M. Jacques-Bernard Magner. Aïe, aïe, aïe !
M. Jean-Pierre Sueur. Je demande la parole pour un rappel au règlement, monsieur le président !
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour un rappel au règlement.
M. Éric Doligé. Sur le fondement de quel article ?
M. Jean-Pierre Sueur. Mon rappel au règlement se fonde sur les articles 42 à 44 du règlement et sur la notion de rapporteur, telle qu’elle figure dans ce règlement.
M. Philippe Dallier. Rien que ça !
M. Jean-Pierre Sueur. Comme vous le savez, monsieur le président, il est d’usage que le rapporteur rende compte de la position de la commission du Sénat. Or nos deux rapporteurs n’ont parlé que de l’Assemblée nationale, qualifiant les positions adoptées par celle-ci de « cocasses », « dogmatiques », « pathétiques », « tragiques », entre autres termes péjoratifs.
M. Philippe Dallier. M. Sueur se fait censeur…
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà quelques années que je siège au Parlement, ce qui j’ai fait d’abord comme député, puis comme sénateur. J’ai souvent été témoin de telles situations. Mais enfin, aujourd'hui, on ne nous a rien dit des positions du Sénat !
Je sors d’un procès avec l’une de nos collègues, et voilà trois quarts d’heure, monsieur le président, je ne pensais pas venir ici assister à un deuxième procès ! Assez de procès !
C’est la troisième fois en moins d’un mois que le Sénat renonce à exercer la mission qui est la sienne. Je rappelle que, en dernière lecture, l’Assemblée nationale peut reprendre ses propres rédactions ou celles du Sénat. Dans le cas présent, la dernière lecture à l’Assemblée nationale ne durera que quelques minutes. En effet, il n’y aura lieu de statuer sur aucune des rédactions nouvelles du Sénat, pour la bonne raison qu’il n’y en aura pas !
Nous assistons donc à un procès intenté à l’Assemblée nationale par la majorité sénatoriale, qui renonce à exercer les prérogatives qui sont les siennes en vertu de la Constitution.
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue.
La parole est à M. le président de la commission spéciale.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et à citoyenneté ». Je ne voudrais pas retarder le cours de nos débats, mes chers collègues, mais, nos deux rapporteurs ayant été mises en cause, le président de la commission spéciale se doit de bondir devant le micro et de réfuter ces attaques, formulées dans des termes extrêmement peu délicats.
M. Jean-Pierre Sueur. Les attaques viennent de Mmes les rapporteurs !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone ont fait un rapport fidèle des travaux de la commission spéciale.
M. Jean-Pierre Sueur. C’était un procès !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Cette commission spéciale a constaté le décalage entre les mesures votées à l’Assemblée nationale et au Sénat, ce qui l’a conduit à envisager le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable, que je défendrai tout à l’heure.
Notre collègue Jean-Pierre Sueur serait-il impatient d’en arriver au terme de cette discussion ?
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis très bien ici !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Je le dis très simplement, la parole est libre dans cet hémicycle. Les rapporteurs ont traduit de manière extrêmement fidèle et précise ce qui s’était dit au cours des travaux de la commission spéciale, et je tiens à réfuter ces attaques, voire à fustiger un tel comportement de la part d’un collègue de l’opposition. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Discussion générale (suite)
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mesdames les rapporteurs, monsieur le président de la commission spéciale, je vais essayer de vous rendre compte, aussi fidèlement que possible, de la position du groupe du RDSE sur ce projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.
Malgré l’existence d’un secrétariat d’État à la simplification, nous sommes confrontés, encore et toujours, à une avalanche législative. En dépit des annonces-chocs sur la simplification des normes, ce quinquennat aura été marqué, comme les précédents, par la complexification et l’instabilité du droit, ce que le président Jacques Mézard a qualifié ici même de « bougisme ».
Nous avons connu des cavaliers législatifs en tout genre, des revirements sur des textes à peine promulgués, des non-applications de dispositions votées, des corrections incessantes des effets de l’acte III de la décentralisation, etc., et ce malgré les nombreuses mises en garde adressées par la Haute Assemblée.
Le présent projet de loi n’a pas échappé à ces mises en garde, dans la mesure où il est un exemple flagrant de ce qu’il est convenu d’appeler un « fourre-tout » législatif. Aussi, à défaut de pouvoir m’exprimer sur l’ensemble du projet de loi – exercice impossible, même avec trois fois plus de temps de parole –, je m’attarderai sur quelques sujets contenus dans cette ultime version qui nous revient de l’Assemblée nationale.
S’agissant des mesures relatives à l’éducation, nous jugeons acceptable la réintroduction de l’habilitation à procéder par voie d’ordonnances pour l’instauration d’un régime d’autorisation d’ouverture des établissements privés, bien qu’il eût été préférable, selon nous, de l’inscrire directement dans la loi.
Toutefois, nous considérons que l’article 14 bis portant sur l’instruction à domicile ne va pas assez loin pour garantir le droit de l’enfant à l’éducation et un respect véritable des valeurs de la République. Dans tous les cas, il demeure urgent de renforcer les moyens de l’inspection de l’éducation nationale, sans quoi le contrôle de ces modalités d’enseignement restera lettre morte. Il s’agit d’un impératif d’intérêt général, qui doit permettre des entorses raisonnables et contrôlées à la liberté d’enseignement.
S’agissant des dispositions relatives au logement, en particulier des obligations de mixité sociale, le groupe du RDSE avait proposé une voie intermédiaire – un « compromis radical », pourrait-on dire – dans le système de contractualisation entre le préfet et les collectivités instauré par le Sénat, en fixant un plancher de 15 % minimum d’attributions de logements sociaux aux ménages les plus défavorisés, en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville. La majorité sénatoriale a rejeté cette solution, préférant l’absence totale d’encadrement.
Pour l’application de la loi SRU, si nous soutenions la volonté d’adapter les obligations de construction de logements sociaux aux réalités locales, le dispositif voté au Sénat n’était en réalité qu’une manière d’exonérer au maximum les communes de leurs obligations. La volonté de gonfler artificiellement la liste des logements entrant dans le décompte de logements sociaux et la suppression de l’aggravation des sanctions à l’encontre des communes carencées le confirment.
L’Assemblée nationale est fort heureusement revenue sur ces dispositions. Toutefois, le rétablissement de la suppression de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale, la DSU, pour les communes carencées est préoccupant, car il pénalisera doublement les communes n’ayant pas les moyens.
Quant à l’article 33 du projet de loi, nous sommes totalement opposés à la version adoptée par les députés, qui écarte tout droit d’opposition des communes au transfert à l’intercommunalité de la compétence en matière de plan local d’urbanisme, ou PLU, lors d’une fusion d’établissements publics de coopération intercommunale, ou EPCI, mixtes.
Cette question, compliquée et sensible sur le terrain, concerne de nombreux élus : que la fusion soit voulue, soit, mais cela pose problème lorsque la fusion se réalise sous la contrainte. Cet article tire donc un trait sur le compromis de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ou loi ALUR, qui offrait la possibilité pour les communes de constituer une « minorité de blocage ». Le seuil fixé à 100 communes pour bénéficier du régime dérogatoire pour les EPCI dits « XXL » est bien trop élevé pour prendre en compte les réalités locales.
S’agissant du titre III, notamment des mesures proposées en matière de liberté de la presse, les députés n’ont pas retenu les adaptations de la loi du 29 juillet 1881. Le débat n’est pas clos et mérite de faire l’objet d’un examen ultérieur, afin de préserver efficacement l’équilibre entre droits de la victime et liberté d’expression à l’ère du numérique. Nous souhaitons que notre assemblée puisse étudier en profondeur cette question.
Enfin, nous regrettons l’adoption dans un texte fourre-tout de l’article 38 ter, tendant à créer un délit de négation, minoration ou banalisation des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, de réduction en esclavage ou des crimes de guerre.
Si notre sentiment sur ce présent projet de loi est plus que mitigé, à une exception près, les membres du groupe du RDSE voteront contre la motion tendant à opposer la question préalable, qui ne permet pas à notre Haute Assemblée d’exprimer sa position sur plusieurs points, bien loin d’être satisfaisants. (Mme Mireille Jouve applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Vaugrenard.
M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, bien que nous sachions que cette discussion n’ira probablement pas bien loin.
Je souhaiterais néanmoins partager avec vous quelques motifs de satisfaction, car il y en a.
Dans le titre Ier, plus d’une soixantaine d’articles ont été adoptés conformes, alors même que la majorité sénatoriale avait profondément dénaturé le projet de loi. Rappelons en effet que 82 articles avaient purement et simplement été supprimés.
Vous avez aussi, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, utilisé des artifices de procédure pour éviter toute discussion sur des sujets qui risquaient de mettre à jour vos propres divergences. Je pense, en particulier, au délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, dont l’adoption récente vient confirmer cette analyse.
Sur la mobilité internationale des apprentis, cela a été rappelé, l’Assemblée nationale a suivi notre rapporteur, Mme Gatel, entérinant le compromis auquel vous êtes parvenus avec le Gouvernement pour faire progresser les conditions de départ à l’étranger des apprentis, s’agissant, en particulier, du maintien de leur rémunération. C’est un élément positif. L’article 14 bis A a ainsi pu être adopté conforme, et c’est incontestablement un sujet de satisfaction.
Je souhaite aussi évoquer le cœur du titre Ier, à savoir le service civique et la réserve civique, pour l’engagement de nos concitoyens, qui ont fait l’objet d’un très large consensus. Seules restent en discussion des modalités d’application, que je qualifierai de relativement mineures eu égard aux objectifs qui nous rassemblent.
L’Assemblée nationale a également décidé de reconnaître le droit de tout mineur d’adhérer librement à une association, droit qui était reconnu depuis 1965 par la jurisprudence, mais qui avait été remis en cause depuis 2011.
Mon collègue Jacques-Bernard Magner était intervenu sur ce sujet en première lecture, citant l’exemple des juniors associations, dans lesquelles la prémajorité associative s’expérimente avec succès depuis longtemps. Il s’agit là d’une avancée majeure pour l’engagement des plus jeunes, qui ont beaucoup d’appétence pour le bénévolat associatif.
Nous ne reviendrons pas, mes chers collègues, sur la création des mini-jobs à l’allemande réservés aux jeunes de 18 à 25 ans et rémunérés à hauteur du revenu de solidarité active, le RSA. Ces contrats, s’ils devaient exister, constitueraient une nouvelle « trappe à précarité » pour la jeunesse. Il est regrettable que la seule proposition « innovante » de la majorité sénatoriale pour la jeunesse ait consisté en une mesure catégorielle, aggravant les inégalités et les injustices générationnelles dont cette jeunesse pâtit déjà.
Les motifs de satisfaction que je vais maintenant évoquer concernent le titre II du projet de loi, qui traite du logement. De nombreux points d’accord entre le Sénat et l’Assemblée nationale peuvent en effet être signalés.
On peut citer plusieurs dispositions, proposées du reste par le groupe socialiste et républicain, qui améliorent l’information et la consultation directe des locataires, notamment dans le cadre des opérations de réhabilitation ou de démolition-reconstruction.
Le combat contre l’habitat indigne est également renforcé, avec la reprise de dispositions issues de la proposition de loi renforçant la lutte contre les « marchands de sommeil » et l’habitat indigne, un texte déposé par ma collègue Évelyne Yonnet, qui, avec le soutien de Jean-Pierre Sueur, poursuit ainsi le combat de Jacques Salvator.
Le renforcement du rôle de l’intercommunalité dans la lutte contre l’habitat indigne ou le fait de permettre aux associations de se constituer partie civile en ce qui concerne les infractions relatives à l’hébergement incompatible avec la dignité humaine représentent incontestablement des avancées importantes.
Ces mesures doivent être rapprochées des annonces récentes du Gouvernement sur la désignation d’un sous-préfet référent en matière de lutte contre l’habitat indigne, tout comme de la création d’une société publique en Île-de-France spécifiquement dédiée à la lutte contre les divisions pavillonnaires. Il s’agit là de signes forts d’une action offensive des pouvoirs publics dans le combat de notre collègue contre les marchands de sommeil.
Autre point positif en faveur de la production de logement : les règles de majorité ont été assouplies, pour favoriser la réunion de petits lots inférieurs à 9 mètres carrés et créer ainsi plus facilement des logements.
Je regrette en revanche que l’Assemblée nationale n’ait pas jugé opportun de reprendre les dispositions que nous avions adoptées à l’unanimité au sein de la commission spéciale pour simplifier les règles de constitution d’une association syndicale libre. Ces mesures avaient pour objectif d’améliorer la gestion des cœurs d’îlots dans les grands ensembles. Cette décision aura pour conséquence de laisser perdurer des verrues insalubres, particulièrement dans les centres des villes reconstruites.
Par ailleurs, des points d’accord ont été trouvés sur un sujet qui nous réunit ici, à savoir la simplification en matière d’urbanisme.
Des mesures de la proposition de loi présentée par nos collègues Marc Daunis et François Calvet ont été reprises dans le présent texte : la mise en place d’un mécanisme de caducité de l’instance, le renforcement des dispositions visant à lutter contre les recours abusifs, l’adaptation des conditions de déclenchement de l’élaboration d’un PLU à l’échelle d’une intercommunalité ou d’une commune nouvelle.
On peut citer également l’élargissement des pouvoirs du maire en matière de délégation du droit de préemption, ainsi que la possibilité pour le président d’un EPCI de déléguer son droit de priorité à des organismes d’habitations à loyer modéré – organismes HLM – ou à des sociétés d’économie mixte, sans que l’EPCI ait systématiquement à en délibérer. Les députés ont aussi acté le principe général de « grenellisation » des documents d’urbanisme, ce qui constitue une mesure d’assouplissement nécessaire.
Toutefois, ces mêmes députés n’ont pas repris le compromis trouvé en commission spéciale au Sénat, et soutenu par le Gouvernement, sur l’organisation du délai de report pour le transfert de la compétence PLU à l’intercommunalité en cas de fusion d’EPCI, à compter du 1er janvier 2017.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Comme quoi, ils étaient fermés au dialogue !
M. Yannick Vaugrenard. Avec la motion qui sera vraisemblablement adoptée dans l’après-midi, le Sénat, une nouvelle fois, ne pourra pas faire entendre sa voix sur cette question, ce qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, est assez regrettable.
J’en viens maintenant à un point très important, et qui a vu naître, au sein de notre Haute Assemblée, des divergences irréconciliables. Je veux parler de votre volonté, chers collègues de la majorité sénatoriale, de supprimer l’une des mesures phares du projet de loi, tendant à réserver un quart des logements sociaux pour les ménages les plus modestes, hors des quartiers de la politique de la ville.
Au reste, vous avez posé vos premiers marqueurs. Ainsi l’une des rapporteurs a-t-elle pu dire : « Loger des personnes défavorisées dans des quartiers riches, ce n’est pas leur rendre service » !
Pourtant, les chiffres d’attribution de logements montrent une augmentation toujours constante des ménages les plus pauvres dans les quartiers les plus pauvres. Les ghettos de riches, comme les ghettos de pauvres, n’ont plus lieu d’être dans une société ouverte et apaisée, une ambition que tout le monde, me semble-t-il, devrait partager.
Le texte tend également à poser les bases d’une réflexion intercommunale des attributions, pour éviter les situations de blocage de certaines communes. Il implique tous les acteurs du logement, ainsi que les collectivités. Il donne à l’État des moyens forts et concrets pour que les objectifs de mixité soient appliqués par tous, et sur tous les territoires.
Votre refus de ces évolutions, chers collègues de la majorité sénatoriale, avait fait perdre au texte son ambition de progresser vers davantage de mixité sociale. Ces évolutions sont pourtant essentielles pour l’avenir, car elles agiront non seulement sur la mixité dans l’habitat et dans les quartiers, mais également sur d’autres leviers de mixité, comme l’école, le sport ou encore la culture.
Concernant l’effort de construction de logements sociaux, le projet de loi vise à recentrer le dispositif SRU dans les territoires enregistrant une forte pression sur la demande de logement social. Il répond ainsi à une exigence forte des élus.
En revanche, sur les territoires en tension, le projet de loi tend à organiser une contribution rigoureuse à l’effort de construction de logements sociaux. En supprimant le taux obligatoire de 25 % de réalisation de logements locatifs sociaux, le Sénat a considérablement réduit l’impact de la loi SRU, et vous avez donc, en première lecture, vidé cette loi de son objectif essentiel. La simple contractualisation entre l’État et les communes sur cet enjeu de solidarité nationale ne nous paraît pas à même de satisfaire aux demandes de logements à des prix abordables.
C’est la réponse que vous apportez aux 2 millions, ou presque, de demandeurs en attente ; ce n’est pas la nôtre ! Pour notre part, nous soutenons une application forte du dispositif de la loi SRU, qui permet depuis quinze ans la construction de logements sociaux sur tous les territoires. L’effort national de solidarité ne peut être à géométrie variable. Il doit être porté par tous, sans exception.
Il fallait renforcer les moyens opposables aux communes plus que récalcitrantes, et cela, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous nous l’avez refusé.
Dans chacune de nos régions, il existe malheureusement des quartiers enclavés, avec des habitants qui se considèrent comme les grands oubliés de notre République. L’« apartheid » qu’évoquait Manuel Valls après les attentats est malheureusement une triste réalité.
Pourtant, vous avez déposé, en première lecture, de nombreux amendements visant à réduire la part de logements sociaux prévus par la loi SRU, ou encore à rendre plus difficile la mise en place d’un certain nombre de dispositions. Globalement, donc, sur les questions de mixité sociale et de construction de logements sociaux, nous sommes très satisfaits que l’Assemblée nationale ait rétabli les mesures que vous aviez supprimées, ici, au Sénat.
Enfin, s’agissant du titre III, nous avons quelques motifs de satisfaction, que je livre rapidement. Je pense en particulier à l’accord que nos deux assemblées ont pu trouver sur la consécration, dans la loi, du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, et sur la délivrance automatique du titre de séjour pour les femmes victimes de violences conjugales dont le mari a été condamné.
Il est heureux que sur ces sujets aussi sensibles et douloureux, l’esprit de responsabilité l’emporte, et ceci de manière transpartisane. Je regrette toutefois qu’aucun accord n’ait pu aboutir sur les dispositions tendant à améliorer la répression des délits de provocation, diffamation et injure racistes ou discriminatoires, ainsi que sur la généralisation des circonstances aggravantes de racisme, d’homophobie et de sexisme à tous les crimes et délits.
Avant de conclure, je voudrais remercier Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, malgré nos divergences, du travail qu’elles ont accompli, en outre durant la période estivale.
Je suis persuadé, mes chers collègues, que cette nouvelle lecture nous aurait permis d’améliorer encore ce projet de loi, grâce aux échanges et au respect dont chacun d’entre nous est capable ici. Je regrette donc le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable, qui nous privera de notre travail de parlementaire et qui affaiblira le Sénat le bicamérisme et d’une certaine manière, aussi, notre fonctionnement démocratique.
C’est, une fois de plus, un mauvais coup porté à nos pratiques institutionnelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
M. Jean-Pierre Sueur. Quel dommage que M. Yannick Vaugrenard n’ait pas été rapporteur : lui nous a beaucoup parlé de la position du Sénat !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Vos propos sont complètement déplacés !
M. Philippe Dallier. Oui, complètement !
M. le président. La parole est à M. Christian Favier.
M. Christian Favier. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, nous revenons en seconde lecture sur ce projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.
Celui-ci a donné lieu à l’affrontement de deux visions de société, comme en témoignent l’échec de la commission mixte paritaire et le dépôt, par la commission spéciale du Sénat, d’une motion tendant à opposer la question préalable.
Force est de reconnaître que nous ne partageons aucune des deux visions qui nous ont été proposées. En effet, entre un projet dangereux porté par la droite au Sénat et un projet inefficace et insuffisant porté par le Gouvernement, nous pensons qu’il existe une autre voie.
La réécriture de ce projet de loi, ici au Sénat, avait été particulièrement rétrograde, témoignant d’une vision restrictive du vivre ensemble, d’une société du chacun pour soi incapable d’offrir à nos concitoyens de nouveaux droits.
Ainsi, la création d’un contrat dit « d’appoint » pour les jeunes nous avait-elle particulièrement choqués. Non, les jeunes de notre pays ne doivent pas être considérés simplement comme une main-d’œuvre à bas coût pour les entreprises, alors que même que ces dernières bénéficient de toujours plus de largesses fiscales, sans résultat tangible, d’ailleurs, en termes d’emploi.
Le « détricotage » de la loi SRU par la Haute Assemblée avait également laissé présager du pire. Alors que le mal-logement affecte près de 4 millions de nos concitoyens, lever les obligations de construction nous apparaissait particulièrement irresponsable politiquement et moralement.
Laisser des familles sans toit ou logées dans des conditions indignes, c’est les laisser dans des situations pouvant entraîner nombre d’entre nos concitoyens dans une spirale du déclin, avec, par exemple, l’aggravation de problèmes de santé ou de scolarité pour les enfants. Comment ne pas maintenir des exigences fortes sur les communes récalcitrantes, lorsque l’on sait que, si toutes communes respectaient la loi SRU, quelque 750 000 logements sortiraient de terre à l’horizon de 2025 ?
Soyons clairs : si la droite au Sénat souhaitait lever toute obligation en matière de constructions, le projet de loi sorti de l’Assemblée nationale porte également atteinte à la loi SRU, en laissant à certaines communes trop de souplesse dans son application. Les obligations liées à la loi SRU doivent, à nos yeux, être sanctuarisées et les sanctions renforcées lorsque l’absence de construction relève d’un choix délibéré.
En outre, de nouveaux droits doivent, selon nous, être octroyés en matière de logement. Ainsi, les expulsions sans relogement, qui constituent une pratique barbare, doivent enfin cesser. Il faut également en finir avec les surloyers et les politiques d’exclusion du parc social des catégories moyennes. Le logement public doit être le creuset de l’égalité républicaine et le plus grand nombre doit pouvoir y prétendre. L’aide personnalisée au logement, l’APL, doit être préservée, pour aider les plus modestes.
Pour autant, nous ne sous-estimons pas les difficultés, alors même que les baisses de dotations, conjuguées à la faiblesse des aides à la pierre, rendent l’acte de construction aujourd'hui difficile.
L’Assemblée nationale a rétabli son texte. Nous en prenons acte et c’est bien sûr préférable. Néanmoins, quelle sera l’efficacité concrète de ces mesures ? En quoi ce projet de loi répond-il à l’exigence, posée en janvier 2015 par le Premier ministre, de lutter contre l’apartheid social et territorial, de redonner du sens et produire de l’adhésion à notre modèle républicain ? Nous sommes très interrogatifs, alors que les récents chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, montrent cette année une nouvelle hausse de la pauvreté et des inégalités.
Ce projet de loi met en évidence les espoirs déçus de ce quinquennat et, je dirais même ses renoncements. Alors que le président Hollande avait annoncé et porté durant sa campagne le droit de vote aux élections locales pour les personnes étrangères, cet engagement a été sans cesse repoussé. Où est l’égalité ? Où est la citoyenneté ? Le seul acte posé concernant les étrangers durant ce mandat a été la tentative d’imposer la déchéance de nationalité, soit un acte de défiance et d’exclusion !
Nous croyons pour notre part en une République accueillante, fière de ses richesses et de ses cultures, plutôt qu’en une société repliée sur elle-même.
Alors que, en matière de lutte contre les discriminations, nous portons l’exigence de lutter contre les contrôles au faciès, rien n’a bougé en ce sens, et ce malgré la récente condamnation de l’État par la cour de cassation. Quelles perspectives et quel avenir en commun ouvrons-nous avec ce projet de loi ? Pas grand-chose, puisque la question essentielle n’a toujours pas été abordée !
La citoyenneté, c’est ce qui rassemble, ce qui « fait communauté » ; c’est donc ce qui relève de l’intérêt général et, à ce titre, doit être garanti pour tous : les services publics et les droits reconnus comme le ciment d’un imaginaire collectif, percevant la République comme la possibilité d’un progrès partagé, par et pour tous. Du fait de cette absence, ce projet de loi manque toujours autant de structure et d’ampleur. Il ne donne pas à voir une ambition transformatrice.
Certes, et nous nous en réjouissons, des mesures positives ont été rétablies à l’Assemblée nationale, notamment concernant les droits des gens du voyage, la possibilité de mener une action de groupe pour les locataires, la lutte contre l’habitat indigne, le droit d’accès pour tous à la cantine, etc. Pour autant ces mesures, par leur disparité, ne donnent pas à voir une vision nationale cohérente.
Mes chers collègues, comment articuler l’intitulé d’un texte autour des notions d’égalité et de citoyenneté, quand les politiques menées au quotidien contredisent tous les jours cette exigence ?
Les politiques d’austérité, de réduction des services publics, de baisse des dotations aux collectivités, de réduction du nombre de fonctionnaires et d’assèchement des crédits dans le cadre de la loi de finances sont autant d’armes contre le vivre ensemble et la citoyenneté, autant de mesures risquant de favoriser la montée de l’extrême droite et du populisme.
Pour donner sens à la notion de citoyenneté, c’est d’un tout autre projet dont nous avons besoin : une politique respectueuse des élus locaux, donc du choix démocratique ; une politique qui ne s’impose pas à coup de 49-3 ; une politique respectueuse des populations dans leur diversité, capable de promouvoir de nouveaux droits, de nouveaux modes d’intervention, une représentation du peuple par le peuple ; une politique qui rompt avec le dogme de la réduction de l’intervention publique.
L’argent public doit financer les besoins des populations, notamment en matière de logement. Nous ne combattrons le mal-logement que par une politique volontariste de constructions. Il faut donc augmenter les aides à la pierre et supprimer les niches fiscales.
Nous voulons, au fond, remettre les besoins humains au cœur de la politique et de la République – tel est le sens des propositions formulées par notre groupe. Seule cette démarche nous permettra de refonder les bases d’une citoyenneté moderne, généreuse et ouverte sur le monde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)