compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
Secrétaire :
M. Jackie Pierre.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2016 n’est pas parvenue à l’adoption d’un texte commun.
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Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire
M. le président. Mes chers collègues, j’ai le plaisir de saluer, dans la tribune d’honneur du Sénat, Mme Jiko Luveni, présidente du Parlement des Îles Fidji, accompagnée par notre collègue Catherine Procaccia, présidente du groupe d’amitié France-Vanuatu-Îles du Pacifique. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que Mme la ministre du logement et de l’habitat durable et M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, se lèvent.)
Se rendant à Londres pour la conférence de l’association parlementaire du Commonwealth, Mme Luveni a tenu à faire une étape à Paris, afin de répondre à l’invitation du groupe d’amitié, dont une délégation, conduite par sa présidente et composée de nos collègues Delphine Bataille, Jean-François Longeot et Robert Laufoaulu, s’était rendue dans son pays au mois de septembre dernier.
Porte-parole des petits États insulaires, particulièrement exposés aux conséquences du changement climatique comme la hausse du niveau des océans et l’accentuation de certains phénomènes météorologiques extrêmes, les Îles Fidji ont été choisies pour organiser la COP23, c’est-à-dire la vingt-troisième conférence de l’ONU sur le climat, laquelle se tiendra, pour des raisons logistiques, en Allemagne, en novembre 2017. Mme Luveni a ainsi été reçue tout à l’heure par M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.
Mes chers collègues, en votre nom à tous, permettez-moi de souhaiter à nos homologues du Parlement des Îles Fidji, ainsi qu’à leur délégation, la plus cordiale bienvenue et de fructueux échanges au Sénat de la République française. (Vifs applaudissements.)
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Égalité et citoyenneté
Rejet en nouvelle lecture d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'égalité et à la citoyenneté (projet n° 148, résultat des travaux de la commission n° 188, rapport n° 187).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà quelques semaines, je suis venu avec ma collègue Emmanuelle Cosse vous présenter le projet de loi Égalité et citoyenneté, après qu’il eut été voté à l’Assemblée nationale en première lecture.
Je l’ai fait sans sectarisme, avec la conviction qu’il s’agissait là d’un texte de progrès qui pouvait rassembler largement, par-delà nos sensibilités politiques. L’engagement, sous toutes ses formes, la condition des jeunes, la mixité sociale, la lutte contre les discriminations sont autant de sujets fondamentaux qui méritent d’être soutenus et promus sur toutes les travées de cette assemblée.
Le Sénat a fait son œuvre : il a précisé bon nombre de dispositions, affiné quelques rédactions imprécises et interrogé la pertinence de certains articles. Le travail de la navette parlementaire a été utile et justifie notre système bicaméral en tant que tel.
Il me faut néanmoins confesser un regret. En première lecture, la majorité sénatoriale avait détricoté – disons-le – bon nombre de dispositions du texte, sans pour autant apporter de réponses nouvelles, en particulier pour les jeunes. Vous n’aurez donc pas été surpris de voir l’Assemblée nationale les rétablir, et ce à raison. Elle ne l’a pas fait d’un bloc, niant ainsi tout apport du Sénat, mais en retenant les mesures qui font le plus sens.
Le Gouvernement proposait de créer un congé d’engagement pour celles et ceux qui ont des responsabilités associatives. Supprimé ici, nous l’avons rétabli.
Le Gouvernement proposait de donner des responsabilités nouvelles aux mineurs de seize ans et plus. Supprimées ici, nous les avons rétablies.
Le Gouvernement proposait de sanctionner les sites internet visant à installer la confusion dans l’esprit des femmes qui cherchent des informations fiables sur l’interruption volontaire de grossesse. Dommage que la droite ait écarté cette mesure ! Nous aurions pu gagner du temps parlementaire, puisque votre Haute Assemblée, malgré l’opposition de son groupe majoritaire, a voté cette disposition dans le cadre de la discussion d’une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale, ce dont je me félicite.
Le Gouvernement proposait de donner aux citoyens des quartiers prioritaires la possibilité d’interpeller directement le préfet, pour faire valoir d’éventuelles difficultés à l’échelon local. Supprimé ici, nous l’avons rétabli.
Le Gouvernement proposait d’inscrire dans la loi le principe de l’égal accès des enfants à la cantine, quelle que soit la condition sociale de leurs parents. Supprimé ici, nous l’avons également rétabli.
Ce texte pourrait donc encore donner lieu à un débat. C’est pourquoi je vous appelle à ne pas l’escamoter en adoptant la motion tendant à opposer la question préalable qui a été déposée par votre commission. Je ne comprendrais pas,…
M. Jean-Pierre Sueur. Personne ne comprend, monsieur le ministre !
M. Patrick Kanner, ministre. … alors que vous n’avez eu de cesse de regretter l’engagement de la procédure accélérée sur ce texte, que vous vous priviez de ce débat en nouvelle lecture !
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument. C’est incohérent et incompréhensible !
M. Patrick Kanner, ministre. Effectivement, il faut être cohérent ! Emmanuelle Cosse et moi-même aimerions que l’on puisse évoquer la suppression des emplois d’avenir, par exemple : cette mesure, proposée par le candidat de la majorité sénatoriale issu des primaires de la droite, aura en effet pour conséquence de priver brutalement d’emploi des dizaines de milliers de jeunes ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Ce n’est pas le sujet !
M. Philippe Dallier. Vous vous répétez !
M. Patrick Kanner, ministre. Nous souhaiterions également aborder la question de l’engagement, totalement absente du programme de votre candidat.
M. Alain Gournac. On l’a déjà entendu. C’est toujours le même disque rayé !
M. Patrick Kanner, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, nos concitoyens doivent pouvoir choisir en connaissance de cause.
M. Philippe Dallier. N’ayez crainte, ce sera le cas !
M. Patrick Kanner, ministre. L’échec de la commission mixte paritaire n’est pas anormal au regard de notre système politique. Il ne doit cependant pas conduire à l’escamotage des débats au Parlement, au détriment du fond et de la qualité de la loi, que je vous sais défendre avec ardeur.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Patrick Kanner, ministre. Avec Emmanuelle Cosse, je reviens devant vous dans le même état d’esprit que lors de la première lecture, prêt à tous les échanges et déterminé à défendre ce texte jusqu’à ce qu’il entre dans le quotidien des Français. Nous serons en effet jugés sur les avancées que contient ce projet de loi Égalité et citoyenneté ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Francis Delattre. C’est un texte de recentralisation !
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Emmanuelle Cosse, ministre du logement et de l'habitat durable. Monsieur le président, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de revenir devant vous pour l’examen en nouvelle lecture du titre II du projet de loi Égalité et citoyenneté.
À la suite de l’échec de la commission mixte paritaire, le Gouvernement a souhaité, avec l’appui des députés, rétablir et améliorer les dispositions visant la mixité dans l’habitat et les territoires.
M. Philippe Dallier. Il y a encore du travail !
Mme Emmanuelle Cosse, ministre. En première lecture, les débats ont été vifs et nos désaccords nombreux. Le texte que vous avez adopté revenait sur les principales dispositions du projet de loi initial. Il impliquait moins de transparence et moins d’obligations pour les collectivités territoriales, en termes de mixité sociale ou de production de logements sociaux, et contenait des mesures très peu équilibrées concernant l’accueil et l’habitat des gens du voyage.
Pourtant, ce qui fonde ce projet de loi, c’est le renforcement des ressorts du vivre ensemble, grâce à des logiques de solidarité qui doivent s’imposer à tous les acteurs du logement, car elles profiteront, en définitive, à toutes et à tous. Il cherche également à établir un équilibre entre droit au logement et mixité sociale, entre l’objectif d’intérêt général et la nécessaire adaptation aux situations locales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, en supprimant la référence au taux de 25 % pour les attributions de logements sociaux en dehors des quartiers prioritaires de la politique de la ville, qui sont destinées aux 25 % des demandeurs les plus pauvres, vous avez fait disparaître le signal envoyé aux ménages les plus modestes.
En supprimant la possibilité laissée aux préfets d’attribuer certains logements de manière automatique si les collectivités territoriales, les bailleurs ou Action logement ne respectaient pas leurs objectifs en matière de mixité, vous avez limité la nécessaire pression nationale et la capacité d’intervention de l’État, qui en est l’indispensable moteur.
En supprimant enfin l’obligation faite aux bailleurs de publier leurs logements vacants, vous avez réduit la portée de l’objectif de transparence, qui visait à faire des candidats au logement social les acteurs de leur recherche de logement.
Finalement, à force de modifications portant sur l’article 55 de la loi SRU relative à la solidarité et au renouvellement urbains, c’est à sa disparition que vous avez œuvré.
Toutes ces suppressions montrent que nos deux visions, que ce soit sur les politiques du logement, les politiques de peuplement ou, plus généralement, le rôle du logement social, sont difficilement conciliables. Nous voulons ouvrir des portes et construire des ponts, alors que vous proposez de cloisonner les territoires.
Aussi, je comprends ce qui a poussé la commission spéciale du Sénat à déposer et à adopter le 6 décembre dernier une motion tendant à opposer la question préalable et ce qui la conduit, aujourd’hui, à déposer une nouvelle motion.
Pourtant, l’ambition du texte que nous examinons aujourd’hui est grande : il vise en effet une mobilisation générale pour le vivre ensemble, ce ciment indispensable du pacte républicain !
Nous devons tout faire pour redonner confiance à nos concitoyens. Nous avons l’immense responsabilité de ne pas nous laisser envahir par ce mouvement insidieux de défiance de tous à l’égard de tous, et de trouver des réponses pour renforcer la cohésion sociale dans notre pays.
Ce qui est au fondement de ce projet de loi et, en l’espèce, de son titre II, c’est la recherche de solutions face à cette tentation du repli et de l’entre-soi : la façon dont nous nous occupons et partageons espaces publics et logements symbolise tout particulièrement la manière dont nous faisons société.
Le défi qui nous est lancé est décisif. Le relever s’inscrit dans une perspective de reconquête, celle qui consiste à faire du logement social le pivot d’un nouveau pacte urbain. Je vous le rappelle, le logement social est destiné potentiellement à une grande majorité de Français : quelque 70 % d’entre eux ont un revenu inférieur au plafond de ressources requis pour y accéder.
Après la loi SRU, la loi Égalité et citoyenneté est une étape supplémentaire vers la constitution de bassins de vie équilibrés. Dans la lignée de la loi ALUR pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, qui a consacré la responsabilisation accrue des acteurs locaux, et de la loi du 18 janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier public, le présent projet de loi vise à s’appuyer sur les points forts des territoires pour mettre en place des politiques de peuplement « en dentelle », fines et adaptées aux besoins spécifiques des habitants en fonction des besoins des collectivités.
Avec ce texte, le Gouvernement cherche à agir, non seulement sur l’offre de logements en veillant à leur bonne répartition spatiale et à leur diversité, mais aussi sur le parc social existant en réformant les modalités d’attribution des logements sociaux et en permettant aux bailleurs de mettre en œuvre de nouvelles politiques des loyers s’ils le jugent nécessaire.
Vous le savez, nous avons introduit un grand nombre de dispositions : c’est le cas à l’article 20 avec la réforme de l’attribution des logements sociaux, à l’article 26 au travers de la mise en place de la nouvelle politique des loyers, ou aux articles 30 et suivants qui renforcent la portée de loi SRU et en imposent une plus juste application – je pense notamment aux territoires qui ne font face à aucune demande en matière de logement social, aujourd’hui.
Je connais votre implication dans les territoires, mesdames, messieurs les sénateurs. Je connais également votre engagement en faveur des politiques du logement et sais combien vous vous battez pour des villes plus inclusives. C’est la raison pour laquelle, au-delà de nos différences, je tenais à vous remercier de la qualité des débats que nous avons eus ensemble, ainsi que du travail que vous avez réalisé, afin d’améliorer la rédaction d’un certain nombre de dispositions, notamment grâce à la rigueur de votre rapporteur, Mme Dominique Estrosi Sassone.
Je crois que nous partageons l’idée qu’il est de notre devoir d’insuffler un droit positif et un droit d’accès dans le logement social, et non un droit de séparation ou d’exclusion. Telle est la substance de ce titre II de ce texte. Nous ne pouvons pas renoncer au respect élémentaire du droit au logement. Nous devons favoriser la mixité sociale, afin qu’aucun ménage ne soit exclu. Avoir un chez-soi, au-delà d’un simple toit, c’est en effet une exigence pour des millions de concitoyens, auxquels nous devons toute notre mobilisation.
Comme Patrick Kanner l’a rappelé, je crois que nous pouvons consolider les valeurs républicaines d’égalité et d’émancipation malgré ce contexte difficile.
Aux exigences accrues en matière d’efficacité des politiques publiques, nous pouvons répondre par un pacte territorial renforcé entre l’État, les collectivités territoriales, les bailleurs et les usagers. En favorisant l’égal accès à un habitat mieux partagé, nous pouvons faire en sorte que les Françaises et les Français puissent retrouver à la fois confiance en l’autre et confiance en l’avenir ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, rapporteur.
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, doté d’un objectif initial ambitieux, ce texte avait pour objet de renforcer la cohésion de la société française, dans un contexte de destruction parfois violente du lien social. Aussi visait-il à favoriser l’engagement civique, à améliorer l’insertion des jeunes et à combattre les discriminations.
En première lecture, l’Assemblée nationale a fait de ce texte un « Bon coin » législatif dénué de cohérence, en en quintuplant le volume et en y introduisant toutes sortes de dispositifs hétéroclites, de la portabilité du lundi de Pentecôte à l’interdiction de la fessée. Un véritable cabinet de curiosités !
En nouvelle lecture, nos collègues députés ont rayé d’un trait de plume les apports du Sénat les plus importants, exprimant ainsi leur refus de s’engager sur la voie d’un accord. Face à cette absence affirmée de volonté de dialogue, nous ne pouvons que réclamer l’adoption d’une motion tendant à opposer la question préalable.
Je veux toutefois évoquer quelques points d’accord.
La réserve et le service civiques sont des mesures très justes et pertinentes, monsieur le ministre. Dès l’origine, elles ont fait l’objet d’un consensus, ce qui a conduit l’Assemblée nationale à intégrer plusieurs dispositions adoptées par le Sénat, telle que l’obligation de formation des tuteurs ou le principe de non non-substitution de la réserve civique à un emploi ou à un stage. Les députés ont également admis qu’il était irréaliste, malgré la justesse de l’intention, de rendre le service civique obligatoire.
Autre exemple de satisfaction : l’accord auquel nous nous sommes parvenus avec le Gouvernement pour avancer sur la question de la mobilité internationale des apprentis.
En revanche, les points de divergence sont nombreux et sérieux. J’en évoquerai six.
Première divergence : l’Assemblée nationale a fait fi des craintes émises par le Sénat sur la remise en cause de l’âge de la majorité légale à dix-huit ans, sous prétexte de donner de nouveaux droits aux mineurs âgés de seize ans, voire moins, avec pour conséquence de supprimer des dispositifs importants pour la protection des mineurs.
La deuxième divergence concerne la possibilité pour des associations de jeunes qui sont financées quasi exclusivement par des fonds publics de rémunérer pendant une durée qui peut atteindre six ans leurs dirigeants âgés de moins de trente ans au moment de leur élection. Je vois dans cette mesure un risque majeur de dévoiement et de détournement du sens de l’engagement.
Le troisième désaccord a trait à la question des congés : alors que le Gouvernement se félicitait il y a quelques mois d’avoir simplifié le droit du travail, l’Assemblée nationale l’a encore alourdi en créant le congé pour l’exercice de responsabilités associatives, qui s’ajoute aux seize autres congés spécifiques récemment revus par la loi Travail.
La quatrième divergence porte sur l’élargissement de l’accès à la fonction publique.
Nous y étions favorables initialement, mais nous opposons sur deux points majeurs, qui nous paraissent totalement extravagants, monsieur le ministre : en premier lieu, nous ne sommes pas d’accord avec le fichage de tous les candidats aux concours administratifs, fichage que vous organisez au moyen d’un recueil systématique des données personnelles relatives à leur environnement social ou professionnel ; en second lieu, nous sommes en désaccord avec l’obligation imposée aux collectivités territoriales de recruter au moins 20 % de leurs agents de catégorie C, via les contrats « parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale », les contrats PACTE.
M. Alain Gournac. Liberté aux maires !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Il s’agit en effet d’une mesure autoritaire et irréaliste, contraire à la libre administration des collectivités territoriales !
La quatrième divergence concerne les dispositions visant à modifier la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Que n’a-t-on pas entendu sur le sujet ! L’Assemblée nationale n’a pas estimé nécessaire d’analyser les corrections apportées par le Sénat, dont certaines avaient pourtant été acceptées par le Gouvernement, comme la possibilité pour le juge de requalifier les faits constitutifs de la plainte.
Toutefois, la plus grande des extravagances et des incongruités, le comble de la mauvaise foi, nous vous les devons, monsieur le ministre : c’est le double discours du Gouvernement à propos des abus d’expression sur internet !
En septembre dernier, vous aviez accusé le Sénat d’être liberticide à cause d’amendements qui visaient à enfin traiter les abus d’expression numérique. Or, au mois de décembre, dans le cadre de l’examen de la proposition de loi relative à l'extension du délit d'entrave à l’IVG, vous avez allégrement et gravement contrevenu à tous vos principes, allant même jusqu’à instituer une peine de prison pour un délit d’opinion. Tout ceci ne manque pas de saveur, monsieur le ministre !
M. Alain Gournac. Encore une contradiction !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. La cinquième dissonance touche à l’éducation, avec deux points de divergence majeurs.
S’agissant de l’instruction en famille, tout d’abord, les députés n’ont pas voulu du contrôle à domicile sur le lieu où l’instruction est dispensée, qui permettrait pourtant de détecter les dérives que nous souhaitons prévenir plus facilement. Concernant l’ouverture des établissements privés hors contrat, ensuite, l’Assemblée nationale a rétabli, dans un esprit dogmatique, un régime d’autorisation que nous jugeons contraire à la liberté d’enseigner.
Sixième et dernier désaccord : la création d’un droit d’accès à la restauration scolaire pour les enfants. Cette disposition créera une nouvelle charge pour les communes et correspond à une ingérence dans leur libre administration !
M. Éric Doligé. On en veut aux maires !
M. Alain Gournac. Ils n’en peuvent plus !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Il s’agit surtout d’une innovation juridique invraisemblable, dans la mesure où ce droit ne profite pas à tous les élèves et peut donc être considéré comme inégal ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Laissez l'orateur s'exprimer, mes chers collègues !
Mme Françoise Gatel, rapporteur. Ce ne sont là que quelques exemples. L’ensemble du texte nous a convaincus que le dialogue avec l’Assemblée nationale était désormais vain.
Pour conclure, monsieur le ministre, il est tout à la fois cocasse et tragique de constater qu’une loi en faveur de la cohésion sociale se fracasse dès la première étape du dialogue, celle du Parlement. Cabinet de curiosités, ce texte flatte sûrement l’ego de ceux qui pensent détenir la vérité, alors qu’ils ne font que confondre le « dire » et le « faire » : ceux-là ont cru imaginer Le Meilleur des mondes, mais ils n’ont écrit que La Grande Illusion, la leur ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Lenoir, président de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Très bien !
M. Jacques-Bernard Magner. Nous ne sommes pas d’accord, madame la rapporteur !
M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur.
Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi « Égalité et citoyenneté ». Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, le processus législatif de coconstruction, qui aura été si souvent proposé par le Gouvernement au Sénat depuis 2014, aura finalement été soumis à rude épreuve, pour ne pas dire qu’il aura été complètement superflu, tant la prise en compte du travail du Sénat est réduite comme peau de chagrin.
Le projet de loi Égalité et citoyenneté et, tout particulièrement, le titre II relatif au logement, à la mixité sociale et à l’habitat dont j’ai eu l’honneur d’être la rapporteur, illustre malheureusement tout le mépris des députés et leur refus de conserver, autant que faire se peut, les dispositions destinées à répondre au diagnostic formulé par le Sénat.
Au cours de la réunion de la commission mixte paritaire, nous avons acté notre désaccord sur ce texte et l’impossibilité de trouver tout compromis avec les députés. Le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale à l’issue de la nouvelle lecture est donc sensiblement le même que celui qu’a examiné le Sénat au cours de l’été.
En effet, les députés ont jugé bon de ne pas entrer dans le détail de notre travail, préférant une approche dogmatique, balayant les apports du Sénat d’un revers de la main en les caricaturant grossièrement et agitant des chiffons rouges sur le logement social, par exemple.
Justement, confronté à de nouvelles mesures démagogiques en matière de logement social, le Sénat a proposé de nombreux assouplissements portant sur les lois SRU ou ALUR, notamment. Il a cherché à les adapter à la réalité de nos territoires, sans jamais imposer la suppression des dispositifs existants ni exiger l’exonération des sanctions.
Je déplore le manque de réflexion de l’Assemblée nationale à propos d’une mesure pragmatique et réaliste, celle du contrat d’objectifs et de moyens passé entre le maire et le préfet pour atteindre les objectifs de construction de logements sociaux. Cette disposition aurait permis de combattre les difficultés constatées en matière d’habitat dans les départements les plus tendus.
De plus, la création de ce contrat aurait contribué à envoyer un signal fort : il permet enfin de tenir compte des spécificités de chaque territoire, alors même que les obligations actuellement inscrites dans la loi sont intenables, ainsi qu’en témoignent régulièrement les maires. Du reste, ces derniers n’ont pas à être montrés du doigt au seul prétexte que quelques-uns d’entre eux, peu nombreux, s’affranchiraient de tout effort en matière de construction de logements sociaux.
Si nos positions sont irréconciliables, c’est que notre constat n’est pas le même. Le raisonnement du Sénat se distingue par un souci de réalisme. En effet, il nous semble temps de mettre fin à une politique du logement essentiellement comptable et bien trop idéologique, qui s’appuie sur l’obligation faite aux collectivités de respecter des quotas excessifs et contre-productifs !
Bien loin d’entretenir la défiance, notre conception se distingue par la volonté d’aider des élus courageux, qui se mobilisent face à toujours plus de sanctions, malgré un arsenal important d’obligations et de contraintes. À Nice, par exemple, nous avons construit plus de 4 200 logements sociaux entre 2010 et 2015, bien que l’objectif fixé par la loi SRU soit inatteignable sur notre territoire, et ce au regard des contraintes géographiques, du plan de prévention des risques d'inondation, de la loi Littoral, de la loi Montagne, de la zone antisismique…
Certes, compte tenu des efforts consentis ces dernières années, la ville et la métropole ne paient plus de pénalités. Toutefois, ce n’est en rien le résultat du triomphe de la contrainte ou de la menace, mais bien le fruit du volontarisme politique, de notre résolution à faire en sorte que chacun de nos concitoyens puisse avoir accès à un logement abordable sur tous les segments du marché du logement.
Contrairement au Sénat, qui a adopté un texte équilibré permettant de passer d’une logique de sanction où l’État demande aux élus locaux de pallier l’inefficacité des politiques publiques nationales en matière de logement à une logique contractuelle, programmatique et pragmatique, où l’État accompagnerait les élus pour les aider à atteindre des objectifs adaptés, l’Assemblée nationale a préféré voter un texte déconnecté, inapplicable et, une nouvelle fois, conçu et appréhendé depuis Paris, très loin de ce qu’il ambitionnait, c’est-à-dire refaire société à travers l’égalité des chances et la mixité sociale dans l’habitat !
Dès lors que le logement est l’un des premiers motifs d’inquiétude pour bon nombre de nos concitoyens, il ne nous paraît pas opportun de rigidifier davantage la loi ou de détourner les élus de leurs prérogatives, d’autant plus que les solutions les plus adaptées se trouvent très souvent au niveau de nos territoires et devraient s’articuler avec les décisions locales, que ce soit en matière d’urbanisme, de transports ou de services.
Mes chers collègues, vous l’avez compris, je ne compte pas dresser la liste exhaustive de tous nos points de désaccord, car nos divergences sont bien trop nombreuses et trop profondes.
Il nous paraît désormais inutile de poursuivre un dialogue à sens unique. C’est pourquoi nous vous soumettons, M. le président de la commission spéciale, Mme la rapporteur Françoise Gatel et moi-même, une motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)