoriales appelées à fusionner.
Telles sont les principales dispositions de l’ordonnance financière.
Quant à l’ordonnance électorale, elle prévoit les modifications qu’il est nécessaire d’apporter, le cas échéant, à chaque scrutin, eu égard à la création de la collectivité unique.
La création de la collectivité de Corse n’entraînera aucune conséquence pour l’élection des députés. Pour celle des sénateurs, le mode de scrutin restera strictement inchangé, l’élection continuant de se tenir au sein de deux collèges électoraux, l’un pour la Haute-Corse, l’autre pour la Corse-du-Sud.
En ce qui concerne l’Assemblée de Corse appelée à siéger à compter du 1er janvier 2018, elle sera élue en décembre 2017. Exception faite de l’augmentation de cinquante et un à soixante-trois du nombre de conseillers de l’Assemblée et de celle, strictement proportionnelle, de la prime majoritaire, qui passera mécaniquement de neuf à onze sièges, le régime électoral restera le même qu’aujourd’hui.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les principales dispositions des trois ordonnances, dont la ratification parlementaire, à laquelle je vous demande, comme vos deux rapporteurs, de bien vouloir procéder, garantira la mise en œuvre de la collectivité unique dans de bonnes conditions juridiques.
L’article 1er du projet de loi ratifie l’ordonnance n° 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières et comptables applicables à la collectivité de Corse.
L’article 2 ratifie l’ordonnance n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse.
L’article 3 ratifie l’ordonnance n° 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse.
Je me félicite par ailleurs de l’adoption en commission des dispositions ajoutées aux ordonnances institutionnelle et financière par vos rapporteurs, dont je salue à nouveau la qualité du travail. Après la relecture attentive du Conseil d’État, ces ajouts améliorent encore la rédaction des ordonnances.
Je souhaite aborder aussi devant vous le sort du seul amendement déposé sur ce projet de loi de ratification. Présenté par le sénateur Castelli et les autres membres du groupe du RDSE, cet amendement a, hélas, été déclaré irrecevable par la commission des lois, laquelle a invoqué, commodément, l’article 45 de la Constitution.
Je ne vous cacherai pas que je m’interroge vraiment sur un tel rejet. Ou plutôt, j’ai peur d’en comprendre la raison, qui me semble mettre à mal l’intérêt collectif des Corses, sacrifié à quelques petites aventures politiciennes…
M. Jean Desessard. Bigre !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Permettez-moi de rappeler brièvement le contexte qui justifiait le bien-fondé de cet amendement.
Depuis le 10 juin 1801, la Corse est dans une situation particulière au regard du droit de propriété. En effet, celui-ci ne peut s’y exercer pleinement comme sur le reste du territoire national à cause d’une absence massive de titres de propriété.
L’administrateur Miot, nommé par Napoléon, n’a pas, à la demande de l’Empereur lui-même, exonéré les citoyens corses du paiement de l’impôt, mais il a supprimé les sanctions applicables en cas de défaut de déclaration. Il en est résulté une absence de titres de propriété, notamment en zone rurale et montagneuse, qui a engendré l’incroyable désordre foncier actuel.
Depuis plusieurs années, les multiples groupes de travail qui se sont penchés sur le sujet constatent l’ampleur du problème et la nécessité de le résoudre progressivement au bénéfice des citoyens et de la collectivité. De fait, le foncier est souvent très dégradé en Corse, puisque de nombreux biens ne sont pas délimités, ou le sont mal, et appartiennent à ceux que les notaires appellent des « propriétaires apparents », nés avant 1910, c’est-à-dire, en réalité, à des centaines d’héritiers potentiels non connus.
Le retour au droit commun, dont personne ne conteste la légitimité, a été établi en 2002 selon un calendrier progressif, qui s’achèvera au 31 décembre 2017. Il repose essentiellement sur les travaux du groupement d’intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse, le GIRTEC, qui, compte tenu de la difficulté de la tâche, n’a pu commencer réellement sa mission qu’en 2009. Actuellement, environ 34 % des parcelles du territoire corse, soit plus de 350 000 parcelles, sont toujours en indivision, car le GIRTEC est loin d’avoir achevé son difficile travail.
Le travail de recherche des propriétaires et de titrement des parcelles est, vous l’imaginez, colossal. Il est matériellement impossible de l’achever avant une dizaine d’années. Cette réalité a conduit les députés de Rocca Serra, Pupponi, Gandolfi-Scheit, Giacobbi et Marcangeli à présenter une proposition de loi destinée à résorber le désordre foncier. Ce texte a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale.
L’amendement du sénateur Castelli reprenait opportunément cette proposition de loi, l’améliorant de surcroît pour ce qui concerne le droit de propriété acquisitive, c’est-à-dire l’usucapion. Je remercie M. Castelli d’avoir voulu tirer la conséquence – il avait raison ! – de l’absence d’inscription de ce texte à l’ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée, afin que les dispositions puissent y être examinées avant la fin de la session parlementaire. Dès lors que cet examen n’est plus possible, la commission des lois ayant déclaré l’amendement irrecevable, j’estime – et je ne suis pas le seul ! – que cette décision a de graves conséquences, pour les raisons que je viens d’expliquer.
Dans ces conditions, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement a décidé de prendre ses responsabilités.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Enfin !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Comme toujours ! En l’occurrence, ce n’est pas nous qui ne les avons pas prises…
Ainsi donc, pour répondre à l’attente des familles corses, et malgré les difficultés de calendrier en cette fin de session parlementaire, nous inscrirons cette proposition de loi à l’ordre du jour du Sénat réservé par priorité au Gouvernement. Chacun devra alors prendre toutes ses responsabilités !
Mesdames, messieurs les sénateurs, la ratification des ordonnances permettra la mise en œuvre d’une simplification institutionnelle et politique encore unique en France métropolitaine, mais déjà en cours dans certains territoires ultramarins, où elle a fait la preuve de son efficacité. La collectivité unique, élaborée, j’y insiste une fois encore, à la demande exclusive des élus corses, sera gage, je n’en doute pas, de services publics plus efficaces et plus accessibles pour l’ensemble des habitants de la Corse ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, le projet de loi soumis aujourd'hui à notre examen ratifie les trois ordonnances relatives à la Corse prises en vertu de l’habilitation prévue dans le cadre de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République.
En 2015, lors des débats sur ce texte, le Gouvernement a déposé un amendement tendant à introduire dans le dispositif relatif à toute une série de collectivités territoriales, de différents niveaux, un dispositif spécifique à la Corse, lequel s’inscrit dans un long processus, commencé en 1982. Permettez que je retrace ce processus, pour souligner que la réforme prévue, loin d’arriver par hasard, est un continuum institutionnel, qui arrivera, peut-être, à son terme aujourd'hui.
Après avoir brièvement compté deux départements – pendant moins d’une dizaine d’années –, la Corse a formé un département unique de 1811 à 1975, de l’Empire à la Ve République. Avec la création de la région Corse, le législateur a estimé, pour des raisons tenant aux équilibres internes à l’île, qu’il convenait non seulement de maintenir le niveau départemental, mais, en outre, de recréer deux départements, chacun ayant son chef-lieu. Ce système perdure encore aujourd’hui.
Toutefois, depuis qu’elle est devenue collectivité territoriale en 1982, la région Corse, devenue en 1991 collectivité territoriale de Corse, présente des particularités. Elle a bénéficié, dès l’origine, d’un régime quasi dérogatoire, caractérisé par le transfert de compétences des départements vers la région, puis la collectivité territoriale de Corse, sans parler des transferts de compétences de l’État dans la même direction. C’est ainsi que, de 1982 à aujourd’hui, des compétences ont régulièrement été transférées, avec les moyens administratifs et financiers correspondants, des départements vers la région.
La réforme envisagée n’a donc rien de soudain ; elle participe d’un processus continu, dont elle marque la dernière étape, laquelle a une préhistoire. En effet, en 2003, un projet de loi présenté par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, et instituant une collectivité unique de Corse par la suppression des départements a fait l’objet d’une consultation locale au cours de laquelle le « non » l’a emporté de 2 000 voix. Ce texte, nous le retrouvons en grande partie aujourd’hui, sous la forme d’un dispositif qui a fait l’objet d’une résolution de l’Assemblée de Corse en 2013, avant d’être intégré dans la loi NOTRe.
Votre commission des lois a examiné le projet de loi de ratification et les trois ordonnances. Elle a constaté que l’ensemble est en tout point conforme à l’habilitation prévue par la loi NOTRe. Elle n’a pas fait d’autre constat, ni sur le plan institutionnel ni sur le plan administratif. Pour ce qui est des aspects financiers, leur examen a été délégué à la commission des finances.
Le système qui a été conçu consiste à créer une collectivité unique, avec des institutions uniques. Si le niveau départemental disparaît, l’ossature même de la collectivité de Corse ne changera pas. Le dispositif institutionnel mis en place en 1991, de type quasiment parlementaire, sera conservé, de même que le système de représentation et l’organisation de l’Assemblée de Corse comme du conseil exécutif de Corse. Tout cela sera maintenu quasiment à l’identique.
Sur le plan des compétences et de l’administration, les ordonnances procèdent par addition : elles regroupent les compétences et prévoient la constitution progressive d’une administration unique, moyennant certaines exceptions nécessaires, comme les services départementaux d’incendie et de secours, qui conserveront une organisation départementale destinée à tenir compte des spécificités territoriales.
En somme, rien d’original n’est prévu par rapport au texte adopté par le Sénat en 2015. Ayant constaté l’identité entre le contenu de la loi d’habilitation et les dispositions des ordonnances, la commission des lois s’est prononcée en faveur de la ratification. Elle l’a fait d’autant plus volontiers que ce projet de loi, je le répète, s’inscrit dans un continuum institutionnel, lequel n’a jamais connu de retour en arrière depuis maintenant trente-quatre ans.
En ce qui concerne l’amendement déposé par M. Mézard, il faut bien se rendre compte, monsieur le ministre, que celui-ci présente deux difficultés.
D’abord, les dispositions fiscales qu’il comporte ont déjà été censurées à deux reprises en moins de deux ans par le Conseil constitutionnel. Même si je suis moins bien placé pour en parler que M. le rapporteur pour avis de la commission des finances, je puis vous assurer, pour connaître un peu le droit constitutionnel, que le même dispositif se heurtera à la même censure.
Ensuite, même avec la meilleure volonté du monde, il est difficile de considérer que le dispositif proposé a un lien direct ou indirect avec les ordonnances soumises à ratification. La commission des lois n’a pas à juger du bien-fondé de l’amendement : elle est au demeurant d’autant plus favorable au dispositif qu’elle a demandé l’inscription de la proposition de loi correspondante à l’ordre du jour des travaux de notre assemblée dans les meilleurs délais. Simplement, si l’existence d’un lien direct ou indirect avec les ordonnances relatives au statut, aux finances et à l’administration de la collectivité de Corse peut à la rigueur se plaider au sein d’une assemblée parlementaire, je mets au défi quiconque de prouver qu’on peut le faire devant le Conseil constitutionnel !
De notre point de vue, ce n’est pas un vrai sujet dans la mesure où ce dispositif sera examiné ultérieurement.
Pour l’heure, mieux vaut s’en tenir à la ratification des ordonnances, d’autant plus que, comme M. le ministre l’a souligné, nous sommes en fin de session, et qu’il importe de procéder à la ratification dans les meilleurs délais. Nous n’aurions pas le temps de nous engager dans une navette.
Pour toutes ces raisons, la commission des lois est favorable à ce projet de loi. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains, sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Charles Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, l’article 30 de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, promulguée en août 2015, prévoit la création, au 1er janvier 2018, d'une nouvelle collectivité à statut particulier : la collectivité de Corse, qui se substituera à la collectivité territoriale de Corse et aux départements de Corse-du-Sud et de Haute-Corse.
Cet article, adopté par le Sénat, autorise le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnances les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la mise en place de la nouvelle collectivité. Trois ordonnances ont été prises sur ce fondement, dont l’une concerne les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables. L'article 1er du projet de loi soumis à notre examen ratifie cette ordonnance. C'est pourquoi son examen a été délégué par la commission des lois à la commission des finances.
Aux termes de la loi NOTRe, la création de la collectivité de Corse doit s'opérer dans une parfaite neutralité financière et fiscale. L'ordonnance que la commission des finances a examinée procède principalement à des modifications rédactionnelles et prévoit des mesures transitoires, comme il est habituel en cas de fusion de collectivités territoriales. Elle n'épuise pas pour autant les questions financières résultant de la création de la collectivité de Corse.
Je rappelle tout d'abord qu'elle s'est accompagnée de plusieurs mesures financières favorables à cette collectivité dans la loi de finances pour 2017 : la contribution au redressement des finances publiques de la Corse a été diminuée de 3,2 millions d'euros, les possibilités d'emploi de la dotation de compensation territoriale ont été élargies et la dotation générale de décentralisation de la Corse a été remplacée par une part du produit de la taxe sur la valeur ajoutée, dont on connaît le dynamisme.
Par ailleurs, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, nous aurons sans doute à nous pencher sur les conséquences de la création de cette collectivité sur les différents fonds de péréquation et sur la répartition des dotations de l'État.
Les deux départements corses étant dans une situation financière différente, leur fusion conduirait à lisser ces différences et, potentiellement, à diminuer le bénéfice de la péréquation pour l'un, les prélèvements pour l'autre. Dès lors, elle pourrait avoir des conséquences financières sur l'ensemble des départements.
Le champ de l'habilitation aurait permis de traiter ce sujet, mais il est préférable d'aborder les questions de péréquation de façon globale, dans la mesure où elles ont des conséquences sur l'ensemble des départements. Le projet de loi de finances pour 2018 permettra d’engager ce débat.
L'Assemblée de Corse a cependant déjà exprimé le souhait que les futures règles ne conduisent « ni à minorer les ressources » de la Corse « ni à mettre en place des mécanismes de calcul qui s’avéreraient défavorables dans la durée ».
S’il est légitime que la collectivité de Corse souhaite bénéficier de garanties, le choix de mettre en place une collectivité unique implique une solidarité territoriale. Dès lors, il serait difficilement justifiable de continuer à calculer les dotations et les dispositifs de péréquation sans tenir compte de la situation de la nouvelle collectivité ou en mettant en place des mécanismes de garantie. C'est la logique même de la péréquation et de la création d'une collectivité unique qui serait remise en cause. En tout état de cause, calculer ces montants sur la base des caractéristiques des anciens départements ne pourrait être un choix pérenne.
Sous réserve de ces remarques, la commission des finances s’est prononcée en faveur de l'adoption de l'article 1er du projet de loi, dans la rédaction modifiée par l’amendement qu’elle a déposé pour corriger une erreur de référence. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Luche. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Jean-Claude Luche. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, tous, dans cet hémicycle, nous sommes attachés à notre mission de représentation des territoires. À cet égard, nos expériences respectives d’élus locaux nous ont généralement appris que, çà et là, les spécificités territoriales pouvaient justifier des spécificités institutionnelles locales.
Reste que le sujet est longtemps resté tabou. En effet, le principe d’égalité, inscrit au fronton de nos mairies, se confondait avec une uniformité qui s’est révélée incompatible avec la poursuite d’une saine administration territoriale.
L’un des grands mérites de la loi NOTRe est qu’elle a au moins brisé ce tabou. Je rends hommage à notre collègue Jean-Pierre Raffarin, qui, dès janvier 2014, a consacré un rapport à ce sujet.
Le présent projet de loi porte sur l’application d’un point à la fois spécifique et délicat de la loi NOTRe : l’instauration d’une collectivité unique en Corse.
Le principe de la collectivité unique n’est pas neuf. C’est là l’une des principales mesures de simplification bienvenues que nous devons à la révision constitutionnelle de 2003. Cet outil est particulièrement adapté pour faire vivre les spécificités territoriales dans des collectivités ad hoc. La collectivité unique a ainsi été éprouvée en Guyane et en Martinique dès 2011.
En dépit de l’échec du projet d’instauration d’une collectivité alsacienne unique en 2013, je reste convaincu que c’est la formule institutionnelle la plus adaptée à certains territoires, notamment au fait insulaire. En effet, une collectivité unique présente, dans une île, des avantages indéniables en termes de simplification administrative.
En l’espèce, il s’agit de substituer une collectivité unique à l’Assemblée de Corse et aux deux départements. À l’heure des grandes intercommunalités et du redécoupage régional, il semble pertinent de s’orienter dans cette voie.
Néanmoins, monsieur le ministre, je reste quelque peu sceptique, à l’instar de la majorité des membres du groupe UDI-UC, quant à la méthode retenue.
En effet, la création d’une collectivité unique n’est pas un acte anodin dans la vie démocratique d’un territoire. Nos concitoyens sont attachés à leurs institutions locales, notamment aux départements. Si je comprends l’intérêt pratique que revêt le passage par ordonnances, combien d’inconvénients politiques cette démarche présente-t-elle ?
De nombreux élus corses s’offusquent qu’aucun référendum n’ait été organisé dans l’île pour acter la création de la collectivité unique.
Je me doute bien que, derrière le symbole, se cachent des jeux politiques et des combinaisons électorales assez subtiles.
Comment ne pas leur donner raison ? La Guyane et la Martinique avaient été consultées, tout comme nos concitoyens alsaciens, qui avaient d’ailleurs rejeté le projet de collectivité unique.
Dans le même temps, les nationalistes et les indépendantistes progressent dans les urnes, et l’esprit de service public s’effrite face à la pression souvent trop politicienne. Dans ces conditions, un geste électoral aurait été le bienvenu pour assurer d’emblée cette collectivité d’une légitimité politique incontestable.
Pour autant, faut-il remettre en cause la ratification de ces ordonnances ? Il y a actuellement en Corse des fonctionnaires et des agents dont les conditions quotidiennes de travail sont déterminées par l’exécution de ces textes. Ne pas les ratifier reviendrait à les laisser au rang de simples actes administratifs dans l’intermède, entretenant ainsi une insécurité juridique trop lourde de conséquences.
Au demeurant, ces ordonnances vont dans le bon sens, celui d’une administration plus performante, d’un meilleur service public et donc de l’intérêt général.
Faut-il alors sacrifier l’application de ce texte ? La véritable question est posée.
La commission des lois, par la voix de son rapporteur, le professeur Portelli, a fait le choix de la ratification de ces ordonnances. Ce choix a été confirmé par la commission des finances pour ce qui est de l’aspect financier de l’ordonnance, comme vient de le dire notre collègue Charles Guené.
Par conséquent, la Haute Assemblée ayant voté la loi NOTRe, on peut considérer qu’il est utile et souhaitable de ratifier ces ordonnances.
Nous entendons néanmoins la voix de ceux qui, ici, ne sont pas satisfaits de ces textes et les trouvent incomplets, notamment sur le plan économique et financier. D’aucuns parlent même de manœuvres électorales.
Toutefois, nous sommes liés dans cette affaire, même si nous ne pouvons pas, nous le savons, régler l’intégralité de la question corse au travers de la ratification d’une mesure d’exécution d’une disposition accessoire de la loi NOTRe.
Ce débat doit avoir lieu, mais pas dans le cadre de la discussion d’un tel véhicule législatif, sauf à remettre en cause des mois de travaux administratifs, un plan de fusion des collectivités et, donc, le cadre élémentaire de travail de nombreux agents publics.
Nous entendons ces préoccupations, mais, à notre sens, celles-ci pourront être résolues plus tard grâce à des textes plus adaptés et avec la solennité qu’un tel sujet requiert. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Philippe Kaltenbach applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner le projet de loi de ratification de trois ordonnances relatives à la Corse, comme cela était prévu par l’article 30 de la loi NOTRe du 7 août 2015. C’est sur ce point-là que nous devons nous concentrer.
Voilà un an et demi, nous avons voté ce texte prévoyant la création d’une collectivité unique, et le Gouvernement a travaillé, en concertation, pour rédiger ces ordonnances, comme l’a rappelé M. le ministre : la question qui nous est posée aujourd’hui est de savoir si le travail réalisé est bien conforme à ce que nous avons voté en 2015.
L’article 30 précité visait à instituer une nouvelle collectivité territoriale à statut particulier pour la Corse afin de remplacer la collectivité territoriale de Corse et les deux départements de Corse, à savoir la Haute-Corse et la Corse-du-Sud. La nouvelle collectivité unique, appelée collectivité de Corse, doit être mise en place au 1er janvier 2018, après des élections organisées au cours du dernier trimestre 2017.
Nous sommes pris par les délais : le délai pour ratifier les ordonnances, mais également le délai qui nous contraint à aboutir à une mise en place de la collectivité au 1er janvier 2018. Il est donc impératif que nous adoptions cette loi de ratification avant la fin de la session.
En définitive, ce texte vise à achever un processus de simplification, tout en garantissant le respect des spécificités corses.
Je rappelle que cette réforme est fondée à l’origine sur une délibération de l’Assemblée de Corse, prise en décembre 2014, appelant à la création d’une collectivité unique. Elle est donc le fruit d’une concertation et d’une collaboration qui ont su dépasser les clivages partisans. Elle est ainsi largement consensuelle : 80 % des élus corses, droite et gauche confondues, l’ont approuvée. Je précise que les élus corses ont eux-mêmes souhaité qu’il n’y ait pas de consultation des électeurs corses. Peut-être ont-ils été échaudés par le référendum organisé par Nicolas Sarkozy en 2003. Quoi qu’il en soit, depuis de nombreuses années, ce débat sur la collectivité unique est sur la table : après avoir été largement discuté et débattu, un large consensus s’est dégagé en Corse. Par conséquent, nous pouvons faire confiance aux élus corses sur ce point.
Ont ainsi été promulguées les trois ordonnances nécessaires pour traiter l’ensemble des conséquences juridiques de cette fusion, qui sont nombreuses ; je n’y reviendrai pas, car elles ont déjà été rappelées. Un long travail de concertation a été mené avec les différentes collectivités.
L’une porte diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse ; l’autre concerne diverses mesures électorales ; la dernière précise les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse.
Rappelons que la spécificité de la Corse dans la République a été reconnue de longue date.
Aujourd’hui, pas moins de 179 articles du code général des collectivités territoriales sont consacrés à la collectivité territoriale de Corse, qui est reconnue comme une collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution.
Cette singularité a été traduite dans plusieurs réformes statutaires – le statut Defferre de 1982, le statut Joxe de 1991 et le statut Vaillant de 2002 –, avec, à chaque fois, un double objectif : favoriser l’expression du débat politique dans le cadre d’une démocratie locale rénovée et permettre la recherche de solutions adaptées aux problèmes insulaires au travers de l’octroi de compétences étendues en matière d’identité culturelle et de développement.
Ainsi, on peut dire que la collectivité territoriale de Corse se situe à l’avant-garde de la « République décentralisée », avec des responsabilités accrues, mais aussi une organisation rationalisée et des moyens plus importants. Citons le statut fiscal particulier, auquel les Corses sont très attachés.
La fusion de ces différents échelons territoriaux s’inscrit pleinement dans le mouvement de décentralisation et de rationalisation de l’action publique qui a pour objet de rapprocher la décision des populations auxquelles elle s’adresse, tout en réalisant des économies d’échelle. L’objectif est aussi de garantir une gouvernance plus solidaire et plus cohérente à même de répondre efficacement aux attentes des habitants et aux déséquilibres des territoires. On a là l’exemple d’une collectivité unique ayant pour ambition de proposer une meilleure coordination des politiques publiques locales.
On aurait pu penser que le débat serait simple, que le Sénat voterait ce texte dans un bel élan. Tel était mon sentiment jusqu’à présent, tout le monde ayant acté le fait qu’il fallait une collectivité unique lors des débats sur la loi NOTRe,…
Mme Cécile Cukierman. Non, pas tout le monde !
M. Philippe Kaltenbach. … à l’exception des élus du groupe CRC en effet. Le consensus était quand même très large sur les travées de cette assemblée.
Cependant, j’ai cru comprendre, lors des débats en commission des lois, que le groupe Les Républicains avait fait évoluer sa position. Les membres de la commission des lois ont refusé de prendre part au vote en commission, et je crois comprendre qu’un grand nombre d’entre eux va voter contre ce texte aujourd’hui. J’avoue que je suis quelque peu surpris par cette décision politique.
Voilà un an et demi, ce groupe était favorable à un statut, qui avait quand même été imaginé par Nicolas Sarkozy en 2003 :…
M. Philippe Dominati. Rien à voir !
M. Philippe Kaltenbach. … il avait alors défendu la fusion des deux départements, le référendum ayant échoué à quelques voix près.
Par ailleurs, il y a eu un large consensus des élus corses, mais aussi au Sénat et à l’Assemblée nationale. Et nous arrivons dans la dernière ligne droite, à quelques mois de la mise en place de cette collectivité unique que tout le monde appelle de ses vœux et qui permettra de faire des économies, la Corse étant aujourd’hui suradministrée,…
M. Yves Pozzo di Borgo. Comme la Ville de Paris ! (Sourires.)
M. Philippe Kaltenbach. … comme de nombreux rapports parlementaires l’ont montré.
Une île de 300 000 habitants avec 360 communes, deux départements et une collectivité spécifique, cela commence à faire beaucoup ! Même les élus locaux en sont convenus et ont choisi eux-mêmes d’aller vers une rationalisation et une simplification de nature à permettre à la fois des économies et une gestion plus efficace.
Je le répète, je suis extrêmement surpris de cette décision du groupe Les Républicains. Je regrette de devoir parler avant l’orateur de ce groupe, car j’aurais aimé pouvoir lui répondre, mais je le fais un peu par anticipation. J’en suis d’autant plus surpris que notre ancien collègue, Jean-Jacques Hyest, qui siège maintenant au Conseil constitutionnel, corapporteur de la loi NOTRe, déclarait voilà quelques mois : « La création d’une collectivité de Corse a paru tout à fait souhaitable, y compris en termes d’organisation du territoire. On parle de la sous-administration des territoires, mais la suradministration n’est pas forcément une bonne solution, en particulier au regard des caractéristiques de la Corse. Le Sénat ne peut qu’être favorable à la fusion des deux départements avec une région pour en faire une collectivité unique. »
En quelques mois à peine, le groupe Les Républicains a beaucoup évolué. On me dit que certains élus locaux ont pesé dans la décision, arguant du fait que les élections annoncées pour la fin de l’année 2017 n’allaient pas forcément leur être très favorables. Mais si l’on commence à différer les réformes en matière d’architecture territoriale en fonction des prévisions électorales, on est forcément déçus.
M. Jacques Mézard. Vous avez l’expérience en la matière ! (Sourires.)
M. Philippe Kaltenbach. Essayons de nous extirper de cette logique politicienne pour privilégier l’intérêt non seulement de la Corse et des Corses, mais aussi de la République. Mettons en place ce système que nous avons validé à de nombreuses reprises et laissons ensuite les électeurs corses choisir qui devra diriger cette collectivité unique. Nous devons être dans le droit fil de ce que nous avons voté en 2015, et que nous défendons depuis de nombreuses années. Privilégions avant tout les intérêts de la Corse et de la République et gardons-nous de nous arc-bouter sur des postures politiciennes.
Nous le savons, l’empilement des niveaux de responsabilité dilue la décision, la rend moins lisible pour les populations et crée des coûts supplémentaires. À l’arrivée, c’est la qualité du service public local qui en pâtit.
Je veux enfin insister sur la nécessité d’avoir une organisation territoriale qui s’adapte aux particularismes locaux. Je sais que le groupe CRC est opposé à tous les statuts particuliers ; notre collègue Christian Favier l’a indiqué en commission. Pour ma part, je considère que cette vision de la République est par trop jacobine. Nous vivons aujourd’hui dans un État décentralisé, et, s’il nous faut conserver cette vision unique de la République, nous devons également savoir adapter l’architecture territoriale aux spécificités des différents territoires. Nous l’avons fait pour les territoires ultramarins et pour la Corse, mais, au-delà, je crois qu’il faut de la souplesse dans nos organisations territoriales, de sorte qu’elles puissent s’adapter au mieux à des territoires très différents.
Peut-on aujourd’hui gérer de la même manière des territoires urbains et des zones de montagne ? Peut-on gérer de la même manière un territoire ultramarin et un département métropolitain ? Peut-on gérer de la même manière une grande collectivité et des petits territoires ? Non, bien sûr ! C’est d’ailleurs tout l’objet de la décentralisation : adapter les différentes règles de façon à être au plus proche du terrain. En d’autres termes, la République doit être capable d’adapter ses règles de fonctionnement à la réalité des territoires locaux. C’est ce choix qui nous est proposé pour la Corse aujourd’hui, un choix que nous avons déjà tranché en 2015.
Le groupe socialiste et républicain apportera un soutien total à ce projet de loi de ratification, en espérant que cette volonté de parachever ce processus en Corse sera partagée par le plus grand nombre de sénateurs.
Pour conclure, j’ajoute que cet exemple corse doit nous amener à réfléchir plus globalement. En effet, en tant qu’élu francilien, je ne peux que déplorer qu’il y ait aujourd’hui cinq niveaux de décision dans la petite couronne parisienne : la commune, les conseils de territoire, les départements, la métropole, la région. Il est bien évident qu’une telle architecture est de moins en moins efficace et qu’elle rend les décisions peu lisibles pour nos concitoyens. Je souhaite que la Corse, comme d’ailleurs la métropole de Lyon, serve d’exemple à d’autres collectivités. Il importe de réfléchir à des solutions au niveau local avant de les proposer au Parlement.
Nous avons là un bel exemple d’interaction entre les élus locaux, le Gouvernement et le Parlement pour aboutir à un nouveau statut pour la Corse, qui est attendu sur l’île, et qui permettra de mieux gérer cette collectivité.
Le groupe socialiste et républicain votera en faveur de ce projet de loi de ratification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier.
M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce texte illustre une nouvelle fois l’instabilité institutionnelle qui frappe la Corse depuis plusieurs décennies. Depuis 1982 et la loi portant statut particulier de la région de Corse, on peut compter un remaniement institutionnel tous les dix ans.
Cette instabilité est d’abord due au fait que les réformes – celle dont nous débattons aujourd’hui n’échappe pas à la règle – se font à marche forcée, au prix d’un véritable déni de démocratie, car la population corse n’est pas appelée à se prononcer sur un changement institutionnel qui conditionne pourtant durablement son avenir.
On relève cependant une exception en 2003, lorsque le ministre de l’intérieur de l’époque, Nicolas Sarkozy, proposa une réforme visant déjà à réunir les deux départements corses en une collectivité unique. Cette réforme fut d’ailleurs rejetée par référendum local. Cela explique sans doute que l’on soit passé du référendum à l’ordonnance, le coup de force étant devenu l’ADN politique du pouvoir, qu’il soit entre les mains des mondialistes de droite ou de gauche.
Nos compatriotes en général, et nos compatriotes corses en particulier, savent qu’il y a bien longtemps que les responsables politiques de notre pays font fi de ce que veut le peuple. Pour notre part, monsieur le ministre, nous croyons que toute modification de l’organisation territoriale doit être validée par le peuple, plutôt qu’imposée par les technocrates.
Rappelez-vous, la loi NOTRe a abordé la collectivité unique de Corse par le biais d’un amendement. C’est dire la préparation et la réflexion sur le sujet !
Je crois qu’il n’est pas inutile de vous rappeler que, en démocratie, c’est le peuple souverain qui détient le pouvoir. Alors, faisons en sorte qu’il puisse s’exprimer et demandons-lui son avis lorsque des décisions engagent son avenir, comme c’est le cas aujourd’hui, plutôt que de le museler, comme l’ont souhaité certains élus de l’île.
Sur le fond, cette réforme pose bien évidemment plusieurs problèmes.
La représentation démocratique et équilibrée des territoires essentiellement ruraux n’est plus assurée comme elle l’était par le scrutin « cantonal ». Or la spécificité de la Corse, outre son insularité, vient également de sa forte ruralité et de sa forte disparité géographique.
Autre problème : la chambre des territoires prévue au sein de la collectivité unique est une usine à gaz et un mauvais ersatz des conseils départementaux. Monsieur le rapporteur, vous soulignez vous-même son inutilité. Quand cesserons-nous de créer des instances dont on sait, dès le début, qu’elles ne serviront pas à grand-chose, à part, bien sûr, à accroître la dépense publique ?
Enfin, la concentration totale des pouvoirs dans les mains du président de l’Assemblée de Corse et du président de l’exécutif à travers cette collectivité unique est une bien mauvaise réponse au clientélisme dont on a accusé les conseils départementaux jusque-là.
Alors que faire ?
Il faut que la date du 1er janvier 2018 cesse de nous obliger. Nous devons prendre le temps de réfléchir à une organisation territoriale adéquate, définie une fois pour toutes avec l’ensemble des élus locaux. Cette organisation doit bien évidemment prendre en compte les spécificités géographiques de la Corse et ses traditions culturelles, éléments majeurs de son identité, et, surtout, le souhait de la population corse.
Ces ordonnances ne répondant pas à une réflexion de long terme sur l’organisation des pouvoirs publics en Corse, nous ne voterons pas ce texte. (M. Jean-Jacques Panunzi applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis porte sur la ratification de trois ordonnances qui précisent les modalités de fusion des départements de la Corse-du-Sud et de la Haute-Corse avec la collectivité territoriale de Corse, en application de la loi NOTRe, que notre groupe avait unanimement rejeté. Avec ce nouvel OVNI institutionnel, c’est une nouvelle étape du démantèlement des institutions républicaines qui est franchie.
Faut-il rappeler que le 6 juillet 2003, voilà treize ans, les Corses s’étaient massivement mobilisés lors d’un référendum sur le statut de l’île ? Ils avaient majoritairement exprimé leur attachement à l’existence des trois collectivités qui composent cette région et rejeté la proposition de suppression de l’échelon départemental.
Dix ans plus tard, le projet de collectivité unique a été remis à l’ordre du jour des travaux de l’Assemblée de Corse. Il ne faut pas oublier que ce débat s’est déroulé dans un contexte national où, au plus fort des discussions concernant la loi MAPTAM, la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, et la loi NOTRe, certains opéraient, ici à Paris, un véritable coup d’État contre l’existence des départements de France.
En Corse, comme dans l’ensemble du pays, les électeurs ont d’ailleurs sévèrement sanctionné les partisans de la suppression des départements, tant aux élections municipales de 2014 qu’aux élections départementales de 2015.
Et pourtant, au mépris du souhait des Corses, qui se sont exprimés à plusieurs reprises à l’encontre de la création d’une collectivité unique sur l’île, le projet a été glissé par un tour de passe-passe au sein de la loi NOTRe.
Nous dénonçons donc, aux côtés des élus communistes de l’Assemblée de Corse, ce passage en force en cours, qui relève d’un processus particulièrement antidémocratique. Nous réitérons leur demande d’un projet de loi spécifique avec ratification par référendum.
Sans nier les particularités de la Corse liées à son insularité, personne n’est dupe du caractère expérimental de ce changement, après celui de la métropole de Lyon, préalablement à une remise en cause plus large de l’échelon départemental. Certains n’en ont pas fait mystère en commission des lois, M. Kaltenbach indiquant même qu’il s’agissait « d’un très bon exemple de ce qui pourrait se développer sur le continent, en région parisienne par exemple. » Sans que les Corses aient été démocratiquement consultés, ils pourraient donc servir de cobayes aux liquidateurs de nos institutions républicaines.
Mais cette fusion recouvre d’autres enjeux. Adopter la collectivité unique en Corse, c’est adopter le modèle de l’Europe des régions, en concurrence avec les territoires voisins.
Est-ce que le modèle souhaité pour la Corse sous la pression des autonomistes est celui qui prévaut en Italie, avec des territoires autonomes comme le Mezzogiorno, où les habitants ont des revenus 50 % inférieurs à ceux du Nord ? Pour notre part, nous refusons une France à deux vitesses.
Comme l’ont exprimé les syndicats et les travailleurs de Corse, avec cette réforme, la République s’éloignerait un peu plus en Corse des problématiques qu’elle a pour tâche de résoudre.
C’est pourquoi il faut, avant toute chose, réduire les inégalités économiques de l’île, sachant que la Corse a, de très loin, le plus bas PIB régional de France métropolitaine.
C’est pourquoi il faut aussi en finir avec les inégalités éducatives, la population de Corse étant la moins diplômée de France métropolitaine.
C’est surtout pourquoi, enfin, il faut résoudre le problème de la cherté de la vie et des inégalités sociales en Corse, le revenu par habitant y étant le plus faible du pays, et 21 % de sa population vivant en dessous du seuil de pauvreté. N’oublions pas que 10 % des ménages concentrent 33 % des revenus déclarés en Corse et que les ménages les plus fortunés ont des revenus sept fois supérieurs aux moins aisés.
Dans ce contexte, la suppression des départements, qui jouent un rôle essentiel au service des personnes âgées, des personnes handicapées, des enfants en danger, des populations les plus fragilisées, est un risque majeur pour la cohésion sociale de la Corse.
Poursuivre ce modèle de l’Europe des régions, fondé sur la concurrence des territoires et des populations, est, à nos yeux, une profonde erreur. Il s’agit d’un modèle qui, à rebours des exigences sociales de la Corse, a pour objet de permettre, à terme, des dérogations au cadre national du droit du travail.
C’est enfin un modèle au service de l’oligarchie économique, qui souhaite faire main basse sur l’île, comme elle l’a fait avec l’ancienne société maritime nationale, désormais gérée sous la forme d’un consortium privé représentant 10 % du PIB de la Corse. Tout cela s’est fait au détriment des salariés, des agents du service public, des agriculteurs, des PME, notamment celles du tourisme et du BTP.
Mme Cécile Cukierman. Eh oui !
M. Christian Favier. L’égalité entre les territoires et entre les individus est un fondement républicain sur lequel on ne peut transiger. La véritable priorité pour la Corse, c’est de prendre à bras-le-corps la question des inégalités. Or cette réforme, malheureusement, ne conduira qu’à les aggraver.
Enfin, nous refusons la démarche politique qui la sous-tend.
Certains soutiennent cette réforme, car elle est, à leurs yeux, le moyen de réduire le champ de l’action publique et un outil pour la réduction de l’emploi public. C’est la poursuite de la mise en œuvre du dogme libéral de suppression d’un fonctionnaire sur deux, dogme véhiculé successivement par les réformes Fillon et Lebranchu.
D’autres, du côté des nationalistes, y voient l’aboutissement d’un projet politique porteur de divisions, bien loin des 20 000 Corses qui, aux côtés du résistant Jean-Baptiste Ferracci, prêtèrent à Bastia, le 4 décembre 1938, un serment d’attachement aux valeurs progressistes de la République.
Et que dire de l’affaiblissement démocratique, avec une assemblée qui passerait de 104 élus départementaux et territoriaux à 63 élus dans la future collectivité unique, ce qui éloignera un peu plus les citoyens de leurs représentants ?
Mes chers collègues, sans République, il n’y a pas d’égalité, et sans égalité, il n’y a pas de République. Beaucoup de Corses ont raison d’être en colère à ce sujet.
Depuis près de 250 ans, les Corses ont tant apporté à la France que la République doit aujourd’hui leur rendre ce qu’ils lui ont donné, ce qui passe par un véritable projet d’égalité avec le reste du territoire national, ainsi que par un investissement massif dans un développement alliant progrès sociaux et réussites économiques.
Je terminerai mon propos en citant mon ami Dominique Bucchini, ancien président de l’Assemblée de Corse : « La seule voie pour la Corse, c’est la mobilisation populaire. Notre problème n’est pas identitaire, mais économique. »
Attachés au principe de la consultation par référendum des Corses, les sénateurs communistes, républicains et citoyens s’opposeront à ce projet de loi, tout comme l’ont fait les élus communistes de l’Assemblée de Corse. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Joseph Castelli.
M. Joseph Castelli. Monsieur le ministre, je reprendrai la phrase que vous avez adressée au président de l’exécutif de Corse : je vous félicite du « chemin que vous avez parcouru, en un an, avec tous les élus de la Corse ».
En effet, trente-cinq ans après l’attribution d’un statut particulier qui a placé la Corse à l’avant-garde de la décentralisation, la ratification de ces ordonnances permet de poursuivre la mise en place d’une collectivité unique en Corse, actée par la loi NOTRe, en cohérence avec la délibération du 27 septembre 2013 de l’Assemblée de la collectivité territoriale de Corse.
Alexis de Tocqueville, dans De la démocratie en Amérique, estime que « la décentralisation n’a pas seulement une valeur administrative. Elle a une portée civique, puisqu’elle multiplie les occasions pour les citoyens de s’intéresser aux affaires publiques. » « Elle les accoutume à user de la liberté. Et de l’agglomération des libertés locales, sourcilleuses, naît le plus efficace contrepoids aux prétentions du pouvoir central. »
Monsieur le ministre, avec ce projet de loi de ratification d’ordonnances, d’une part, vous permettez à la Corse de sortir de quarante ans d’incertitude, et, d’autre part, vous assurez la construction d’une véritable unité politique, administrative et gestionnaire à compter du 1er janvier 2018.
L’organisation actuelle de l’île est bien trop complexe, comme vous le savez. Elle est caractérisée par un émiettement des structures publiques locales, qui constitue un frein au développement de la Corse.
Ce texte permet d’y remédier en prévoyant la simplification de l’organisation territoriale, ainsi que de son fonctionnement, en mettant en synergie les compétences et les moyens des départements et de la collectivité territoriale de Corse, et, enfin, en assurant un juste équilibre institutionnel entre les pouvoirs délibérants et exécutifs.
Sachez, monsieur le ministre, que vous avez répondu au souhait d’une grande majorité non seulement de l’Assemblée de Corse, mais aussi de la population de la Corse.
Très concrètement, il reste peu de temps pour construire un processus permettant à la future collectivité d’être opérationnelle au 1er janvier 2018. La collectivité de Corse devra satisfaire à la fois à des impératifs d’unité de la décision politique, de rationalisation de la gestion administrative et de proximité avec les territoires et la population.
Il reste un an – à peine un an ! – pour s’accorder en matière financière, budgétaire, sur l’implantation territoriale des futurs services publics entre Bastia, Ajaccio et les autres territoires, et, enfin, pour anticiper les marchés publics de 2018.
Dans une logique de proximité avec les territoires, et compte tenu de la future disparition des départements de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud, l’équilibre territorial entre le niveau le plus proche, la commune, et le niveau le plus élevé, la collectivité de Corse, devra passer par un resserrement du maillage intercommunal, comme vous l’avez dit tout à l’heure, monsieur le ministre.
Je tiens d’ailleurs à vous remercier pour votre investissement sur la question. Après huit mois de négociations sur le périmètre des nouvelles intercommunalités, en Centre Corse notamment, un accord a finalement été trouvé dans le périmètre soumis par M. le préfet, qui s’est soldé par la conclusion de contrats de ruralité et la mise en place de pôles d’équilibres territoriaux et ruraux permettant d’évoluer vers la fusion en un seul EPCI, un établissement public de coopération intercommunale, à l’horizon de 2022.
Concernant les agents des deux départements, ainsi que ceux de la collectivité de Corse, les conditions de statut et d’emploi ainsi que leur régime indemnitaire seront préservés. Le cas échéant, une indemnité de mobilité leur sera versée.
Toutefois, il restera à prévoir un partenariat étroit entre les différentes collectivités fusionnées afin de garantir aux agents une mobilité davantage choisie que forcée.
Enfin, d’autres chantiers devront être mis en œuvre, au premier rang desquels figure la résorption du désordre de propriété, ainsi que vous l’avez évoqué, monsieur le ministre, mais je veux y revenir.
En Corse, le droit de propriété ne peut s’exercer normalement du fait de l’absence de titre opposable ou de l’existence de biens non délimités. Par conséquent, la revitalisation de l’espace rural est largement freinée.
Pour y remédier, j’avais proposé un amendement, qui reprenait les principales dispositions de la proposition de loi de Camille de Rocca Serra, visant à favoriser l’assainissement cadastral et la résorption du désordre de la propriété. Ce texte avait été cosigné par de nombreux députés parmi lesquels figurent, bien sûr, tous les députés de Corse, toutes tendances confondues. Il a d’ailleurs été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale le 8 décembre 2016, comme vous l’avez rappelé précédemment, monsieur le ministre.
Je regrette, bien évidemment, que cet amendement ait été déclaré irrecevable par la commission des lois, car il est pourtant urgent – il est même très urgent ! – d’examiner ces dispositions, eu égard à la fin imminente de la présente session parlementaire.
Pour terminer, je formulerai une interrogation : en cas d’alternance politique peu favorable, me semble-t-il, à cette nouvelle institution, l’avenir de la future collectivité de Corse sera-t-il assuré ?
Vous l’avez compris, mes chers collègues, je voterai, bien sûr, ce projet de loi, une position partagée par tous mes collègues, sans exception, du groupe du RDSE ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi.
M. Jean-Jacques Panunzi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’ordre du jour appelle aujourd’hui l’examen du projet de loi de ratification des ordonnances relatives à l’instauration d’une collectivité unique en Corse. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, il s’agit bien de la déclinaison de l’article 30 de la loi NOTRe. C’est dire, monsieur le ministre, que le débat repose non pas sur le principe de la collectivité unique, mais sur les modalités de son instauration.
Mes chers collègues, que ce fût en 1982, en 1991 ou en 2002, les évolutions statutaires propres à la Corse ont été menées dans le cadre d’un projet de loi spécifiquement dédié. Celui de 2003 a même pu bénéficier d’une consultation référendaire, dont l’issue négative a repoussé la mise en œuvre de la loi pourtant validée par le Parlement. Cette issue négative s’expliquait principalement par la rupture du lien de proximité provoquée par la disparition des conseillers généraux et par le choix d’un mode de scrutin qui ne permettait de pérenniser ni ce lien ni l’incarnation, à la fois de représentation et opérationnelle, des différents territoires.
Or le principe de la réforme devait permettre la mise en place d’une organisation simple et d’un fonctionnement facile à assimiler par tous. Outre qu’elle devait assurer un partage clair des responsabilités, elle devait également renforcer le lien entre les différents niveaux de l’organisation territoriale et permettre le maintien de l’indispensable proximité entre la population et ses élus.
A contrario, cette fois-ci, c’est par un amendement à la loi NOTRe qu’a été actée la mise en place d’une collectivité unique en lieu et place des trois institutions actuelles : la collectivité territoriale de Corse, région à statut particulier, et les deux départements de Haute-Corse et de Corse-du-Sud, collectivités de droit commun.
L’amendement de principe dans la loi NOTRe, devenu article de la loi promulguée, se contente de substituer une entité nouvelle aux trois collectivités. Cela explique le renvoi à des ordonnances pour procéder au travail fastidieux de réécriture des codes en vue d’y remplacer les références aux trois collectivités par celles de la collectivité de Corse, sans que les sujets essentiels des compétences, des moyens et des équilibres politiques, comme territoriaux, soient débattus. Les ordonnances traduisent tout simplement un travail d’empilement.
Lors de la session du 6 septembre 2016, 20 élus sur les 51 que compte l’Assemblée de Corse ont voté contre les ordonnances relatives à la collectivité unique. Parmi les 31 membres ayant voté pour, 24 d’entre eux sont nationalistes et 7 sont des radicaux de gauche. Sur les 20 membres ayant voté contre, et ce, malgré le fait que tous sont favorables à la collectivité unique sur le principe, 11 sont des élus de droite, 2 ont l’étiquette « divers gauche », 3 sont communistes et 4 appartiennent au Front national. Leur opposition au projet du Gouvernement repose, de mon point de vue, sur deux raisons principales.
Première raison, l’absence d’équilibre des pouvoirs et des territoires au sein de la nouvelle collectivité unique. Aucune discussion n’a eu lieu sur le mode de scrutin ni sur la représentation des territoires, alors que c’est, on le sait, ce qui a manqué en 2003. Ce n’est pas avec une prétendue « chambre des territoires » dotée d’un rôle accessoire que l’on atteindra cet objectif ! Et l’on n’y parviendra pas davantage en changeant simplement la dénomination première de cet organe, appelé dans le premier projet « conférence de coordination des collectivités territoriales » ! On crée un président de plus dans la galaxie des présidents. On accorde une satisfaction fictive à la ville de Bastia – il fallait contenter les nordistes ! –, mais on crée surtout la confusion et de la complexité, et on aggrave les charges financières supportées par les contribuables.
Vous rendez-vous compte, mes chers amis, mes chers collègues, des risques liés à la concentration des pouvoirs en une seule main ?
Je reprendrai la formule de mon collègue et ami Dominique Bucchini, élu communiste, qui a présidé l’Assemblée de Corse entre 2010 et 2015. Lors de la session de décembre 2014, il avait alerté la représentation insulaire sur le fait que le président de l’exécutif à la tête de la future collectivité unique serait « le roi de Corse ». Il n’avait pas tout à fait tort, car, dans toute organisation démocratique, il faut des poids et des contrepoids.
Montesquieu a théorisé avant nous la nécessité de l’équilibre des pouvoirs. Selon lui, « la concentration des pouvoirs en politique est aussi perverse que l’abus de position dominante dans le monde des affaires ».
Une loi propre à la Corse aurait permis d’établir des champs de compétences précis, notamment celles que la collectivité de Corse pourrait partager avec les intercommunalités, lesquelles, de par la disparition des conseils généraux, sont appelées à assumer des compétences de proximité. Le choix de recourir aux ordonnances ne permet pas de procéder à cette réorganisation équilibrée des pouvoirs et nécessite impérativement le recours à la loi.
Seconde raison, l’inexistence de tout accompagnement économique, financier et fiscal, pourtant indispensable à la réussite de la collectivité unique et au développement de la Corse. Bien au contraire, le risque est de voir s’aggraver la pression fiscale territoriale.
Pour exemple, au moment où je vous parle, le budget de la nouvelle collectivité s’élèvera à environ 1 100 millions d'euros, avec un encours de la dette de 850 millions d'euros, sans compter les dettes accumulées dans les différents offices, qui s’élèvent à plusieurs millions d’euros pour celles qui sont connues. Vous le comprendrez bien, mes chers collègues, le remboursement des intérêts impactera fortement l’épargne brute de la future collectivité. Cette situation aura pour conséquence une diminution très nette de la capacité d’autofinancement et du niveau d’investissement. D’ailleurs, dans son rapport, le comité stratégique précise que le niveau des ressources propres de la collectivité de Corse ne suffira pas à assurer son autonomie financière.
Au moment où les fonds européens se raréfient, où le programme exceptionnel d’investissement s’achève, où les dotations de l’État s’amenuisent, la Corse a un besoin vital de ce soutien pour poursuivre sa modernisation et le rattrapage du retard historique de nos équipements collectifs. Quid de la prime à la bonne gestion d’une collectivité à l’autre ? De loin, depuis maintenant plus de dix ans, le département de la Corse-du-Sud, par opposition à la collectivité territoriale de Corse et au département de la Haute-Corse, affiche un niveau d’investissement routier de plus de 55 millions d'euros par an, avec un très faible recours à l’emprunt.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est énorme !
M. Jean-Jacques Panunzi. En effet, monsieur le président, et c’est pour cette raison que je tiens à le signaler !
Cette gestion, qui a d'ailleurs été saluée à plusieurs reprises au niveau national, risque aujourd’hui de se trouver diluée et utilisée pour combler les errements des autres collectivités.
Se pose à ce niveau un problème de justice que j’ai soulevé plusieurs fois. Il m’a été répondu que, dans les ordonnances, les marges de manœuvre étaient contraintes et ne permettaient pas de régler les questions budgétaires. Cette situation a pourtant été évoquée dans les différents rapports de l’Assemblée de Corse, qui ont avancé des pistes de réflexion quant à l’apurement du passif et à l’investissement dans les différents territoires, en tenant compte de la gestion et des politiques actuelles dans les deux départements.
Les ordonnances, contraintes et étriquées, ne permettent pas de donner une véritable opérationnalité à la future collectivité de Corse. Cette réforme – je vous le dis, mes chers collègues, comme j’ai déjà eu l’occasion de le relever lors de chaque réunion – est une coquille vide ! Et nous sommes privés de référendum, alors que la délibération du 13 décembre 2014, que certains citent en oubliant de l’indiquer, précise, dans son article 3 (L’orateur brandit un document.), qu’il faut un référendum ! C’est le peuple corse et ce sont les élus corses qui l’ont voté.
La délibération précitée était fondée sur des arguments allant dans le sens d’une simplification administrative par parallélisme des formes avec la simplification institutionnelle instaurée. Or on ne voit pas, dans ces ordonnances, comment se traduit cette simplification administrative, notamment, je dois le reconnaître, au niveau des services déconcentrés de l’État.
Marylise Lebranchu, qui était chargée du dossier lors du vote de la loi NOTRe, avait admis, à la suite de la non-adoption d’amendements de Camille de Rocca Serra et d’autres parlementaires corses à l’Assemblée nationale, qu’il faudrait certainement revenir avec un véhicule législatif devant le Parlement pour apporter des corrections nécessaires et des aménagements à l’article de la loi NOTRe instituant une collectivité unique en Corse. Ce ne sont pas mes propos, c’est Mme Lebranchu qui l’a dit !
À moins de trois mois d’échéances électorales majeures, qui déboucheront certainement – je l’espère, du moins – sur de nouvelles propositions de révision de l’architecture institutionnelle de notre pays, au sein desquelles une réflexion d’ensemble sur la Corse pourrait pleinement et sereinement s’intégrer, on nous demande de confier au Gouvernement une habilitation étriquée qui ne permet pas de donner une véritable opérationnalité à la future collectivité de Corse.
Nous voulons, pour notre part, refonder nos institutions territoriales et construire une Corse responsable avec des moyens adaptés à l’insularité.
On nous impose une réforme au rabais et à marche forcée. Le seul objectif clairement affiché par les nationalistes est de tuer les deux conseils départementaux, et de le faire le plus vite possible ! On est loin de la démarche de rassemblement et de fusion qui devrait tous nous animer.
Mes chers collègues, l’unité de la Corse doit se bâtir sur le respect du pluralisme. Notre famille politique souhaite une réforme en profondeur du statut de la Corse, une véritable refondation. D’où notre position de vote contre ces ordonnances, monsieur le ministre.
Ces ordonnances devaient entériner le processus de clarification, de simplification et de rationalisation de l’action publique, en refondant notre architecture institutionnelle et administrative. Pourtant, ordonnances ou pas, aujourd'hui, et demain, avec la future collectivité – à laquelle M. Kaltenbach est favorable –, nous en serons toujours à 360 communes, 19 intercommunalités, 2 départements… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Philippe Kaltenbach. Pourquoi ?
M. Jean-Jacques Panunzi. Bien sûr, parce que les circonscriptions administratives départementales ne sont pas supprimées. On supprime les conseils départementaux, c’est tout.
Nous en serons toujours, disais-je, à 2 départements, 2 préfectures, 5 arrondissements, 3 sous-préfectures, 9 chambres consulaires, etc. Je pose la question : où est la simplification ? Est-ce ce modèle que vous voulez copier pour les autres régions dans quelques années ? Pour ma part, non, je ne suis pas d’accord.
À la suite de l’installation des futures majorités présidentielle et législative que nous appelons de nos vœux,…
M. Jacques Mézard. On l’a bien compris !
M. Jean-Jacques Panunzi. … nous proposerons l’élaboration et l’adoption d’une loi spécifique à la Corse, s’inscrivant dans une démarche globale, tant statutaire qu’économique, qui puisse constituer le cadre optimal d’exercice des compétences attribuées et, surtout, le cadre optimal d’épanouissement de la Corse au sein de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je veux, avant de passer à la discussion des articles, dire quelques mots pour remercier encore une fois le sénateur Portelli de la qualité de son rapport, mais aussi des propos qu’il a prononcés à la tribune, de son engagement et de son soutien sans faille quant à ces ordonnances et à la création de la collectivité unique. Il connaît bien ces sujets pour avoir, en d’autres temps, beaucoup œuvré sur la Corse. Il sait où est l’intérêt des Corses et de la Corse. Je tiens donc à le remercier et à rendre hommage au professeur de droit constitutionnel qu’il est, dont la parole est indiscutable quand il souligne que ce texte est un bon texte.
Je veux également remercier le sénateur Guené, rapporteur pour avis de la commission des finances, pour son implication dans l’examen de l’ordonnance financière. Je lui sais gré d’avoir souligné la qualité du travail accompli, et ce dans l’intérêt général des Corses et de la Corse.
Monsieur le sénateur Luche, je vous remercie de vos propos. J’ai bien entendu votre explication sur les avantages de la collectivité unique et votre engagement, au nom de votre groupe, à soutenir ce texte et donc, j’imagine, à le voter.
J’évoquerai le référendum, que vous-même, et d’autres, avez abordé. Je veux bien que, désormais, tout le monde en appelle en permanence au référendum. Mais il se passe des choses étranges. En effet, jusqu’à une période récente, la droite française n’avait quand même pas une préférence marquée pour le recours au référendum !
M. André Gattolin. Par exemple, sur les institutions européennes !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. On l’évoque quand cela peut sembler utile, sans d’ailleurs, généralement, y recourir quand on est au pouvoir !
Pour ma part, je fais partie de ces radicaux républicains qui sont partisans de la démocratie représentative. Je connais – je réponds par là même au sénateur Ravier – tous les dangers du référendum, dont on a vu, à chaque fois, qu’il n’apporte pas de réponse à la question posée. En l’occurrence, dans le paysage politique actuel, un référendum en Corse ne me semble pas la meilleure des formules pour préparer sereinement l’avenir institutionnel de l’île.
Je veux aussi dire au sénateur Ravier que la ruralité n’est pas oubliée en Corse : nous venons de lui conférer le statut d’île-montagne, une vieille revendication. Je suis moi-même allé signer sur place des contrats de ruralité. Les élus de l’île et l’État se soucient d’un aménagement du territoire harmonieux en Corse, et j’y veille personnellement puisque cela fait partie de mon portefeuille ministériel.
Monsieur le sénateur Kaltenbach, je vous remercie de votre soutien et, surtout, d’en avoir appelé à la cohérence politique. Je veux bien tout entendre, mais c’est quand même bel et bien la collectivité de Corse qui a souhaité la collectivité unique et délibéré en 2014 pour demander sa création !
On peut toujours faire l’exégèse, protester et prêter aux uns et autres tel ou tel avis. Parmi les documents que j’ai sous les yeux, je viens de lire qui avait voté pour la création de la collectivité unique. Je trouve parmi eux certains qui sont aujourd'hui en train de mener une opposition frontale à la collectivité unique alors qu’ils ont voté pour sa création lorsque la collectivité de Corse a délibéré sur le sujet. C’est quand même une duplicité rare dans la vie politique ; mais je reviendrai sur le sujet tout à l’heure.
Vous avez également eu raison, monsieur le sénateur, de souligner l’hétérogénéité des territoires. La Corse, c’est la France, c’est incontestable. Elle est un territoire de la République française, mais elle est aussi la Corse, ce qui implique quand même quelques légères différences. On ne peut pas dire que la région parisienne, le Tarn-et-Garonne ou l’Aveyron soient totalement similaires à la Corse. Alors, oui, la République est belle de ses différences et de son hétérogénéité.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Et elle s’enrichit de ses différences. Mais dès lors que l’on accepte cette idée – et j’entends que tout le monde est d’accord sur toutes les travées –, encore faut-il le reconnaître et mettre en accord ses actes avec ses idées. La Corse a besoin d’un certain nombre de statuts particuliers, et c’est ce que nous proposons.
Monsieur le sénateur Castelli, vous êtes un sénateur d’expérience, corse, de surcroît ; vous savez donc parfaitement de quoi vous parlez. Vous avez bien fait d’évoquer, dans un élan de sagesse, un juste équilibre institutionnel.
Vous avez également eu raison de penser aux agents. Vous êtes le seul à avoir évoqué leur sort, mais je connais votre engagement solidaire et social. Je puis vous dire que des dispositions ont été prévues à cet effet. Le président de la collectivité territoriale de Corse et les deux présidents des conseils départementaux se sont réunis et se sont mis d’accord. Je tiens à le préciser parce que certaines interventions laissent à penser que rien ne fonctionne en Corse et que tout a été oublié. Tel n’est pas le cas.
De même, vous avez bien fait d’aborder la question du désordre foncier. Comme vous, je regrette que l’amendement ait été déclaré irrecevable pour des raisons sur lesquelles je préfère ne pas revenir, mais qui sont bien loin de l’intérêt de la Corse : on a vu beaucoup de reniements et de pressions se conjuguer pour faire en sorte qu’il ne puisse pas venir en discussion.
Je ferai tout, au nom du Gouvernement, pour que nous puissions, sinon recoller la vaisselle cassée, du moins rattraper le temps perdu. Quoi qu’il en soit, il ne me semble pas très responsable ni très raisonnable d’avoir agi de la sorte. En tout cas, je sais que ce n’est pas l’intérêt des Corses et de la Corse, car le groupement d'intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse n’aura pas fini son travail dans les délais impartis. D’ailleurs, si le projet de loi n’est pas adopté, je ne suis pas sûr que la future majorité, quelle qu’elle soit, ait le temps de légiférer sur le sujet avant le 1er janvier 2018.
Monsieur le sénateur Panunzi, vous m’étonnerez toujours ! Selon les lieux, je ne vous entends pas dire tout à fait les mêmes choses ni parler avec la même flamme. Si je vous ai bien – enfin ! – compris, vous êtes désormais contre la collectivité unique.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il n’a pas dit cela !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Pourtant, vous avez participé à toutes les réunions de concertation que j’ai menées en Corse à trois ou quatre reprises.
Je vais répéter aujourd'hui, devant vous, ce que j’ai dit à la préfecture d’Ajaccio : quelqu’un de l’extérieur se demanderait pourquoi ce ministre venu de Paris voudrait imposer la collectivité à tous les Corses, alors qu’elle a été réclamée par les Corses eux-mêmes. Vous avez effectivement toujours expliqué, avec beaucoup de constance, que vous souhaitiez une loi spécifique, tout en sachant très bien que cela reviendrait à la renvoyer aux calendes grecques. Que ne l’avez-vous faite quand vous étiez dans la majorité ? Ce n’est pas si vieux ! À vous entendre, on a l’impression que nous gouvernons la France depuis vingt ans ! Malheureusement, ce n’est pas le cas, sinon elle se porterait mieux. Cette loi spécifique, vous ne l’avez pas faite !
M. Jean-Jacques Panunzi. C’est vous qui êtes ministre, pas nous ! Nous n’avons pas voulu supprimer les départements !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Alors, maintenant, vous la proposez, vous la promettez, mais vous savez très bien que vous serez loin d’avoir une majorité pour la faire voter. Il n’est qu’à voir la position de vos collègues, les sénateurs du groupe Les Républicains, sur le sujet : la Corse, c’est la France, c’est ainsi, point barre, circulez, il n’y a rien à voir, il n’y a rien à dire ! Et tout cela, vous le savez très bien. Alors, ne vendez pas de chimères ou du rêve, même si, en politique, on a parfois tendance à le faire, et peut-être en Corse en particulier.
En tout cas, l’amendement sur la loi NOTRe procède bel et bien d’une demande de la collectivité territoriale de Corse en 2014. Et ces ordonnances – vous en êtes le témoin, vous avez participé à toutes les réunions –, elles ont été coconstruites avec les représentants de la collectivité territoriale de Corse et les présidents des conseils départementaux, qui ont assisté à toutes les réunions, qu’elles se soient tenues à Paris ou en Corse, où je me suis déplacé moi-même à plusieurs reprises. Les groupes de travail, le directeur général des collectivités locales, les collaborateurs de la collectivité territoriale de Corse et les représentants des deux départements se sont rencontrés plusieurs fois. Ils ont réalisé de nombreuses vidéoconférences. C’est un véritable travail de coconstruction qui a été réalisé, et les demandes des Corses ont été prises en compte.
M. Jean-Jacques Panunzi. Non, aucune !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Quant aux amendements de Mme Marylise Lebranchu auxquels vous avez fait allusion, nous les avons repris dans leur intégralité, à l’exception d’un seul, qui était irrecevable pour des raisons constitutionnelles. N’écrivez pas une histoire différente ! Vous réécrivez d’ailleurs complètement l’histoire !
Fallait-il concentrer le pouvoir dans les mains d’une seule assemblée ? Vous parlez d’un « roi de Corse ». Tout cela est un peu dépassé, ce sont des temps plus anciens ! (M. Jean-Jacques Panunzi fait un signe de protestation.)
Concernant les préfectures, je rappelle que la question de savoir s’il fallait garder, avec une collectivité unique, deux départements ou n’en prévoir qu’un seul a été posée. Tous les élus corses se sont prononcés pour conserver deux départements. Ne faites donc pas semblant de vous étonner maintenant qu’il y ait deux préfectures !
Quant à l’ensemble des institutions, combien de fois – et vous étiez là ! – ai-je interrogé les délégations pour savoir comment procéder pour un certain nombre d’institutions ? Devait-on les fusionner ? Fallait-il conserver deux SDIS, deux chambres de commerce, deux chambres de métiers et de l’artisanat, deux chambres d’agriculture ? Pour l’instant, je n’ai pas obtenu beaucoup de réponses, mais j’ai ouvert le débat, et la concertation a eu lieu. Manifestement, nous n’avons pas participé aux mêmes réunions. Pourtant, vous étiez présent, je puis en témoigner.
Monsieur le sénateur Favier, j’ai bien entendu vos propos concernant les départements. Vous me l’accorderez, s’il en est un auquel on ne peut pas reprocher de ne pas aimer les départements et de ne pas avoir lutté pour leur survie, c’est bien moi ! Nous avons au moins cela en commun.
Mais vous aussi, comme les sénateurs du groupe Les Républicains, vous êtes monté à la tribune pour démontrer pendant dix minutes combien serait nocive pour la Corse et pour ses habitants la collectivité unique de Corse. Pourtant, permettez-moi de citer les propos que vous avez tenus le 29 mai 2015 à propos de l’amendement à la loi NOTRe : « Même si chacun connaît notre attachement au département, notre groupe votera cet amendement. »
Mme Cécile Cukierman. Oui ! Continuez !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. « Nous considérons qu’il existe effectivement une spécificité de la Corse et qu’il est nécessaire de faire évoluer son statut. »
Mme Cécile Cukierman. Allez jusqu’au bout de la citation !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Cette affaire me sidère donc quelque peu parce que je n’ai jamais vu autant de changements de pied, autant de reniements et autant de postures différentes !
Mme Cécile Cukierman. Ne tronquez pas la citation, c’est irrespectueux !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. On peut changer d’avis, on peut évoluer dans la vie, mais, à ce moment-là, il faut l’assumer et le dire franchement. Ce n’est pas le cas dans ce débat, qui me semble être un débat de dupes ! On oublie la seule chose essentielle, l’intérêt et l’avenir de la Corse et des Corses ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le ministre, je tiens avant tout à vous remercier d’avoir veillé à répondre à chacun des orateurs qui se sont succédé à la tribune pour exprimer leurs positions sur ce texte.
Je voudrais, pour ma part, vous faire part de deux observations.
La première concerne la collectivité unique. Oui, le Sénat a adopté la loi NOTRe, qui comporte les dispositions prévoyant la création de cette collectivité unique. Je vous rappellerai toutefois les conditions dans lesquelles cet amendement a été adopté.
Il s’agissait d’un amendement du Gouvernement, déposé à la toute dernière minute avant le débat. Nous ne l’avons adopté que pour deux raisons : d’une part, il nous a bien sûr semblé que la création d’une collectivité unique allait dans la bonne direction et, d’autre part, le Gouvernement avait alors fait état du consensus des partis politiques représentés dans les institutions départementales et territoriales de Corse. Cet élément a été, pour nous, absolument déterminant. En effet, nous ne prétendons pas, tous autant que nous sommes, être des spécialistes des questions institutionnelles relatives à la Corse. Mais je dois dire que ce consensus nous a rassurés.
Il n’en va pas de même aujourd’hui, puisque nous constatons que les responsables politiques corses ne sont pas tous en harmonie avec vos propositions quant au statut de l’Assemblée de Corse.
M. Philippe Kaltenbach. On ne peut pas changer d’avis tout le temps !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Un point, notamment, me paraît crucial – il revêt d’ailleurs une importance certaine pour l’ensemble du territoire national – : il s’agit du mode de scrutin.
Avec deux départements dont les conseillers départementaux sont élus au suffrage universel direct par canton, il s’opère une territorialisation des élus. En revanche, en supprimant les conseils départementaux au profit de l’Assemblée de Corse sans modifier le mode d’élection des conseillers territoriaux, on empêcherait toute territorialisation des élus de Corse. (MM. Yves Pozzo di Borgo et Jean-Jacques Panunzi approuvent.)
M. Philippe Kaltenbach. Enfin, 100 conseillers pour 300 000 habitants, cela fait beaucoup !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Or il nous semble que, dans les circonstances que connaît notre pays, et au vu du besoin ressenti par nos concitoyens d’avoir des élus référents qui puissent être accessibles de par leur proximité, un système politique reposant exclusivement, pour l’Assemblée de Corse, sur un mode de scrutin proportionnel avec prime majoritaire n’est pas satisfaisant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il n’y a pas de consensus sur ces ordonnances.
Par conséquent, nous pouvons fort bien avoir adopté le principe de la collectivité unique de Corse, tout en ayant un désaccord fondamental quant aux modalités de sa mise en œuvre, notamment le mode de scrutin.
M. Jean-Jacques Panunzi. Tout à fait !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous tenons à maintenir la cohérence que nous avons eue, et je tiens à souligner que cette préoccupation est partagée par nombre de collègues sur ces travées.
Ma deuxième observation porte sur la mise en ordre de la propriété en Corse. Sur ce sujet, nous n’avons pas de désaccord sur le fond, monsieur le ministre, sauf, naturellement, sur toute disposition qui pourrait avoir des impacts négatifs sur l’égalité devant l’impôt ou la sécurité du droit de propriété sur le continent. Des corrections peuvent être apportées au texte adopté par l’Assemblée nationale pour le rendre conforme à nos principes fondamentaux, ce que souhaitent d’ailleurs à juste titre tous les élus de Corse.
Pouvait-on, comme cela a été suggéré, intégrer ces dispositions, éventuellement amendées, au présent texte ? Monsieur le ministre, la réponse est non ! Vous êtes trop fin juriste et expert des procédures parlementaires, compte tenu de votre haute expérience, pour ne pas savoir que, lorsqu’un amendement est dépourvu de tout lien avec un texte en discussion, le Conseil constitutionnel, même lorsqu’il n’est pas saisi de cette difficulté, déclare d’office inconstitutionnelles les dispositions adoptées à la suite d’une telle procédure. Ce n’est pas moi qui l’ai inventé, c’est la jurisprudence même du Conseil constitutionnel ! Vous n’attendez tout de même pas de la commission des lois, gardienne du bon ordonnancement des textes constitutionnels, qu’elle aille violer une règle de procédure parlementaire aussi connue et aussi couramment pratiquée que celle-ci !
C’est la raison pour laquelle je ne peux pas accepter ce que je reçois comme un procès d’intention. Oui, nous voulons régler ce problème, mais c’est au Gouvernement, s’il en est convaincu, qu’il revient d’inscrire en temps utile à l’ordre du jour des travaux du Parlement la discussion d’un texte contenant ces dispositions. Vous verrez alors notre bonne foi, car nous les adopterons ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Monsieur le président de la commission, je le répète : la concertation la plus large a été menée pour l’élaboration de ces ordonnances, tant au ministère – trois réunions y ont été tenues – qu’en Corse, où je me suis rendu quatre fois. Nos services, à qui je veux rendre ici hommage, ont travaillé avec ceux de la collectivité territoriale de Corse, comme avec ceux des deux départements. J’avais demandé que des groupes de travail soient constitués ; ils l’ont été, et ils ont accompli un travail utile et digne d’éloges. Nous avons retenu certains points issus de ces travaux.
En outre, d’autres membres du Gouvernement – Mme Cosse, ministre du logement, et Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale – ont aussi œuvré sur les dispositions relevant de leurs domaines respectifs. Je ne peux donc pas laisser dire que le travail de concertation n’a pas eu lieu : il s’agit d’une réelle coconstruction avec les spécialistes des départements et de la collectivité territoriale de Corse, qui sont excellents : il y a même parmi eux un conseiller d’État !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Il fallait me le dire plus tôt ! (Sourires.)
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je voulais surtout vous dire que, au cours de ces nombreuses discussions, la question du mode de scrutin n’a été abordée à aucun moment. C’est seulement aujourd’hui que vous venez m’expliquer que vous vous opposerez à la ratification de ces ordonnances parce que le mode de scrutin ne serait pas le bon. Je veux bien tout entendre, mais je pèse mes mots, monsieur le président de la commission, car je vous sais attaché, de manière sourcilleuse sinon susceptible, aux bonnes relations entre le Parlement et le Gouvernement, ce en quoi vous avez raison – nous les partageons : il ne faut quand même pas pousser le bouchon trop loin !
Jamais, dans toutes ces réunions, la question du mode de scrutin n’a été évoquée : personne n’a signalé à mes collaborateurs ou à moi-même que la territorialisation constituerait un problème. (M. Jean-Jacques Panunzi proteste.) On aurait pu avoir ce débat ! Mais pourquoi avoir attendu aujourd’hui, le bout du bout de la discussion, pour soulever ce point ?
M. Philippe Kaltenbach. Ils ont peur de perdre les élections, c’est tout !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Au contraire, les rares fois où le mot « scrutin » a été prononcé, j’ai souligné que nous ne touchions à rien, pour qu’on ne puisse pas nous accuser de vouloir, par un chamboulement du mode de scrutin, influer sur les électeurs ou le scrutin lui-même.
Je crois donc que, quand bien même je le dis avec beaucoup de modération, ce procès que vous faites au Gouvernement est très exagéré, et ce d’autant plus que le mode de scrutin retenu est conforme aux dispositions présentes dans la loi NOTRe et qui ont été adoptées par le Parlement, y compris par le Sénat.
Concernant le désordre foncier, j’avais pris la précaution d’étudier si cette façon de faire était possible ; vous le savez mieux que quiconque. En effet, malheureusement, quoique certains m’aient affirmé qu’ils créeraient les conditions de nature à trouver une niche parlementaire dans les délais permettant l’adoption définitive de ce texte – j’avais cru comprendre que le groupe Les Républicains devait s’en charger –, cela n’a pas été fait. Quand je l’ai constaté, et après m’en être entretenu avec le président de ce groupe, qui m’a confirmé que la proposition de loi sur ce sujet ne serait pas inscrite à l’ordre du jour qui lui est réservé, j’ai cherché comment nous pouvions sauver ce texte d’intérêt général, attendu par tous les Corses. Je ne sais s’ils s’intéressent tous à notre débat sur les institutions et la collectivité unique – connaissant le goût des Corses pour la politique, je me doute néanmoins qu’ils sont nombreux ! –, mais, ce dont je suis certain, c’est que tous les Corses attendent avec impatience que nous créions les conditions nécessaires au règlement du problème des arrêtés Miot.
Cela mériterait mieux – permettez-moi de le dire tel que je le pense – que ces manœuvres misérables, qui se sont déroulées sous mes yeux : alors que j’avais trouvé une solution qui me semblait la bonne – et mes amis radicaux, Jacques Mézard et Joseph Castelli, que je remercie, avaient accepté d’y contribuer –, nous nous retrouvons – là encore, permettez-moi l’expression – cul par-dessus tête. Cela est bien dommage pour l’intérêt général, celui des Corses et celui de la Corse. Certes, nous essaierons de rattraper les choses, mais je vous rappelle que les travaux du Parlement seront suspendus à compter du 24 février prochain.
Très tranquillement, je tiens à mettre chacun d’entre vous devant ses responsabilités : si, comme je l’ai annoncé tout à l’heure, je parviens à faire inscrire cette proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale à l’unanimité, à l’ordre du jour du Sénat durant une semaine réservée au Gouvernement, ce dont je ne doute pas, il faudra que le vote du Sénat soit conforme. En effet, si tel n’est pas le cas, à trois semaines de la fin de la législature, le Parlement n’aura pas le temps d’adopter définitivement ce texte. Il faudra alors que vous vous en rendiez compte devant les Corses, car c’est bien leur intérêt qui est en jeu, au-delà de tout ce que j’ai pu évoquer et des manœuvres auxquelles nous avons assisté.
On ne pourra pas dire, monsieur le président de la commission, que je ne vous aurai pas prévenus ! Je vais créer les conditions nécessaires pour que ce texte puisse être examiné, puisqu’il est trop tard pour qu’un groupe le demande. Je le répète, je regrette que le groupe Les Républicains ne l’ait pas fait ; c’était à son initiative, à l’Assemblée nationale, que ce texte avait été examiné. La tradition comme la cohérence auraient voulu que le même groupe demande l’inscription de ce texte à l’ordre du jour des travaux du Sénat, mais il ne l’a pas fait – il faudra un jour qu’on nous dise pourquoi.
M. Philippe Kaltenbach. Des paroles, mais pas d’actes, comme d’habitude !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Ce texte sera donc examiné sur le temps réservé par priorité au Gouvernement. Toutefois, son adoption sera impossible si le vote n’est pas conforme, j’y insiste, car nous avons perdu trop de temps dans cette affaire ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de corse, n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de corse et n° 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en corse
Article 1er
I. – L’ordonnance n° 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse est ratifiée.
II (nouveau). – Au dernier alinéa du d du 1° du I de l’article 8 de l’ordonnance n° 2016-1561 du 21 novembre 2016 précitée, le mot : « troisième » est remplacé par le mot : « quatrième ».
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l’article.
M. Jacques Mézard. Je suis heureux d’assister à ce débat. Certes, nous ne sommes pas nombreux, mais tous sont passionnés. D’ailleurs, monsieur le ministre, j’aimerais que le Gouvernement – celui-ci ou le prochain, quel qu’il soit – consacre autant de temps au problème de l’insularité de l’intérieur ! (Sourires.)
Mme Michèle André, présidente de la commission des finances. Le Cantal ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Cela dit, cette séance fut un magnifique concert de jésuitisme !
M. Philippe Kaltenbach. Il y a des spécialistes !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est un compliment !
M. Jacques Mézard. Venant de ma part, certainement, vous n’en doutez pas ! (Nouveaux sourires.)
Qu’ai-je pu constater ?
Je suis de ceux qui n’ont pas voté en faveur de la loi NOTRe, mais notre groupe avait voté l’amendement relatif à la collectivité unique de Corse, parce que tous les élus de Corse, ainsi que M. Jean-Jacques Hyest, ancien président de la commission des lois, étaient d’accord. La loi NOTRe, en revanche, constituait, selon moi, un accord contre nature entre les deux groupes dominants de la Haute Assemblée ; c’est pourquoi nous avions voté contre.
Je n’ai jamais été très convaincu par la collectivité unique, mais vous l’avez tous voulue, chers collègues. Alors, venir nous dire aujourd’hui que vous n’en voulez plus ! Ma foi, il semblerait qu’un candidat à l’élection présidentielle ait donné pour consigne de bloquer ce texte, car, s’il gagne, tout sera changé ! Il faut le dire publiquement : c’est la stricte réalité. Voilà la vérité ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Jacques Panunzi. Cela n’a rien à voir !
M. Jacques Mézard. Je ne vous ai pas interrompu, monsieur Panunzi ; octroyez-moi donc le bénéfice du même respect !
Dans notre assemblée, nous avons le droit de nous exprimer, d’être en désaccord et de dire ce que nous pensons. Eh bien, pour ma part, je trouve que la manière dont se déroule l’examen de ce texte n’est pas bonne.
Notre groupe a essayé d’intégrer à ce projet de loi les dispositions relatives au foncier et aux arrêtés Miot, véritable problème pour nos compatriotes corses, des dispositions issues de la proposition de loi de Camille de Rocca-Serra, député du groupe Les Républicains. Nous l’avons fait pour tenter de trouver une solution qui satisfasse tout le monde. Résultat : vous en avez fait des confettis ! Vous devrez en rendre compte devant vos compatriotes ! Voilà la réalité.
Je suis de ceux qui essaient, dans l’intérêt général, de trouver un consensus quand cela est possible ; je crois l’avoir prouvé. Cela implique également de dire honnêtement, y compris à mes amis politiques, quand je ne suis pas d’accord, et de voter contre certains textes.
De grâce, arrêtons ! Vous avez dit, cher collègue Panunzi, que, en Corse, les élus du Nord ne savent pas gérer, contrairement à ceux du Sud. C’est facile de faire ce genre de remarques.
M. Philippe Kaltenbach. Ce n’est pas vrai, surtout !
M. Jacques Mézard. La solution, c’est de trouver des modalités consensuelles pour faire avancer les choses dans l’intérêt général. Effectivement, nous sommes à trois mois de l’élection présidentielle. Voilà où l’on en est ! Ce n’est pas une bonne chose, et c’est précisément cela que nos concitoyens nous reprochent, à juste titre, et à longueur de temps ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. Nous voterons contre cet article.
Permettez-moi de revenir sur un point de l’intervention de M. le ministre. En effet, si l’on veut un débat sincère, il faut être sincère soi-même dans les propos que l’on fait tenir aux uns et aux autres. Chacun a aujourd’hui accès au compte rendu des séances du Sénat. Dès lors, on ne peut pas simplement extraire d’un discours l’extrait qui arrange.
Relisons donc avec attention le débat qui s’est tenu, lors de l’examen de la loi NOTRe, autour de ce fameux amendement. Comme vous l’avez cité, monsieur le ministre, M. Favier avait relevé, au nom de notre groupe, l’unanimisme presque total des élus corses : on ne pouvait pas en rester au statu quo, il fallait travailler et réfléchir à des évolutions. C’est bien dans cet objectif, et pour soutenir la réflexion sur une évolution des institutions corses, que notre groupe allait voter cet amendement. Christian Favier précisait néanmoins : « Je n’aurai qu’un regret : le fait que cette nouvelle organisation ne soit pas soumise à un référendum. On nous dit qu’une large majorité d’élus est favorable à cette évolution, mais la population pourrait, elle aussi, donner son avis. Je ne comprends pas pourquoi on ne lui fait pas confiance. L’opinion publique étant mieux préparée, nous obtiendrions sans doute un autre résultat que lors du référendum de 2003. »
Allons jusqu’au bout des citations, et acceptons les propos tenus ici à la tribune. Comme cela a été indiqué au cours de la discussion générale – j’y reviendrai lors des explications de vote sur l’ensemble –, nous ne voterons pas le texte qui nous est proposé parce que ces ordonnances qu’on nous demande de ratifier ne sont pas soumises au référendum. J’entends dire par certains qu’il serait tout de même plus simple que l’on dise aux Corses ce qu’ils doivent faire. Allons donc plus loin, et changeons le peuple : ce serait quand même beaucoup plus facile !
Pour ma part, comme je n’ai pas ce pouvoir, et que je n’ai reçu sur ce sujet aucune injonction d’un candidat à l’élection présidentielle, ni même d’un candidat non encore désigné, je voterai, ainsi que mon groupe, contre cet article, contre le suivant, et contre l’ensemble du texte.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Panunzi, sur l’article.
M. Jean-Jacques Panunzi. Je souhaite simplement apporter quelques clarifications, avec moins de passion et un peu plus de raison.
J’ai déclaré en préambule de mon intervention, monsieur Mézard, qu’il n’était pas question de revenir sur le principe de la collectivité unique. Je n’ai pas voté la loi NOTRe. Pour quelle raison ? Parce que les amendements que nous avions déposés n’ont pas été acceptés. On nous avait alors assuré qu’ils seraient repris dans les ordonnances.
Or, que constatons-nous ?
Dans les ordonnances dont on nous demande d’autoriser la ratification par cette loi, nous n’avons pas pu faire figurer nos observations, notamment sur le mode de scrutin. C’est pour cette simple raison que nous sommes aujourd’hui défavorables à la collectivité que l’on veut nous imposer, je le dis, à marche forcée !
M. Philippe Kaltenbach. Pour une question de mode de scrutin !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je n’ai pas de raison de douter de la parole du sénateur Panunzi, mais les résultats du scrutin public sur l’ensemble du projet de loi NOTRe en deuxième lecture attestent qu’il a fait partie des 144 sénateurs du groupe Les Républicains ayant voté pour. Aussi, je pense qu’il faudra, même si c’est un peu tard, qu’il demande un rectificatif…
En tout cas, monsieur le sénateur, vous avez bel et bien voté la loi NOTRe !
M. Jean-Jacques Panunzi. C’est une erreur !
M. le président. Je mets aux voix l’article 1er.
(L’article 1er est adopté.)
Article 2
I. – L’ordonnance n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse est ratifiée.
II (nouveau). – Au premier alinéa du IV de l’article 12 de l’ordonnance n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 précitée, les mots : « dernier alinéa » sont remplacés par les mots : « dixième alinéa ».
III (nouveau). – L’article 14 de l’ordonnance n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 précitée est ainsi modifié :
1° Au début du premier alinéa, est ajoutée la mention : « I. – » ;
2° Après les mots : « l’Assemblée de Corse », la fin du seizième alinéa est ainsi rédigée : « selon les modalités prévues à l’article L. 1424-24-2. » ;
3° Le vingt-troisième alinéa est supprimé ;
4° Il est ajouté un II ainsi rédigé :
« II. – Les conseils d’administration des services d’incendie et de secours mentionnés à l’article L. 1424-77 du code général des collectivités territoriales sont renouvelés dans les conditions prévues aux articles L. 1424-24-3, L. 1424-79 et L. 1424-80 du même code, dans un délai de quatre mois à compter du 1er janvier 2018. »
IV (nouveau). – Au second alinéa de l’article 22 de l’ordonnance n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 précitée, les mots : « est composée à » sont remplacés par les mots : « est composée de ».
V (nouveau). – Au quarante-septième alinéa de l’article 23 de l’ordonnance n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 précitée, les mots : « : “Prévention de la perte d’autonomie” » sont remplacés par les mots : « du titre III ».
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l’article.
M. Jacques Mézard. Ce n’est pas pour en rajouter une couche, mais quand même !
Il ne s’agit pas pour moi d’un affrontement direct avec notre excellent collègue Jean-Jacques Panunzi ; là n’est pas la question. M. le ministre a rappelé qui avait voté la loi NOTRe. Nous sommes malheureusement dans une situation où il est particulièrement nécessaire, selon moi, que chacun assume ses responsabilités. Je peux parfaitement comprendre, parce que tel était plutôt mon sentiment, qu’on ne veuille pas de la collectivité unique. Je suis très jacobin, et je l’ai toujours affirmé ici.
En revanche, dès lors qu’il y a une unanimité, que les élus du territoire à la Haute Assemblée disent qu’on doit aller dans ce sens-là, il faut ensuite en assumer les conséquences. Que vous considériez aujourd’hui que ce n’était pas une bonne décision, et qu’il faut appuyer sur le frein, on peut l’entendre, mais pas ainsi. Ce ne sont pas les bonnes méthodes vis-à-vis de nos concitoyens. En outre, nos compatriotes corses, pour lesquels j’ai toujours eu infiniment d’estime et de respect, attendent, eux aussi, comme les autres sur le territoire national, autre chose.
M. Philippe Kaltenbach. M. Doligé est arrivé à point nommé !
Article 3
(Non modifié)
L’ordonnance n° 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse est ratifiée.
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avons déjà précisé, nous dénonçons le caractère antidémocratique du processus en cours, d’autant que les Corses s’y sont massivement opposés via la consultation locale. L’Assemblée de Corse avait demandé que le projet soit présenté dans un texte spécifique, avec ratification par référendum. Le Sénat, qui est l’assemblée des collectivités, ne peut pas en faire abstraction !
Les Corses vont, à leurs dépens, servir de cobayes aux liquidateurs de nos institutions républicaines et aux opposants à la priorité sociale des départements. A contrario des fondements de la solidarité républicaine, on impose aux Corses le modèle de l’Europe des régions, qui met en concurrence des territoires et qui affaiblira très certainement la Corse face à des terres aussi riches que la Catalogne ou la Toscane.
Pour la Corse, la priorité, c’est avant tout d’en finir avec les inégalités sociales et économiques de l’île, d’anéantir les dérives affairistes, de s’attaquer aux logiques spéculatives.
Pour la Corse, la priorité, c’est de mieux répondre aux besoins des territoires par des services publics performants. Je parle notamment des zones rurales de montagne, si remarquables, mais si difficiles d’accès. N’oublions pas que les déplacements se comptent non en kilomètres, mais en temps.
Voilà ce à quoi les élus communistes et citoyens de l’Assemblée de Corse travaillent, à travers un véritable projet d’égalité – et non d’uniformité – avec le reste du territoire. Cela passe par un investissement massif dans un développement qui allie progrès sociaux et réussites économiques ; cela passe aussi par un projet plus respectueux de la spécificité et de l’identité de cette unique région insulaire de métropole, qui reposerait sur la solidarité nationale.
Quand on sait que ce texte a pour objet l’affaiblissement de l’action et de l’emploi publics, il ne fait aucun doute qu’il ne répond à aucun des enjeux de développement de la Corse et de ses populations. C’est pourquoi, relayant les revendications d’élus locaux, de syndicalistes et de citoyens de Corse, nous ne voterons pas ce projet de loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission, modifié, l'ensemble du projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse, n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse et n° 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 92 :
Nombre de votants | 306 |
Nombre de suffrages exprimés | 304 |
Pour l’adoption | 143 |
Contre | 161 |
Le Sénat n'a pas adopté.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Nous venons d’assister à un mauvais moment de la vie parlementaire.
Mme Éliane Assassi. C’est la vie démocratique !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Je ne suis pas né de la dernière pluie. C’est pourquoi j’avais mené des discussions utiles afin de m’assurer que la commission des lois était d’accord pour sauver les arrêtés Miot. La parole n’a pas été tenue.
Madame la sénatrice Cukierman, vous avez eu raison de rappeler que le sénateur Favier regrettait qu’il n’y ait pas de référendum. Pour autant, il ne disait pas que c’était une condition sine qua non et il approuvait bel et bien la création de la collectivité unique de Corse. Aujourd’hui, vous reniez cet engagement et prenez une position inverse. (Mme Cécile Cukierman s’exclame.)
J’ai bien entendu au cours de la discussion générale le sénateur Luche déclarer à la tribune, au nom du groupe de l’UDI-UC, – mais il a miraculeusement disparu ! –…
M. Philippe Kaltenbach. Il a fui !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. … que son groupe était favorable à ce texte et qu’il le voterait. Le résultat du scrutin public montre qu’il n’en est rien. Tous les membres de son groupe ont d’ailleurs disparu. Ah non, il en reste un, dans l’entrebâillement de la porte (M. le ministre désigne M. Yves Pozzo di Borgo.), le rouge de la honte au front. (M. Philippe Dominati s’exclame.)
Il en est de même du groupe Les Républicains et en particulier de vous, monsieur le sénateur Panunzi, qui avez soutenu ici même des positions différentes de celles que vous avez souvent prises au cours des réunions que nous avons tenues pour coconstruire ces ordonnances. Vous avez même tenté de nous faire croire précédemment que vous aviez voté contre la loi NOTRe ! Comme numéro de faux-cul parlementaire, il est difficile de faire mieux !
M. Jacques Mézard. En effet !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Et le tout, sous l’œil de Camille de Rocca Serra, qui a, lui aussi, quitté à l’instant la tribune publique, tel un commissaire politique venu contrôler que son œuvre de destruction était menée à bien. J’aurais préféré le voir au Sénat un peu plus tôt pour persuader le groupe Les Républicains de reprendre dans une niche parlementaire, comme c’est la tradition, ce texte important pour les Corses.
Les Corses vous tiendront rigueur de ce qui vient de se passer cet après-midi, et ils auront raison !
Je tiens à remercier le groupe socialiste et républicain de sa fidélité. Je remercie également Jacques Mézard, Joseph Castelli et les membres du RDSE de leur loyauté : je sais que ce texte a fait débat au sein de leur groupe, car tous n’étaient pas d’accord, mais nous avons su convaincre, et parole a été tenue.
Je remercie aussi le groupe écologiste qui, à l’unanimité, a soutenu ce projet de loi. Enfin, je remercie le rapporteur et le rapporteur pour avis, qui ont pris leurs responsabilités.
Je le répète, ce n’est pas un bon moment de la vie parlementaire. Il ne faut pas s’étonner, avec de tels comportements, que l’opinion publique ait une image de plus en plus calamiteuse de la classe politique.
Mme Cécile Cukierman. Oui !
M. Jean-Michel Baylet, ministre. Vous verrez, les Corses jugeront durement.
Cela étant, le Sénat a pris cette décision tout à fait démocratiquement : les ordonnances sont rejetées. Quel mauvais coup pour la Corse ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
14
Dépôt de documents
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre l’avenant n° 2 à la convention entre l’État et Bpifrance relative à l’action « Financement des entreprises sobres : prêts verts », l’avenant n° 4 à la convention entre l’État et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine relative aux actions « Internats d’excellence et égalité des chances » et la décision d’affectation des crédits de l’action « Innovation collaborative » à l’action « Projets structurants pour la compétitivité ».
Acte est donné du dépôt de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des finances.
15
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 31 janvier 2017 :
À quatorze heures trente :
Proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la justice pénale (n° 126, 2016-2017) ;
Rapport de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 331, 2016-2017) ;
Texte de la commission (n° 332, 2016-2017).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq et le soir : suite de la proposition de loi tendant à renforcer l’efficacité de la justice pénale (n° 126, 2016-2017).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures trente-cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD