M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, que nous examinons en nouvelle lecture aujourd’hui, avait pour objectif initial de faire renaître, partout en France, un sentiment d’appartenance à la Nation, de recréer un lien à la citoyenneté parfois rompu et de répondre au malaise, voire au mal-être, traversant notre pays.
Pourquoi tant de citoyens français, pourquoi tant de jeunes, habitant souvent dans des quartiers défavorisés, n’ont plus ni le sentiment ni l’envie d’appartenir à la même nation et se sentent exclus de la société ? Notre devoir de législateurs et de responsables politiques est de proposer des solutions pour sortir de cette crise.
Je suis élu d’un département, la Seine-Saint-Denis, qui vit, souvent de manière encore accrue, les conséquences du creusement de ce fossé entre nos concitoyens. Voilà pourquoi, avec mes collègues du groupe UDI-UC, j’ai abordé ce projet de loi avec un grand sens des responsabilités et, pour tout dire, un a priori plutôt favorable.
Malheureusement, dès la première lecture du texte à l’Assemblée nationale, les objectifs initiaux du projet de loi se sont dilués dans des dizaines, voire des centaines de mesures. Tous les qualificatifs pour décrire cette inflation créatrice des députés ont été utilisés ! Or la loi n’est utile, efficace et comprise que si elle est claire et concise et que si elle répond à des objectifs cohérents.
Nos deux rapporteurs, Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, ont réalisé en première lecture un travail de proposition, mais aussi de relecture juridique, que je tiens à saluer à cet instant. Elles ont ainsi pris comme règle de conduite de ne conserver que des mesures directement en lien avec l’objectif visé, n’alourdissant pas le poids des normes sur les collectivités et efficaces pour nos concitoyens.
Nos deux rapporteurs ont rappelé quelques-unes des dispositions que le Sénat a adoptées en première lecture et qui symbolisent tout son travail, mais que l’Assemblée nationale a intégralement repoussées lors de la commission mixte paritaire, puis en nouvelle lecture.
En procédant, avec talent, à cet inventaire, elles ne se sont pas livrées à un procès, comme l’affirme Jean-Pierre Sueur ! Bien au contraire, elles ont établi un constat : celui du fossé existant entre les rédactions des deux assemblées. Or, tirer les conséquences de cette situation, c’est suivre la logique même du travail parlementaire et du bicamérisme.
Cessons de caricaturer nous-mêmes les positions des uns et des autres : agir ainsi ne fait qu’affaiblir la démocratie parlementaire. Je le répète, un fossé profond sépare les textes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Nos rapporteurs étaient dans leur rôle en formulant cette mise au point.
Tout d’abord, en matière d’éducation, qu’il s’agisse du contrôle de l’instruction à domicile ou de la législation applicable aux conditions d’ouverture des établissements privés d’enseignement scolaire, nos collègues députés n’ont pas du tout entendu les propositions sénatoriales. Nous nous étions pourtant efforcés de trouver un compromis. À mon sens, nous avions fait œuvre utile pour l’amélioration de ce projet de loi. L’Assemblée nationale n’en a, hélas, tenu aucun compte.
Ensuite, pour ce qui concerne la révision de la loi SRU, nous avions souhaité, sur l’initiative de Mme Estrosi Sassone, rapporteur, ménager plus de souplesse, en fonction des communes, quant au respect des quotas de construction. Il ne s’agissait pas d’abandonner ces objectifs, mais de les rendre réalistes au regard des réalités propres à chaque territoire. La loi doit être souple pour être bien appliquée dans des situations locales souvent très diverses.
L’instauration d’un contrat d’objectifs et de moyens entre le maire et le préfet permettait de respecter ces différentes volontés, pour définir, d’un côté, le taux de logements sociaux que la commune devait atteindre, et, de l’autre, l’échéance à laquelle elle devait y parvenir.
Madame la ministre, je ne puis évoquer ces dispositions sans revenir rapidement sur l’amendement que vous avez défendu à cet égard au nom du Gouvernement, et qui avait pour objet la création d’une foncière nationale solidaire.
Mes collègues Valérie Létard et Daniel Dubois ont exprimé toutes les craintes que ce projet leur inspirait : concurrence avec les politiques locales menées par les établissements publics fonciers locaux ; déstabilisation du marché immobilier ; mais, surtout, recentralisation de la décision, comme vous l’avez déjà fait au titre du 1 % logement.
Le Sénat a donc repoussé votre proposition, que l’on a ensuite vu revenir subrepticement dans le projet de loi sur le statut de Paris. Quelle est la logique consistant à proposer ce dispositif dans n’importe quel texte ? Le Conseil constitutionnel est ainsi prévenu que, d’une manière ou d’une autre, il constituera un cavalier législatif !
Enfin, j’évoquerai les mesures en faveur de l’égalité réelle. Il est difficile de faire des choix au milieu de tant d’articles, qui, comme l’a judicieusement indiqué ma collègue Françoise Gatel, constituent un « cabinet de curiosité ».
On peut noter nos désaccords profonds sur la question des concours de la fonction publique, en particulier sur la création d’un super-fichier collectant l’ensemble des données des candidats à un concours administratif tout en recensant leurs origines socioprofessionnelles, familiales et même géographiques. Nous ne pouvons qu’être sceptiques quant à la constitutionnalité d’un tel dispositif.
Au total, les désaccords persistants entre le Sénat et l’Assemblée nationale, les ajouts perpétuels, et souvent sans grand lien avec le texte initial, font de ce projet de loi Égalité et citoyenneté, au mieux une occasion manquée, au pis un faux alibi électoral. C’est pourquoi nos deux rapporteurs, suivies par la commission spéciale, ont proposé d’opposer une question préalable au présent texte au titre de cette nouvelle lecture.
Monsieur, madame les ministres, n’allez pas dire que le Sénat refuse d’imprimer sa marque sur ce projet de loi ou que la majorité sénatoriale rechigne à travailler. Les propositions et les débats ont eu lieu en première lecture, et ils ont précisément démontré le contraire.
On sent bien que la période électorale approchant a incité les députés et le Gouvernement à faire de ce texte le dernier marqueur politique qu’ils pouvaient sauver de ce quinquennat. Ce constat est regrettable, car nombre d’enjeux ici soulevés sont primordiaux pour les Français, en particulier pour ceux d’entre eux qui – je les évoquais en préambule – vivent dans des quartiers particulièrement difficiles et ont besoin de se sentir pleinement intégrés dans notre société. Je suis convaincu qu’il y avait mieux à faire.
En conclusion, les sénateurs du groupe UDI-UC suivront les préconisations des rapporteurs en votant la question préalable sur ce texte, lequel se résume à de bonnes intentions ou à des marqueurs idéologiques ne répondant pas aux attentes réelles de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, après l’échec de la commission mixte paritaire, le 25 octobre dernier, nous examinons en nouvelle lecture le projet de loi Égalité et citoyenneté.
Disons-le d’emblée : avec le texte qui nous revient de l’Assemblée nationale, nous voilà, pour ainsi dire, revenus au point de départ !
Ce n’est pas vraiment une surprise : avant même notre premier débat en séance publique, le Premier ministre Manuel Valls avait annoncé qu’il ne tiendrait aucun compte de la réflexion du Sénat. Je regrette que notre collègue Jean-Pierre Sueur ne se soit pas alors emparé du micro pour rappeler à l’ordre, ou du moins au règlement, le chef du Gouvernement ! En effet, M. Valls mettait très gravement en cause le Sénat.
Force est de constater que, à l’Assemblée nationale, la majorité de gauche s’est consciencieusement appliquée à mettre en œuvre cette curieuse conception du débat parlementaire : elle a purement et simplement rétabli son texte initial, sans jamais chercher à s’engager sur la voie d’un compromis avec le Sénat.
Toutefois, après tout, rassembler la gauche derrière le Gouvernement, n’était-ce pas le véritable objectif de ce texte après l’épisode, ô combien douloureux pour cette majorité, de la loi El Khomri ?
M. Gérard Longuet. Eh oui !
M. Philippe Dallier. Annoncé après les attentats de 2015, le présent projet de loi avait pourtant permis au Gouvernement d’afficher de louables ambitions. « Réaffirmer et rassembler autour des valeurs de la République » : on ne pouvait que souscrire à cet objectif.
Néanmoins – nous avons eu l’occasion de le souligner à de nombreuses reprises en première lecture –, la traduction législative qui nous est proposée passe complètement à côté des enjeux. Elle n’apporte aucune réponse de fond aux tensions qui fracturent chaque jour un peu plus notre société. Elle constitue une entreprise avant tout idéologique, qui, au lieu de rassembler les Français autour d’une véritable réaffirmation du modèle républicain, tente d’abord de ressouder une famille politique décomposée et éclatée par l’exercice du pouvoir.
M. Jacques-Bernard Magner. Mais non !
M. Philippe Dallier. Par la force des choses, notre regard sur ce texte n’a donc pas changé depuis la première lecture. À nos yeux, il s’agit d’un fatras législatif, égrenant un nombre invraisemblable de mesures tantôt anecdotiques, tantôt purement incantatoires et surtout très disparates.
Du service civique aux langues régionales, de l’engagement associatif à l’alimentation locale et biologique, du logement social aux règles de vente au déballage, de la réserve citoyenne au bizutage en passant par la portabilité du lundi de Pentecôte, ce projet de loi est un véritable patchwork incohérent et inconsistant. Aussi n’emporte-t-il à aucun moment l’adhésion.
Nous sommes bien loin des recommandations par lesquelles le Conseil d’État appelle à contenir une profusion législative qui stérilise la vie politique. Selon le célèbre mot, « quand le droit bavarde, le citoyen ne lui prête plus qu’une oreille distraite. » C’est particulièrement dommage à propos d’un texte qui traite précisément de la citoyenneté.
Le Sénat a tenté de faire œuvre utile, en recentrant ce projet de loi sur ses objectifs initiaux et en supprimant les dispositions purement déclamatoires, les mesures n’ayant aucun lien avec l’objet du texte ou encore les contraintes disproportionnées pesant sur les entreprises et les collectivités territoriales. À mon tour, je salue le travail accompli par nos deux rapporteurs.
Nous avons surtout cherché à introduire un peu de bon sens dans ce texte.
Tout d’abord, en matière de logement social, nous rejetons la logique disciplinaire et centralisatrice revenant à imposer aux communes des sanctions d’une incroyable sévérité. Celles d’entre elles qui n’atteindraient pas des objectifs manifestement irréalisables dans la plupart des cas, tout au moins dans les délais impartis, seraient pour ainsi dire mises sous tutelle par les préfets.
M. Yannick Vaugrenard. Et à Neuilly-sur-Seine ?
M. Philippe Dallier. Le Sénat a donc proposé de changer de paradigme. Il a voulu sortir de la logique d’incantation et de sanction, prônée par le Gouvernement, pour lui substituer une logique contractuelle, programmatique et pragmatique par laquelle l’État accompagne les élus dans l’atteinte d’objectifs adaptés à la situation.
Nous avons ainsi souhaité privilégier la souplesse, le dialogue et la confiance en proposant la création de contrats d’engagements et de moyens signés entre les maires et le préfet. Couvrant une période de six ans, ces contrats permettraient d’individualiser l’objectif, dans une fourchette de 15 % à 25 %, selon le foncier disponible et les moyens budgétaires de chaque commune.
Je rappelle que, parallèlement, nous avons maintenu les sanctions financières en cas de non-respect des objectifs ainsi définis.
Chers collègues de l’opposition, je dois vous le dire, je suis assez peiné de vous entendre caricaturer la proposition formulée par le Sénat. Nous le savons tous dans cet hémicycle : pour beaucoup de communes, l’objectif de 25 % de logement social en 2025 est intenable !
En définitive, nous n’aboutirons qu’à une inflation du nombre de communes carencées. À quoi cela servira-t-il ? À pointer du doigt les maires, même ceux qui, jusqu’à présent, ont respecté leurs objectifs ? À les désigner à la vindicte des populations, en déclarant que, si le nombre de logements sociaux reste insuffisant, c’est à cause de leur mauvaise volonté ? Encore faudrait-il que le foncier nécessaire soit disponible et, surtout – on en a peu parlé – que les maires aient les moyens financiers de construire les équipements publics ou d’acheter les terrains nécessaires.
M. Yannick Vaugrenard. Et à Neuilly-sur-Seine ?
M. Éric Doligé. C’est de la caricature, monsieur Vaugrenard !
M. Philippe Dallier. Cher collègue, voilà l’exemple même de la caricature dans laquelle vous versez ! Je ne suis pas maire de Neuilly-sur-Seine, voyez-vous, je suis à la tête d’une commune située au beau milieu de la Seine-Saint-Denis.
M. André Gattolin. Pas de chance ! (Sourires sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. Philippe Dallier. Jusqu’à ce jour, j’ai toujours respecté mes objectifs triennaux.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Et vous avez du mérite !
M. Philippe Dallier. Eh bien, je vous le certifie, je serai incapable d’en faire de même au rythme que vous entendez imposer.
Bien des maires sont dans ma situation. Quelques autres ne veulent rien faire. D'ailleurs, je ne suis pas sûr que le maire actuel de Neuilly-sur-Seine soit de ceux-là. En voulant pointer du doigt les rares élus qui ne veulent pas agir, vous allez plonger tous les autres dans les plus grandes difficultés. Vous semblez penser que c’est une manière de traiter les problèmes. Tel n’est pas notre cas.
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Très bien !
M. Philippe Dallier. L’Assemblée nationale n’a pas voulu de cette logique contractuelle, qui nous semble pourtant la seule à même de concilier des objectifs ambitieux, mais réalistes et, en définitive, efficaces, car applicables.
Pour conclure sur ce sujet, je vais vous dire une bonne chose : j’espère que la majorité changera l’année prochaine.
M. Yannick Vaugrenard. Bien sûr, au Sénat ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Philippe Dallier. Avec des dispositions comme celles que vous avez adoptées, vous encouragez ceux qui entendraient passer par pertes et profits la totalité des obligations laissées par le gouvernement actuel. Comme nombre de ceux qui siègent sur les travers de la majorité sénatoriale, je ne suis pas de ceux-là.
Néanmoins, à force de fixer des objectifs impossibles et des sanctions disproportionnées, vous allez décourager les bonnes volontés. Cela, je vous le reproche, et je vous le reprocherai : donnons-nous rendez-vous dans quelques années. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
Le titre II de ce projet de loi était idéologique,…
M. Jacques-Bernard Magner. Encore !
M. Philippe Dallier. … je pense l’avoir démontré, mais il avait au moins le mérite de la cohérence, du moins quant au sujet traité. Avec le titre Ier, et surtout le titre III, on constate à quel point ce texte est la voiture-balai d’un mandat au terme duquel le Gouvernement tente d’apaiser les frustrations de la gauche en faisant droit aux multiples revendications issues de ses diverses tendances.
M. Jacques-Bernard Magner. Vous donnez dans la psychanalyse…
M. Philippe Dallier. Néanmoins, nous avons tenté de faire preuve d’ouverture.
En première lecture, le Sénat a voté conforme 54 articles. Il a par exemple su reconnaître le bien-fondé des mesures en faveur de l’engagement de la jeunesse, qu’il s’agisse de l’extension du service civique ou de la création d’une réserve citoyenne généraliste et pérenne. Nous ne sommes cependant pas allés jusqu’à approuver les dérives conduisant à une certaine professionnalisation de l’engagement associatif.
Nous avons également dû mener, en première lecture, un travail important pour cantonner ce texte fourre-tout dans les limites du raisonnable. Le présent projet de loi comportait, en particulier, d’inquiétantes remises en cause des formes d’autorité, alors même que, en cette période troublée, notre société, et singulièrement la jeunesse, est en demande de repères.
Il s’agit, en premier lieu, de l’autorité parentale. Sous couvert d’émancipation des jeunes, ce texte affiche une irresponsabilité patente en matière d’éducation, associée à une ingérence éducative qui nous a paru dangereuse.
Nous nous opposons donc aux dispositions assez démagogiques affaiblissant l’autorité parentale et restreignant la liberté des parents en matière d’éducation. Je pense notamment aux mesures qui affaiblissent la protection des mineurs en tendant à établir la majorité à seize ans, ou aux propositions imposant des contraintes inutiles en matière de contrôle de l’instruction dispensée en famille. Bien sûr, il faut assurer un contrôle. Encore faut-il déterminer comment le faire.
Dans le même esprit, nous refusons de soumettre l’ouverture des établissements scolaires privés hors contrat à un régime d’autorisation qui serait contraire au principe constitutionnel de liberté de l’enseignement – nous attendrons de voir ce qu’en dira le Conseil constitutionnel. Nous avons préféré renforcer l’encadrement du dispositif déclaratif.
Il s’agit, en second lieu, de l’autorité municipale. J’ai déjà évoqué la remise en cause de la capacité de décision des maires en matière de logement social.
Alors que les maires sont la seule catégorie d’élus échappant encore peu ou prou à la défiance généralisée des Français vis-à-vis du politique, ils sont aujourd’hui mis en cause par les prérogatives accordées aux conseils citoyens. Nous ne pouvons que marquer notre ferme opposition à cette dilution de l’autorité et de la légitimité des élus locaux, qui demeurent la colonne vertébrale de notre démocratie représentative.
Il s’agit, troisièmement et enfin, de l’autorité policière. Ces derniers temps, les forces de l’ordre sont particulièrement sollicitées et éprouvées. Les messages de défiance adressés à leur encontre via les récépissés obligatoires sont on ne peut plus malvenus. À nos yeux, ils sont même inacceptables.
Ce projet de loi ne va pas non plus dans le sens de l’apaisement, tant le renforcement de la capacité des associations de toute nature à se porter partie civile risque de judiciariser à l’extrême les relations sociales.
La chasse aux discriminations est nécessaire. Mais faut-il la déployer sur tous les pans de la vie publique ? On va jusqu’à vouloir traquer les discriminations lors de la passation des marchés publics ou dans l’exercice du droit de préemption. Selon nous, cette attitude va trop loin.
Il nous a donc paru essentiel de supprimer les dispositifs proposés ou de les ramener à plus de mesure, pour contrer la menace de multiplication de contentieux sans réel fondement, qui ne font qu’attiser inutilement les tensions et créer un climat de suspicion délétère.
Malheureusement, sur ce point comme sur les précédents, il n’a pas été possible d’engager un réel dialogue avec l’Assemblée nationale. Les apports du Sénat ont, pour la plupart, été rayés d’un trait de plume.
Monsieur le ministre, madame la ministre, pour renforcer la République et ses valeurs, il faut avant tout être en prise directe avec le réel et comprendre la nature des fractures sociales et culturelles qui minent l’unité de notre pays. À l’inverse, c’est faire fausse route que vouloir régenter à tout prix les rapports sociaux.
Par ses travaux, la Haute Assemblée a, me semble-t-il, envoyé un message essentiel, en effaçant en partie le fossé qui existait entre la vision développée par ce projet de loi et la réalité vécue au quotidien par nos concitoyens.
La voix du Sénat n’a pas été entendue par la majorité socialiste et par le Gouvernement. Dans ces conditions, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront en faveur de la question préalable déposée sur ce projet de loi.
M. Jacques-Bernard Magner. Ils n’ont pas le choix !
M. Philippe Dallier. Le présent texte n’apportera aucune réponse crédible aux immenses défis auxquels la société française fait face. Il ne contribuera en rien, ou si peu, à retisser les liens de la communauté nationale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Vincent Capo-Canellas applaudit également.)
M. le président. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi par Mmes Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, au nom de la commission spéciale, d’une motion n° 8.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l’égalité et à la citoyenneté (n°148, 2016-2017).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le président de la commission spéciale, pour la motion.
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, en vertu de l’article 44, alinéa 8 du règlement, j’ai l’honneur de défendre la question préalable sur le projet de loi qui, après son adoption par l’Assemblée nationale, nous est aujourd’hui soumis en nouvelle lecture.
Au préalable, je tiens à remercier tout particulièrement Dominique Estrosi Sassone et Françoise Gatel du travail considérable qu’elles ont accompli depuis qu’elles ont été désignées rapporteurs de ce texte. De nombreuses semaines, de nombreux mois ont été consacrés à l’examen de ce projet de loi. Je rappelle qu’elles ont mené, au total, 63 heures d’auditions.
M. Jean-Pierre Sueur. Raison de plus pour ne pas voter la question préalable !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. D’ailleurs, elles les poursuivent encore en cet instant, en écoutant les observations de notre collègue Jean-Pierre Sueur : quelques minutes vont donc venir s’ajouter à ces 63 heures ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Éric Doligé. M. Sueur s’excuse sans doute de ses précédents propos !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Parallèlement, la commission spéciale a totalisé 33 heures de réunions, auxquelles Jean-Pierre Sueur n’a d’ailleurs pas manqué de prendre part,…
M. Jean-Pierre Sueur. Et ce avec plaisir !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. … comme un certain nombre de nos collègues. Ce travail fut d’autant plus insolite qu’il a été mené pendant l’été, entre les deux sessions extraordinaires.
Enfin, le Sénat a dédié 45 heures à l’examen, en séance publique, de ce projet de loi intitulé « Égalité et citoyenneté ».
En vertu de la question préalable, ce travail va sans doute d’achever aujourd’hui. En première lecture, déjà, nous avions dénoncé les modifications considérables que nos collègues députés avaient infligées au texte du Gouvernement. Par une forme de surcharge pondérale, l’Assemblée nationale en avait beaucoup accru le volume. De plus, par diverses initiatives portant sur des domaines extrêmement variés, elle avait changé la nature de ses dispositions.
J’avais d’ailleurs été surpris que le Gouvernement n’oppose pas quelque garde-fou contre les initiatives prises par nos collègues députés. C’est lui qui avait enfanté ce texte. Or qui est prêt à voir des tiers modifier la physionomie, la taille et, a fortiori, le sexe de son enfant ?
Mme Annie Guillemot. Il y a tout de même des hermaphrodites…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. En définitive, après son passage à l’Assemblée nationale, ce texte a, non doublé, mais quintuplé de volume !
Nos collègues députés ont déployé des initiatives dans de très nombreux domaines. Nos deux rapporteurs en ont fait état, je n’y reviendrai donc pas. Je signale simplement que ce projet de loi Égalité et citoyenneté permettra notamment à une personne de nationalité étrangère de devenir dirigeante d’une entreprise de pompes funèbres. Dieu merci, ce texte est arrivé à point nommé pour accorder une autorisation de cette importance ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
M. Yannick Vaugrenard. C’est petit…
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Et je ne parlerai pas d’autres dispositions, comme les règles nouvelles relatives à la vente au déballage.
Le présent texte a donné lieu à une forme de défoulement, de la part de députés aux yeux desquels le temps était sans doute venu d’inscrire dans la législation un certain nombre de leurs idées. En définitive, c’est un véritable bric-à-brac qui est parvenu au Sénat.
Que faire devant un tel texte ? Nous attendions que, au cours de la commission mixte paritaire, nos collègues députés se rendent à un certain nombre de nos arguments, et même de nos raisons. Malheureusement, nous avons très vite compris que cette tâche était vouée à l’échec.
Tout d’abord, il a été difficile de déterminer le moment où cette réunion pourrait avoir lieu, alors même que les délibérations étaient frappées d’une certaine urgence. En définitive, l’horaire a été choisi de telle sorte que mon homologue de l’Assemblée nationale m’a fait savoir qu’il serait courtois de notre part de ne pas retenir les députés trop longtemps : une heure et demie plus tard, ces derniers devaient se rendre au Palais-Bourbon pour prendre part à un vote obligatoire au titre du projet de loi de finances…
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Eh oui !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. Courtois, nous le sommes. Nous l’avons été d’autant plus que nous avions l’espoir d’aboutir à un accord. Dès le début de la réunion, nos rapporteurs ont exposé avec beaucoup de calme et de modération les points sur lesquels le Sénat entendait peser.
En réponse, nous n’avons reçu que des quolibets.
M. Yannick Vaugrenard. Vous allez loin !
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale. À l’égard de nos deux rapporteurs, la réponse des députés s’est révélée à la limite de l’insulte. En tant que président de la commission mixte paritaire, j’étais on ne peut mieux placé – si j’ose dire – pour entendre la voix des députés qui, d’une manière extrêmement discourtoise, exprimaient leur très mauvaise humeur.
À l’évidence, l’échec de la commission mixte paritaire incombe aux députés, et à eux seuls. (Exclamations.)